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« Le droit des Palestiniensà l’amour et au mariage »

- Maître Areen Badwan -

Ramal lah

Mesdames et Messieurs les membres du jury

Je me tiens aujourd’hui devant vous pour vous raconter l’histoire d’un jeune homme et d’une jeune fille, tous deux Palestiniens, l’un de Cisjordanie et l’autre de la bande de Gaza. Leur histoire est un exemple vivant de la répression, de la persécution et de la violation des droits de l’homme et de toutes les conventions internationales exercées par l’Occupation israélienne.

C’est donc l’histoire de deux jeunes dans la fleur de l’âge, réunis, malheureusement, par cette belle chose qu’est l’amour… ne soyez pas surpris si je dis malheureusement.

Dans ma patrie, oui dans ma patrie seulement, en Palestine, l’amour est parfois une tragédie et entraîne un flot de douleur, surtout lorsque l’on concilie deux cœurs dans une patrie déchirée, fragmentée, enchainée. Un pays qui dépérit depuis plus de soixante ans sous le joug de l’Occupation, une occupation qui a duré suffisamment pour affecter nos cœurs et condamner nos sentiments à la peine de mort ou à une lente agonie.

De quel droit cet amour fût-il réprimé ?

Et comment peuvent-ils nous priver de ce droit si agréable, plein de paix, si rassurant?

Peut-être parce qu’ils ne savent pas ce qu’est l’amour ! S’ils le savaient, et s’ils l’avaient vécu, ils ne nous imposeraient pas toutes ces formes de torture, d’oppression, d’injustice, et ne nous condamneraient pas à vivre dans des conditions aussi inhumaines.

Nous sommes un peuple qui ne veut que la paix et l’amour, comme tous les autres peuples du monde, alors pourquoi continuent-ils de nous priver de nos simples droits ? Droit de déplacement, droit d’expression, mais aussi droit au mariage, comme ce fut le cas pour Ali et Rehab.

L’histoire de Rehab et Ali dure depuis 16 ans, mais s’est consumée après 14 ans de douleur, à cause de l’oppression et de la distance. Elle s’est écrite dans la joie et s’est brisée après avoir atteint les cieux ; l’Occupation en a signé la fin après une courte durée.

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Cette histoire d’amour prend racine sur les sièges de l’Université de Birzeit en 2000, entre un jeune homme de Beit Lehem et une jeune fille de Gaza.

Nous connaissons bien la séparation due à l’Occupation entre la Cisjordanie et la bande de Gaza et les procédures d’interdiction de circulation entre les deux zones. Nous savons que l’Occupation israélienne bafoue, depuis 1967, toutes les conventions et accords internationaux qui prévoient le respect des droits de l’homme.

Elle viole l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH), qui dispose que « toute personne a droit à tous les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».

Elle va à aussi à l’encontre des dispositions de l’article 12 du Pacte relatif aux droits civils et politiques, le PIDCP, qui affirme que : « quiconque se trouve légalement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence ».

Cependant, l’amour d’Ali et Rehab a réussi à survivre malgré les obstacles. Tels deux cœurs à l’unisson, la Cisjordanie battait à Gaza, et Gaza battait en Cisjordanie. Mais dans ma patrie nous sommes habitués à un contexte où il n’y a pas d’amour sans douleur, pas de joie sans chagrin.

En 2004, Ali et Rehab ont achevé leurs études universitaires et espéraient que cet amour continue dans un nid douillet, sans souci, comme tout couple amoureux. Ils ne rêvaient que d’une petite maison confortable, égayée par les voix de leurs deux enfants Jade et Jana. Un rêve simple qui dura 4 ans. Ils n’avaient jamais pensé que l’Occupation atteindrait cet amour révolutionnaire de deux cœurs qui ont juré de s’aimer en croyant à leur droit aux sentiments, conforté par l’article (16/1) de la DUDH qui dispose que « à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille ».

Au départ de simples rêves, ils se sont transformés en dossier de papiers, de permis et de visa après que les Autorités de l’Occupation les ont empêchés d’exercer ce droit naturel qu’est l’amour.

Les prisons, les restrictions et les obstacles qui entravent les mouvements du peuple palestinien ne sont-ils pas assez ?

Je suis sûre que s’ils étaient en mesure d’atteindre le cœur humain, ils auraient mis des barrières sur les artères et sur les veines pour empêcher la circulation

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du sang.

Excusez mes paroles, mais elles n’expriment que la douleur du peuple palestinien et de son oppression, l’injustice subie et la souffrance quotidienne, et c’en est là le plus simple des exemples.

