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Réduction des risques d’inondation à Jakarta : De la nécessaire intégration

d’une approche sociale et communautaire dans la réduction des risques de catastrophe

(REDUCING FLOOD RISK IN JAKARTA :

INTEGRATING SOCIAL AND COMMUNITY APPROACHES IN THE THE REDUCTION OF DISASTER RISK )

Pauline TEXIER*, Monique FORT** & Franck LAVIGNE*** RESUME – La métropole de Jakarta est fortement exposée aux menaces liées à l’eau telles qu’inondations, manque d’eau potable, pollutions, menaces qui engendrent des problèmes sanitaires. Les communautés pauvres des quartiers informels précaires sont particulièrement vulnérables du fait de moyens de protection limités. Elles ont des comportements dangereux face aux menaces auxquelles elles sont exposées et qu’elles aggravent indirectement par ces pratiques inadaptées. Cette recherche s’appuie sur des enquêtes de vulnérabilité dans des quartiers informels inondables et sur des entretiens auprès des acteurs. Nous montrons que les stratégies institutionnelles de réduction de la vulnérabilité face aux inondations sont inadaptées, car basées sur un renforcement des moyens de gestion de crise, sur des délocalisations de population et sur des campagnes de sensibilisation imposées d’en haut. En effet, la mise en perspective des causes profondes de vulnérabilité, testée en regard des deux paradigmes utilisés en recherche sur les risques, met en exergue la dimension quotidienne des catastrophes et leur ancrage dans un long processus de marginalisation par rapport aux ressources. Elle montre qu’une approche sociale et communautaire est essentielle. Le succès de projets locaux, conçus et mis en œuvre par des acteurs non institutionnels, visant à une réduction des risques et un renforcement des compétences de la part des populations, ne doit cependant pas cacher la nécessité d’inclure ces projets dans les stratégies globales.

* Université Paris Diderot (Paris 7) ; UMR 8586 CNRS PRODIG, 2 rue Valette, 75005 Paris, pauline.texier@univ-lyon3.fr ** Professeur à l’Université Paris Diderot (Paris 7) ; UMR 8586 CNRS PRODIG, 2 rue Valette, 75005 Paris, fort@univ-paris-diderot.fr *** Maître de conférences à l’Université Panthéon Sorbonne (Paris 1) ; UMR 8591 CNRS LGP, francklavigne@yahoo.fr

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Mots-clés : Vulnérabilité, catastrophe, Jakarta, quartiers précaires, eau, perception, ressources, marginalité, réduction des risques de catastrophe, développement, approche communautaire et participative ABSTRACT – The Jakarta metropolitan area is highly prone to hazards related to water, between the excess of water during floods, the lack of drinking water and pollution. All these factors induce serious health problems. If all social groups are victims of disasters related to water, poor communities from slum areas are particularly vulnerable, especially because of limited means of protection. They tend to adopt hazardous behaviors when they are faced to these threats; they put themselves at risk and often make things worse because of inappropriate practices. This research, based on vulnerability surveys in informal districts and on interviews with stakeholders, shows that institutional strategies of Disaster risk reduction (DRR) in facing floods, which consists in improvement of crisis management, people at risk relocations and awareness campaigns by a top-down approach, are unsuitable. Indeed, the analysis of root causes and underpinning factors of vulnerability by testing assumptions from two conceptual frameworks of research about risk emphasizes the everyday dimension of these disasters which are embedded within a long marginalization process toward resources. It thus appears essential to adopt a social and community-based approach. However, the success of local DRR projects led by non institutional stakeholders shall not occlude the necessity to integrate them within global strategies.. Key-words: Vulnerability, disasters, Jakarta, slum areas, water, perception, livelihoods, marginality, Disaster risk reduction, development, community-based and participatory approach. Introduction : Jakarta au risque de l’eau

Capitale indonésienne située en position littorale deltaïque au nord de l’île

de Java, la zone urbaine de Jakarta regroupe autour de la province spéciale les villes satellites pour former une gigantesque conurbation de plus de 24 millions d’habitants, « Jabodetabekpunjur ». Jakarta intramuros est menacée par des inondations récurrentes et de plus en plus intenses comme en témoigne la carte des zones inondées lors des trois derniers événements d’inondations (figure 1). Ces inondations ont une triple origine : elles peuvent être liées aux crues d’amont saisonnières, aux marées de vives eaux qui pénètrent sur la frange littorale, ou au débordement fréquent des canaux d’évacuation des eaux usées qui forment un dense réseau hérité de la période coloniale hollandaise. Favorisées par des facteurs naturels (climat de mousson, configuration topographique), elles sont aggravées par des facteurs anthropiques tels que l’imperméabilisation des sols par l’urbanisation exacerbée en amont et en aval (la zone urbaine est passée de 40 % du DKI de Jakarta dans les années 70 à plus de 70 % aujourd’hui), ou le phénomène de subsidence lié principalement au pompage de l’eau des nappes et au poids de la ville, qui la place dans une dépression topographique propice à la stagnation des eaux.

