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La spirale des classes

sociales

Présentation réalisée par Pascal Binet à partir de la conclusion de l’article de Louis Chauvel

“Le retour des classes sociales”Revue de l’OFCE n°79

Octobre 2001

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La spirale des classes sociales

“la théorie de la fin des classes sociales s’est le plus souventfondée sur le constat de l’effondrement de la conscience declasses (ou de leur identité collective) pour en inférer ladisparition des inégalités objectives qui la sous-tend, alors queces deux dimensions sont sinon indépendantes l’une de l’autre,en tout cas liées d’une façon non mécanique. Une autre erreurmanifeste de la théorie de la fin des classes est de croire en lalinéarité de l’histoire sociale : parce qu’une tendance a été vraielors des Trente glorieuses, beaucoup pensent qu’elle doit seprolonger encore 30 ans après, au même rythme. Il s’agit làd’une des plus grandes sources d’erreurs dans les diagnosticssociologiques. L’histoire du XXe siècle est celle des fluctuationsrespectives de la facette objective (les inégalités structurées) etsubjective (les identités collectives) des classes sociales.”Louis Chauvel, page 39

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La spirale des classes sociales

Autrement dit, ce n’est pas parce que la conscience declasse disparaît que les inégalités objectives qui la faisaientexister ont elles aussi disparu.

Ce n’est pas non plus parce que la conscience declasse s’est amoindrie au cours des trente glorieusesqu’elle va finir par disparaître.

Louis Chauvel voit plutôt les évolutions conjointes desinégalités et de la conscience de classe comme unespirale :“L’histoire du XXe siècle est celle des fluctuationsrespectives de la facette objective (les inégalitésstructurées) et subjective (les identités collectives) desclasses sociales.”

Voyons la représentation qu’il en fait.

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La spirale des classes sociales

On peut représenter horizontalementl’intensité des inégalités

et verticalement celle des identités collectives, c’est-à-dire de la conscience de classe.

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La spirale des classes sociales

Plusune société se trouve à droite,

plus elle correspond à une

structure inégalitaire,

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et plus elle est en haut, plus elle correspond à une forte identité collective des classes sociales.

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La spirale des classes sociales

Directionnellement, nous avons ainsi quatretypes repérables.

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La spirale des classes sociales

1/ En haut à droite, nous avons une situation marquée par des inégalités fortes, mobilisées par une conscience de classe marquée : on est en présence d’un système de classes « en soi et pour soi ».

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2/ En haut à gauche, les inégalités sont faibles, mais la conscience de classe forte ; on peut faire l’hypothèse que cette situation ne peut se constituer sans une histoire préalable de revendications abouties.

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3/ En bas à droite, c’est la situation inverse, où les inégalités font exister des conditions de classes fortement opposées, sans que la conscience de ces classesn’existe ; il s’agit typiquement d’une situation d’aliénation du prolétariat.

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4/ En bas à gauche, il s’agit plutôt (directionnellement et à la limite) de la situation d’une société sans classe : sans inégalité ni identité.

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Conscience

de

classe

+

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Inégalités

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La situation de classes enlutte (1) est conflictuelle et confronte au risque d’une conflagration sociale,

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Conscience

de

classe

+

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Inégalités

+_

sauf à trouver une autre issue négociée avec la diminution des inégalités économiques (2).

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Conscience

de

classe

+

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Inégalités

+_

A partir de la position (1), l’issue (4) par la perte de la conscience de classe ne paraît pas très vraisemblable, puisque, face à des inégalités intolérables, les identités de classe doivent en toute logique sereconstituer — mais la question est bien celle-ci : comment les sociétésinégalitaires arrivent-elles à tolérer leurs inégalités ?

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Conscience

de

classe

+

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Inégalités

+_

L’égalisation des conditions objectives qui caractérise le passage de (1) à (2) est de nature à dissoudre la conscience de classe et à amoindrir la force des identités qui s’étaient constituées à des stades antérieurs del’histoire sociale, d’où un passage ultérieur à la position (3) ;

(1)(2)

(3)

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Conscience

de

classe

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Inégalités

+_

À ce moment de l’histoire sociale, les élites sont tentées de reconstituer les inégalités qui leur sont favorables, en insistant notamment sur l’inefficacité des dépenses publiques, la désincitation que provoque l’impôt et la protection sociale, par ailleurs fort coûteuse… La faible conscience de classe aidant, les inégalités se reconstituent.

