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Vers une explication de la faible implication syndicale des jeunes Revue internationale sur le travail et la société, février Renaud Paquet Année : 2005 Volume : 3 Numéro : 1 Page : 29-60 ISSN : 1705-6616 Sujets : Explication, implication, syndicats, jeunes Résumé Depuis le début des années 1990, la nature de la relation entre les jeunes de moins de 30 ans et les organisations syndicales a fait l’objet de plusieurs écrits de la part des praticiens et des chercheurs dans le domaine des relations professionnelles. Des comités de jeunes ont été créés un peu partout dans les syndicats. Le contexte de vieillissement de la main-d’oeuvre syndiquée et les difficultés éprouvées par les syndicats au niveau de l’adhésion des jeunes expliquent en grande partie cet intérêt marqué pour les problématiques de travail spécifiques aux jeunes. À ce dernier égard, les écarts quantitatifs entre les travailleurs des différents groupes d’âge sont d’ailleurs bien documentés. La question qui se pose est pouvoir cerner les facteurs qui les expliquent. Après avoir posé le problème, l’auteur fait état des résultats d’une 29

Vers une explication de la faible implication syndicale

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Page 1: Vers une explication de la faible implication syndicale

Vers une explication de la faible implication syndicale des jeunes Revue internationale sur le travail et la société, février Renaud Paquet Année : 2005

Volume : 3

Numéro : 1

Page : 29-60

ISSN : 1705-6616

Sujets : Explication, implication, syndicats, jeunes

Résumé

Depuis le début des années 1990, la nature de la relation entre les jeunes de moins

de 30 ans et les organisations syndicales a fait l’objet de plusieurs écrits de la part

des praticiens et des chercheurs dans le domaine des relations professionnelles.

Des comités de jeunes ont été créés un peu partout dans les syndicats. Le contexte

de vieillissement de la main-d’oeuvre syndiquée et les difficultés éprouvées par les

syndicats au niveau de l’adhésion des jeunes expliquent en grande partie cet intérêt

marqué pour les problématiques de travail spécifiques aux jeunes. À ce dernier

égard, les écarts quantitatifs entre les travailleurs des différents groupes d’âge sont

d’ailleurs bien documentés. La question qui se pose est pouvoir cerner les facteurs

qui les expliquent. Après avoir posé le problème, l’auteur fait état des résultats d’une

29

Page 2: Vers une explication de la faible implication syndicale

vaste étude empirique dans un grand syndicat canadien. Même si des différences

significatives entre les différents groupes d’âge ont été constatées à l’égard des

variables organisationnelles, professionnelles et syndicales mesurées, les données

recueillies n’appuient pas la thèse voulant que les jeunes possèdent des valeurs

plus individualistes et anti-syndicales que leurs collègues des autres groupes d’âge.

Ils ont cependant une perception différente de l’efficacité du syndicat dans la

défense de leurs droits. Enfin, leur degré d’implication syndicale est nettement

inférieur à celui des autres groupes d’âge. Les données nous amènent à infirmer

l’hypothèse que leur faible implication découle de valeurs différentes. Elle serait

plutôt liée au statut plus précaire des emplois occupés par les jeunes, à leur faible

perception instrumentale à l’égard du syndicat et à leur sentiment d’impuissance de

pouvoir changer les choses. La distance entre le syndicat et ses membres de moins

de 30 ans serait donc avant tout attribuable à des questions plus pragmatiques

qu’idéologiques.

1. La problématique de recherche

Au Québec, comme dans plusieurs sociétés, la population active est vieillissante. À

titre indicatif, au Québec en 1976, 40% de la population en âge de travailler avait

moins de 30 ans alors que ce taux avait chuté a 24,5% en 1998 (FTQ, 2000). À

l’inverse, au cours de la même période le pourcentage des plus de 45 ans est passé

de 34% à 44%. Mais parallèlement à ce vieillissement progressif de la main-

d’œuvre, de moins en moins de bons emplois étaient disponibles pour les nouveaux

entrants sur le marché du travail flexibilisé des 20 dernières années. Phénomène

30

Page 3: Vers une explication de la faible implication syndicale

international, on constate des taux de chômage plus élevé chez les jeunes et des

empois moins stables pour ceux qui travaillent (CISL, 2001).

Des jeunes, en proie à une plus grande vulnérabilité au travail et assujettis à des

conditions de travail ne surpassant que de peu les normes étatiques minimales, on

pourrait s’attendre à une propension relativement élevée à se former en syndicat

pour revendiquer une amélioration de leur sort. Mais, les écrits de la littérature

académique ou de la littérature professionnelle convergent: les jeunes se syndiquent

en bien faible nombre et quand ils le sont, ils militent peu à l’intérieur des

organisations syndicales. L’explication de la faible implication syndicale des jeunes

pourrait être due essentiellement à ces changements structuraux du marché du

travail (Hyman, 1997). Cette exclusion partielle des jeunes du segment primaire du

marché du travail, château fort traditionnel du syndicalisme, expliquerait leur faible

syndicalisation.

Certes, l’explication structurelle contribue sans doute à faire fluctuer le taux de

syndicalisation entre les groupes d’âge, mais la situation ne s’arrête pas là, sans

quoi analystes et dirigeants syndicaux n’ont qu’à attendre sans rien dire. Une partie

de l’explication pourrait plutôt résider dans les valeurs des jeunes et dans la nature

de la relation affective ou idéologique qu’ils entretiennent avec le mouvement

syndical. Ce dernier pourrait ne pas répondre à leurs idéaux sociaux et politiques

ou, plus simplement, ne pas être utile dans son rôle de défense des intérêts micro-

économiques. Les réponses à ces interrogations sont importantes pour le

mouvement syndical qui se doit d’assurer sa relève. À preuve, rares sont les

organisations syndicales centrales qui n’ont pas fait des efforts particuliers pour

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Page 4: Vers une explication de la faible implication syndicale

intéresser les jeunes (CISL, 2000), que ce soit sous la forme de conférences, d’un

comité, de l’embauche de ressources ou sous la forme de campagnes visant les

jeunes. La situation inquiète les organisations syndicales pour la plupart au

membership et au leadership grisonnant. Non seulement éprouve-t-on de la

difficulté à recruter des membres de moins de trente ans, mais parmi ceux qu’on a,

très peu acceptent de s’impliquer et de jouer un rôle de leader au sein du syndicat.

