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VOYAGE EN AFRIQUE DE L’OUEST Cette mission a été organisée principalement par Julien et Marine, qui avaient réalisé des repérages l’année précédente ; s’y sont greffés Aurélien et moi-même. Missionnés par ACROLA (Association pour la Connaissance et la Recherche Loire et Atlantique), notre objectif primordial était de découvrir de nouvelles zones d’hivernage du passereau le plus menacé du paléarctique occidental : le phragmite aquatique, acrocephalus paludicola (acrola en abrégé). Les sanglots longs des fourgons de l’automne. Le 20/12/2010 Que dire sans rabâcher ni plagier des écrivains bien plus talentueux que moi ? Sinon que la pluie quasiment incessante jusqu’à Agadir, la tombée de la nuit très précoce ont généré une frustration qu’il me faudra certainement compenser lors d’un prochain voyage… L’Espagne : nous avons traversé en coup de vent des villes et des régions riches d’un passé historique et culturel remarquable et je n’en ai strictement rien vu d’autre que les panneaux de signalisation routière : Burgos, (première nuit dans un congélateur ; à expérimenter, absolument), Valladolid ( contournement par le sud ou le nord ? d’où controverse longue et passionnée entre les participants), Salamanque, Caceres, Mérida, Cadix, Algésiras ( où semble-t-il l’Espagne comme pour me faire sentir l’impolitesse de traiter une dame raffinée avec autant de célérité et de désinvolture, s’est drapée d’un voile de crachin goguenard et de nuages persévérants) avec paraît-il le détroit de Gibraltar quelque part (je ne sais pas pourquoi m’est revenu à l’esprit une scène du film ‘ les randonneurs’…) Première nuit, Espagne, région de Burgos : pour faire la vaisselle dans le lavoir, il m’a fallu casser la pellicule de glace.

VOYAGE EN AFRIQUE DE L’OUEST - acrola.fr · routière : Burgos, (première nuit dans un congélateur ; à expérimenter, absolument), Valladolid ( ... contrôle de la gendarmerie

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VOYAGE EN AFRIQUE DE L’OUEST

Cette mission a été organisée principalement par Julien et Marine, qui avaient réalisé des repérages l’année précédente ; s’y sont greffés Aurélien et moi-même. Missionnés par ACROLA (Association pour la Connaissance et la Recherche Loire et Atlantique), notre objectif primordial était de découvrir de nouvelles zones d’hivernage du passereau le plus menacé du paléarctique occidental : le phragmite aquatique, acrocephalus paludicola (acrola en abrégé).

Les sanglots longs des fourgons de l’automne. Le 20/12/2010 Que dire sans rabâcher ni plagier des écrivains bien plus talentueux que moi ? Sinon que la pluie quasiment incessante jusqu’à Agadir, la tombée de la nuit très précoce ont généré une frustration qu’il me faudra certainement compenser lors d’un prochain voyage… L’Espagne : nous avons traversé en coup de vent des villes et des régions riches d’un passé historique et culturel remarquable et je n’en ai strictement rien vu d’autre que les panneaux de signalisation routière : Burgos, (première nuit dans un congélateur ; à expérimenter, absolument), Valladolid (

contournement par le sud ou le nord ? d’où controverse longue et passionnée entre les participants), Salamanque, Caceres, Mérida, Cadix, Algésiras ( où semble-t-il l’Espagne comme pour me faire sentir l’impolitesse de traiter une dame raffinée avec autant de célérité et de désinvolture, s’est drapée d’un voile de crachin goguenard et de nuages persévérants) avec paraît-il le détroit de Gibraltar quelque part (je ne sais pas pourquoi m’est revenu à l’esprit une scène du film ‘ les randonneurs’…)

Première nuit, Espagne, région de Burgos : pour faire la vaisselle dans le lavoir, il m’a fallu casser la pellicule de glace.

A noter : l’excellent réseau de nationales espagnoles qui autorise la traversée du pays sans un feu rouge ou une intersection : 1000 km en 10h ! L’absence totale de flic, poulet, cogne, gendarme sur tout le parcours ; quittant le royaume sarkozien, cela fait tout drôle !

Le Maroc : rebelote ! Entre Marrakech et Agadir, l’autoroute caracole dans les contreforts du Haut Atlas ; donc nuit et brouillard, et si vous espériez en entendre parler de manière dithyrambique, pas de souci tapez officedutourismemaroc.com ou patientez jusqu’à l’année prochaine que j’y retourne… Çavamonsieur ? Donc nous abordons le continent africain par Ceuta qui comme chacun sait (…) est encore une enclave espagnole; quelques kilomètres d’impatience et enfin, LA FRONTIERE ! Douane espagnole, nada ; mais pour la suite,

on a été gâté…

Donc, posons le décor : de nuit, ambiance Lino Ventura dans ‘ Quai des brumes’, fond de conteneur poubelle pour la déco (hélas, il semble que ce soit une constante africaine : les ordures et déchets divers ne sont pas perçus comme une atteinte à l’hygiène ou à l’environnement ; pour un européen, cela paraît choquant, mais je pense que l’on doit s’y faire). Première station ; avant même de s’arrêter devant (ce qui ressemble vaguement à ) la première guérite, trois ou quatre intermédiaires s’agrippent aux fenêtres du camion et nous gavent de hurlements vantant leurs services pour accélérer les démarches; lâchement , je laisse Aurélien

l’Africain gérer la cour de récré; sur ma droite, une longue queue de migrants (probablement des frontaliers qui nourrissent un petit commerce avec des fournitures espagnoles) tous vêtus de nippes grisâtres et surchargés de baluchons divers étalent par terre ( pas peur, les gars, vu l’état du par terre), le contenu de leurs achats ; au moment où je passe , un type a aligné proprement une trentaine de chemises rose à col dur façon Mickaël Jackson, le

Détroit de Gibraltar

style sympa comme un cerclage vaginal ; surréaliste le serpentin rose en guirlande sur le blafard. Je vais la faire courte, sinon j’en ai pour deux pages : de station ( Çavamonsieur ? ) en station ( Çavamonsieur ? ), tampons pour le passeport, documents aussi divers que redondants, tout cela dans un apparent capharnaüm où l’œil peine à trouver quelque chose qui porte un uniforme un tant soit peu officiel, nous nous familiarisons avec le formalisme de la bureaucratie africaine : dix mètres après le poste de douane, contrôle de police. Çavamonsieur ? Et à nouveau passeport et tout le tralala Cinquante mètres plus loin, contrôle de la gendarmerie royale du Maroc. Çavamonsieur ? Bref, Afriiiiiiiiiiica ! Une pensée cocasse m’est venue au milieu de tout cela : j’ai imaginé un douanier helvétique sanglé dans son unif impeccable, service service, chaleureux comme un distributeur de passe Navigo, bombardé par un coup de baguette magique chez ses collègues marocains de Ceuta dans le cadre d’un échange professionnel : infarctus garanti.

Avec Aurélien, nous nous sommes amusés à compter les contrôles entre Ceuta et Rabat: six (Çavamonsieur ?) ; sur le parcours jusqu’à Nouakchott (d’où j’écris sans préjuger de ce qui nous attend pour aller au Diawling), comptez un tous les cent km ; amoureux des portables, prenez votre calculette. La plupart des ronds-points que nous avons utilisés sont régis par les mêmes règles qu’en Europe ; quoique…. A la sortie de Tan-Tan, contrôle de la police locale ( Çavamonsieur ?) ;

mais là en plus, pas de bol, on tombe sur un type, charisme de hamburger macrobiotique, gueule de coin de rue pluvieux, qui visiblement avait des difficultés pour payer les traites du boa qu’il avait offert à sa (ses) femme(s), et nous adressait le regard du matou à l’oiseau qu’il tient entre ses pattes. « Vous n’avez pas respecté le stop au rond-point » (les deux fourgons, vu que nous suivions Julien et Marine) Là on s’est dit in petto que les emm… venaient de débuter… Surpris tout de même, je vais piquer une reconnaissance sur les lieux du délit et constate qu’en effet ce rond-point que des esprits chagrins rebaptiseraient pompe à dirhams, est astucieusement conçu pour laisser entrer librement les véhicules qui une fois sur le giratoire, doivent laisser la priorité au moyen d’un stop à chaque radiale… Vicieux comme un râteau caché dans l’herbe, et tout aussi efficace.

Quelque part au Sahara occidental, une piste nous a menés au bord de l’océan ; pause de douze heures.

Il faut savoir que Mohammed IV, irrité par la corruption évidente d’un grand nombre de fonctionnaires de police a pris un décret interdisant de coller une contravention à un touriste français !!! Les règles du jeu étant fixées, la partie de poker menteur peut débuter.

- non respect d’un stop, 700 dirham, ça fait 1400 DH pour les deux. Tempête de lamentations de la part de Julien et Aurélien : nous n’aurons plus assez d’argent pour finir notre voyage si nous payons cette amende calamiteuse… - Bon d’accord un seul fourgon : 700DH. On fait intervenir le fameux décret royal : et là se situe le meilleur, le truc qu’un esprit européen n’est pas à même d’inventer, et qui authentifiera ce récit… (Des esprits mesquins pourraient avancer que j’en rajoute) - « Oui, c’est vrai, mais

quand vous êtes vraiment en infraction, là on a le droit de vous verbaliser…

Afriiiiiiiiiiica ! Bref après approximativement une heure de palabre, on transige sur un port de ceinture oublié pour la modique somme de 300DH, et basta, la route est longue, nous avons fouaillé les flancs de Jolly Jumper… Au moment où nous démarrions, le policier levait le bras pour arrêter un autre pigeon, juste après je pense, avoir chiffonné les quatre exemplaires carbone de la contravention destinés à l’administration… De coquillages et de sable Nouakchott ; arrivés samedi 4 décembre au soir, je me suis rendu compte avec assez de brutalité qu’après 4000 km de route jusqu’aux faubourgs de la capitale, le plus grand danger était encore à venir (du moins le croyais-je à ce moment-là ; après, on s’adapte), à savoir rejoindre la maison de Boubakar, employé du parc et ami d’Aurélien. Là encore les règles de la circulation sont simples : 1) tous les coups sont permis

2) vas-y au culot, mais mollo 3) si quelqu’un d’autre est plus culoté que toi, garde ton calme, on trouve toujours plus fort que soi Cela donne un truc inimaginable pour un conducteur européen ; je ne perdrai donc pas mon temps à trouver le vocabulaire pour décrire l’indescriptible. Simplement une anecdote : en me promenant dans la ville, j’ai vu un policier nonchalamment appuyé sur le pare-brise d’un véhicule (enfin une épave qui avait dû être un véhicule dans une ère antérieure, mais pas pire

que beaucoup d’autres) en train de remplir une contravention. Et là je me suis posé la question de savoir jusqu’où ce type avait pu repousser les limites pour mériter une prune ?!!! Capitale créée de toutes pièces dans le désert en bordure d’Atlantique, Nouakchott est logiquement construite de sable et de coquillages : surprenants, les moellons de construction dont la proportion de coques et palourde évoquerait plus un jeu d’enfant sur la plage qu’une activité de construction…Très inhabituel, l’aspect des rues où le sable jaune orangé, par des orbes déliés gomme les limites de la chaussée et des trottoirs (quand il y en a). Pitoyable, la multitude de petits ânes cachexiques tirant une carriole rapiécée remplie (par

exemple) de coquillages rose bonbon et d’un sac de ciment ; le conducteur enturbanné et placide impose le pas rompu de sa bête harassée à toute la circulation du quartier et se rend ainsi sur un chantier improbable ; sur place, d’un peu d’eau et de sable naîtra un béton rustique local, dont la solidité me laisse espérer qu’Allah

miséricordieux épargnera à la région toute secousse tellurique de quelque importance.

Attachant, ce quartier où Boubakar habite, et que je ne résiste pas à décrire : ruelles d’une saleté époustouflante où les composteurs de déchets biodégradables ne sont pas des édicules de plastique noirs ou verts, mais des machins avec barbichettes et cornes; le tout à l’égout, soit un angle de rue consacré à cet usage une fois pour toute, soit en cas de quantité plus importante (quand une fosse collective est pleine, par exemple), une tranchée creusée à la

pelle de quelques mètres de longueur en guise de drain d’épandage (merci le sable), et que l’on rebouche deux ou trois jours après, quand il est vide… et dans l’intervalle, les remugles qui s’en dégagent font éternuer les fleurs. Boubakar loue une maison sur une petite place, quelques arbres, un orphelinat éructant

des mômes à la pelle, et bordant le tout sur un

Nouakchott, séance de pliage d’avion ; Après plusieurs années d’école en français, ils savent à peine compter ; je suis en pleine révision avec Da.

Si les garçons sont souvent rasés, les filles en revanche expriment leur coquetterie en personnalisant le motif de leurs tresses.

côté, la mosquée du quartier ; très pratique, la mosquée, pour ne pas devenir faignant, car la chaleur, la nonchalance des gens nous y porteraient beaucoup : Allah espiègle et persévérant est là qui nous voit et, dès cinq heures du matin, tente la conversion de l’infidèle par la voix inspirée et enthousiaste de l’imam épaulée par un ampli de 300 W minimum … L’harmonie des mains Est-il sensé de dire que je suis fasciné par les mains de Boubakar ?? Lorsqu’avant et après chaque repas il se lave la main droite (Classiquement, et dans une grande partie du monde, la gauche est réservée à un usage bien précis et diamétralement opposé) sous la fontaine que son fils adoptif verse doucement à l’aide d’une bouilloire et d’une bassine en passant d’un convive à l’autre, le mouvement fluide, naturel, ondulant, précis, parcimonieux des doigts qui se savonnent mutuellement, du pouce qui ondoie d’une phalange à l’autre pour parfaire la manœuvre, à mes yeux d’européen malhabile –qui s’y prend à deux mains, et malgré ses efforts projette des éclaboussures jusqu’en dehors de la bassine…- est proprement fascinant. Tout comme leur habileté à se servir de l’outil le plus naturel du monde pour porter la nourriture à leur bouche : et là non plus, cela n’a rien d’évident sans se rechaper le menton et la chemise… Symbole fort, primitif quasiment, que de se rassembler en rond autour du plat unique et de tous plonger la main dedans pour se servir ; l’œil attentif de notre hôte décèle les faiblesses et le manque d’expérience, détache un morceau de viande ou de poisson et d’une pichenette précise, l’expédie devant son destinataire ; lorsque le morceau est trop gros ou trop résistant

pour être séparé par la seule force des doigts d’une main, un convive qui a vu le

problème s’empare de l’autre extrémité et par torsion, tension, les deux mains unies dans la même tâche disloquent et scindent jusqu’à obtention de

morceaux consommables.

Diawling Jeudi 16/12/2010 Cela fait maintenant 8 jours que nous sommes au Diawling ; je dois dire que je ne soupçonnais pas la difficulté que représente le montage d’une opération de baguage dans un milieu pareil ; c’est immense (le parc fait 13000 ha, la surface en eau va de zéro en saison sèche à 30000 ha selon l’importance de la crue –le bassin d’inondation dépasse les limites du parc-) quasiment entièrement sous l’eau, même si ce n’est pas profond (de rien à 1.50 m); les pistes d’accès sont rares et quand elles existent, elles sont recouvertes par une tôle ondulée (succession de bosses et creux) qui littéralement désosse les deux fourgons et rend la

Repas chez Boubakar.

conduite extrêmement pénible et délicate pour le chauffeur (car en plus de la tôle ondulée, il y a les crevasses et les nids de poule). En dehors des pistes, le sable n’autorise guère de déplacement sans un 4x4 (dont nous ne disposons pas), et encore, c’est l’enlisement garanti à la moindre inattention. Entre les repérages, les impedimenta liés à la vie de tous les jours, (courses, lessives, rangements, vaisselles, douches), une prospection en baignoire motorisée qui nous a pris une journée entière, nous n’avons pu opérer que quatre matinées de baguage, dans des conditions particulièrement éprouvantes liées au milieu : on transpire dans nos waders, la première aube nous gâte de moustiques que l’on tente en pinçant les lèvres et les narines de ne pas ingérer ou inhaler tellement il y en a ; n’oublions pas la chaleur ( on commence à l’aube à 20° et quand on roule les filets, on est facilement à 30, voire plus) ; au final, on est rétamé et le restant de la journée nous voit adopter- quand il ne faut pas déplacer les vingt filets- un petit rythme peinard de limace asthmatique.

