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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

œuvres complètes de marcel proust

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  • 1.Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

2. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert 3. ARVENSA DITIONS Plate-forme de rfrence des ditions numriques des oeuvres classiques en langue franaiseRetrouvez toutes nos publications, actualits et offres privilgies sur notre site Internetwww.arvensa.com Tous droits rservs Arvensa Editions ISBN epub: 9782368410110 ISBN PDF: 9782368410363 4. NOTE DE LDITEUR Notre objectif est de vous fournir la meilleure exprience de lecture sur votre liseuse. Nos titres sont ainsi relus, corrigs et mis en forme spcifiquement. Cependant, si malgr tout le soin que nous avons apport cette dition, vous notiez quelques erreurs, nous vous serions trs reconnaissants de nous les signaler en crivant notre Service Qualit : [email protected] Pour toutes autres demandes, contactez : [email protected] Nos publications sont rgulirement enrichies et mises jour. Si vous souhaitez en tre inform et bnficier d'une version toujours actualise de cette dition, nous vous invitons vous inscrire sur le site : www.arvensa.com Nous remercions aussi tous nos lecteurs qui manifestent leur enthousiasme en lexprimant travers leurs commentaires. Nous vous souhaitons une bonne lecture.Arvensa Editions Photo de couverture : Marcel Proust peint par Jacques-Emile Blanche 1892 5. LISTE DES TITRES uvres compltes de Marcel Proust Arvensa ditions 6. NOTE DE LDITEURPomes en prose et Nouvelles LES PLAISIRS ET LES JOURS Prface dAnatole France Mon Ami Willie Heath La Mort De Baldassare Silvande Violante Ou La Mondanit Fragments De Comdie Italienne Mondanit Et Mlomanie De Bouvard Et Pcuchet Mlancolique Villgiature De Madame De Breyves Portraits De Peintres Et De Musiciens La Confession DUne Jeune Fille Un Dner En Ville Les Regrets, Rveries Couleur Du Temps La Fin De La JalousieRomans LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU Du Ct De Chez Swann lOmbre Des Jeunes Filles En Fleurs Le Ct De Guermantes Sodome Et Gomorrhe La Prisonnire Albertine Disparue Le Temps RetrouvArticles et Lettres PASTICHES ET MLANGES Ddicace Pastiches Mlanges ARTICLES ET LETTRES PARUS DANS LA NOUVELLE REVUE FRANAISE 7. A propos du style de Flaubert Une agonie Un baiser A propos de Baudelaire CHRONIQUES Avertissement LES SALONS ET LA VIE DE PARIS PAYSAGES ET RFLEXIONS NOTES ET SOUVENIRS CRITIQUES LITTRAIRES CORRESPONDANCE Robert de Montesquiou Genevive Straus Madame Catusse Louisa de Mornand Robert de Billy Madame de Caraman-Chimay Cleste Albaret Reynaldo Hahn Extraits divers ENTRETIEN AVEC LIE-JOSEPH BOISTraductions LA BIBLE DAMIENS SESAME ET LES LYSAnnexes LE QUESTIONNAIRE DE PROUST OU MARCEL PROUST PAR LUI-MME CITATIONS BIOGRAPHIE DE MARCEL PROUST MARCEL PROUST PAR PAUL SOUDAY 8. LES PLAISIRS ET LES JOURS (1896) Marcel Proust RomansRetour la liste des titres Pour toutes remarques ou suggestions :[email protected] Ou rendez-vous sur :www.arvensa.com 9. Illustration : Madeleine Lemaire 10. Table des Matires Prface dAnatole France Mon Ami Willie Heath La Mort De Baldassare Silvande I II III IV V Violante Ou La Mondanit Chapitre I Enfance mditative de Violante Chapitre II Sensualit Chapitre III Peines damour Chapitre IV La mondanit Fragments De Comdie Italienne I Les matresses de Fabrice II Les amies de la comtesse Myrto III Heldmone, Adelgise, Ercole IV Linconstant V VI Cires perdues I IIVII Snobs I II III Contre une snob IV une snobVIII Oranthe IX Contre la franchise X XI Scnario XII ventail XIII Olivian XIV Personnages de la Comdie mondaine 11. Mondanit Et Mlomanie De Bouvard Et Pcuchet I Mondanit II Mlomanie Mlancolique Villgiature De Madame De Breyves I II III IV V Portraits De Peintres Et De Musiciens Portraits de Peintres Albert Cuyp Paulus Potter Antoine Watteau Antoine Van DyckPortraits de Musiciens Chopin Gluck Schumann MozartLa Confession DUne Jeune Fille I II III IV Un Dner En Ville I II Aprs Dner Les Regrets, Rveries Couleur Du Temps I Tuileries II Versailles III Promenade IV Famille coutant la musique V VI VII VIII Reliques IX Sonate clair de lune I II 12. X Source des larmes qui sont dans les amours passes XI Amiti XII phmre efficacit du chagrin XIII loge de la mauvaise musique XIV Rencontre au bord du lac XV XVI L'tranger XVII Rve XVIII Tableaux de genre du souvenir XIX Vent de mer la campagne XX Les perles XXI Les rivages de loubli XXII Prsence relle XXIII Coucher de soleil intrieur XXIV Comme la lumire de la lune XXV Critique de lesprance la lumire de lamour XXVI Sous-bois XXVII Les marronniers XXVIII La mer XXIX Marine XXX Voiles au port La Fin De La Jalousie I II III 13. Prface dAnatole France Pourquoi m'a-t-il demand d'offrir son livre aux esprits curieux ? Et pourquoi lui ai-je promis de prendre ce soin fort agrable, mais bien inutile ? Son livre est comme un jeune visage plein de charme rare et de grce fine. Il se recommande tout seul, parle de lui-mme et s'offre malgr lui. Sans doute il est jeune. Il est jeune de la jeunesse de l'auteur. Mais il est vieux de la vieillesse du monde. C'est le printemps des feuilles sur les rameaux antiques, dans la fort sculaire. On dirait que les pousses nouvelles sont attristes du pass profond des bois et portent le deuil de tant de printemps morts. Le grave Hsiode a dit aux chevriers de l'Hlicon Les Travaux et les jours . Il est plus mlancolique de dire nos mondains et nos mondaines Les Plaisirs et les jours, si, comme le prtend cet homme d'tat anglais, la vie serait supportable sans les plaisirs. Aussi le livre de notre jeune ami a-t-il des sourires lasss, des attitudes de fatigue qui ne sont ni sans beaut ni sans noblesse. Sa tristesse mme, on la trouvera plaisante et bien varie, conduite comme elle est et soutenue par un merveilleux esprit d'observation, par une intelligence souple, pntrante et vraiment subtile. Ce calendrier des Plaisirs et des Jours marque et les heures de la nature par d'harmonieux tableaux du ciel, de la mer, des bois, et les heures humaines par des portraits fidles et des peintures de genre, d'un fini merveilleux. Marcel Proust se plat galement dcrire la splendeur dsole du soleil couchant et les vanits agites d'une me snob. Il excelle conter les douleurs lgantes, les souffrances artificielles, qui galent pour le moins en cruaut celles que la nature nous accorde avec une prodigalit maternelle. J'avoue que ces souffrances inventes, ces douleurs trouves par gnie humain, ces douleurs d'art me semblent infiniment intressantes et prcieuses, et je sais gr Marcel Proust d'en avoir tudi et dcrit quelques exemplaires choisis. Il nous attire, il nous retient dans une atmosphre de serre chaude, parmi des orchides savantes qui ne nourrissent pas en terre leur trange et maladive beaut. Soudain, dans l'air lourd et dlicieux, passe une flche lumineuse, un clair qui, comme le rayon du docteur allemand, traverse les corps. D'un trait le pote a pntr la pense secrte, le dsir inavou. C'est sa manire et son art. Il y montre une sret qui surprend en un si jeune archer. Il n'est pas du tout innocent. Mais il est si sincre et si vrai qu'il en devient naf et plat ainsi. Il y a en lui du Bernardin de Saint-Pierre dprav et du Ptrone ingnu. Heureux livre que le sien ! Il ira par la ville tout orn, tout parfum des fleurs dont Madeleine Lemaire l'a jonch de cette main divine qui rpand les roses avec leur rose. Anatole France Paris, le 21 avril 1896 14. Mon Ami Willie Heath Mort Paris le 3 octobre 1893 Du sein de Dieu o tu reposes... rvle-moi ces vrits qui dominent la mort, empchent de la craindre et la font presque aimer. Les anciens Grecs apportaient leurs morts des gteaux, du lait et du vin. Sduits par une illusion plus raffine, sinon plus sage, nous leur offrons des fleurs et des litres. Si je vous donne celui-ci, c'est d'abord parce que c'est un livre d'image. Malgr les lgendes , il sera, sinon lu, au moins regard par tous les admirateurs de la grande artiste qui m'a fait avec simplicit ce cadeau magnifique, celle dont on pourrait dire, selon le mot de Dumas, que c'est elle qui a cr le plus de roses aprs Dieu . M. Robert de Montesquiou aussi l'a clbre, dans des vers indits encore, avec cette ingnieuse gravit, cette loquence sentencieuse et subtile, cet ordre rigoureux qui parfois chez lui rappellent le XVIIe sicle. Il lui dit, en parlant des fleurs: Poser pour vos pinceaux les engage fleurir. Vous tes leur Fige et vous tes la Flore Qui les immortalise, o l'autre fait mourir! Ses admirateurs sont une lite, et ils sont une foule. J'ai voulu qu'ils voient la premire page le nom de celui qu'ils n'ont pas eu le temps de connatre et qu'ils auraient admir. Moi-mme, cher ami, je vous ai connu bien peu de temps. C'est au Bois que je vous retrouvais souvent le matin, m'ayant aperu et m'attendant sous les arbres, debout, mais repos, semblable un de ces seigneurs qu'a peints Van Dyck et dont nous aviez l'lgance pensive. Leur lgance, en effet, comme la vtre, rside moins dans les vtements que dans le corps, et leur corps lui-mme semble l'avoir reue et continuer sans cesse la recevoir de leur me : c'est une lgance morale. Tout d'ailleurs contribuait accentuer cette mlancolique ressemblance, jusqu' ce fond de feuillages l'ombre desquels Van Dycka souvent arrt la promenade d'un roi ; comme tant d'entre ceux qui furent ses modles, vous deviez bientt mourir, et dans vos yeux comme dans les leurs, on voyait alterner les ombres du pressentiment et l douce lumire de la rsignation. Mais si la grce de votre fiert appartenait de droit l'art d'un Van Dyck, vous releviez plutt du Vinci par la mystrieuse intensit de votre vie spirituelle. Souvent le doigt lev, les yeux impntrables et souriants en face de l'nigme que vous taisiez, vous m'tes apparu comme le saint Jean-Baptiste de Lonard. Nous formions alors le rve, presque le projet, de vivre de plus en plus l'un avec l'autre, dans un cercle de femmes et d'hommes magnanimes et choisis, assez loin de la btise, du vice et de la mchancet pour nous sentir l'abri de leurs flches vulgaires. 