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Figure 1 - Extension de la zone inondée lors des trois derniers événements majeurs d’inondations à Jakarta (Sources : Journal Tempo du 19 février 2007, données du ministère de l’habitat du 25 février 2002, journal Kompas du 10 février 2007, d’après les données du service des travaux publics de Jakarta du 9 février 2007).

Ces inondations font peser une menace sanitaire préoccupante, qui est

renforcée par l’insalubrité générale de la ville et par des services publics (eau potable et ordures) insuffisants pour répondre aux besoins d’une population qui a plus que doublé en 40 ans.

Face à ces multiples menaces, les enjeux économiques et humains à protéger sont conséquents. La modernisation de la capitale s’est faite au détriment des quartiers traditionnels (les Kampungs) ; elle a provoqué l’apparition d’un habitat précaire informel localisé sur les marges inondables (figure 2). Investissant les berges des cours d’eau, pompant l’eau des nappes et rejetant

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leurs ordures dans les cours d’eau, les populations de ces quartiers sont considérées par le gouvernement municipal comme en partie responsables de l’aggravation récente des inondations. Pourtant, elles sont aussi les plus vulnérables : par leurs pratiques dangereuses, elles s’exposent fortement aux menaces et sont les premières victimes des inondations et des maladies.

Figure 2 - Les quartiers informels construits sur les marges inondables. Muara Baru Ujung à gauche, Bukit Duri à droite (photos P. Texier, 2006).

Cette étude s’intéresse aux stratégies institutionnelles du gouvernement

municipal pour faire face aux inondations, afin d’évaluer si les mesures prises sont à même de réduire efficacement le risque d’inondation et la vulnérabilité des populations localisées sur les marges inondables. Pour ce faire, elle se propose d’analyser les causes profondes de vulnérabilité des communautés des quartiers dits « informels » à Jakarta et de les confronter aux présupposés qui sous-tendent les stratégies de gestion des inondations dans ces quartiers.

Après avoir exposé la méthodologie de recherche adoptée, nous en présenterons les résultats en décrivant dans un premier temps les stratégies institutionnelles de réduction des risques d’inondation dans la capitale, puis dans un deuxième temps en discutant de la pertinence de ces mesures en les mettant en perspective avec les causes profondes de la vulnérabilité des populations exposées aux menaces liées à l’eau. Nous démontrerons dans un troisième temps la nécessité d’adopter une approche par la base dite communautaire et d’intégrer la réduction des risques dans une perspective de développement. Nous discuterons enfin des difficultés induites par cette intégration au vu des blocages institutionnels nationaux vis-à-vis des directives internationales.

1. Méthodologie

L’analyse multiscalaire (de l’échelle internationale à l’échelle locale) des stratégies de réduction des risques de catastrophe des acteurs institutionnels

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s’est appuyée sur des entretiens semi-directifs filmés et sur l’analyse des textes officiels et des documents de travail, portant notamment sur les inondations, mais également sur la santé, les ordures et l’eau potable, domaines qui leur sont intrinsèquement liés.

L’évaluation des causes profondes de vulnérabilité s’est appuyée sur des enquêtes de terrain : questionnaires, réalisées en Bahasa (langue indonésienne) dans quatre quartiers informels inondables sélectionnés (Bukit Duri, Muara Baru Ujung, Waduk Pluit et Pademangan Barat, voir figure 1), observations au quotidien et observations participantes en temps de crise lors des inondations de février 2007 à Bukit Duri. Ces investigations nous ont permis d’évaluer les modalités d’action des acteurs locaux non institutionnels avec les communautés. 2. Résultats 2.1. Stratégies institutionnelles de réduction des risques d’inondation à Jakarta

Les stratégies institutionnelles appliquées par le gouvernement municipal de Jakarta (DKI) face aux inondations émanent des institutions de planification aux niveaux national (BAPPENAS) et municipal (BAPPEDA), qui définissent les grandes orientations et les budgets. La gestion municipale des inondations se divise en trois secteurs. Le premier secteur relève des travaux publics : dépendant du niveau national (Departemen Pekerjaan Umum), le Ciliwung Cisadane Project (CCP) gère les bassins-versants des fleuves Ciliwung et Cisadane, ce qui inclut les aménagements latéraux et transversaux, le système de surveillance météorologique et d’alerte précoce et une partie des secours en cas d’inondations, tandis qu’au niveau municipal, on a le Pekerjaan Umum (DKI). Le deuxième secteur correspond à la gestion de crise (BAKORNAS au niveau national et SATKORLAK au niveau municipal DKI dirigé par le gouverneur de Jakarta). Le troisième secteur, celui des affaires sociales, est en charge d’une partie des secours et de la réhabilitation. Il est géré par le ministère des Affaires sociales (Departemen Sosial) et par les services sociaux municipaux au niveau DKI (figure 3).

