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UNIVERSITE DE PARIS X - NANTERRE
cole doctorale Connaissance et culture
___________________
THESE pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L'UNIVERSITE PARIS X - NANTERRE
Discipline : philosophie
prsente et soutenue publiquement
par
M. Bruno AMBROISE
le vendredi 25 mars 2005
Titre :
Les pouvoirs du langage :
La contribution de J.L. Austin une thorie
contextualiste des actes de parole.
Directeur de thse :
M. le professeur Francis WOLFF (ENS)
___________________
JURY :
M. Daniel ANDLER, professeur (Universit Paris IV, ENS & IHPST)
Mme Martine DE GAUDEMAR, professeur (Universit Paris X Nanterre),
prsidente du jury.
Mme Sandra LAUGIER, professeur (Universit de Picardie & IHPST)
M. Franois RECANATI, directeur de recherche (Institut Jean Nicod, CNRS)
M. Charles TRAVIS, professeur (Northwestern University, USA)
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A ma mre.
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Remerciements : Durant les cinq annes qu'ont dur la maturation et l'criture de cette thse, j'ai bnfici du soutien amical et des encouragements chaleureux de plusieurs personnes qui ont rendu son laboration possible. Francis Wolff ( ENS & Universit Paris X), qui dirigea ce travail, a accept durant tout ce temps de m'accorder sa confiance, son soutien et ses conseils aviss. Qu'il en soit trs sincrement remerci. Sandra Laugier (Universit de Picardie & IHPST) a t bien plus qu'une directrice de thse. Outre ses travaux, qui ont permis d'ouvrir en France une voie la philosophie d'Austin, en en rendant toute la richesse et la complexit travers une lecture totalement indite, elle a guid, avec un art et une gentillesse incomparables, mes rflexions, donnant celles-ci, sans que je m'en aperoive immdiatement, une orientation dcisive. Je n'ai certainement pas fini d'valuer tout ce que je lui dois. Charles Travis (Northwestern University) m'a fait l'honneur d'accepter que je travaille sur une uvre que je juge bien plus qu'importante, et que je le suive, du mieux que j'ai pu, dans la voie qu'il a trace la suite d'Austin. Naturellement, ce mentor n'est en rien responsable des erreurs qui pourront tre exposes par la suite ; il sera d'ailleurs certainement le premier me corriger. Mais ce travail n'aurait assurment pas pris la forme qu'il a, si je n'avais pas bnfici de ses travaux, de sa disponibilit et de son humour. Daniel Andler (Universit de Paris IV, ENS & IHPST) a guid mes premiers pas dans la recherche. Je lui suis trs reconnaissant d'avoir continu suivre mes travaux d'un il bienveillant. Je dois aussi prciser que j'ai bnfici de l'accueil trs apprciable de diverses institutions, dont les richesses combines permirent ce travail de prendre forme : je remercie ainsi l'Universit de Paris X - Nanterre, l'Universit Michel de Montaigne - Bordeaux 3, l'Institut d'Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques (CNRS & Paris I), et Northwestern University.
Christophe Alsaleh (Universit de Picardie), intraitable coach et vritable compagnon spirituel clairant la voie suivre, mrite une mention trs spciale. En plus de m'avoir guid et corrig sur de nombreux points, il m'a offert une relecture intgrale de ce travail, dont j'ai encore du mal mesurer la porte. Delphine Chapuis (IHPST) mrite galement les honneurs pour avoir fait de son mieux pour transformer en un franais peu prs correct sa rdaction. L'amiti offerte par ces deux personnes joua un rle inestimable dans la russite de celui-ci. Je remercie galement ma famille, qui m'a permis, de diverses manires, d'crire tout ceci en me soutenant (et en me supportant) durant toutes ces annes.
Je dois de chaleureux remerciements l'quipe des jeunes philosophes de l'Universit de Bordeaux 3 (Gauthier, Jauffrey, Jean-Christophe, l'indispensable Laure, Sophie) pour tout ce qu'ils m'ont apport. Je remercie tout spcialement Layla Rad pour sa prcieuse amiti, son indispensable rigueur, ses conseils dterminants et un indfectible soutien, malgr nos dsaccords philosophiques. Et un norme merci toute la famille Rabat, tout spcialement Lucette, Dominique, Florence et Kristiina. Enfin, tous ceux qui, des titres divers, m'ont permis de progresser : Jocelyn Benoist (U. Paris I), Sverine Bourdieu (U. Bordeaux 3), Carine Duteil (U. de Limoges), Michela Marzano (IRESCO/CNRS), Jean-Jacques Rosat (Collge de France), Alex, Boris, Marlne ; Martine et Fabien. Et, pour tout et bien plus encore, Sophie.
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SOMMAIRE
Remerciements. Sommaire. Introduction. Note prliminaire.
I. LA PAROLE COMME ACTE(S). I.1. Caractrisation du discours comme activit : les diffrents ples de
lactivit. I.1.i. Dcrire ce quon fait avec le langage.
