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Page 1: Insensibilité congénitale à la douleur, étude clinique et neurophysiologique chez 3 sœurs marocaines

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Fait clinique

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Insensibilite congenitale a la douleur, etudeclinique et neurophysiologique chez 3 sœursmarocaines

Congenital insensitivity to pain: Clinical andneurophysiological study in three sisters of a Moroccan family

N. Kissania,*,b, H. Krratia,b, G. Alarconc, H. Belaaidid, R. Ouazzanid

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Recu le :6 aout 2012Accepte le :6 aout 2013Disponible en ligne2 octobre 2013

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a Laboratoire de neurosciences cliniques et experimentales, faculte de medecine, UCAM,BP 7010, 40000 Sidi Abbad, Marocb Departement de neurologie et neurophysiologie, hopital Ibn Tofail, 40080 Marrakech,Marocc Departement de neurophysiologie clinique, hopital King’s College, Denmark Hill SE5 9RS,London, Royaume-Unid Departement de neurologie, hopital des specialites, CHU Ibn Sina, quartier Souissi,10100 Rabat, Maroc

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

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SummaryCongenital insensitivity to pain is a rare hereditary sensory and

autonomic neuropathy (HSAN). This disorder is an autosomal reces-

sive condition: since 1996, mutations attributed to this entity have

been found in the neurotrophin tyrosine-kinase gene receptor on

chromosome 1. The authors report 3 cases of congenital insensitivity

to pain. In these 3 sisters of consanguineous parents, the clinical

investigation showed total absence of pain and temperature sensa-

tions with preservation of all other sensory modalities, mental

retardation, but in contrast to HSAN type IV, there was no anhidrosis.

The neurophysiological investigation revealed an isolated axonal

sensory polyneuropathy in the 3 patients. The clinical and neuro-

physiological investigations were normal in both parents and the

brother. The physiopathology of this entity is discussed. We suggest a

particular form of HSAN type IV with preservation of transpiration or

a new entity of congenital insensitivity to pain, which should be

analyzed genetically.

� 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

ResumeL’insensibilite congenitale a la douleur est une neuropathie sensitive

hereditaire rare de transmission autosomique recessive. Depuis

1996, plusieurs mutations ont ete identifiees, qui concernent le gene

de la neurotrophine tyrosine-kinase situe au niveau du chromosome

1. Nous rapportons les observations de cas d’insensibilite congeni-

tale a la douleur chez 3 sœurs issues d’un mariage consanguin de

premier degre. L’exploration clinique avait montre chez ces 3 enfants

une absence totale des sensations douloureuses et thermiques avec

une preservation de toutes les autres modalites sensitives, un retard

mental, mais contrairement aux autres neuropathies hereditaires

sensitives de type IV, il n’y avait pas d’anhidrose. L’etude neuro-

physiologique avait conclu a une polyneuropathie axonale sensitive

isolee dans les 3 cas. Chez le frere indemne et chez les parents,

l’exploration clinique et neurophysiologique etait normale. La phy-

siopathologie de cette entite et le cadre nosologique de ces 3 cas

d’insensibilite congenitale a la douleur sont discutes. S’agissait-il

d’une forme particuliere de la neuropathie hereditaire sensitive de

type IV avec preservation de la sudation ou bien s’agissait-il d’une

nouvelle entite d’insensibilite congenitale a la douleur qu’il faudrait

analyser sur le plan genetique ?

� 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

* Auteur correspondant.e-mail : [email protected]

0929-693X/$ - see front matter � 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2013.08.015 Archives de Pediatrie 2013;20:1219-1224

1. Introduction

L’insensibilite congenitale a la douleur avec anhidrose (ICDA)est une maladie hereditaire rare, decrite pour la premiere foisen 1912 par Swason chez des apparentes de sexe masculin [1].