15. Vtre vie, telle que nous la vouliez, serait une de ces oeuvres qui il faut une haute inspiration. Comme de la foi et du gnie, nous voulons la recevoir de l'amour. Mais c'tait la mort qui devait vous la donner. En elle aussi et mme en ses approches rsident des forces caches, des aides secrtes, une grce qui n'est pas dans la vie. Comme les amants quand ils commencent aimer, comme les potes dans le temps o ils chantent, les malades se sentent plus prs de leur me. La vie est chose dure qui serre de trop prs, perptuellement nous fait mal l'me. sentir ses tiens un moment se relcher, on peut prouver de clairvoyantes douceurs. Quand j'tais tout enfant, le sort d'aucun personnage de l'histoire sainte ne me semblait aussi misrable que celui de No, cause du dluge qui le tint enferm dans l'arche pendant quarante jours. Plus tard, je fus souvent malade, et pendant de longs jours je dus rester aussi dans l' arche . Je compris alors que jamais No ne put si bien voir le monde que de l'arche, malgr qu'elle ft close et qu'il fit nuit sur la terre. Quand commena ma convalescence, ma mre, qui ne m'avait pas quitt, et, la nuit mme restait auprs de moi, ouvrit la porte de l'arche et sortit. Pourtant comme la colombe elle revint encore ce soir-l . Puis je fus tout fait guri, et comme la colombe elle ne revint plus , Il fallut recommencer vivre, se dtourner de soi, entendre des paroles plus dures que celles de ma mre ; bien plus, les siennes, si perptuellement douces jusque-l, n'taient plus les mmes, mais empreintes de la svrit de la vie et du devoir qu'elle devait m'apprendre. Douce colombe du dluge, en vous voyant partir comment penser que le patriarche n'ait pas senti quelque tristesse se mler la joie du monde renaissant? Douceur de la suspension de vivre, de la vraie Trve de Dieu qui interrompt les travaux, les dsirs mauvais, Grce de la maladie qui nous rapproche des ralits d'au-del de la mort et ses grces aussi, grces de ces vains ornements et ces voiles qui psent , des cheveux qu'une importune main a pris soin d'assembler , suaves fidlits d'une mre et d'un ami qui si souvent nous sont apparus comme le visage mme de notre tristesse ou comme le geste de la protection implore par notre faiblesse, et qui s'arrteront au seuil de la convalescence, souvent j'ai souffert de vous sentir si loin de moi, vous toutes, descendante exile de la colombe de l'arche. Et qui mme n'a connu de ces moments, cher Willie, o il voudrait tre o vous tes. On prend tant d'engagements envers la vie qu'il vient une heure o, dcourag de pouvoir jamais les tenir tous, on se tourne vers les tombe qu'on appelle la mort, la mort qui vient en aide aux destines qui ont peine s'accomplir . Mais si elle nous dlie des engagements que nous avons pris envers la vie, elle ne peut nous dlier de ceux que nous avons pris envers nous-mme, et du premier surtout, qui est de vivre pour valoir et mriter. Plus grave qu'aucun de nous, vous tiez aussi plus enfant qu'aucun, non pas seulement par la puret du coeur, mais par une gaiet candide et dlicieuse. Charles de Grancey avait le don que je lui enviais de pouvoir, avec des souvenirs de collge, rveiller brusquement ce rire qui ne s'endormait jamais bien longtemps, et que nous n'entendrons plus. Si quelques-unes de ces pages ont t crites vingt-trois ans, bien d'autres "Violante, presque tous les Fragments de la comdie italienne, etc.) datent de ma vingtime anne. Toutes ne sont que la vaine cume d'une vie agite, mais qui maintenant se calme. Puisse-t-elle tre un jour assez limpide pour que les Muses daignent s'y mirer et qu'on voie courir la surface le reflet de leurs sourires et de leurs danses. Je vous donne ce livre. V ous tes, hlas ! le seul de mes amis dont il n'ait pas redouter les critiques. J'ai au moins la confiance que nulle part la libert du ton ne vous y et choqu. Je n'ai 16. jamais peint l'immoralit que chez des tres d'une conscience dlicate. Aussi, trop faibles pour vouloir le bien, trop nobles pour jouir pleinement dans le mal, ne connaissant que la souffrance, je n'ai pu parler d'eux qu'avec une piti trop sincre pour qu'elle ne purifit pas ces petits essais. Que l'ami vritable, le Matre illustre du bien-aim qui leur ont ajout, l'un la posie de la musique, l'autre la musique de son incomparable posie, que M. Darlu aussi, le grand philosophe dont la parole inspire, plus sre de durer qu'un crit, a, en moi comme en tant d'autres, engendr la pense, me pardonnent d'avoir rserv pour vous ce gage dernier d'affection, se souvenant qu'aucun vivant, si grand soit-il ou si cher, ne doit tre honor qu'aprs un mort. Juillet 1894 17. La Mort De Baldassare Silvande VICOMTE de SYLVANIE 18. I Apollon gardait les troupeaux d'Admte, disent les potes; chaque homme aussi est un dieu dguis qui contrefait le fou. EMERSON Monsieur Alexis, ne pleurez pas comme cela, M. le vicomte de Sylvanie va peut-tre vous donner un cheval. Un grand cheval, Beppo, ou un poney? Peut-tre un grand cheval comme celui de M. Cardenio. Mas ne pleurez donc pas comme cela... le jour de vos treize ans! L'espoir de recevoir un cheval et le souvenir qu'il avait treize ans firent briller, travers les larmes, les yeux d'Alexis. Mais il n'tait pas consol puisqu'il fallait aller voir son oncle Baldassare SILV ANDE, vicomte de Sylvanie. Certes, depuis le jour o il avait entendu dire que la maladie de son oncle tait ingurissable, Alexis l'avait vu plusieurs fois. Mais depuis, tout avait bien chang. Baldassare s'tait rendu compte de son mal et savait maintenant qu'il avait au plus trois ans vivre. Alexis, sans comprendre d'ailleurs comment cette certitude n'avait pas tu de chagrin ou rendu fou son oncle, se sentait incapable de supporter la douleur de le voir. Persuad qu'il allait lui parler de sa fin prochaine, il ne se croyait pas la force, non seulement de le consoler, mais mme de retenir ses sanglots. Il avait toujours ador son oncle, le plus grand, le plus beau, le plus jeune, le plus vif, le plus doux de ses parents. Il aimait ses yeux gris, ses moustaches blondes, ses genoux, lieu profond et doux de plaisir et de refuge quand il tait plus petit, et qui lui semblaient alors inaccessibles comme une citadelle, amusants comme des chevaux de bois et plus inviolables qu'un temple. Alexis, qui dsapprouvait hautement la mise sombre et svre de son pre et rvait un avenir o, toujours cheval, il serait lgant comme une dame et splendide comme un roi, reconnaissait en Baldassare l'idal le plus lev qu'il se formait d'un homme ; il savait que son oncle tait beau, qu'il lui ressemblait, il savait aussi qu'il tait intelligent, gnreux, qu'il avait une puissance gale celle d'un vque ou d'un gnral. A la vrit, les critiques de ses parents lui avaient appris que le vicomte avait des dfauts. Il se rappelait mme la violence de sa colre le jour o son cousin Jean Galeas s'tait moqu de lui, combien l'clat de ses yeux avait trahi les jouissances de sa vanit quand le duc de Parme lui avait fait offrir la main de sa soeur dl avait alors, en essayant de dissimuler son plaisir, serr les dents et fait une grimace qui lui tait habituelle et qui dplaisait Alexis) et le ton mprisant dont il parlait Lucretia qui faisait profession de ne pas aimer sa musique. Souvent, ses parents faisaient allusion d'autres actes de son oncle qu'Alexis ignorait, mais qu'il entendait vivement blmer. Mais tous les dfauts de Baldassare, sa grimace vulgaire, avaient certainement disparu. Quand son oncle avait su que dans deux ans petit-tre il serait mort, combien les moqueries de Jean Galeas, l'amiti du duc de Parme et sa propre musique avaient d lui devenir indiffrentes. Alexis se le reprsentait aussi beau, mais solennel et plus parfait encore qu'il ne l'tait auparavant. Oui, solennel et dj plus tout fait de ce monde. Aussi son dsespoir se mlait un peu d'inquitude et d'effroi. Les chevaux taient attels depuis longtemps, il fallait partir ; il monta dans la voiture, puis redescendit pour aller demander un dernier conseil son prcepteur. Au moment de parler, il devint trs rouge: 19. Monsieur Legrand, vaut-il mieux que mon oncle croie ou ne croie pas que je sais qu'il sait qu'il doit mourir? Qu'il ne le croie pas, Alexis! Mais, s'il m'en parle? Il ne vous en parlera pas. Il ne m'en parlera pas? dit Alexis tonn, car c'tait la seule alternative qu'il n'et pas prvue : chaque fois qu'il commenait imaginer sa visite son oncle, il l'entendait lui parler de la mort avec la douceur d'un prtre. Mais, enfin, s'il m'en parle? Vous direz qu'il se trompe. Et si je pleure? Vous avez trop pleur ce matin, vous ne pleurerez pas chez lui. Je ne pleurerai pas ! s'cria Alexis avec dsespoir, mais il croira que je n'ai pas de chagrin, que je ne l'aime pas... mon petit oncle! . Et il se mit fondre en larmes. Sa mre, impatiente dattendre, vint le chercher ; ils partirent. Quand Alexis eut donn son petit paletot un valet en livre verte et blanche, aux armes de Sylvanie, qui se tenait dans le vestibule, il s'arrta un moment avec sa mre couter un air de violon qui venait d'une chambre voisine. Puis, on les conduisit dans une immense pice ronde entirement vitre o le vicomte se tenait souvent. En entrant, on voyait en face de soi la mer, et, en tournant la tte, des pelouses, des pturages et des bois ; au fond de la pice, il y avait deux chats, des roses, des pavots et beaucoup d'instruments de musique. Ils attendirent un instant. Alexis se jeta sur sa mre, elle crut qu'il voulait l'embrasser, mais il lui demanda tout bas, sa bouche colle son oreille: Quel ge a mon oncle? Il aura trente-six ans au mois de juin. Il voulut demander : Crois-tu qu'il aura jamais trentesix ans? mais il n'osa pas. Une porte s'ouvrit, Alexis trembla, un domestique dit: Monsieur le vicomte vient l'instant. Bientt le domestique revint faisant entrer deux paons et un chevreau que le vicomte emmenait partout avec lui. Puis on entendit de nouveaux pas et la porte s'ouvrit encore. Ce n'est rien, se dit Alexis dont le coeur battait chaque fois qu'il entendait du bruit, c'est sans doute un domestique, oui, bien probablement un domestique. Mais en mme temps, il entendait une voix douce: Bonjour, mon petit Alexis, je te souhaite une bonne fte. Et son oncle en l'embrassant lui fit peur. Il s'en aperut sans doute et sans plus s'occuper de lui, pour lui laisser le temps de se remettre, il se mit causer gaiement avec la mre d'Alexis, sa belle-soeur, qui, depuis la mort de sa mre, tait l'tre qu'il aimait le plus au monde. Maintenant, Alexis, rassur, n'prouvait plus qu'une immense tendresse pour ce jeune homme encore si charmant, peine plus ple, hroque au point de jouer la gaiet dans ces minutes tragiques. Il aurait voulu se jeter son cou et n'osait pas, craignant de briser l'nergie de son oncle qui ne pourrait plus rester matre de lui. Le regard triste et doux du vicomte lui donnait surtout envie de pleurer. Alexis savait que toujours ses yeux avaient t tristes et mme, dans les moments les plus heureux, semblaient implorer une consolation pour des maux qu'il ne paraissait pas ressentir. Mais, ce moment, il crut que la tristesse de son oncle, courageusement bannie de sa conversation, s'tait rfugie dans ses yeux qui, seuls, dans toute sa personne, taient alors sincres avec ses joues 20. maigries. Je sais que tu aimerais conduire une voiture deux chevaux, mon petit Alexis, dit Baldassare, on t'amnera demain un cheval. L'anne prochaine, je complterai la paire et, dans deux ans, je te donnerai la voiture. Mais, peut-tre, cette anne, pourras-tu toujours monter le cheval, nous l'essayerons mon retour. Car je pars dcidment demain, ajouta-t-il, mais pas pour longtemps. Avant un mois je serai revenu et nous irons ensemble en matine, tu sais, voir la comdie o je t'ai promis de te conduire. Alexis savait que son oncle allait passer quelques semaines chez un de ses amis, il savait aussi qu'on permettait encore son oncle d'aller au thtre ; mais tout pntr qu'il tait de cette ide de la mort qui l'avait profondment boulevers avant d'aller chez son oncle, ses paroles lui causrent un tonnement douloureux et profond. Je n'irai pas, se dit-il. Comme il souffrirait d'entendre les bouffonneries des acteurs et le rire du public! Quel est ce joli air de violon que nous avons entendu en entrant ? demanda la mre d'Alexis. Ah ! vous l'avez trouv