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8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
1/19
Georges Dumézil
A propos du latin « jūs »In: Revue de l'histoire des religions, tome 134 n°1-3, 1947. pp. 95-112.
Citer ce document / Cite this document :
Dumézil Georges. A propos du latin « jūs ». In: Revue de l'histoire des religions, tome 134 n°1-3, 1947. pp. 95-112.
doi : 10.3406/rhr.1947.5602
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1947_num_134_1_5602
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rhr_38http://dx.doi.org/10.3406/rhr.1947.5602http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1947_num_134_1_5602http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1947_num_134_1_5602http://dx.doi.org/10.3406/rhr.1947.5602http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rhr_38
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
2/19
A
propos de latin
«
jus
»
On sait depuis
longtemps
que. le substantif latin jus (ita
lique
*ious-) recouvre
phonétiquement le substantif
indo
iranien *yauš- défini par l'accord
de
sanskrit yô h
et
d'avestique
yaoš-. Cette
évidence
ne rencontre
plus
guère
d'opposition.
Mais on ne paraît pas avoir poussé
aussi
loin qu'il est possible
l'étude des
deux, mots orientaux (qui sont
incontestablement
et
uniquement religieux)
et,
comme les dictionnaires étymol
ogiques
ne peuvent en retenir que des
traductions sché
matiques,
les
latinistes
et les
juristes
n'ont pas accès
à
quel
ques
faits
importants,
qu'ils trouveront
réunis
et
complétés
ci-dessous.
I. — Avestique yaož-dá-1
L'avestique yaoš-
n'est employé
que
dans
l'expression
nominale-verbale, déjà gâthique, yaož-dá- (avec complément h
1'atícusatif,
et une
fois
sous
la
forme yaoš... dá-), ainsi
que dans
l'adjectif
déjà
gâthique
yaož-dáh-,
et aussi, en dehors
des
Gâthâs, dans
quelques dérivés de
cette
expression.
Yaož-dá-
est formé à
l'aide
de
la
racine dá-,
issue d'i.-ir. *dhá-
«
mettre,
établir, créer, etc. » (sk. dhá-, gr. 6т)-, etc.), comme le sont
zraz-dâ- « croire » (sk. çrad-dha-, lat. crl-do, irl. cre-tim)
et
maz-
dâ-
«
se
mettre en mémoire
»
(d'où
maz-dâh-
«
sagesse
»r
sk.
me-dhâ).
?
1. Le
mot
yaož-dá- a trois emplois :
1°
(le seul dans les
Gâthâs)
«
rendre mystiquement complet, parfait », p. ex.,
lorsque le complément est la dálná «
individualité
religieuse
de
1) J'emploie, pour
les
parties
de
l'Avesta,
es
abréviations usuelles Y. — Yasna,
Yt.
=
Yatt,
V.
=
Vidëvdât.
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
3/19
96
REVUE
DE
L'HISTOIRE
DES RELIGIONS
l'homme »
( Y., 44,
9 ; V., 10,
19)
ou Vanhvà « force vitale,
'élandel'âme»(F.'f5,21 ; 10r
19
; cf.
Yt.,
10, 92); —
2°
«mettre
rituellement dans l'état qui convient » sans
que
cela implique
réparation
d'aucune déchéance ou faute antérieure, p.
ex.
quand il
s'agit d'accessoires
du s'acrifice
; —
3°
au contraire, le
plus souvent, « remettre en état rituellement, purifier ce qui a
été
d'abord souillé ».
Ces valeurs sont
évidemment
parentes, sans quoi
elles
ne
s'exprimeraient
pas par un
même mot1. Elles
peuvent se
grouper
diversement. La première est d'ordre mystique- et
même moral,
les deux
autres
d'ordre
rituel
—
ce qui fait,
soit
dit
en
passant,
qu'il
n'y
a
pas
Heu
de
s'étonner
et
qu'il
ne
faut
pas
déduire
une
chronologie sémantique
de
ce que
les
Gathâs
ne
connaissent que
la
première valeur, puisque
la
religion qui
les inspire est tout
abstraite, qu'elle
exalte,"
qu'elle ne
retient"
même
que
l'effort
intérieur, par opposition au
culte et
à
la
magie. Mais, d'un autre point de vue, peut-être plus important,
les
premières,
ne supposant pas une déchéance, se séparent
de
la
troisième,
essentiellement
réparatrice;
certes, le progrès vers
le
meilleur
et la correction du
mal,
comme la "gymnastique et
'
la
médecine,
ont même
ressort,
mais produisent
des
règles
bien différentes.
Par
conséquent, sur le plan religieux,
ce tableau des sens
distingue
bien
ce qui forme aussi les deux provinces ou aspects
solidaires des techniques juridiques : définir les
droits,
jura,
et
en assurer
la
pleine réalisation ; corriger et
réparer
les viola
tions de
ces
"droits, injurias. Quand l'Avesta, parlant des
accessoires du
sacrifice,
mentionne par
exemple
yaozdâtqm
zaobrqm «
la
liqueur de libation rituellement préparée » (Yt.,
10,
120;
cf.
Y.,
65,
10;
-F.,
14,
4;
YL,
8,
63),
ou
aësmom
yaozdâtdm
«
le bois
à brûler rituellement consacré » ( Y., 71, 8
;
cf. 62, 10 ; V., 18, 19)2,
il présente,
sur le plan
religieux,
Téqui-
1) Plusieurs
exemples
que Bartholomae donne pour
le second
sens seraient à
classer
plutôt
dans le troisième.
2)
Ou
quand il
montre
Zoroastre
àlnm pairLyaoidaQanUm
ь rendant rituell
ement
orrect, consacrant
tout
entier l'autel du
feu »
( Y., 9, 1).
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
4/19
. A řROPOS
DE
LATIN « JUS
»
97
valent
de ces justa
à la fois juridiques et
rituels
dont parlent
souvent
les Romains (ju'sîis omnibus
hospitnlibus privafisque
et
publicis
funguniur
officiis,
Tite-Live,
9, 6,
etc.).
Quand, dans
TAvesta,
l'homme
qui
a touché un cadavre court
et crie
au
passant
qu'il rencontre
: « J'ai touché un mort, je suis sans
force
de
pensée,
de parole, d'action, veuillez me purifier
»,
isaêta me~
yaoMuitïm
(V., 8, 100),
il
fait, sur
le plan
magico-
religieux, quelque
chose de
comparable
à ce que fait, sur
le
plan juridique, l'accusé qui demande aux
judices
de reconnaît
r
on
innocence ou
de
le tirer, par une
peine
précise,
de
son état incertain.