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Seulement 32 cas ont ete decrits jusqu’en 1997 [2]. Cettemaladie semble due a une absence des axones demyeliniseset des axones faiblement myelinises des nerfs sensitifs peri-pheriques. Sa transmission est autosomique recessive etdepuis 1996, il a ete demontre que des mutations dans legene tyrosine-kinase du recepteur neurotrophine sont asso-ciees a l’ICDA [3]. Depuis, de nouvelles mutations ont eteidentifiees [4]. Les sujets atteints presentent une pertecomplete de sensations douloureuses a la stimulation noci-ceptive, souvent associee a d’autres anomalies congenitales,telle que l’anhidrose. La symptomatologie a ete decrite parTrush qui a introduit les criteres suivants [5] :� l’abolition des sensations douloureuses des la naissance ;� l’atteinte du corps entier ;� la conservation de toutes les autres modalites sensoriellesavec seulement une deficience minimale ;� l’absence des reflexes tendineux [5].Par la suite Daniel et al. ont souligne que les criteres majeursdu diagnostic de cette affection hereditaire recessive devaientetre limites a l’insensibilite a la douleur avec la perceptiontactile normale, l’anhidrose, la fievre recurrente inexpliquee,l’automutilation, le retard mental, l’hypotonie, des glandessudoripares histologiquement normales et des anomaliesautonomes variables [6].

2. Observations

Cette famille se composait de 4 freres et sœurs (IV 1–4) deparents marocains avec une consanguinite de premier degre(fig. 1). Les 3 sœurs (IV 2–4) etaient touchees depuis leurnaissance. Le cas IV-1, les parents (III 3 et 4) et des sujets III5 et III 6 ont ete examines et etaient normaux sur le planneurologique et electrophysiologique. Les autres sujetsencore en vie n’ont pas ete examines, mais avaient etedeclares normaux.

1 2

I

II 1 2 3 4

III 1 2 3 * 4 * 5 * 6 *

* * * *

IV 1(M.17 ans) 2 (H.12 ans) 3 (M.10 ans) 4(F. 6 ½ ans )

Figure 1. Arbre genealogique : * sujets examines.

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2.1. Observation no 1 : propositus (cas IV-2)Il s’agissait d’une jeune fille de 12 ans, nee de parents en bonnesante. Ses 2 jeunes sœurs presentaient les memes manifesta-tions cliniques, decrites dans les observations 3 et 4. Nee aterme, son poids a la naissance avait ete de 3,3 kg. Elle avait etehospitalisee pour une forte fievre recurrente (jusqu’a 39,5 8C).Son developpement psychomoteur est retarde. Elle avait mar-che a 2 ans et parle a 3 ans et demi. Depuis l’age de 14 mois, elleavait presente de facon repetitive des blessures aux pieds enmarchant pieds-nus, des automutilations et des blessures de lalangue et des mains qui n’avaient entraıne ni pleurs ou nichangement de comportement. Sa mere avait signale quedepuis la naissance, elle ne s’etait jamais plainte apres lestraumatismes. Cette petite fille avait developpe des ulcerationsplantaires bilaterales et recurrentes, dont la guerison avait duredans le temps. A l’age de 10 ans, elle avait presente uneosteomyelite recurrente du tibia droit et avait ete hospitaliseea plusieurs reprises. L’examen neurologique avait revele uneinsensibilite generalisee a la chaleur, a la douleur superficielle,viscerale et tactile. Les sensations communes et vibratoiresetaient normales. Les reflexes osteo-tendineux (ROT) etaientabsents au niveau de tous les membres et les reflexes corneensetaient normaux. Il n’y avait pas de dysfonctionnements auto-nomes evidents : la frequence cardiaque et la pression arterielleetaient normales et aucune asymetrie pupillaire n’etait obser-vee. Les stimulations algiques avaient revele l’absence totale dereponse, tandis que des degres de variabilite concernant laperception de la douleur et les parametres physiologiques(tachycardie, hypertension) etaient presents. Il existait unretard mental severe. Le test de Schirmer etait normal. Lesbilans inflammatoire, infectieux, hepatique et renal, y comprisle nombre de globules, l’azotemie et le taux d’acide urique, lesacides amines sanguins, et l’electrophorese des proteines seri-ques etaient normaux. Les radiographies des membres infe-rieurs etaient en faveur d’une osteomyelite chronique du tibiadroit, associees a une dysplasie severe des centres de l’epiphysetibiale fibulaire et femorale du membre inferieur gauche. Lesvitesses de conduction nerveuses motrices ont ete etudiees al’aide d’electrodes de surface bipolaires, et etaient normales, apart une chute de l’amplitude au niveau du nerf sciatiquepoplite interne droit. Les vitesses de conduction nerveusesensitives ont ete mesurees en utilisant des electrodes annu-laires, appliquees au niveau de la phalange distale et proximaledes index et de l’annulaire. Cet examen a montre une diminu-tion bilaterale marquee de l’amplitude au niveau du nerfmedian, du cubital et particulierement du sural. L’examenelectromyographique etait normal. Ces resultats suggeraientl’existence d’une polyneuropathie axonale sensitive avec pro-bablement une mono-axonopathie motrice (tableau I). La biop-sie cutanee a montre que la distribution et la structure desglandes sudoripares intradermiques etaient normales. Lesparents ont refuse l’etude genetique de meme que la biopsienerveuse.