1. Remarques prliminaires sur la mthode philosophique dAustin : la phnomnologie linguistique comme pralable une science du langage ?
2. Les descriptions multiples de laction et le ftiche valeur/fait
3. Laction se dcrit toujours par rapport un arrire-plan de pratiques le ftiche valeur/fait, bis.
I.1.ii. Dcouvertes des actes de la parole en fonction de leurs checs et de leurs russites (partiels ou complets) : apparition de la performativit
4. Pourquoi rater, cest chouer faire (et non pas dire). 5. Lillusion descriptive : contre la smantique vri-conditionnelle. 6. La dcouverte du performatif : laction de la parole nest pas (seulement) de dire quelque chose.
I.1.iii. Caractrisation de lactivit en fonction de son caractre conventionnel.
7. Laction se dfinit notamment par son caractre conventionnel : la normativit conventionnelle des performatifs. 8. Les applications diffrencies dune procdure conventionnelle : le poids relatif de la convention. 9. Performatifs explicites/performatifs implicites : la visibilit diffrencie de la convention et son caractre historique. 10. La question des critres du performatif et la gnralisation de la performativit laffirmation. I.2. Les trois aspects de lacte de parole.
I.2.i. Laspect locutionnaire de lnonc le niveau linguistique. 11. Lacte phontique et lacte phatique. 12. Lacte rhtique et ses ambiguts. 13. Le statut de lacte locutionnaire.
I.2.ii. Laspect illocutionnaire de lnonc le niveau pragmatique.
14. L'acte illocutionnaire comme dterminant d'une action ralise au moyen de la parole.
p. 3 p. 4 p. 7 p. 15 p. 17 p. 18 p. 18 p. 18 p. 28 p. 32 p. 42 p. 42 p. 49 p. 53 p. 62 p. 62 p. 67 p. 70 p. 76 p. 83 p. 84 p. 84 p. 86 p. 97 p. 101 p. 101
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15. Identification de lnonc comme activit : son aspect conventionnel. 16. L'valuation de l'acte : dtermination illocutionnaire du rapport la ralit et prise en compte du locutionnaire. 17. Le poids de la premire personne : autorit et responsabilit dans l'acte illocutionnaire.
I.2.iii. Laspect perlocutionnaire de lnonc le niveau alatoire. 18. Identification de l'acte perlocutionnaire. 19. Du caractre alatoire de l'action perlocutionnaire. 20. Le problme de la distinction entre illocutionnaire et perlocutionnaire.
II. LES CONDITIONS DES ACTES DE PAROLE. II.1. Les conditions de flicits de l'acte de parole.
II.1.i. Le rapport des conditions de flicit aux trois aspects de l'acte de parole.
21. Prsentation raisonne d'une classification des checs. 22. Des checs de la locution et de la perlocution ? 23. Les checs de l'illocution. 24. Rgles des checs : retour sur la mthode austinienne.
II.1.ii. Le rapport diffrenci la ralit des actes de parole. 25. Les dimensions d'valuation, les faits et la subversion de la doctrine du positivisme logique. 26. Les diffrents rapports aux faits comme conditions de russite. 27. Prsuppositions pragmatiques et pertinence : un pas vers les implicatures ?
II.1.iii. Du rle des tats d'esprit. 28. Le cas paradigmatique de la promesse : qu'est-ce que promettre ? 29. Intentions et conventions dans les actes de parole : la critique de Strawson. 30. Intention et signification : Austin versus Grice. 31. La qualification de l'action comme intentionnelle par dfaut : une condition normale . II.2. L'objectivit contextuelle des actes de parole.
II.2.i. Conventions, communaut et circonstances : naissance de l'objectivit.
32. Le rle normatif de la convention. 33. Dire le rel. Du rle des conventions dmonstratives dans l'objectivit de ce qui est dit dans l'acte : le langage signifiant n'est pas l'image de la ralit. 34. Le problme de l'adquation contextuelle.
p. 109 p. 120 p. 128 p. 132 p. 132 p. 139 p. 143 p. 151 p. 152 p. 152 p. 152 p. 158 p. 162 p. 167 p. 174 p. 174 p. 184 p. 196 p. 223 p. 223 p. 235 p. 241 p. 255 p. 263 p. 264 p. 264 p. 283 p. 296
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II.2.ii. Raisons et engagement : la multiplicit des raisons et la garantie de lobjectivit
35. L'engagement dans la parole drive de la libert que les conventions offrent. 36. La dtermination par les pratiques de l'objectivit des raisons contextuelles.
III. LA PAROLE EN ACTE(S). III.1. Une thorie performative de la connaissance ?
III.1.i. Connatre, c'est avoir des raisons contextuelles de dire que l'on sait.
37. La thorie de la connaissance de Cook Wilson : l'impossible atteinte de l'objectivit. 38. L'nonciation performative de la connaissance selon Austin.
III.1.ii. Connatre, c'est avoir des raisons contextuelles de dire que l'on sait.
39. Les critres circonstancis (paroissiaux) de lobjectivit : les raisons non-absolues des noncs de connaissance.
III.2. Une nouvelle conception de la vrit.