Plusieurs militants syndicaux et analystes universitaires affirment que les jeunes

sont plus individualistes (Hudon & Fournier, 1994, Guay et Nadeau, 1994, Muxel

1996). Linhart et Malan (cité dans Lachance, 1996) abondent dans le même sens

mais croient que cet individualisme serait du à la conjoncture du marché du travail à

l’intérieur de laquelle les jeunes seraient portés à ne compter que sûr eux-mêmes.

Mais contrairement à l’approche plus nostalgique qui compare la situation actuelle à

celle de la jeunesse des années 60 ou 70, Tapia et Lang (1994) démontrent que la

participation politique ou sociale des jeunes serait de nature plus pragmatique, en ce

sens, qu’on préférerait une action axée sur des résultats immédiats plutôt que de

donner son appui à de larges revendications (Guay et Nadeau, 1994). Certain en

viennent à conclure que les jeunes rechercheraient l’efficacité dans leur action

collective (Hudon et Hébert, 1994) dans un contexte socio-économique et politique

bien différent de celui des années 1970.

Pour Linhart et Malan (1990), les jeunes ne s’identifient pas au syndicalisme,

notamment, à cause d’un éloignement idéologique et culturel ainsi que d’une

absence de référence commune. Les jeunes ont de la difficulté à apprivoiser les

syndicats puisqu’ils les considèrent comme une institution mystérieuse au même

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Page 5: Vers une explication de la faible implication syndicale

titre que la hiérarchie et la direction. De même, les jeunes, voient d’un mauvais œil

l’affrontement patronal-syndical qu’ils jugent parfois dépassé. Enfin, certains jeunes

considèrent que les syndicats ne servent qu’une certaine classe de travailleurs qui

cherchent à profiter du système. Mais en contre partie, Akkermans et al. (1991),

dans leur étude sur les travailleurs hollandais, concluent que les jeunes travailleurs

disposeraient d’une mentalité plus bourgeoise que leurs aînés. À ce chapitre, ils

accorderaient plus d’importance aux dimensions économiques de leur emploi ainsi

qu’à leur profession, à leur carrière et à leur sécurité financière. Par conséquent, ces

derniers auraient une attitude plus conservatrice avec un faible intérêt envers la

politique et l’implication sociale.

En somme, on s’entend pour dire que la rencontre entre les jeunes et le

syndicalisme se fait difficilement. La plate-forme revendicatrice du mouvement

syndical est peut-être mal adaptée aux besoins ou préoccupations des jeunes. Le

problème est par contre peut-être plus profond en ce sens que les valeurs

collectivistes et les orientations socio-politiques du mouvement syndical ne

cadreraient pas avec l’idéologie des jeunes.

2. La stratégie et la méthode de recherche

Afin d’isoler le plus possible l’effet des variables de nature structurelle et

économique pour ainsi mieux saisir la nature de la relation jeune-syndicat, nous

avons opté pour une vaste étude auprès des membres d’un même grand syndicat

canadien. L’échantillon des personnes qui y ont été sondées ou contactées est

formé exclusivement de personnes déjà membres du syndicat, le but n’étant pas de

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Page 6: Vers une explication de la faible implication syndicale

distinguer les opinions et attitudes des adhérents de celle des non adhérents mais

plutôt de comparer des groupes relativement homogènes formés d’une part, de

personnes de moins de trente ans, et d’autre part, de personnes de plus de trente

ans1. À partir de cette analyse comparative, nous devrions pouvoir conclure sur les

facteurs qui contribuent principalement à expliquer les différences dans la relation

qu’entretiennent les jeunes et les moins jeunes avec le mouvement syndical. La

recherche s’est déroulée en collaboration avec un grand syndicat du secteur public

canadien qui regroupe un peu plus de 100 000 membres travaillant pour la majeure

partie dans la fonction publique.

Dans la première phase de la recherche, nous avons procédé à des entrevues et à

des groupes de discussions de syndiqués âgés de moins de 30 ans. Les participants

à cette phase ont été identifiés au hasard à partir de contacts auprès de délégués

locaux. La consigne donnée aux délégués étaient de nous référer des jeunes de

moins de 30 ans représentatif du membership syndical quant à leur degré

d’implication et à leur attitude. Au total, 15 jeunes furent rencontrés en entrevue et

22 lors de trois groupes de discussions menés dans trois villes différentes. Pour les

rencontres individuelles, la grille d’entrevue développée comprenait des questions

ouvertes portant sur les visions syndicales, le degré de participation et les barrières

à la participation. Ces questions visaient à valider les explications fournies par la

littérature et à explorer d’autres pistes à l’égard de la faible implication syndicale des

jeunes. La même approche, adaptée pour les circonstances, fut utilisée lors des

trois groupes de discussion. L’information recueillie lors de cette première phase, en

1 Rappelons pour les fins de clarté de l’article que sous le système nord-américain d’accréditation syndicale la notion d’adhésion, à tout fin pratique, à un caractère collectif. Les salariés d’un milieu de travail choisissent à la majorité simple de se syndiquer. Une fois accrédité, il est très rare que le syndicat soit révoqué. Pour ces

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Page 7: Vers une explication de la faible implication syndicale

plus de fournir des réponses initiales aux questions de recherche, a aussi aidé dans

la sélection des variables à retenir pour la phase quantitative de la recherche.