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Nouveau sous-type de neuropathies hereditaires sensitives type IV

Tableau IResultats electroneurophysiologiques chez le propositus.

Nerfs Vitesse (m/s) Amplitude (mV)(Normale : 2,5 – 8 mV)

Latence (m/s) Latence desondes F (m/s)

Nerfs moteurs Nerf median droit 53,2 4,687 4 24,2Nerf ulnaire droit 58 3,984 2,2 22,3Nerf sciatique poplite externe droit 50 2,345 6,9 50Nerf sciatique poplite interne droit 45,9 0,898 5,4 42,2

Nerfs sensitifs Nerf median droit 49,3 0,976 (Normale : 6 – 14 mV) 2,84Nerf ulnaire droit 48,6 2,473 (Normale : 8 – 14 mV) 2,88Nerf sural droit 40,7 0,520 (Normale : 3,5 – 8 mV) 3,44Nerf radial droit 50 0,716 (Normale : 7 – 14 mV) 2,8Nerf median gauche 42,7 0,781 (Normale : 6 – 14 mV) 3,28Nerf ulnaire gauche 50 1,66 (Normale : 6 – 14 mV) 2,8

Reflexe HAu niveau du membre inferieur Membre inferieur droit : 26,5 m/s. (Normal : < 30 m/s)

2.2. Observation no 2 : cas IV-3Cette enfant agee de 10 ans etait nee a terme par un accou-chement normal. Elle souffrait d’episodes recurrents de fievreelevee depuis l’age de 2 ans. Son developpement psychomo-teur etait moderement retarde. Depuis l’age de 2 ans, ellesouffrait d’automutilations plantaires et digitales repeteessans signes de souffrance a la douleur. Un ulcere perforantetait apparu a repetition au niveau du pied droit, qui avaitgueri avec difficulte. Depuis l’age de 4 ans, elle presentait uneosteite recurrente de la phalange du pied droit en raison deses blessures plantaires. L’examen neurologique avait reveleune insensibilite generalisee a la douleur superficielle, visce-rale et thermique. Toutes les autres modalites sensitivesetaient conservees. Les ROT etaient absents au niveau desmembres inferieurs et diminues ailleurs. Le reflexe corneen, lerythme cardiaque, la pression arterielle et les autres princi-pales fonctions autonomes etaient normaux, mais le testintradermique a l’histamine n’avait pas ete essaye. Il existaitun retard mental modere. Le test de Schirmer et le test de lasueur etaient normaux. Les tests de laboratoire de routine(bilan inflammatoire, infectieux, hepatique et renal) etaientnormaux. Une radiographie du pied droit avait confirme uneosteite de la phalange. L’examen neurophysiologique avaitmontre une polyneuropathie axonale sensitive plus severeque chez le propositus, sans activite enregistrable. Les vitessesde conduction motrice et les ondes F etaient normales.