III.2.i. Une conception performative de la vrit ? 40. Le dbat entre Austin et Strawson sur la vrit. 41. L'affirmation et les faits. 42. Le caractre substantiel de lattribution de vrit la vrit comme dimension d'valuation.
III.2.ii. La vrit comme dimension d'valuation situe. 43. La vrit comme dimension d'valuation porte par un jugement. 44. La vrit contextualise. Conclusion. Bibliographie. Index des noms. Index des notions. Table analytique des matires.
p. 308 p. 308 p. 312 p. 317 p. 318 p. 319 p. 319 p. 325 p. 332 p. 332 p. 337 p. 337 p. 337
p. 343 p. 346 p. 350 p. 350 p. 355 p. 361 p. 367 p. 383 p. 384 p. 386.
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It is only shallow people who do not judge by appearances. The true mystery of the
world is the visible, not the invisible.1
Introduction gnrale :
tudier la philosophie du langage de John Langshaw Austin pourrait tenir de la
gageure philosophiquement inutile et quelque peu vaine. Aprs tout, Austin est un auteur
rcent, dont la pesanteur des sicles n'a pas encore recouvert la pense, une pense qui, par
ailleurs s'avre trs accessible, tellement accessible qu'elle est devenue l'une des rares penses
philosophiques reconnues au point d'avoir donn lieu une nouvelle discipline scientifique,
ou prtention scientifique : la pragmatique. De telle sorte que la pense d'Austin semble tre
accepte, largement reconnue, bien connue, et qu'il n'y aurait philosophiquement plus grand-
chose en dire, puisque la science l'aurait reprise sa charge pour la dvelopper sur des bases
plus sres que la pure spculation2.
Mais c'est peut-tre dans ce mouvement d'abandon honor, de la part de la
philosophie, d'une pense une discipline autre qu'elle-mme que se joue une relgation de
son aspect proprement philosophique. Concder la science le droit de lgifrer sur les acquis
du texte austinien, c'est aussi se permettre de ne plus avoir en parler sur un plan
1. O. Wilde, The Portrait of Dorian Gray, ch. 2.
2. Pour un exemple typique de ce mouvement, voir le livre de A. Reboul & J. Moeschler, La
pragmatique aujourdhui, Editions du Seuil, coll. Points-Essais , Paris, 1998, 209 p., dont trois pages
seulement sont consacres Austin, trois pages du chapitre Naissance de la pragmatique , o il est en gros
expliqu que son seul apport est davoir forg une terminologie, qui plus est dfectueuse.
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philosophique3. C'est oublier bon compte, de la part de la philosophie, mais aussi de la
pragmatique, que la thorie austinienne du langage, si elle revendiquait, dans plusieurs de ses
avances, une certaine prtention la scientificit, avait une relle porte philosophique,
souvent trs critique l'gard de la philosophie analytique concurrente, et que les ides
concernant le langage, notamment l'ide que le langage est une activit, n'taient absolument
pas neutres. Ceci pour dire qu' force d'oublier les prsupposs conceptuels austiniens et de
refouler la porte philosophique de l'uvre d'Austin, la pragmatique en est venue se
dvelopper de manire peu compatible avec les fondements mme de l'ide d'acte de parole,
tout en permettant la philosophie d'ignorer la valeur philosophique des propos austiniens.
Ainsi, tout le monde, aujourd'hui, aussi bien au sein de la pragmatique que de la philosophie,
semble accepter sans restriction les dcouvertes austiniennes et considrer qu'il est tout fait
normal que le langage fasse des choses. Cette ide est pourtant rien moins qu'anodine et
prsupposait, chez Austin, une conception de l'action peu compatible avec les ides que sen
font les promoteurs contemporains de la thorie des actes de parole. On peut mme considrer
qu'en faisant de la philosophie du langage, Austin entendait avant tout tudier nouveaux
frais, et contre une certaine tradition de pense, ce que c'tait que l'action problmatique
bien loigne de la pragmatique contemporaine, qui continue souvent voir l'action de la
parole comme un effet smantique, sans plus se poser de questions.
C'est pourtant l une vision des choses totalement contraire la conception
austinienne, qui ne tenait pas tant rabattre l'action sur un plan smantique (mme si un des
projets austiniens consiste montrer que l'action se dit en plusieurs sens) qu' rabattre la
smantique sur un plan pragmatique. Il ne s'agissait pas tant, pour Austin, de montrer que le
faire est un dire, que de montrer, grce aux moyens offerts par le langage, que le dire est un
faire un faire qui, prcisment, ne se rduit pas au dire. C'tait l lutter contre ce que Austin
appelait l'illusion descriptive .
Cette conception du langage, pour le rpter, se fonde sur une philosophie plus
gnrale, dont l'ambition la plus marque est l'adoption d'une position raliste. Non pas qu'il
s'agisse pour Austin de dfendre une nime version du ralisme philosophique4 notamment
pas en ce qui concerne le langage. Austin est probablement le plus loign possible d'une
conception qui se voudrait un ralisme des objets linguistiques. Le ralisme qu'il dfend est
3. A de notables exceptions prs ; citons notamment : Charles Travis, dont la pense inspire tout ce
travail ; Stanley Cavell ; Sandra Laugier ; Hilary Putnam et Franois Rcanati.