La deuxième phase de la recherche consistait en une vaste enquête auprès d’un

échantillon de 5 976 membres du syndicat provenant de 23 de ses unités locales ou

milieux de travail. Le choix des unités locales a été fait en collaboration avec les

dirigeants du syndicat sur la base de la représentativité de l’ensemble des milieux de

travail. L’exercice visait à sélectionner des unités locales qui reflétaient bien le

syndicat quant aux critères suivants : l’âge de ses membres, la taille de l’unité, la

composition professionnelle, la localisation géographique et le degré d’implication ou

de militantisme des membres du syndicat. Une telle technique nous permettrait par

la suite une inférence plus sure des résultats obtenus. Des 5 976 questionnaires

distribués, 1 543 nous furent retournés et sont à la base de l’analyse présentée plus

loin. Cela représente un taux de réponse de 25,8% (1 543/5 976) ce qui est

acceptable pour ce genre d’enquête, d’autant plus que le groupe d’intérêt, celui des

moins de 30 ans, a répondu dans une proportion comparable (140/528 soit 26,5%).

Également, des vérifications subséquentes auprès du syndicat nous ont permis de

constater que les répondants étaient représentatifs de l’ensemble des personnes

sondées quant à leur profession, à leur âge, à leur sexe, à leur scolarité ou à leur

provenance géographique.

Dans les règles de l’art, le questionnaire fut pré-testé auprès de 20 répondants et

des modifications mineures furent apportées à la lumière des commentaires alors

recueillis. Le questionnaire comprenait une première série de questions permettant

raisons, la question du maintien de l’adhésion importe peu une fois qu’un groupe s’est syndiqué. La question d’intérêt devient plutôt de saisir les facteurs associés au militantisme ou à l’implication syndicale.

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Page 8: Vers une explication de la faible implication syndicale

de dresser le profil d’emploi et les caractéristiques socio-démographiques du

répondant. Par la suite, les questions visaient la mesure du degré d’implication

syndicale, variable dépendante de la recherche. À cette fin, les indices déjà

développés par Paquet (1995), Paquet et Dufour (1999) et McShane (1986) furent

utilisés. Puis, le questionnaire comprenait des indices validés permettant de

mesurer les valeurs sociales (Bullock, 1979), l’idéologie collectiviste (Matsumoto,

1997), l’attitude syndicale (McShane, 1986), la perception de la valeur instrumentale

du syndicat (Kochan, 1979), la norme sociale relative à l’implication syndicale

(Cohen, 1993), la perception du degré d’influence sur le syndicat (Sverke, 1996), la

centralité du travail (Mannheim, 1997) et la satisfaction au travail (Gordon et al.,

1980). Furent ajoutées, des questions visant à évaluer l’opinion des répondants au

sujet de suggestions formulées, au sujet de l’implication syndicale, par les

personnes rencontrées lors de la première phase de la recherche.

Une bonne partie de ses variables s’inscrivent dans un modèle théorique déjà vérifié

dans des recherches antérieures (Paquet, 1995 ; Paquet et Dufour, 1999) voulant

que le degré d’implication syndicale des salariés soit influencé par la satisfaction au

travail, l’attitude syndicale, la norme sociale, la perception instrumentale et la

perception du degré d’influence sur le syndicat. Pour les fins de la présente

recherche et compte tenu de la littérature répertoriée, il fut décidé d’ajouter les

autres variables au modèle et de porter une attention particulière sur les

comparaisons entre les groupes d’âge.

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Page 9: Vers une explication de la faible implication syndicale

3. Les résultats à la phase 1 de la recherche

Toutes les personnes interviewées ou rencontrées lors des groupes de discussion

avaient moins de trente ans et étaient membres du syndicat. Parmi elles, près des

deux tiers détenaient des postes réguliers alors que les autres occupaient un emploi

précaire dont les termes sont définis par un contrat à durée déterminée

renouvelable. Même si ce deuxième groupe de personnes est assujetti aux

avantages et protections de la convention collective, il ne bénéficie pas des

dispositions relatives à la sécurité d’emploi, l’employeur ayant le droit de mettre fin à

l’emploi à la date prévue de fin du contrat. Comme nous le verrons, ce deuxième

groupe de personnes ont des opinions syndicales bien distinctes de leurs collègues

non précaires.

Le premier thème abordé lors des entrevues et des groupes de discussion portait

sur l’attitude syndicale, c’est-à-dire l’opinion générale et spontanée éprouvée à

l’égard du mouvement syndical. Après classification des données, nous constations

que 22 personnes étaient, de façon générale, favorables aux syndicats alors que 15

personnes se disaient moyennement ou pas du tout favorables. Par ailleurs, on

retrouvait chez les personnes occupant des emplois stables une attitude beaucoup

plus favorable aux syndicats que chez les précaires où la majorité se montrait peu

favorable. Le même constat fut tiré de l’analyse de la perception instrumentale du

syndicat où, la aussi, les précaires ont une opinion plutôt négative de l’utilité

syndicale alors que les employés réguliers accordent une grande valeur

instrumentale au syndicat. Dans la même veine, les précaires qui en auraient le

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Page 10: Vers une explication de la faible implication syndicale

choix, opteraient à 80% pour ne pas être syndiqués alors que ce pourcentage est

tout à fait opposé (80%) chez les employés réguliers. On conclût de ce premier bloc

de questions que les opinions à l’égard du syndicat sont directement influencées par

le vécu immédiat des jeunes en emploi. On associe sans doute sa situation

personnelle et les protections qu’on en tire à la valeur du syndicat, premier indice

que la distance entre les jeunes et les syndicats relèverait de motifs de nature plus

pragmatique ou utilitaire qu’idéologique. Parmi les commentaires recueillis, nous en

reprenons deux qui résument bien les points de vue différents des deux groupes de

syndiqués.