Corps à corps avec la typhaie du Gambar.

Détroit de Gibraltar

Nous avons passé 5 semaines au Diawling

Puis après une prospection dans le sud de la Mauritanie, nous nous sommes rendus dans le delta intérieur du Niger.

Parc National du Diawling

Sarcelle à oreillons

Parc National du Diawling

Côté oiseaux, pas d’acrola et même les plus optimistes ne voient pas pourquoi cela pourrait changer : les milieux que nous prospectons semblent favorables, similaires à d’autres que l’on trouve dans le Djoudj où il est largement présent. Dans l’attente de tests scientifiques plus élaborés, j’avance une hypothèse personnelle : acrola ne peut pas sentir les tisserins pour cause d’incompatibilité d’humeur…Or, des tisserins, nous n’en manquons pas, à la différence du Djoudj, où il y en a très peu ; c’est un peu et même beaucoup la croix et la bannière ; cela ressemble à un verdier, grosse tête rebelle et musculature puissante, avec en outre un don certain pour s’emmailler dans deux poches à la fois….et avec cela, sociable en diable : affectionne particulièrement son semblable et se

SENEGAL St Louis du Sénégal est tout en bas à gauche, à l'extrémité du

fleuve.

Bonnie and Clyde, à savoir : tisserin à ma gauche, travailleur à bec rouge à droite

déplace en bande fournie… Mais ne boudons pas notre plaisir, nous sommes dans un paradis d’ornithologue ; énumérer

les espèces que nous avons observées serait fastidieux, elles sont trop nombreuses ; je ne résiste pas à mentionner un ressenti,

une ambiance

extraordinaire : démailler avec à intervalles réguliers des vols de pélicans, de flamants roses ou de grues couronnées juste au dessus de la tête, c’est magique. De plus, à part les tisserins ( !), découvrir les oiseaux africains reste un émerveillement, tellement ils sont différents des nôtres. Ce sera tout pour ce soir, mes petits yeux se ferment ; nous allons essayer d’envoyer ce topo bien que l’internet local ne fonctionne que par à coup ; le conservateur nous a précisé que lorsque le vent est orienté comme en ce moment, il soulève du sable et que cela compromet la qualité des lignes téléphoniques…. Afriiiiiiiiiiica !

Le 17/12/2010 Belle matinée de baguage : environ 80 acrsch, dont plusieurs anglais, un portugais et un français (hélas, pas de Donges). Nicolas et Vanessa nous ont rejoints après leur périple chiroptères sénégalais ; ils nous donnent la main et ce n’est pas de refus. Certaines personnes habituées aux effectifs de capture de Donges pourront émettre le (très) moche soupçon que nous nous roulons les moustaches ; A

ces esprits chagrins, je rétorquerais que nous ne sommes ni en période de migration massive, ni dans un site

particulièrement favorable comme en été : l’Afrique est immense, le Diawling aussi, donc les oiseaux n’ont que l’embarras du choix pour baguenauder et se nourrir ; une métaphore parlante

d’une ligne de 20 filets perdus au milieu de cette immensité serait à peu de chose près un étron de mouche sur la place de la Concorde. Et pourtant, harassés, déshydratés par la transpiration, et pour tout dire rapidement exténués, nous ahanons pour faire progresser la science ; qu’un tel soupçon puisse simplement effleurer quelqu’un de suffisamment cultivé pour consulter un site d’une telle qualité, je vais vous dire tout de go comme je le pense : c’est consternant… Demain, journée détente : nous faisons une journée ornithologie ; Benoîtement posés sur nos postérieurs, à nous les concentrations de milliers de sarcelles d’été, flamants roses et nains, pélicans, dendrocygnes etc. etc. ; cela nous permettra en outre d’entraîner les quatre stagiaires du parc dont nous avons décidé d’assurer la formation naturaliste et d’aide bagueur. Paraît que cela caille par chez vous ; sans rire, on compatit. Un bilan succinct nous permet de préciser qu’au 27 décembre, nous avons bagué 810 oiseaux, pour l’essentiel des phragmites des joncs. Récemment, nous nous sommes divisés en deux équipes : une équipe composée de trois sur les quatre stagiaires que nous formons comme aide-bagueur, encadrée par moi-même ; objectif : baguer du paludicole migrateur, puisque après tout, c’est aussi l’objectif de la mission… Une autre équipe s’est projetée dans le nord du parc, vers le Tichilitt ( si vous voulez suivre, consultez la carte), difficile d’accès, que nous avions repéré lors de notre journée de reconnaissance en bateau ; logistique lourde, puisqu’il a fallu prévoir outre le matériel de baguage, l’intendance et le couchage pour six personnes et pour deux jours ; le 4x4 de Zeine, le conservateur du parc, a déposé le tout à 2km des sites potentiels car le terrain ne permet pas de s’en approcher plus près. C’était à nos yeux l’un des derniers sites où acrola pouvait encore se trouver : il faut se faire

une raison, ce fut chou blanc. Il reste donc cette énigme frustrante et à la fois stimulante pour les années à venir : alors que le Djoudj (où l’on trouve des acrola en quantité) n’est vraiment pas loin (10 km), et présente en apparence les mêmes types de milieu, pourquoi diable n’y en a-t-il pas l’ombre de la queue d’un au Diawling ? ( après relecture : il n’y en a fort probablement pas dans les milieux prospectés –car nous avons eu des surprises par la suite- et aux dates pratiquées).

Rhynchée peinte

Pour les jours à venir, outre peut-être une expédition du côté de Bogué sur quatre ou cinq jours pour ausculter les roselières du fleuve Sénégal, nous allons nous déplacer dans le cœur du bassin du Bell, dont nous n’avons pour l’instant pu qu’exploiter la frange Est, accessible par la piste qui mène à l’ouvrage d’Aftout et Keur Macène ; pour ce faire, la baignoire motorisée est incontournable, mais nous acceptons le risque d’une panne moteur car nous serons dans un chenal et les vents

systématiquement orientés vers le sud nous ramèneront, hisse et ho, quoi qu’il arrive, à notre point de départ.

Pour ce faire, il a fallu monter une micro-expédition pour récupérer le bateau qui doit faire ses 300 kg tout de même et qui attendait sagement dans l’est du Tichilitt, et le déplacer au sud du bassin de Bell : soit en gros 18km sur de la tôle ondulée, avec la remorque que le parc nous avait allouée dans ce but, et qui visiblement n’apprécie guère le traitement que nous lui infligeons ; je vous passe les détails, le tout a pris trois bonnes heures ; nous nous arrêtions tous les deux km en moyenne pour resserrer les boulons, alertés par la bande de zouaves qui avait pris possession de la galerie du fourgon ; nous avons par la même occasion croisé le chemin

d’un python super mignon qui, une fois la glace brisée et l’obstacle de la langue levé, s’est avéré vraiment sympa, ce qui ne gâte rien et a largement contribué à la bonne humeur générale. On espère prochainement gagner la confiance des quelques rares crocos que nous côtoyons, mais la tâche semble plus délicate car ils sont particulièrement méfiants et craintifs ; j’ai pourtant pour ma part fait le premier pas en installant (sans trop le savoir, je dois l’avouer) pour deux jours une ligne de dix filets dont le dernier s’approchait à peu de distance d’une mare comme il y en a des centaines…L’après-midi, au retour d’une séquence d’observation des oiseaux du parc, les stagiaires me font remarquer la présence de deux jeunes crocodiles en train de se dorer au soleil ; nous les observons un instant, (deux mètres de longueur au jugé) puis l’un d’eux avec un air un peu circonspect, me fait remarquer un truc qui m’avait échappé jusqu’alors : la dernière perche de la ligne se dressait à (vraiment) très peu de distance ….quoi qu’il en soit ils n’ont semble-t-il par leur absence dédaigneuse, pas apprécié à sa juste valeur ce geste de convivialité ; les stagiaires non plus quand ils ont compris combien nous étions proches les uns des autres…et que nous y reviendrions le lendemain.

Les journées s’écoulent donc avec régularité : réveil à la conservation vers 5h 45, départ 6h30 pour être grosso modo aux filets vers 7h, lever du jour ; baguage jusqu’à midi ; démontage de la ligne, extraction laborieuse des waders, retour à la conservation, où nous nous écroulons.

En fin d’après-midi, soit séquence d’observation avec les stagiaires, et c’est un vrai bonheur vu la variété et la quantité d’oiseaux, soit remontage sur un autre site.

Et puis tiens, je ne résiste pas à l’envie de vous rendre jaloux (Aurèle prend la main pour les chiffres !) : en 2009 ont été dénombrés 235000

oiseaux, sachant que vu la difficulté d’accès à l’ensemble du parc, il est plus que probable que ce dénombrement soit largement sous-estimé. Flamants roses et nains, plusieurs milliers, sarcelles d’été, plus de 20000 (quand j’en vois 5 par an lors de la migration

prénuptiale, par chez moi, je suis content !), dendrocygnes veufs, plusieurs dizaines de milliers, pélicans blancs par centaines, oies de Gambie, grues couronnées en pagaille, sternes caspiennes comme les mouettes autour d’une décharge, ardéidés à la pelle (héron vert, crabier chevelu, aigrette grande, garzette, intermédiaire, des récifs, héron cendré, pourpré, bihoreau), cigognes noires à gogo, ibis falcinelle…. Vous en redemandez ? Je retourne le fer dans la plaie : busards et balbuzards à tous les étages ; en quantité moindre mais facilement visibles : bécasseaux minutes et variables, chevaliers combattant, gambettes, aboyeurs, sylvain, cul-blancs, échasse, barge noire, avocette et j’en oublie probablement. Allez, j’arrête là car c’est moche de torturer son prochain avec autant de désinvolture. Peut-être Aurélien prendra-t-il le temps de vous parler de son dada mignon : aigle pêcheur et ravisseur, ou autres dont je ne me souviens même plus… Régularité à laquelle de temps en temps nous infligeons une entorse ; dernièrement, toute l’équipe sauf moi (je suis plutôt un couche tôt), est allée pêcher la crevette un soir avec les locaux pour lesquels c’est une source de revenus non négligeable ; Les mêmes se sont offerts une soirée plage feu de camp dodo belle étoile ;

pour ma part, je me suis octroyé une escapade de 4h de marche à travers le N’Tiallakh, vaste étendue qui sert d’exutoire à tout le bassin du Diawling, et qui à cette époque est en voie d’assèchement ; contraste saisissant entre les étendues craquelées, camaïeu sans cesse renouvelé d’ocre et de roux, et les faibles dépressions encore en eau vantant l’inépuisable dégradé de vert et de turquoise ; être seul un instant au milieu de cette vastitude, les pieds dans le sable et la tête dans le bleu, le silence dense seulement entrecoupé par l’envol flûté des cochevis huppés qui attendent presque que l’on marche dessus pour fuser un peu plus loin… c’est géant.

Bon, il faudrait que j’en garde pour le prochain bulletin ; toute l’équipe a décidé de couper le séjour avec un peu de prospection du côté de Rosso et Bogué ; nous partons cet après-midi 1er janvier 2011, ce sera l’occasion de trouver un cyber-thé vert à la menthe pour expédier ce message. Et bonne année à tous. Etienne La retraite de Rosso Le 01/01/2011 Donc nous sommes partis pour couper un peu le rythme ô combien fatiguant du Diawling. Rosso est à 80 km d’une piste infâme, et là l’Afrique nous a infligé, à Aurélien et moi, une dure leçon : le matériel roulant doit être impeccable, faute de quoi… Or la fermeture des portes arrière laissait –laisse toujours d’ailleurs- à désirer : premier élément ; en outre, la piste est dans sa grande majorité revêtue d’un sable pulvérulent qu’un pet de mouche suffirait à mettre en suspension : élément numéro deux ; et donc nous avons tous les deux bouffé une quantité suffisamment invraisemblable de poussière, au point que j’ai craqué, abandonné lâchement à son sort mon co-équipier pour grimper sur la galerie… Et arrivés à l’étape, nous avons à peu près tout sorti pour dépoussiérer : un grand moment de bonheur, le tout dans l’urgence avant le débarquement en force des moustiques et la tombée de la nuit. Le 02/01/2011 Le lendemain, je me réveille et déjeune comme à mon habitude juste avant l’aube ; grosse surprise, j’entends des tam-tams au loin, des cris, bref je me dis que par ici on aime faire la teuf de très bonne heure ! Quand le jour s’est levé, j’ai pris conscience que les gens responsables de cette allégresse… sont en fait des hurleurs salariés par les riziculteurs pour parcourir en tous sens les parcelles de riz en faisant le maximum de bruit pour effrayer des nuées d’oiseaux lesquels, tranquille Emile, s’envolent par-dessus l’épouvantail, et guère émus se reposent à quelque distance de lui ou de son voisin… « Vous faites quoi dans la vie ? Je suis gesticulateur-brailleur… » Et en plus, vu la qualification requise, le job ne doit probablement pas bien être payé … Explication : le delta du Sénégal a fait l’objet d’une planification dans les années 80 ; il a été décidé de développer une riziculture intensive et irriguée, ce qui a porté un coup terrible à l’écosystème très riche qui existait auparavant ; devant l’ampleur du désastre, le gouvernement mauritanien a réagi et a créé le parc du Diawling, avec une gestion exemplaire, et des

L’intérêt, ce n’est pas tellement le bonhomme ! C’est ce sur quoi il est assis…

Agrandissez ! Je vous déconseille fortement le neuvième menu !