4. Pour une histoire et une critique du ralisme en philosophie, voir H. Putnam, The Threefold
Cords, Columbia University Press, New York, 1999, 234 p., notamment la seconde leon du premier chapitre,
consacre Austin.
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plutt un ralisme ordinaire, ou, plus exactement, l'esprit raliste de l'homme ordinaire (the
plain man), ce que Putnam appellerait une forme assume de navet , dont les philosophes
se dpartissent trop vite par illusion scolastique , pour reprendre un mot cher Austin. Cet
esprit raliste de l'homme ordinaire, lorsqu'il considre le langage, l'amne reconnatre que
le langage n'est pas le voile diaphane que l'homme interpose entre sa conscience et la ralit,
pour pouvoir en parler aux autres au moyen d'une reprsentation parfaite, mais, plus
simplement, un instrument aux fonctions multiples et la plasticit exemplaire dans la
communication humaine. Or comprendre que le langage est ce formidable instrument, c'est
aussi reconnatre sa fantastique capacit parler du rel, en usant de multiples nuances. Avoir
l'esprit raliste, c'est donc observer l'immense richesse du langage, son formidable pouvoir
d'expression, de rvlateur de la ralit. Autrement dit, en mme temps qu'on reconnat son
caractre actif, on admire sa capacit nous le manifester, notamment en nous parlant de
manires fines du rel. On comprend alors que la meilleure mthode adopter consiste se
laisser guider par le langage, par le langage ordinaire, pour voir ce qu'il nous apprend sur le
monde et sur lui-mme. Cela revient donc considrer que le langage ordinaire a le premier
mot et qu'il faut d'abord interroger ce que celui-ci nous apprend, avant de construire des
systmes de langages idaux, qui oublient, par dfinition, le rapport la ralit propre au
langage ordinaire. Se montrer raliste, c'est donc d'abord adopter le ralisme de la langue dont
nous nous servons quotidiennement pour parler du monde. Ainsi, voir que la parole fait, c'est
se montrer raliste, en ce sens que c'est dj ne pas adopter une position idaliste quant ce
qu'est le langage. Il faut plutt l'observer dans ses usages, ne pas l'idaliser, ne pas prtendre
immdiatement pouvoir le dpasser par des constructions de l'esprit et retomber dans l'illusion
scolastique consistant faire des choses de la logique la logique des choses. Be your size :
cet aveu de modestie austinien est galement une rgle de mthode.
Aussi, avoir l'esprit raliste, c'est surtout adopter une mthode une mthode qui
permettra de traiter (ou de dmonter) de manire unitaire un certain nombre de problmes
spcifiquement philosophiques, et pas seulement linguistiques. C'est donc notamment par une
mthode que s'illustre la philosophie d'Austin, qui, on l'a souvent dit5, ne rside pas tant, ou
pas seulement, dans l'articulation de thses originales, que dans une manire trs particulire
d'aborder les problmes. C'est essentiellement dans l'adoption de cette mthode d'attention
scrupuleuse aux faits du langage que se rvle ainsi le ralisme d'Austin. Il ne s'agit pas tant
d'une position philosophique, que du respect du ralisme inhrent notre faon de parler du
monde, qui, seule, nous en rvle la diversit, au contraire du langage philosophique, construit
5. Voir notamment les tmoignages respectifs de G.J. Warnock, J.O. Urmson, S. Hampshire et D. Pears,
in K.T. Fann (Ed.), Symposium on J.L. Austin, Routledge and Kegan Paul, Londres, 1969, pp. 3-99.
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de toutes pices et qui, bien trop souvent, simplifie[ ] l'excs : on serait [mme] tent de
dire que c'est la dformation professionnelle des philosophes, si ce n'tait leur profession6.
tre raliste, c'est donc voir ce qui se donne dans les distinctions ordinaires, travers l'usage
normal du langage et comprendre que seul le langage dont nous partons nous permet de parler
du monde. D'o l'ide d'une philosophie du langage ordinaire . Il ne s'agit alors pas de dire
que seul ce qui est ordinaire importe, mais que l'ordinaire donne l'environnement normal
du langage, paradigmatique, et qu'il faut d'abord voir comment il se dploie dans cet espace
pour l'tudier dans un autre. Il y a des rgles normales d'utilisation du langage, parce qu'il est
dj dploy et qu'il s'impose nous dans sa facticit lorsque l'on veut parler du rel. Or ce
caractre fondateur des usages ordinaires du langage est ce que, paradoxalement, oublie la
pragmatique, qui a souvent tendance vouloir reconstruire a priori les rgles de
fonctionnement du langage, selon une certaine ide qu'elle se fait de ce qu'il doit tre.