« Les syndicats travaillent à l’organisation des relations de travail pour

des relations plus égalitaires entre l’employeur et l’employé, aussi pour

l’avancement des travailleurs en matière d’équité salariale, de sécurité,

de santé et sécurité au travail. On en a besoin. »

« C’est un groupe de personnes qui tentent du mieux qu’elles peuvent de

travailler pour les syndiqués mais qui n’adressent pas les vrais

problèmes. Ils viennent te voir seulement quand il y a une grève ou à

l’approche des négociations. On pourrait s’en passer. »

Le second thème visait spécifiquement le syndicat local et ses dirigeants. Lorsque

nous demandons en entrevue aux salariés de nous exprimer la perception qu’ils ont de

leurs dirigeants locaux, nous découvrons des résultats analogues à ce que nous avons

exposé précédemment. Ainsi, des salariés rencontrés en entrevue, 11 d’entre eux ont

mentionné avoir une perception positive de leurs dirigeants locaux et trois personnes

ont exprimé une perception négative à l’égard de ces derniers. Encore là, des

38

Page 11: Vers une explication de la faible implication syndicale

différences importantes de perception sont notées à l’analyse des informations fournies

par les deux groupes de répondants. La majorité des employés réguliers ont exprimé

une opinion positive mais la situation est inversée chez les précaires. Par contre, les

membres des deux groupes estiment que leurs dirigeants syndicaux sont accessibles

même si plusieurs ne sentent pas que leurs positions sont prises au sérieux.

D’ailleurs, les deux groupes de jeunes s’entendent pour dire que les syndicats et leurs

dirigeants n’ont pas vraiment la capacité ou l’enthousiasme pour défendre les enjeux

propres aux jeunes.

« Nous sommes moins crédibles aux yeux des dirigeants locaux

comparativement aux plus vieux».

« Les dirigeants locaux ont très peu de patience et ne donnent pas

d’explication satisfaisante lorsqu’on leur pose des questions, sans

compter qu’ils ne défendent pas les enjeux et les intérêts des jeunes ».

La littérature fait clairement ressortir que les attitudes générales et spécifiques à

l’égard de la chose syndicale sont en grande partie dictées par la socialisation

préalable des personnes, que ce soit au travail ou en dehors du travail. Nous avons

constaté qu’environ la moitié de employés réguliers avaient été rencontrés

personnellement par un représentant syndical afin de leur expliquer le

fonctionnement et les buts du syndicat alors que c’était rarement le cas chez les

employés précaires. Par contre, nous n’avons constaté aucune différence entre les

deux groupes quand à la socialisation externe au milieu de travail où environ la

moitié des deux groupes de répondants avait été exposée au mouvement syndical à

39

Page 12: Vers une explication de la faible implication syndicale

partir de la famille ou des amis. Compte tenu de la forte relation entre la

socialisation et l’implication, ce constat préliminaire nous porte à croire que les

syndicats auraient avantage à intensifier leurs contacts avec leurs membres

précaires.

En dernière partie des entrevues et des groupes de discussion, nous avons recueilli

la perception des jeunes quant aux facteurs justifiant leur faible implication

syndicale. Ces facteurs peuvent être regroupés sous cinq catégories : le conflit de

loyauté, les particularités de l’emploi, l’âge et ce qu’il implique, la forme des réunions

syndicales et des perceptions syndicales négatives.

Plusieurs personnes mentionnent une réticence à l’implication syndicale en raison

d’un conflit de loyauté envers l’employeur. Une bonne partie d’entre eux prétendent

pouvoir régler seuls leurs différends avec l’employeur, ayant une bonne relation,

alors que d’autres se disent satisfaits de leur travail et ne voient donc pas l’utilité de

participer aux activités syndicales. Les activités ou débats syndicaux étant le plus

souvent orientés contre l’employeur, il en résulte une situation inconfortable au

niveau de la loyauté. Qui plus est, et de façon plus prononcée chez les précaires, on

craint des représailles pouvant aller au non renouvellement du contrat de travail.

Les répondants soulèvent des motifs reliés à leur emploi pour expliquer leur faible

implication syndicale. Plusieurs disent accorder moins d’importance à leur sécurité

d’emploi et aux divers avantages sociaux tels que la retraite que ne le font leurs

collègues plus âgés. Ils se disent plus mobiles et moins attachés à leur poste. De

plus, ils connaissent moins le milieu de travail et l’historique des problématiques qui

40

Page 13: Vers une explication de la faible implication syndicale

y surgissent. Le statut d’emploi précaire vient évidemment amplifier cette situation

de faible attachement au travail et de la connaissance des problématiques qui s’y

vivent. Après tout, pourquoi s’impliquer pour changer les choses dans un travail et

un milieu qui ne sera peut-être pas nôtre dans quelques mois? Qui plus est, les

problèmes d’emploi vécus par les jeunes ne font rarement partie de l’agenda

syndical prioritaire. Et la pierre angulaire de la gestion de l’emploi des syndiqués,

c’est l’ancienneté, au détriment à court terme, des derniers entrés, c’est-à-dire les

jeunes.

L’âge et les facteurs sociaux qui y sont associés constitue également en soi un

élément important dans l’explication de la faible implication des jeunes. En effet,

plusieurs des personnes rencontrées se sentent beaucoup moins conscientisées

aux enjeux syndicaux que leurs collègues plus âgés en raison de leur manque

d’expérience. De plus, certains ont une perception négative des membres plus âgés

: « plus tu vieillis, plus tu deviens négatif », comme l’ont affirmé certains. On a

l’impression que ceux qui s’impliquent syndicalement sont les personnes un peu plus

âgées qui sont « en colère, cyniques et frustrées de leur emploi ». Ainsi, de peur de

finir comme eux, les plus jeunes préfèrent prendre leurs distances et s’abstenir des

activités syndicales. Et puis, il y a aussi une certaine forme d’auto exclusion, les

membres plus jeunes étant très peu présents aux activités syndicales, ceux qui y

vont se sentant alors marginalisés. Enfin, les responsabilités familiales peuvent

constituer une entrave pour les membres qui ont des jeunes enfants encore à la

maison.