Il
faut
retenir,
en particulier,
que
le
mot
avestique, dans
la
majorité de
ses emplois
et
de ceux de
ses dérivés, implique
réparation
rituelle, expiation d'une faute rituelle ou même
morale.
2. Le Vidëvdât est, dans
la
compilation avestique,
un
code
religieux qui énonce un grand nombre
de
fautes,
notamment
contre
la pureté rituelle, ainsi
que
leurs sanctions.
Beaucoup
de ces sanctions
sont introduites par une question
du
type
kâ hë asti tiba ? « quel
en
est le paiement
?
m1. Mais, une fois
(V.,
3,
38-39;
cf.
8,
27),
la
formule
est
plus
complexe,
exacte
ment
riple ; il
s'agit, à
vrai
dire,
d'un péché
particulièr
ementrave,
le
dernier d'une série de péchés où
la
gra-
-
vité va en
croissant
: «
Si un homme
enterre le
corps
d'un
homme
ou
le
corps
d'un
chien
et
si deux
années
se passent
s'ans
qu'il le déterre... » (
kâ hë asti
ëiQa,
kâ hë asti арэгэНэ, kat hë asti yaozdâQnm
?
De cela quelle
est
la ciQâ
?
De cela quelle est УарэгэШ ? De cela
quel
est
le уаоЫаЪгэт
?
"*
Des*
gloses
jointes à
la traduction pehlevie éclairent diffé-
rentiellement les
trois
substantifs
:
a'0â, c'est pehl. iôzisn
« amende », glosé pat xvâslak « quant aux biens » ; прэгэШ, c'est
pehl. puhr (simple transcription du mot avestique paraGa),
glosé
pat
aštr
и srdščaranám « par (les deux
variétés
de
fouet
1)
V.
ci-dessous, p. 107. •
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
5/19
У8
REVUE
DE
l'hISTOIRE DES
que
désignent) a, et sr. »
; yaoêdâQram1, c'est pehl.
yozdâsrih
fsimpie
transcription), glosé
pat
ruvân
« quant
à
l'âme ».
L'étymologie
des deux premiers termes
confirme
cette
tra
dition : čibá
est un
substantif
formé
sur la
racine
qui
se
retrouve
par exemple
en
grec
dans
tívw,
7roivÝ)
(dont
les
pre
miers sens sont « payer »
et
«
rançon
»), en vieux-slave dans
cena « prix »
; п-рэгэШ
est proprement « le
talion
», de
la
racine
par-
« faire
égal
»
qui
se
retrouve sans
doute
dans
l'adjectif
latin
par « égal ». On
a
ici un classement
des
peines, appa
remment dans
l'ordre
croissant
des
importances : amende
pécuniaire, châtiment corporel, expiation magico-religieuse.
(La
réponse à cette
triple question
est
d'ailleurs, dans les
deux cas,
négative
; le
crime
est
inexpiable
:
nava
hi
asti čiba,
nava
hi
asti
арэгэНё,
nôiï
hi
asti yaozdâbrdm...)
Cette classification tripartite des
expiations
est parallèle à
la classification tripartite
des
médications
dont M. Benveniste
a
récemment montré
ici
même
le
caractère indo-iranien et
même indo-européen2 ; comme elle,
d'ailleurs,
elle repose en
définitive sur la conception
des trois
fonctions3 :
de même
que
le Vidfvdâl (7, 44) distingue4 «
la médecine
des
plantes
»
(urvarô.baëSaza-),
«
la médecine
du couteau » (kardto.bae-
šaza-)
eť«
la
médecine
des
incantations
»
(mqbrô.balsaza-),
c.-à-d. trois variétés
de
médecine fondées respectivement sur
la
vitalité
végétale, sur l'intervention
violente et
sur la
magie,
de même
il
distingue ici (3, 38) trois
modes
d'expiation de
caractère
respectivement économique (autre aspect
de
la troi:
sième fonction), violent et magico-religieux.
1) Avec le
suffixe
des noms d'instrument *-lro-.
•
2) La
doctrine médicale des Indo-Européens, RHR, CXXX
(1945,
paru en 1947),
pp.
5
et
auiv.
M.
Benveniste rapproche
Vidëvdât,
7,
44 de
Pindare,
Pyihiques,
3,
40-55
(èrcaoiSaC, cpáppiaxa, xofzaí)
et
cite
en outre
la
classification
des maladies
dans JFlgnieda,
10,
39, 3, où les
Nâsatya
sont dits guérisseurs
andhásya,
kréásya,
nilásya « de l'aveugle » (mal
mystérieux,
magique), « de
l'amaigri
» (mal
alimentaire),
« de qui a fracture » (violence).
3)
Non pas
sans doute dans leur
expression
sociale (prêtres ;
guerriers
;
pro
ducteurs)
mais dans leur
principe
philosophique (sacré ; force ou violence ;
richesse
ou fécondité).
4) Je change l'ordre du
texte
(qui commence par
la
médecine du
couteau) pour
ónumérer
les
trois fonctions dans
l'ordre
ascendant
normal.
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6/19
«to
■
л Wíopos de
latin' «
jus
»
99
Dans
cette classification,
yaozdâQrdm
apparaît au niveau
magico-religieux
;
il
n'en
reste
pas moins
qu'il
est engagé dans
un
système pénal dont il constitue, au-dessus
de
l'amende
et
des coups
de
fouet,
le
plus haut
degré
: il
n'est
pas jus,
mais
il
est joint, comme une forme supérieure,
à doux sanctions quo
connaît
bien
le jus romain. •
II. — Védique
sám yóh
Dans le
Rg-Veda,
le mot
yóh
n'est attesté qu'en combi
naison
avec sám (šam
yóh
17 fois ; sám ca yóš ca 3 fois ; le
composé
samyóh
1
fois, à moins
qu'il
ne
s'agisse" encore
de
sám
yóh)
et ne
figure
dans aucun
autre
composé,
alors
que
sám « Heil, Segen » se rencontre souvent seul
et
fournit le
composé šambhú (sambhû, šámbhavislha, višvášambhu). Les
deux neutres sám
et
yóh
ne
sont employés qu'au nominatif-
accusatif.