Mesdames et Messieurs

Ce qui se passe dans mon pays est une violation de la loi, la confiscation de la dignité de ses citoyens et de leur droit à une vie décente, et met le droit international, ses normes, ses conventions et sa souveraineté face à un tournant historique. La menace est réelle d’une perte de la confiance du peuple palestinien dans l’équité du droit international, et dans la capacité de la communauté internationale à contraindre l’Etat Hébraïque à respecter la loi et les règles internationales qui déterminent la relation de l’Homme avec son frère l’Homme.

L’Autorité de l’Occupation les a empêchés d’exercer ce droit, en appliquant la loi de la citoyenneté israélienne qui a été approuvée par l’Etat Hébraïque en 2003 pour une période d’un an, qui a pour but d’empêcher la réunion des familles palestiniennes pour raison de sécurité.

Notons que cette loi est une violation des dispositions de la Convention de La Haye, qui est spécialisée dans les lois et les coutumes (1907), comme l’énonce l’article (43) selon lequel la puissance occupante doit respecter les lois en vigueur et ne pas imposer de nouvelles lois, sauf en cas de nécessité absolue.

Cette loi a également forcé des milliers de familles palestiniennes à vivre séparément, à sortir du pays ou à vivre en Israël sous la menace constante d’expulsion, après que la loi israélienne a interdit la réunion de familles palestiniennes dont une partie possède la nationalité israélienne ou est détentrice de la carte d’identité bleue résidant à Jérusalem, alors que l’autre partie réside en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza.

La loi a été établie pour une seule année mais a été périodiquement renouvelée, et est encore en vigueur à ce jour. Elle a même été modifiée pour inclure les membres de familles palestiniennes résidant en Iran, au Liban, en Syrie et en Irak.

Après le retrait d’Israël de la bande de Gaza en 2005, l’Etat juif a suivi une politique reposant sur la séparation totale da la bande de Gaza et de la Cisjordanie. Depuis la prise de pouvoir par le Hamas à Gaza en 2007, la ville vit une réalité politique et juridique différente de celle de la Cisjordanie, ce qui a renforcé la division entre ces deux parties du territoire palestinien.

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En dépit de tous ces évènements, Ali et Rehab ont insisté pour organiser leur cérémonie de mariage à Dubaï en 2007, loin de leurs familles et de leurs proches, ne pouvant pas la faire dans leur patrie.

Quel bonheur incomplet pour ces deux amants !

L’Occupation nous fait vivre une vie d’orphelin alors même que nos parents sont en vie.

La vie des deux amants ne s’est pas arrêtée malgré la distance, ils ont durement essayé de revenir de Dubaï en Palestine, l’homme ne pouvant pas rester à l’écart de sa famille. Mais ils ne pouvaient pas rentrer, car l’Autorité de l’Occupation avait fermé la frontière entre la Jordanie et la Cisjordanie. Rehab avait l’interdiction d’entrer en Cisjordanie pour vivre avec son mari dans le village de Batir, dans le Sud-ouest, tandis qu’Ali avait l’interdiction d’entrer dans la bande de Gaza. Ceci constitue une violation de l’article 49 de la Quatrième Convention de Genève, qui interdit le démantèlement d’une même famille, son déplacement ou l’éloignement de ses membres.

Le couple est retourné à Dubaï, où il travaillait en attendant l’amélioration des conditions et la promulgation de nouvelles lois qui leur permettraient de vivre ensemble dans leur pays, mais l’attente était longue… Ali est retourné en Cisjordanie, et Rehab est retournée à Gaza, chacun dans sa famille, sachant que Rehab avait l’interdiction d’entrer en Cisjordanie.

Il n’avait devant eux que deux options, soit d’attendre un changement permettant à Rehab de passer en Cisjordanie pour vivre avec Ali, soit de partir à la recherche d’une autre patrie. Mais à cause de la mort de la mère de Ali, de la douleur du déracinement, du sentiment d’injustice et d’oppression provoqué par l’Occupation et de leur croyance dans leur droit de vivre ensemble sur cette terre, ils ont décidé d’attendre et chacun de son côté s’est mis à la recherche d’un moyen afin d’être réunis dans une même maison. Mais leur réunion était impossible, tel le mélange de l’huile avec l’eau. Ali a épuisé toutes les voies, il a frappé à toutes les portes, rien, toutes sont restées fermées car la clé unique était entre les mains des Autorités Israéliennes.

Pourtant les articles 23 et 24 du PIDCP précisent « la nécessité de la formation de la famille et le droit de se marier et le droit d’accorder la citoyenneté et de la descente» et l’article: 23 al.2 confirme que «Le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l’homme et à la femme à partir de l’âge nubile ».

En 2014, lors de la dernière guerre à Gaza, Rehab était en visite temporaire chez son mari durant sept mois, loin de sa famille qui subissait les ravages de la guerre. Entre l’anxiété, la peur permanente des horreurs de la guerre et la

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rupture de la communication avec sa famille, le cœur de Rehab s’est brisé et elle était impatiente d’avoir de leurs nouvelles. Mais elle savait que son retour à Gaza signifierait l’adieu pour toujours ; son cœur était en jeu, elle n’avait pas d’autre choix que de se diriger vers sa famille à Gaza la mort dans l’âme d’avoir quitté sa moitié, son mari.