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Figure 3 - Les trois secteurs de gestion du domaine des inondations (acteurs institutionnels).

Nos enquêtes ont révélé des problèmes organisationnels et un

fonctionnement non systémique. D’une part, malgré la récente décentralisation qui devrait logiquement donner autorité à la province de Jakarta (DKI), il existe toujours une forte hiérarchisation. D’autre part, on assiste à un fort cloisonnement de tous ces services, qui limite leur coordination. De surcroît, des relations concurrentielles ou conflictuelles entre institutions et services ont été remarquées : c’est le cas de la surveillance météorologique entre le CCP et le BMG (Badan meteorologi dan geofysika), qui a son propre réseau de surveillance et travaille en collaboration avec le BAKORNAS et le SATKORLAK. Les stratégies qui émanent de cette organisation se basent ainsi sur une approche « par le haut » dite « top-down ». D’autre part, la stratégie adoptée par ces institutions peut être qualifiée de réactive, et fortement centrée sur la crise. Elle est divisée en trois phases (figure 4) et s’appuie sur des mesures visant essentiellement à contrôler l’aléa.

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Figure 4 - Le cycle de la gestion du risque (source : ministère des Affaires sociales, 2006 ; Direktorat Jenderal Bantuan dan Jaminan Sosial, 2006 ; Twigg, 2004)

Ces mesures sont de deux types. Tout d’abord, des mesures structurelles

de protection contre les crues sont largement favorisées dans la budgétisation, qui prévoit la construction d’ouvrages gigantesques comme le Banjir Kanal Timur (BKT), canal qui vise à faciliter l’évacuation des eaux de crues vers la mer. La réalisation de ce projet a occasionné le déplacement de près de 250 000 personnes habitant sur son tracé, bien qu’il ne soit pas encore opérationnel. Ensuite, des mesures non structurelles visent à limiter la composante vulnérabilité. Ces mesures s’attachent en premier lieu à perfectionner le système de gestion de crise par la mise en place d’un système d’alerte précoce et de surveillance par webcam, et par des efforts de renforcement des moyens d’aide d’urgence. En deuxième lieu, le gouvernement a pour stratégie la délocalisation des populations vulnérables vivant notamment sur les berges des rivières et des canaux : en plus d’être exposées à la menace et d’investir illégalement ces zones, ces populations influencent indirectement la magnitude des inondations en réduisant, par leur installation, la largeur du lit mineur des cours d’eau, ce qui favorise des débordements plus fréquents. Le gouvernement procède le plus souvent à des expulsions « musclées » avec l’aide des services de police et de l’armée équipés de bulldozers. Des solutions de relogement sont parfois proposées, qui consistent soit en des logements sociaux bon marché appelés Rumah Susun [Harjoko, 2004], soit en des programmes de transmigration vers les provinces

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indonésiennes les moins peuplées [Charras et Pain, 1993 ; Sevin, 2001]. Le troisième volet de la stratégie s’appuie sur une volonté de sensibiliser les populations exposées au risque d’inondation par des campagnes d’information par transmission passive (à travers la radio et des affiches, ou des missions réalisées par les agents administratifs de l’échelle la plus locale). Ainsi ces mesures sont centrées sur l’aléa et ses causes, et sur la gestion de crise. Nos enquêtes par entretien auprès des acteurs institutionnels ont révélé que leurs stratégies sont sous-tendues par leur conviction forte que les causes des inondations sont structurelles et naturelles, et que les populations des quartiers informels, également considérées comme en partie responsables de ces inondations, manquent surtout de discipline et de volonté, et qu’elles sont inconscientes des dangers qu’elles encourent et de l’impact qu’elles ont sur la gravité des inondations.

Force est de constater, au vu d’inondations récurrentes aux impacts toujours plus lourds en pertes humaines et matérielles, que ces efforts en matière de réduction des risques, bien que considérables, ne suffisent pas. Il apparait donc impératif de vérifier si cette stratégie de court terme, basée sur des déplacements de population et des mesures de sensibilisation, est à même de réduire durablement la vulnérabilité liée aux inondations.

2.2 De l’inadaptation des stratégies : les causes profondes de vulnérabilité

Afin d’évaluer l’adaptation des mesures visant à réduire la vulnérabilité, il

est essentiel de comprendre le processus décisionnel individuel et collectif menant à des pratiques dangereuses (exposition aux menaces, aggravation des menaces, manque de protection). Nous avons testé deux hypothèses issues chacune d’un paradigme conceptuel encadrant les recherches sur la vulnérabilité. La première, héritée de l’école de Chicago, est celle de la perception des risques : les catastrophes étant considérées comme les résultantes d’aléas extrêmes en magnitude et rares dans le temps, les réponses des populations dépendent alors de leur perception des menaces. Si ces populations adoptent des pratiques dangereuses, c’est qu’elles n’ont pas conscience des menaces.

