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Page 1: De l’amiante aux nanoparticules

Revue des Maladies Respiratoires Actualités (2013) 5, 211-215

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

ISSN 1877-1203

www.splf.org

Actualités

Maladies

RespiratoiresRevue

des

Organe Officiel de la Société de Pneumologie de Langue Française

Congrès de Pneumologie de Langue Française 2013

Lille, Grand PalaisNuméro coordonné par O. Sanchez

Plèvre pariétale

Plèvre viscérale

Poumon

Cavité pleurale

Numéro réalisé avec le soutien institutionnel de Novartis.

8334

3

JuinVol 5 2013 N° 3

Présidents : J.-F. Bernardin (Paris), B. Maitre (Paris) Orateur : P. Dumortier (Bruxelles)* Article rédigé par : G. Briend (Paris)

*Service de pneumologie, Laboratoire de minéralogie, Université libre de Bruxelles, hôpital ERASME 1070 Bruxelles, Belgique

RésuméLes particules présentes dans l’espace pleural passent par des pores connectés au système lymphatique sous-pleural de la plèvre pariétale et peuvent être piégées au niveau des pores et former des structures composées de bres, dont des bres longues et cancérigènes, de particules, de macrophages et de lymphocytes (« black spots »). Les nanoparticules, de découverte récente, connaissent un intérêt croissant lié à leur potentiel dans de nombreux domaines. Leur toxicité est liée à de multiples facteurs incluant leur forme. Néanmoins, l’association entre l’exposition aux nanoparticules et lésions pleurales chez l’homme reste encore à démontrer.© 2013 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

SummaryParticles in the pleural space are cleared through pores connected to the subpleural lymphatic system of the parietal pleura, can be trapped in these pores and form “black spots”, structures composed of bers, including carcinogenic long bers, particles, macrophages and lymphocytes.

MOTS-CLÉSAmiante ;Black spots ;Plèvre ;Nanoparticules ;Forme

KEYWORDSAsbestos;Black spots;Pleura;Nanoparticles;

SESSION A61 : LA CELLULE MÉSOTHÉLIALE ? CIBLE DE MALADIES PULMONAIRES

De l’amiante aux nanoparticules

From asbestos to nanoparticles

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Amiante et plèvre

Introduction

L’espace pleural (10 à 20 μm) contient une faible quantité de liquide pleural (0,2 à 0,5 ml/kg). Ce liquide pleural agit comme un lubri ant pour faciliter le glissement du poumon sur la paroi thoracique pendant les mouvements respiratoires. Il est principalement émis à partir de la plèvre pariétale (pression négative). Sa réabsorption est réalisée au niveau des pores de Wang et son drainage par les lymphatiques sous-pleuraux de la plèvre pariétale. Des valves empêchent le retour de ce uide dans la cavité pleurale [1]. Ces pores, d’un diamètre de 6 m, peuvent s’élargir en cas d’épanchement pleural pour améliorer la résorption du liquide [2,3]. La plèvre viscérale est le siège d’épaississements pleuraux diffus. L’espace pleural peut contenir des épanchements pleuraux bénins asbestosiques. La plèvre pariétale est quant à elle le siège des plaques pleurales et du mésothéliome malin. L’épaississement pleural diffus est une brose diffuse de la plèvre viscérale. Ce peut être une séquelle d’un épanchement pleural bénin asbestosique. L’épanchement pleural bénin asbestosique est un exsudat uni- ou bilatéral, récurrent, souvent sanglant. C’est l’un des diagnostics différentiels à évoquer devant un mésothéliome. On le retrouve dans les dix premières années après le début de l’exposition, souvent dans les expositions moyennes ou élevées.

Les plaques pleurales sont des zones circonscrites de brose dense de la plèvre pariétale, pouvant se calci er. Elles sont composées de tissu conjonctif (collagène) sans in ammation ni corps asbestosiques. Le mésothélium est

normal en surface. Il n’y a pas d’adhérences. Le glissement de la plèvre est normal. Il n’y a habituellement pas d’effet sur les volumes pulmonaires. Ces plaques pleurales sont sou-vent bilatérales et symétriques. Elles peuvent être associées à des expositions faibles et peuvent apparaître jusqu’à 10 ans après le début de l’exposition. Elles représentent de loin la manifestation la plus fréquente des expositions à l’amiante. À l’Hôpital Érasme, sur 200 autopsies consécutives, 14,5 % des patients étaient porteurs de plaques pleurales, principa-lement des hommes du fait de l’exposition professionnelle. La fréquence des plaques pleurales augmentait avec l’âge des patients. Il y avait une corrélation en fréquence et en caractéristiques des plaques pleurales ; puisqu’au-dessus de 1 000 corps asbestosiques par gramme de tissu sec dans le poumon, on retrouvait 70 à 80 % des patients avec des plaques pleurales caractéristiques.