Coucal du Sénégal

résultats surprenants ; mais en dehors de quelques zones réhabilitées, c’est le riz qui règne en maître, ainsi que quelques fringiles/gibiers de potence : les tisserins (dont j’ai -je crois- abondamment et suffisamment parlé), les travailleurs à bec rouge et euplectes vorabés. On a donc là un superbe exemple calqué sur le mildiou de la vigne, le doryphore de la patate ou la pyrale du maïs, comme quoi une monoculture intensive appelle immédiatement son ravageur –intensif lui-même; ici, une fois n’est pas coutume, ce n’est pas un insecte ou un champignon, mais un groupe d’oiseaux qui a proliféré d’une manière incroyable pour nous qui, malgré les corneilles et les étourneaux, ne sommes guère habitués à des vols concentrant des milliers, voire des dizaines de milliers d’individus. Et il m’est venu une pensée un peu amère : parmi ces pantins en boubou, combien possédaient un travail digne (agriculteur, pêcheur, éleveur) avant que l’intrusion du néo-

libéralisme financier ne leur fournisse un emploi ô combien valorisant ? Rosso : pas de goudron dans la rue principale, un grand vent du nord, une circulation conforme à l’Afrique ; nos alvéoles, quoique dotées de l’instinct de survie d’un lemming, à peine remise du colmatage de la veille ont fait la gueule. Vite, vite, réparation de la porte arrière, ravitaillement, internet, passavants : un machin d’un autre âge qui sert de passeport pour les véhicules (deux heures de perdues) ; Retour en arrière : on nous avait dit qu’un passavant peut s’obtenir dans n’importe quel bureau de douane, aussi en européens naïfs pensions-nous pouvoir faire renouveler celui que l’on nous avait délivré (lors de notre passage à la frontière, valable trente jours) à la douane de Diama sur le fleuve Sénégal, à 20 mn de piste de la conservation. Aurélien et moi nous étions dévoués pour la corvée et n’avons pas été déçus car nous avons appris un truc fondamentalement important, que c’est même une honte, une tache dégueulasse posée comme un étron sur notre culture générale : la différence entre un bureau et un poste de douane : un bureau délivre et/ou renouvelle le passavant, un poste comme ici délivre et/ou renouvelle le passavant exclusivement lors du franchissement de la frontière, et qu’on se le dise, n’est pas habilité pour faire autre chose. Donc, « Si vous passez au Sénégal et revenez immédiatement », nous dit le douanier –qui nous gratifie de l’intérêt nonchalant du promeneur surprenant deux bousiers se disputant une boulette de crottin- et déplace soigneusement d’une lippe à l’autre le cure-dent fatigué qu’à aucun moment pendant l’heure de négociation il n’a daigné ôter de son orifice buccal abondant, « je vous ferai un passavant » ; Oui, mais pour passer au Sénégal avec un véhicule de plus de cinq ans, il faut a) une grosse caution, b) l’obstination d’un afghan congelé qui débarque à Roissy crocheté au train

d’atterrissage d’un airbus … « Ou alors vous allez à Nouakchott… » Afriiiiiiiiiiiiiiica ! Du coup, nous avions décidé de tenter le coup à Rosso ; avec succès, mais ce n’était pas gagné d’avance. L’anecdote n’est pas seulement pour vous faire sourire ; elle montre aussi qu’ici, tout peut devenir bien plus compliqué qu’on ne l’imagine… Le soir nous voit camper un peu au petit bonheur, en bordure de typhaie ; quelques filets, histoire de dire qu’on va baguer, mais la qualité du milieu nous incite à la pondération…et franchement je regarde la ligne que nous avons montée comme un bédouin un chameau cagneux et scrofuleux. Nico et Vanessa montent quelques filets à chiro, qui nous gratifieront d’une superbe petit-duc, très esthétique et coopératif côté photos… Le 03/01/2011 Bilan de la matinée…Bref. Nous repartons pour une étape sans détails piquants qui mériterait narration plus approfondie, sinon une baignade dans le fleuve Sénégal –enfin accessible, enfin visible- qui à l’évidence a constitué l’attraction annuelle des habitants du village : six toubabs tout blancs qui se baignent là où on se lave et où on fait la lessive ! (Je ne voudrais pas être long mais pourquoi ‘enfin accessible ‘ ? Parce que depuis le barrage de Diama jusqu’en amont de Rosso, soit sur 100 km environ, les plaines enserrées entre les digues de la retenue ont été envahies par un peuplement hyperdense et mono spécifique de massettes (typha domengensis pour les botanistes), qui rend le fleuve invisible et quasiment inaccessible. Nous dégottons au milieu de rizières abandonnées deux zones humides limitrophes d’une cinquantaine d’hectares, scirpes pieds dans l’eau, quelque chose qui fait que dans nos regards se dessine la lueur d’un chien qui considère un réverbère. On décide de tester en périphérie de l’une d’entre elle; et comme nous sommes vaillants nous ne lésinons pas sur la toile. Quelques filets à chiro pour meubler la soirée, feu de camp et lichette de marc de raisin de Savoie… Le 04/01/2011

Le début de matinée s’annonce si fécond…qu’entre deux tournées faméliques, je prends l’initiative de monter en vitesse trois filets perso sur une mare ou grollaient quelques limicoles, histoire de ne pas m’ennuyer comme un croûton de pain tombé derrière la commode. Ce que je ne pouvais pas savoir, c’est qu’un arbre juste à côté servait de reposoir à des ti… ? tisse… ? tisserins ? Oui c’est ça, encore bravo vous êtes très forts…Ni non plus que cette mare était le troquet de la grande faune locale (laquelle pour détruire une image d’Epinal qui pourrait traîner encore, se compose pour l’essentiel de beaucoup d’ânes, de chèvres et moutons, localement pas mal de chameaux). Donc bilan de mes trois filets : une épaule douloureuse à force de satelliser les tisserins, un âne qui m’a pulvérisé un filet et obligé à jouer du ciseau pendant une heure pour en sauver un deuxième : de cinq poches il est passé à trois. Le bilan de la ligne principale, je ne vous en parle même pas.n storming général, on hésite entre poursuivre sur la zone limitrophe ou reprendre la route et chercher une autre zone ; j’objecte que depuis la route on ne voit pas bien loin, que rien ne nous dit que nous trouverions une tamourt (dépression humide) favorable avant Kaédi (limite que nous nous étions fixée pour ne pas faire trop de km) ; que par conséquent –mieux vaut une colombe dans la main que deux sur le toit (proverbe chinois)- il serait dommage de ne pas s’intéresser à la zone limitrophe. Aurèle et moi lançons une reconnaissance, jugeons que la tamourt justifie que l’on tente le coup. Nous déplaçons donc les véhicules d’un kilomètre ( !) et remontons deux lignes. Comme une fois n’est pas coutume, nous avons du temps, un groupe se lance à l’aventure de faire le tour de la tamourt ; et nous remarquons qu’à de nombreux endroits, se manifestent clairement ou se devinent des traces d’anciennes rizicultures abandonnées depuis longtemps. J’ai par la suite posé la question à Zeine –qui parle et comprend parfaitement le français en l’ayant appris tout seul en lisant des bouquins- du pourquoi de cette culture puis déprise : la riziculture intensive sur des sols fragiles donne la première année une récolte correcte ; puis la production ne se maintient qu’avec un apport d’intrants de plus en plus importants ; après cinq à sept années d’exploitation, les sols sont devenus incultes et l’investisseur va déboiser plus loin…

Arbre à tisserins ; ne le cherchez pas dans une botanique : l’espèce n’a pas encore fait l’objet d’une description précise.

De retour de balade, Aurèle et moi allons nous tremper dans le

Sénégal ; constatant que les œillades à faire fondre mille culottes que j’adresse à la gent féminine n’ont pas le

succès que j’escomptais, je décide de faire un brin de toilette et de me raser… Je dois d’ailleurs à l’éthique journalistique de préciser que ces efforts louables n’ont pas porté grands fruits… Le 05/01/2011 Au petit matin, Marine et Julien sont sur une ligne, moi tout seul sur l’autre (subodorant une matinée calme, Aurèle avait sollicité de mon inépuisable compassion l’autorisation de faire une grasse matinée, prêt à me seconder au cas où ; accordé). Je parcours la ligne, démaille quelques acrsch, éjecte le reste, m’approche de l’extrémité ; à 50 cm ( !) de la première perche, IL EST LA ! Je me tourne vers la ligne de Ju et Marine : « Ju ! » « Oui ? » « Bingo ! » Un blanc, deux à trois secondes. « ACROLA ??? » « Oui » (Vous aurez noté j’espère la sobriété du texte qui cisèle l’intensité dramatique…) Alors que je me dirige vers les camions et ma table de baguage, je constate que l’échange n’est pas passé inaperçu : Nico et Vanessa sont déjà debout, Aurèle aussi en pyjama vert à pois roses (d’accord, j’en rajoute, mais c’est pour la bonne cause : l’intérêt du récit). Nous

…Et fiat acrocephalus paludicola.

sommes tous fébriles, émus : nous avions fait des milliers de km pour trouver du phragmite aquatique ; ce chiche piaf de 10 g consacre enfin nos efforts. A tout seigneur tout honneur : Julien –resté sur sa ligne, impressionnant de stoïcisme et de rigueur (si !si ! Ju !)- me dépêche Marine pour me dire de baguer l’évènement ; je décline en invoquant le fait que je n’ai pas de pied à coulisse pour torturer l’oiseau (mesure du tarse, bec, etc.) ; C’est donc, juste retour des choses, le chef de projet, celui qui s’était investi et dépensé depuis plus de un an, qui hérite de ce moment, plus que moi simplement favorisé par le hasard. Du coup, curieusement, Aurèle était volontaire pour la deuxième tournée… Le jackpot ne s’est pas renouvelé. Dommage. Moral au plus haut ; apéro digne de l’évènement ; libations ferventes aux dieux des bagueurs ; nous décidons pour le lendemain d’investir le centre de la zone avec toute la toile disponible. Et en attendant, on se refait une balade autour de la tamourt et puis tiens une petite tête dans le Sénégal, ce n’est pas de refus. Au bord du fleuve, pendant que Vanessa aide Aurèle à se stériliser l’écosystème complexe et varié qu’il trimballait depuis le départ (comprenez : de se couper les cheveux), je me plonge dans une BD d’anthologie : je relis Buck Danny !!! Et c’est l’occasion pour moi de formuler une pensée profonde, quasi philosophique –encore une !...On ne soupçonne pas, si l’on n’a pas suivi le sacerdoce de Buck, à quel point chacun d’entre nous devrait lui être reconnaissant de nous avoir, quasiment seul, protégé de l’infâme péril rouge ; j’en étais conscient vers 10/12 ans lors de la sortie de ce récit, mais depuis j’avais eu tendance à penser à autre chose et à tomber dans l’ingratitude de l’oubli… Sorry, Buck. And thanks. Le 06/01/2011 Et le lendemain…déception ; nous n’avions pourtant pas ménagé notre peine ; pas question de rester en bordure pour s’économiser : Les filets s’avançaient jusqu’au centre de la tamourt… Le succès ne peut être au rendez-vous tous les jours, c’est une donnée de l’existence tout comme le lever du soleil ou l’arrivée d’une feuille d’impôt. Une chose est sûre, c’est dans les moments douloureux que l’on évalue la mesure réelle de l’homme : et là, nous avons montré de quel bois nous nous chauffons ; pour faire simple, nous fûmes grands :

1) nous avons superbement géré l’abattement et la désillusion : pour commencer, anesthésie du patient mal en point avec un apéro tassé.

2) comme nous avions l’obligation d’entamer le chemin du retour pour assurer la suite de la formation des

stagiaires, nous avons décidé de laisser Julien et Marine en arrière-garde 24 h de plus pour se donner une chance supplémentaire de transformer l’essai ; avec Nico et Vanessa pour protéger leur aile droite, pendant qu’Aurélien et moi-même entamerions la retraite de Rosso…

Malgré cette stratégie napoléonienne, l’équipe restée sur place n’a pas transformé l’essai. En fin de compte, cet acrola solitaire nous laisse sur notre faim : est-il hivernant sur la zone ? En déplacement entre deux zones d’hivernage africaines ? Quoi qu’il en soit, nous ne boudons pas notre plaisir… Et sur la route du retour, Dame Nature nous offre un présent inattendu : une ombrette, la seule

qu’il nous ait été donné d’observer ; le lendemain, Julien en photographiera toute une troupe posée sur un pylône électrique comme des étourneaux chez nous… Retour au Diawling Les niveaux d’eau sont devenus très bas, avec deux conséquences importantes :

• là où auparavant il y avait 50 cm d’eau,

on peut rouler en contrebas de la piste (infernale, je le rappelle, et cela nous limitait sérieusement dans nos choix de sites de baguage).

• Comme les milieux se dessèchent rapidement, on assiste à un effet de concentration dans les zones encore favorables, ce qui rend notre transpiration beaucoup plus rentable… avant que tout ce petit monde ne décide, contraint et forcé, à partir chercher fortune ailleurs.

Ce que nous aussi allons prochainement devoir envisager car le temps n’est pas loin où le Diawling va devenir sec comme un coup de trique. Le 09/01/2011 Boubakar, responsable de la cartographie du parc, est venu de Nouakchott pour actualiser les sites à palétuviers : pour ce faire il va louer une pirogue, et prospecter une partie du parc que nous ne connaissons pas ; désireux de faire une coupure, j’obtiens de mes compagnons une permission exceptionnelle d’une journée pour l’accompagner. Nous descendons le fleuve Sénégal, superbe, majestueux ; de-ci, de-là, des îles aux noms chargés d’une histoire que patiemment Zeine m’explique. Île

du Bois : ici convergeaient par le fleuve toutes les billes de bois de l’ancien Soudan français (en gros : Sénégal, Mali, Mauritanie), pour être exportées vers l’Europe. Avec régularité, on aborde dans la vase, Boubakar relève au GPS l’évolution de la mangrove,

et nous repartons ; Seul européen dans un groupe de Mauritaniens charmants, je me délecte de cette coupure aux airs d’équipée amazonienne ; A la mi-journée, nous ravitaillons en essence à St Louis du Sénégal : l’occasion pour moi d’enfin poser le pied sur le sol de ce pays, alors que depuis des semaines je ne faisais que l’entrevoir ; l’évènement étant d’importance, au moment où la pirogue s’échoue, je bondis le premier à terre, patauge dans un jus infâme, piétine les déchets plastique, simule une hampe de drapeau dans ma

main, la plante d’un geste auguste et déclame –sa voix avait la gravité ligneuse d’une armoire ventriloque, diront les témoins : « Au nom de sa majesté le roi de France Louis le quinzième, je prends possession de ces terres ». Franc succès dans l’équipe et les quelques sénégalais qui assistaient à la scène… L’après-midi, le décor change du tout au tout : nous remontons le N’Tiallakh, entre dédales d’îles et cordon dunaire ; paysages insolites et grandioses : quelques villages optimistes, quelques palmiers opiniâtres s’accrochent au sable du cordon, lequel est par endroit si fin que bien que ne pouvant le voir, je devine l’océan tout proche au fracas des rouleaux qui s’écrasent sur la plage, à l’écume projetée au dessus de la ligne de crête par le vent puissant et omniprésent venu de l’Atlantique.

Le 12/01/2011 La fin de la formation des stagiaires approche : nous décidons qu’il est temps pour parfaire et valoriser ce stage, d’initier les impétrants –qui jusqu’alors se contentaient de monter, démonter, démailler, manipuler, identifier- à la prise de mesures biométriques. Grand moment pour eux, il n’y avait pour s’en persuader qu’à observer l’air grave et appliqué qu’ils ont manifesté pendant

toute la séance,

orchestrée par Julien avec une patience que -je dois l’avouer- je ne l’avais jamais encore vu déployer ! J’anticipe : plus tard, à Nouakchott pour la préparation de l’expédition vers M’bout, nous aurons des échos de nos stagiaires. Mané (responsable de la coopération espagnole) accompagné de deux bagueurs, viendra capturer dans les milieux dunaires du parc ; logiquement, nos stagiaires ont été de la partie ; sur place, avec une assurance qui déjà a grandement surpris les hispaniques, ils se sont d’autorité emparé du matériel, et –dixit Mané, d’une voix éberluée- sur les indications des bagueurs restés les bras croisés, ont monté les filets en deux temps, trois mouvements. Nous quatre buvions du petit lait en entendant ces propos : eux comme nous, nous étions donnés assez de mal pour mériter quelques fleurs.

Le 15/01/2011 Le comptage Wetlands auquel la conservation nous a instamment priés de participer siffle la fin de la partie Diawling. Ce jour-là, des expatriés de différentes nationalités, venus

Traoré

Le sourire d’Ahmed, décomplexé…

Sher

Saer

pour la plupart de Nouakchott, renforcent les effectifs mauritaniens ; on me bombarde chef d’un groupe qui doit compter tout le bassin de Bell ; C'est-à-dire tout ce que nous pourrons voir depuis la piste, et ce n’est probablement pas grand-chose comparé à ce qu’il contient réellement. Quand en milieu d’après-midi je rends mes comptes à Boubakar, soulagement : plus de 60000 oiseaux (nous ne les avons pas compté un par un bien sûr !) répartis en environ 70 espèces ; Les quelques comptages que j’ai effectués sur différentes zones de ma région ne m’avaient guère préparé au dénombrement d’une telle avalanche… D’ores et déjà, ce que nous avons fait, les contacts établis ou renforcés, la formation du personnel local, tout ceci ouvre des perspectives variées sur lesquelles il faudra réfléchir pour les années à venir.

Œdicnème du Sénégal

Pêcheur takhrédient ; ouvrage de Lemer.

Ju et moi nous sommes beaucoup amusés avec l’animal qui se cache dans la photo !...Agrandissez et trouvez-le !