Gnralement, la pragmatique renoue ainsi avec un dfaut majeur des philosophies dnonces
par Austin : la volont de gnralisation, qui masque la spcificit que les faits prsentent
dans leur diversit. Elle s'avre ainsi atteinte de ccit l'gard du langage lui-mme. Nous
verrons comment, rechercher des rgles a priori, elle tend dterminer l'usage, en
s'interdisant d'en relever toute la complexit. Nous verrons surtout que la reconstruction
austinienne du langage n'adopte pas cette rigidit formelle que prend souvent la pragmatique
et qu'en laissant plutt la place la multiplicit des usages, elle rend compte de l'aspect
dterminant de la contextualisation dans la pratique du langage.
On ne trouvera donc pas de vritable analyse historique des textes austiniens dans ce
qui suit. D'une part, ce travail a dj t admirablement accompli7 et, s'il permet de mieux
cerner la complexit des positions austiniennes, peut-tre souligne-t-il les changements
doctrinaux au dtriment de la continuit mthodologique. Nous voudrions plutt insister sur
l'unit qui caractrise la dmarche d'Austin et nous avons plutt cherch rendre la cohrence
forte de sa pense. Certaines volutions seront donc minores, notamment parce que nous
pensons qu'elles ne remettent absolument pas en cause l'interprtation ici propose de l'uvre
6. J.L. Austin, How to Do Things with Words, edited by J.O. Urmson and M. Sbis, Oxford University
Press, Oxford Paperbacks , Oxford, 2nde dition : 1976 (1re dition in Clarendon Press : 1962), 176 p. ;
trad. fr. de G. Lane, Quand dire cest faire, Editions du Seuil, coll. Lordre philosophique , Paris, 1970 ;
rdit avec une postface de F. Rcanati dans la coll. Points-essais , 1991, 207 p. Nous ferons dsormais
rfrence cet texte par les initiales HTD, en donnant la pagination de la traduction franaise derrire une /. Ici,
par exemple, HTD, p. 38/67.
7. Voir C. Alsaleh, J.L. Austin et le problme du ralisme, Thse de doctorat de troisime cycle en
Philosophie de lUniversit de Picardie Jules Verne, soutenue Amiens le 5 dcembre 2003, 2 tomes, 397 p.
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d'Austin. Elles contribuent simplement rapporter leur contexte d'laboration des ides dont
la cohrence nous semble pouvoir tre rendue de manire indpendante.
Un des points centraux et durables de la pense d'Austin, en effet, c'est le refus de
considrer la langue en dehors de son contexte d'utilisation. Considrer le langage dans un
esprit raliste, c'est notamment se demander pourquoi il prend un sens dtermin lors de tel
usage, ce qu'il permet d'accomplir lors de tel autre. C'est donc scruter la varit du langage
pour en recenser les possibilits. Or, observer le langage, on comprend que celui-ci nous sert
bel et bien faire des choses. L'examen de la promesse est ce titre dcisif. Dans l'optique
traditionnelle de la philosophie, la ralisation d'une promesse consiste essentiellement
s'engager travers un dire particulier. Ce dire consiste gnralement rapporter un certain
tat d'esprit. Il s'agirait de constater ce qui se passerait en soi pour s'engager par l tenir
quelque chose. Bref, promettre consisterait dire que l'on s'engage faire ce que l'on veut
faire. Il s'agirait ds lors d'un accomplissement purement smantique. Tout l'enjeu de la
pense austinienne est de montrer que cette vision des choses est totalement inadquate et
n'explique absolument pas ce qui se passe dans la ralit. Si cette thorie tait juste, alors il
suffirait que je prononce un nonc ayant pour signification que je promette pour promettre.
Or je ne peux pas, par exemple, promettre de donner quelque chose que je n'ai pas. Je ne peux
pas promettre quelque chose un mort. Etc. Cette prise en compte de faits ordinaires de
l'usage de la langue permet de voir deux choses : que promettre ne consiste pas simplement
dire, que la bonne ralisation de la promesse a des conditions spcifiques de russite, et
notamment qu'elle dpend du contexte d'application. Par ailleurs, on s'aperoit que, si la
promesse est ralise, la description du rel doit prendre en compte un nouvel lment : la
promesse. On s'aperoit que l'intervention d'un nonc de promesse change vritablement
l'ordre de la ralit, alors que, jusqu'ici, dans la conception smantique, on considrait qu'un
nonc s'effaait devant la ralit qu'il disait et qu'il n'y ajoutait rien8. On peut donc poser que
le langage, en un sens spcifique, fait des choses, ajoute quelque chose l'ordre du rel.
Tout le problme est de donner un sens cette affirmation que le langage fait. En quel
sens Austin peut-il bien dire que le langage fait sachant que cette caractrisation relve elle-
mme du langage (c'est le langage qui permet d'identifier le fait que le langage fait) ?
Considrer que le langage est de l'ordre de l'action est en rupture tellement radicale avec
l'ensemble de la tradition philosophique9 que la spcificit de la position d'Austin est souvent
8. Voir F. Rcanati, La transparence et l'nonciation, Seuil, coll. L'ordre philosophique , Paris,
1979, pp. 15-48.