Le mésothéliome, quant à lui, est une tumeur primitive maligne de la plèvre et du péritoine. Il est associé de façon spéci que à l’exposition à l’amiante (principalement aux amphiboles) dans plus de 80 % des cas. Il peut être induit par des expositions faibles (0,5 f/ml × année) et/ou inter-mittentes. Il n’y a pas d’in uence du tabagisme. Les latences peuvent être très longues, en moyenne de 35 à 40 ans après le début de l’exposition. L’incidence en bruit de fond est de 1 par million et, dans les pays industrialisés, de 15 à 30 par million avec une prédominance masculine.

Les amphiboles (crocidolite et amosite) sont plus cancérigènes que le chrysotile. Il existe d’autres bres responsables de mésothéliome chez l’animal (érionite et bres céramiques réfractaires). Les bres longues et nes sont plus cancérigènes selon l’« hypothèse de Stanton », les bres d’un diamètre inférieur à 0,25 μm et d’une longueur supérieure à 8 μm (Fig. 1).

Diameter[μm]

Length[μm]

125 25 5 10 20 40

100

Car

cino

geni

city

fact

or

80

60

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Comment la cellule mésothéliale, apparemment si éloignée des voies aériennes, peut-elle interagir avec les bres d’amiante et les particules inhalées ?

Les bres d’amiante, et d’autres particules, peuvent-elles migrer vers la plèvre pariétale ?

Dans les premiers travaux dans les années 1980, concernant la migration des bres d’amiante vers la plèvre pariétale, il n’y avait pas de corrélation entre la quantité de bres dans le poumon et l’atteinte pleurale. Les bres retrouvées, alors, étaient surtout des bres courtes (moins de 4 m) de chrysotile, moins cancérigènes [5].

Peut-on mettre en évidence des bres, et particulièrement des bres longues (hypothèse de Stanton et Pott), dans la plèvre pariétale ?

Dans les années 1990, les black spots sont découverts. Il s’agit de dépôts de particules dans la plèvre pariétale au sein desquels on peut mettre en évidence des concentrations importantes de bres longues (2 millions/gramme de tissu sec). En revanche, dans la plèvre normale, on ne retrouve quasiment pas de bre, expliquant les discordances des études précédentes [6].

Les bres d’amiante et les particules inhalées sont-elles associées aux lésions ?

Sur 150 autopsies, on a cartographié les black spots. Ils ont été retrouvés dans 93 % des autopsies. Ils se situent à la partie centrale du diaphragme, la partie axillaire du grill costal, et au niveau du rachis dorsal. Les plaques, elles, sont localisées à la partie centrale du diaphragme, mais il y a une discordance géographique pour la zone du grill costal [7] (Fig. 2).

Quelles sont les voies possibles de migration des particules des voies respiratoires à la plèvre ?

La première hypothèse avancée est une migration par une voie transpleurale [1]. Cependant, ce qui s’oppose à cette théorie est que la plèvre viscérale est un feuillet continu sans pore permettant aisément le passage de uide ou de particules.

La deuxième hypothèse serait la voie lymphatique [8]. Il y aurait une circulation des particules via le système lymphatique entre les voies respiratoires et la plèvre.

La troisième hypothèse, la plus probable, serait la voie systémique avec des particules retrouvées au niveau hépatique après inhalation [9]. Cette hypothèse a été con r-mée dans une étude de 2002, avec mise en évidence d’un passage de nanoparticules de carbone marquées inhalées avec une radioactivité obtenue dans le foie après quelques minutes [10]. Récemment, une autre étude a montré l’instillation de nanoparticules chez des rongeurs avec un passage de celles-ci vers la circulation sanguine au niveau des capillaires pulmonaires [11].

En situation normale, les particules seraient prises en charge au niveau de l’espace alvéolaire soit par les lym-phatiques pulmonaires, soit par les capillaires pulmonaires, puis seraient redistribuées et réabsorbées au niveau des lymphatiques sous-pleuraux (Fig. 3). En cas d’in ammation, on suppose que les particules pourraient passer la plèvre viscérale [12].

Comment se forment les black spots ?

