Chère famille ;

Chères dignes représentantes de la XVème génération : chère Henriette (Ley), chère Marianne (Laufer), chère Véronique (Laufer), chère Anne-Marguerite (Korths), chère Catherine (Gautier Zanello), chère Geneviève (Gautier de Coulon), chère Anne Claude (Gautier de Steiger) -une pensée particulière aussi pour celles qui ne peuvent être parmi nous : pour Gabrielle Garroni, Dora Charlotte Reymond, Geneviève Bièler, Rosemary Gautier Hunter et pour André Laufer ;

Chères cousines et chers cousins de la XVIème génération ;

Chères représentantes et chers représentants de la XVIIème génération ;

Chères représentantes et chers représentants de la XVIIIème génération.

Nous voici donc 4 générations réunies pour ce 500ème anniversaire de l’obtention de la bourgeoisie genevoise de notre famille.

Pour commencer je vous propose une minute de silence pour être en pensée avec ceux qui nous ont quitté il n’y pas longtemps : Je pense à Berthe Lerch, à Emile Gautier et à André Bièler.

Nous célebrons 500 ans d’existence de cette famille à Genève qui dans ses origines a vécu les combats fratricides qui opposèrent les genevois entre eux : d’un coté les pérennistes qui représentaient la bourgeoisie autochtone, les « vieux genevois », et de l’autre une couche montante composée en particulier des réfugiés des persécutions religieuses contre le protestantisme. Dans ce conflit de pouvoir, la famille Gautier opta pour le calvinisme il y a plus de 450 ans et pour son austérité avec ses valeurs et ses limitations.

Claude-Janin Gautier fera partie du Conseil des LX en 1559. Son fils Jean Gautier fera partie du Petit Conseil pendant 22 ans. Son fils deviendra pasteur, mais fera aussi de la politique. Dans les générations suivantes, les Gautier seront également dans les affaires, la banque, l’armée et l’enseignement académique.

Mais revenons sur le thème de l’austérité. Le puritanisme de la cité de Calvin était tel que le fait de danser était de l’ordre de la transgression. C’est ainsi que le jeune professeur de philosophie à l’Université de Genève Jean-Antoine Gautier, après avoir épousé Olympe Bonnet le 4 octobre 1698, sera convoqué, avec les époux Sara Fatio et Marc Lullin, quelques jours après le mariage par le

Consistoire parce que les dames avaient dansé chez elles « tandis qu’elles étaient épouses ».

Les Gautier feront aussi partie de cette bourgeoisie qui aspirera aux titres de noblesse; et les obtiendra. Mais la Révolution Française et la crainte de voir des têtes coupées feront que la divulgation de cet acquis sera repoussée aux calendes grecques.

Le XIXème siècle verra des Gautier, en plus des professions mentionnées, occuper les professions libérales comme la médecine, le droit, la recherche universitaire, alors que le XXème, surtout dans sa deuxième moitié, verra des marques de continuité et de discontinuité dans la famille.

Pensant aux voeux exprimés par Pierre et Charles Gautier en 1958 ("Notice sur la Famille Gautier") « que les Gautier de l’an 2008 puissent fêter les cinq cents ans de leur Bourgeoisie genevoise dans la paix et dans la liberté, et qu’eux et leurs descendants, se souvenant de leurs ancêtres, s’efforcent de travailler pour le bien de Genève et de leur pays», nous pouvons dire que ces vœux auront été en partie exaucés. Cependant, les Gautier ont pris des voies forts diverses, quittant les sentiers battus de la famille. Il faut dire qu’entre temps il y a eu Mai 68, il y a 40 ans - événement qui mérite aussi d’être commémoré - qui marqua une partie de la XVIème génération.

Il faut également relever que la XVème génération commettra déjà quelques exactions par rapport à la tradition : elle fera des mariages mixtes : Gabrielle qui épouse un catholique italien Augusto Garroni, Jean-Jacques qui épouse une catholique, Catherine Zanello et Frédéric, mon père qui épouse une juive, Béatrice Hirsch. Ce n'est pas tout, déjà Charles Gautier, digne représentant de XIVème génération, en épousant Hélène Gabrielle Pictet, quaker et suffragette convaincue qui fera preuve de tendances émancipatoires, introduit un esprit nouveau dans la famille. Tante Hélène sera une des seuls membres de la famille qui me soutiendra quand je ferai objection de conscience, à la honte d’autres membres de la famille. Je me souviens aussi de ma grand-mère (Emma Gautier Naville) qui me racontait, préoccupée, que Léopold Gautier était agnostique.

Politiquement, la famille Gautier s’est identifiée de génération en génération, depuis le XIXème siècle, avec le parti de la bourgeoisie genevoise : le parti libéral, et ce jusqu’aujourd’hui: André Gautier, mon homonyme, a présidé le parlement suisse; actuellement, Horace et Renaud font les honneurs du parti. En même temps, nous verrons un Philippe Bièler, fils de Geneviève Bièler Gautier entrer à l’exécutif vaudois pour le parti des Verts, la fille de Berthe Lerch Gautier, Suzanne aller soutenir la révolution sandiniste au Nicaragua et moi-même me situant dans la gauche extra-

parlementaire et Tiers-Mondiste.

Au niveau professionnel, ce sera l’éclatement : nous avons une actrice de théatre avec Caroline, une artisane en joaillerie avec Soraya, un artiste peintre avec Michel, un promoteur de groupes musicaux avec Sergio, un agriculteur avec Yvan, un expert et champion en bateau à voile avec Gérard, une chanteuse de jazz et de soul avec Stéphanie et je n'énumère que quelques exemples.