9. Y compris avec Aristote. On lit parfois que Aristote, par son tude des effets rhtoriques du langage,
aurait anticip la thorie austinienne du performatif. On oublie alors que, chez Aristote, l'acte ralis est situ
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difficilement apprhendable ce qui permet parfois d'attribuer toutes sortes de pouvoir ou
d'efficacit au langage. Tout notre travail consiste prcisment comprendre en quel sens on
peut caractriser le langage comme action. Qu'est-ce que c'est que faire en disant ? Qu'est-ce
que cela implique ? Quelles sont les conditions de cette activit ? Et quelles en sont les
consquences ? Est-ce dire que le langage ne dit rien ? Ou qu'il ne dit qu' faire ? Est-ce
rejeter l'ide que le langage serve minemment dire la vrit ? Est-ce conserver l'ide que le
langage nous permette de dire le rel ? Quel rapport le langage entretient-il avec le rel, s'il
consiste y faire des choses ?
Dans un premier temps, nous nous attacherons comprendre comment on en vient
caractriser le langage comme action et quoi correspond cette caractrisation. C'est l que
nous comprendrons que le langage est une action spcifique, mais non pas mystrieuse, pas
plus mystrieuse que l'action du voleur qui brise une serrure. Nous comprendrons alors qu'il y
a plusieurs sens en laquelle l'action se dit, sans que cela rduise son caractre d'action.
Comprendre que le langage fait, ce sera simplement, pour le rpter, le considrer avec
ralisme, et ne plus y voir le mdium idal d'une reprsentation (chose qu'il n'est que
rarement) ce sera surtout comprendre que l'usage du langage a des conditions, qui sont
autant de conditions d'efficacit, et non pas de vrit. Nous verrons alors que le langage fait
en ralit plusieurs choses, qui ont toutes leur niveau d'efficacit propre. Nous
apprhenderons donc un peu mieux toute la complexit de l'activit linguistique, en nous
concentrant sur le niveau d'activit mise spcifiquement en vidence par Austin : l'action
illocutionnaire, celle qu'accomplit le langage du fait mme qu'il dise quelque chose, ou en
disant quelque chose ; celle qui transforme le langage en autant d'actes de parole. C'est cet
aspect du langage qu'est consacr l'essentiel de notre tude.
C'est ensuite que nous tudierons les conditions qui permettent au langage d'avoir cette
capacit faire des choses. Nous rejetterons alors totalement les lectures que l'on appellera
smanticistes et mentalistes des actes de parole, au profit d'une lecture conventionnaliste et
contextualiste de leur ralisation. Les lectures smanticistes consistent expliquer l'activit de
la parole en fonction de ce qui est signifi dans un nonc donn. Selon ces lectures, c'est, par
exemple, parce que l'nonc Je te promets de venir ce soir signifie que je promets de venir
ce soir, que cet nonc accomplit une promesse et ralise donc une action. Les lectures
intentionnalistes consistent expliquer le caractre actif de la parole au moyen des croyances
dans les effets entrans par la comprhension de certains noncs, et non pas dans les noncs eux-mmes. On
confond alors ce qui chez Austin est distingu par le nom d'illocutionnaire et de perlocutionnaire . Le
propre de la position austinienne est d'identifier un niveau illocutionnaire qui caractrise ce qui est fait en disant
quelque chose, et non pas du fait d'avoir dit quelque chose.
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partages qui sous-tendent son utilisation. C'est, par exemple, parce que, en disant Je te
promets de venir ce soir , j'ai l'intention de venir ce soir et que l'interlocuteur saisit, par mon
nonc, cette intention, que je ralise une promesse en disant cela. L'erreur commune ces
deux positions est, en fait, de rduire l'activit de la parole aux consquences qui s'ensuivent
de la comprhension de l'aspect smantique des noncs utiliss. C'est alors rapporter toute
activit ce que Austin appelle l'aspect perlocutionnaire. Mais Austin entend justement
montrer qu'il existe un niveau propre d'activit au niveau mme de l'nonciation de certains
mots dans certaines circonstances : faire une promesse, ce n'est pas simplement dire que je
fais une promesse ; c'est la faire en disant certains noncs dans certains contextes adquats.
C'est, en ralit, faire appel une certaine procdure conventionnelle, qui oblige tous les
membres de la communaut linguistique reconnatre l'aspect normatif de l'acte effectu au
moyen de cette nonciation, dans le contexte prcis o elle a t faite. C'est comprendre alors
que tout nonc est rgul par des conventions et qu'il a des usages restreints, qu'il ne prend
sens que dans certains contextes d'utilisation. Nous verrons alors comment ce n'est pas
l'aspect smantique qui dtermine l'aspect pragmatique, mais que l'aspect pragmatique, et
notamment le rapport toujours spcifique la situation, dtermine bien plutt le contenu
exprim par l'nonc. Nous dfendrons alors l'ide d'une sous-dtermination de l'illocution par
la locution.
