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Ongles manuscrits

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Eric Bertomeu

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Ce matin j’ai repris la route. L’incertitude est repassée et a repris ses droits dans mes desseins d’enfantement. Et comme elle s’en était allée en défaisant secrètement son écheveau de liens elle a retissé du même poison épuré sa place d’unique compagne. J’ai salué ceux qui m’entourent, les ai rassurés. Les quelques bagages préparés, mis en forme depuis ces dernières années, s’étalent au bas de l’escalier devant la porte d’entrée. Je sens le poids de mon portefeuille battre sur le muscle gorgé de mon cœur. Les photos, mes bouts de papier colorés comme dit Galatée,suffiront-ils à me rappeler que j’ai aussi aimé ceux là même qui me dévisagent là, sur le perron, comme pour me protéger encore une fois ? …

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Les taxis de départ ont le parfum âcre de la fumée de l’opium et les halètements respiratoires profondément retenus, comme pour ceux qui jouent à mourir, saturent de l’ivresse extatique ce que l’on n’identifie plus vraiment comme son corps. C’est de l’ordre de la connaissance initiatique de ceux qui partent.Accouchement naturel de l’autre si charnellement semblable sur la banquette arrière de ce murmure mécanique qui rature d’un coup de cutter indolore la mémoire de la cité privée délaissée déjà à demi-passée dans l’obscurité de l’éloignement en mouvement. Sentiments intouchables d’avoir rejoint le corps.

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Sous l'aile de l'avion roule la piste brune. Les marques blanches de la voie cousent le galon lumineux qui m'écarte de cette terre. J'ai perdu l’œil de notre mer. On bascule dans l'air inconstant et ne vois plus qu'un ciel bleu sans on-dit pas plus grand qu'un hublot de cabane d'enfant chancelante sous les rafales du mistral qui encore joue simplement à rabattre vers le sol du monde confondu par son absence toujours définitive ceux qui, comme moi, se sont confiés sans repentir aux passages sans fin.J'ai feint d'oublier mes bagages dans le taxi et n'ai gardé que 'Vents' et cette cartouche de cigarettes anglaises aux arômes de virginie. J'ouvre le cube d'où filtre la magie du retour sur soi, du plaisir solitaire, en extrais un boite de métal peinte en rouge que je décachette tendrement, prends une belle roulée tout en lisant sur le capot ouvert du paquet de fer blanc les lettres d'or de la réflexion nicotine :‘When only the best will do…'. Adieu Perse ! Ta place restera au banc de cette embarcation comme le mistral demeure dans sonécrin sourd de calcaire.

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Les côtes d’Afrique surgissent d’un suaire de bave de dormeur, Assoupi ou plongé dans la spirale intérieure, les yeux descendus dans le bleu trop bleu et la mer survolée…

Nous naviguions nord-est et suivions les côtes comme aimants éblouis suivent les promesses ressassées de la terre jaune coupée net, tronquée, rompue en quartiers inégaux sur le damier d’azur tigré d’ivoire d’un exil de fixité…

A l’autre bout du regard les ailes virent au midi pour se poster dans l’axe des fanaux de la vie à mourir, celle qui fuit vers ses ailleurs probables mais non promis, ce que Galatée dans sa tendresse mélancolique exprimait comme les nébuleuses de l’âme. La terre a été renversée sur des reliques de la mémoire impersonnelle et remonte vers son ciel dépassionné ; trouble à jamais la dalle des étoiles de strass de sa voussure …

Un trou d’air sur Maison Blanche… Tout devient nu sous le train sorti de l’avion… La romance illusoire du retour siffle sur le goudron d’Al Djezaïr.

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A qui de crier " Terre ! Terre ! " ?