La seconde hypothèse s’inscrit dans un paradigme apparu dans les années 1970 avec les travaux de O’Keefe, Hewitt et Wisner publiés sous le titre « Taking the naturalness out of Natural Disaster » [O’Keefe et al., 1976] : changement radical dans la conception de la vulnérabilité, les catastrophes sont pour la première fois considérées en dehors des seules menaces naturelles, et apparaissent comme ayant des origines quotidiennes, sociales, culturelles, politiques, économiques sous forme de contraintes qui marginalisent les populations vulnérables et expliquent leurs comportements.

Nos résultats d’enquête ont rapidement permis d’infirmer la première hypothèse basée sur la perception des risques. Tout d’abord, ces populations

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ont une expérience poussée des inondations, puisqu’ils les subissent très régulièrement, au moins une fois par an. 70 % des répondants sont venus s’installer dans ces zones inondables à l’âge adulte, tout en en connaissant le danger. Ils connaissent précisément le phénomène d’inondation et sont capables d’en citer les causes principales. Si le facteur physique arrive en première position des citations (figure 5), ils sont cependant tout à fait conscients que les inondations à Jakarta ont de nombreuses causes anthropiques (occupation du sol, incidence de leur habitat, déchets).

De surcroît, ils connaissent les conséquences potentielles des inondations auxquelles ils s’exposent, citant principalement les pertes matérielles, les difficultés économiques, et les maladies liées à l’eau stagnante ; seulement 2 % des répondants ne citent aucune menace. De la même manière, concernant le rejet des ordures dans les cours d’eau, sur 92 % de répondants qui avouent adopter cette pratique aggravant les inondations, 96,4 % se sentent responsables de l’insalubrité des rivières, et 50 % citent les déchets comme cause des inondations. Enfin, 40 % des habitants ont refusé d’évacuer lors des inondations de février 2007, refus qui ne s’explique pas par un défaut de conscience du danger, et qui ne s’était pas non plus fait pressentir par les intentions d’action révélées lors de la campagne de questionnaires réalisés lors de la saison sèche 2006 ; en effet, à ce moment là, aucun répondant n’avait émis la possibilité de ne pas évacuer (figure 6).

Figure 5 - Classement par priorité des causes des inondations (Source : enquête par questionnaire, réalisées entre avril et septembre 2006).

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Figure 6 - Classement par priorité des intentions d’action sur les dispositions prises juste avant une inondation au moment de l’alerte. Question ouverte discrétisée (Source : enquête par questionnaire, réalisées entre avril et septembre 2006, Strate Bukit Duri, 30 répondants).

Ainsi, les pratiques dangereuses adoptées par les populations des quartiers

informels à Jakarta ne s’expliquent pas par un défaut de perception des menaces encourues. Leur bonne compréhension des causes des inondations, par ailleurs reconnue par plusieurs auteurs [Nur et Azi, 2001 ; Pasang et al., 2007], s’oppose à leur comportement aggravant la menace comme le rejet des ordures, ou leur détermination à s’installer et se maintenir dans les secteurs exposés aux inondations. Cela implique que ces populations se reconnaissent responsables du problème.

La première hypothèse infirmée, nos enquêtes ont également permis de mettre en évidence des contraintes socio-économiques agissant au quotidien sur les populations vulnérables, et se traduisant par un long processus de marginalisation.

Les habitants de ces quartiers sont pour 40 à 95 % d’entre eux des migrants venus d’autres provinces indonésiennes à Jakarta, et correspondent aux vagues d’exode rural spontané caractéristiques des villes importantes de Java depuis les années 1970 [Franck, 1992 ; Sevin, 2001]. Le facteur économique est essentiel pour expliquer les migrations javanaises et balinaises vers Jakarta. La surpopulation a provoqué à Java la paupérisation de la paysannerie, la transmission des terres d’une génération à l’autre aboutissant à une division des propriétés [Sevin, 2001]. En effet, 65 % des répondants immigrants des quartiers sont venus à Jakarta pour trouver du travail. En amont, ce sont donc avant tout des difficultés économiques qui sont à l’origine des migrations massives de populations très modestes des campagnes vers Jakarta (figure 7).

De surcroît, ces migrants sont venus pour la plupart dans l’illégalité, sans demander de carte d’identité jakartanaise (KTP). Ils ont dans un premier temps rejoint leurs familles ou des gens de même origine qu’eux, mais sans avoir

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d’épargne suffisante pour se maintenir dans les quartiers sécurisés ; face à la difficulté de trouver un emploi rémunérateur, ils ont souvent été contraints d’aller investir les marges inconstructibles d’habitat semi à non permanent meilleur marché (56 % des répondants non originaires de ces quartiers ont effet déjà déménagé dans la ville). Ainsi, la plupart de ces secteurs de la ville, qui étaient auparavant des marécages voués à la riziculture, aux plantations ou à l’aquaculture, ont été investis par ces migrants [Krausse, 1979].