2.3. Observation no 3 : cas IV-4

Cette fille agee 6 ans et demi etait nee a terme d’un accou-chement normal. Elle avait presente a l’age de 2 ans et demi,un ulcere perforant du pied droit suite a une blessure plan-taire par un clou sans souffrir de la douleur. Cet ulcere s’etaitcomplique d’une osteite du pied droit, qui avait difficilementgueri apres 14 mois d’un traitement chirurgical et antibio-therapie. Depuis l’age de 3 ans, elle avait developpe des

automutilations repetitives des doigts et des episodes repetesde fievre elevee, probablement en raison d’infections recur-rentes. Le developpement psychomoteur etait moderementretarde. L’examen neurologique avait revele une insensibilitegeneralisee a la douleur superficielle, viscerale et thermique.Tous les autres modes de la sensibilite etaient normaux. LesROT etaient deprimes au niveau des 4 membres. Le reflexecorneen etait normal. Cette petite fille souffrait d’un retardmental modere, sans perturbations des fonctions autonomes.Le larmoiement et la transpiration etaient normaux. Les testsde laboratoire de routine (bilan inflammatoire, infectieux,hepatique et renal) etaient normaux. L’examen neurophysio-logique avait revele une polyneuropathie axonale sensitivemoderee impliquant en particulier le nerf median. La vitessede conduction sensitive se situait entre 51 et 40 m/s, lesamplitudes sensitives entre 2473 et 0,52 mV. Les vitesses deconduction motrice et les ondes F etaient normales.

3. Discussion

Ces 3 observations correspondent a une insensibilite conge-nitale a la douleur qui est une forme de neuropathie heredi-taire sensitive dysautonomique (HSAN) qui se transmet sur unmode autosomique recessif. Les principales caracteristiquescliniques sont l’insensibilite generalisee a la douleur des lanaissance et le retard mental. La transpiration semblait nor-male dans les 3 cas (transpiration normale en cas d’expositiona une forte chaleur) mais le test de la sueur, suggere parMauer et West [7], n’avait pu etre pratique.Les autres modalites sensitives etaient intactes. Les ROTetaient abolis ou diminues. Mise a part l’integrite de latranspiration, les traits etaient similaires a ceux retrouvesdans la HSAN de type IV, dont les criteres majeurs du diag-nostic ont ete detailles par Daniel et al. [6]. Dyck et Ohta ontactualise cette classification en subdivisant les HSAN en

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Tableau IIClassification de Dyck et Ohta modifiee, 1977.

HSAN Neuropathieradiculairesensitivenon progressive

Neuropathiesensitivecongenitale

Dysautonomiefamiliale

Neuropathiesensitivecongenitalesans anhidrose

ClassificationDyck et Ohta HSAN type I None HSAN type II HSAN type III HSAN type IVDebut Enfant Naissance Naissance Naissance Naissance

AdulteMode de transmission Dominant ? Recessif Recessif RecessifIntelligence Normale Normale Normale Retardee RetardeeTranspiration Normale Normale Normale Diminuee AbsenteGlandes sudoripares ? ? ? Normal NormalNerfs dermiques ? ? Reduit Normal NormalFievre inexpliquee ? ? ? Presente PresenteAutomutilations Presente Presente Presente Presente PresenteDistribution de l’insensibilite Distale Distale Distale ou

generaliseeGeneralisee Generalisee

Perception*Douleur (–) (–) (–) (–) (–)*Tactile (–) (–) (–) Presente

ou presentePresente

*Thermique (–) (–) (–) (–) (–)

Reflexes*Corneen ? ? ? Aboli Normal*Tendineux Aboli ? Aboli Aboli Normal ou aboli*Axonal Aboli ? Aboli Aboli Aboli

Nerf peripherique*Fibres myelinises Tres reduites Tres reduites Tres reduites Tres reduites

ou normalesPetites fibresreduitesou normales

*Fibres amyeliniques ? ? Reduites ounormales

Reduites ou normales Tres reduites

Gout ? ? ? Absent NormalHSAN : neuropathie hereditaire sensitive et dysautonomique ; (?) : inconnu ; (–) : absent.

5 sous-types (tableau II) [8]. Les caracteristiques cliniques deces divers types ne correspondent pas a celles de nos cas. Dansle type I, ces differences concernent le debut (tardif versus (vs)a la naissance), l’heredite (dominante vs recessive), l’intelli-gence (normale vs retard intellectuel), la distribution de ladeficience sensitive (distale vs generalisee) [9]. Le type IIpartage une symptomatologie commune avec notre cas, al’exception d’une intelligence normale et l’absence de per-ception tactile [10]. Un type III est peu probable vue l’absenced’atteinte œso-gastro-intestinale, l’absence de reflexes cor-neens et l’integrite de la transpiration [11]. Nos observationspartagent par contre certaines caracteristiques avec le type V :l’insensibilite generalisee a la douleur, la fievre, l’integritede la sensibilite tactile, et surtout l’absence d’anhidroseet la preservation du reflexe corneen. Il y a cependant2 differences : l’absence de ROT et la presence d’une neuropa-thie axonale sensitive [10]. Esteban-Garcia et al. ont rapporte2 cas particuliers de HSAN [12]. Un premier correspondait aune HSAN de type IV avec des dysfonctionnements auto-nomes importants, tels que l’anhidrose, l’hyperthermie, un