Une échelle seule soutient le dessus de l'acide parfum des cyprès et nos pieds se laissent précipiter dans l'aluminium des marches à descendre, la crainte du retour sur le limon dénué d'une vie collective échouée, le passé du sang, de la peur et de la haine se ravive sur les restes d'une espérance héréditaire et languie. Je contemple l'ultime borne orientale du grand Al Andalous inventé de Tarragone à Alger par sa plus haute respiration de terre, de ciel et de sel, celui que j'ai connu de chair puisqu'il m'a enfanté, moi et tous les miens,comme un monde à méditer dans le silence d'un flux et cette attente hébétée de l'ultime refluxtout comme le sein de son propre soleil de vaine compassionl'empreinte luminescente de son nom.

Boabdil, le roi peureux, ce soir est mon frère au premier rangnon par son infamie mais par les larmes qui coulent sur nos mots.

Ay ! De mi Alahama !

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Intermezzo

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[ &(comme s’il avait plu.. )

enclos vibratoires sillets du mutisme clefs d’accords argentins de la tension outrée à l'eurythmie et arabesques nacrées de pourpres et sangs mêlés ressac de terre drossée poudrins salés la roche de l’encre sècheau-dessous et enverspoint et faîte des assonances et gravières de mondes régurgités rives de pluie bruits exclusivement bruits d’emphases anharmoniquesinfamantes fictions récursives et convenues de troubles langés d’homicides

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&(esquisse autour de muses)

entonnoir

fresques et reins goulustrompe l'œilpurgatoire de visages et de femmes corps en plumes perchés sur guets pointes de breuilsforêts et sous-bois équipages de nos musesnos trianglesbruissements des baccarats soie de frissons et chairsexquises bercées somnolences et digressions farouchessomnolences et exordescoin de toile dépecée au fléau de balances'assurer de la cibles'assurer de suer ligne de dos choyéedes sphères souterraines le timbre de la vie

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(détour)

ongles manuscrits vases d’un sillon de voixle verbe ne dira pas plus la marne de ce que l’on a vureproduire accommoder l’accroissement du vacant

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( l’encre trainée )

nécropole cryptes carrés longs aboutés sombre claveaucourtes bouches ordonnées bienheureuse cathédrale des entraillesla terre de soi est la langue d’aprèssa verticalité ciel des sanguines écarté dans son voile et le saut de perche au dessus du taureaula trace ne connait que le sol l’épée son sang la cape la bave du feuc’est un tracteur qui sortira viel homme de l’arène maculée l’encre trainée de charogne

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(pourtant)

psyché des Ménines le maître et l'embrasureaposentadornoire vêturetroisième clarté ce verso de toile midi d'ascension indiciblechronique sans anecdoteboîte franche tous font contourils sont dedansles yeux du centre dehors le peintre oblige la connivencepetite infante blonde

pourtant

Mari-Barbola les deux duègnes Les guardadamasNicolassito le pied mobilité seule et funambulele dos du molosse les paupières closes dévouéespalette de bois marquée pinceau d'humilité radieuse et ordre de Saint Jacquesla pose mi-chemin absolu tempo du regard regardéspectateur et imageDiego et Velázquez

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la meule que l’on pousse à brasla poudre d’osles tombereaux amassés sur le pontquelques cordes pendantes au garde-corpset l’on broie dans la cage de ferÈve flatte le dragonfanaux embrasés comme flambeaux d’anathèmeséclaircissent la hausse des visionsle particulier résiste si mal à l’achevé

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des morts et des ports

Méditerranée sans rivage continent échappé de ses ports*

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Jardin des troènes les cyprès taillés haut, élagués effluences de résine onguents citronnés pris aux mains presser et serrer à fleur de doigtrouler entre phalanges feuilles vertes frises de chevrons égrappés un essor d'exhalaisons capiteuses ivresse du furtif univers mêlés

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les pas traînent : ça boitillela suite ne joue pasridicules’affoler pourquoi

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arrivée la douane la police le français vous ne parlez pas françaisnon ne dois pasl’étudiant dit de tout dire par-dessus l’épaule des mots suintentse faire étrangersuis étrangerhistoire de la haine histoires d’hommesça fait si longtempsmon nom disparuabsorbé