41

Page 14: Vers une explication de la faible implication syndicale

Plusieurs jeunes ne participent pas aux réunions syndicales car il s’agit là d’une

perte de temps, les questions administratives et les préoccupations des plaignards

occupant tout l’agenda. D’autres dénoncent la faible efficacité de réunions

syndicales qui produisent peu de résultats et ne servent que d’occasion pour jaser.

Certains participants reprochent également le fait que l’ordre du jour est rarement

respecté lors des réunions. Enfin, plusieurs disent ne pas participer aux réunions

syndicales puisqu’ils ne sont pas informés de l’heure et du lieu de celles-ci. De plus,

la terminologie et le lexique compliqué des bulletins syndicaux et de la convention

collective viennent mettre certaines barrières à la compréhension et décourage la

participation des jeunes.

Enfin, certains prétendent ne pas avoir reçu l’information et le support nécessaire de

leurs représentants syndicaux dans le passé et affirment que leurs délégués ne sont

pas à l’écoute de leurs besoins. Il existe également une frustration par rapport au

prélèvement des cotisations. En effet, ces employés croient qu’il est injuste que les

précaires payent le même taux de cotisations que les employés permanents. Qui

plus est, la plupart croient ne pas recevoir de services en retour. En revanche,

certains sont frustrés du fait que les syndicats protègeraient les employés

incompétents. En somme, on en a long à dire pour illustrer son opinion syndicale.

En guise de solutions aux problèmes soulevés, nous avons demandé aux jeunes

lors des entrevues et des groupes de discussions d’identifier des mesures qui

pourraient être prises par le syndicat et qui aurait comme effet d’influencer

positivement leur propension à s’impliquer dans les activités syndicales. Les

mesures les plus fréquemment mentionnées sont listées au tableau I.

42

Page 15: Vers une explication de la faible implication syndicale

Tableau I

Mesures proposées pour augmenter

le degré d’implication syndicale des jeunes

- Mise en place d’une processus personnalisé d’accueil des nouveaux membres

- Maintien constant d’un contact personnalisé entre les membres et les dirigeants

- Distribution de matériel expliquant les objectifs et les structures du syndicat

- Transparence dans les rapports financiers du syndicat et l’utilisation des

cotisations

- Création d’un bulletin d’information syndicale pour les jeunes

- Tenir les réunions syndicales à l’heure du lunch

- Fournir un ordre du jour détaillé des réunions en soulignant les points importants

- Simplifier les règles de procédure utilisées lors des réunions

- Respecter l’ordre du jour des réunions

- Tenir des réunions plus brèves mais plus fréquentes

- Rembourser les frais de garderies lors des réunions

- S’assurer de la présence de jeunes au sein du leadership syndical local

- Faire appel aux jeunes pour socialiser les jeunes et les amener à s’impliquer

- Réduire l’importance accordée à l’ancienneté dans les règles de travail

- Intégrer les priorités des jeunes dans les revendications syndicales

- Donner priorité aux questions reliées à la précarité d’emploi

43

Page 16: Vers une explication de la faible implication syndicale

4. Les résultats de l’enquête par questionnaire

Comme mentionné précédemment, l’enquête par questionnaire a été menée auprès

de tous les membres de l’échantillon sélectionnés sans distinction quant à leur

groupe d’âge. Par la suite, lors de la compilation et de l’analyse des données, nous

avons procédé à des comparaisons par groupes d’âge en distinguant les moins de

30 ans des plus de 30 ans. Nous présentons ces résultats en commençant par le

sujet premier d’intérêt : le degré de participation syndicale. Puis, nous résumons les

résultats obtenus lors de l’analyse par groupe d’âge des facteurs explicatifs, selon la

littérature, des variations dans le degré d’implication syndicale. Enfin, dans un

dernier temps, les résultats à l’analyse multivariée sont présentés.

44

Page 17: Vers une explication de la faible implication syndicale

4.1 Le degré de participation syndicale

Le degré de participation syndicale a été mesuré à l’aide de cinq indicateurs : la

lecture du matériel syndical, la consultation du syndicat lors de problèmes au travail,

les participation aux activités de négociation collective, la participation aux réunions

syndicales, l’utilisation de la procédure de griefs. Les scores obtenus ont été

additionnés, puis ramenés sur une échelle de cinq (5=degré élevé, 1 = faible degré)

qui en facilite la compréhension. Nous avons aussi ajouté à ces questions trois

indicateurs : le vote lors de la dernière grève, la volonté de demeurer syndiqué, la

disponibilité pour des responsabilités syndicales. Les résultats à cette première

série de questions sont inclus au tableau II.

Tableau II

Indicateurs de l’implication syndicale

INDICATEURS D’IMPLICATION

MOINS DE 30 ANS

30 ANS ET PLUS

Lecture du matériel syndical

2,90

3,68

Consulte le syndicat pour les problèmes

au travail

2,40

2,60

Participe aux activités locales reliées à la

négociation collective

1,77

2,58

45

Page 18: Vers une explication de la faible implication syndicale

Assiste aux réunions syndicales 1,75 2,26

A voté oui au dernier vote de grève

50,0%

67,1%

A déposé un grief au cours des 12 derniers

mois

10,1%

18,9%

Ne serait pas syndiqué s’il en avait le choix

21,2%

13,8%

Accepterait des responsabilités syndicales.

