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Actualités pharmaceutiques

• n° 523 • février 2013 •12

Auteur correspondant

Françoise COUIC

[email protected]

ordonnancecommentaire

© 2012 Publié par Elsevier Masson SAS

http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2012.12.003

Une ordonnance d’héparine de bas poids moléculaire chez une femme enceinte

P rès de 70 % des femmes pré-sentant des fausses couches à répétition souffriraient de

troubles de la coagulation. L’aspi-rine et/ou les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) sont fré-quemment prescrites chez les femmes aux antécédents de fausses couches inexpliquées dans l’objectif d’améliorer l’issue des grossesses

suivantes. Les résultats des études menées avec différents anticoagu-lants sont assez contradictoires.

Profi l de la patiente La patiente est une femme, âgée de 35 ans, qui a subi trois fausses couches. Elle a réalisé de nombreux examens recherchant une éven-tuelle stérilité, et qui se sont avérés

négatifs, ainsi que deux féconda-tions in vitro (FIV) infructueuses. Elle souffre du syndrome des anti-corps antiphospholipides. Elle est enceinte de 1 mois et demi. Ravie, mais très inquiète, elle vient à la pharmacie quasiment tous les jours demander de nombreux conseils.

Historique médicamenteux  La patiente a reçu de nombreux médicaments pour stimulation ova-rienne pré- et post-FIV. Son méde-cin se base sur des données en cours dans l’étude Préfix 29, un essai thérapeutique dédié au traite-ment des fausses couches répétées et inexpliquées du premier trimestre de la grossesse. Cette étude, commencée en avril 2007, est ran-domisée, multicentrique, en double insu, comparant l’énoxaparine (Lovenox®) 4000 UI versus placebo, en une injection sous-cutanée quo-tidienne, dans les fausses couches spontanées répétées inexpliquées.

Recevabilité de l’ordonnance  L’ordonnance émane d’un médecin spécialiste. Elle est datée et signée, recevable et non renouvelable car le médecin souhaite suivre sa patiente

Mots clés• Anticoagulant

• Énoxaparine

• Grossesse

• Héparine de bas poids

moléculaire

Keywords• Anticoagulant

• Enoxaparin

• Low molecular weight

heparin

• Pregnancy

Une ordonnance de suivi de début de grossesse à risque, comportant une héparine de bas

poids moléculaire, nécessite une surveillance accrue. Une supplémentation par sels

ferreux et en acide folique doit être proposée. Certains aliments ainsi que l’état de la

patiente doivent être surveillés pour prévenir tout risque hémorragique ou thrombotique.

A low molecular weight heparin treatment prescription in a pregnant woman. A follow-up prescription of low molecular weight heparin in the early stages of a high-risk pregnancy requires increased monitoring. A supplement of ferrous sulphate and folic acid must be offered. Certain foods and the status of the patient should be monitored to prevent any risk of haemorrhage our thrombosis.

© 2012 Publié par Elsevier Masson SAS

© 2012 Published by Elsevier Masson SAS

Françoise COUIC

MARINIER

François PILLON

Figure 1. Ordonnance d’héparine de bas poids moléculaire.

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R

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commentaire

ordonnance

tous les mois, voire tous les 15 jours puisque sa grossesse est à risque (figure 1). Il n’existe pas de géné-rique pour Lovenox® ni pour Tardyfe ron® ; l’acide folique, prescrit, quant à lui, sous son nom de dénomi-nation commune internationale (DCI), sera délivré ainsi.

Questions préalables indispensables « Prenez-vous d’autres traitements (même en automédication) ? » Réponse : « Non, surtout pas, je suis enfin enceinte, alors je fais très attention. » « Prévoyez-vous, dans les semaines à venir, une extraction dentaire, des soins podologiques ? » Réponse : « Non. » (Si la réponse avait été affir-mative, il aurait fallu prévenir le spé-cialiste concerné en raison du risque hémorragique important.)

Analyse du traitement F Lovenox® : l’énoxaparine est

une HBPM (héparine de bas poids moléculaire). Rappelons que l’hépa-rine standard est une substance naturelle d’origine animale, extraite du poumon de bœuf ou d’intestin de

porc. Son activité biologique repose sur une séquence pentasacchari-dique, correspondant au site de fixation de l’antithrombine III, co facteur de l’héparine. L’héparine accélère de façon considérable l’inactivation par l’anti thrombine III des sérines-protéases de la coagu-lation, facteurs IIa et Xa (mais aussi les facteurs IXa, XIa et XIIa). L’acti-vité antithrombine d’une héparine diminue avec la masse moléculaire de celle-ci, qui conserve néanmoins son activité anti-Xa. Ainsi, les HBPM inhibent le facteur Xa mais peu la thrombine. Leur poids moléculaire n’est pas identique, ce qui explique des ratios d’activité anti-Xa/anti-IIa différents (entre 1,5 et 3,5).