1.
Les
verbes les plus usuellement associés à sámseul sont
les verbe^
as- et
bhu- « être, devenir »
(63 cas
sur 871) ;
on
ne
s'étonne donc pas
de
les trouver aussi, l'un deux fois, l'autre
trois,
associés à l'ensemble sám yóh. Mais, sur les 16 autres
exemples,
7
présentent
sám
yóh
(ou s'a
m
ca
yóš
ca)
en dépen
dance dû verbe
dhâ-
« mettre, établir, etc. », alors que les
9
exemples
restant contiennent chacun, ou presque, un verbe
différent
(vah- 2
fois ; yam-,
ïd-,
dâ-,
sru-,
kr-, à-yaj- et
as-,
vas-
1
fois chacun). Comme, de
plus, sám
seul n'est jamais
appuyé sur
le verbe dhâ-,
on peut dire, statistiquement, que
la
présence
de
yóh tend
à entraîner,
pour
sám yóh,
la
même
racine
verbale dhà- qui figure
aussi,
soudée
à yaoš-, dans l'avestique
yaoz-dâ-, et par
conséquent que
l'expression *yaus dhâ- était
déjà indo-iranienne (cf. Gtj-
dans
vo[xo6fr/)ç,
0ео-[ло8ет7)
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
7/19
ÍOO
^kEVUtí
L>E
L^HISTOIHE DES
RV,
2,
33
est
un
hymne
à
Rudra où le dieu est plusieurs
fois
salué comme guérisseur (str.
2, 5,
12)
; la strophe 13 dit :
-
yà
vo
bheçajâ
marulah
sùcïni
-
yd
samtamâ vr§ano yd
mayobhů
y
yâni mánur ávrwtu pilu nas
la sám ca
yóš
ca
rudrasya
vašmi
Vos
médecines
brillantes,
ô'Maruts,
les très salutaires, ô taureaux,
les
bienfaisantes, celles
que notre
père
Manu a demandées,
—
je
les
souhaite, elles, le sám et le yôh de Rudra
C'est évidemment au même fait légendaire que se
réfère
la
seconde moitié de
RV,
1, 114, 2
(au même Rudra)
:
'
yac chám
ca yóš
ca
mánur âyejé pitâ
iád
asyáma láva
rudra
práyalisu
Le sám et le yóh
que
le père
Manu
a obtenus
par
un
sacrifice,
puissions-nous l'atteindre sous tes conduites 1
Ainsi
sans doute que le premier vers
de
RV,
1, 106,'
5
(à
lirhaspati)
:
sám yór
yát
te mánurhitam tad ïmahe
Le
sám yóh
qui a
été
mis (dhu-)
par toi
dans Manu,
nous
le
demandons
'
.
, 6, 50, 7, demande aux
Eaux,
âpah
:
dhâta...
sáni
yóh,
yuyám
hí
sthá
bhisájó
mâtftamâ... '
Mettez
(dhâ- ; = donnez)...
le
sám
yóh,
car vous êtes médecins,
très maternelles...
Cf.
encore
RV,
5, 53,
14 :
...vrství sáni yôr.upah usri
bhesajám...
... les eaux, à l'aube, ayant
fait
couler
le
sám
yôh, la
médecine...
A
propos
de ces derniers exemples qui font des eaux, âpah,
les grandes donneuses de sám yóh,
on
notera l'emploi fréquent,
dans
l'Avesta,
de yaoz-dâ-
en
rapport
avec
les
eaux
(арб,
Anáhitá) qui sont un des deux grands moyens
de
purification :
Y., 65,
5 (d'où YL, 5, 5) : la rivière mythique
Anâhitâ
(qualifiée d'ailleurs
au verset 1 de baěšazyá «
guérisseuse »)
dit
elle-même : *
hâ
me
про
уаоЫаЫШ...
Cette eau de moi met dans
l'état optimum (ou :
purifie)...
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
8/19
A
PROPOS
DE LATIN «
JUS »
101
Les
exemples
du
Vidêvdât sont nombreux :
НакдГэХ
âpô vîsrasiaydti aba
yaoždayqn...
(7,
29)
Qu'ils
aspergent
d'eau
une
fois
pour
purifier...
tanum pairi.yaozdaiQïta g5aS maësmana apâca... (8, 36)
II
purifiera tout son corps avec de l'urine de bœuf ef, de l'eau...
âpô tanum pairi.yaozdaiQïla... (9, 31)
II
purifiera tout son corps
d'eau...
Cf. encore
:
yaoîdya
tačinli âpô zrayaňhat hača puitikât... (5,
19)
Avec
purification les eaux
coulent
hors du lac
(mythique) Pûitika...
3.
Dans
quatre
passages
du
Çg-Veda
(1,
189,
2
;
4, 12,
5
;
5,
69,
3 ; 6, 5Qr 7), on rencontre la prière : bhdvâ (ou ; yàchâ ;
ou :
ïde
; ou : dhdta)
tokâya
tánayaya sárp, yôh «
sois
(ou :
donne ; ou : je
demande
; ou : mettez, établissez)
le
šám yóh
pour le toká-lánaya ». On
interprète ces
deux
derniers
mots
de
façons différentes ; loká signifie
sûrement,
au
propre,
«
semence
»
et, par suite,
«
descendance
»
; lánaya est ид
adjectif signifiant,
suivant
les uns, « prolongé »
(rac.
lan-), sui-
"
vant d'autres, « corporel »
(cf.
lanu « corps
»), et, pour
d'autres
encore,
il
est
un
substantif désignant
la
«
descendance
élo
ignée
» par opposition aux « enfants » que
désignerait
spécia
lement toká. Geldner traduit par exemple 1, 189,
2
: « Sei fiir
den
leiblichen Samen zum Wohl und
Heil
» Dans tous les
cas, il s'agit d'obtenir le sám
yóh
pour les
enfants,
pour les
descendants
qui sont « semence ».
Cela
rejoint les textes avestiques où le mot yaoï-dà- note
l'heureuse action d'Anâhitâ sur les agents
physiologiques de
la
génération.