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defaut de la trophicite cutane-osseuse, et une arrierationmentale. Le second ne presentait que des alterations de ladouleur et de la sensibilite thermique. Dans les 2 cas, desulceres corneens chroniques et indolores etaient egalementpresents. Karkashan et al. ont etudie l’HSAN de type V chez5 patients saoudiens (3 hommes et 3 femmes), a partir de3 familles apparentees, descendant d’un grand-pere commun,ages de 10 mois a 23 ans [13]. Ils ont souligne la rarete de cetype et ont fait l’hypothese de sa transmission recessive.Seuls quelques auteurs ont rapporte des constatations elec-trophysiologiques concernant l’insensibilite congenitale a ladouleur. Trush a etudie sur 4 enfants de la meme famille chezqui les resultats cliniques etaient typiques. Ses conclusionselectrophysiologiques etaient opposees aux notres. En effet,les vitesses de conduction nerveuse sensitive etaient norma-les et les vitesses de conduction nerveuse motrices etaient a lalimite inferieure des valeurs normales [5]. Pavone et al. onteffectue un electromyogramme du muscle tibial anterieurgauche et une etude des vitesses de conduction sensitivomo-trice du nerf median gauche chez 2 freres ayant une HSAN de

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Nouveau sous-type de neuropathies hereditaires sensitives type IV

type IV ; tous les resultats etaient normaux [14]. Esteban-Garcia et al. ont ete les premiers a decrire l’anomalie dureflexe de clignement (BR) chez des sujets atteints d’insensi-bilite congenitale a la douleur, qui devrait etre liee a unedeficience sensitive du trijumeau ; dans les 2 cas, l’evaluationneurophysiologique du systeme neuromusculaire etait nor-male [12]. L’etude neurophysiologique detaillee de nos 3 casavait montre une polyneuropathie axonale sensitive severe,predominant dans les membres superieurs, en particulierdans les nerfs medians. Quant a la conduction nerveusemotrice et l’electromyographie elles etaient normales. En cequi concerne les osteo-arthropathies neuropathiques, fre-quemment rapportees chez les patients porteurs d’une insen-sibilite congenitale a la douleur ; les signes cliniques etradiologiques en etaient presents dans nos observations, enparticulier dans le cas index ; celui-ci souffrait d’une osteo-myelite recurrente du tibia droit et la dysplasie severe descentres de l’epiphyse du tibia gauche, du perone et du femur.Jones et al. ont illustre le spectre radiologique des osteo-arthropathies et ont detaille leur diverses causes, y comprisl’insensibilite congenitale a la douleur [15]. Ils ont etudie lesmoyens d’imagerie cles mettant l’accent sur les schemaspathologiques et les diagnostics differentiels. Ils ont souligneque l’osteo-arthropathie neuropathique axiale etait habituel-lement rencontree dans l’insensibilite congenitale a ladouleur.La biopsie cutanee montre des glandes sudoripares normalesen termes de distribution et de structure, mais l’architecturenormale des glandes sudoripares est moins importante, vuque le probleme de l’insensibilite congenitale a la douleuravec anhidrose est plutot lie a l’innervation de la glande [16].L’examen neuropathologique des nerfs n’a pas pu etre obtenuchez nos 3 patientes, les parents n’ayant pas donne deconsentement.Les constatations neuropathologiques dans la litterature rap-portent une diminution frequente du nombre de petites fibresmyelinisees et une diminution du nombre de fibres a myeli-nise dans tous les cas, comme en temoigne l’analyse ultra-structurale [1]. Trush a rapporte paradoxalement dans un cas,la presence abondante de fibres nerveuses amyeliniques, quidistingue clairement son patient des HSAN de type IV [5].Pavone et al., ont effectue une etude neuropathologiqueexhaustive de leurs 2 cas avec une variante de HSAN. Ilsont trouve dans les regions semi-minces transversales surle nerf sural une distribution normale des grands axonesmyelinises, une diminution du nombre de petits axonesmyelinises et l’absence d’axones amyeliniques.La physiopathologie de l’insensibilite congenitale a la douleurest debattue. Certains auteurs ont suggere que des mecanis-mes peripheriques et centraux pourraient etre impliques. Letraitement neonatal a la capsaıcine fournit un modele animalqui pourrait etre utile pour comprendre la physiopathologiede cette affection. Les injections de capsaıcine pendant laperiode neonatale chez des rongeurs sont associees a une