joli ? dit vivement Baldassare d'un air joyeux. C'est la romance dont je vous avais parl. Joue-t-il la comdie ? se demanda Alexis. Comment le succs de sa musique peut-il encore lui faire plaisir? ce moment, la figure du vicomte prit une expression de douleur profonde ; ses joues avaient pli, il frona les lvres et les sourcils, ses yeux s'emplirent de larmes. Mon Dieu ! s'cria intrieurement Alexis, ce rle est au-dessus de ses forces. Mon pauvre oncle ! Mais aussi pourquoi craint-il tant de nous faire de la peine ? Pourquoi prendre ce point sur lui? Mais les douleurs de la paralysie gnrale qui serraient parfois Baldassare comme dans un corset de fer jusqu' lui laisser sur le corps des marques de coups, et dont l'acuit venait de contracter malgr lui son visage, s'taient dissipes. Il se remit causer avec bonne humeur, aprs s'tre essuy les yeux. Il me semble que le duc de Parme est moins aimable pour toi depuis quelque temps ? demanda maladroitement la mre d'Alexis. Le duc de Parme ! s'cria Baldassare furieux, le duc de Parme moins aimable ! mais quoi pensez-vous, ma chre ? Il m'a encore crit ce matin pour mettre son chteau d'Illyrie ma disposition si l'air des montagnes pouvait me faire du bien. Il se leva vivement, mais rveilla en mme temps sa douleur atroce, il dut s'arrter un moment ; peine elle fut calme, il appela: Donnez-moi la lettre qui est prs de mon lit. Et il lut vivement: Mon cher Baldassare Combien je m'ennuie de ne pas vous voir, etc., etc. Au fur et mesure que se dveloppait l'amabilit du prince, la figure de Baldassare s'adoucissait, brillait d'une confiance heureuse. Tout coup, voulant sans doute dissimuler une joie qu'il ne jugeait pas trs leve, il serra les dents et fit la jolie petite grimace vulgaire qu'Alexis avait crue jamais bannie de sa face pacifie par la mort. En plissant comme autrefois la bouche de Baldassare, cette petite grimace dessilla les yeux d'Alexis qui depuis qu'il tait prs de son oncle avait cru, avait voulu contempler le visage d'un mourant jamais dtach des ralits vulgaires et o ne pouvait plus flotter qu'un sourire hroquement contraint, tristement tendre, cleste et dsenchant. Maintenant il ne douta plus que Jean Galeas, en taquinant son oncle, l'aurait mis, comme auparavant, en colre, que dans la gaiet du malade, dans son dsir d'aller au thtre il n'entrait ni dissimulation ni courage, et qu'arriv si prs de la mort, Baldassare continuait ne penser qu' la vie. En rentrant chez lui, Alexis frit vivement frapp par cette pense que lui aussi mourrait un jour, et que s'il avait encore devant lui beaucoup plus de temps que son oncle, le vieux jardinier de 21. Baldassare et sa cousine, la duchesse d'Alriouvres, ne lui survivraient certainement pas longtemps. Pourtant, assez riche pour se retirer, Rocco continuait travailler sans cesse pour gagner plus d'argent encore, et tchait d'obtenir un prix pour ses roses. La duchesse, malgr ses soixante-dix ans, prenait grand soin de se teindre, et, dans les journaux, payait des articles o l'on clbrait la jeunesse de sa dmarche, l'lgance de ses rceptions, les raffinements de sa table et de son esprit. Ces exemples ne diminurent pas l'tonnement o l'attitude de son oncle avait plong Alexis, mais lui en inspiraient un pareil qui, gagnant de proche en proche, s'tendit comme une stupfaction immense sur le scandale universel de ces existences dont il n'exceptait pas la sienne propre, marchant la mort reculons, en regardant la vie. Rsolu ne pas imiter une aberration si choquante, il dcida, l'imitation des anciens prophtes dont on lui avait enseign la gloire, de se retirer dans le dsert avec quelques-uns de ses petits amis et en fit part ses parents. Heureusement, plus puissante que leurs moqueries, la vie dont il n'avait pas encore puis le lait fortifiant et doux tendit son sein pour le dissuader. Et il se remit y boire avec une avidit joyeuse dont son imagination crdule et riche coutait navement les dolances et rparait magnifiquement les dboires. 22. II La chair est triste, hlas... STPHANE MALLARMLe lendemain de la visite d'Alexis, le vicomte de Sylvanie tait parti pour le chteau voisin o il devait passer trois ou quatre semaines et o la prsence de nombreux invits pouvait distraire la tristesse qui suivait souvent ses crises. Bientt tous les plaisirs s'y rsumrent pour lui dans la compagnie d'une jeune femme qui les lui doublait en les partageant. Il crut sentir qu'elle l'aimait, mais garda pourtant quelque rserve avec elle : il la savait absolument pure, attendant impatiemment d'ailleurs l'arrive de son mari ; puis il n'tait pas sr de l'aimer vritablement et sentait vaguement quel pch ce serait de l'entraner mal faire. A quel moment leurs rapports avaient-ils t dnaturs, il ne put jamais se le rappeler. Maintenant, comme en vertu d'une entente tacite, et dont il ne pouvait dterminer l'poque, il lui baisait les poignets et lui passait la main autour du cou. Elle paraissait si heureuse qu'un soir il fit plus : il commena par l'embrasser ; puis il la caressa longuement et de nouveau l'embrassa sur les yeux, sur la joue, sur la lvre, dans le cou, aux coins du nez. La bouche de la jeune femme allait en souriant au-devant des caresses, et ses regards brillaient dans leurs profondeurs comme une eau tide de soleil. Les caresses de Baldassare cependant taient devenues plus hardies ; un moment il la regarda ; il fut frapp de sa pleur, du dsespoir infini qu'exprimaient son front mort, ses yeux navrs et las qui pleuraient, en regards plus tristes que des larmes, comme la torture endure pendant une mise en croix ou aprs la perte irrparable d'un tre ador. Il la considra un instant ; et alors dans un effort suprme elle leva vers lui ses yeux suppliants qui demandaient grce, en mme temps que sa bouche avide, d'un mouvement inconscient et convulsif, redemandait des baisers. Repris tous deux par le plaisir qui flottait autour d'eux dans le parfum de leurs baisers et le souvenir de leurs caresses, ils se jetrent l'un sur l'autre en fermant dsormais les yeux, ces yeux cruels qui leur montraient la dtresse de leurs mes, ils ne voulaient pas la voir et lui surtout fermait les yeux de toutes ses forces comme un bourreau pris de remords et qui sent que son bras tremblerait au moment de frapper sa victime, si au lieu de l'imaginer encore excitante pour sa rage et le forant l'assouvir, il pouvait la regarder en face et ressentir un moment sa douleur. La nuit tait venue et elle tait encore dans sa chambre, les yeux vagues et sans larmes. Elle partit sans lui dire un mot, en baisant sa main avec une tristesse passionne. Lui pourtant ne pouvait dormir et s'il s'assoupissait un moment, frissonnait en sentant levs sur lui les yeux suppliants et dsesprs de la douce victime. Tout coup, il se la reprsenta telle qu'elle devait tre maintenant, ne pouvant dormir non plus et se sentant si seule. Il s'habilla, marcha doucement jusqu' sa chambre, n'osant pas faire de bruit pour ne pas la rveiller si elle dormait, n'osant pas non plus rentrer dans sa chambre lui o le ciel et la terre et son me l'touffaient de leur poids. Il resta l, au seuil de la chambre de la jeune femme, croyant tout moment qu'il ne pourrait se contenir un instant de plus et qu'il allait entrer ; puis, pouvant la pense de rompre ce doux oubli qu'elle dormait d'une haleine dont il percevait la douceur gale, pour la livrer cruellement au remords et au dsespoir, hors des prises de qui elle trouvait un moment le 23. repos, il resta l au seuil, tantt assis, tantt genoux, tantt couch. Au matin, il rentra dans sa chambre, frileux et calm, dormit longtemps et se rveilla plein de bien-tre. Ils s'ingnirent rciproquement rassurer leurs consciences, ils s'habiturent aux remords qui diminurent, au plaisir qui devint aussi moins vif, et, quand il retourna en Sylvanie, il ne garda comme elle qu'un souvenir doux et un peu froid de ces minutes enflammes et cruelles. 24. III Sa jeunesse lui fait du bruit, il n'entend pas. MME DE SVIGNQuand Alexis, le jour de ses quatorze ans, alla voir son oncle Baldassare, il ne sentit pas se renouveler, comme il s'y tait attendu, les violentes motions de l'anne prcdente. Les courses incessantes sur le cheval que son oncle lui avait donn, en dveloppant ses forces avaient lass son nervement et avivaient en lui ce sentiment continu de la bonne sant, qui s'ajoute alors la jeunesse, comment la conscience obscure de la profondeur, de ses ressources et de la puissance de son allgresse. A sentir, sous la brise veille par son galop, sa poitrine gonfle comme une voile, son corps brlant comme un feu l'hiver et son front aussi frais que les feuillages fugitifs qui le ceignaient au passage, raidir en rentrant son corps sous l'eau froide ou le dlasser longuement pendant les digestions savoureuses, il exaltait en lui ces puissances de la vie qui, aprs avoir t lorgueil tumultueux de Baldassare, s'taient jamais retires de lui pour aller rjouir des mes plus jeunes, qu'un jour pourtant elles dserteraient aussi. Rien en Alexis ne pouvait plus dfaillir de la faiblesse de son oncle, mourir sa fin prochaine. Le bourdonnement joyeux de son sang dans ses veines et de ses dsirs dans sa tte l'empchait d'entendre les plaintes extnues du malade. Alexis tait entr dans cette priode ardente o le corps travaille si robustement lever ses palais entre lui et l'me qu'elle semble bientt avoir disparu jusqu'au jour o la maladie ou le chagrin ont lentement min la douloureuse fissure au bout de laquelle elle rapparat. Il s'tait habitu la maladie mortelle de son oncle comme tout ce qui dure autour de nous, et bien qu'il vct encore, parce qu'il lui avait fait pleurer une fois ce que nous font pleurer les morts, il avait agi avec lui comme avec un mort, il avait commenc oublier. Quand son oncle lui dit ce jour-l : Mon petit Alexis, je te donne la voiture en mme temps que le second cheval , il avait compris que son oncle pensait: parce que sans cela tu risquerais de ne jamais avoir la voiture , et il savait que c'tait une pense extrmement triste. Mais il ne la sentait pas comme telle, parce que actuellement il n'y avait plus de place en lui pour la tristesse profonde. Quelques jours aprs, il fut frapp dans une lecture par le portrait d'un sclrat que les plus touchantes tendresses d'un mourant qui l'adorait n'avaient pas mu. Le soir venu, la crainte d'tre le sclrat dans lequel il avait cru se reconnatre l'empcha de s'endormir. Mais le lendemain, il fit une si belle promenade cheval, travailla si bien, se sentit d'ailleurs tant de tendresse pour ses parents vivants qu'il recommena jouir sans scrupules et dormir sans remords. Cependant le vicomte de Sylvanie, qui commenait ne plus pouvoir marcher, ne sortait plus gure du chteau. Ses amis et ses parents passaient toute la journe avec lui, et il pouvait avouer la folie la plus blmable, la dpense la plus absurde, faire montre du paradoxe ou laisser entrevoir le dfaut le plus choquant sans que ses parents lui fissent des reproches, que ses amis se permissent une plaisanterie ou une contradiction. Il semblait que tacitement on lui et t la responsabilit de ses actes et de ses paroles. Il semblait surtout qu'on voult l'empcher d'entendre force de les ouater de douceur, sinon de les vaincre