Dans F.,65,
2 (d'où
Yt.,
5,
2)
il
est dit
d'Anâhitâ:
yâ
víspanqm,aršn
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
9/19
102
REVUE
DE
L'HISTOIRE DES
RELIGIONS
II
semble que la perspective eschatologique propre au
mazdéisme a étendu cette liaison «zqiïa-
(naissance) —
yaozdâ- »
à
une autre
sorte
de
naissance,
plus
importante
que
l'autre, la
re-naissançe (aipi.zqda-), la
naissance à
la vie
éternelle.
En
effet, ce mot
aipi.zqba n'apparaît
que deux
fois
jdans l'Avesta
(dans une
Gâthâ,
F., 48, 5,
et,
d'après elle
sans
doute,
dans
V., 5,
21)
et,
les deux fois, le mot est en dépendance
de
l ad
jectif
yaozddh-
(avec le sens mystique, le premier sens
de
Bartholomae) : le Bon Enseignement procure dans
sa
plénitude
pour l'ijomme la re-naissance (yaozdâ
masyâi
aipi.zqbdm...).
4.
Plusieurs
strophes du
Rg-Veda
contenant
l'expression
sám
yóh
sont
peut-être
fondées
sur
le
système des
trois
fonc
tions1. Mais,
l'imprécision,
la
multivalence des termes les plus
importants ne
permet
pas
de conclusion ferme. De plus,
sám
yóh
apparaîtrait alors toujours au niveau de
la troisième fonc
tion
et
non de
la
première, à
la
différence de ce
qu'on
a
vu
dans
TAvesta
(ci-dessus", sous
I,
2),
—
peut-être parce que, dans
l'Inde
védique, tout ce
qui
est
médecine (ci-dessus,
sous
II, 2)
et
fécondité ;(ci-dessus, sous
II,
3) relève expressément, des
Nâsatya,
c,Tà-d. des dieux patrons
de
la troisième fonction2.
,
Í89,
2
(à
Agni)
:
.
■
.
,
-
л agne
Ivám
pârayâ navy o asmân
svaslíbhir áti durg дух víšvá
. .
.'
pus
ca prlhivï
bahuld na
urvi
bhává tokdya tánayaya šájp, yóh
O Agni, toi,
fais-nous passer
de nouveau, avec des bénédictions
(.svasli)
par
delà
toutes
les
difficultés
Sois) pour nous une forteresse
pur)
large,
forte, vaste Sois,
pour,
la
semence prolongée (ou : cor
porelle), le
sám
yôhl
. • =
-r,s
4,
12,5
(à
Agni)":
'
..
'
niahás
cid
agna
спащ abhïka
urvád devánám uiá márlydnum%
••■
■ rnd te sákhayah sádam id rifâtna
•.y áchá
tokáyci tánayaya sám yóh
1)
Sur
ces
applications du système
des trois fonctions dans la
poésie- védique,
v. JMQ IV, pp. 101 et suiv. (et p.
101,
n. 1).
2) V. JMQ III, pp.
92,
159
;
IV, pp. 13 et saiv.
-'■
• . •
.
t
-
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
10/19
Л
PROPOS
DE
LATIN
«
JUS »
103
O
Agni,
(garde nous) du
grand péché
(énas)..
?.. contre
les dieux
et
les hommes Nous,
tes
amis, que nous ne
soyons
jamais blessés
(ris-
:
cf.
avest/
raës-,
iris- « blesser » ;
raësah,
persan reš « blessure » ;
lit.
ráiszas
«
boiteux
»...)
Donne,
pour
la
semence
prolongée
/(ou
:
corporelle) le
sám" yóh
Plusieurs strophes associent trois notions : 1°
un
dérivé de
la racine av~ (cf. lat. avère,
etc.)
« donner aide mystique,
grâce,
faveur » ; 2°
le
sárman « protection par
couverture,
abri
contre les coups » (sárman est tout
proche
de
got. hilms,
all.
Helm
«
casque
»
: rac.
de lat.
cěláre, irl.
celim, etc.)
; 3° le
sáni yóh.
Bien
que l'orientation
de
sám yóh vers la troisième
fonction
ne
soit
plus exprimée
par
desr
mots
marquant la
fécondité
(du
type tokâya lanayâya),
la
nuance des deux pre
miers termes des
triades
et l'analogie des deux strophes
pr
écédemment
citées suggère de voir ici aussi un groupement de
prières faisant
référence
aux trois fonctions :
RV., 1, 93, 7
(à
Agni
et Soma) :
sušármáná
svávasči hi bhutám
álhá dhattam yajamânâya sám
yóh-
Puisque vous êtes
bien
couvrants, bien favorisants, conférez (=
don
nez) au sacrifiant le sám yóh
De même 1, 34, 6 prières Ašvin
d'apporter trois
sortes de
grâces :
oman
(encore la
racine av-) « faveur, aide
mystique
»
;
samyôh; « le triple sárman, c.-à-d. protection-couverture ». De
même encore,
•
peut-être avec une autre expression de la
deuxième fonction,
8,
71,
15
prie
Agni d'écarter l'ennemi
(dvêso yôlavai) et
de
donner le sám
yóh
(sám yóš ca dâtave) et
ajoute qu'Agni doit être
invoqué
partout avitéva, comme
celui
qui donne aide mystique (avilf).
Mais,
encore une
fois,
il
n'est
pas
sûr
qu'il
y
ait
classif
ication dans ces formules triples : des mots comme svasli,
el
même ávas, oman, aviif, ne se laissent pas rattacher
awz
sûrement au
premier
niveau
fonctionnel.
"-'-..:
'r-z
5. Il semble
qu'on
puisse rendre compte de touš les emplois
du
mot
indien
et
du mot iranien
en
partant, pour
*
y auš,
d'un
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
11/19
104
REVUE
DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
double sens
voisin
de ce que présente encore avest. yaoš- dans
yaoz-dâ- :
1° État optimum (du point
de
vue
ou
mystique
ou
rituel)
à
atteindre
à
partir
d'un état
donné
;
2° État
normal
à
restaurer à
partir d'un état souillé ou
malade.
L'expression déjà
indo-iranienne *yauš dhâ- (v. ci-dessus,
sous II, 1)
devait
signifier
l'une
et
l'autre
de ces deux
opéra
tions le
progrès
(mystique,
rituel)
vers
l'optimum,
la correc
tion
rituelle)
de
la
souillure.
*'.'.'-
; III. —
Irlandais
uisse,
latin jus
1.
S'il faut vraiment l'expliquer
par
*iusliio- (H. Pedersen,
Vergl. Gramm. d.
kelt.
