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dossier TUMEURS RARES EN UROLOGIE : rein et vessie VESSIE VESSIE Adénocarcinome primitif de la vessie F. Audenet*, V. Verkarre** * Service d’urologie, hôpital européen Georges-Pompidou, et université Paris-Descartes, Paris. ** Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, hôpital Necker-enfants malades, et université Paris-Descartes, Paris. Observation Mlle F. est une patiente âgée de 27 ans ayant pour principal antécédent une exstrophie vésicale opérée à plusieurs reprises dans l’enfance. À l’âge adulte, elle a eu une déri- vation urinaire cutanée continente, avec un très bon résultat fonctionnel. Elle consulte pour l’apparition d’une extério- risation de la plaque vésicale associée à un volumineux prolapsus. Une nouvelle opé- ration est pratiquée : exérèse de la plaque vésicale, réfection de la paroi abdominale et promontofixation. L’examen de la pièce opéra- toire montre un adénocarcinome de la plaque vésicale dont les limites sont difficiles à appré- cier mais semblent positives. Le bilan d’exten- sion comprenant un TEP scan au 18 F-FDG et une IRM abdomino-pelvienne est négatif. Il est décidé de réaliser une radiochimiothérapie adjuvante. Lors du suivi, la patiente présente, 3 ans après le diagnostic initial, une évolution métastatique osseuse diffuse, dont elle décède quelques mois plus tard. Discussion L’adénocarcinome primitif de la vessie repré- sente entre 0,5 et 2 % des tumeurs malignes de la vessie (1). Les deux tiers de ces tumeurs siègent au niveau du dôme vésical et se déve- loppent à partir de la muqueuse urothéliale, consécutivement à un phénomène de méta- plasie. Le tiers restant est d’origine oura- quienne (1) . L’incidence est plus importante dans les populations exposées à la bilharziose, où elle a été évaluée à 9,9 % des tumeurs malignes de la vessie (2). La pathogénie de l’adénocarcinome primitif de la vessie est discutée. On considère que l’irritation ou l’infection chronique contri- buent au développement d’une métaplasie, puis d’un adénocarcinome. Cependant, cette tumeur pourrait également se développer à partir des cellules épithéliales pluripotentes (3). L’adénocarcinome primitif de la vessie est fré- quemment décrit comme une complication à long terme en cas d’entérocystoplastie ou de dérivation transiléale des urines de type Bricker (4). Il s’agit de la lésion la plus fréquente chez les patients atteints d’exstrophie vésicale, qui ont un risque cumulé de 4 % de développer cette tumeur au cours de leur vie (5). En cas de transplantation rénale, l’incidence de ce type de tumeur augmente, et l’âge au moment de leur survenue diminue, ce qui s’explique par les traitements immunosuppresseurs utilisés (6). Sur le plan histologique, cette lésion est carac- térisée par des lésions tumorales formant une structure glandulaire qui ressemble à l’adénocarcinome colique (figures). La majo- rité des adénocarcinomes sécrètent du mucus, présent dans les espaces interstitiels, mais il est rare que celui-ci soit excrété dans les urines. Contrairement aux tumeurs de l’ouraque, il est fréquent de trouver dans les adénocarcinomes primitifs une cystite glandulaire associée (7). L’adénocarcinome primitif de la vessie survient le plus souvent chez l’homme (sex-ratio : 3/1), entre 40 et 60 ans (8). Les symptômes ne sont pas spécifiques. La cystoscopie révèle dans deux tiers des cas une tumeur