Figure 7 - Raison(s) de la venue dans ce quartier. Question ouverte à choix multiples, strate des répondants originaires d’un autre quartier ou d’une autre province, qui savaient en arrivant que le quartier était inondable (Source : enquête par questionnaire, réalisées entre avril et septembre 2006).

Sans statut de citoyen et investissant des zones inconstructibles au regard

des plans d’urbanisme, ces nouveaux venus ne peuvent prétendre obtenir un statut foncier reconnu ni avoir accès à la propriété. De ce fait, la plupart de ces habitants n’ont que des statuts transitoires hérités de l’époque coloniale, n’ayant pour seule preuve de propriété que des récépissés de paiement de taxe. Il s’agit soit de droits de propriété coutumiers d’héritage javanais appelés Girik, soit des droits d’usage Garapan qui correspondent aux Terres d’Etat inconstructibles et donc récupérables à tout moment par le gouvernement (figure 8). La situation foncière illégale et la clandestinité placent ces familles dans une position extrêmement précaire qui ne leur garantit aucune pérennité face à la pression foncière et aux expulsions. Les habitants sont d’autant plus menacés que leur illégalité les prive de droits de revendication, ressource politique essentielle en cas de litige. 10 % des migrants des quartiers étudiés ont déjà subi une expulsion. Les habitants ont conscience du peu d’efficacité d’une opposition aux autorités. De plus, leur capacité d’action par l’intermédiaire de représentants politiques reste aussi très limitée. Les années

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de dictature et un système éducatif qui n’encourage pas l’esprit critique incitent peu à la mobilisation politique. Quartier Statuts de propriété Waduk Pluit M.B. Ujung Pademangan Bukit Duri

Total

Propriété (Girik) 0 0 63,3 0 15,8 Droit d’usage (Garapan) 63,3 76,7 13,3 73,3 56,7 Contrat locatif 36,7 23,3 23,3 26,7 27,5

Total 100 100 100 100 100 Figure 8 - Statuts de propriété dans les quartiers d’enquête (Source : enquête par questionnaire, réalisées entre avril et septembre 2006).

La marginalisation géographique et politique induite par la précarité de leurs

statuts se traduit également, pour ces populations, par leur difficulté d’accès aux services publics de base, en particulier l’adduction d’eau et le ramassage des ordures. On peut en effet considérer le réseau d’approvisionnement comme un archipel qui ne concerne qu’une partie des quartiers [Bakker, 2003], laissant en marge une majorité de la population, estimée pour les analyses les plus alarmistes à 65 %. Les besoins en eau potable de la ville avoisinent en effet les 550 millions de m3 par an, tandis que PAM, l’agence gouvernementale, n’en produit que 295 millions m3, soit 54 % de la demande. Notre enquête a fait apparaître un état des raccordements effectifs très disparate selon les quartiers. En effet, si 56,7 % des répondants de Pademangan sont connectés au réseau, seulement 23 % de ceux de Bukit Duri ont une connexion réservée à la boisson, et aucun répondant des quartiers littoraux n’est connecté. Le coût élevé d’une nouvelle connexion et l’illégalité des statuts ne favorisent pas l’extension du réseau dans ces quartiers [Bakker, 2007].

Cette marginalisation progressive de la société et cette absence de droit d’accès aux ressources limitent les moyens d’existence au quotidien de ces populations, ce qui les pousse à avoir recours à des alternatives ou stratégies compensatoires d’adaptation (coping strategies) dangereuses pour leur survie ou aggravant la magnitude des aléas [Davies, 1996 ; Benson et al., 2001 ; Scoones, 2009 ; Texier, 2009]. La plupart de ces stratégies sont non durables et ont pour conséquence l’aggravation des menaces auxquelles ces gens s’exposent. C’est le cas du recours au pompage de l’eau des nappes à Bukit Duri, qui induit une aggravation du phénomène de subsidence et des risques sanitaires. Le choix d’une telle alternative dépend de la contrainte économique et des opportunités locales. Si le recours à une solution dangereuse mais gratuite est impossible (comme le pompage dans les quartiers littoraux, à cause d’une trop forte salinité), les habitants se rabattent sur le système de vendeurs ambulants, qui n’est pas sans impact financier pour le budget des familles. Les utilisateurs de cette eau « ambulante » la payent mensuellement dix fois plus cher que les

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foyers modestes connectés au réseau. De même, l’absence dans ces quartiers de ramassage officiel des ordures explique leur rejet dans la rivière, qui s’avère être au final la recherche d’un moindre mal : mieux vaut jeter ses ordures dans la rivière plutôt que de les accumuler dans les rues près des maisons et s’exposer aux menaces sanitaires, même si ces populations sont conscientes du fait que leurs pratiques aggravent les inondations et détériorent la qualité de leur environnement (figure 9).