11,4%

19,8%

Dans l’ensemble, comme le montrent les données du tableau II, les membres

s’impliquent peu dans les affaires syndicales, mis à part qu’ils lisent la

documentation produite par le syndicat. Les syndiqués consultent peu leur

représentant lorsqu’ils ont un problème au travail. De plus, ils participent à un faible

degré aux activités reliées à la négociation collective ou aux assemblées syndicales.

Sans grande surprise, on constate une plus faible participation des moins de 30 ans

sur chaque indicateur de la participation. On constate aussi qu’ils contribuent peu

au militantisme du syndicat, ayant voté dans une moins grande proportion en faveur

de la grève. Par contre, ils désirent maintenir leur adhésion syndicale à 80% mais ils

sont moins enclins que leurs aînés à accepter des responsabilités syndicales.

Seulement 18,9% des membres ont utilisé la procédure de griefs ou de plaintes

formelles au cours des 12 derniers mois. Ce pourcentage tombe à 10,1% chez les

moins de 30 ans. Par contre 36,8% (42,0% pour les jeunes) affirment avoir vécu au

cours de cette période des situations où ils auraient pu faire un grief mais ont décidé

46

Page 19: Vers une explication de la faible implication syndicale

de ne pas le faire. Les motifs les plus fréquents à l’appui de cette décision sont dans

l’ordre les suivants : pas confiance en la procédure de grief, pas confiance en la

direction, enjeu résolu de façon informelle, peur de représailles et pas confiance au

syndicat. Les moins de 30 ans invoquent les mêmes motifs à la différence qu’ils ne

peuvent résoudre les enjeux informellement aussi souvent (16,9% vs 32,2%), qu’ils

ont beaucoup plus peur des représailles (41,7% vs 26,3%) et, qu’en plus, 38,3%

affirment ne pas connaître la procédure à suivre pour déposer un grief.

Enfin, parmi les raisons directement invoquées pour ne pas participer aux réunions

syndicales, celles qui reviennent le plus fréquemment sont : trop occupé (86%),

l’heure des réunions (71%), le manque d’intérêt (51%), trop de plaignards aux

réunions (45%), les réunions ne poursuivent pas des buts positifs (42%), les

réunions sont une perte de temps (40%). Pour les moins de 30 ans, les raisons sont

les mêmes, si ce n’est que s’y ajoutent le fait de ne pas être informés de la tenue

des réunions et de ne pas avoir d’intérêt dans le syndicat. La faible participation

serait donc liée aux multiples priorités de la vie qui restreignent les disponibilités de

temps et au simple manque d’intérêt ou à l’insatisfaction à l’égard du contenu des

réunions. S’ajoute un manque d’information chez les jeunes et un faible intérêt pour

le syndicat.

4.2 L’analyse des facteurs associés à la participation

Dans les études antérieures, l’un des facteurs le plus souvent relié à la participation

syndicale est le sentiment de pouvoir changer des choses en s’impliquant. Comme

le démontre les données du tableau III, l’ensemble des répondants présentent un

47

Page 20: Vers une explication de la faible implication syndicale

score relativement faible à cet égard. De tels résultats peuvent paraître surprenants

compte tenu du caractère démocratique de l’organisation syndicale. Pour les moins

de 30 ans, cette perception est encore plus faible. Ce score plus faible des jeunes

est aussi constaté à l’égard des autres facteurs associés à la participation syndicale.

En effet, les jeunes perçoivent moins le syndicat local ou le syndicat national comme

des instruments qui contribuent à satisfaire leurs besoins en plus de démonter une

attitude syndicale moins positive que celle de leurs collègues. À ce dernier chapitre,

il ne faut toutefois pas conclure à une attitude anti-syndicale, le score de 3,46

révélant une attitude plus positive que négative. La même remarque s’applique au

concept de perception instrumentale du syndicat.

Tableau III

Comparaison des opinions et valeurs syndicales

VARIABLES MESURÉES

MOINS DE 30

30 ET PLUS

Coefficient T

Perception instrumentale du

syndicat

3,36

3,69

4,179*

Attitude syndicale générale

3,46

3,72

3,428*

Perception d’influence syndicale

2,89

3,07

2.384*

Valeurs sociales de gauche

3,56

3,66

1,.875

48

Page 21: Vers une explication de la faible implication syndicale

Valeurs collectivistes 3,78 3,89 2,130

Satisfaction au travail

3,38

3,49

1,369

Centralité du travail

2,26

2,27

0,112

* Différence statistiquement significative à 0,05

Pour chacun des autres concepts mesurés, les résultats des moins de 30 ans sont

plus faibles que ceux de leurs collègues plus âgés. Alors que les écarts les plus

grands se retrouvent au niveau de la perception d’instrumentalité syndicale, ils

diminuent en ce qui a trait aux valeurs sociales, les jeunes ayant des valeurs un peu

plus individualistes et un peu moins de gauche que leurs collègues. Les écarts à ce

denier chapitre ne sont d’ailleurs pas significativement différents d’un point de vue

statistique. Quoiqu’il ne s’agisse pas là d’une conclusion ferme, il semblerait que la

plus faible participation des jeunes soient beaucoup plus reliée à leurs opinions et

perceptions syndicales qu’à leurs valeurs sociales.