par des caresses, les derniers grincements de son corps que quittait la vie. 25. Il passait de longues et charmantes heures couch en tte tte avec soi-mme, le seul convive qu'il et nglig d'inviter souper pendant sa vie. Il prouvait parer son corps dolent, accouder sa rsignation la fentre en regardant la mer, une joie mlancolique. Il environnait des images de ce monde dont il tait encore tout plein, mais que l'loignement, en l'en dtachant dj, lui rendait vagues et belles, la scne de sa mort, depuis longtemps prmdite mais sans cesse retouche, ainsi qu'une oeuvre d'art, avec une tristesse ardente. Dj s'esquissaient dans son imagination ses adieux la duchesse Oliviane, sa grande amie platonique, sur le salon de laquelle il rgnait, malgr que tous les plus grands seigneurs, les plus glorieux artistes et les plus gens d'esprit d'Europe y fussent runis. Il lui semblait dj lire le rcit de leur dernier entretien: ... Le soleil tait couch, et la mer qu'on apercevait travers les pommiers tait mauve. Lgers comme de claires couronnes fltries et persistants comme des regrets, de petits nuages bleus et roses flottaient l'horizon. Une file mlancolique de peupliers plongeait dans l'ombre, la tte rsigne dans un rose d'glise ; les derniers rayons, sans toucher leurs troncs, teignaient leurs branches, accrochant ces balustrades d'ombre des guirlandes de lumire. La brise mlait les trois odeurs de la mer, des feuilles humides et du lait. Jamais la campagne de Sylvanie n'avait adouci de plus de volupt la mlancolie du soir. Je vous ai beaucoup aim, mais je vous ai peu donn, mon pauvre ami, lui dit-elle. Que dites-vous, Oliviane ? Comment, vous m'avez peu donn ? V m'avez d'autant plus ous donn que je vous demandais moins et bien plus en vrit que si les sens avaient eu quelque part dans notre tendresse. Surnaturelle comme une madone, douce comme une nourrice, je vous ai adore et vous m'avez berc. Je vous aimais d'une affection dont aucune esprance de plaisir charnel ne venait concerter la sagacit sensible. Ne m'apportiez-vous pas en change une amiti incomparable, un th exquis, une conversation naturellement orne, et combien de touffes de roses fraches. V ous seule avez su de vos mains maternelles et expressives rafrachir moi front brlant de fivre, couler du miel entre mes lvres fltries, mettre dans ma vie de nobles images. Chre amie, donnez-moi vos mains que je les baise... Seule l'indiffrence de Pia, petite princesse syracusaine, qu'il aimait encore avec tous ses sens et avec son coeur et qui s'tait prise pour Castruccio d'un amour invincible et furieux, le rappelait de temps en temps une ralit plus cruelle, mais qu'il s'efforait d'oublier. Jusqu'aux derniers jours, il avait encore t quelquefois dans des ftes o, en se promenant son bras, il croyait humilier son rival ; mais l mme, pendant qu'il marchait ct d'elle, il sentait ses yeux profonds distraits d'un autre amour que seule sa piti pour le malade lui faisait essayer de dissimuler. Et maintenant, cela mme il ne le pouvait plus. L'incohrence des mouvements de ses jambes tait devenue telle qu'il ne pouvait plus sortir. Mais elle venait souvent le voir, et comme si elle tait entre dans la grande conspiration de douceur des autres, elle lui parlait sans cesse avec une tendresse ingnieuse que ne dmentait plus jamais comme autrefois le cri de son indiffrence ou l'aveu de sa colre. Et plus que de toutes les autres, il sentait l'apaisement de cette douceur s'tendre sur lui et le ravir. Mais voici qu'un jour, comme il se levait de sa chaise pour aller table, son domestique tonn le vit marcher beaucoup mieux. Il fit demander le mdecin qui attendit pour se prononcer. Le lendemain il marchait bien. Au bout de huit jours, il lui permit de sortir. Ses parents et ses amis conurent alors un immense espoir. Le mdecin crut que peut-tre une simple maladie nerveuse gurissable avait affect d'abord les symptmes de la paralysie gnrale, qui maintenant, en effet, commenaient disparatre. Il prsenta ses doutes Baldassare comme une certitude et lui dit: V tes sauv! Le condamn mort laissa paratre une joie mue en apprenant sa grce. ous 26. Mais, au bout de quelque temps, le mieux s'tant accentu, une inquitude aigu commena percer sous sa joie qu'avait dj affaiblie une si courte habitude. A l'abri des intempries de la vie, dans cette propice atmosphre de douceur ambiante, de calme forc et de libre mditation, avait obscurment commenc de germer en lui le dsir de la mort. Il tait loin de s'en douter encore et sentit seulement un vague effroi la pense de recommencer vivre, essuyer les coups dont il avait perdu l'habitude et de perdre les caresses dont on l'avait entour. Il sentit aussi confusment qu'il serait mal de s'oublier dans le plaisir ou dans l'action, maintenant qu'il avait fait connaissance avec lui-mme, avec le fraternel tranger qui, tandis qu'il regardait les barques sillonner la mer, avait convers avec lui pendant des heures, et si loin, et si prs, en lui-mme. Comme si maintenant il sentait un nouvel amour natal encore inconnu s'veiller en lui, ainsi qu'en un jeune homme qui aurait t tromp sur le lieu de sa patrie premire, il prouvait la nostalgie de la mort, o c'tait d'abord comme pour un ternel exil qu'il s'tait senti partir. Il mit une ide, et Jean Galeas, qui le savait guri, le contredit violemment et le plaisanta. Sa belle-soeur, qui depuis deux mois venait le matin et le soir resta deux jours sans venir le voir. C'en tait trop! Il y avait trop longtemps qu'il s'tait dshabitu du bt de la vie, il ne voulait plus le reprendre. C'est qu'elle ne l'avait pas ressaisi par ses charmes. Ses forces revinrent et avec elles tous ses dsirs de vivre ; il sortit, recommena vivre et mourut une deuxime fois lui-mme. Au bout d'un mois, les symptmes de la paralysie gnrale reparurent. Peu peu, comme autrefois, la marche lui devint difficile, impossible, assez progressivement pour qu'il pt s'habituer son retour vers la mort et avoir le temps de dtourner la tte. La rechute n'eut mme pas la vertu qu'avait eue la premire attaque vers la fin de laquelle il avait commenc se dtacher de la vie, non pour la voir encore dans sa ralit, mais pour la regarder, comme un tableau. Maintenant, au contraire, il tait de plus en plus vaniteux, irascible, brl du regret des plaisirs qu'il ne pouvait plus goter. Sa belle-soeur, qu'il aimait tendrement, mettait seule un peu de douceur dans sa fin en venant plusieurs fois par jour avec Alexis. Une aprs-midi qu'elle allait voir le vicomte, presque au moment d'arriver chez lui, ses chevaux prirent peur ; elle fut projete violemment terre, foule par un cavalier, qui passait au galop, et emporte chez Baldassare sans connaissance, le crne ouvert. Le cocher, qui n'avait pas t bless, vint tout de suite annoncer l'accident au vicomte, dont la figure jaunit. Ses dents s'taient serres, ses yeux luisaient dbordant de l'orbite, et, dans un accs de colre terrible, il invectiva longtemps le cocher ; mais il semblait que les clats de sa violence essayaient de dissimuler un appel douloureux qui, dans leurs intervalles, se laissait doucement entendre. On et dit qu'un malade se plaignait ct du vicomte furieux. Bientt cette plainte, faible d'abord, touffa les cris de sa colre, et il tomba en sanglotant sur une chaise. Puis il voulut se faire laver la figure pour que sa belle-soeur ne ft pas inquite par les traces de son chagrin. Le domestique secoua tristement la tte, la malade n'avait pas repris connaissance. Le vicomte passa deux jours et deux nuits dsesprs auprs de sa belle-soeur. A chaque instant, elle pouvait mourir. La seconde nuit, on tenta une opration hasardeuse. Le matin du troisime jour, la fivre tait tombe, et la malade regardait en souriant Baldassare qui, ne pouvant plus contenir ses larmes, pleurait de joie sans s'arrter. Quand la mort tait venue lui peu peu il n'avait pas voulu la voir ; maintenant il s'tait trouv subitement en sa prsence. Elle l'avait pouvant en menaant ce qu'il avait de plus cher ; il l'avait supplie, il l'avait flchie. Il se sentait fort et libre, fier de sentir que sa propre vie ne lui tait pas prcieuse autant que celle 27. de sa belle-soeur, et qu'il prouvait autant de mpris pour elle que l'autre lui avait inspir de piti. C'tait la mort maintenant qu'il regardait en face, et non les scnes qui entoureraient sa mort. Il voulait rester tel jusqu' la fin, ne plus tre repris par le mensonge, qui, en voulant lui faire une belle et clbre agonie, aurait mis le comble ses profanations en souillant les mystres de sa mort comme il lui avait drob les mystres de sa vie. 28. IV Demain, puis demain, puis demain glisse, ainsi petits pas jusqu' la derrire syllabe que le temps crit dans son livre. Et tous nos hiers ont clair pour quelques fous le chemin de la mort poudreuse. teins-toi ! teins-toi!, court flambeau ! La vie n'est qu'une ombre errante, un pauvre comdien qui se pavane et se lamente pendant son heure sur le thtre et qu'aprs qu'on nentend plus. C'est un conte, dit par un idiot, plein de fracas et de furie, qui ne signifie rien. SHAKESPEARE, MacbethLes motions, les fatigues de Baldassare pendant la maladie de sa belle-soeur avaient prcipit la marche de la sienne. Il venait d'apprendre de son confesseur qu'il n'avait plus un mois vivre ; il tait dix heures du matin, il pleuvait verse. Une voiture s'arrta devant le chteau. C'tait la duchesse Oliviane. Il s'tait dit alors qu'il ornait harmonieusement les scnes de sa mort: ... Ce sera par une claire soire. Le soleil sera couch, et la mer qu'on apercevra entre les pommiers sera mauve. Lgers comme de claires couronnes fltries et persistants comme des regrets, de petits nuages bleus et roses flotteront l'horizon... Ce fut dix heures du matin, sous un ciel bas et sale, par une pluie battante, que vint la duchesse Oliviane ; et fatigu par son mal, tout entier des intrts plus levs, et ne sentant plus la grce des choses qui jadis lui avaient paru le prix, le charme et la gloire raffine de la vie, il demanda qu'on dt la duchesse qu'il tait trop faible. Elle fit insister, mais il ne voulut pas la recevoir. Ce ne fut mme pas par devoir : elle ne lui tait plus rien. La mort avait vite fait de rompre ces liens dont il redoutait tant depuis quelques semaines l'esclavage. En essayant de penser elle, il ne vit rien apparatre aux yeux de son esprit : ceux de son imagination et de sa vanit s'taient clos. Pourtant, une semaine peu prs avant sa mort, l'annonce d'un bal chez la duchesse de Bohme o Pia devait conduire le cotillon avec Castruccio qui partait le lendemain pour le Danemark, rveilla furieusement sa jalousie. Il demanda qu'on fit venir Pia ; sa belle-soeur rsista un peu ; il crut qu'on l'empchait de la voir, qu'on le perscutait, se mit en colre, et pour ne pas le tourmenter, on la fit chercher aussitt. Quand elle arriva, il tait tout fait calme, mais d'une tristesse profonde. Il l'attira prs de son lit et lui parla tout de suite du bal de la duchesse de Bohme. Il lui dit: Nous n'tions pas parents, vous ne porterez pas mon deuil, mais je veux vous adresser une prire : n'allez pas ce bal, promettez-le-moi. Ils se regardaient dans les yeux, se montrant au bord des prunelles leurs mes, leurs mes mlancoliques et passionnes que la