Figure 9 - Ecritures sur le mur de la décharge sauvage de Bukit Duri, RW12, RT6 : « Orang yg sehat, Tolong buang langsung KALI », ce qui signifie «population en bonne santé, s’il vous plaît jetez directement [les déchets] dans la rivière ». En dessous en noir, on devine le mot « Bencana », qui veut dire « danger » (cliché P. Texier, mars 2007). Il est à noter que ce mur, mitoyen de la rivière, a été largement percé pour évacuer directement les ordures dans la rivière.

Par ailleurs, l'ampleur, la variété et surtout la pérennité des moyens

d’existence influent sur la capacité à se protéger des menaces [Benson et Twigg, 2007 ; Sanderson, 2008]. Au sein des quartiers informels étudiés, les ressources financières sont très limitées, car les salaires excèdent rarement 500 000 Rp (35 euros) par mois, soit moins de 15 000 Rp (1 euro) par jour et par famille, et

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que d’autre part l’accès à l’emploi est difficile. Alors que les chiffres officiels du gouvernement annoncent des taux de chômage moyens d’environ 15 % pour Jakarta [Badan Pusat Statistik, 2007], ils sont en fait bien plus élevés dans les quartiers informels, avoisinant les 40 % (hommes et femmes confondus), ce chiffre étant certes alourdi par la part très importante de femmes sans emploi qui restent au foyer. Ceux qui ne sont ni au chômage ni au foyer tentent de subsister, pour 62 % d’entre eux, comme vendeurs ambulants (kakilima) ou grâce à des emplois informels précaires (taxi moto, ramasseurs d’ordures, employés d’usine, pêcheurs, petit commerce installé au rez-de-chaussée de leur maison). Au final, seulement 22 % des répondants possèdent réellement un emploi rémunéré stable.

Cette précarité (bas salaire, emplois informels précaires, impossibilité d’épargner) est à l’origine de nombreuses faiblesses des communautés. Faute de ressources suffisantes, les familles n’ont pas les moyens de construire un habitat de qualité résistant aux inondations. Par ailleurs, de nombreux comportements dangereux observés pendant les inondations de février 2007 sont liés à cette précarité [Texier et Fort, 2007]. De fait, ces familles pauvres accordent une grande valeur aux quelques biens qu’elles possèdent, souvent gardés à domicile (moto, petits commerces, kakilima), ce qui explique pourquoi lors d’inondations, 40 % des enquêtés refusent d’évacuer, par crainte des voleurs ou tout simplement d’une destruction de leurs biens par les eaux. Rester sur place leur permet dès la redescente des eaux un nettoyage immédiat de la boue accumulée dans leur maison, et donc une reprise rapide d’une activité rémunératrice. Enfin, malgré l’existence d’aides sociales, beaucoup d’habitants, même défendus politiquement, n’ont de toute façon pas droit à ces aides sociales à cause de leur clandestinité. L’accès gratuit aux centres de santé et le droit aux subventions que propose le gouvernement sont en effet réservés aux foyers déclarés comme pauvres qui possèdent un KTP. Notre exemple montre bien que même s’il y a potentiellement des ressources en quantité, leur disponibilité et leur extension sont fortement dépendantes du pouvoir, de la capacité de revendication des populations et de leur distribution, qui dépend des réseaux de relations politiques, économiques et sociales [Kent, 1988 ; Chambers et Conway, 1991 ; Watts et Bohle, 1993 ; Start et Johnson, 2004]. Au final, les comportements des populations sont issus d’une prise de décision qui se base sur une perception globale, tant des menaces liées au quotidien précaire (incendies, pauvreté, évictions) qu’aux aléas extrêmes (inondations et risques sanitaires). Il ressort des enquêtes que cette perception est avant tout guidée et limitée par le poids de contraintes structurelles socio-économiques. Les catastrophes sont donc des événements qui prolongent et amplifient des situations d’urgence quotidienne pour les victimes [Hewitt, 1983 ; Maskrey, 1989 ; Wisner, 1993].

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Les efforts et l’amélioration du système de gestion de crise mis en place par le gouvernement municipal pour réduire la vulnérabilité apparaissent ainsi insuffisants et inadaptés, et n’ont pas vraiment fait leurs preuves en 2007. En effet, ils ne permettent pas de neutraliser les causes profondes de vulnérabilité ancrées dans un quotidien précaire et non liées à la crise et à l’aléa. La sensibilisation apparaît comme une mesure inadaptée dans le cas des inondations et des risques sanitaires liés à l’eau puisque ces populations ont déjà des connaissances solides sur les phénomènes, leur conséquences, et sur les moyens pour s’en protéger. Les solutions de relogement proposées après expulsion apparaissent inadaptées aux faibles ressources financières dont disposent ces populations, et à leur mode de vie culturel communautaire.