En plus des opinions et attitudes syndicales ainsi que des valeurs sociales,

l’insatisfaction au travail est souvent associée à l’implication syndicale. Moins une

personne est satisfaite de son travail, plus elle aurait tendance à voir dans le

syndicat un moyen pour compenser l’insatisfaction. Également, pour certains

auteurs, le degré de centralité du travail dans la vie d’une personne affecterait son

implication syndicale. Ainsi, si ce qui se passe au travail n’est pas important pour

une personne, elle sera peu intéressée aux affaires syndicales. Les données du

49

Page 22: Vers une explication de la faible implication syndicale

tableau III révèlent que, dans l’ensemble, les moins de 30 ans sont un peu moins

satisfaits de leur travail que les plus de 30 ans mais il ne s’agit pas là d’une

différence significative. De plus, aucune différence significative n’est notée entre les

groupes d’âge en ce qui a trait à la centralité du travail, les scores des deux groupes

étant presque les mêmes. Cette dernière constatation va à l’encontre d’une

croyance largement véhiculée que le travail serait moins central dans la vie des

jeunes qu’il ne l’est chez leurs collègues plus âgés.

En dernière partie d’analyse, nous présentons au tableau IV les résultats de

l’analyse comparative du degré d’accord à l’égard des principaux obstacles associés

à la participation syndicale. Rappelons que ces obstacles avaient été identifiés par

les personnes rencontrées dans la première phase de la recherche. Un score de 1

correspond à un faible degré d’accord et un score de 5 à un fort degré d’accord.

Toutes les différences entre les résultats des deux groupes sont statistiquement

significatifs et viennent renforcer les constats faits dans la première partie de la

recherche.

Tableau IV

Obstacles à l’implication syndicale

Concepts mesurés

Moins de 30

ans

Plus de 30 ans

Je peux régler mes problèmes sans le

syndicat

3,66

3,47

50

Page 23: Vers une explication de la faible implication syndicale

Le manque d’information réduit ma

participation

3,22

2,62

Le manque de connaissances réduit ma

participation

3,31

2,65

Les représentants considèrent mes besoins

3,29

3,49

Les précaires ne sont pas bien représentés

3,71

3,36

Le syndicat ne défend que les permanents

3,24

2,74

Les anciens sont plus importants pour le

syndicat

3,15

2,74

Les services sont suffisants pour les

cotisations payées

2,41

2,77

Les moins de 30 ans, pourtant plus vulnérables, sont d’avis qu’ils peuvent mieux

régler leurs problèmes seuls. Cette opinion est sans doute reliée à leur plus faible

perception instrumentale du syndicat à pouvoir jouer ce rôle. Les jeunes sont aussi

d’avis à un degré beaucoup plus élevé que les plus de 30 ans que le manque

d’information et le manque de connaissances réduit leur participation syndicale.

51

Page 24: Vers une explication de la faible implication syndicale

De façon générale, les membres considèrent que le syndicat tient compte de leurs

besoins mais ce sentiment est moins fort chez les moins de 30 ans. Aussi, les

membres croient que les précaires ne sont pas bien représentés, cette opinion étant

plus prononcée chez les jeunes. Ces derniers, en partie, vont jusqu’à croire que le

syndicat ne défend que les employés permanents et que les plus anciens lui sont

plus importants. Enfin, les membres, tout âge confondu, croient qu’ils n’obtiennent

pas assez de services compte tenu des cotisations qu’ils payent, cette croyance

étant encore plus forte chez les moins de 30 ans.

4.3 L’analyse multivariée

Comme nous en avons fait mention dans la section 2, nous formulons ici l’hypothèse

générale déjà vérifiée antérieurement (Paquet, 1995) que la participation syndicale,

peu importe le groupe d’âge, est influencée par l’attitude syndicale, la perception

instrumentale du syndicat, la perception d’influence sur les décisions syndicales et la

satisfaction au travail.

L’âge fut ajouté au modèle compte tenu de l’objet premier de cette recherche. Il fut

aussi décidé d’ajouter les valeurs sociales de gauche, les valeurs collectivistes et la

centralité du travail à cause de la littérature qui prétend à une différence entre les

groupes d’âge. Sur la dernière de ces variables, même si les résultats sont les

mêmes entre les groupes d’âge, il nous semble quand même important d’en vérifier

l’impact net sur le degré d’implication au travail, l’hypothèse implicite étant qu’il

existerait une relation positive entre les deux. Nous présentons aux tableaux V et VI

52

Page 25: Vers une explication de la faible implication syndicale

les résultats de deux régressions linéaires, la première pour tout l’échantillon et la

seconde pour les moins de 30 ans. Après avoir vérifié les corrélations entre les

variables, il ne semble exister aucun problème de colinéarité entre les variables du

modèle de régression.

Les résultats présentés au tableau V confirment les recherches antérieures quant à

l’influence exercée par l’attitude syndicale, la perception instrumentale et la

perception d’influence syndicale sur le degré d’implication dans les activités

syndicales. Les salariés qui ont une attitude favorable à l’égard du syndicalisme, qui

ont l’impression que le syndicat est utile dans la satisfaction de leurs besoins et qui

peuvent influencer les décisions de leur syndicat participent en plus grand nombre

aux activités syndicales. Il en est de même des travailleurs moins satisfaits de leur

de travail et de ceux qui ont des valeurs sociales de gauche. Une fois l’effet des

autres variables isolé, on constate cependant que les variations au niveau des

valeurs collectivistes et de la centralité du travail n’exercent pas d’effet significatif sur

le degré de participation.

Tableau V

Régression linéaire de l’implication syndicale pour tout l’échantillon

VARIABLES MESURÉES

Beta

Coefficient

T

Degré de

sign.

Moins de 30 ans

-0,153

-5,909

,000

53

Page 26: Vers une explication de la faible implication syndicale

Emploi précaire

-0,100

-3,845

,000

Attitude syndicale

0,222

5,200

,000

Perception instrumentale du syndicat

0,105

3,115

,002

Perception d’influence syndicale

0,335

9,917

,000

Valeurs sociales de gauche

0,130

4,630

,000

Valeurs collectivistes

0,039

1,533

,126

Satisfaction au travail

-0,086

-3,310

,001

Centralité du travail

0,011

0,442

,659

R2 ajusté = 0,35

Tableau V

Régression linéaire de l’implication syndicale pour les moins de 30 ans

VARIABLES MESURÉES

Beta

Coefficient

T

Degré de

sign.