Seconde expédition et départ pour le Mali. Donc et pour résumer, notre séjour au Diawling étant terminé, nous sommes remontés à Nouakchott pour rencontrer le directeur du parc et envisager les perspectives à venir ; il est clair qu’il est demandeur d’une prolongation de l’action menée, à la fois en terme de baguage et de meilleure connaissance de l’avifaune locale, ainsi qu’en terme de formation des agents du parc. Comme nous avions fait la connaissance de plusieurs français descendus de la capitale pour aider au comptage Wetlands, il nous a aussi été donné la possibilité de fréquenter le microcosme local du monde assez inhabituel des expatriés locaux, à la fois sympa et décalé… Une nuit sur la plage en compagnie d’un cabanon surréaliste –car posé là sur cette immensité linéaire comme un camembert bien fait sur une piste de danse, cela a de quoi surprendre un européen soumis à des règlements d’urbanisme draconiens !- de son propriétaire affable, d’une bouteille de vieux rhum, autour d’un feu sous les étoiles, avec le grondement obsédant des rouleaux en ligne directe des Amériques, Dieu que tout cela fut romanesque… Et comme une fois n’est pas coutume, nous n’étions pas pressés par le temps, j’ai pu observer avec plus d’attention l’urbanisme déconcertant de Nouakchott…dont j’ai déjà dit qu’il a de quoi dérouter : Ville construite depuis à peine 50 ans, autour d’un ancien fortin de garnison française, elle s’est installée sur le sable d’un arrière cordon dunaire qui la protège des marées, sur une importante nappe phréatique ; total :1) si le cordon devait céder lors d’un évènement climatique grave, des quartiers entiers (les plus démunis cela va de soi puisque les gens aisés ont les moyens de construire dans les zones sûres) serait submergés ; 2) lors de la saison des pluies, la nappe se recharge, inonde de grandes surfaces urbaines et stagne durant plusieurs mois ; pour le plus grand bonheur de quelques limicoles et d’une tapée de moustiques… Ce qui visuellement ne laisse pas d’étonner : en dehors des quartiers centraux plus anciens, très hauts en couleurs et en fragrances variées (…), la cité s’étale ; on traverse un quartier qui déjà en lui-même n’est pas banal : par exemple une gigantesque opération immobilière gouvernementale, composée de centaines de maisons rigoureusement identiques à destination d’acquéreurs de la classe moyenne, coupée par des pistes à angle droit toujours aussi rigoureusement identiques; invité un soir à dîner chez une amie de Boubakar, il m’a pris l’envie de me promener jusqu’à l’océan tout proche ; j’ai demandé mon chemin à l’épicier du coin (car cela aussi c’est surprenant, des épiciers du coin, il y en a quasiment toutes les deux ou trois rues, renvoyant ainsi le promeneur européen de plus de cinquante ans à des souvenirs anciens de quartier à la Doisneau) ; « tu vas tout droit jusqu’au goudron et tu prends à gauche ! » : Car, qu’on se le dise, il n’existe dans la capitale pas un panneau indicateur (réflexe bien européen , je demande à Boubakar où je peux me procurer un plan de la ville : éclat de rire !), et le bitume (suffisamment peu fréquent) devient en soi une signalisation non négligeable…Un réflexe de prudence m’ a immédiatement poussé à prendre des points de repère pour le retour ! Précisons que suite à une probable erreur d’évaluation de l’effectif des classes moyennes, ou de son assise financière, seule une maison sur dix ou vingt a trouvé acquéreur, répartie au hasard parmi les lots ; De l’antithèse entre ces quelques îlots de présence humaine –lumières, rires, éclat de voix- perdus tels une bouteille à la mer dans un ensemble blafard dont le silence exaspérerait même les pierres, naît le caractère insolite, voire extravagant de cet urbanisme.

Rajoutons pour la gourmandise que les portes d’accès à la courette d’entrée sont en totalité dégondée par les intempéries et baillent dans la piste, ce qui rajoute une touche far-west de

ville fantôme au tableau. Et pour faire bonne mesure, et pour ne pas lasser je m’arrêterai là-dessus, quelques gens aisés ont compris que l’opération promue par l’Etat (maison + terrain) coûte moins cher qu’un terrain vendu par un particulier ; ils achètent donc un lot, et quand leurs finances le leur permettent, parfois rasent la maison –en l’ayant un temps habitée ou non !- soit la phagocytent à la manière des poupées russes pour ériger avec force pseudopodes variés la charlotte à la fraise de leurs rêves, aussi discrète qu’un cafard sur un gâteau de mariage. Sorti de ce type d’îlot, soit une grande lagune, soit une autre opération du même style ou d’un standing légèrement supérieur (mais pas plus d’acquéreur qu’auparavant), soit une immense esplanade promise à devenir un quartier résidentiel, déjà équipée de dizaines de lampadaires dérisoires qui matérialisent non la future voirie-il n’y en aura jamais !- mais à défaut le plan d’aménagement, et n’éclairent que le sable. Le sable ou accessoirement l’énorme pièce montée d’un nanti, oracle précurseur proclamant sa foi dans le développement local, érigée là comme un enfant d’un air pénétré poserait un château de sable ostentatoire, s’imaginant inscrire dans la vacuité de la plage une œuvre décisive et pérenne … Donc un urbanisme déroutant, à mille lieues de ce à quoi nous sommes accoutumés, et si d’aventure vous deviez un jour passer par cette vile, vous auriez tort de vous limiter à l’aéroport ou au centre… Et les oiseaux, dans tout cela ? Oui, ça va, ça vaaaaaaaaaa….

Le 20 au matin, direction Aleg et son lac, site que nous avions sélectionné pour ses qualités

engageantes…–avec d’autres, au cours d’un long labeur sur ordinateur, car nous n’avons pas

Chronopost mauritanien

seulement bullé à Nouakchott. Et en effet, c’est un site magnifique ; hélas, nous n’ avions pas pensé que ces qualités n’échapperaient pas non plus aux autochtones qui, on ne leur en voudra pas, ont besoin de manger et ont donc ceinturé la zone de cultures en enclos, avec à intervalles réguliers des passages pour que les bêtes fort nombreuses puissent accéder à l’eau et à l’herbe des rives ; donc s’il y eut un temps une bande de végétation en périphérie de l’eau libre centrale, à cause du surpâturage, il n’y en a maintenant plus. Le 21/01/2011 Pas grave, puisque nous sommes là, on va compter ce que l’on voit, c’est toujours cela de pris

et puis cela fait sérieux, et pour tout dire professionnel de coller un comptage par ci par là ; et cela cloue le bec aux aigris qui nous taxeraient de touristes, Dieu qu’il existe des gens méchants. Comptage dont les résultats laissent rêveur, quand on est habitué pour certaines espèces, à des effectifs quasi confidentiels ; mais là, je m’abstiendrai, ce serait de la cruauté gratuite.

Espérant tout de même trouver quelque part un site favorable, nous poursuivons le tour du lac ; là se situe l’évènement incontournable de toute équipée africaine, que je vais détailler quelque peu, pour votre plaisir et parce qu’il est riche d’enseignements qui nous ont servis ultérieurement: l’ensablement… Donc la piste qui jusqu’alors serpentait sur le plat des rives s’écarte quelque peu pour contourner un enclos important et prend de biais sur quelques centaines de mètres la pente des dunes limitrophes. Acte I Arrêt. Nous sortons jauger la difficulté ; Aurélien et moi tombons d’accord sur une stratégie : prendre le maximum de vitesse sur la

partie saine sur laquelle nous nous trouvons encore, monter non pas de biais au milieu du méandre de variantes tressées par les véhicules, mais droit sur le flanc de la dune en profitant d’une zone herbue qui, le pensons-nous, assurera un minimum de cohésion au sable, puis avant que la vitesse ne s’effondre trop, braquer et profiter de la dénivelée acquise pour se laisser descendre derrière l’enclos ; au pire, si la zone herbue ne devait pas tenir ses promesses, faire rapidement demi-tour, la pente autorisant à tout le moins le retour sur la partie saine. De son côté, Julien estimant qu’en fin de compte cet obstacle n’est pas la mer (de sable) à boire, confiant dans la puissance de son Mercédès, décide de ne pas faire tant de chichis ; repère une trajectoire satisfaisante et prend sa décision. En fin de compte, une stratégie a mené l’un des camions à s’immobiliser à 50 m de la rupture de pente salvatrice, l’autre s’est avérée payante ; seulement ne comptez pas sur moi pour cafter et laisser l’opprobre et les ricanements goguenards s’abattre sur le front d’un chef de projet malheureux. « Quoi ? » ….. « Mais non je ne l’ai pas dit. » Acte II On sort le cric pour relever l’arrière, on glane des matériaux ligneux que l’on installe devant les roues, on glisse sous ces dernières deux plaques de désensablage en néoprène flambant neuf, que le propriétaire prévoyant exhibe avec un brin de fierté et me semble-t-il un peu trop de confiance… Nous croisons les doigts, le moteur rugit. Se passent deux choses successivement :

*les roues patinent sur les plaques en exhalant un joli nuage de fumée bleue... • en un éclair, les plaques sont expectorées (flup flup) par l’arrière du camion ; pour les

cinéphiles, style toaster dans Pulp Fiction. Du coup, le camion est encore plus bas, le pont posé dans le sable… Manque de préparation, nous recommençons à zéro, en fignolant, en fagotant littéralement la piste ; 45 mn d’efforts pour gagner quelques mètres… On réfléchit ; et on se dit qu’une piste, si elle est là, c’est bien qu’il y a quelqu’un qui doit au moins de temps en temps passer, et qu’il y a urgence, après deux heures d’effort en plein cagnard, à attendre en cassant la croûte tranquillement…On espérait simplement ne pas attendre 36 heures le passage d’un véhicule, comme Nico et Vanessa qui quelques temps auparavant avaient explosé le carter moteur sur une piste vers le Mali. Acte III A l’ombre d’un acacia, une jolie nappe délicatement posée sur le sable (c’est pour l’image !...), nous terminons le dessert quand un ronflement mélodieux nous annonce la fin probable de nos ennuis… Un Maure coutumier du fait nous demande de dégonfler nos pneus à 1 bar (contre 4 habituellement), nous prend en remorque de son 4X4, et cinq minutes plus tard, le tour est joué. Enseignements que nous en avons retirés :

• Si le catalogue des Outilleurs Réunis fait une super promo sur les plaques de désensablage, tournez la page et privilégiez plutôt le modèle ‘un taxi pour Tobrouk ‘.

• Si malgré tout vous vous faites pigeonner, tout comme nous vous pourrez les recycler en tapis de douche solaire très confortables…

• Avant d’aborder le passage difficile, réduire à presque rien la pression des pneus s’avère un très bon plan.

• Une préparation minutieuse, donc longue, à l’aide de végétaux dans les traces vaudra toujours mieux que deux hâtives, donc courtes, mais foireuses.

Par la suite, on verra que nous en avons pris bonne note et saurons en faire notre profit …

Du coup, vu l’heure, nous décidons de passer une deuxième nuit au bord du lac. Le 22/01/2011 Le lendemain, l’équipe se sépare en deux : Aurélien fait cavalier seul en direction de Kiffa à la recherche de reliefs favorables au percnoptère; Ju,

Marine et moi partons vers le sud et le fleuve Sénégal prospecter les zones humides, par Bogué, Kaédi, Leqçeïba, Mbout, la passe de Soufa puis Kiffa où nous devrions rejoindre Aurélien qui lui prendra la route de l’espoir par Magta Lahjar, Sangrafa, et la passe de Djoûk Le lecteur qui voudra saisir l’étendue de notre déconvenue – j’abats les cartes tout de suite-aura tout intérêt à consulter la carte du sud mauritanien… Le 23/01/2011 Au soir, après avoir bu le thé – incontournable, même si l’on est pressé- chez le responsable local de la préservation de la nature, nous arrivons dans les environs de Bogué, où nos recherches sur documents nous promettaient une tamourt (dépression humide temporaire ou permanente entourée d’acacias), similaire à celle où nous avions trouvé l’acrola. Sortis de la grand-route, nous pénétrons un autre monde : villages o-tan-tik, pistes ka-o-tik ; en traversant une culture, une image m’est restée : une gamine travaille aux champs ; dans sa longue robe aux motifs bariolés, elle est ravissante ; absorbée par sa tâche et ployée sur elle, elle arque la cambrure de ses reins pour lever les yeux sur nous et se statufie : sa bouche entrouverte, ses yeux médusés expriment la plus intense des sidérations ; et sa nuque seule se meut dans son corps pétrifié pour lui permettre de suivre ce dérèglement fondamental des réalités qui la structuraient depuis –à l’œil- sept ou huit ans : un toubab aux longs cheveux châtain qui lui sourit…

A l’évidence, le premier qu’elle voyait…

Sans transition aucune le terrain plonge légèrement, le paysage d’épineux rabougris et rébarbatifs s’efface, et une tamourt aussi improbable que sublime se révèle : île centrale majestueusement arborée, au centre d’un lac miroitant sous le soleil couchant –désolé pour le côté cliché de l’image, j’essaierai de faire mieux la prochaine fois-entourée d’acacias probablement centenaires (de cet âge, les seuls que nous ayons vus), abondamment fleuris et exhalant une délicieuse odeur de mimosa ; à nos yeux fatigués, une pépite scintillant dans un tas de scories. Magique. Et à côté, une zone humide avec ceinture de scirpes. Alléchant… Julien et moi montons à l’arrachée une ligne de sept filets à la lumière de nos frontales, tout en humant l’air : pas de doute, cela sent l’acrola et la vodka en plus du mimosa : il y a du contrôle polonais dans l’air … Le 23/01/2011 Le lendemain, outre une centaine d’oiseaux que nous avons relâchés au filet, dont je tairai l’espèce pour ne pas hypertrophier mon ulcère gastrique, le bilan rachitique de huit acrsch sans aucun contrôle nous ramène durement à la réalité : l’Afrique c’est grand, les oiseaux ont de la place pour hiverner, Livingstone n’a pas trouvé les sources du Nil à sa première expédition, on peut peu avec des moyens moyens, et tout ça… On plie les gaules au sens propre comme au figuré, rapidement pour prospecter une autre tamourt à peu de distance ; tout aussi magnifique au niveau esthétique ; comme il n’était que 14h, qu’il aurait été dommage de poireauter sur le site jusqu’au lendemain pour renouveler la même prouesse qu’auparavant, Julien met les cuissardes pour la tester, tandis que moi-même pars à pied évaluer l’étendue de la zone. Au bilan, belle étendue de scirpes, mais beaucoup de profondeur d’eau, et peu de paludicoles

Tamourt d’Abdallah Diéry

Acacia sp…Mais quelle splendeur !

effarouchés par la promenade aquatique de Julien ; décision est prise de ne pas s’attarder et nous repartons en roulant scrupuleusement dans nos traces, façon ‘Un taxi pour ?...’(si vous

ne l’avez pas encore vu, ce film, vous devriez ! Voyez comme il m’a marqué) pour les groupies de Lino Ventura, car le terrain est gavé d’épines d’acacia ; pour les gens ignorants de ce que ce genre botanique a pu inventer pour intimider les chèvres, je vous jure, il faut voir ! Accessoirement, nous cochons l’irrisor moqueur, superbe oiseau à la morphologie de huppe fasciée. Direction nième tamourt entre Kaédi et Leqçeïba ; On tourne tout autour, à la recherche d’un

accès, stimulé par Gégé le GPS, qui ne cesse de nous intimer l’ordre d’aller par là, à huit km de distance ; oui mais par où ? La nuit nous surprend en route, dodo n’importe où. Le 24/01/2011 Nous reprenons la partie de cache-cache ; vers midi, nous trouvons enfin, après un peu de marche à pied depuis un village, la tamourt qui se révèle très arborée, buissonnante jusqu’à l’eau profonde, dépourvue de toute végétation propice ; un grand moment d’émotion pour Julien qui, grimpant dans un arbre pour observer l’ensemble, s’est trouvé nez à nez avec une genette dans son trou, laquelle trouvant sans doute cette proximité déplacée, en est sorti

tranquillement, est passée posément entre ses deux pieds pour se perdre à nouveau dans la ramure... Et on garde le moral ! Nous avons le temps avant la nuit d’atteindre le lac de retenue de

Foum Gleita, au nord de Mbout ; sur place, nous interrogeons plusieurs personnes sur le chemin à prendre pour se rendre au barrage ; le plus souvent, la bande son donne à peu près ceci : Nous : « pour aller à Foum Gleita, c’est par là ? » Autochtone « Oui oui ! » Nous : «Cela passe avec le camion ? » Autochtone : « Oui oui ! » Nous : « Super ! Et comment tu t’appelles ? » Autochtone : « Oui oui ! » En fin de compte, un type du croissant rouge, parlant fort bien le français, nous indique que par Mbout il n’y a pas d’accès, que nous devons rebrousser chemin ‘un peu’ et ‘à la sortie du village’ surveiller le départ d’une piste sur la droite. Nous nous exécutons, trouvons une piste qui semble correspondre, et nous perdons dans les épineux jusqu’à un dépôt de granulat pour le BTP local… Sur le retour, tentative de renseignement sur une femme et son gosse, qui –audacieux certes, mais pas téméraire- décampe le premier en nous voyant- bravo l’amour filial ...Sa mère accepte une tentative de dialogue, mais dès que Julien avance de quelques pas pour mieux se faire comprendre, elle en fait autant en arrière; ambiance… En arrivant sur la piste principale, nous avons la bonne surprise de retrouver notre humanitaire- lueur amusée dans les yeux qui mine de rien en dit long de son opinion sur les capacités d’orientation du touriste blanc- et qui se propose de nous guider car il doit se rendre

à Leqçeïba. Donc on roule à sa suite, en mangeant encore un peu plus de poussière que d’habitude…. On roule, on roule, ce n’est pas possible, il nous a oublié !

