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Cas clinique
Imagerie de la Femme 2008;18:42-45© 2008. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Cas clinique
Tumeur inflammatoire myofibroblastique du sein : une tumeur mammaire à ne pas méconnaitre
Ines Samet Fakhfakh
1
, Saloua Krichen Makni
1
, Imen Chtourou
1
, Emna Daoud
2
, Issam Ben Ali
3
, Sameh Ellouze
1
, Sameh Hammami
1
, Lobna Ayadi
1
, Mohamed Guermazi
3
, Tahya Sellami Boudawara
1
1. Laboratoire d’anatomie et de cytologie pathologique,2. Service de radiologie, CHU Habib Bourguiba, Sfax, Tunisie.3. Service de gynécologie, CHU Hédi Chaker, Sfax, Tunisie.
Correspondance : S. Krichen Makni, Laboratoire d’anatomie et de cytologie pathologiques, CHU Habib Bourguiba, Sfax, Tunisie.Email : [email protected]
L
es tumeurs inflammatoires myofi-broblastiques (TIM) correspondent àdes pseudotumeurs inflammatoires,caractérisées par une prolifération decellules fusiformes, dans un fondinflammatoire [1, 2]. La localisationmammaire est exceptionnellementrapportée [2]. Ces tumeurs posent desproblèmes de diagnostic différentielaussi bien clinique qu’anatomopatho-logique avec des tumeurs mammairesbénignes et malignes. Nous rappor-tons une observation ; notre objectifest de déterminer les différentsaspects anatomocliniques et de préci-ser les caractères étiopathogéniquesde cette entité particulière.
Observation
Patiente H.B., âgée de 55 ans,hypertendue et diabétique bien équi-librée sous antidiabétiques oraux, aconsulté pour un nodule douloureuxdu sein droit évoluant depuis 2 mois.À l’examen clinique, le nodule étaitrétromamelonnaire, mesurant 3 cm,ferme, fixé par rapport au planprofond avec rétraction mamelon-naire et aspect inflammatoire de la
peau en regard ; on notait par ailleursl’absence d’adénopathies axillaireshomolatérales. À la mammographie,il s’agissait d’une masse dense rétro-aréolaire, présentant des contoursassez réguliers par endroits mal limi-tés, avec de fins spicules périphéri-ques. Cette masse mesurait 2,5 cm,elle était responsable d’une densifica-tion de la plaque aréolaire en regardet d’une rétraction cutanée et mame-lonnaire
(fig. 1)
. À l’échographie, ellecorrespondait à une formation hypo-échogène hétérogène, présentant deslimites irrégulières par endroits, avecinfiltration de la plaque aréolaire etattraction du mamelon ; cette forma-tion entraînait une dépression auniveau de la graisse sous-jacente etprésentait une vascularisation arté-rielle et veineuse au Doppler
(fig. 2)
;la masse était classée BI-RADS 4.Une microbiopsie guidée par la pal-pation du nodule mammaire était réa-lisée et l’histologie était plutôt enfaveur d’une mastite chronique, déve-loppée sur mastopathie fibrokystique.Devant le caractère irrégulier dunodule, une tumorectomie a été effec-tuée ; l’examen macroscopique de lapièce opératoire a révélé une indura-
tion mal limitée, blanchâtre, de 6 cmde grand axe. À l’examen extempo-rané, il s’agissait d’une infiltrationmammaire par des cellules rondesassez monomorphes d’allure inflam-matoire, disséminées au sein d’unfond fusocellulaire, de densité cellu-laire élevée ; la nature tumorale ouréactionnelle de ces cellules était diffi-cile à déterminer au décours de cetexamen. À l’examen histologiquedéfinitif
(fig. 3 et 4)
, la nature inflam-matoire réactionnelle de l’infiltrat àcellules rondes était bien confirmée :il était formé d’histiocytes, de plasmo-cytes, de polynucléaires éosinophileset de lymphocytes polyclonaux pourles marqueurs B et T ; les histiocytesexprimaient le CD68. Les cellulesfusiformes étaient à noyau parfoisirrégulier et étoilé, prenant parendroits un agencement fasciculé ouen faisceaux entrecroisés ; les mitosesétaient absentes. Les lobules mam-maires étaient raréfiés et paraissaient« étouffés » par cette prolifération.Les cellules fusiformes étaient forte-ment marquées par l’anticorps antiActine Muscle Lisse (AML) ainsi quela vimentine et négatives pour lesmarqueurs épithéliaux (pankératine et
I. Samet Fakhfakh
et al.