D’autres traditions connaîtront aussi des changements au temps du brassage des cultures. La soumission à l’austérité calviniste, négation du savoir vivre et castratrice, sera relativisée. Ma mère, qui aimait bien manger, me racontait ses souvenirs marquants en entrant dans la famille Gautier. C’est ainsi qu’elle n’osait prendre un deuxième morceau de poulet : c’était déjà de la luxure. Vous connaissez tous le witz : si vous êtes invité dans une famille genevoise et qu’on vous sert le thé, la question sera: "Voulez-vous un sucre ou point du tout?". Autre changement, notre génération adoptera des enfants : c’est le cas d’Eugène Gautier et de son épouse qui adopteront deux petits latino-américains et de moi-même qui adopterai les enfants de mon épouse. Nous deviendrons, comme dira André Bièler avec humour, « des faiseurs de Gautier ». Isabelle, fille de Dora Charlotte adoptera une enfant angolaise. Avec Miguelina (de Saint Domingue) épouse de Michel et mon épouse, Emma Bolshia (de Bolivie) et nos deux enfants c’est la branche latino américaine qui prend forme.

Par delà toutes les différences, un point reste commun à la famille : l’influence d’un protestantisme humaniste. Je pense à Emile Gautier, grand pédiatre, professeur à l’Université de Lausanne; je pense à Jean-Jacques Gautier qui sera une des personnalités les plus marquantes de la XVème génération, sans oublier Dora Charlotte, co-fondatrice d’ACAT-Suisse, André Bièler instigateur de la Déclaration de Berne. Il faudrait probablement en citer bien d’autres.

Mais pourquoi mentionner Jean-Jacques en particulier? Parce que ce banquier, associé chez Pictet & Cie prend sa retraite anticipée à 61 ans et se lance dans une aventure internationale incroyable pour l’abolition de la torture. La torture est l’expression par excellence de la barbarie, du crime contre l’humanité, elle est la négation même de tout ce que l’être humain a pu construire en faveur de la civilisation. Expliquant son engagement, il dira quelque chose de fondamental: « Vivant parmi les privilégiés, privilégié moi-même, j’avais encore un devoir envers les autres. »

En 2002, le « Protocole Facultatif contre la torture » a été voté par les Nations Unies. Ce résultat qu’il n’aura pas vécu, fruit de son combat et de celui de tous ceux qui l’ont

soutenu, est un grand pas en avant dans la lutte contre la torture. Concept éthique longtemps étranger à la pensée protestante, le mot solidarité, que mon père écoutait encore avec effroi, pris corps dans l’agir de Jean-Jacques Gautier.

Par d’autres chemins, mon épouse et moi-même, fondateurs de l’Institut de Thérapie et de Recherche sur les séquelles de la torture et de la violence d’Etat en Bolivie (ITEI), en 2001, en serons bénéficiaires directs. En 2006, grâce au travail de lobbying réalisé à l’instigation de Emma Bolshia Bravo, la Bolivie avec le Honduras ratifient « Le Protocole Facultatif contre la torture ». Etant les 19ème et 20ème pays adhérants, ils permettent la création du sous-comité des Nations Unies d’application du « Protocole Facultatif contre la Torture ».

En résumé, si nous pouvons être fiers d’être Gautier, de faire partie de cette famille, ce n’est pas seulement grâce à un passé glorieux qui nous permet de vivre sur nos lauriers, mais à cause d’un présent vivant où ses membres restent des citoyens actifs dans une société en changement. La tradition est peut-être une richesse dans la mesure où elle est porteuses de valeurs humaines, mais peut être aussi un carcan dans sa fixation, dans son enfermement. La tradition est un repère dans sa conservation et dans son dépassement ; elle permet de se situer dans les processus de changement que ce soit dans l’éloignement de la cité de Calvin ou en y vivant. C’est un énorme privilège que nous avons de pouvoir avoir des repères familiaux d’une certaine consistance représentant des valeurs humaines qui valent plus que jamais la peine d’être défendues.

Pour terminer, je tiens à exprimer au nom de tous mes remerciements à l’équipe Gautier et compagnie qui a rendu possible cette fête:

- Premièrement à mon cher cousin Jacques et à son épouse Jane qui nous ont reçu dans une atmosphère accueillante pendant ces années de préparation, c'est-à-dire depuis 2006, chaque fois avec un succulent repas.

- A toute l’équipe de travail qui a préparé cette fête dans la bonne humeur, c'était une magnifique occasion de retrouver la parenté.

Je me joins aux remerciements exprimé hier par Jacques qui a nommément mentionné les apports de chacun.

Je n’ai pas pu assister régulièrement à toutes les réunions, mais je peux vous dire qu’elles en valaient la peine. Et j’ai appris une chose comme psy que je suis: Ce n’est pas seulement dans la fratrie que l’enfant est influencé par sa position : l’aîné plus sérieux, le cadet apparemment plus insouciant. C’est la même situation dans les rapports entre

la branche cadette et la branche aînée. Ces cadets toujours avec l’envie de s’amuser, plus frivoles, m’interpellant comme aîné à mettre de l’ordre comme s'ils en avaient besoin!

Pour terminer merci et félicitations à la branche cadette qui a été la cheville ouvrière de cette magnifique fete comémorative. Félicitations à tous ici présents.

Notice sur la Famille Gautier de Genève (1508-1958), Genève 1956, p.16 Id., p.37