Aujourd’hui ils ont décidé de divorcer et de mettre fin à ce mariage condamné à mort depuis le début.

Les membres du jury

Le cas d’Ali et Rehab n’est pas le seul en Palestine, au contraire, il y a des centaines de familles à qui l’Occupation refuse d’accorder le droit de vivre sous un même toit ; il y a des dizaines d’enfants privés de leur droit d’obtenir le certificat de naissance et la reconnaissance officielle de l’Etat Hébraïque, leur seule faute étant d’être les enfants de parents palestiniens de zones différentes (selon l’Occupation israélienne) ou possédant des identités différentes, ou dont l’union n’est pas légalisée par l’Occupation pour des raisons politiques illogiques.

Cette question nécessite une action internationale de grande ampleur, notamment des institutions internationales officielles, afin de contraindre l’Occupation à respecter le droit de notre peuple à réunifier une même famille sous un même toit, sans qu’elle soit exposée à la menace constante de l’expulsion, le déracinement et l’immigration. A cause de cela, Rehab et Ali ont décidé de ne pas avoir d’enfants, de ne pas devenir père et mère, ce dont rêve tout couple. Ils rêvaient d’avoir un garçon nommé Jade et une fille appelée Jana, mais ne voulaient pas qu’ils vivent cet éclatement familial causé par l’Occupation… les deux enfants ne naitront donc jamais.

Mesdames et Messieurs

Imaginez s’il y avait une loi aux Etats-Unis qui interdisait le mariage d’un jeune homme de Washington avec une jeune fille de New York (deux villes distantes de près de 1200 miles). Que diraient les Français s’ils se réveillaient un matin pour constater que le législateur français a promulgué une loi interdisant la réunion de deux amoureux, l’un de Paris et l’autre d’Orléans, deux villes à 130 km de distance ?

Au moment où les pays de l’Union européenne, qui sont séparés par des milliers de kilomètres et par plusieurs frontières, se transforment en un seul Etat, de son côté la loi israélienne interdit l’union de deux Palestiniens, l’un de Jérusalem et l’autre de Ramallah, deux villes séparées par moins de 18 kilomètres, ou de deux Palestiniens de Gaza et de Bethléem, séparés d’une

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centaine de kilomètres.

Pourquoi nous les Palestiniens, dans une ère de démocratie et de liberté, n’avons nous pas le droit à l’amour, pourtant permis par toutes les lois et les religions du monde?

Pourquoi enchaîner les cœurs et restreindre ainsi les sentiments?

Pourquoi nos enfants meurent-ils dans les entrailles des rêves?

Que reste-t-il pour le Palestinien?

Il a été dépouillé de sa patrie, de sa maison, de son cœur, de ses sentiments et de son rêve.

Que peuvent-ils encore nous voler?

La vie spoliée de tout ce qui précède n’égale que la promesse de la mort à chaque souffle.

Jusqu’à quand durera cette occupation intrusive qui nous empêche de vivre, nous prive d’espoir et de rêves?

Dans la conclusion de mon affaire, nous, les Palestiniens, cherchons à révéler le vrai visage de discrimination de la politique israélienne en général, et en particulier de la loi qui empêche les familles palestiniennes de se réunir, qui conduit à priver ces familles de leurs droits civils, économiques et sociaux, ainsi que d’autres droits.

Ceci constitue une violation de la résolution 1514 adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies (1960), qui garantit notre droit à l’auto-détermination dans son article 2 « tous les peuples ont le droit de libre détermination; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel ».

Je mets l’accent sur les politiques discriminantes qui permettent l’intervention de l’Occupation dans le choix des palestiniens de leurs futurs partenaires, basé sur la nationalité et les types de documents de séjour.

Nous exigeons donc que l’Occupation cesse ses crimes contre le peuple palestinien et respecte ses droits, qu’elle abolisse ses lois discriminantes, qu’elle respecte les principes des droits humains qui garantissent une vie libre et digne pour tous, sans distinction de race, de couleur, de religion.

Nous demandons aussi l’exclusion d’Israël des organisations internationales s’il continue de défier la volonté internationale et de violer les conventions des droits de l’homme.

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Ce faisant, votre tribune estimée devrait exercer son rôle dans la protection des droits du peuple palestinien et sa garantie aux droits de l’homme les plus élémentaires prévus par toutes les conventions et les normes internationales, et nous exigeons de responsabiliser internationalement l’Etat d’Israël pour tous les crimes qu’il a commis et continue de commettre contre notre peuple. Les Palestiniens doivent recouvrer leurs droits humains spoliés par l’Occupation.


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