(3) (4)

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Conscience

de

classe

+

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Inégalités

+_

Cette configuration n’est pas non plus un point d’arrivée ultime : les victimes du nouveau partage sont appelées tôt ou tard à prendre conscience de l’injustice du sort qui leur est fait.

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Louis Chauvel montre ensuite commentcette spirale des classes sociales s’estproduite en France et aux États-unis. Nousnous concentrerons sur le cas de laFrance, avant de laisser l’auteur conclurepar un peu de prospective.

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Conscience

de

classe

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Inégalités

+_

Il est possible de partir du cas de la France préindustrielle de 1830, marquée par des inégalités économiques très fortes, mais où l’identité du prolétariat est encore loin d’être constituée.

1830

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Conscience

de

classe

+

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Inégalités

+_

1830

1890

La suite du siècle fut bien la montée en puissance de cette identité ouvrière et l’entrée dans le jeu politique du marxisme.

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Conscience

de

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Inégalités

+_

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1890

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A partir des Trente glorieuses et de l’édification d’un système social-démocrate,

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Conscience

de

classe

+

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Inégalités

+_

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1950

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…les inégalités ont été fortement régulées, sans que la conscience de classe ne se soit dissoute pour autant.

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Conscience

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+

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Inégalités

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1890

1950

1970

1982

En définitive, il faut attendre le ralentissement économique des années 1970 et 1980 pour voir s’atténuer la conscience de classe, alors que les inégalités ont cessé de diminuer.

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Conscience

de

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1970

1982

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et le discours inverse marque des points dans le débat public. La reconstitution d’inégalités plus fortes est alors en route.

Comme Ulysse et les siens repris par la tempête devant Ithaque, c’est là que s’éloigne le rêve de la société sans classes, parce que le discours égalitariste perd de ses soutiens,

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Conscience

de

classe

+

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Inégalités

+_

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2000

Louis Chauvel ne donne pas d’explication concernant les “esses” situées entre la situation de 1982 et celle de 2000. On peut cependant penser qu’il s’agit des évolutions des inégalités liées aux alternances politiques de 1986, 1988, 1993, 1997 ayant entraîné des modifications fiscales (CSG, CRDS, impôt sur la fortune, baisse de l’impôt sur le revenu, prime à l’emploi…), dans un contexte d’accroissement de la précarité de l’emploi, et d’un “tassement” continu de la conscience de classe.

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L’histoire nous apprend que les générations suivantesont souvent en horreur les manquements, les errements, lesréalisations et le bilan des générations précédentes, etl’individualisme atomisé — la parodie de systèmed’autonomie et de liberté dans laquelle vit la classe populairedes grands pays occidentaux — pourrait finir par se révélersous son vrai jour : l’élément de dyssocialisation par lequelles inégalités se reconstituent sans que l’on ait à demanderla justification de cette croissance des inégalités. Leproblème est que la vénération de l’autonomie appelle à undiagnostic sur les libertés réelles dont jouissent effectivementles différents groupes constitutifs de la population.

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Ce diagnostic montre que beaucoup sont exclus de cetaccès à l’autonomie réelle, et que cette exclusion a quelquechose à voir avec la notion de classes sociales. Lorsque lemythe de cette autonomie pour tous aura vécu, pour révéler lapermanence d’inégalités structurées, d’autant plus violentesqu’elles sont situées hors du champ de la conscience, unretour des classes sociales dans le champ politique pourraitavoir lieu. En attendant, les classes sociales sont une réalitétangible, mais vidées par l’histoire récente de contenusubjectif, et posée hors des représentations collectives.

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La spirale des classes sociales

Les rapports sociaux les plus violents sont souvent les

plus silencieux, ceux devant lesquels il n’existe pas de

représentations constituées ni de discours organisés. Les

tendances des Trente glorieuses ont fait des classes sociales

un objet sociologique dépassé, mais ces dernières décennies

semblent leur redonner un contenu et des contours plus

stables. Après une période de purgatoire, des objets

démodés peuvent retrouver une jeunesse inattendue, ce dont

nous pourrons juger dans quelques années.

Louis Chauvel

“Le retour des classes sociales”Revue de l’OFCE n°79

Octobre 2001