A mi-chemin entre Leqçeïba et Mbout (soit après avoir rebroussé chemin sur environ 25 km), il nous montre enfin une piste !

Leçon à retenir : les distances semblent être une notion très élastique, par ici… On retient quand même qu’il nous annonce 20 à 25 km de piste pour arriver au barrage… On est vaillant, les p’tits gars ! Là encore, on côtoie de l’authentique mais le cœur n’y est plus ; fa-ti-gués, vivement le barrage, gros plouf, dodo, demain on prospecte la queue de la retenue et en route pour Kiffa. On passe le village de Foum Gleita, ravissant ! La piste devient de moins en moins engageante, mais on a la foi, Claro que si ! Pasaran ! Barrage en vue et allégresse dans les rangs quand les circonstances nous rappellent qu’il y a loin de la coupe aux lèvres ; en l’occurrence un superbe plantage dans un passage de sable, imprévisible et, consolons-nous, incontournable.

Admirez le travail…

Foum Gleita

J’abrège, nous avons déjà vécu cet incident et l’expérience acquise au lac l’Aleg a porté ses fruits car nous nous en sommes sortis seuls; Evacués les 2X1 de rigueur ( temps en heure et transpiration en litres), enfin, LE BARRAGE, là, à 300 m…mais après un dernier poste de militaires que nous prenons complètement au dépourvu, peinardement allongés sur leur natte à l’ombre de leur guérite, accoutumés à ne jamais contrôler qui que ce soit dans ce trou du c… du monde !!! Leur stupéfaction était tellement palpable que nous en avons ri tous les trois… Et bien on n’aurait pas dû… Nous expliquons donc à un public captivé (militaires : 6 ; kalachnikov : 1), nos péripéties, notre objectif, et notre projet immédiat : baignade dans et dodo au bord du lac. Et là, courtoisement, gentiment même car il voit bien que nous sommes fourbus, ivres même de trop de route, de lumière, de chaleur et de poussière…, le chef du détachement nous expose que hélas, le barrage est une installation sensible, soumise à la surveillance de l’armée, et que sans une autorisation écrite de son commandant, il lui est rigoureusement impossible de nous laisser accéder au barrage… mais que rien ne nous empêche de le lui demander, il est à Foum Gleita… Soit….derrière le passage de sable. L’Afrique est fortement peuplée de gens adorables pour l’essentiel, d’où peut venir pourtant le grand moment de solitude que nous avons éprouvé à ce moment ? Nous tentons de parlementer : « Le commandant, ne pourrait-on l’appeler par téléphone ? » « Hélas non, il faut une autorisation écrite… » Après un quart d’heure de palabre, il faut se rendre à l’évidence, ce gradé est incorruptible ; adieu veau vache cochon couvée, on laisse tomber ce site, on dort ici et demain tant pis, on repasse le sable une fois mais pas deux, direction Mbout et Kiffa. On apprend alors par le militaire qu’une piste existe qui rejoint directement Mbout, qu’elle est bonne dans l’ensemble et en dur, pas en sable ; comme la misère sur le pauvre monde, nous nous jetons sur cette solution de remplacement, et inch’Allah, nous repartons en projetant de dormir à Mbout. Et là, nous avons définitivement pris conscience que pour prospecter sur des pistes secondaires un 4x4 est incontournable, et que la fatigue n’excuse pas la précipitation, laquelle dans ces contrées s’apparente à la légèreté et mène tout droit aux soucis. D’entrée de jeu, il nous a fallu franchir le relief qui sert d’appui au barrage ; ce fut limite pour la mécanique de Mion-Mion et la descente de l’autre côté a achevé de nous convaincre qu’il ne restait plus qu’à espérer que tout aille bien devant, car il ne faudrait pas envisager de rebrousser chemin… Nous voilà donc sur une piste inconnue, même pas portée sur la carte, entre mont (que nous venions de franchir) et –cela, c’est la seule bonne nouvelle- lac de retenue (tiens, finalement, pas besoin de passer par le barrage ; qu’importe la rive, du moment que nous atteignions la queue du lac). Nous pensions à ce moment-là avoir bénéficié du coup de pouce de la chance aux audacieux et avoir résolu le gros des difficultés ; l’immensité du plan d’eau était majestueuse, une nuit dans un décor merveilleux, prospection dans la queue du lac, donc Mbout juste à côté. Ne nous restait qu’une pesante irritation : mais p…de m…, pourquoi le type de ce matin nous a-t-il affirmé que cela ne passe pas depuis Mbout alors

que nous sommes sur une piste qui y mène? La réponse allait nous être fournie rapidement !!! Rappelons que nous lui avions posé la question du chemin pour le barrage, pas pour la queue du plan d’eau, laquelle est à 20km du barrage proprement dit ; lui, devait la connaître cette piste, mais voyant notre véhicule, a eu la sagesse de nous proposer un trajet certes plus long mais somme toute, praticable (exception faite du passage en sable). Allez, on joue : je rappelle les données : nous longeons un relief, qui tranche une plaine de sable ; les précipitations quand il y en a, sont torrentielles et brutales ; vous pensez à quoi ? Mmmmmmm ??? A des oueds ???! C’est gentil d’avoir joué avec nous ; parce que nous, cette évidence nous avait quelque peu échappé, mais rassurez-vous, cet état d’ignorance coupable n’a pas duré… Et le chemin de croix à débuté : un oued. Ah. Bords plutôt abrupts, plutôt du genre étroit, de celui qui fait bien cogner les bas de caisse des véhicules à l’empattement plus long qu’un 4x4, nous par exemple…, sable au fond comme de bien entendu, ce qui interdit toute pusillanimité, il faut impérativement, à défaut de raison, vitesse garder pour a) ne pas s’ensabler b) remonter de l’autre côté. On sort, on ausculte le patient, savoir par quelle trajectoire la moins catastrophique l’aborder, on remonte et on y va, Inch’Allah encore une fois. Mion-mion barrit, se jette témérairement dans l’abîme en talonnant du bas de caisse quelques cailloux, tangue dans le sable, se cabre et rebondit sur l’autre rive. Gagné ! Décontraction générale des adducteurs, fessiers, zygomatiques, la vie est belle. Cent mètres plus loin, freinage brusque, second oued… And so on, à peu près tous les 100 ou 200m. Au bout du nième, Julien congestionné en a sa claque, Mion-mion l’héroïque montre des signes de fatigue (malgré force encouragements généreux et moult caresses sur le tableau de bord), le système d’attache de la roue de secours complètement tordu par les impacts sur le sol, aussi ; les passagers itou, bref nous décidons d’arrêter les frais pour ce soir, nous posons près du lac avec une unique idée fixe : nous décaper de la couche de crépi couleur poussière avec un plongeon dans ce lac si tentant… Il nous manquait l’ultime désillusion du jour, bonjour ! Quasiment sans profondeur, ligoté par les cultures et le bétail tout comme le lac d’Aleg, cette mare de grande envergure est gravement eutrophisée et à chaque pas que nous faisions dans le brouet, une appétante guirlande de bulles verdâtres folâtraient le long de nos chevilles. Exit le bain roboratif. Ce soir-là, à contrario de la voûte céleste sublime, le moral n’était guère élevé… Devinant cela (nos efforts pour franchir les oueds avaient été perçus à leur juste valeur) et accueillantes, quelques familles de pêcheurs-cultivateurs se sont approchées à une trentaine de mètres pour ne pas s’imposer et ont improvisé une aubade: chants et rythmes sur bidons de plastiques, quelques pas de danse et beaucoup de rires. Telle était la morosité ambiante que la première pensée qui nous est venue à l’esprit est qu’il ne manquait plus que ce raffut pour enterrer dignement cette journée mémorable, et que bon sang de bonsoir, il ne manquait pas de place autour pour faire la fête sans nous casser les oreilles…J’ai honte de le dire, il nous a fallu deux à trois minutes pour comprendre que ce geste nous était offert, en guise de cadeau de bienvenue et/ou en lot de consolation… Prenant sur nous et notre fatigue, Marine et moi nous sommes levés, les avons rejoints un moment pour les remercier de leur gentillesse par notre présence.

Plus tard avant d’aller me coucher, pendant que je faisais le vide dans ma tête dans le silence et la nuit, j’ai repensé à ce geste touchant, seule offrande que leur dénuement leur permettait ; et me sont revenus en mémoire quelques passages de l’Auvergnat de Brassens. Le 25/01/2011 Départ tôt en prévision des difficultés à venir ; bonne surprise, la piste s’écarte progressivement du relief, les oueds s’adoucissent, Mion-mion jubile, le moral remonte ; d’un commun accord, nous décidons qu’assez de temps a été investi sur ce site en pure perte, et négligeons la queue du lac (dont la piste s’était progressivement éloignée) pour rallier Mbout et prendre la direction de Kiffa. Plein Est, la piste s’annonce praticable, mais après deux oueds, 15km et 45 mn pour les faire, nous voyons se dessiner le même scenario que la veille, en pire ; Kiffa n’est plus qu’à 120km, mais les difficultés s’accumulent, nous sommes dans une savane légèrement inclinée et plate à perte de vue (tiens : moinelette à front blanc, oh ! un bruant cannelle) et à mi-chemin nous attend le plat de résistance : la passe de Soufa, qui coupe un massif montagneux nettement plus consistant que l’arête de la veille. Plus forts de la sagesse acquise très récemment et conscients que si Mion-mion devait rendre l’âme ce serait la fin du voyage, nous virons lof pour lof ; excédés à l’avance par les 500 km de détour et les 12 fiches de renseignements aux 12 barrages de police, gendarmerie, sûreté nationale, qu’il va de nouveau falloir produire… En traversant Mbout pour la troisième fois, Julien lâchera la morale de cette histoire coûteuse en temps, en fatigue, et bien peu productive en bague posée… « C’est vraiment le Mbout du monde ici ». Avertis par Aurélien qu’à 80 km d’Aleg il avait vu depuis la route une tamourt à Guimi (à la louche, 200 ha, mais peut-être déjà trop sèche), nous décidons de faire fumer Mion-mion pour, à tout hasard, arriver dans la journée et tester le milieu. Rendus sur place, effectivement la zone est belle ; bien plus grande que ne l’avait soupçonné Aurèle, elle dépasse largement les 3000 ha, au moins pour ce que nous parvenons à en voir, et si l’on est disposé à pas mal marcher, conserve en son centre suffisamment d’eau pour que nous décidions que malgré la fatigue, les désillusions, nous manquerions à tous nos devoirs en la boudant au profit de nos fauteuils pliants-apéros ( à base de goyave ou de mangue, car les produits fermentés apportés de France sont finis depuis longtemps, et les bières sont rares dans les épiceries d’une république islamique…). Ju et moi installons dix filets à la frontale, Marine notre maman à tous deux, inquiète de la durée de l’opération signale la position de Mion-mion avec une loupiote pour nous guider sur le retour (c’est vraiment très grand, et nous risquions de ramer pour retrouver le campement). Le 26/01/2011 La bonne fortune peut-être émue par tant d’obstination s’est Talève sultane

Tamourt de Guimi

décidée à nous sourire : 55 oiseaux bagués dont 2 acrola ; le pincement dans le ventre quand à la première tournée une zébrure dorée a flashé sur la calotte d’un acrocephalus parmi les autres ! Pour vous dire, et ce n’est guère dans ses habitudes, Julien déchaîné en a laissé échappé le

premier après la pesée : pas de photo de la bête… C’est finalement tellement facile à Donges, il n’est qu’à se baisser pour les ramasser ! Ici, la somme d’efforts à déployer pour n’en prendre que quelques uns rend chaque capture unique, précieuse.

A n’en pas douter, nous n’avons fait qu’effleurer le potentiel de cette tamourt ; mais notre but n’est pas de poser un score en acrola, mais de repérer les sites favorables pour les exploiter ultérieurement, avec du monde et du matériel adapté ; en clair, on bricole avec les moyens du bord, et jusque là nous n’avons pas à rougir des résultats obtenus. Donc, après cette matinée mémorable, repas

rapide : après les pâtes sauce tomate clémentine, c’est Marine qui pose le bon mot en même temps qu’une tablette noire sur la table : « acrola, chocolat ! » Une ovation salue l’initiative concrétisée par un chiche carreau distribué par Ju… Protestation de ma part : « un par acrola ! »…Sous la pression populaire, le chef de projet parcimonieux s’exécuta… Nous repartons pour Kiffa où Aurèle piaffe à nous attendre ; après, nous fouaillerons les flancs palpitants de nos fiers coursiers et tracerons directement vers le Mali. (Rush de fin : Lucky Luke de dos, sur Jolly Jumper, soleil couchant, THE END) Le 27/01/2011. Après les retrouvailles (émouvantes je précise, mais je ne m’appesantirai pas, question pudeur) avec Aurèle, et une nuit à Kiffa, nous roulons plein Est sur la route de l’espoir Mion-mion et Bo-bo avalent des kilomètres : Tintâne, et pour y arriver, tout le monde en bave car la route est pourrie de chez pourri, des nids de poule en veux-tu en voilà, quarante de moyenne et je suis large ; puis Ayoûn el Atroûs, où nous quittons la route de l’espoir, Gogui (frontière) et Nioro du Sahel qui a été notre première étape malienne (dodo).

Pour le coup, la chair est faible, nous nous sommes offert une auberge pour dîner avec une BIERE! (l’islam malien est moins regardant que le mauritanien) et une douche, je ne vous dis pas la couleur du jus de poussière qui s’écoulait par la bonde, cela risquerait de faire fuir les lecteurs. Le 28/01/2011 Nous pensions arriver à Bamako tranquillement en fin d’après-midi ; un sort malin en a décidé autrement, sous la forme d’un mouton con de chez con (déjà en temps normal, question quotient intellectuel, ça casse pas trois pattes à un canard, ce genre de bestiau) qui brutalement a coupé la route devant Julien. Donc on dit : Un phare cassé, un pare-choc explosé, un radiateur qui perd ses entrailles liquides sous Mion-mion en larmes ; je rassure les amis des bêtes : le mouton n’a pas souffert. Direction le village d’à côté, retour avec un mécano qui retire le radiateur, lequel était amputé d’un téton en plastique ; pas de souci, on va le recoller (!!!).