mort n'avait pu runir. Il comprit son hsitation, contracta douloureusement ses lvres et doucement lui dit: Oh ! ne promettez plutt pas ! ne manquez pas une promesse faite un mourant. Si vous n'tes pas sre de vous, ne promettez pas. Je ne peux pas vous le promettre, je ne l'ai pas vu depuis deux mois et ne le reverrai peut-tre jamais ; je resterais inconsolable pour l'ternit de n'avoir pas t ce bal. Vous avez raison, puisque vous l'aimez, qu'on peut mourir... et que vous vivez encore de toutes vos forces... Mais vous ferez un peu pour moi ; sur le temps que vous passerez ce bal, prlevez celui que, pour drouter les soupons, vous auriez t oblige de passer avec moi. Invitez mon me se souvenir quelques instants avec vous, ayez quelque pense pour moi. 29. J'ose peine vous le promettre, le bal durera si peu. En ne le quittant pas, j'aurai peine le temps de le voir. Je vous donnerai un moment tous les jours qui suivront. V ne le pourrez pas, vous m'oublierez ; mais si, aprs un an, hlas ! plus peut-tre, une ous lecture triste, une mort, une soire pluvieuse vous font penser moi, quelle charit vous me ferez ! Je ne pourrai plus jamais, jamais vous voir... qu'en me, et pour cela il faudrait que nous pensions l'un l'autre ensemble. Moi je penserai vous toujours pour que mon me vous soit sans cesse ouverte s' vous plaisait d'y entrer. Mais que l'invite se fera longtemps attendre ! Les pluies de novembre auront pourri les fleurs de ma tombe, juin les aura brles et mon me pleurera toujours d'impatience. Ah ! j'espre qu'un jour la vue d'un souvenir, le retour d'un anniversaire, la pente de vos penses mnera votre mmoire aux alentours de ma tendresse ; alors ce sera comme si je vous avais entendue, aperue, un enchantement aura tout fleuri pour votre venue. Pensez au mort. Mais, hlas ! puis-je esprer que la mort et votre gravit accompliront ce que la vie avec ses ardeurs, et nos larmes, et nos gaiets, et nos lvres n'avaient pu faire. 30. V Voil un noble coeur qui se brise. Bonne nuit, aimable prince, et que les essaims d'anges bercent en chantant ton sommeil. SHAKESPEARE, HamletCependant une fivre violente accompagne de dlire ne quittait plus le vicomte ; on avait dress son lit dans la vaste rotonde o Alexis l'avait vu le jour de ses treize ans, l'avait vu si joyeux encore, et d'o le malade pouvait regarder la fois la mer, la jete du port et de lautre ct les pturages et les bois. De temps en temps, il se mettait parler ; mais ses paroles ne portaient plus la trace des penses d'en haut qui, pendant les dernires semaines, l'avaient purifi de leur visite. Dans des imprcations violentes contre une personne invisible qui le plaisantait, il rptait sans cesse qu'il tait le premier musicien du sicle et le plus grand seigneur de l'univers. Puis, soudain calm, il disait son cocher de le mener dans un bouge, de faire seller les chevaux pour la chasse. Il demandait du papier lettres pour convier dner tous les souverains d'Europe l'occasion de son mariage avec la soeur du duc de Parme ; effray de ne pouvoir payer une dette de jeu, il prenait le couteau papier plac prs de son lit et le braquait devant lui comme un revolver. Il envoyait des messagers s'informer si l'homme de police qu'il avait ross la nuit dernire n'tait pas mort et il disait en riant, une personne dont il croyait tenir la main, des mots obscnes. Ces anges exterminateurs qu'on appelle V olont, Pense, n'taient plus l pour faire rentrer dans l'ombre les mauvais esprits de ses sens et les basses manations de sa mmoire. Au bout de trois jours, vers cinq heures, il se rveilla comme d'un mauvais rve dont on n'est pas responsable, mais dont on se souvient vaguement. Il demanda si des amis de ces parents avaient t prs de lui pendant ces heures o il n'avait donn l'image que de la partir infime, la plus ancienne et la plus morte de lui-mme, et il pria, s'il tait repris par le dlire, qu'on les fit immdiatement sortir et qu'on ne les laisst rentrer que quand il aurait repris connaissance. Il leva les yeux autour de lui dans la chambre, et regarda en souriant son chat noir qui, mont sur un vase de Chine, jouait avec un chrysanthme et respirait la fleur avec un geste de mime. Il fit sortir tout le monde et s'entretint longuement avec le prtre qui le veillait. Pourtant, il refusa de communier et demanda au mdecin de dire que l'estomac n'tait plus en tat de supporter l'hostie. Au bout d'une heure il fit dire sa belle-soeur et Jean Galeas de rentrer. Il dit: Je suis rsign, je suis heureux de mourir et d'aller devant Dieu. L'air tait si doux qu'on ouvrit les fentres qui regardaient la mer sans la voir, et cause du vent trop vif on laissa fermes celles d'en face, devant qui s'tendaient les pturages et les bois. Baldassare fit traner son lit prs des fentres ouvertes. Un bateau, men la mer par les marins qui sur la jete tiraient la corde, partait. Un beau mousse d'une quinzaine d'annes se penchait l'avant, tout au bord ; chaque vague, un croyait qu'il allait tomber dans l'eau, mais il se tenait ferme sur ses jambes solides. Il tendait le filet pour ramener le poisson et tenait une pipe chaude entre ses lvres sales par le vent. Et le mme vent qui enflait la voile venait rafrachir les joues de Baldassare et fit voler un papillon dans la chambre. Il dtourna la 31. tte pour ne plus voir cette image heureuse des plaisirs qu'il avait passionnment aims et qu'il ne goterait plus. Il regarda le port : un trois-mts appareillait. C'est le bateau qui part pour les Indes , dit Jean Galeas. Baldassare ne distinguait pas les gens debout sur le pont qui levaient des mouchoirs, mais il devinait la soif d'inconnu qui altrait leurs yeux ; ceux-l avaient encore beaucoup vivre, connatre, sentir. On leva l'ancre, un cri s'leva, et le bateau s'branla sur la mer sombre vers l'occident ou, dans une brume dore, la lumire mlait les petits bateaux et les nuages et murmurait aux voyageurs des promesses irrsistibles et vagues. Baldassare fit fermer les fentres de ce ct de la rotonde et ouvrir celles qui donnaient sur les pturages et les bois. Il regarda les champs, mais il entendait encore le cri d'adieu pouss sur le troismts, et il voyait le mousse, la pipe entre les dents, qui tendait ses filets. La main de Balilassare remuait fivreusement. Tout coup il entendit un petit bruit argentin, imperceptible et profond comme un battement de coeur. C'tait le son des cloches d'un village extrmement loign, qui, par la grce de l'air si limpide ce soir-l et de la brise propice, avait travers bien des lieues de plaines et de rivires avant d'arriver jusqu' lui pour tre recueilli par son oreille fidle. C'tait une voix prsente et bien ancienne ; maintenant il entendait son coeur battre avec leur vol harmonieux, suspendu au moment o elles semblent aspirer le son, et s'exhalant aprs longuement et faiblement avec elles. A toutes les poques de sa vie, ds qu'il entendait le son lointain des cloches, il se rappelait malgr lui leur douceur dans l'air du soir, quand, petit enfant encore, il rentrait au chteau, par les champs. A ce moment, le mdecin fit approcher tout le monde, ayant dit: C'est la fin! Baldassare reposait, les yeux ferms, et son coeur coutait les cloches que son oreille paralyse par la mort voisine n'entendait plus. Il revit sa mre quand elle l'embrassait en rentrant, puis quand elle le couchait le soir et rchauffait ses pieds dans ses mains, restant prs de lui s'il ne pouvait pas s'endormir ; il se rappela son Robinson Cruso et les soires au jardin quand sa soeur chantait, les paroles de son prcepteur qui prdisait qu'il serait un jour un grand musicien, et l'motion de sa mre alors, qu'elle s'efforait en vain de cacher. Maintenant il n'tait plus temps de raliser l'attente passionne de sa mre et de sa soeur qu'il avait si cruellement trompe. Il revit le grand tilleul sous lequel il s'tait fianc et le jour de la rupture de ses fianailles, o sa mre seule avait su le consoler. Il crut embrasser sa vieille bonne et tenir son premier violon. Il revit tout cela dans un lointain lumineux doux et triste comme celui que les fentres du ct des champs regardaient sans le voir. Il revit tout cela, et pourtant deux secondes ne s'taient pas coules depuis que le docteur coutant son coeur avait dit: C'est la fin! Il se releva en disant: C'est fini! Alexis, sa mre et Jean Galeas se mirent genoux avec le duc de Parme qui venait d'arriver. Les domestiques pleuraient devant la porte ouverte. Octobre 1894FIN de La Mort De Baldassare Silvande 32. Violante Ou La Mondanit Ayez peu de commerce avec les jeunes gens et les personnes du monde... Ne dsirez point de paratre devant les grands. IMITATION DE JESUS CHRIST, Liv. I, Ch. VIIIHenri Gervex Scne de caf Paris1877 33. Chapitre I Enfance mditative de Violante La vicomtesse de Styrie tait gnreuse et tendre et toute pntre d'une grce qui charmait. L'esprit du vicomte son mari tait extrmement vif, et les traits de sa figure d'une rgularit admirable. Mais le premier grenadier verni tait plus sensible et moins vulgaire. Ils levrent loin du monde, dans le rustique domaine de Styrie, leur fille Violante, qui, belle et vive comme son pre, charitable et mystrieusement sduisante autant que sa mre, semblait unir les qualits de ses parents dans une proportion parfaitement harmonieuse. Mais les aspirations changeantes de son coeur et de sa pense ne rencontraient pas en elle une volont qui, sans les limiter, les diriget, l'empcht de devenir leur jouet charmant et fragile. Ce manque de volont inspirait la mre de Violante des inquitudes qui eussent pu, avec le temps, tre fcondes, si dans un accident de chasse, la vicomtesse n'avait pri violemment avec son mari, laissant Violante orpheline l'ge de quinze ans. Vivant presque seule, sous la garde vigilante mais maladroite du vieil Augustin, son prcepteur et l'intendant du chteau de Styrie, Violante, dfaut d'amis, se fit de ses rves des compagnons charmants et qui elle promettait alors de rester fidle toute sa vie. Elle les promenait dans les alles du parc, par la campagne, les accoudait la terrasse qui, fermant le domaine de Styrie, regarde la mer. leve par eux comme au-dessus d'elle-mme, initie par eux, Violante sentait tout le visible et pressentait un peu de l'invisible. Sa joie tait infinie, interrompue de tristesses qui passaient encore la joie en douceur. 