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la cloque du tempsemballage

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& les pas enflent sous semelles d’alpha la place des cars les arcadesAbdel prince chevalierLe glaive tournoie au dessus de l’alezan cabré pas de vent pas d’air terrasses de l’été du jeûnehommes kaki rafle de jour la foule disperséela matraque rase le rayon du témoins’affoler pourquoi20 mètres au moins d’un trottoir à l’autreles sirènes s’en vont avec une proiede quel côté porter la peur

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mouches irisées sucent un sang de saignéeyeux du moutonlarmes tétéesle barbier cautérise ses lignes de nuque au journall’homme rasé en bleu de Chine se lève et se touche la poitrinela chaise de l’étal du boucher est vacanteles côtes noircies de l’agneausur un carton au solla partLe boulevard les cinq portes les escaliers les marches plates nivelées de déchetsrat gris noir mauvais œil calamistré arrogant au pas yeux à yeux la traîne glabre la suite ne rit pas

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les sauterelles aussi débarquées là par le Simoun la clocharde récolte des cartons dans le terrain en frichecelui qui ne sera pas construitaphasique après-midi de sieste anesthésiele soleil violoniste joue fenêtres jettent centimesle chiffonnier trie avec son crochet s’affoler pourquoile vitrier passe désormais tous les jours

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hôtel Albert 1er jeux méditerranéens une chambre peignoir salle de bain à l'étage pas de placeles jeuxascenseur en panne quatrième dernier étageescalier colonial carré à retours égaux marches de marbre longues blanc-veiné sous l'usure justelongues jambes fines chevilles tendons de grâce salières ovées courroie de peau noire lâchée au dessus du pied inquiet vulnérable un léger mouvement latéral accompagne un corps de cuivre déliéles cheveux volent l'auréole de tête un jaillissement arrière des yeux animent le semblanten face la grand'poste coupoles le front de mer est derrièrel'horloge florale peut être à l'estla maison au sud nécessairement les hauteursde quel côté cette peur

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nuit de lune tribune verteet les citrons de miel de Lorcanomades pèlerinsmain à deux pouces symétrie de l’absurde principe délivrée de parole libérant son silencela braise de cigarette encens d’oraison et le garde-fou corrodé et l’émanation consanguine et la transe utérine ciel d’offrandes de la terrecheminer les rendez-vous ne s’attardent pas

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“ ALGER, appelée par les Arabes El Djezaïr, capitale de l'ancienne régence, est bâtie en amphithéâtre sur la côte septentrionale d'Afrique, et sur le versant d'un petit contrefort de 118 mètres d'élévation, faisant partie du mont Boujarin, qui la commande à cause de sa hauteur verticale de 150 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle a la forme d'un triangle, dont le plus grand côté lui sert de base et s'appuie sur le rivage de la Méditerranée.Cette ville, entourée de murs flanqués de tours, a cinq portes : celle de la Marine ; au sud de celle-ci est la porte de la Pêcherie, à côté de laquelle est le chantier de construction ;au sud de cette dernière est la porte de Bab Azoun; au sud-ouest de la ville, la porte Neuve, qui conduit sur la colline du fort l'Empereur. ”

(Singulièrement le guide ne nomme que quatre portes ! Pourtant il prend bien soin d’en inventorier cinq… les pas traînent : l’évocation boitille)

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rue de la Marine impasse du levantplatanes feuillages crible insistant tenace brouhaha étourneaux couchant maltaisles jambes circulent bras de compas nonchalants jupons blancs brise de mer les regards d'huile gangues humides de kohol un homme la sortie du souterrain piétonnierboulevards des facs tunnel entraîner un bar biographie aniséeexclusion politique sens d'autres se lancent frappent on bat un animal expulse l'unique double-battant le trottoir à genoux les mains dans la têteamère bière fiel de bœufpolitique et policetout justifiergradation du mensonge tortures chalumeau mes pères médailleshérédité du mensongemimétisme du mensongeencore un verre un beignet

la pâte plate le beignet comme fouet pirouetté dans ses tumescences dorées papier graisseuxfleur d'oranger en bout de langue le quaialler maintenant