Il faudrait un jour que la Cinq ou Arte fasse un reportage sur les ateliers de mécanique africaine : Mac Gyver en serait vert de jalousie ; ces gens-là sont des génies de la débrouille, aucune panne ne leur résiste ; Il est vital pour eux de se déplacer, et ils sont à des années-lumière de pouvoir payer des pièces de rechange neuves et des taux horaires de mécano européen ; ils ont donc inventé un savoir-faire unique et jubilatoire,

mélange de compétence, de débrouillardise et de bouts de ficelle : et en deux temps trois mouvements, une solution efficace est trouvée. En l’occurrence, il s’agit d’un collage avec un mélange de super-glue, de chaux (ils appellent cela ‘carbine ‘et de cendre…On peut être sceptique, et d’ailleurs nous l’étions, cependant après 80km de route et une demi-heure de centre ville de Bamako par 30° de température, cela semble donner toute satisfaction ; et avec deux aller-retour du mécano depuis le village voisin jusqu’à Mion-mion, cela nous a coûté 15€ !!! On reste rêveur… Pour le coup, et après avoir remonté le radiateur, le mécano nous a proposé de ramasser le mouton (lequel n’ayant pas été égorgé dans les règles, était promis à pourrir sur le bord de la route), et de se rendre chez lui pour le manger ; proposition acceptée… Il nous a donc été donné de pénétrer non pas l’intimité d’un gros village, ce serait exagéré et prétentieux, mais à tout le moins d’y pénétrer physiquement en étant parfaitement acceptés d’entrée de jeu, ce qui n’aurait peut-être pas été aussi facile ni évident dans d’autres circonstances où il aurait vraisemblablement fallu déployer un minimum de travail pour briser la glace.

Nossombougou, grosse bourgade d’environ 5000 âmes m’a beaucoup surpris ; mélange intime de 21ème siècle par ses écoles (offertes l’une par l’amitié nippo-malienne, une autre par l’amitié italo-malienne, les autres je ne sais pas ; à mon avis amitiés pas vraiment désintéressées…), son émetteur radio (6h par jour quand même), quelques points d’eau avec pompes manuelles à levier sur radier de béton ; la play-station peut-être pas partout mais au moins chez le mécano et probablement chez d’autres (car l’Afrique mord à pleines dents dans les technologies des médias et des communications, il n’est pour s’en persuader que de compter le nombre de boutiques Orange -même dans des villages faméliques !- et les tonnes de cartes de crédit périmées qui jonchent le sol) ; et de 19ème voire moins, avec encore des puits à ras du sol, des évacuations d’eaux usées comme à Nouakchott (un trou dans le mur, épandage dans la rue) , l’habitat réduit au minimum vital : un toit de tôle sur des murs en pisé, quelques poteries ou seaux en plastique comme ustensiles ; un marché couvert qui s’entrelace en labyrinthe entre des bâtiments en dur, forêt de poteaux en branches d’arbre recouverts de fagots de paille, un vrai marché de schtroumfs…

Comme nous étions jeudi soir, et que le week-end s’étale du vendredi au samedi, les gamins n’avaient donc pas école ; et quatre blancs qui débarquent, parlez-moi d’une attraction de première ! Aurèle, Marine et moi avons donc géré en animateurs débonnaires une troupe de mômes d’abord sur le recul, puis dans l’expectative, enfin dans la confiance et le sourire. Ces quelques moments de rires partagés leur semblent à mon sens précieux car j’ai le sentiment, peut-être erroné –je ne suis pas un ethnologue fin connaisseur de l’âme africaine- que si les structures sociales reconnaissent aux petits le droit à leur part d’enfance, cela reste un espace ludique où les classes d’âge sont rigoureusement compartimentées : j’ai rarement vu un ado partager un moment de jeu avec un petit, et plus

encore, exception faite de la relation extrêmement tactile entre mère et tout petit, je n’ai vu un adulte consacrer du temps à partager un jeu ou des gestes de tendresse avec des enfants, comme s’il existait un non-dit implicite comme quoi la vie étant rude, il faut se hâter de grandir. Qu’un adulte s’intéresse à eux, joue avec eux doit donc les surprendre hautement dans le même temps où cela les réjouit ; je soupçonne même à travers les regards surpris, perplexes ou franchement hilares que posent sur moi les adultes dans ces instants-là qu’ils doivent me prendre pour un bobet… (Plus tard à Mopti, Ousmane validera cette intuition)

Le 29/01/2011 Nous découvrons la capitale…et nous installons dans une auberge à touristes au bord du fleuve Le 30/01/2011 Un dimanche à Bamako. Et bien non, je ne m’épancherai pas sur cette ville, car elle mériterait à elle seule une quantité de pages que je ne me sens pas le courage d’écrire. Je serai donc bref et livrerai en vrac mes coups de cœur… Là encore, le centre ville défie l’entendement habituel : circulation délirante : minibus collectifs pour la plupart complètement déglingués (horaires de départ : quand c’est plein ; quand il n’y a plus de place, ce n’est pas grave, il y en a encore…) Spécialisation des petits métiers : vendeur ambulant de louches et écumoires en fer blanc, qui trimballe son stock dans une hotte, vendeur de tongs qui les dispose artistiquement en château

de cartes sur une brouette, vendeur de sac d’herbe

fraîchement coupée à la serpe, (pour quelque mouton ou chèvre

d’arrière-cour), vendeur d’eau en sac plastique, vendeur de tout et de rien, poussières

d’humanité attachées à assurer leur quotidien (et c’est pas gagné…) Le long d’une avenue bordée de grands manguiers, une bande de gosses récolte quelques fruits mûrs à l’aide de longues gaules. Avenue du centre ville au parfum désuet (Victor Hugo…), voies de la périphérie laconiquement numérotées (rue 319…) en latérite plus ou moins burinée par la saison des pluies, plus ou moins vitrifiée de mille déchets, plus ou moins souillée de tout à l’égout qui spontanément, indéfectiblement monopolisent la moindre rigole, cascades de fleurs étranges aux noms inconnus tombant sur un tas d’ordures, habitants affables ( « bonjour monsieur, ça va ? ») discutant à l’ombre d’un arbre ou d’un abri de paille ; au plus fort de la chaleur enfants

minces (il n’y a pas beaucoup de gros, au Mali, allez savoir pourquoi…) qui se lavent autour d’une bassine, (contraste fort de la mousse blanche sur fond noir), artisan sur son tabouret, avec pour tout fond de commerce un marteau et une enclume minuscule, fabriquant des bagues en métal repoussé pour les touristes qui ont déserté le pays, effarouchés par une propagande scandaleuse qui cherche à faire croire que côtoyer ces gens souriants est infiniment plus dangereux qu’une promenade de nuit dans n’importe quelle banlieue française… Nous avons passé deux nuits dans une auberge en bordure du Niger, histoire de se refaire une santé, de rencontrer quelques

interlocuteurs à la direction des eaux et forêts, de faire du change. Le fleuve ; accablé par la chaleur, je me projette sur ses bords, dans l’idée (bien

européenne !) de pouvoir m’y tremper en toute quiétude et pourquoi pas, dans

le plus simple appareil… Quelle ingénuité ! Un fleuve, et en cela notre civilisation d’abondance nous l’a fait oublier, c’est avant tout une somme de services irremplaçables pour des

populations démunies de presque tout ; fleuve nourricier : pêcheurs en pirogues qui projettent avec régularité leur épervier ou remontent leurs nasses, cultivateurs de décrue qui profitent des jardins libérés et enrichis par le fleuve assagi à l’approche de la saison sèche, cueilleurs d’herbes qui la journée durant remplissent de gros sacs de jute ; fleuve lavoir : tout le long du jour se succèdent les femmes du quartier, qui arrivent d’un pas lent, une énorme bassine posée sur la tête, le dernier-né en balluchon, se posent au bord de l’eau, puis brosse et planche en mains, entament une matinée (quand ce n’est la journée) de lessive ; à mesure qu’elles rincent, elles étalent leurs tissus sur les portions de berges laissées libres encore par les autres ; à la

mi-journée, ces dernières sont transformées en un patchwork hétéroclite et haut en couleurs . Balayant la scène d’Ouest en Est, mon regard se perd dans les îles basses du fleuve qui à cet endroit abondent, bute en second plan sur l’architecture moderne et agressive (merci, Kadhafi !) de la rive nord et se délecte en premier plan du charivari bruyant et bigarré que je viens d’essayer de décrire, enfin vers l’Est s’amuse du

contraste avec l’un des deux ponts de Bamako, nonchalamment blasé et tout proche, sur lequel circule, klaxonnant, brinquebalant, exhalant des volutes fuligineux, un vingt et unième siècle persuadé de son importance, sérieux, et pressé. Déjà, en temps normal, un blanc qui s’aventure sur les bords du fleuve, ce n’est pas fréquent (aussi l’attitude générale envers moi, sans être

nullement hostile, témoignait cependant d’une réserve ostensible) ; un blanc qui étale sa pâleur sans

vergogne, encore moins ; si de plus il franchit le rideau de lavandière et de mômes barbotant dans le jus de lessive pour profiter de l’onde pure quelques mètres au large, là cela devient l’attraction majeure et je dois dire que j’ai eu quelque peine à me décontracter sous les feux croisés de quelques centaines de regards. Et puis un gamin un peu plus hardi s’est approché, histoire peut-être de vérifier si pour de vrai le blanc emporte les enfants noirs pas sages (histoire qui circule encore, héritage d’un colonialisme passé qui à l’évidence n’a laissé que de bons souvenirs…) ; je l’éclabousse légèrement ; surprise amusée du gamin, dont les yeux m’évoquent St Exupéry et le renard qu’il faut apprivoiser ; il se risque à me rendre la pareille… Et quelques instants plus tard, par la magie du jeu et d’une troupe de gamins ravis, j’avais réussi mon intégration : hurluberlu arroseur d’enfant… Sur le chemin du retour, j’avise une très jeune femme qui ploie sous une bassine énorme ; friand de provocation, je lui fais comprendre que je souhaite l’aider à porter son fardeau ; stupéfaction puis sourire puis accord ! A deux, nous installons la baille sur ma tête, et nous poursuivons notre chemin.

Ce qui me permet d’affirmer, expérience à l’appui, que ces femmes ne sont pas exactement des petites fleurs fragiles…Sans rire, je devais avoir quarante kilos sur la tête, et lorsque au bout de quelques centaines de mètres, toute la troupe sans doute inquiète –surtout par ces temps troublés- de devoir répondre du décès par arrêt cardiaque d’un touriste blanc, m’a instamment prié d’arrêter, je n’ai pas minaudé… Une partie des gamins avec qui je m’étais baigné m’a raccompagné ; certains qui allaient à l’école parlaient trois mots et en comprenaient vingt ; ils me servaient d’interprètes appliqués et laborieux ; tous voulaient me faire visiter leur maison… Nous nous sommes quittés devant l’auberge, poignée de mains individuelle et les yeux dans les yeux ; je n’ai pas eu droit à la sempiternelle apostrophe « donne-moi cadeau », héritage d’un colonialisme présent et irresponsable qui transforme un individu

digne par essence en quémandeur de prébende. Le cadeau, il était réciproque : les rires que nous avions échangés... Le 31/01/2011 Et puis nous sommes repartis en fin d’après-midi direction Ségou. Depuis la dernière séance de baguage, pas mal de temps s’est écoulé ; il faut garder présent à l’esprit qu’ici rien n’est aussi simple, et qu’il faut du temps pour se déplacer, franchir les frontières, se tromper de route et rebrousser chemin, tenter une démarche administrative infructueuse, s’arrêter tôt pour trouver un lieu de campement en brousse, gérer les conséquences d’un agneau dépressif et suicidaire, ravitailler, etc.

Arrivés maintenant à proximité de cette mer intérieure, nous allons reprendre le rythme habituel de la prospection : départ en début d’après-midi, repérage et choix d’une zone, installation de la ligne de filets, baguage le lendemain matin, démontage et ainsi de suite. Le soir, nous rejoignons Nico et Vanessa partis la veille, et nous arrêtons au bord d’une rivière dans une (des dernières) forêt classée. Soirée chiroptères. Le 01/02/2011 Baignade agréable, arbres imposants, une halte réparatrice dont nous avons du mal à nous arracher, car nous ne repartons pas avant le début d’après-midi. Vers le soir, réparation (oui, encore, cela n’a pas cessé de nous importuner tout le voyage) des portières arrière de Bo-bo, dodo en brousse.

Le 02/02/2011 Arrivée à Ségou, le premier des trois jours du Festival du même nom. Tout le monde sauf moi, manifeste clairement l’envie de faire des achats souvenirs. Ce qui d’une part m’a évité la prise de tête d’essayer de deviner d’une manière complètement illusoire les désirs et les goûts de chacun de mes proches et amis, d’autre part m’a totalement libéré pour me livrer à mon péché mignon : photographier les gens… Je me suis régalé. Une seule ombre au tableau dont je

ne tiens pas rigueur aux Maliens : la mise en zone orange ou rouge de l’ensemble du Mali par le gouvernement français a

brutalement et considérablement tarit le flux touristique qui irriguait l’économie du pays en général et celle de certaines villes comme Ségou ou Mopti, particulièrement ; avec comme corolaire que tous les vendeurs de produits et artisanat locaux ( !), aux abois, se jetaient sur l’européen comme la vérole sur le bas-clergé… Pour les acheteurs, c’était pain béni, ils ont fait des affaires comme jamais ils n’auraient osé l’imaginer ; pour moi, ce fut la croix et la bannière : abordé de tous côté, sollicité toutes les cinq minutes ; Eux, accompagné d’un sourire enjôleur et désarmant : « je casse les prix, pas les pieds ! » … Au bout du quinzième, hélas, si…. Ils avaient le plus grand mal à comprendre qu’un touriste –car ils me prenaient pour tel-

n’achète rien ; repartaient à l’attaque sous un autre angle ; alors je leur expliquais que je suis un décroissant, très peu attaché aux objets autres

qu’indispensables, remettant en cause le consumérisme à outrance… Vous avez déjà essayé d’expliquer ce qu’est la décroissance à un type qui n’est pas sûr de manger ses deux repas le lendemain ?!!! Quelques uns –rares quand même !- me regardaient avec l’infinie bienveillance d’un vampire à qui l’on offre une gousse d’ail ; tous laissaient tomber. Incorruptible, l’Etienne. Contraints par la nécessité, certains ont développé des stratégies astucieuses : Nous mangeons dans un restau ; un Maure superbe dans son boubou finit son repas, engage la conversation,

intéressante d’ailleurs, sur sa tribu, son mode de vie, ses coutumes, parle du couteau court et courbe que tous les hommes doivent posséder ; qu’ils sont tous décorés de gravures différentes racontant une histoire, « tous les objets ont une histoire ! », se propose d’aller chercher le sien qu’il tient de ses ancêtres pour mieux nous faire voir….et revient avec tout son étal, composé d’objets certes très jolis mais déjà vus dix fois chez dix vendeurs différents… Ou encore : buvant un pot sur une terrasse, deux gars se posent à côté de moi, sortent un jeu –le walé- et entament une partie ; j’observe, bien naturellement car je suis curieux de tenter de comprendre ce jeu dont j’ai déjà entendu parler. En fait, je n’y comprends strictement rien ; cela m’irrite et

c’est moi qui pose les questions ; on me répond gentiment, sans forcer…Un des deux types consulte sa montre, se lève, part ; l’autre me propose gentiment de m’initier, puisque je semble intéressé…Bref, deux heures après, je connaissais grosso-modo les règles, et l’incorruptible avait été corrompu… Le seul achat que j’ai effectué, en me faisant complètement pigeonner comme de bien entendu. Fort, le mec. C’est à Ségou que nous faisons la connaissance d’Ousmane, jeune homme très sympa qui nous pilote dans la ville et nous trouve de la bière de mil … Comme il est de Mopti, il se propose de nous procurer une pirogue pas chère pour notre expédition dans le delta ; rendez-vous est pris.