Les particules présentes au niveau pleural seraient absorbées par les pores. Certaines seraient internalisées puis prises en charge par des macrophages et des lymphocytes provoquant une in ammation locale qui augmenterait l’internalisation. Les bres longues seraient bloquées au niveau des pores qui attireraient des macrophages relarguant des chimiokines in ammatoires au contact des cellules mésothéliales [13].

L’hypothèse alternative serait l’induction à distance (effet indirect) : les macrophages pulmonaires activés par les bres d’amiante peuvent produire des cytokines et des facteurs de croissance dans le poumon, qui seront ensuite relargués dans l’espace pleural. Des cellules mésothéliales ou in ammatoires activées pourraient passer la plèvre viscérale et migrer vers l’espace pleural.

Mais l’hypothèse de l’effet indirect pose deux questions :• Comment les charges faibles en bres au niveau pulmo-

naire, associées avec des expositions à faible dose, large-

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de la production industrielle en 2000. Cette production est en forte croissance. La production mondiale est de 3 500 tonnes/an. Cependant, rappelons que l’amiante, toujours exploitée dans certains pays, représente plus de 2 000 000 tonnes/an.

Les ouvriers dans la plupart des usines sont protégés. Ils travaillent en système semi-clos doté de systèmes de ltration HEPA. Ils portent des gants, des masques P3 et des lunettes de sécurité.

Les nanoparticules provoquent-elles des lésions pleurales ?Des cas d’épanchements pleuraux et de broses pul-

monaires ont été décrits chez 7 patients exposés pendant 13 mois à des nanoparticules [17]. Cependant, cette étude a été vivement contestée par un des experts mondiaux des nanoparticules [18].

Chez l’animal, il y a des études positives mais par des voies d’exposition non physiologique. Il n’y a pas eu de dosage de nanoparticules ou nano bres dans la plèvre pariétale après études en inhalation.

Chez l’homme, dans le cadre du mésothéliome, pathologie rare avec une latence longue, on manque de recul. Les cohortes sont trop peu nombreuses. Les niveaux d’exposition sont

vers l’espace pleural vont suivre les voies de résorption du liquide pleural qui passent par des pores connectés au système lymphatique sous-pleural de la plèvre pariétale.

Les particules et les bres peuvent être piégées et se concentrer au niveau de ces pores pour former des black spots.

Ces structures sont présentes dans la plèvre pariétale de quasiment tous les citadins. Elles contiennent des macrophages et des lymphocytes. On peut y retrouver des concentrations importantes de bres longues cancérigènes.

Nanoparticules et nano bres

C’est un domaine qui suscite beaucoup d’intérêt étant donné le nombre d’applications potentielles décrites. Le risque est dépendant du domaine d’utilisation de ces nanoparticules selon le sentiment d’un comité d’experts (niveau de preuve très faible) [14].

pariet. pleura visc. pleura

pleuralspacesyst. cap syst. cap

alveolar space

pulm. cap

pulm.lymphatic

parietallymphatic

Figure 3. Passage des particules du poumon à travers la plèvre viscérale en cas d’in ammation [12].

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[9] Liu YC, Tomashefski J Jr, McMahon JT, Petrelli M. Mineral-associated hepatic injury: a report of seven cases with X-ray microanalysis. Hum Pathol 1991;22:1120-7.

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[11] Shimada A, Kawamura N, Okajima M, Kaewamatawong T, Inoue H, Morita T. Translocation pathway of the intratracheally instilled ultra ne particles from the lung into the blood circu-lation in the mouse. Toxicol Pathol 2006;34:949-57.

[12] Miserocchi G, Sancini G, Mantegazza F, Chiappino G. Translo-cation pathways for inhaled asbestos bers. Environ Health 2008;7:4.

[13] Donaldson K, Murphy FA, Duf n R, Poland CA. Asbestos, car-bon nanotubes and the pleural mesothelium: a review of the hypothesis regarding the role of long bre retention in the parietal pleura, in ammation and mesothelioma. Part Fibre Toxicol 2010;7:5.

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[18] Brain JD, Kreyling W, Gehr P. To the editors: express concern about the recent paper by Song et al. Eur Respir J 2010;35:226-7.

Liens d’intérêts

P. Dumortier, G. Briend : intérêts en lien avec le manuscrit : aucun.

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[8] Taskinen E, Ahlamn K, Wükeri M. A current hypothesis of the lymphatic transport of inspired dust to the parietal pleura. Chest 1973;64:193-6.


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