F Tardyferon® 80 mg : il s’agit de fer sous la forme de sels ferreux absorbés seulement à 10 à 20 %, mais dont l’absorption est majorée quand les réserves sont diminuées.

F Acide folique 0,4 mg : à ce dosage, l’acide folique est prescrit en prévention primaire des anoma-lies embryonnaires de fermeture du tube neural. Pour être efficace, la prévention doit commencer 4 semaines avant la conception et se poursuivre 8 semaines après.

Eff ets indésirables F Lovenox® : troubles sanguins

(hémorragies), parfois douleur au point d’injection, réaction allergique. Les héparines standards et de bas poids moléculaire ne franchissant pas la barrière placentaire, les effets tératogènes et de toxicité fœtale sont absents. Mais l’utilisation d’hépa rine chez la femme enceinte n’est pas sans toxicité. Les effets maternels peuvent être marqués, d’une part, par des risques hémor-ragiques durant le travail ; ce risque hémorragique contre-indique l’anesthésie péridurale en raison du risque de compression médullaire. D’autre part, le risque d’ostéo pénie est plus important durant la gros-sesse et peut être très sévère.

La déminéralisation serait dose-dépendante et serait d’autant plus importante lorsqu’elle est continuée après la 25e semaine d’aménorrhée. Ce mécanisme serait dû à un dys-fonctionnement dans le métabo-lisme de la vitamine D et une interaction négative dans la syn-thèse du collagène.

F Tardyferon 80 mg® : troubles digestifs possibles, à type de nau-sées, constipation ou diarrhées, colo-ration habituelle des selles en noir et réactions allergiques éventuelles.

F Acide folique 0,4 mg : très rares cas de réactions allergiques cuta-nées, possibilité de troubles gastro-intestinaux.

Signes d’alerte nécessitant une orientation chez le médecin traitant  Il faut adresser la patiente à son médecin dès lors qu’elle évoque des symptômes nouveaux tels que saignements (des gencives ou du nez), œil rouge, hématurie ou sang dans les selles, toute ecchymose inexpliquée, tout saignement ou tout autre symptôme d’atteinte des lignées sanguines et plaquettaires (Lovenox®).

Que faire, face

à une diminution du nombre

de plaquettes ?

La cliente doit immédiatement appeler le médecin qui la suit. Celui-ci contrô-lera immédiatement la numération, suspendra peut-être le traitement héparinique, et préviendra ou traitera les complications thrombotiques de la thrombopénie par héparine. Un incident hémorragique peut sur-venir à l’occasion d’un surdosage vrai ou lors d’un traitement correctement équilibré, mais il peut aussi être lié à une pathologie propre au patient.Le risque hémorragique des héparines de bas poids moléculaire (HBPM) est probablement plus faible que celui de l’héparine non fractionnée.

Encadré 1. Teneur en acide folique des alimentsCertains aliments sont riches en acide folique : la levure alimentaire (3 900 μg/ 100 g), le foie gras (550 μg/100 g), le jaune d’œuf (400 μg/100 g), le foie cuit (250 μg/100 g), le cresson cru (200 μg/100 g), les noix (200 μg/100 g), certains fromages comme le brie de Meaux (150 μg/100 g), les épinards cuits (150 μg/100 g), le muesli (150 μg/100 g), la laitue (120 μg/100 g), mais également d’autres abats, les lentilles, le boudin noir de bonne qualité, etc.

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Suivi du traitement F Prélèvements sanguins régu-

liers :

• numération des plaquettes non systématique dans ce cas ; elle sera ici effectuée 2 fois par semaine pendant les 21 premiers jours de traitement ; les plaquettes auront été dosées avant ou au plus tard 24 heures après début traitement, et devront l’être en cas de manifes-tation clinique évocatrice de throm-bopénie induite par l’héparine ;

• taux de ferritine ;• taux de prothrombine (TP), TCA,

fibrinogène, numération-formule sanguine (NFS). F Réalisation du prélèvement :

il est d’usage de prélever le sang au pic de l’activité anti-facteur Xa, c’est-à-dire quatre à cinq heures après l’injection du médicament. Cette recommandation permet de faire réaliser l’examen le plus sou-vent aux heures ouvrables du labo-ratoire et de simplifier également l’interprétation des résultats et l’adaptation éventuelle de posologie qui en découlent.