papillaire ou polypoïde, et dans un tiers des cas une muqueuse blanchâtre avec quelques zones bulleuses. La cytologie urinaire et la recherche d’une mucosurie sont positives dans 20 % des cas. Les marqueurs tumoraux peuvent éga- lement être élevés : ACE, α-fœto-protéine, CA 19-9, CA 125, CA 15-3, NSE. La résection transuréthrale de la vessie permet le diagnostic. La TDM abdomino-pelvienne est indispensable pour évaluer l’extension tumorale locorégionale et déterminer l’extension métastatique. Cliniquement, la distinction entre adéno- carcinome primitif du dôme vésical et adéno- carcinome de l’ouraque peut être difficile, surtout en cas de tumeur localement évoluée. Des critères ont été proposés pour distinguer ces 2 formes : présence ou absence d’un reli- quat d’ouraque, muqueuse urothéliale intacte ou ulcérée sans transformation métaplasique, envahissement prédominant de la musculeuse ou des couches profondes de la vessie, enva- hissement de l’espace de Retzius, de la paroi abdominale antérieure ou de l’ombilic. En pra- tique, les adénocarcinomes du dôme vésical devraient être considérés comme des tumeurs de l’ouraque jusqu’à preuve du contraire et traités comme tels (9). En l’absence d’extension extravésicale, le traitement repose sur la chirurgie d’exérèse (cystoprostatectomie totale chez l’homme ou pelvectomie antérieure chez la femme), associée à un curage étendu. Cependant, le pronostic après traitement à visée curative reste sombre, avec seulement 43 % de survie à 3 ans (1). La survie est corrélée à l’extension locale. Certains auteurs rapportent une possible efficacité de la chimiothérapie néo-adjuvante à base de sels de platine en cas de tumeurs localement avancées, qui permettrait une réduction de la tumeur avant le traitement chirurgical (10). La surveillance des patients atteints de ce type de tumeur repose sur la réalisation régulière d’une TDM thoraco-abdomino-pelvienne avec traite- ment par chimiothérapie à base de 5-FU en cas de récidive ou d’évolution métastatique. 1. Wilson TG, Pritchett TR, Lieskovsky G et al. Primary adeno- carcinoma of bladder. Urology 1991;38(3):223-6. 2. El-Mekresh MM, el-Baz MA, Abol-Enein H et al. Primary adenocarcinoma of the urinary bladder: a report of 185 cases. Br J Urol 1998;82(2):206-12. 3. Anderström C, Johansson SL, von Schultz L. Primary adeno- carcinoma of the urinary bladder. A clinicopathologic and prognostic study. Cancer 1983;52(7):1273-80. 4. Ulmer M, Cormieu L, Hubert J. Carcinomatous degeneration of augmentation enterocystoplasty. Prog Urol 2000;10(3):450-5. 5. Smeulders N, Woodhouse CR. Neoplasia in adult exstrophy patients. BJU Int 2001;87(7):623-8. 6. Ducarme G, Bryckaert PE, Brandt B, Durlach A, Staerman F. Primary adenocarcinoma of the bladder and renal transplan- tation. Prog Urol 2003;13(4):690-2. 7. Zerbib M, Bouchot O. Adenocarcinoma of the bladder. Prog Urol 2002;12(5):1121-7. 8. Debbagh A, Bennani S, Hafiani M, el Mrini M, Benjelloun S. L’adénocarcinome primitif de vessie : à propos d’un cas. Ann Urol (Paris) 2000;34(1):20-7. 9. Burnett AL, Epstein JI, Marshall FF. Adenocarcinoma of urinary bladder: classification and management. Urology 1991;37(4):315-21. 10. Kasahara K, Inoue K, Shuin T. Advanced adenocarcinoma of the urinary bladder successfully treated by the combination of cisplatinum, mitomycin-C, etoposide and tegafur-uracil chemotherapy. Int J Urol 2001;8(3):133-6. Références