Sprachen,
I,
1909, p.
64,
à propos du
traitement
irlandais de */-), l'adjectif irlandais
u(i)sse,
usa
«
mérité
», reposerait sur *ious- pris dans
un
sens voisin du
premier sens
d'indo-iranien
*yaus : « état maximum
auquel
un
être
peut se
proposer d'atteindre
».
En effet, avec
un infi
nitif
ou
un
substantif muni
d'un
adjectif
possessif (« est
mérité
son... »),
il fournit
l'équivalent de l'adjectif verbal
en
-ndus du latin. Le lexique de
Windisch,
au premier tome des
Irische
Texte,
p. 864, cite
is
huisse a molath «
laudandus », is
huisse a legend « legendus », is use aisndis de « loquendùs »,
hůise a serc «
amandus
». Dans une version
de
la Táin Bó
Cualnge (éd.
Windisch,
p. 675,
1.
4741), le comparatif uissiu
est employé de
même
— en
mauvaise
part
:
iš uissiu a
bas
ocus a éc ocus a
aided
ind fir, congreiss
in
rig
samlaid
« Plus
méritée
sa
mort et son
trépas
et
son
périssement,
l'homme
qui
excite
ainsi
le roi
»
(Une
variante, ibid., n. 13,
donne le
positif
hisa,
c.-à-d. usa ; une autre remplace uissiu par côir
« convenable »
:
as
cuir
bas el
sideadh
et écc
do
tapairl donto
gresis
in
righ mar sin ;
le lexique de
O'Clery glose d'ailleurs
aussi. usa par côir.)
11
ne
semble pas que uisse
ait
d'emploi
juridique
; il ne
figure
pas, en
tout
cas, dans le
lexique
des
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
12/19
A
PROPOS
DE LATIN «
JUS
»
105"
Lois
ď
Atkinson1 efe le redoutable censeur Whitley Stokes
n'a
rien
trouvé à redire à cette
absence2.
2. Je
ne
veux pas
me
substituer aux latinistes et aux
juristes, pour. éclairer
la
préhistoire de jus à
la
lumière de
quelques-unes des
données
indo-iraniennes ci-dessus réunies.
J'indique seulement une
direction
dans laquelle cette opéra
tionme paraît possible.
Dans l'usage que nous lui
connaissons,
le mot
latin
n'est
que
laïque. Il désigne au sens strict : « l'aire d'action ou
de
prétention maxima résultant de
la définition
ou
du
statut
conventionnel d'un. être;
la formulation
de cette aire. ».. En
cas
de
conflit
entre.
plusieurs
jura,
le
judex
.dit
les limites
de-
chacun ; en
cas
de
violation flagrante d'un
jus,
il
dit
la peine
et la réparation.
Que
le
mot ait eu d'abord une
valeur juridico-religieuse
et peut-être des
usages
purement
religieux, c'est ce qui res
sort,
on le sait,
du verbe juràre
et
du
nom
du serment, jus
jurandum. Quelle était cette
valeur
? La considération des
sens ďindo-iranien *yauš,
la
nécessité
logique
de
concevoir
un
pont entre ces sens
et
le sens historiquement attesté
de
jus
suggèrent,
sans
modifier ce
dernier,
d'y
ajouter
mention
de
la force
mystique, soit inhérente, soit conférée
par
un dieu
pris à
témoin, qu'avait une telle formulation.
Juràre serait
alors proprement
: « définir pour
soi,
par une formule
à
eff
icacité mystique, une
aire
*d'action à remplir », c'est-à-dire,
comme
nous
disons
plus
simplement
:
« s'engager par serment ».
Juràre
in verba
alicujus
serait proprement :« répéter, adopter,
en lui donnant quant
à soi
force
mystique, le programme
d'action formulé par quelqu'un
п., Jus jurandum
serait
pr
oprement
:
«
la formulation
à
faire
pour
se
définir,
.
avec
.contrainte
mystique, un programme
d'action».
Dépassant le
domaine de l'action, ne regardant plus seulement l'avenir,
juràre
aurait.pris le sens
plus,
large
de
«
doirae£
£оДОл
1)
Glossary to
vol.
Í-V of The
Ancient Laws
of
Ireland, Dublin, 1901.
2) A criticism of Dr. Atkinson's Glossary..., London, 1903.
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
13/19
106
RKVUE
DE
l'hISTOIUE' DKS
RELIGIONS
tique à
une
formulation quelconque
qui,sautrement, serait
banale et révocable
» :
est enim
jus jurandum, dit le De offi--
dis, III, 29r
affirmalio
religiosa..
3.
En
tout
cas
la grande
innovation, celle qui a rendu
pos
sible l'épanouissement illimité du «
droit
romain », éclate dans
le
composé
latin judex. Là où les Indo-Iraniens disent *yauš
dhá-
et
les Iraniens yaož-dá-, les Romains disent ju-dic- non
plus avec la
racinede
'Ú6y)(ju et
de facio,
mais avec
celle de
(kixvufn et
de dïco1. Le consécrateur ou
le purificateur iranien
(yaozdâlar-) « met » automatiquement le yaoš dans un être
ou
dans
un objet
; c'est du
moins l'essentiel de son
opération,
ce
sur
quoi
seul
insistent
les
textes.
Le
consul,
le
juge
romain
(judex),
lui, montre
d'abord le
jus à appliquer ;
notamment,
avant de châtier,
il
« dit » (donc
il
examine,
il
pèse) s'il y a
lieu
de
châtier.
IV. « JUSTA FACERE »
1. Si
l'on
examine les
quelque cinquante passages du
Vidëvdât ou
le
mot yaoidâ-
et
ses
dérivés sont
pris au
sens
de
«
purifier
rituellement, désinfecter d'une
souillure »,
on
est
frappé
par
un
fait
massif
:
à
deux
ou
trois
exceptions
près,
ils
sont tous relatifs à diverses formes d'une seule
et
même
souil
lure, celle que confère
la
vue
ou le contact ou la proximité
(spatiale, consanguine)
ou encore le mauvais
usage
d'un
cadavre.