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ce qui a été dittotem cinémales casquettes envolées les cintres plus hauts que le balcon uppercut de ClayAli le plus grand Mohamed frère en éternitéM’sieur une cigaretteégarer ne rien retrouverMéditerranée sans rivage continent échappé par ses portsce qui ne peut plus être ditle nom de la terreau nom de la terre

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suer dans la lacune converser dans les silences à quart de tonchaque temps ses exhortationsprière des morts

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longues rampes rue Rovigole moco spectre de celluloïd rayons dyadiques lin gris sorti du pli hachures rayures bande son hantée apocryphemort pacotilles parentagematraquage ce qu’ont dit les autrescantines de larmes tragédie celui qui a crul’homme la mer ex-voto Notre Dame d’Afriquedire que les bateaux reviennentou périssent en paix le nom de terrehomme de terremer dépouille du visibleles caravanes se dévoilent aux sommets des dunes dans l’œil d’enfant seull’eau est là géométrique somnambule primordialemesurer peser dans l’œillère carrée étalon arpenteur et les longues chevauchées de sables tandis que se tait pour s’abreuver

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exhortationsprière des morts

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" Les rues sont étroites et tortueuses, excepté celle qui va du faubourg Bab-Azoun à celui de Bab el-Oued, qui est une des plus larges, et où se tiennent les marchés. "

la porte de l'oued déposée sous lampions décroissants humide tiédeurvieux en sarouel crème veste noire chéchia et canne de roseau le moka fumet torréfié d'écumes humecté et acidulé le sucre de pain cassé pierres taillées le stuc délabré esprit du sort partout par les aboutements gravures miniatures de destin à pleines paumes tenduesparoles de henné verbe de gorgerose de sable et intérieur formicaun gecko sable séché de paille jugulé par son passement rose sacréinutiles dunes de richesse tape-à-l'œil charnier de jeunessetrois épineux disparition de sang originelles djinns les djinnsla raison des incantations de doigtse protégerde l'aube à l'aubeBab-El-Oued haut-parleurs et palabres torrent marché de ce qu’il reste à partager chants de prêtre langue sacerdotale un président laisse résonner ses harangues pesantes la ville frémit histoire des mythes histoires des hommesla ville désarroi indifférence la ville est vide de dissimulation nuenaître à mourircomme ailleursouvrage sans terme ennuyeuse candeur

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charpente cèdres et vents peur au bûcher d’innocence embrasement de peauxles rues s’allongent comme branches de compasjupons blanc fraîcheurs jasmin noué et bergamote cornes de gazellessous la salive s’effrite au palais charge la langue volupté de sucre brut brûle avec complaisance et savon de Marseille saveur douce d’un lait maternel d’Alger Tizi-Houzou de Taormina l’Etnacorps visagesdominos d’indifférence lunaireyaouled ! yaouled ! un geste cuillère sans appel le cuirassé maquette RICHELIEU pris sous le jet d’eau ! tu cours traverses le bassin prends le bateau du petit en pantalonsyeux soumis nobles brun brûlant ta pièce d’aluminium noircie ta vieles lampadaires explosent les uns après les autres des chaussures sur le boulevardle souffle arrachant d’une mainla main la courseplatanes flashés saccades d’artificepièces de métal tintent le pavé grêlons d’acier roulent dans les caniveauxricochetssilence d’avant moineauxc’est soirmon frère devra naître

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puisCharybde et ScyllaZancleMadonna del Porto Messinevos et ipsam civitatem benedicimus l’espadon cingle la route arquée du ferryRoland battra le fer en bout de cordelettesthéâtre marionnettesle maure ne le tue pas suffisammentla poussière l’olifantle rideau se baisse croise ses pans écarlatesles strapontins se dressent droits affairés fuite des derniers petits cliquetis d’armureschœur clappementshors champhistoire des peurs histoires d’hommes