VVESSIEESSIE Adénocarcinome primitif de la vessie€™adénocarcinome primitif de la vessie est fré-quemment décrit comme une complication à long terme en cas d’entérocystoplastie

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TUMEURS RARES EN UROLOGIE :

rein et vessie

Correspondances en Onco-Urologie - Vol. V - no 3 - juillet-août-septembre 2014104104

VESSIEVESSIE

Adénocarcinome primitif de la vessieF. Audenet*, V. Verkarre*** Service d’urologie, hôpital européen Georges-Pompidou, et université Paris-Descartes, Paris.** Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, hôpital Necker-enfants malades, et université Paris-Descartes, Paris.

Observation

Mlle F. est une patiente âgée de 27 ans ayant pour principal antécédent une exstrophie vésicale opérée à plusieurs reprises dans l’enfance. À l’âge adulte, elle a eu une déri-vation urinaire cutanée continente, avec un très bon résultat fonctionnel.Elle consulte pour l’apparition d’une extério-risation de la plaque vésicale associée à un volumineux prolapsus. Une nouvelle opé-ration est pratiquée : exérèse de la plaque vésicale, réfection de la paroi abdominale et promonto fi xation. L’examen de la pièce opéra-toire montre un adénocarcinome de la plaque vésicale dont les limites sont diffi ciles à appré-cier mais semblent positives. Le bilan d’exten-sion comprenant un TEP scan au 18F-FDG et une IRM abdomino-pelvienne est négatif. Il est décidé de réaliser une radiochimiothérapie adjuvante. Lors du suivi, la patiente présente, 3 ans après le diagnostic initial, une évolution métastatique osseuse diff use, dont elle décède quelques mois plus tard.

Discussion

L’adénocarcinome primitif de la vessie repré-sente entre 0,5 et 2 % des tumeurs malignes de la vessie (1). Les deux tiers de ces tumeurs siègent au niveau du dôme vésical et se déve-loppent à partir de la muqueuse urothéliale, consécutivement à un phénomène de méta-plasie. Le tiers restant est d’origine oura-quienne (1). L’incidence est plus importante dans les populations exposées à la bilharziose, où elle a été évaluée à 9,9 % des tumeurs malignes de la vessie (2). La pathogénie de l’adénocarcinome

primitif de la vessie est discutée. On considère que l’irritation ou l’infection chronique contri-buent au développement d’une métaplasie, puis d’un adénocarcinome. Cependant, cette tumeur pourrait également se développer à partir des cellules épithéliales pluripotentes (3).L’adénocarcinome primitif de la vessie est fré-quemment décrit comme une complication à long terme en cas d’entérocystoplastie ou de dérivation transiléale des urines de type Bricker (4). Il s’agit de la lésion la plus fréquente chez les patients atteints d’exstrophie vésicale, qui ont un risque cumulé de 4 % de développer cette tumeur au cours de leur vie (5). En cas de transplantation rénale, l’incidence de ce type de tumeur augmente, et l’âge au moment de leur survenue diminue, ce qui s’explique par les traitements immunosuppresseurs utilisés (6).Sur le plan histologique, cette lésion est carac-térisée par des lésions tumorales formant une structure glandulaire qui ressemble à l’adéno carcinome colique (fi gures). La majo-rité des adénocarcinomes sécrètent du mucus, présent dans les espaces interstitiels, mais il est rare que celui-ci soit excrété dans les urines. Contrairement aux tumeurs de l’ouraque, il est fréquent de trouver dans les adénocarcinomes primitifs une cystite glandulaire associée (7).L’adénocarcinome primitif de la vessie survient le plus souvent chez l’homme (sex-ratio : 3/1), entre 40 et 60 ans (8). Les symptômes ne sont pas spécifiques. La cystoscopie révèle dans deux tiers des cas une tumeur papillaire ou polypoïde, et dans un tiers des cas une muqueuse blanchâtre avec quelques zones bulleuses. La cytologie urinaire et la recherche d’une mucosurie sont positives dans 20 % des cas. Les marqueurs tumoraux peuvent éga-lement être élevés : ACE, α-fœto-protéine,