On sait que l'Iran est particulièrement sensible au péril
que fait courir à
la
bonne création cette œuvre d'Anra Mainyu
qu'est la
mort
et
que le mazdéisme interdit aussi bien la
émation
que
l'ensevelissement
et généralement
tout
ce
qui
imposerait la matière morte (avest. nasu : cf.
grec véxuç,
oç, lat. nex, etc.) à ces éléments saints
que
sont
la
Terre,
'
-
1)
Cf. le magistrat
osque
med-dix
«
judex », nom forma sur une гас. med- qui, en
italique
comme en iranien, a
des emplois relatifs
à
la
«
médecine
» :
Benveniste,
art.
cit.,
pp. 5 et suiv. Le grec Six*) montre une utilisation juridique plus directe
encore
de la
racine *deik-, — Le latin connaît d'ailleurs
des expressions où
jus est
combiné avec
facio
: p.
ex.,
la
formule (de
sens
controversé) du sacra-
mentum
in rem :
«'
jus feci, sicut vindictam imposui »,
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
14/19
A
PROPOS DE
LATIN « JUS »
107
l'Eau, le Feu. Ce péril, cette
puissance de
corruption, l'Avesta
les
personnifie
dans
un
être qui porte lui-même le nom de.
Nasu,
la démone,
la
druj
Nasu,
et
qui
reste,
à
l'affût
des
vivants, dans le cadavre,
jusqu'à
ce qu'elle
en
ait été chassée
par
la cérémonie célèbre du
Sag-dîd, «
jusqu'à
ce
que
le chien
ait vu
le
corps
ou l'ait dévoré ou que les oiseaux carnivores se
soient
abattus sur
lui
»
(V.,
7, 3
; cf.
8, 16-22, etc.).
Pour
toutes
les autres
fautes
et souillures rituelles
que
prévoit
le Vidëvdàt —
et
elles sont nombreuses — les mots qui
désignent l'expiation
ou
la réparation
exigée, 'outre cibâ
et
арэгдШ
signalés plus haut1, sont paititiš (Darmesteter : « péni
tence
» ;
littéralement
«
retour
»
;
traduction pehlevie
ióžišn,
comme pour a"6â), uzvardzdtn, uzvardšliš (proprement : « répa
ration d'une mauvaise action par une bonne ») ;
on
trouve
encore, dans une
Gâthâ
(Y., 30, 8), kaënâ «
punition
»
(exa
ctement le même
mot que
tcoiv/j)
et, dans
un
Yašt
(14, 34),
le
mot baesazô (proprement « remède »). Mais, dans les chapitres
ou fragments
de
chapitres du Vidêvdât où il est question
d'une
souillure
(soit inévitable, soit par
imprudence,
soit volontaire)
provenant d'un
cadavre,
nasu,
c.-à-d.
de
la démone Nasu, et
dans
ces
cas
seulement,
yaoïdà-
et ses
dérivés
apparaissent
et
dominent.
Peut-être, ce fait
rejoint-il,
en
négatif
(« anti-mort
»),
cet
autre fait,
signalé
plus haut2,
et
positif (« pro-vie »),
que
consti
tuent les rapports particuliers (Avesta, Çg-Veda) entre yaoždá-
qu sám
yóhet
la
« semence
», la génération, la descendance. En
tout
cas,
l'enseignement de
la
statistique est clair
:
dans
l'Iran
mazdéen,
yaoždá-, c'est presque
uniquement
« purifier.» (les
vivants, la
maison,
les objets...)
de
la souillure qui
résulte
d'un
cadavre,
de
la démone
Nasu
;
et,
en
particulier,
de
la
souillure
involontaire, inévitable, qui frappe l'homme le plus pieux
quand
quelqu'un meurt chez lui ou
quand il
se trouve dans
l'aire, plus ou moins vaste selon les
cas,
de
contagion d'un
1) Ci-dessus (sous I,
2)7p. 98. ■ •
.
2)
Ci-dessus (sous II, 3),
pp. 101
et
suiv.c
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
15/19
108
REVUE
DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
cadavre1.
Le huitième
chapitre du Vidëvdât prévoit
deux
ci
rconstances
:
si l'homme a touché
le cadavre
après
que la
Nasu
avait .été chassée, le
cas
est
bénin,
une seule purification
(pairi.yaozdâ-),
par
l'urine
de
boeuf
et
par l'eau, suffît
(ver
set
6)
;
si
la
Nasu était
encore présente, le
cas est plus
grave :
il
faut,
dans trois
séries de trois
trous
rituellement creusés,
trois purifications
(pairi.yaozdâ-)
successives, deux
fois
d'urine
de
bœuf,
la
troisième d'eau ;
et
l'homme
se lave les
diverses parties du corps dans
un ordre
savant, en
commenç
nt
ar les mains (sans quoi vïspqm hvqm
tanum
ayaozdâla
кэгэпаоШ, il
rend tout
son corps
non-y aozdàla),
pour
pousser
la démone
Nasu
d'organe
en
organe
jusqu'à
un dernier
refuge,
Vorteil gauche,
d'où
il
est facile, par un dernier filet d'eau, de
la
débusquer « sous
la forme d'une
mouche furieuse..:
». L'homme
est
ainsi
pur
(v. 37-71).
2.
A
Rome, la question des funérailles se présente tout
autrement,
puisque
l'usage admet et la crémation et
l'enseve
lissement et
que
le
droit pontifical
paraît' avoir
donné une
préférence
presque exclusive à
l'ensevelissement,
—
c.-à-d.
à
ce qui constitue au contraire
un
des péchés
inexpiables
du
mazdéisme.
Deux
idéologies
inverses
commandent
ici
les
pra
tiques : le
mazdéen a
le
souci de
ne
pas souiller les
saintes
matières (terre,
eau,
feu), en
particulier de
ne
pas faire une des
choses qui « mettent le plus mal à l'aise le Génie de
la
Terre »
(V., 3, 8) ; tandis que le Romain a le
souci de
restituer à
la
Terre-mère le corps qui a cessé/
de vivre2.
Il
n'en
reste pas
moins que
le pluriel
justa a un
sens tech
nique, et
un seul,
très particulier :
les expressions jusla
facere,
j. peragere,
j.
solvere
ou persolvere, j.
dare, j. ferre, j.
praes-
tare,
etc.,
signifient,
sans
confusion
possible,
«
accomplir
les
f y â d'ailleurs à Cette occasion toute
une
casuistique': tou6h eť u'n Cadavre
desséchéne
souille
pas,- car
nâjt hišku
hiškmi
sraěšyeiti
«
le.
sec ne colle
pas
au sec-».