54

Page 27: Vers une explication de la faible implication syndicale

Emploi précaire 0,142 1,575 ,118

Attitude syndicale

0,139

0.925

,357

Perception instrumentale du syndicat

0,100

0,799

,426

Perception d’influence syndicale

0,340

3,288

,001

Valeurs sociales de gauche

0,072

,638

,525

Valeurs collectivistes

0,053

,542

,589

Satisfaction au travail

-0,136

-1,370

,174

Centralité du travail

0,075

,778

,438

R2 ajusté = 0,22

L’âge et la précarité exercent tous deux une influence sur la participation. Peu

importe qu’ils soient précaires ou non, les jeunes participent moins. Et à leur tour,

qu’ils soient jeunes ou non, les précaires participent moins. C’est donc dire que

même lorsqu’on tient compte de l’effet des autres variables attitudinales, l’âge est

encore fortement relié au degré d’implication. À cet effet, les informations recueillies

lors de la première partie de la recherche avait d’ailleurs fait ressortir les facteurs

associés à la faible implication des jeunes et compteraient sans doute pour une

bonne partie de l’explication.

55

Page 28: Vers une explication de la faible implication syndicale

Dans le second modèle linéaire, nous avons testé les mêmes variables à la

différence que l’échantillon retenu ne comprenait que les jeunes de moins de 30 ans.

Le résultats deviennent moins probants (R2 de 0,22) compte tenu de la petite taille

du nouvel échantillon (140) mais ils sont quand même fiables. Les résultats de cette

seconde analyse sont présentés au tableau VI. On y constate que pour les jeunes il

n’y a que la perception d’influence syndicale qui exerce un effet significatif sur la

propension à s’impliquer. Les autres variables attitudinales n’ont plus aucune

importance. La question devient alors relativement simple : si on a le sentiment

qu’on peut faire une différence et changer les choses, on s’implique, sinon, on reste

chez soi. S’ajoute à ce dernier constat un peu simplifié, un effet non significatif

(sans doute à cause du petit nombre) mais quand même tout à fait présent, de la

précarité et de la satisfaction au travail. En effet, comme au niveau de l’échantillon

total, les précaires participent moins que les autres et les gens moins satisfaits de

leur travail participent plus, constations peu surprenantes.

5. Discussion et conclusion

L’importance de s’intéresser à la problématique de l’implication des jeunes a été

démontrée abondamment depuis les dernières cinq années. Les syndicats ont

besoin de reconstituer leur base et de renouveler leur leadership vieillissant. Que ce

soit au niveau de la littérature scientifique ou de la littérature professionnelle, on ne

s’entend cependant pas sur les causes de la plus faible implication des jeunes et,

subséquemment, sur les correctifs à apporter.

56

Page 29: Vers une explication de la faible implication syndicale

Au cours de cette recherche, nous avons pu constaté que les membres du syndicat

participent peu aux activités syndicales, cette tendance étant beaucoup plus

accentuée chez les jeunes. Les jeunes vivent la précarité au travail. Pourtant, ils

croient en plus grand nombre que la direction peut les aider dans leur situation

professionnelle. Contrairement à la croyance populaire, ils ont des valeurs sociales

compatibles avec le syndicalisme et ne sont pas beaucoup plus individualistes que

leurs collègues plus âgés. Là où le bas blesse pour les syndicats, c’est qu’ils

perçoivent moins sa valeur instrumentale ce qui affecte leur attitude syndicale.

Également, ils ne croient en moins grand nombre qu’ils peuvent influencer les

décisions syndicales, même de leur syndicat local. Alors pourquoi participeraient-ils

à ses activités ? Mieux vaut alors s’impliquer ailleurs, là où on pourra faire une

différence et où on tiendra compte de ses besoins.

Après un examen objectif de sa situation interne, le syndicat qui désire influencer à

la hausse le degré de participation des jeunes, doit au départ en faire un objectif

stratégique. De prendre une telle décision équivaut à questionner tous ses

programmes, ses services ainsi que ses structures et se demander comment ils

pourraient mieux contribuer à améliorer la situation. À cet égard, la partie qualitative

de la recherche a clairement fait ressortir que les syndicats qui approchent leurs

membres dès le début de leur emploi, qui communiquent souvent et de façon

personnalisée avec eux et qui les sensibilisent à leurs droits, obtiennent en retour un

degré de participation plus élevé. Le syndicat doit également faire de la lutte à la

précarité une des ses priorités à tous les niveaux de représentation. L’enquête

démontre clairement que les jeunes participent peu aux activités syndicales, qu’ils

perçoivent moins la valeur instrumentale du syndicat et qu’ils ne sentent pas qu’ils

57

Page 30: Vers une explication de la faible implication syndicale

peuvent influencer les décisions syndicales. En faisant de la lutte à la précarité un

enjeu syndical prioritaire et en appuyant cette priorité par des mécanismes et actions

concrètes, les jeunes percevraient à un plus fort degré qu’ils ont une place dans le

syndicat et que ce dernier peut les aider à atteindre leurs objectifs professionnels.

Devrait s’en suivre une plus grande implication syndicale de leur part.

En grande partie, les jeunes ne sont pas différents des autres membres. Ils ne

s’impliquent syndicalement que s’ils perçoivent en tirer bénéfice. Leur plus faible

implication ne réside pas dans le fait qu’ils sont anti-syndicaux mais plutôt dans leur

perception de la place que le syndicat fait aux enjeux qui leur sont propres et de leur

capacité d’influencer les décisions syndicales. Toute action syndicale visant à

accroître la participation devrait en tenir compte.

58

Page 31: Vers une explication de la faible implication syndicale

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