CA 19-9, CA 125, CA 15-3, NSE. La résection transuréthrale de la vessie permet le diagnostic. La TDM abdomino-pelvienne est indispensable pour évaluer l’extension tumorale locorégionale et déterminer l’extension métastatique.Cliniquement, la distinction entre adéno-carcinome primitif du dôme vésical et adéno-carcinome de l’ouraque peut être difficile, surtout en cas de tumeur localement évoluée. Des critères ont été proposés pour distinguer ces 2 formes : présence ou absence d’un reli-quat d’ouraque, muqueuse urothéliale intacte ou ulcérée sans transformation métaplasique, envahissement prédominant de la musculeuse ou des couches profondes de la vessie, enva-hissement de l’espace de Retzius, de la paroi abdominale antérieure ou de l’ombilic. En pra-tique, les adénocarcinomes du dôme vésical devraient être considérés comme des tumeurs de l’ouraque jusqu’à preuve du contraire et traités comme tels (9).En l’absence d’extension extravésicale, le traitement repose sur la chirurgie d’exérèse (cystoprostatectomie totale chez l’homme ou pelvectomie antérieure chez la femme), associée à un curage étendu. Cependant, le pronostic après traitement à visée curative reste sombre, avec seulement 43 % de survie à 3 ans (1). La survie est corrélée à l’extension locale. Certains auteurs rapportent une possible effi cacité de la chimiothérapie néo-adjuvante à base de sels de platine en cas de tumeurs localement avancées, qui permettrait une réduction de la tumeur avant le traitement chirurgical (10). La surveillance des patients atteints de ce type de tumeur repose sur la réalisation régulière d’une TDM thoraco-abdomino-pelvienne avec traite-ment par chimiothérapie à base de 5-FU en cas de récidive ou d’évolution métastatique. ■

1. Wilson TG, Pritchett TR, Lieskovsky G et al. Primary adeno-carcinoma of bladder. Urology 1991;38(3):223-6.

2. El-Mekresh MM, el-Baz MA, Abol-Enein H et al. Primary adenocarcinoma of the urinary bladder: a report of 185 cases. Br J Urol 1998;82(2):206-12.

3. Anderström C, Johansson SL, von Schultz L. Primary adeno-carcinoma of the urinary bladder. A clinicopathologic and prognostic study. Cancer 1983;52(7):1273-80.

4. Ulmer M, Cormieu L, Hubert J. Carcinomatous degeneration of augmentation enterocystoplasty. Prog Urol 2000;10(3):450-5.5. Smeulders N, Woodhouse CR. Neoplasia in adult exstrophy patients. BJU Int 2001;87(7):623-8.6. Ducarme G, Bryckaert PE, Brandt B, Durlach A, Staerman F. Primary adenocarcinoma of the bladder and renal transplan-tation. Prog Urol 2003;13(4):690-2.7. Zerbib M, Bouchot O. Adenocarcinoma of the bladder. Prog Urol 2002;12(5):1121-7.

8. Debbagh A, Bennani S, Hafi ani M, el Mrini M, Benjelloun S. L’adénocarcinome primitif de vessie : à propos d’un cas. Ann Urol (Paris) 2000;34(1):20-7.9. Burnett AL, Epstein JI, Marshall FF. Adenocarcinoma of urinary bladder: classifi cation and management. Urology 1991;37(4):315-21.10. Kasahara K, Inoue K, Shuin T. Advanced adenocarcinoma of the urinary bladder successfully treated by the combination of cisplatinum, mitomycin-C, etoposide and tegafur-uracil chemotherapy. Int J Urol 2001;8(3):133-6.R

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ILLUSTRATION CLINIQUE

Aspects histologiques de l’adénocarcinome primitif de la vessie.

F. Audenet déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Correspondances en Onco-Urologie - Vol. V - no 3 - juillet-août-septembre 2014 105105

Aspect colloïde muqueux avec fl aque de mucus au centre des glandes tumorales.

Contingent de cellules indépendantes. Mucosécrétion confi rmée par la coloration de bleu alcian.

Prolifération adénocarcinomateuse infi ltrante ressemblant à un carcinome colique. Plaque vésicale d’une exstrophie vésicale avec métaplasie intestinale* et remaniement infl ammatoire.

Adénocarcinome infi ltrant à droite la musculeuse.