De
plus, on â le moyen de limiter
les
risques par
des
funérailles conduites réguli
èrement (avec des purifications provisoires dans de l'urine de
mouton
ou de
bœuf) :
V., 8,
13.^
2) Gicéron, De
legibus,
2, 22
:
reddilur enim terme
corpus
et ita lomlitm
ac
situm
quasi
opcrimento matrix
obducitur, e
•
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
16/19
A PROPOS DE LATIN «
JUS
»
.
'
ЮУ
cérémonies
funèbres
e1.
Il
s'agit sûrement d'une vieille express
ion,ui
atteste un rapport particulier entre une forme de jus
et
le
rituel
funéraire2
;
un rapport d'ailleurs
complexe
:
les
Romains
comprennent
certes qu'il
s'agit de
donner ce
à quoi
il
« a droit » au mort {jus
Manium,
etc.)3,
et
peut-être aussi à
la
Terre : mais l'opération a
'un
autre aspect ; tant que les jusia
n'ont
pas été accomplis jusqu'au bout, la
famille
est f unesla ;
leur accomplissement seul
la
rend
pura, la
purgali
Justa est
donc
fondamentalement
lié à l'effacement
de
la souillure
résultant
de
la proximité (consanguine) d'un mort.
La cérémonie
de
cette purification portait
un
nom
auquel
les
faits
iraniens
précédemment rappelés donnent une
riche
résonance
: denicales
feriae.
L'abrégé
de Festus par Paul
Diacre dit,
par exemple (s.
v.)
:
denicales ferîae
colebanlur,
quum hominis morlui causa familia purgabalur ;
Graeci
enim
véxuv
morluum dicunl. Et Cicéron, dans le précieux chapitre
21
du
second livre
du
De legibus
où il donne
tant de renseigne
ments
ur le jus
Manium,
produit
la
même etymologie,
d ail
leurs incontestable4,
sous sa
forme latine :
denicales, quae a
nece appellatae sunl. Tout se passe comme si les jusla du jour
des
denicales
feriae
avaient
pour objet
de
chasser
du monde
des vivants
(de-) la
souillure de
la nex, comme l'Iranien
purifie
(yaozdâ-)
sa
personne
et ses
biens
de
la souillure
de
la
druj Nasu.
En rapprochant les
quelques
documents
conservés
sur
la
matière, Samter {PW., V,
col. 219-220),
G.
Rohde
{ibid.,
XVIII, col.
1534-36)
ont dégagé en quoi consistait l'essentiel
1) Cf.
Ovide, Fastes,
V, 480 (cf. 450;
jusla,
dans
ce
sens'
technique,
mis
en rapport
avec
la
fête
des
Lemuria
:
Romulus obsequilur, lucemque Remuria dixit
Ulam, qua
positis justa ferunlur avis.
2) Les
expressions grecques
та Sinatot, та vópupia, та
vojjuÇo[j.eva,
qu'on
rap
proche avec raison
de justa
dans
son
emploi
ordinaire,
n'ont pas
ce
sens
technique.
}\ faut aussi
quelque
bonne
volonté pour mobiliser ici le oooa ëoixs de a, 292.
3)
Tite-Live,
1,
20,
7
.* (Nuraa décida) ...пес саеШШ modo caerimonias, sed
jusla quoque Junebria placandosque Mânes ut idem ponlifex, edoceret.
4) Et
qui
doit
attester
un
sens
archaïque
de
nex
plus vaste que
«
mort
violente
»;
puisque les denicales
feriae paraissent
suivre
toute mort.
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
17/19
1
10
ftËVUË t>Ë L'HlSTOtftE DÈS RELIGIONS
de
cette purgatio, des
dcnicales
jeriae : le jour des funérailles,
avant de brûler
le
corps, on
avait
prélevé un
os
(os reseclum,
os
exceptum)
;
quelques
jours
plus
tard,
aux
denicales
ferine,
on
inhumait cet os, comme l'équivalent symbolique
du corps
auquel, en principe, la Terre-mère
avait
droit
en
totalité.
Il
paraît
qu'on utilisait surtout, comme os
resedùm,
un doigt ;
Festus
dit (s. v.
membrum
ubscidi) : membrum
abscidi morhio
dicebalur, quum digitus
ejus decidebafur,
ad
quod servatum
jusla fièrent, reliquo
corpore combuslo.
Qu'il s'agisse là, outre d'un «
devoir
funèbre
», d'une
purifi
cation des vivants, c'est ce
qui
ressort,
par
exemple, de
Var-
ron,
De
ling, lat.,
3, 4
:
...
aut,
si
os
excepium
est
mortui
ad
fami-
liam purgandam, donec in purgando humo non
est
operius
(ut ponlifices dicunt, quoad inhumatus
sit), familia funesta
manet. La
même intention
ressort aussi de
la
curieuse règle
relative
à ceux qui, necali en
mer,
ont été jetés par-dessus
bord : s'il ne s'agissait
que
de
jura compris comme « droits »
des morts, comme « devoirs » à
rendre
aux
morts,
ou encore
de
dette
envers la
Terre,
on s'attendrait
à
une
multiplication
non à
une suppression des cérémonies ;
c'est
le
contraire
qui
a.
lieu
:
«
la
famille
est
pure
[sans
denicales
feriae],
parce
qu'il
ne
reste pas d'os sur
la
terre »
(Cicéron,
De leg., 2, 22 fin : in eo
qui in navi necatùs, deinde in
mare'
projedus esselr decrevit
P. Mucius familiam puram,
quod os
supra
ierram non
pxslarel...).
Ces faits romains1
paraissent
conserver, et
dans
le
mot
jusla,
et
dans les rapports qu'ils établissent entre les denicales
jeriae
et
les jusla, le
souvenir
d'un emploi religieux précis du
mot jus, tout semblable
à
celui
de
yaoš qui, dans l'Iran, sou-
1) II
faudra aussi
regarder de près l'expression énigmatique
que
fournit le
même
chapitre
du
De legibus :
quaeque in
porca
contracta jura
sint.
Voici
le vieux
commentaire
de J. F. Wagner {Gottingae,
1804), qui
en vaut
bien un
autre
(p. 139) :
«
Contrahere
jura h. 1.
dicitur,
ut
: noxam, poenam
contrahere
; i. e. peccato admisso
obligari ad
praestandum
aliquid, quo illud expiçtur. Porca
autem mactanda
erat
ab iis,
qui in
justis ferendis
deliquissent, auctore Festo, p. 373,
porca
praecidanea
mactabatur
Cereri ab eo,
qui
mortuo jusla non fecisset, i. e.
glebam
non objecisset... »
11 semble bien
que ces « jura » sont religieux
et relatif* à
une
forme
de purification.