34. Chapitre II Sensualit Ne vous appuyez point sur un roseau qu'agite le vent et n'y mettez pas votre confiance, car toute chair est comme l'herbe et sa gloire passe comme la fleur des champs. IMITATION DE JESUS CHRISTSauf Augustin et quelques enfants du pays, Violante ne voyait personne. Seule une soeur pune de sa mre, qui habitait Julianges, chteau situ quelques heures de distance, visitait quelquefois Violante. Un jour qu'elle allait ainsi voir sa nice, un de ses amis l'accompagna. Il s'appelait Honor et avait seize ans. Il ne plut pas Violante, mais revint. En se promenant dans une alle du parc, il lui apprit des choses fort inconvenantes dont elle ne se doutait pas. Elle en prouva un plaisir trs doux, mais dont elle eut honte aussitt. Puis, comme le soleil s'tait couch et qu'ils avaient march longtemps, ils s'assirent sur un banc, sans doute pour regarder les reflets dont le ciel rose adoucissait la mer. Honor se rapprocha de Violante pour qu'elle n'et froid, agrafa sa fourrure sur son cou avec une ingnieuse lenteur et lui proposa d'essayer de mettre en pratique avec son aide les thories qu'il venait de lui enseigner dans le parc. Il voulut lui parler tout bas, approcha ses lvres de l'oreille de Violante qui ne la retira pas ; mais ils entendirent du bruit dans la feuille. Ce n'est rien, dit tendrement Honor. C'est ma tante , dit Violante. C'tait le vent. Mais Violante qui s'tait leve, rafrachie fort propos par ce vent, ne voulut point se rasseoir et prit cong d'Honor, malgr ses prires. Elle eut des remords, une crise de nerfs, et deux jours de suite fut trs longue s'endormir. Son souvenir lui tait un oreiller brlant qu'elle retournait sans cesse. Le surlendemain, Honor demanda la voir. Elle fit rpondre qu'elle tait partie en promenade. Honor n'en crut rien et n'osa plus revenir. L't suivant, elle repensa Honor avec tendresse, avec chagrin aussi, parce qu'elle le savait parti sur un navire comme matelot. Quand le soleil s'tait couch dans la mer, assise sur le banc o il l'avait, il y a un an, conduite, elle s'efforait se rappeler les lvres tendues d'Honor, ses yeux verts demi ferms, ses regards voyageurs comme des rayons et qui venaient poser sur elle un peu de chaude lumire vivante. Et par les nuits douces, par les nuits vastes et secrtes, quand la certitude que personne ne pouvait la voir exaltait son dsir, elle entendait la voix d'Honor lui dire l'oreille les choses dfendues. Elle l'voquait tout entier, obsdant et offert comme une tentation. Un soir dner, elle regarda en soupirant l'intendant qui tait assis en face d'elle. Je suis bien triste, mon Augustin, dit Violante. Personne ne m'aime, dit-elle encore. Pourtant, repartit Augustin, quand, il y a huit jours, j'tais all Julianges ranger la bibliothque, j'ai entendu dire de vous : "Qu'elle est belle ! " Par qui? dit tristement Violante. Un faible sourire relevait peine et bien mollement un coin de sa bouche comme on essaye de relever un rideau pour laisser entrer la gaiet du jour. Par ce jeune homme de l'an dernier, M, Honor Je le croyais sur mer, dit Violante, Il est revenu , dit Augustin, Violante se leva aussitt, alla presque chancelante jusqu' sa chambre crire 35. Honor qu'il vnt la voir. En prenant la plume, elle eut un sentiment de bonheur, de puissance encore inconnu, le sentiment qu'elle arrangeait un peu de sa vie selon son caprice et pour sa volupt, qu'aux rouages de leurs deux destines qui semblaient les emprisonner mcaniquement loin l'un de l'autre, elle pouvait tout de mme donner un petit coup de pouce, qu'il apparatrait la nuit, sur la terrasse, autrement que dans la cruelle extase de son dsir inassouvi, que ses tendresses inentendues son perptuel roman intrieur et les choses avaient vraiment des avenues qui communiquaient et o elle allait s'lancer vers l'impossible qu'elle allait rendre viable en le crant. Le lendemain elle reut la rponse d'Honor, qu'elle alla lire en tremblant sur le banc o il l'avait embrasse. Mademoiselle, Je reois votre lettre une heure avant le dpart de mon navire. Nous n'avions relch que pour huit jours, et je ne reviendrai que dans quatre ans. Daignez garder le souvenir de Votre respectueux et tendre HONOR. Alors, contemplant cette terrasse o il ne viendrait plus, o personne ne pourrait combler son dsir, cette mer aussi qui l'enlevait elle et lui donnait en change, dans l'imagination de la jeune fille, un peu de son grand charme mystrieux et triste, charme des choses qui ne sont pas nous, qui refltent trop de cieux et craignent trop de rivages, Violante fondit en larmes. Mon pauvre Augustin, dit-elle le soir, il m'est arriv un grand malheur. Le premier besoin des confidences naissait pour elle des premires dceptions de sa sensualit, aussi naturellement qu'il nat d'ordinaire des premires satisfactions de l'amour. Elle ne connaissait pas encore l'amour. Peu de temps aprs ; elle en souffrit, qui est la seule manire dont on apprenne le connatre. 36. Chapitre III Peines damour Violante fut amoureuse, c'est--dire qu'un jeune Anglais qui s'appelait Laurence fut pendant plusieurs mois l'objet de ses penses les plus insignifiantes, le but de ses plus importantes actions. Elle avait chass une fois avec lui et ne comprenait pas pourquoi le dsir de le revoir assujettissait sa pense, la poussait sur les chemins sa rencontre, loignait d'elle le sommeil, dtruisait son repos et son bonheur. Violante tait prise, elle fut ddaigne. Laurence aimait le monde, elle l'aima pour le suivre. Mais Laurence n'y avait pas de regards pour cette campagnarde de vingt ans. Elle tomba malade de chagrin et de jalousie, alla oublier Laurence aux Eaux de***, mais elle demeurait blesse dans son amour-propre de s'tre vu prfrer tant de femmes qui ne la valaient pas, et, dcide conqurir, pour triompher d'elles, tous leurs avantages. Je te quitte, mon bon Augustin, dit-elle, pour aller prs de la cour d'Autriche. Dieu nous en prserve, dit Augustin. Les pauvres du pays ne seront plus consols par vos charits quand vous serez au milieu de tant de personnes mchantes. V ne jouerez plus avec nos enfants dans les bois. Qui tiendra l'orgue l'glise ? Nous ne vous ous verrons plus peindre dans la campagne, vous ne nous composerez plus de chansons. Ne t'inquite pas, Augustin, dit Violante, garde-moi seulement beaux et fidles mon chteau, mes paysans de Styrie, Le monde ne m'est qu'un moyen. Il donne des armes vulgaires, mais invincibles, et si quelque jour je veux tre aime, il me faut les possder. Une curiosit m'y pousse aussi et comme un besoin de mener une vie un peu plus matrielle et moins rflchie que celle-ci. C'est la fois un repos et une cole que je veux. Ds que ma situation sera faite et mes vacances finies, je quitterai le monde pour la campagne, nos bonnes gens simples et ce que je prfre tout, mes chansons. A un moment prcis et prochain, je m'arrterai sur cette pente et je reviendrai dans notre Styrie, vivre auprs de toi, mon cher. Le pourrez-vous ? dit Augustin. On peut ce qu'on veut, dit Violante. Mais vous ne voudrez peut-tre plus la mme chose, dit Augustin. Pourquoi ? demanda Violante, Parce que vous aurez chang , dit Augustin. 37. Chapitre IV La mondanit Les personnes du monde sont si mdiocres, que Violante n'eut qu' daigner se mler elles pour les clipser presque toutes, les seigneurs les plus inaccessibles, les artistes les plus sauvages allrent au-devant d'elle et la courtisrent. Elle seule avait de l'esprit, du got, une dmarche qui veillait l'ide de toutes les perfections, Elle lana des comdies, des parfums et des robes. Les couturires, les crivains, les coiffeurs mendirent sa protection, La plus clbre modiste d'Autriche lui demanda la permission de s'intituler sa faiseuse, le plus illustre prince d'Europe lui demanda la permission de s'intituler son amant. Elle crut devoir leur refuser tous deux cette marque d'estime qui et consacr dfinitivement leur lgance. Parmi les jeunes gens qui demandrent tre reus chez Violante, Laurence se fit remarquer par son insistance. Aprs lui avoir caus tant de chagrin, il lui inspira par l quelque dgot, Et sa bassesse l'loigna d'elle plus que n'avaient fait tous ses mpris, Je n'ai pas le droit de m'indigner, se disait-elle. Je ne l'avais pas aim en considration de sa grandeur d'me et je sentais trs bien, sans oser me l'avouer, qu'il tait vil. Cela ne m'empchait pas de l'aimer, mais seulement d'aimer autant la grandeur d'me. Je pensais qu'on pouvait tre vil et tout la fois aimable. Mais ds qu'on n'aime plus, on en revient prfrer les gens de coeur. Que cette passion pour ce mchant tait trange puisqu'elle tait toute de tte, et n'avait pas l'excuse d'tre gare par les sens. L'amour platonique est peu de chose. Nous verrons qu'elle put considrer un peu plus tard que l'amour sensuel tait moins encore. Augustin vint la voir, voulut la ramener en Styrie. V ous avez conquis une vritable royaut, lui dit-il, Cela ne vous suffit-il pas ? Que ne redevenez-vous la Violante d'autrefois. Je viens prcisment de la conqurir, Augustin, repartit Violante, laisse-moi au moins l'exercer quelques mois. Un vnement qu'Augustin n'avait pas prvu dispensa pour un temps Violante de songer la retraite, Aprs avoir repouss vingt altesses srnissimes, autant de princes souverains et un homme de gnie qui demandaient sa main, elle pousa le duc de Bohme qui avait des agrments extrmes et cinq millions de ducats, L'annonce du retour d'Honor faillit rompre le mariage la veille qu'il ft clbr. Mais un mal dont il tait atteint le dfigurait et rendit ses familiarits odieuses Violante. Elle pleura sur la vanit de ses dsirs qui volaient jadis si ardents vers la chair alors en fleur et qui maintenant tait dj pour jamais fltrie. La duchesse de Bohme continua de charmer comme avait fait Violante de Styrie, et l'immense fortune du duc ne servit qu' donner un cadre digne d'elle l'objet d'art qu'elle tait, D'objet d'art elle devint objet de luxe par cette naturelle inclinaison des choses d'ici-bas descendre au pire quand un noble effort ne maintient pas leur centre de gravit comme au-dessus d'elles-mmes. Augustin s'tonnait de tout ce qu'il apprenait d'elle. Pourquoi la duchesse, lui crivait-il, parle-telle sans cesse de choses que Violante mprisait tant? Parce que je plairais moins avec des proccupations qui, par leur supriorit mme, sont antipathiques et incomprhensibles aux personnes qui vivent dans le monde, rpondit Violante. Mais je m'ennuie, mon bon Augustin. Il vint la voir, lui expliqua pourquoi elle s'ennuyait: V otre got pour la musique, pour la rflexion, pour la charit, pour la solitude, pour la campagne, ne s'exerce plus. Le succs vous occupe, le plaisir vous retient. Mais on ne trouve le bonheur qu' faire ce qu'on aime avec les tendances profondes de son amie. 38. Comment le sais-tu, toi qui n'as pas vcu ? dit Violante. J'ai pens et c'est tout vivre, dit Augustin. Mais j'espre que bientt vous serez prise du dgot de cette vie insipide. Violante s'ennuya de plus eu plus, elle n'tait plus jamais gaie. Alors, l'immoralit du monde, qui jusque-l l'avait laisse indiffrente, eut prise sur elle et la blessa cruellement, comme la duret des saisons terrasse les corps que la maladie rend incapables de lutter. Un jour qu'elle se promenait seule dans une avenue presque dserte, d'une voiture qu'elle n'avait pas aperue tout d'abord une femme descendit qui alla droit elle. Elle l'aborda, et lui ayant demand si elle tait bien Violante de Bohme, elle lui raconta qu'elle avait t l'amie de sa mre et avait eu le dsir de revoir la petite Violante qu'elle avait tenue sur ses genoux. Elle l'embrassa avec motion, lui prit la taille et se mit l'embrasser si souvent que Violante, sans lui dire adieu, se sauva toutes jambes. Le lendemain soir, Violante se rendit une fte donne en l'honneur de la princesse de Misne, qu'elle ne connaissait pas. Elle reconnut dans la princesse la dame abominable de la veille. Et une douairire, que jusque-l Violante ; avait estime, lui dit: Voulez-vous que je vous prsente la princesse de Misne? Non ! dit Violante. Ne soyez pas timide, dit la douairire. Je suis sre que, vous lui plairez. Elle aime beaucoup les jolies femmes. Violante eut partir de