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et c’est ainsi de Messine à Palermelocation fiat blanche route de crête rivage falaises pans effondrés remblais enlevés pont de métal peint orange vietato chaussée de madriers passage au vide sur précipice interstices déclinent un vertige première vitesse les poutres s’affaissent les unes après les autres résistent se relaie au volant depuis huit heures déjà Silvio dort sur la banquette arrière l’amulette rouge du rétroviseur balance devant l’œil fou d’un présent isolé sortie du carcan de métal suspendu placebo de calvaire sans station les yeux lâchés sur parme lavé du lever rien n’irradie encore ni le chrome plaqué des limites aspirées contractées pliées dans une veille possédée jusqu’à la brûlure ni l’intention de la course sans reposmaisons chantiers inachevés barres d’acier lancées palmes d’azur auto parées de rouille la vie un rêve de métal halluciné chaînes d’ordre des usines de Torino femmes en deuil sur l’image de l’expatrié temporiser rien ne cille toile de peintre l’anse des pêcheurs de sardines trattoria d’hommes en loques bleu de gris litières de carton têtes de poissons au mitant on dort on vit on vend on boit du valpolicella aigre du marsala aux amandes jours de pension plus de femmes chaussures inlassables pieds enflés centres de canettes et paquets de cigarettes vidés écrasés épars le ciel enfin étalé dans la braise pressante de l’acide pourrissement et relents les sardiniers sont à quai désarmés dans leurs parures marines de suintements irisés

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cordescordes de bronze pincées table d'harmonie brune marquetée d'os reliques contrainte d'éclats majeurs paroles étouffées et relâche de la basse l'arpège divin demeure Palerme se joue et mélancolie plaintes pleureuses d'un chuchotement de l'Adjal sortilèges du luth de l'Hadji romancero de l'Andalou youyous terrasses d'âmes blanches de casbah le violon du Rom vibratos débordants de fausses pluies Palerme joue en majesté de l’opérette tragédie ni rires ni pleurs des gémissements agonie baroque ferment rétif de possession la guitare est pendue là sur mur de temple déserté son obscurité et personne ne s'en saisit la tarentelle est récital de jappements de charrettes à pneus les mulets tirent le harnais de l'histoire

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flambeaux chancelants passage des conservés aller fuir par les radeaux de vie fifre et derbouka déportent foules de migrants l’orient se reçoit se couche sous les eaux lentes et voix de traînel’amulette glissée dans les bandelettes du corps racorni le fera-t-il passager capitaineserviteur princeDieunous encore

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porte nasillarde clochettes store capsules de soda faussets fer lactescent tintinnabulent l'instrument derrière le comptoir notifie division du regret rayon d'un biais fragmenté du passage yeux clignent brillances et recèles litanies cuivres tambours et grosse caisse cymbales procession calicots draps brodés fils d'or et d'argent bordure houppettée hautes portées dentelles blanches fines sur lin noir fanfare le Saint en habit chaise de grâce étoilée radiante et triangle de bois bonnets rouges ondulation alanguie cortège rouges bonnets carrés bréviaires baguenaudiers l'air est ici ailleurs l'air avoir l'air canicule sueur et soutanes et frottis de crottins de carnes chevaux caparaçonnés en autorité la fête votive inhumation fête du cadavrefunérailles de gésine cloques de temps déballés

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poutrelles acier effritéescâbles de fer aux nimbes matineuses sur le Dourovidoirs et strates cartonnées quais gras de Porto bout de chaîne des sucs sénescents du continent compriméparoi atlantique collée à ses indesl'or de la route s'est distillé dans l'envasement des bassins royauximpériauxVila Nova de Gaiale possible ne surprend plus le nécessairepont Dom Luisbâche d'ombre de temps corrodé surface des eaux saumâtres les mulets ouïes au ras de riséeet le souffle ardent larmes de froid d'hiver de la passion mélancolieles grappes de sang de cette terre de divinités ardentes démentes et ivrescoulent là les stigmates de sa fange indueacuité gelée dans l'alcool de valléepeut-être qu'un vin vert décollerait le motcelui du rêve d'hommesempiternel fado les dernières nouvelles d'Angola ne cessent toujours pas de passer