En définitive, ces stratégies de réduction des risques ne reposent sur aucune mesure visant au développement de ces quartiers qui pourraient faire évoluer les comportements observés : il n’y a pas de programme d’aide d’accès au logement décent, pas d’aides sociales pour les illégaux, pas d’amélioration de l’accès aux services publics dans des quartiers que les gouvernants veulent voir à terme disparaître. « La compréhension des causes profondes des défauts de droits d’accès aux moyens de protection et des processus historiques de marginalisation est ainsi une condition sine qua non à la réduction durable des risques et des catastrophes » [Gaillard et al., 2010]. 2.3 De la nécessaire intégration d’une approche sociale et communautaire

Au vu des causes profondes de vulnérabilité, mais également de certaines forces et capacités locales, il apparaît essentiel de concentrer les efforts de réduction des risques sur des mesures de développement social et économique tout en s’appuyant sur une approche qui mette en valeur les valeurs communautaires.

En effet, une approche sociale permettrait d’atténuer les contraintes locales qui pèsent sur les comportements. Il faut fournir aux populations les moyens d’agir autrement ; en d’autres termes, il faut désamorcer le processus de marginalisation en intégrant la réduction des risques de catastrophe dans une stratégie de développement au sens large. Il s’agit d’un processus qui s’inscrit dans la longue durée. Modifier le comportement du rejet des déchets dans les cours d’eau nécessite de fournir aux habitants un système de ramassage fonctionnel. Pour stopper le phénomène d’investissement massif des berges, il faut avant tout prévoir des aides au développement économique pour renforcer les ressources des populations pauvres et favoriser leur accès aux zones sécurisées. Inciter les personnes à évacuer implique de leur faciliter l’accès à un travail rémunérateur qui leur permettrait d’épargner pour mieux faire face aux crises et atténuer l’importance qu’elles accordent à leurs faibles ressources matérielles.

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Ensuite, l’approche communautaire apparaît essentielle dès lors que les populations ont des capacités et des forces qui se traduisent par des savoirs locaux sur lesquels il est indispensable de s’appuyer pour mieux gérer les crises et pour mieux cibler les mesures de développement [Chambers, 2008]. Certaines initiatives locales menées par des acteurs non institutionnels issus de la société civile (ONG, fondations, communautés locales) tentent d’améliorer les conditions de vie et les moyens d’existence des communautés marginalisées. Elles les aident à mettre en place des programmes de gestion communautaire des ressources ou de préparation et de gestion des catastrophes, en mettant en valeur leurs capacités à élaborer des diagnostics sur leur environnement et des solutions économiquement durables, socialement et culturellement acceptables et efficaces en termes de démarginalisation, donc de réduction de la vulnérabilité. A ce titre, les compétences locales apparaissent comme un puissant moteur de renforcement qui contraste avec l’idée commune d’une fragilité urbaine ou de populations complètement démunies [Cuny, 1983 ; Anderson et Woodrow, 1989]. Bien qu’encore peu appliquées, ces actions ont une efficacité qui est reconnue parmi la communauté scientifique internationale depuis une trentaine d’années [Maskrey, 1989 ; Heijmans et Victoria, 2001 ; Wisner et al., 2004 ; Kafle et Murshed, 2006 ; Becu, 2006 ; Benson et Twigg, 2007 ; Bousquet et al., 2007 ; Chambers, 2008 ; Barnaud, 2008].

A Jakarta, des ONG locales ont adopté cette approche participative et nos enquêtes de terrain ont montré qu’elles étaient très efficaces. Leur implantation permanente au cœur des quartiers facilite leurs actions, qui consistent avant tout à réaliser des programmes de développement visant autant l’amélioration de l’accès aux ressources que la préparation aux catastrophes, et permet au final de réduire efficacement la vulnérabilité des communautés.

L’exemple de l’ONG Sanggar Ciliwung implantée à Bukit Duri a montré grâce à cette approche une gestion de crise exemplaire lors des crues de février 2007. Installés en permanence dans le quartier depuis 2000, les membres de cette ONG encadrent quotidiennement les initiatives de la population et connaissent parfaitement, et en temps réel, l’évolution de la situation pendant la crise. Avec la communauté du quartier, ils avaient par anticipation mis en place un plan d’urgence basé sur la participation de tous, où chacun avait son rôle à jouer selon ses capacités. Ainsi, lors des inondations de février 2007, pendant que les hommes et les jeunes du quartier se chargeaient des évacuations, les femmes se sont occupées à faire fonctionner en permanence la cuisine d’urgence (figure 10). Une fois la décrue amorcée, l’ONG et la communauté se sont appuyées sur leur réseau d’entraide communautaire fort et actif au quotidien, par exemple pour faire venir un médecin proposant des consultations gratuites, et ont utilisé les canaux traditionnels de mobilisation de la communauté par gotong royong pour réhabiliter la zone sinistrée au plus vite.