F Étude de la fonction rénale

avan t tou te m ise en p lace d’héparino thérapie.

Médicaments d’automédication à proscrire avec ce traitement 

F Par mesure de précaution, tout

médicament non prescrit par un

médecin doit être proscrit en cas de grossesse à risque.

F Si certains antiacides étaient

prescrits par la suite dans le traite-ment des brûlures d’estomac, ils risqueraient de diminuer l’absorp-tion digestive du fer. Leur prise devra donc être espacée de plus de 2 heures par rapport à celle du fer.

F Tout t ra i tement (même

homéo pathique au-delà de 4 CH)

à base de millepertuis, inducteur enzymatique qui réduira, au bout d’une dizaine de jours, l’efficacité de certains traitements, doit être for-mellement évité.

F Certaines plantes circulatoires comme le Gingko biloba, ou celles contenant des coumarines comme le mélilot, ainsi que certaines huiles essentielles (gauthéries) contenant du salycilate de méthyle pouvant avoir un effet fluidifiant sanguin non négligeable, doivent être évitées.

Chronobiologie du traitement (sauf indication médicale contraire) Le médecin n’indiquant pas, sur l’ordonnance, les moments de prise, le pharmacien doit les préci-ser à la patiente.

F Lovenox® 4000 UI : l’injection devrait idéalement être pratiquée en fin de matinée par l’infirmière (il est important de bien respecter les heures d’injection). Si la cliente est formée à réaliser les injections elle-même, elle doit introduire l’aiguille perpendiculairement dans un pli cutané, entre le pouce et l’index, dans la ceinture abdominale et changer de site d’injection à chaque fois (droite, puis gauche).

F Tardyferon® 80 mg : 1 comprimé le matin, au cours du repas avec un demi-verre d’eau.

F Acide folique 0,4 mg : 1 compri- mé par jour, à prendre avec un grand verre d’eau.

Ce qu’il ne faut surtout pas oublier de dire à la patiente Un certain nombre de recomman-dations sont essentielles.

F Ne jamais arrêter votre traite-

ment sans avis médical. F L’observance est indispen-

sable : prendre tous les médica-ments, même en l’absence de symptômes.

F Les analyses biologiques doivent être effectuées très régulièrement.

F Avant toute prise de sang, pré-venir l’infirmière de la prise d’anti-coagulants.

F Avant tout soin infirmier, podo-

logique, dentaire ou tout examen

invasif, signaler toujours la prise d’anticoagulants.

Conseils associés  La consommation importante de thé et, dans une moindre mesure, de café, empêche l’absorption du fer alors que la prise simultanée de vitamine C ou d’aliments en conte-nant (citron, orange, mandarine…) augmente son assimilation.Afin de prévenir une anémie par carence en fer ou d’optimiser l’effi-cacité du traitement mis en place, la patiente doit consommer, au moins une fois par semaine, des aliments riches en fer. Il serait préférable de privilégier des sources animales comme la viande rouge, le boudin noir, le foie ou les rognons (figure 2). En effet, le coefficient d’absorption du fer contenu dans ces aliments est nettement supérieur à celui du fer contenu dans les aliments d’origine végétale (lentilles, légumes secs…).Les apports conseillés en acide folique (encadré 1) sont d’environ 400 μg par jour chez l’adolescent et l’adulte, et de 800 μg chez la femme enceinte. w

Déclaration d’intérêts :

les auteurs déclarent ne pas

avoir de confl its d’intérêts

en relation avec cet article.

Les auteursFrançoise COUIC MARINIERDocteur en pharmacie, 201 bis

avenue du Général-Leclerc,

54000 Nancy, France

[email protected]

François PILLONDocteur en pharmacie et

en médecine, Service de

pharmacologie clinique,

Faculté de médecine Laennec,

8 rue Guillaume-Paradin,

69008 Lyon, France

[email protected]

Figure 2. Afi n de prévenir une anémie ou d’optimiser l’effi cacité du traitement mis en place, la patiente doit consommer, au moins une fois par semaine, des aliments riches en fer.

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