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Page 1: Conduite à tenir devant une dépression résistante

S703L’Encéphale, 2007 ; 33 : Septembre, cahier 3

La dépression résistante se défi nit habituellement comme l’absence ou l’insuffi sance de réponses à deux antidépresseurs de mécanismes d’action différents utili-sés à dose adéquate (celle qui est recommandée, dans le Vidal ou dans les études qui ont été réalisées pour auto-riser la mise sur le marché du médicament) et sur une durée suffi sante (6 semaines) (7). La résistance ne peut être considérée qu’après avoir contrôlé l’observance thé-rapeutique. Il existe plusieurs moyens de vérifi er celle-ci, mais le dosage plasmatique des antidépresseurs semble le plus effi cace. Par ailleurs cette notion de dépression pharmaco-résistante n’intègre pas la réponse aux sismo-thérapies, véritable test thérapeutique des dépressions sévères.

De même, la notion de réponse aux antidépresseurs doit être affi née. Doit-on considérer comme satisfaisante une amélioration thymique de 20 à 50 % aux échelles d’intensité dépressive lorsque l’on sait que les répon-deurs partiels ont un risque de récurrence dépressive et suicidaire important (4) ?

La dépression résistante doit aussi se distinguer de la dépression chronique, pathologie qui persiste indépen-damment du traitement reçu. La dépression chronique représente en elle-même un possible facteur de résis-tance. Un épisode dépressif majeur qui ne se résout pas, une dysthymie ou dépression chronique sub-syndromi-que qui s’étend sur plus de 2 ans (mais qui ne répond pas aux critères d’épisode dépressif caractérisé) sont des exemples de dépression chronique. Outre la notion de pharmaco-résistance, il s’agit dans ce cas de recher-cher un trouble sous-jacent de la personnalité, afi n de proposer une prise en charge adaptée. Ces deux notions de résistance aux traitements et de chronicité sont liées : certaines études indiquent que dans 20 % des cas l’évo-

lution d’un épisode dépressif caractérisé se fait d’emblée vers une forme chronique ; d’autres études montrent que dans 20 % des cas, elle peut se faire en deux temps, après rémissions et rechutes (5,6).

Quatre stratégies pour le traitement de la dépression résistante sont envisageables :

OPTIMISATION DU TRAITEMENT ANTIDÉPRESSEUR

La modifi cation de la posologie après dosage plasma-tique dans le respect des doses, est la première conduite à envisager. De même l’arrêt des traitements potentielle-ment dépressogènes (corticoïdes, béta-bloqueurs, inter-féron.) doit être envisagé.

SUBSTITUTION D’UN ANTIDÉPRESSEUR À UN AUTRE

Le plus souvent on remplacera un antidépresseur par un autre de mécanisme d’action différent même si un ISRS peut être plus effi cace qu’un autre ISRS. Il s’agit alors de changer un ISRS par un IRSNA ou bien un IRS-NA par un ISRS ou un alpha2bloquant voir un tricyclique. L’utilisation des IMAO irréversibles est souvent envisa-gée en dernière intention (en France souvent après les ECT), en raison de diffi cultés de maniement et du fait de leur faible disponibilité sur le marché.

POTENTIALISATION DE L’ACTION DE L’ANTIDÉPRESSEUR

C’est le renforcement des effets de l’antidépresseur initial, par l’ajout d’un médicament. Ce dernier peut être : le lithium (> 600 mg/j) (8), les hormones thyroïdiennes à

Conduite à tenir devant une dépression résistante

B. MILLET (1)

(1) Service hospitalo-universitaire de psychiatrie, 108, avenue du Général-Leclerc, 35011 Rennes cedex.

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des doses quotidiennes équivalentes à 25 à 50microg de T3, pendant deux à quatre semaines (9), de façon peut-être moins probante le pindolol ou la buspirone (1). Les antipsychotiques sont associés aux antidépresseurs dans les dépressions délirantes mais on pourrait aussi les utiliser dans les dépressions résistantes pour poten-tialiser l’effet des antidépresseurs. D’autres associations sont possibles, mais non validées scientifi quement : par exemple l’utilisation du tryptophane, des hormones œs-trogènes à faible dose (25mg/j) chez les femmes notam-ment dans la période péri-ménopausique.

L’association de deux antidépresseurs peut augmen-ter les taux plasmatiques, par exemple l’association de fl uoxétine à un tricyclique augmente les taux plasmati-ques de tricyclique d’un facteur de 4 à 11. Enfi n, l’asso-ciation d’un ISRS à un alpha2 bloquant (miansérine ou mirtazapine), peut optimiser l’effet antidépresseur (9).

PSYCHOTHÉRAPIE

La psychothérapie peut potentialiser l’effet des anti-dépresseurs. Mais les avis divergent quand au type de psychothérapie (de soutien, d’inspiration analytique, in-terpersonnelle, TCC) à mettre en place.

ALGORITHME PROPOSÉ

En première intention, la monothérapie est la règle. L’utilisation des ISRS, des IRSNA ou bien celle des al-pha2bloquants doit nous semble-t-il être privilégiée. L’absence de rémission conduit le clinicien à faire le choix soit de la substitution, soit de la potentialisation (voir ci-dessus). Plutôt que la potentialisation, une mo-nothérapie d’un antidépresseur plus classique de type tricyclique peut être également utilisée. Enfi n, il est pos-sible de tenter une potentialisation par les antipsychoti-ques ou par association des antidépresseurs qui n’est pas recommandée par le dernier rapport d’experts de la HAS. La sismothérapie doit être utilisée dans les dépres-sions résistantes au traitement antidépresseurs Sackeim ayant rapporté 50 % d’amélioration sous ECT, chez les patients déprimés réfractaires aux antidépresseurs.

De nombreuses recommandations ont déjà été pu-bliées. L’algorithme suivant peut être proposé (fi gure 1).

Des techniques d’électrostimulation telles que la sti-mulation magnétique transcrânienne, la stimulation du nerf vague et la stimulation cérébrale profonde sont en cours d’évaluation et devraient pouvoir s’intégrer bientôt dans les différents algorithmes proposés.

RÉFÉRENCES

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FIG. 1. – Algorithme

B. Millet L’Encéphale, 2007 ; 33 : 703-704, cahier 3