destruction permanente de 95 % des fibres amyeliniquesperipheriques et un appauvrissement important de la sub-stance P dans la moelle epiniere [17]. Une clarification a l’egardde la physiopathologie de la HSAN de type IV a ete apporteeen 1996 par Indo et al. Ces auteurs ont constate que les sourisinvalidees pour le gene codant pour la tyrosine-kinase A (TrkA),qui est un facteur de croissance nerveuse, partageaient lescaracteristiques phenotypiques de l’ICDA, y compris la pertedes reponses aux stimuli douloureux, meme si l’anhidrosen’etait pas apparente chez ces animaux. Ils ont donc considerele gene humain homologue de TrkA (Neutrophine Trk receptorde type 1 ou NTRK 1) comme un candidat pour l’ICDA. Ce genecode pour un recepteur tyrosine-kinase de haute affinite pourun facteur de croissance nerveuse qui joue un role importantdans la formation des neurones autonomes et les neuronessensoriels de petit calibre a travers leur domaine intracyto-plasmique tyrosine-kinase [3,4]. Depuis 1999, des mutationsde nombreuses TrkA ont ete trouvees dans de nombreuxgroupes ethniques differents [4]. Ces mutations correspon-dent aux HSAN de type I, II, III et IV ; pour la HSAN I, il a etedemontre qu’elle etait causee par une mutation dans le genede la serine-palmityl-transferase (SPTLC1) [18]. La HSAN III,egalement appelee dysautonomie familiale ou syndrome deRiley-Day, est causee par une mutation du complexe kinaseIkB associe au gene IKBKAP [19]. Des mutations ponctuellestouchant le gene du recepteur TRKA pour le facteur decroissance nerveuse ont ete identifiees dans l’HSAN IV, impli-quant les voies NGF/TRKA dans la pathogenese [3]. Et recem-ment, Einarsdottir et al. ont analyse genetiquement 3 famillesapparentees du nord de la Suede, qui correspondaient clini-quement a une HSAN V ; en utilisant un modele de trans-mission recessive, ils ont identifie une region sur lechromosome 1p11.2–p13.2 partagee par les personnes toucheesau sein de la meme famille. L’analyse de genes fonctionnelsdes candidats dans la region critique a revele une mutationdans la region codante pour le facteur beta-(NGFB) de lacroissance des nerfs, specifique du gene pour l’haplotypede la maladie [20].L’absence de traitement curatif explique l’importance de laprevention des traumatismes et de toute source de blessures,bien qu’elle puisse etre difficile chez de jeunes patients actifs.En dehors des conseils genetiques, il faut insister sur les soinsmeticuleux des pieds et des mains qui sont d’une grandevulnerabilite chez ces patients.

4. Conclusion

Nos observations, 3 soeurs issues de parents consanguins,presentaient un tableau clinique et electrophysiologique simi-laire a l’ICDA, mais sans anhidrose et avec une preservationdes glandes sudoripares sur le plan de la distribution et de lastructure. Ces elements sont en faveur d’une forme particu-liere de HSAN de type IV sans anhidrose, ou une nouvelle

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entite d’insensibilite congenitale a la douleur, qui devrait etreanalysee genetiquement independamment de la grande hete-rogeneite de la HSAN type IV ; il pourrait egalement s’agird’une expression legere du phenotype HSAN type V.

Declaration d’interets

Les auteurs declarent ne pas avoir de conflits d’interets enrelation avec cet article.

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