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antigène de membrane épithéliale).Le diagnostic d’une tumeur inflam-matoire myofibroblastique du seindroit a été retenu sur ces éléments.Les suites opératoires étaient mar-quées par une infection de la plaie
chirurgicale, avec lâchage des pointsde suture, traitée par une antibiothé-rapie par voie générale et des panse-ments locaux. La malade n’a pas pré-senté de récidive après un recul de12 mois.
Figure 1. Mammographie : masse mal limitée de 2,5 cm (�) avec fins spicules périphé-riques (�) responsables d’une importante rétraction mammelonnaire (★).• a : Incidence de face.• b : Incidence de profil.
a b
Figure 2. Échographie mammaire : formation superficielle hypoéchogène, hétéro-gène, ovalaire, parallèle au plan cutané avec renforcement postérieur, responsable d’une rétraction mammelonnaire.
ba
Discussion
Les tumeurs inflammatoires myo-fibroblastiques (ou pseudotumeursinflammatoires, granulome à plasmo-cytes ou même xanthogranulome) sontconsidérées comme des néoplasies debas grade. Elles peuvent toucher plu-sieurs organes, essentiellement lepoumon, le foie, la rate et le pancréas[2, 3]. La localisation mammaire estexceptionnelle, elle a été décrite pourla première fois par Pettinato
et al.
[4]en 1988 chez une femme de 25 ans.Sa pathogénie est encore obscure ; denombreuses hypothèses ont été avan-cées, Chetty
et al.
[3] ont proposé uneorigine infectieuse, faisant suite à desinfections virales (Epstein Barr Virus)ou bactériennes [3], une hypothèseimmunitaire a été suggérée devantl’expression diffuse de l’IgG4 par lesplasmocytes intra-lésionnels, qu’ondécrit classiquement dans les pancréa-tites sclérosantes [5], d’autres auteursévoquent la nature néoplasique decette lésion, devant la mise en évi-dence de réarrangements chromoso-miques des régions 2p22-24 ou del(9)(p23), rapportés surtout dans lesformes agressives [2, 6].
Ces tumeurs touchent les femmesde tout âge, avec des extrêmes allantde 13 à 86 ans, indépendamment deleur statut hormonal, avec unemoyenne d’âge de 44,8 ans [2] ; un casde TIM chez une femme allaitante aété rapporté [7]. Le sein droit est leplus souvent touché, cependant lesformes bilatérales sont rapportées [2,8].
Les TIM mammaires sont destumeurs à croissance nodulaire, cir-conscrites, de couleur blanchâtre,dont la taille peut varier de 1 à 17 cm[2, 5]. L’ulcération de la peau enregard a été décrite [3]. Clinique-ment, ces tumeurs peuvent s’accom-pagner de signes généraux, telsqu’une fièvre prolongée ou un amai-grissement [3]. L’imagerie est peuspécifique : à l’échographie, cestumeurs se traduisent par une massehypoéchogène solide, souvent bienlimitée et homogène ; à la mammo-graphie, il s’agit d’une masse dense
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ronde ou ovale dépourvue de calcifi-cations, souvent bien limitée [9], rare-ment à limites irrégulières suggérantalors la malignité [5, 7]. Le plus sou-vent, à l’IRM, la tumeur présente unrehaussement précoce après injectionde produit de contraste, persistant auxstades plus tardifs [5].