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la Santa Maria et sur les talons de J.Genet de C.Bressoncarrelages muraux femmes aux larmes puînéesgrasses de lait à la nuit du néon ce bleu de rimmellarmes de Pâques dans le gant blanc d'un dernier communiantpapier cellophane fruits confits arc-en-cielsous l'œil Tibidabo celui du Montjuichles vitrines et les pas bondés des portesse montrent sur la casse des lettres à taireles ventres de chine ibérique aux enchèreset l'un d'un clic et l'autre sa survie christiquecrispent la rosée des ténèbres dans la main grise de celuide celle qui demande etmagazines ramblas tickets de loterie de lotoa pasear une celtas dans le becles proies de plumes se lavent sous la pluiele fard des caniveaux se ramasse dans le bondrien ne dit s'il est donné de se voir sauterni si la barque du pêcheur rejoindra son anneau

mort tu as navré

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passe étroite Saint Pierre des Embiez surgi là et non du gué caboteur rouge de l’américain hauts pieux de prièrestoueurs d’âmes en bobines filets de livres son fond de cale et globes rotatifs d’ondes percées d’apparences de la passerelle la moisson présomptive ignition du bûcher des naufrageursabysses d’effondrement au centre du signe jaugées carnets recoins de scènes et épîtres consultent les dissonances dans les frictions du ciel et de la mercomme un peintre le sang des thons immolés dans l’interligne sans termele trident des entrailles à marauder la moelle de sa gamète de sablepasse étroite mais non de gué

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inorganiques incandescences arc d’ébène verteiambes mercure scories abstruseslave phyllade arche d’illuminationsle souffre le sel l’eaumiscellanées recommencées de frises en macrocosmesà la première mereffrois et souffles de terre vide et êtrede Taormina à AgrigenteThe tower living theatre Etna litanie d’incréé chant de peurEtna

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autoroute lancée et levant épuré d’oxydes d'aubemarques grincées dans un cliché de vitesse le vignoble cerclé d’Aleph relève ses longues ailes apposéesau pied de la montagne pelée quadrilatères deltas inégaux à plat dallésd’huile consacrée à l’ascèse bâtisseusediagramme d’aspirations nouvelles de couleurs et de formesde l’olivâtre au terreux sous meulière de calcaireSainte Victoire marche perdue dans le vent de nordarrière boutique d’un décor de thermes de Sextiusfinir ou commencer ce n’est pas ce que l’on peut attribuer à un point isoléle blanc fuse dans son bleu comme une colonne tronquée

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Marseille Prado à la Jolietteles Catalansdes Capucins la vielle Charitéde Saint Victor à l'Estaquel'expiration du groin bouffi du Rhône balaie si souvent pour s'entendre conter les mirages saccagés d'Afrique accablée espoirs de rythmes à vivre sous paroles de fausses monnaiespar les cargos de bananes vertes de bananes vertes de bananes vertes les docks à mûrir les containers épars rap des compagnies américaines cigarettes sous le manteauraï de poudres roses grises blêmes et lames de rasoir à trois cents d'acier de laitonbris de glace hachurés inhalés par la pailles du brasseur tenancierla poussière des pieds a cessé de marcher ici de danserelle gobe l'esprit des rites intercalésdes rêves boites de conserve échoués là pour compression

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Recommencée

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dernière embardée solairel’axe de terre dans le vent de mer le train du porteur va toucher le sol et de ces femmes et hommes mangés dans leurs lieux d'ancestrale sacralitéchair partagée de notre banquet donnée et reçueresteront-ils l’entre ciel provisoire comme réel de la vie à écrire nécessairementde nous à soi.

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Photo couverture : Eric Bertomeu

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