ce jour deux mortelles ennemies, la princesse de Misne et la douairire, qui la reprsentrent partout comme un monstre d'orgueil et de perversit. Violante l'apprit, pleura sur elle-mme et sur la mchancet des femmes. Elle avait depuis longtemps pris son parti de celle des hommes. Bientt elle dit chaque soir son mari: Nous partirons aprs-demain pour ma Styrie et nous ne la quitterons plus. Puis il y avait une fte qui lui plairait peut-tre plus que les autres, une robe plus jolie montrer. Les besoins profonds d'imaginer, de crer, de vivre seule et par la pense, et aussi de se dvouer, tout en la faisant souffrir de ce qu'ils n'taient pas contents, tout en l'empchant de trouver dans le monde l'ombre mme d'une joie s'taient trop mousss, n'taient plus assez imprieux pour la faire changer de vie, pour la forcer renoncer au monde et raliser sa vritable destine. Elle continuait offrir le spectacle somptueux et dsol d'une existence faite pour l'infini et peu peu restreinte au presque nant, avec seulement sur elle les ombres mlancoliques de la noble destine qu'elle et pu remplir et dont elle s'loignait chaque jour davantage, Un grand mouvement de pleine charit qui aurait lav son coeur comme une mare, nivel toutes les ingalits humaines qui obstruent un coeur mondain, tait arrt, par les milles digues de l'gosme, de la coquetterie et de l'ambition. La bont ne lui plaisait plus que comme une lgance. Elle ferait bien encore des charits d'argent, des charits de sa peine mme et de son temps, mais toute une partie d'elle-mme tait rserve, ne lui appartenait plus, Elle lisait ou rvait encore le matin dans son lit, mais avec un esprit fauss, qui s'arrtait maintenant au-dehors des choses et se considrait lui-mme, non pour s'approfondir, mais pour s'admirer voluptueusement et coquettement comme en face d'un miroir. Et si alors on lui avait annonc une visite, elle n'aurait pas eu la volont de la renvoyer pour continuer rver ou lire. Elle en tait arrive ne plus goter la nature qu'avec des sens pervertis, et le charme des saisons n'existait plus pour elle que pour parfumer ses lgances et leur donner leur tonalit. Les charmes de l'hiver devinrent le plaisir d'tre frileuse, et la gaiet de la chasse ferma son coeur aux tristesses de l'automne. Parfois elle voulait essayer de retrouver, en marchant seule dans une fort, la source naturelle des vraies joies. Mais, sous les feuilles tnbreuses, elle promenait des robes clatantes. Et le plaisir d'tre 39. lgante corrompait pour elle la joie d'tre seule et de rver. Partons-nous demain ? demandait le duc. Aprs-demain , rpondait Violante. Puis le duc cessa de l'interroger. A Augustin qui se lamentait, Violante crivit : Je reviendrai quand je serai un peu plus vieille. Ah ! rpondit Augustin, vous leur donnez dlibrment votre jeunesse ; vous ne reviendrez jamais dans votre Styrie Elle n'y revint jamais. Jeune, elle tait reste dans le monde pour exercer la royaut d'lgance que presque encore enfant elle avait conquise. Vieille, elle y resta pour la dfendre. Ce fut en vain. Elle la perdit, Et quand elle mourut, elle tait encore en train d'essayer de la reconqurir. Augustin avait compt sur le dgot. Mais il avait compt sans une force qui, si elle est nourrie d'abord par la vanit, vainc le dgot, le mpris, l'ennui mme : c'est l'habitude. Aot 1892FIN de Violante Ou La Mondanit 40. Fragments de Comdie Italienne De mme que l'crevisse, le blier, le scorpion, la balance et le verseau perdent toute bassesse quand ils apparaissent comme signes du zodiaque, ainsi on peut voir sans colre ses propres vices dans des personnages loigns... EMERSON 41. I Les matresses de Fabrice La matresse de Fabrice tait intelligente et belle ; il ne pouvait s'en consoler. Elle ne devrait pas se comprendre ! s'criait-il en gmissant, sa beaut m'est gte par son intelligente ; m'prendrais-je encore de la Joconde chaque fois que je la regarde, si je devais dans le mme temps entendre la dissertation d'un critique, mme exquis? Il la quitta, prit une autre matresse qui tait belle et sans esprit. Mais elle l'empchait continuellement de jouir de son charme par un manque de tact impitoyable. Puis elle prtendit l'intelligence, lut beaucoup, devint pdante et fut aussi intellectuelle que la premire avec moins d'aisance et des maladresses ridicules. Il la pria de garder le silence : mme quand elle ne parlait pas, sa beaut refltait cruellement sa stupidit. Enfin, il fit la connaissance d'une femme chez qui l'intelligence ne se trahissait que par une grce plus subtile, qui se contentait de vivre et ne dissipait pas dans des conversations trop prcises le mystre charmant de sa nature. Elle tait douce comme les btes gracieuses et agiles aux yeux profonds, et troublait comme, au matin, le souvenir poignant et vague de nos rves. Mais elle ne prit point la peine de faire pour lui ce qu'avaient fait les deux autres : l'aimer. 42. II Les amies de la comtesse Myrto Myrto, spirituelle, bonne et jolie, mais qui donne dans le chic, prfre ses autres amies Parthnis, qui est duchesse et plus brillante qu'elle ; pourtant elle se plat avec Lalag, dont l'lgance gale exactement la sienne, et n'est pas indiffrente aux agrments de Clanthis, qui est obscur et ne prtend pas un rang clatant. Mais qui Myrto ne peut souffrir, c'est Doris ; la situation mondaine de Doris est un peu moindre que celle de Myrto, et elle recherche Myrto, comme Myrto fait de Parthnis, pour sa plus grande lgance. Si nous remarquons chez Myrto ces prfrences et cette antipathie, c'est que la duchesse Parthnis non seulement procure un avantage Myrto, mais encore ne peut l'aimer que pour elle-mme ; que Lalag peut l'aimer pour elle-mme et qu'en tout cas tant collgues et de mme grade, elles ont besoin l'une de l'autre ; c'est enfin qu' chrir Clanthis, Myrto sent avec orgueil qu'elle est capable de se dsintresser, d'avoir un got sincre, de comprendre et d'aimer, qu'elle est assez lgante pour se passer au besoin de l'lgance. Tandis que Doris ne s'adresse qu' ses dsirs de chic, sans tre en mesure de les satisfaire ; qu'elle vient chez Myrto, comme un roquet prs d'un mtin dont les os sont compts, pour tter de ses duchesses, et si elle peut, en enlever une ; que, dplaisant comme Myrto par une disproportion fcheuse entre son rang et celui o elle aspire, elle lui prsente enfin l'image de son vice. L'amiti que Myrto porte Parthnis, Myrto la reconnat avec dplaisir dans les gards que lui marque Doris. Lalag, Clanthis mme lui rappelaient ses rves ambitieux, et Parthnis au moins commenait de les raliser : Doris ne lui parle que de sa petitesse. Aussi, trop irrite pour jouer le rle amusant de protectrice, elle prouve l'endroit de Doris les sentiments qu'elle, Myrto, inspirerait prcisment Parthnis, si Parthnis n'tait pas au-dessus du snobisme : elle la hait. 43. III Heldmone, Adelgise, Ercole Tmoin d'une scne un peu lgre, Ercole n'ose la raconter la duchesse Adelgise, mais n'a pas mme scrupule devant la courtisane Heldmone. Ercole, s'crie Adelgise, vous ne croyez pas que je puisse entendre cette histoire ? Ah ! je suis bien sre que vous agiriez autrement avec la courtisane Heldmone ; vous me respectez : vous ne m'aimez pas. Ercole, s'crie Heldmone, vous n'avez pas la pudeur de me taire cette histoire ? Je vous en fais juge ; en useriez-vous ainsi avec la duchesse Adelgise ? V ne me respectez pas : vous ne pouvez ous donc m'aimer. 44. IV Linconstant Fabrice qui veut, qui croit aimer Batrice jamais, songe qu'il a voulu, qu'il a cru de mme quand il aimait, pour six mois, Hippolyta, Barbara ou Cllie. Alors il essaye de trouver dans les qualits relles de Batrice une raison de croire que, sa passion finie, il continuera frquenter chez elle, la pense qu'un jour il vivrait sans la voir tant incompatible avec un sentiment qui a l'illusion de son ternit. Puis, goste avis, il ne voudrait pas se dvouer ainsi, tout entier, avec ses penses, ses actions, ses intentions de chaque minute, et ses projets pour tous les avenirs, la compagne de quelques-unes seulement de ses heures, Batrice a beaucoup d'esprit et juge bien : Quel plaisir, quand j'aurai cess de l'aimer, j'prouverai causer avec elle des autres, d'elle-mme, de mon dfunt amour pour elle... (qui revivrait ainsi, converti en amiti plus durable, il espre). Mais, sa passion pour Batrice finie, il reste deux ans sans aller chez elle, sans en avoir envie, sans souffrir de ne pas en avoir envie. Un jour qu'il est forc d'aller la voir, il maugre, reste dix minutes. C'est qu'il rve nuit et jour Giulia, qui est singulirement dpourvue d'esprit, mais dont les cheveux ples sentent bon comme une herbe fine, et dont les yeux sont innocents comme deux fleurs. 45. V La vie est trangement facile et douce avec certaines personnes d'une grande distinction naturelle, spirituelles, affectueuses, mais qui sont capables de tous les vices, encore qu'elles n'en exercent aucun publiquement et qu'on n'en puisse affirmer d'elles un seul. Elles ont quelque chose de souple et de secret. Puis, leur perversit donne du piquant aux occupations les plus innocentes, comme se promener la nuit, dans des jardins. 46. VI Cires perdues 47. I Je vous vis tout l'heure pour la premire fois, Cydalise, et j'admirai d'abord vos cheveux blonds, qui mettaient comme un petit casque d'or sur votre tte enfantine, mlancolique et pure. Une robe d'un velours rouge un peu ple adoucissait encore cette tte singulire dont les paupires baisses paraissaient devoir sceller jamais le mystre. Mais vous levtes vos regards ; ils s'arrtrent sur moi, Cydalise, et dans les yeux que je vis alors semblait avoir pass la frache puret des matins, des eaux courantes aux premiers beaux jours. C'taient comme des yeux qui n'auraient jamais rien regard de ce que tous les yeux humains ont accoutum reflter, des yeux vierges encore d'exprience terrestre. Mais vous mieux regarder, vous exprimiez surtout quelque chose d'aimant et de souffrant, comme d'une qui ce qu'elle aurait voulu et t refus, ds avant sa naissance, par les fes. Les toffes mmes prenaient sur vous une grce douloureuse, s'attristaient sur vos bras surtout, vos bras juste assez dcourags pour rester simples et charmants. Puis j'imaginais de vous comme d'une princesse venue de trs loin, travers les sicles, qui s'ennuyait ici pour toujours avec une langueur rsigne, princesse aux vtements d'une harmonie ancienne et rare et dont la contemplation serait vite devenue pour les yeux une douce et enivrante habitude. J'aurais voulu vous faire raconter vos rves, vos ennuis. J'aurais voulu vous voir tenir dans la main quelque hanap, ou plutt une de ces buires d'une forme si fire et si triste et qui, vides aujourd'hui dans nos muses, levant avec une grce inutile une coupe puise, furent autrefois, comme vous, la frache volupt des tables de Venise dont un peu des dernires violettes et des dernires roses semble flotter encore dans le courant limpide du verre cumeux et troubl. 