Le diagnostic de ces lésions estanatomopathologique, en révélant àl’examen histologique une proliféra-tion, dans un stroma fibreux hyaliniséou œdémateux, de cellules fusiformesde nature fibro ou myofibroblastiquepeu atypiques, disposées en faisceauxenchevêtrées, ou d’une façon anarchi-que ; les noyaux sont parfois atypiquesprésentant quelques figures de mito-ses (1 à 2 mitoses/10 champs au fortgrossissement) ; ces cellules sont asso-ciées à un infiltrat inflammatoirepolymorphe dense, incluant des poly-nucléaires éosinophiles ; des throm-boses veineuses peuvent être obser-vées, la nécrose est classiquementabsente [1, 2, 5, 6]. Lors de l’examenextemporané, un bon échantillonnagelésionnel et une interprétation rigou-reuse des coupes histologiques sontrecommandés, afin d’éviter de porterà tort le diagnostic de malignité. LesTIM ont un aspect histologiquevariable, certains auteurs décriventtrois formes histologiques : la varianteinflammatoire (ressemblant à un tissu
de granulation riche en élémentsinflammatoires), la variante cellulaire(tumeur inflammatoire myofibroblas-tique) et la variante hypocellulaire(
scare-like
) caractérisée par un fondfibreux hyalinisé riche en collagène[3]. La coexistence de ces différentesvariantes dans une même lésion, sug-gère qu’il s’agit en fait de lésions à dif-férents stades d’évolution et de matu-ration ; les lésions précoces sontriches en cellules inflammatoires,contrairement aux lésions anciennesriches en collagène et pauvres en cel-lules. L’immunohistochimie permetde confirmer le diagnostic de TIM,en effet les cellules fusiformes sont denature myofibroblastique et sontmarquées par les anticorps anti-vimentine dans 98 % des cas, l’AMLdans 82 % des cas et la desmine dans53 % des cas, l’expression de la kéra-tine est beaucoup moins fréquente [2,6]. Devant l’aspect infiltrant de la pro-lifération cellulaire, plusieurs dia-gnostics différentiels malins peuventse poser, dont le carcinome métapla-sique à cellules fusiformes et le fibro-sarcome inflammatoire ; mais la pré-sence d’atypies marquées, d’un indexmitotique élevé associé à une négati-vité de l’AML redressent habituelle-ment le diagnostic. La fibromatosemammaire et la fasciite nodulairepeuvent constituer également un dia-
gnostic différentiel de tumeurs béni-gnes du sein [2]. La variante inflam-matoire des TIM peut suggérer unlymphome ou un plasmocytome ; lapolyclonalité de l’infiltrat inflamma-toire élimine ces diagnostics [4]. Lespseudotumeurs inflammatoires sontgénéralement de bon pronostic, uneexérèse chirurgicale large emportanttoute la tumeur est suffisante pour letraitement [7] ; le traitement à base decorticoïdes par voie générale a étéproposé par certains auteurs [5]. Lesrécidives sont rapportées dans 25 %des cas, elles sont en rapport avec lamultifocalité tumorale ou avec uneexérèse incomplète [2, 8] ; la transfor-mation maligne est rarement décrite[9, 10].
Références
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Chiara A, Petrella G. Plasma cell
granuloma
Figure 3. Prolifération de cellules fusocellulaires délimitant des bandes de collagène, associée à un infiltrat inflammatoire abon-dant de la glande mammaire (HE × 200).
Figure 4. Faisceaux de cellules myofibroblastiques à noyaux réguliers, ponctués d’un infiltrat inflammatoire polymorphe (HE × 400). En cartouche : immunomarquage positif des cellu-les myofibroblastiques pour l’actine muscle lisse.
I. Samet Fakhfakh
et al.
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