Nous tudierons enfin les consquences importantes que cette conception nouvelle du
langage a sur le plan de deux aspects considrs par la tradition comme centraux dans l'tude
des capacits du langage : le fait qu'il puisse rapporter une connaissance et le fait qu'il puisse
dire la vrit. Dire que la parole consiste en des actes, en effet, c'est dire que les noncs
rapportant une connaissance sont eux-mmes des actes. Cela dtermine une conception dite
performative de la connaissance, selon laquelle connatre ne consiste pas reprsenter le
rel ou rendre compte de reprsentations mentales du rel (des ides ou des intentions), mais
simplement dire des choses sur le rel qui ont des raisons d'tre dites l'occasion o elles
sont dites. Mais dire que la parole est une activit ne conduit nanmoins pas une conception
performative de la vrit. La vrit restera, chez Austin, la mesure propre de certains noncs,
les noncs qui dcrivent le rel (les affirmations ), et sera ainsi considre comme une
dimension d'valuation spcifique, dont le mouvement reste assez proche de celui dcrit par
les conceptions correspondantistes de la vrit. Dire le vrai, chez Austin, c'est bien faire en
sorte que le contenu contextuel port par mes noncs corresponde aux faits. Il s'agit
simplement de complexifier la relation de correspondance, de la contextualiser.
C'est donc bien une lecture radicalement contextualiste des actes de parole que
semble nous convier la philosophie d'Austin. C'est elle que nous tcherons d'exposer par la
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suite. Cette lecture s'avrera parfois peu compatible avec certaines propositions de la
pragmatique, mais, en restituant les fondements conceptuels de l'ide d'acte de parole, elle
nous empchera peut-tre de commettre les illusions scolastiques tant dnonces par Austin,
quand la philosophie prend son envol sans plus en considrer les conditions.
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Note prliminaire : Dans le travail qui suit, nous ferons des usages distincts des termes phrase
(sentence), nonc (utterance) et nonciation (uttering), par lesquels nous entendrons des
choses diffrentes comme Austin entendait par ces termes parler de choses diffrentes. Nous
reprenons ainsi prcisment notre compte la remarque une fois faite par Oswald Ducrot, apportant
ces prcisions :
Il me semble de plus en plus ncessaire, si on veut viter les confusions dont les
consquences peuvent tre srieuses, de distinguer trois notions, pour lesquelles
j'utiliserai dsormais les termes de phrase, nonc, nonciation. Par phrase, j'entendrai ce
que les anglais appelle sentence-type, c'est--dire le matriel linguistique qui fait l'objet
de la parole, la combinaison de signes que l'on essaie de faire apparatre travers une
suite de sons ou de lettres. Il s'agit donc d'une entit abstraite, qui n'est pas perceptible en
elle-mme, mais seulement travers ses manifestations concrtes. Ce que j'appellerai
nonc, ce sera justement la ralisation d'une phrase sous la forme d'une squence sonore
ou graphique dtermine, localise en un point dtermin de l'espace et du temps. On ne
devra donc pas dire qu'un nonc a t plusieurs fois rpt, mais qu'il y a eu plusieurs
noncs d'une mme phrase. L'nonc peut ainsi se dfinir comme une occurrence de
phrase, ce que les anglais appellent sentence-token. Je prolongerai cette premire
distinction du point de vue smantique en opposant la signification , valeur smantique
attribue une phrase, et le sens , valeur smantique lue dans l'nonc. Quant
l'nonciation, c'est le fait mme qu'un nonc ait t form, autrement dit l'vnement
historique que constitue sa ralisation. (O. Ducrot, in Dire et ne pas dire, Editions
Hermann, coll. Savoir : sciences , Paris, 3me dition : 1991, pp. 279-280)
Il nous semble que ces quelques lignes auraient trs bien pu tre crites par Austin lui-mme,
tant il applique ces mmes distinctions dans ses travaux, pour montrer peu prs les mmes choses.
Par contre, nous avons seulement en partie repris la distinction opre par Ducrot entre
signification et sens , parce que sens a un usage philosophique historiquement dtermin par
l'usage frgen du terme ; ds lors, dans notre travail, la signification (meaning) sera toujours la
valeur smantique attribue une phrase, ou sa valeur lexicale, la diffrence du sens (sense), qui,
lorsqu'il n'est pas pris dans son sens frgen, comportera gnralement des lments pragmatiques.
Mais, pour viter les confusions, nous avons souvent prfr utiliser la locution ce qui est dit par (cet
nonc, ces mots, etc.) , ou le contenu cognitif de l'nonc , voire la comprhension admissible
par l'nonc . Si contenu cognitif peut galement porter confusion, puisqu'il a t
traditionnellement utilis pour caractriser ce que l'nonc donne connatre , pens sous un
rapport vri-conditionnel, il ne nous semble pourtant pas rdhibitoire de l'utiliser pour caractriser ce
que l'usage de l'nonc donne comprendre au point de vue smantique et pragmatique. Quand nous
avons modifi les traductions, nous avons tenu compte de ces remarques.