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
18/19
Á
PliOPOS 1)Ы
LATIN
«
JViš » 111
tient l'opération qui « ijaoždaMili »
ceux
qu'a souillés la
druj
Nasu1. •
*
;
V.
—
Deux
classifications des
coups
et
blessures
1.
A la fin
de
Jupiter Mars Quirinus IV, pp. 170 et
suiv.,
ont
été publiés des fragments d'un mémoire, resté manuscrit,,e" M. Lucien
Gerschel
(1945),
qui tend
à
déceler
dans le
droit
romain des traces plausibles
de
la
préhistoire
indo-européenne.
En
un
autre endroit du même mémoire, M. Gerschel propose
de voir,
dans les
classifications
romaines archaïques des types
ďinjuria et
de
leurs peines (à savoir2 : 1° malum carmen
et
occentaiio
:
incantations
magiques
hostiles,
punies
par
la
mort
sous
les verges3 ; 2° membrum ruplum et
[anciennement
:
Caton] os fractum : lésion dans
la
chair et fracture d'os, punies
en principe du talion4 ; 3°
injuria, sans autre qualification
:
coup n'entraînant pas blessure, soufflet,
etc.,
puni d'une
amende fixe de 25 as5), une
utilisation romaine (1°
crime et
sanction
magico-religieux6
; 2°
crime
et
sanction violents
;
3° sanction économique) du même système fonctionnel
que
M. Benveniste
a
signalé
à propos de
la
médecine (classifications
des
médications
ou
des
maladies)7
et
qui a
été
aussi
rencontré
1) On
se rappellera que le
latin
sepelio,
« j'accomplis les rites funéraires
»,
rejoint le védique
šaparyati «
il rend
un
culte
à
».
2)
V.
les
discussions
dans R. Monier, Manuel élémentaire de Droit Romain, II,
4«
éd., 1948, §
31. -
3) Nostrae
XII
Tabulae, quom perpaucas res
capite sanxisseni,'
in his
hanc
quoque sanciendam
putaverunt,
si
quis
occentavissel sive carmen
condidissel,
quod
infamiam faceret flagitiumve
alteri,
Cicéron,
De
Rep., 4, 12, dans saint Augustin, Civ.
Dei,
2, 9 (avec, à la fin,
la
môme interprétation que dans Festus, s. v. occenlassinl).
4)
Priscien, Gramm., 6, 13, 69 : Cato...
os protulit
in VI Orig. Si
quis membrum
rupit aut os fregit, talione
proximus
cognatus ulciscitur. Mais pour l'os fractum,
les
XII
Tables fixent
déjà
l'amende :
manu fuslive si os
fregit libero
CGC, si
servo
CL
poenam subit
;
mais non pour le membrum
ruplum :
si
membrum
rupsit, ni
cum
eo
pacit,
talio
esto
(Festus,
s.
v.
talionis).
s
5) Aulu-Gelle, 20, 1, 12 : Si injuriam faxsit, viginii quinque aeris poenae sunto;
cf. Festus,
8.
v., viginii quinque poenae
in
XII signiflcat
XXV asses.
6)
« La peine
de mort est primitivement une peine
religieuse et ses
formes
sont religieuses : Mommsen a souligné la parenté de l'exécution par la
hache
avec les
rites du sacrifice
;
la mort
par
flagellation est,
à
Rome comme dans
toutes les civilisations primitives,
un
rite apotropaïque qui expulse le mal et
chasse
avec
l'âme
du coupable les « miasmes »
qui
imprègnent sa personne »,
Magdelain,
Sponsio,
p. 138; cf. Mommsen, Droit
pénal romain,
III, pp. 255
et suiv.
7)
Ci-dessus,
p. 98, n. 2-
8/19/2019 À Propos Du Latin « Jūs »
19/19
ÍÍ2
REVUE
DE
L'HISTOIRE DES ftELÍGÍONŠ
plus
haut (sous
I, 2) à
propos
des
sanctions
religieuses
du
•
Vidëvdât (dans l'ordre ascendant :
1°
sanction
économique ;
2° sanction
violente
;
3° sanction magique).
2. On peut
joindre l'analogie
suivante.
La
classification des
coups
en trois
espèces d'importance inégale [injuria sans
qual
ification : « coup n'entraînant pas
blessure, soufflet
»... ; mem-
brum ruptum
« toute
lésion
autre' que
la
fracture d'un
os
[Appleton,
Monier]';
os fractum «
fracture
d'os ») se retrouve
dans le droit avestique :
Vidëvdât,
4, 30-34-37, distingue
trois
espèces, et trois seulement,
de coups
appelés xvara-1 (par oppos
ition
aux. menaces armées,
18
et
22,
et aux
deux snaba-
:
Vardduš
snaQdm,
coup sans
suite
visible, 26
;
le
frazâ.baobanhdm
snabdm,
blessure mortelle, 40). Ce sont, selon les degrés
crois
sants
d'importance (à
l'accusatif) : 1° le
vîxrumantdm xvardm
(que le Nîrangistân,
42, appelle simplement
xvara-,
sans
quali
fication) « coup qui meurtrit sans faire couler le sang » ;
2°
le
iacat.vohunïm
xvardm « coup qui fait couler le sang » ;
3°
le
aslô.biBdm xvardm « coup qui entraîne
fracture
d'os »2. En
dépit de
ce qu'on
pourrait
croire, ce
type de
classification,
simple
et
«
conforme à la nature »,
n'est
pas fréquent dans
les
droits
de
l'antiquité.
Georges Dumézil.
1} On
rapproche
v. h.
a.
sweran « schmerzen
»,
m. h.
a. stvcren
«
id.
»
cl
« s'ulcérer »
{ail.
schwàren). \
2)
V.
Darmesteter, le Zend-Avesta,
II
(1892), pp. 57 et suiv., et
les
notes
(à
corriger
en
plusieurs points), Bartholomae, Arica, XI, 66, dans Jdg. Forsch.,
X (1899), pp.
5
et suiv., et Altiran. Wôrterbuch, ss. vv.
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