Le 03/02/2011 Premier objectif : prospecter une importante zone humide vers Niono, au nord de Ségou ; de plus, le barrage de Markala sur le Niger nous paraît offrir des potentialités intéressantes.

Et en effet, rendus sur les lieux, nous salivons immédiatement devant une scirpaie de très bon aloi ; décision est prise : on campe là ; nous enfilons les cuissardes et immédiatement devons déchanter : ce qui de loin nous semblait un milieu facile d’accès s’avère en fait être une scirpaie flottante, avec un fond en pente régulière et prononcée ; de plus, pour ne rien gâter, les scirpes sont ligaturés entre eux par une sorte de salade flottante (pistia stratiotes pour les botanistes) avec pour conséquence que ce milieu ne se pénètre pas : il se ramasse sur lui-même, s’arme, se boudine et se fortifie des efforts du prétentieux qui ose troubler sa quiétude ; nous en sommes restés comme deux ronds de flan et en quinze pas, l’affaire était

bouclée : demi-tour, impossible de faire quoi que ce soit dans une mélasse pareille. La nuit approche, il faut trouver d’urgence un campement sympa ; un petit village en bordure de la retenue retient notre attention, d’autant qu’il est bordé par des manguiers superbes, dont quelques fruits arrivent à maturité… Nico et Vanesse montent des filets –l’occasion fait le larron- et nous nous abandonnons à la magie des sourires enfantins qui

nous cernent en rang serrés… Comme d’habitude, la langue étant un obstacle, je me sers de mon piège favori : le jeu ; repère dans le lot une petite d’une douzaine d’années avec le regard plus assuré, plus effronté et entame une partie de claquements de main rythmés, toujours à la surprise générale et rigolarde… La gamine joue le jeu, d’autres en demandent, c’est gagné, la glace est brisée ; j’achève de séduire le chapiteau en délire en montant la tente ‘deux secondes’… Quelques instants plus tard, la jeune fille –qui s’appelle Maïmé- me fait signe de la suivre ; et , surpris à mon tour de tant de simplicité, je me retrouve chez elle, entouré de son père, ses deux femmes et dix enfants, dont deux qui squattent immédiatement mes genoux …L’un d’entre eux, d’environ quinze ans, va à l’école et ses efforts louables nous permettent d’échanger quelques propos et surtout de pas mal rire ; à la question : pourquoi tous les enfants ne vont-ils pas à l’école, la réponse du père tombe, laconique : cela coûte cher et je n’ai pas assez d’argent. Je me suis renseigné plus tard sur ce sujet ; l’Etat malien n’a pas les moyens d’entretenir des écoles publiques et gratuites dans les campagnes reculées ; très souvent ce sont donc des instituts privés ou semi-privés, donc payants qui prennent le relai, quand relai il y a. Est-il besoin de préciser que quand le chef de famille doit opérer un choix parmi ses enfants, curieusement, il n’y a pas des masses de filles élues ? (Plus tard à Mopti, un instituteur m’expliquera que l’effectif de sa classe est de 140 élèves, coupés en un groupe du matin, un autre l’après-midi ; on ne s’étonnera plus de voir des mômes ne connaître que quelques mots de français après des années d’école dans cette langue.) Le 04/02/2011 Tôt le lendemain, je profite de la magie du calme sous les manguiers en bordure de ce paysage d’eaux multiples,

méandreux, camaïeu quasi hypnotique de verts surprenants ; un pêcheur revient de visiter ses filets, accompagné de deux enfants parmi lesquels je reconnais Alou, un gosse de dix ans dont j’avais fait la connaissance la veille ; il décide visiblement de me chaperonner et sans façon aucune m’emmène dans une sorte de case rectangulaire au toit de paille, de la taille d’une petite chambre ; c’en est d’ailleurs une, qu’il partage entre autres avec Ibrahim, son grand frère de douze ans ; murs de pisé, une simple couverture sur la terre battue sert à l’évidence de lit ; très fier, Alou me montre la décoration : trois ballons de baudruche attachés à la paille du toit ; dans un angle de cette pièce sommaire, un feu de brindilles de paille réchauffe un poêlon posé sur deux mottes de terre ; la fumée s’échappe directement par les interstices du toit en paille… On m’invite à m’asseoir, et je partage le petit déjeuner de ces deux gosses qui sans doute sont debout depuis bien plus longtemps que moi pour aider leur père ; il s’agit en l’occurrence de quelques ignames coupés en morceaux : pas franchement dégueulasse, mais je vous jure qu’un pain beurre confiture c’est plus gouteux… Je prétexte par signe que j’ai déjà déjeuné et ne voudrais surtout pas abuser… On n’insiste pas, et ce n’est pas par pure courtoisie, car je constate que les deux mômes se contentent d’un en-cas très frugal et prennent soin de ne pas terminer le brouet, alors qu’à mon avis, ils doivent avoir la dalle…Probablement, d’autres après eux devaient-ils émarger au contenu. J’aurais aimé prendre des photos, simplement pour garder un témoignage de ce qu’il faut commencer à appeler plus qu’une frugalité : le commencement du dénuement ; je n’ai pas osé, de peur que malgré leur jeune âge, ces deux enfants ne sentent intuitivement le caractère déplacé d’un objectif voyeur, quand ils me faisaient la gentillesse de partager ne serait-ce qu’un instant, une partie de leur intimité. Quelques instants plus tard, sur un péremptoire « Tièn, viens ! », je grimpe dans la pirogue familiale et vais me promener avec eux ; cela me permet d’abandonner tous remords que nous n’ayons pas tenté quelques filets dans la scirpaie en avant du village : elle flotte sur presque

trois mètres d’eau… En fin de compte, je me suis promené un grand moment dans le village, avec le meilleur des laissez-passer : un pioupiou de deux ans scotché à mon avant-bras dont il ne se lassait pas de contempler la couleur et la texture pileuse…Je présume que depuis la veille j’étais catalogué comme un blanc amical, désireux de communiquer, bref

inhabituellement abordable ; du coup, deux jeunes filles (rare!) m’ont invité à les voir piler le mil ; coquetterie bien féminine, elles s’amusaient lors de la remontée du pilon à le lâcher une fraction de seconde pour claquer dans leurs mains ; l’alternance des sons sourds et lourds du pilon et la détonation sèche de leurs paumes créait un effet sonore très amusant !... Et quand à mon tour j’ai voulu essayer… la nouvelle a fait le tour du hameau comme une trainée de poudre : succès garanti et rires pour la dizaine de mamans accourues pour se réjouir de l’avant-première ! Ici se place une anecdote que je me sens obligé de relater, car elle éclaire d’une manière crue le dénuement de ces gens ; je n’y ai pas assisté, on me l’a rapportée. Voulant se débarrasser du contenu de la poubelle, l’un d’entre nous avise un trou (d’environ 1.5m de diamètre et autant de profondeur) dans le sol, jonché de sacs en plastique, et y jette

les déchets ; la troupe d’enfants s’est précipitée, s’est jetée dedans ; dispute, hourvari ; les plus costauds arrachant des mains des moins grands pots de verre, bouteilles en plastique, boîtes de conserve : tous ces objets sont autant de rangements, de contenant, autant de trésors pour eux. Un ange à sale gueule était passé pour nous remettre en mémoire l’envers du décor. Peut-être y-a-t-il du phragmite aquatique en ce lieu ; si c’est le cas, il sera difficile de le savoir ; ce que la bonne fortune nous a refusé en ornithologie, elle nous l’a rendu en chaleur humaine ; et si, tout comme le nom de la rose, j’ai oublié le nom de ce village, je sais où le retrouver…

Nous repartons vers le nord, et longeons toute la journée la zone humide de Niono ; déception totale : quand il existe de rares

scirpaies, elles sont flottantes ; sinon, typhaies, rizières ou pâtures jaunâtres poncées par le bétail ; demi-tour, et nous nous posons en bordure d’un village où tout comme la veille, les chiroptèrologues avaient repéré un milieu favorable ; certes ces petits mammifères sont dignes d’intérêt, néanmoins il n’aura échappé à personne que pour quatre d’entre nous, ce n’était pas l’objectif premier ; rassurez-vous, aux quatre aussi, cela n’échappait pas, et nous commencions à ruer dans les brancards…

Le 05/02/2011 Je ne voudrais pas lasser, non, mais tôt le lendemain, baguenaudant (à défaut de baguer) dans les environs, je lance un « a ni sogoma » (bonjour) à l’accent sans doute suffisamment épais pour faire sourire mon interlocuteur,

qui dans un français hésitant engage la conversation, m’apprend qu’il est façonneur de brique en pisé et m’invite à venir sur son chantier ; je fais la connaissance de ses trois équipiers, et ma foi, ce fut très instructeur, et très chaleureux : voyant que je portais un intérêt à leur tâche, que je n’hésitais pas à mettre la main à la pâte puisque j’ai tenu malgré leurs protestions amusées et un peu gênées à me mettre dans le mélange de glaise et de paille pour en mouler quelques unes, bref que j’enlevais les oripeaux de

touriste dont au départ ils

m’avaient gentiment

affublé, le contact s’est établi tout simplement, tout naturellement, et encore une fois j’ai constaté que ces gens simples savent donner beaucoup. Le temps passe, et les résultats faisant défaut, nous décidons de reporter nos efforts sur le delta intérieur du Niger ; sans traîner,

nous filons sur Mopti. Dodo en brousse. Le 06 et le 07/02 A Mopti, nous nous posons à la direction des eaux et forêts ; nous nous décidons pour la pirogue d’Ousmane ; l’affaire est conclue pour six nuits et sept jours, la nourriture du capitaine, du cuisinier et de notre mentor en sus ; mine de rien, cela chiffre pour notre petit budget. Je vous passe les préparatifs –il fallut acheter du charbon de bois car ils refusaient énergiquement de se servir de la gazinière : ils ont une trouille bleue du gaz !- et le mardi 8 février, nous laissons derrière nous la cale du port et, les zygomatiques virils, le regard volontaire porté au loin, le cœur plein d’espoir, conscients que peut-être par notre équipée épique nous écrivons une page de l’Histoire, entamons la descente du Niger…

Mardi

8/02/2010 Epique en effet, surtout la vitesse à laquelle nous nous sommes mis à avancer : la pirogue (trop) lourdement chargée embarque le moindre clapot qui ce jour-là n’est pas des moindres sous un fort vent du nord ; en une heure, tout ce qui est à l’avant se retrouve trempé et en désespoir de cause nous gréons dans l’urgence un bout de plastique à l’abri duquel nous pelotonnons les femmes et les enfants… ; peine perdue, quelques temps après, Ayuba, le capitaine nous prie de l’enlever car il a toutes les peines du monde à voir la route !

Pour ne rien gâter, le moteur hoquète régulièrement, ne fonctionne vraiment que lorsque Ayuba tripote énergiquement la durite d’alimentation ; je me prends à calculer le temps qu’il va falloir pour aller jusqu’au lac Debo, sachant que nous nous traînons comme une limace sur une feuille de salade ; commence à me demander si vraiment nous avons fait le bon choix en terme de pirogue, ai des doutes sur le bon déroulement de la mission…Gros coup de déprime… Epique aussi, la vitesse à laquelle cette barcasse fuyarde se remplit ; A tour de rôle nous écopons et Ju évalue les voies d’eau à 20 litres toutes les dix minutes…Encourageant

En fin de compte, alors que mon moral n’était pas au plus haut, nous avons quitté le Niger pour un de ses principaux défluents (contraire d’affluent : le fleuve se ramifie en bras multiples), le Mayo Dembé ; plus étroit, plus sinueux, moins soumis aux caprices du vent donc quasiment sans clapot, il nous permet alors de filer un six ou sept nœuds honnêtes (je vous la fais Tabarly, cela vous va ?) sans instantanément noyer le frêle esquif (et à la maître Capello, c’est comment ?) Bref, la journée passe de manière assez monotone : le Mayo Dembé traverse ce que l’on appelle le centre nu du moyen

delta : des hautes terres qui sont à peine ennoyées au plus fort de la crue et donc émergent et se ressuient très vite, reléguant les eaux dans un réseau encaissé, aux berges souvent abruptes et de plus en plus hautes à mesure que la décrue avance dans le temps; en direction du Nord-Est, ces hautes terres s’affaissent

progressivement, pour laisser place à de grands lacs bordés de bourgoutières (grande graminée dominante, homologue du roseau sous nos latitudes) ; toujours au fur et à mesure de la décrue, les lacs rétrécissent, facilitant l’accès des troupeaux à cette profusion d’herbage ; notre objectif est donc de trouver dans les marges des lacs ou dans les lits majeurs des fleuves des zones encore ennoyées mais pas trop ( car le CRBPO ne nous forme pas à démailler en nageant, quelle lacune…) ni trop peu ( car broutées alors jusqu’à ras de terre). Le jeu se complique encore avec un phénomène à l’échelle de l’Afrique : le décalage de la crue selon un axe Sud-Ouest/ Nord-Est : entre Djenné et Tombouctou, la pente des sols est de 20 cm par kilomètre, ce qui explique

d’une part la propension du fleuve à se ramifier en multiples défluents, d’autre part génère un décalage temporel considérable au niveau de la crue : quand, mettons fin septembre, la crue est maximum à Djenné ou Mopti, le niveau est au plus bas à Tombouctou, où la crue peut n’arriver

qu’un mois plus tard ; naturellement le phénomène est identique lors de la décrue ; trouver les zones avec le niveau d’eau idéal et la végétation idéale dans un delta grand comme la Belgique et sur une pirogue grande

Celui-ci, allez savoir pourquoi, je n’ai pas cherché à le prendre à mains nues… (C’est un cobra)

comme un suppositoire d’enfant, constitue le challenge insensé que nous avions décidé de relever, ô yes we can… A mesure que nous avançons vers le Nord-Est, donc si vous avez suivi, que se conjuguent à la fois l’affaissement général du centre nu et notre avancée vers l’onde de crue, les berges du Mayo Dembé perdent de la hauteur et en se mettant debout dans la pirogue, nous commençons à pouvoir détailler les milieux qui bordent le cours

d’eau ; il est clair cependant que nous ne pourrons atteindre le lac Debo avant la nuit, et décidons de monter quelques filets dès que nous verrons quelque chose de présentable, histoire de vérifier si depuis le temps nous savons toujours faire. A la nuit tombante, alors que nous sommes encore à plus de trois heures du lac, nous abordons au petit bonheur, trouvons une mosaïque de milieux variés : bourgou sec, mouillé, micro-dépressions vaguement humides en arrière du bourrelet de rive ; vraiment pas de quoi convoquer la fanfare, mais à défaut de grive… Nous décidons d’installer sept filets dans le bourgou mouillé, qui nous paraît nettement plus propice que le reste ; en fait, toujours pour les mêmes problèmes de viscosité croissante de ce type de milieu, nous optons pour six, qui feront très bien l’affaire aussi…

Mercredi 9 Je prends la première tournée le lendemain, proposée par un Julien si peu convaincu du résultat qu’il en préfère continuer le dialogue avec sa tasse de café…et me tape les classiques trois douzaines de tisserins et euplectes ; alors qu’après 20 mn j’en suis encore à pétrir le bourgou vers la fin de la ligne, Julien intrigué par le délai s’approche, voit