48. II Comment pouvez-vous prfrer Hippolyta aux cinq autres que je viens de dire et qui sont les plus incontestables beauts de Vrone ? D'abord, elle a le nez trop long et trop busqu. Ajoutez qu'elle a la peau trop fine, et la lvre suprieure trop mince, ce qui tire trop sa bouche par le haut quand elle rit, en fait un angle trs aigu. Pourtant son rire m'impressionne infiniment, et les profils les plus purs me laissent froid auprs de la ligne de son nez trop busque votre avis, pour moi si mouvante et qui rappelle l'oiseau. Sa tte aussi est un peu d'un oiseau, si longue du front la nuque blonde, plus encore ses yeux perants et doux. Souvent, au thtre, elle est accoude l'appui de sa loge ; son bras gant de blanc jaillit tout droit, jusqu'au menton, appuy sur les phalanges de la main. Son corps parfait enfle ses coutumires gazes blanches comme des ailes reployes. On pense un oiseau qui rve sur une patte lgante et grle. Il est charmant aussi de voir son ventail de plume palpiter prs d'elle et battre de son aile blanche. Je n'ai jamais pu rencontrer ses fils ou ses neveux, qui tous ont comme elle le nez busqu, les lvres minces, les yeux perants, la peau trop fine, sans tre troubl en reconnaissant sa race sans doute issue d'une desse et d'un oiseau. travers la mtamorphose qui enchane aujourd'hui quelque dsir ail cette forme de femme, je reconnais la petite tte royale du paon, derrire qui ne ruisselle plus le flot bleu de mer, vert de mer, ou l'cume de son plumage mythologique. Elle donne l'ide du fabuleux avec le frisson de la beaut. 49. VII Snobs 50. I Une femme ne se cache pas d'aimer le bal, les courses, le jeu mme. Elle le dit, ou l'avoue simplement, ou s'en vante. Mais n'essayez pas de lui faire dire qu'elle aime le chic, elle se rcrierait, se fcherait tout de bon. C'est la seule faiblesse qu'elle cache soigneusement, sans doute parce que seule elle humilie la vanit. Elle veut bien dpendre des cartes, non des ducs. Parce qu'elle fait une folie, elle ne se croit infrieure personne ; son snobisme implique au contraire qu'il y a des gens qui elle est infrieure, ou le peut devenir, en se relchant, Aussi l'on voit telle femme qui proclame le chic une chose tout fait stupide, y employer une finesse, un esprit, une intelligence, dont elle et pu crire un joli conte ou varier ingnieusement les plaisirs et les peines de son amant. 51. II Les femmes d'esprit ont si peur qu'on puisse les accuser d'aimer le chic qu'elles ne le nomment jamais ; presses dans la conversation, elles s'engagent dans une priphrase pour viter le nom de cet amant qui les compromettrait. Elles se jettent au besoin sur le nom d'lgance, qui dtourne les soupons et qui semble attribuer au moins l'arrangement de leur vie une raison d'art plutt que de vanit. Seules, celles qui n'ont pas encore le chic ou qui l'ont perdu, le nomment dans leur ardeur d'amantes inassouvies ou dlaisses. C'est ainsi que certaines jeunes femmes qui se lancent ou certaines vieilles femmes qui retombent parlent volontiers du chic que les autres ont, ou, encore mieux, qu'ils n'ont pas. vrai dire, si parler du chic que les autres n'ont pas les rjouit plus, parler du chic que les autres ont les nourrit davantage, et fournit leur imagination affame comme un aliment plus rel. J'en ai vu, qui la pense des alliances d'une duchesse donnait des frissons de plaisir avant que d'envie. Il y a, parat-il, dans la province, des boutiquires dont la cervelle enferme comme une cage troite des dsirs de chic ardents comme des fauves. Le facteur leur apporte le Gaulois. Les nouvelles lgantes sont dvores en un instant. Les inquites provinciales sont repues. Et pour une heure des regards rassrns vont briller dans leurs prunelles largies par la jouissance et l'admiration. 52. III Contre une snob Si vous n'tiez pas du monde et si l'on vous disait qu'Elianthe, jeune, belle, riche, aime d'amis et d'amoureux comme elle est, rompt avec eux tout d'un coup, implore sans relche les faveurs et souffre sans impatience les rebuffades d'hommes, parfois laids, vieux et stupides ; qu'elle connat peine, travaille pour leur plaire comme au bagne, en est folle, en devient sage, se rend force de soins leur amie, s'ils sont pauvres leur soutien, sensuels leur matresse, vous penseriez : quel crime a donc commis Elianthe et qui sont ces magistrats redoutables qu'il lui faut tout prix acheter, qui elle sacrifie ses amitis, ses amours, la libert de sa pense, la dignit de sa vie, sa fortune, son temps, ses plus intimes rpugnances de femme ? Pourtant Elianthe n'a commis aucun crime. Les juges qu'elle s'obstine corrompre ne songeaient gure elle et l'auraient laisse couler tranquillement sa vie riante et pure. Mais une terrible maldiction est sur elle : elle est snob. 53. IV une snob V otre lue est bien, comme parle Tolsto, une fort obscure. Mais les arbres eux sont d'une espce particulire, ce sont des arbres gnalogiques. On vous dit vaine ? Mais l'univers n'est pas vide pour vous, il est plein d'armoiries. C'est une conception du monde assez clatante et symbolique. N'avezvous pas aussi vos chimres qui ont la forme et la couleur de celles qu'on voit peintes sur les blasons ? N'tes-vous pas instruite ? Le Tout-Paris, le Gotha, le High Life vous ont appris le Bouillet. En lisant le rcit des batailles que les anctres avaient gagnes, vous avez retrouv le nom des descendants que vous invitez dner et par cette mnmotechnie vous avez retenti toute l'histoire de France. De l une certaine grandeur dans votre libert, vos rve ambitieux auquel vous avez sacrifi votre libert, vos heures de plaisir ou de rflexion, vos devoirs, vos amitis, l'amour mme. Par la figure de vos nouveaux amis s'accompagne dans votre imagination d'une longue suite de portraits d'aeux, Les arbres gnalogiques que vous cultivez avec tant de soin, dont vous cueillez chaque anne les fruits avec tant de joie, plongent leurs racines dans la plus antique terre franaise. V otre rve solidarise le prsent au pass. L'me des croisades anime pour vous de banales figures contemporaines et si vous relisez si fivreusement vos carnets de visite, n'est-ce pas qu' chaque nom vous sentez s'veiller, frmir et presque chanter, comme une morte leve de sa dalle blasonne, la fastueuse vieille France? 54. VIII Oranthe Vous ne vous tes pas couch cette nuit et ne vous tes pas encore lav ce matin? Pourquoi le proclamer, Oranthe? Brillamment dou comme vous l'tes, pensez-vous n'tre pas assez distingu par l du reste du monde et qu'il vous faille jouer encore un aussi triste personnage? V cranciers vous harclent, vos infidlits poussent votre femme au dsespoir, revtir un habit os serait pour vous endosser une livre, et personne ne saurait vous contraindre paratre dans le monde autrement qu'chevel. Assis dner vous n'tez pas vos gants pour montrer que vous ne mangez pas, et la nuit si vous avez la fivre, vous faites atteler votre victoria pour aller au bois de Boulogne. V ne pouvez lire Lamartine que par une nuit de neige et couter Wagner qu'en faisant brler du ous cinname. Pourtant vous tes honnte homme, assez riche pour ne pas faire de dettes si vous ne les croyiez ncessaires votre gnie, assez tendre pour souffrir de causer votre femme un chagrin que vous trouveriez bourgeois de lui pargner, vous ne fuyez pas les compagnies, vous savez y plaire, et votre esprit, sans que vos longues boucles fussent ncessaires, vous y ferait assez remarquer. V avez ous bon apptit, mangez bien avant d'aller dner en ville, et enragez pourtant d'y rester jeun. V ous prenez la nuit, dans les promenades o votre originalit vous oblige, les seules maladies dont vous souffriez. V avez assez d'imagination pour faire tomber de la neige ou brler du cinname sans le ous secours de l'hiver ou d'un brle-parfum, assez lettr et assez musicien pour aimer Lamartine et Wagner en esprit et en vrit. Mais quoi ! l'me d'un artiste vous joignez tous les prjugs bourgeois dont, sans russir nous donner le change, vous ne nous montrez que l'envers. 55. IX Contre la franchise Il est sage de redouter galement Percy, Laurence et Augustin. Laurence rcite des vers, Percy fait des confrences, Augustin dit des vrits. Personne franche, voil le titre de ce dernier, et sa profession, c'est ami vritable. Augustin entre dans un salon ; je vous le dis en vrit, tenez-vous sur vos gardes et n'allez pas oublier qu'il est votre ami vritable. Songez qu' l'instar de Percy et de Laurence, il ne vient jamais impunment, et qu'il n'attendra pas plus pour vous les dire que vous lui demandiez quelques-unes de vos vrits, que ne faisait Laurence pour vous dire un monologue ou Percy ce qu'il pense de Verlaine. Il ne se laisse ni attendre ni interrompre, parce qu'il est franc comme Laurence est confrencier, non dans votre intrt, mais pour son plaisir. Certes votre dplaisir avive son plaisir, comme votre attention celui de Laurence. Mais ils s'en passeraient au besoin, V oil donc trois impudents coquins qui l'on devrait refuser tout encouragement, rgal, sinon aliment de leur vice. Bien au contraire, ils ont leur public spcial qui les fait vivre. Celui d'Augustin le diseur de vrits est mme trs tendu. Ce public, gar par la psychologie conventionnelle du thtre et l'absurde maxime ; Qui aime bien chtie bien , se refuse reconnatre que la flatterie n'est parfois que l'panchement de la tendresse et la franchise la bave de la mauvaise humeur. Augustin exerce-t-il sa mchancet sur un ami ? ce public-l oppose vaguement dans son esprit la rudesse romaine l'hypocrisie Byzantine et s'crie avec un geste fier, les yeux allums par l'allgresse de se sentir meilleur, plus fruste, plus indlicat : Ce n'est pas lui qui vous parierait tendrement... Honorons-le : Quel ami vritable!... 56. X Un milieu lgant est celui o l'opinion de chacun est faite de l'opinion des autres. Est-elle faite du contre-pied de l'opinion des autres ? Cest un milieu littraire. L'exigence du libertin qui veut une virginit est encore une forme de l'ternel hommage que rend l'amour l'innocence. En quittant les **, vous allez voir les ***, et la btise, la mchancet, la misrable situation des ** est mise nu. Pntr d'admiration pour la clairvoyance des ***, vous rougissez d'avoir d'abord eu quelque considration pour les **. Mais quand-vous retournez chez eux, ils percent de part en part les *** et peu prs avec les mmes procds. Aller de l'un chez l'autre, c'est visiter les deux camps ennemis. Seulement comme l'un n'entend jamais la fusillade de l'autre, il se croit le seul arm. Quand un c'est aperu que l'armement est le mme et que les forces ou plutt les faiblesses sont peu prs pareilles, on cesse alors d'admirer celui qui tire et de mpriser celui qui est vis. C'est le commencement de la sagesse. La sagesse, mme serait de rompre avec tous les deux. 57. XI Scnario Honor est assis dans sa chambre. Il se lve et se regarde dans la glace: SA CRAVATE V oici bien des fois que tu charges de langueur et que tu amollis rveusement mon noeud expressif et un peu dfait. Tu es donc amoureux, cher ami ; mais pourquoi es-tu triste?... SA PLUME Oui, pourquoi es-tu triste ? Depuis une semaine tu me surmnes mon matre, et pourtant j'ai bien chang de genre de vie ! Moi qui semblais promise des tches plus glorieuses, je crois que je n'crirai plus que des billets doux, si j'en juge par ce papier lettres que tu viens de me faire faire. Mais ces billets doux seront tristes, comme me le prsagent les dsespoirs nerveux dans lesquels tu me saisis et me reposes tout coup. Tu es amoureux, mon ami, mais pourquoi es-tu triste? DES ROSES, DES ORCHIDES, DES HORTENSIAS, DES CHEVEUX