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Ainsi, non seulement les populations locales ne sont pas ignorantes des problèmes, mais elles représentent de plus une ressource précieuse dans la connaissance du terrain ou l’identification des problèmes dans l’urgence et au quotidien et ont les capacités de réfléchir à des mesures adaptées pour combattre efficacement les causes profondes de vulnérabilité face aux menaces liées à l’eau [Chambers, 2008 ; Twigg, 2004 ; Oliver-Smith, 2009].

Figure 10 - Evacuation d’un enfant à Bukit Duri par les jeunes de Sanggar, grâce à des cordes tendues à travers la rue principale ; Cuisine d’urgence organisée par les femmes (photo P. Texier, 2 février 2007).

L’approche participative et communautaire dans la réduction des risques de catastrophe est donc essentielle : elle permet avant tout aux communautés de prendre conscience de leurs propres capacités et vulnérabilités pour mener à bien des projets dans le domaine de la préparation aux risques de catastrophes, mais aussi du développement.

3. Discussion : vers une gestion « hybride » du risque

Le succès de ces ONG ne doit cependant pas cacher qu’il ne s’agit pour l’instant que de projets limités spatialement, qui ne parviendront pas à éradiquer la pauvreté et réduire globalement la vulnérabilité des personnes sans une intégration de telles initiatives aux stratégies officielles. Si l’accès aux ressources et les capacités locales apparaissent comme des leviers de la lutte contre la pauvreté et donc contre les catastrophes, il est essentiel pour pouvoir les activer de trouver un moyen de débloquer les verrous du pouvoir institutionnel. En effet, l’importance des approches participatives au niveau communautaire ne doit pas exclure un investissement important des gouvernements, qui doivent soutenir les communautés dans leurs initiatives et leurs idées, et leur venir en aide dans les nombreuses tâches impossibles à assumer localement (lourds travaux de construction, évacuations par bateau, apport de soins et de médicaments). Mais il est nécessaire que les

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communautés locales soient impliquées dans les choix politiques et dans la mise en œuvre de mesures de réduction des risques acceptables et que leurs initiatives soient intégrées dans les mesures gouvernementales encore trop inscrites dans l’approche top-down [Delica-Willison et Willison, 2004 ; Kafle et Murshed, 2006].

A l’échelle internationale, des commissions des Nations Unies telles que UN-ISDR (International Strategy for Disaster Reduction of United Nations) ont réfléchi à cette problématique, aboutissant en 2005 à des directives appelées Cadre d’Action de Hyogo pour des Communautés et collectivités résilientes d’ici à l’horizon 2015, qui ont statué clairement sur cette double nécessité : (1) prévoir des mesures qui visent à combattre les facteurs sous-jacents de vulnérabilité dans une perspective de développement au sens large afin d’améliorer l’accès aux ressources économiques, politiques, sociales et physiques, et (2) intégrer dans une démarche remontante (bottom-up) les initiatives locales non institutionnelles aux stratégies institutionnelles de gestion encore trop fortement top-down, ceci pour une meilleure articulation entre les différentes échelles territoriales.

L’analyse des politiques de gestion dans ces domaines montre, à Jakarta mais aussi dans d’autres métropoles du monde [Bankoff, 2003 ; Bendimerad et al., 2008 ; Shaw et al., 2009 ; Prasad et al., 2009 ; Wisner et Pelling, 2009], que ces directives internationales ont été ratifiées et théoriquement suivies par les gouvernements : c’est le cas de l’Indonésie, mais aussi de 167 autres pays qui ont participé à la Conférence Mondiale pour la Réduction des Catastrophes en janvier 2005 à Kobe. Mais ces directives n’ont eu aucun impact local concret sur la démarginalisation des populations des quartiers informels. Le rapport 2009 effectué par le Réseau Mondial d’Organisation de la Société Civile pour la Réduction des Catastrophes le déplore : « les politiques conçues à l’échelle nationale n’engendrent pas de changements généralisés à large échelle dans les pratiques locales ». Ils reconnaissent également qu’il existe au niveau local des moyens qui restent inexploités et recommandent de trouver un juste équilibre entre les interventions du sommet vers la base et celles de la base vers le sommet [Global Network of Civil Society Organisations for Disaster Reduction, 2009]. Ces directives internationales apparaissent ainsi comme des « boîtes vides » dénuées de conseils méthodologiques d’adaptation pratique aux contraintes locales.

Il s’agirait alors pour y remédier de développer une coopération poussée entre différents types d’acteurs et échelons pour favoriser l’émergence d’une gestion « hybride » du risque, qui combinerait les sciences et technologies dont disposent les autorités locales et internationales, avec les connaissances et atouts locaux dont disposent les populations et les acteurs qui croient en leur potentiel créateur.

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