Nord du Mayo Dembé : que représentent vingt filets dans cette immensité…

un unique oiseau dans le premier filet…. et LE démaille ; Il y en a qui naissent avec une cuillère en argent dans la bouche…A la deuxième tournée, quasiment plus d’oiseaux, Julien balance un coup de jumelles et dénombre une demi-douzaine d’acrola dans la micro-dépression la plus proche ; en urgence, nous la barrons de trois filets, qui nous rapportent très rapidement le deuxième aquatique de la journée ; enfin, poussés par l’appât du gain, un dernier rabattage orchestré par Ju et Aurèle nous gratifie modestement de deux piafs : un acrsch allemand et le troisième acrola du jour. Bilan : dix bagues posées, dont trois acrola : ce sont des ratios qu’on redemande, ça. Et accessoirement, nous démontrons pour la première fois l’hivernage d’acrola dans le delta intérieur du Niger. Nous plions assez vite, car la journée s’annonce chargée : traverser le lac Débo, puis le lac Walabo Débo, pour atteindre le Diaka, effluent du Niger, où Julien voulait retrouver les immenses bourgoutières qu’il avait à peine effleurées l’année précédente. Journée superbe, moral et soleil au diapason, paysages magnifiques. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres : notre capitaine n’était pas assez au courant des niveaux d’eau et de la praticabilité (extrêmement variable, rappelons-le) des chenaux ; total, nous commençons en milieu d’après-midi à nous faufiler dans des voies d’eau inadaptées au gabarit et à la charge de la pinasse ; on rame, on pousse à la perche, on descend pour dégager l’esquif des herbes qui le bloquent, bref on perd du temps ; en fin de compte, devant un village de pêcheurs, nous décidons d’arrêter les frais pour aujourd’hui et plantons deux lignes entre bourgoutière basse humide et la limite de pâture du bétail ; Aurélien est sûr d’avoir vu au moins un acrsch, le milieu n’est donc pas totalement stérile… Jeudi 10 Bilan: un acrsch bagué !...C’était probablement le même… Et comme un bonheur ne vient jamais seul, nous apprenons que la dotation en essence (convenue dans le prix de location), ne nous permet plus de trouver une autre voie et d’atteindre le fleuve Diaka, qui constitue l’objectif premier de la mission présente ; mais rassurez-vous, il y a de quoi rentrer ! Afriiiiiiiica! Pour ce genre de coup de massue sur la nuque, sans préparation psychologique, ils sont très forts, les Africains : ils te sortent des trucs énormes, comme s’il s’agissait d’un simple rappel d’une vérité archi-connue de tous, avec l’aplomb d’un Gaston Lagaffe, et manifestent de la surprise quand tu témoignes de la tienne ! Exemple récent : je vais comme d’hab prendre un café au lait dans l’équivalent d’un bistrot ; le patron est absent, un grand ado m’explique que son père est parti mais va revenir ; je m’assieds donc sur un banc pour l’attendre ; et je trouve l’attente un peu longue…une demi-heure après, l’ado qui me regardait assis à deux mètres de distance me précise que son père est parti en voyage et ne reviendra que demain…mais que si je désire quelque chose, il est là pour le remplacer… . Décision est donc prise, un, de s’offrir la seule troupe d’hippopotame du delta pour le plaisir, deux, de revenir par petites étapes le long du Mayo Dembé pour savoir si les acrola capturés relèvent du pur coup de pot, ou si vraiment ce type de milieu leur est propice. Je glisse sur les hippopotames, c’était super, surtout quand ils grondent sous l’eau sans qu’on les voie : un mugissement sourd d’une puissance surprenante, plane sur les eaux vides ; le caractère extraordinairement étrange du phénomène est généré par la contradiction totale entre la vacuité apparente du lac et la nécessaire présence d’un (gros) animal pour émettre un son pareil…

Et dans l’après-midi, pour une fois sans être sous pression, nous repérons un milieu présentant des similitudes avec celui du premier jour ; nous montons une ligne dans une partie de bourgou mouillé (hauteur d’eau de zéro à 50 cm), une autre dans un mélange de micro-milieux en voie d’assèchement. Vendredi 11 Alors que je m’englue vers le dernier filet pour virer de la ligne mouillée l’engeance habituelle de fringiles mal famés, Aurélien qui me rejoint –tranquille Emile- pousse un acrola dans le premier filet ; Ce coup-là, on me l’avait déjà fait deux jours avant…C’est le karma, certains sont nés pour gober les cailles toutes cuites, d’autres pour être portier à l’Alcazar … Quelques instants plus tard, Julien nous rejoint et nous informe que dans l’autre ligne, un acrola a été prédaté, probablement par un python (qui a eu du mal le pauvre, à avaler le filet avec) vu qu’il possède la ligne élégante d’une saucisse de Strasbourg. Evidemment, cela fout les boules que ce c…de serpent ait jeté son dévolu sur l’oiseau le plus rare du paléarctique ; mais après un moment d’abattement, nous positivons : un, le contenu stomacal peut nous en apprendre sur ses préférences en terme de milieu ; deux, sur le blog des bagueurs, on trouve parfois des lamentations à propos du chat de la voisine qui a bouffé une charbonnière sur un spol mangeoire… Un acrola prédaté par un python, ça le fait, c’est plus classe… Bilan, une trentaine de bagues posées, plusieurs turdoïdes, deux blongios, cinq acrola dont un dans l’alcool (je parle d’oiseaux, pas de membre de l’association, of course à cette heure matinale).

Déjà, nous levons le doute qui planait : ce n’est plus un hasard si acrola fréquente ce type de zone : mosaïque de milieux variés, en cours d’assèchement, où le bétail n’est pas encore passé ; j’ai de plus noté, sans qu’il y ait corrélation obligatoire, la présence fréquente de petits orthoptères. Et la routine impose ses règles, déjà :

démontage des lignes, rangement général, transfert dans la pirogue, et vogue la galère, en remontant le Mayo Dembé ; de temps à autres, arrêt, observation, discussion sur les qualités du milieu, hiérarchisation par rapport aux précédents, et nous allons voir plus loin ; dans l’après-midi, choix du meilleur site, retour sur celui-ci.

Nous choisissons un milieu en apparence assez similaire à celui du matin : bourgoutière mouillée de 0 à 50 cm d’eau, toujours en arrière du bourrelet de rive, et déjà les paris vont bon train sur le nombre d’acrola que nous capturerons le lendemain. Donc, et il me paraît nécessaire de le préciser, installation du camp, montage des lignes et tout le toutim ; cela n’a l’air de rien, mais l’incontournable répétition des gestes quotidiens, c’est cela aussi, la fatigue, et pas seulement physique.

Samedi 12/02 Au milieu d’une avalanche d’indésirables dont je tairai l’espèce par pure charité, la déception se fait sentir : une vingtaine de bagues dont seulement, maigrement, chichement un acrola ; et une rousserolle à bec fin (acrocephalus gracilirostris, à confirmer), première mention pour l’Afrique de l’ouest. C’est dans la nature humaine, que de devenir exigeant… Pour le dimanche, nous décidons de nous faire plaisir : le premier site à

l’évidence recèle des ressources que nous sommes loin d’avoir épuisées ; de plus, il nous rapproche de Mopti et soulage le retour. Sur place, nous gavons les lieux avec toute la toile disponible ; une partie des lignes sera atteinte avec le kayak gonflable.

Dimanche 13/02 Bilan du jour : une quinzaine d’acrsch, un lussve et de la bricole en locnae ; et quatre acrola ; Aurélien qui a fait la dernière tournée en compagnie d’Ousmane nous précise qu’il y en a d’autres, mais que soumis à une battue en règle, la plupart a sauté par-dessus la ligne. L’après-midi, nous constatons qu’il nous sera difficile de trouver le dernier site de notre expédition : les berges redeviennent très vite hautes (nous nous éloignons de l’onde de crue à contresens et pénétrons à nouveau dans le centre nu, vous suivez ?), nous contraignant, pour l’observation, à des échouages trop fréquents pour notre niveau de fatigue ; par ailleurs nous sommes encore à six ou sept heures de Mopti (si tout va bien !) ; baguer, ranger, faire le trajet, tout cela nous amènerait largement à la nuit tombée, et de nuit, décharger

Aigle pêcheur ou pygargue à queue blanche

Guêpier à gorge rouge

la pirogue, charger un taxi, le décharger à nouveau aux camions, parlez-moi d’un bonheur ! Donc, exit la dernière matinée de baguage ; par ailleurs, semble-t-il, l’objectif est largement atteint ; donc retour tranquille, joli coin pour le dernier soir, pas trop loin de Mopti, pour une dernière étape courte le lundi et avoir tout le temps pour les rangements. Cela c’est sur le papier ! C’est sans compter sur la débrouille africaine, laquelle, nous vantant un endroit superbe, pas loin de Mopti( !) nous a menés moteur pétouillant et trois heures après le coucher du soleil en face du port, sur un îlot bas chaotique, battu par un harmattan réfrigérant, et farci de déchets de plastique… ce qui a permis à notre équipe africaine, d’un saut de pirogue, de revoir la famille plus tôt… Lundi 14/02 Retour à la direction des eaux et forêts ; rangement général, tri entre ce que chacun gardera, vendra ou troquera. Mori, un membre du personnel particulièrement attaché à la problématique du phragmite aquatique, qui avait monté avec une autre équipe un gros projet annulé au dernier moment et en avait conçu beaucoup d’amertume, est radieux, enthousiaste et son accueil chaleureux, ses félicitations sans fard nous payent de nos efforts. Donc la mission est maintenant terminée ; Savoir comment nous prolongerons l’action engagée cette année, quels projets, avec quels moyens, tout ceci doit faire l’objet d’une réflexion lente et mûrie. Mercredi 16/02/2011 Julien et Marine sont sur le chemin du retour, Aurélien cherche un acheteur pour son camion avant de rejoindre des amis au Burkina, et ma foi, pour ma part, n’étant pas particulièrement pressé de retrouver les frimas du terroir, je me laisse vivre chez Ousmane, je me plonge dans le quotidien de la vie d’un quartier malien, rencontre un tas de gens attachants, bref, je me repose. Cet après-midi, on tasse les voisins dans le camion et nous allons nous baigner dans le fleuve ; c’est le genre de projet que je suis encore capable d’envisager, mais guère plus. De retour en France En fin de compte, Aurélien a mis huit jours à vendre son camion ; jours merveilleux, où le quartier nous a adoptés, rebaptisés au cours d’une fête – Aurélien est devenu Boubakar, moi-même Alassan- dans lequel je me suis immergé avec un immense plaisir ; déjà en Mauritanie, à vivre avec les agents du parc, dans l’enceinte de la conservation, j’avais ressenti la frustration d’être coupé de la population environnante ; ces quelques jours ont été l’occasion de me rattraper… Raconter tout ce que j’ai vécu, ressenti à Mopti serait trop long ; et puis je veux en garder une part pour moi ; j’aurais cependant le sentiment que ce carnet reste incomplet si je ne partageais pas quelques moments choisis avec vous ; donc il vous est offert un léger complément, essentiellement visuel.

C’est décidé : tant que je serai valide, tous les hivers j’y retournerai ; de ma poche, défrayé, salarié, qu’importe ! J’ai laissé une part de moi là-bas, et j’ai la ferme intention de la retrouver. Etienne

ESPECE Autres sites PN Diawling Total

ACRARU Rousserolle turdoïde 4 3 7

ACRBAE Rousserolle effarvatte africaine 0 11 11

ACROLA Phragmite aquatique 15 15

ACRSCH Phragmite des joncs 153 1480 1633

ACRSCI Rousserole effarvatte 12 62 74

ACTHYP Chevalier guignette 0 1 1

ANAQUE Sarcelle d'été 0 1 1

CALMIN Bécasseau minute 0 1 1

HIPOPA Hypolaïs obscure 0 1 1

HIPPAL hypolaïs pâle 1 1

HIRRUS Hirondelle rustique 0 1 1

LOCLUS Locustelle luscinoïde 2 3 5

LOCNAE Locustelle tachetée 15 33 48

LUSSVE Gorge bleue à miroir 21 11 32

MOTALB Bergeronnette grise 0 1 1

MOTFLA Bergeronnette des ruisseaux 8 135 143

PHYCOL Pouillot véloce 4 85 89

PORPAR Marouette poussin 0 1 1

PORPUS Marouette de Baillon 0 1 1

RIPRIP Hirondelle de rivage 1 123 124

SAXTOR Tarier pâtre 0 1 1

SYLCAN Fauvette passerinette 4 11 15

SYLCOM Fauvette grisette 0 1 1

TRIGLA Chevalier sylvain 1 1 2

Total 24 espèces 241 1968 2209

NON BAGUES

Tisserin sp. 3874

Travailleur à bec rouge 1854

Euplecte vorabé 311

Moineau doré 102

Cisticole roussâtre 214

Bengali zébré 76

Guêpier nain 10

Rousserolle des cannes 51

Martin-pêcheur huppé 131

Alcyon pie 5

Rousserolle africaine 146

Prinia modeste 15

Prinia aquatique 15

Prinia sp. 30

Rynchée peinte 98

Tarier pâtre africain 23

Jacana 3

Glaréole à collier 8

Chevalier culblanc 3

Cochevis huppé 11

Sarcelle à oreillons 6

Coucal du Sénégal 2

Amarante du Sénégal 2

Souimanga à longue queue 2

Capucin à bec d'argent 14

Cordon bleu 6

Cisticole des joncs 6

Fauvette crombec 2

Talève sultane 1

Euplecte des marais 28

Blongios nain 2

Rousserolle à bec mince 1

32 espèces 7052

Le Bani à sa confluence avec le Niger, port de Mopti.

Recrudescence du trafic d'enfants? Toujours est-il que ce commerçant tente semble-t-il tente de moraliser le marché en ayant pignon sur rue...Aucune idée du prix de vente de l'article qui passe en grimaçant!

Depuis la terrasse de l'immeuble d’Ousmane.

Adam, 28 ans, trois enfants bientôt quatre, voisine adorable, mère et femme courage qui a significativement amélioré son français au cours des longues discussions que nous avons eues ensemble, et m’a significativement aidé à mieux saisir la complexité et le charme de la vie de tous les jours. Ici au marché vendant des beignets pour améliorer les finances de la famille.

Marché du quartier de Gangal à Mopti; rue des poissonnières: il manque la bande son, les odeurs et les mouches.

Cette femme relève un pan de sa robe pour contourner le tas de merde putride que périodiquement des éboueurs extraient des égouts: leur activité n'interdit en rien la poursuite des autres! Il faut simplement faire un peu attention où l’on met les pieds.

La hache: un morceau de lame d'amortisseur de camion, emmanché sur un bois. Le tas sombre sur la gauche c'est ce qui faisait relever sa robe à la dame de la photo précédente, et elle n'a pas tort: entre la tong, le poisson et la putréfaction, le passage est étroit.

A droite, l'éboueur est à 2 m de distance; au second plan à gauche, la réserve de viande est immédiatement disponible au cas où les affaires tourneraient mieux que prévu...

Une des deux principales activités de mes journées à Mopti, outre le bavardage; A droite, Adam (homonyme et voisine de la précédente), 20 ans, mariage d'amour avec Almami, 65!

Détente au bord du Niger

Un moment rare: un repas avec des femmes ou jeunes filles: Assi, Mammi, Adam, Khadija

Les armatures métalliques de pneus, tressées en rond, se posent dans les braseros de cuisine et servent à économiser la combustion du charbon de bois.

Pharmacien ambulant: pilules rouges contre les maux de ventre, bleues contre la toux, jaunes pour le transit intestinal, etc.

Ceci illustre fort bien le rythme épuisant qu'il nous a fallu soutenir pendant une dizaine de jours! Nous nous installions vers 15h, et papotions jusqu'à la nuit avec Adam, Mammou ou d'autres femmes du quartier, à câliner et faire rire les mômes: Epuisant

Ferblantier réparant des bassines dont l'état général justifierait qu'on ne les trouve chez nous que dans les talus envahis de ronces...Remarquez l'enclume!