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I. LA PAROLE COMME ACTE(S).
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I.1. Caractrisation du discours comme activit : les diffrents ples
de lactivit.
Toute la rvolution accomplie par Austin dans le domaine de la philosophie du
langage consiste rvler le caractre non plus seulement signifiant et reprsentatif du
langage, mais son caractre essentiellement actif selon plusieurs dimensions. Pour ce faire,
il va essayer de mettre au jour diffrents critres censs rvler ce caractre, lesquels se
rvleront au final bien fragiles pour sauvegarder la distinction de dpart quils avaient permis
dtablir entre les noncs qui font quelque chose et les noncs qui disent quelque chose.
I.1.i. Dcrire ce quon fait avec le langage.
1. Remarques prliminaires sur la mthode philosophique dAustin : la
phnomnologie linguistique comme pralable une science du langage ?
Lorsquon entreprend dtudier la question des actes de parole dans luvre dAustin,
il convient dviter deux cueils dans lesquels on choue gnralement. Toute tude du travail
dAustin semble en effet tre condamne osciller entre deux voies possibles, quon rsumera
de la sorte : une qualification de son uvre comme relevant du mouvement de la
philosophie du langage ordinaire , suppose peu rigoureuse et compose dun palimpseste
daperus qui nont de valeur quen fonction du gnie propre de celui qui les dcouvre ; ou
une classification de ses rflexions dans une sorte de proto-thorie scientifique des actes de
parole qui aurait ouvert la voie cette discipline enfin devenue rigoureuse quest la
pragmatique 10. On hsite donc soit attribuer Austin des vises philosophiques assez
contraires lidal systmatique de la science, soit considrer quil essaya dans son examen
des actes de parole dtablir une typologie rigoureuse de ceux-ci pour essayer den construire
une thorie systmatique, mais quil neut pas le temps de mener bien. Dans ce dernier cas,
on distingue alors ses textes philosophiques jugs trop elliptiques et ne correspondant pas
cet idal systmatique, et les textes consacrs spcifiquement dfinir rigoureusement les
actes de parole et leur typologie ; on isole en fait, gnralement, How to Do Things With
Words de tous ses autres textes.
Cette distinction, qui semble recouvrir un paradoxe, est pourtant bien hardie, car
leffort de systmatisation quon trouve dans HTD nest pas diffrent de celui quon trouve
10. Voir par exemple lintroduction de Lou Aubert la traduction franaise des Philosophical Papers,
edited by J.O. Urmson and G.J. Warnock, Oxford University Press, Clarendon Press , Oxford, 3me dition :
1979 (1re dition : 1961), 306 p. ; trad. fr. partielle de L. Aubert et A.-L. Hacker, Ecrits philosophiques, Editions
du Seuil, coll. La couleur des ides , Paris, 1994, pp. 12-16. Nous ferons dsormais rfrence au texte des
Philosophical Papers par les initiales PP, en donnant la pagination de la traduction franaise, lorsquelle existe,
derrire une /.
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dans bien dautres textes consacrs des sujets diffrents, que ce soit aux faons de parler ou
aux excuses. Par ailleurs, on oublie alors que, si lanalyse quon y trouve est cense discerner
le dsir qu'aurait eu Austin de faire uvre scientifique, il conviendrait au moins de tenir
compte de ses propres remarques pistmologiques, quon trouve pour la plupart exposes
dans Sense and Sensibilia11, et dans A Plea For Excuses 12. De plus, Austin sest lui-mme
charg dexpliciter la mthode quil emploie et qui se retrouve dans lensemble de ses textes,
y compris HTD. Austin pratique dans tous les cas ce quil appelle une phnomnologie
linguistique . Que faut-il entendre par ces termes, et cela fait-il de lui un philosophe du
langage ordinaire ?
Austin nous prsente les choses ainsi :
tant donn la prdominance du slogan langage ordinaire et dexpressions
comme philosophie linguistique ou analytique , ou encore l analyse du
langage , il faut insister tout particulirement sur une chose pour viter les malentendus.
Quand nous examinons ce que nous dirions quand, quels mots employer dans quelles
situations, encore une fois, nous ne regardons pas seulement les mots (ou les
significations quelles quelles soient), mais galement les ralits dont nous parlons
avec les mots ; nous nous servons de la conscience affine que nous avons des mots pour
affiner notre perception, qui nest toutefois pas larbitre ultime, des phnomnes. Cest
pourquoi je pense quil vaudrait mieux utiliser, pour cette faon de philosopher, un nom
moins trompeur que ceux mentionns plus haut, par exemple phnomnologie
linguistique , mais quel nom que celui-ci. (PP, p. 182/144)
Ce qui intresse Austin, ce ne sont pas tant les mots, que les phnomnes que les mots,
parce que tel est leur usage, nous permettent de dnommer, et donc de distinguer.
Phnomnologie nest donc bien sr pas prendre au sens husserlien du terme, mais cela
nen renvoie pas moins une mthode dattention minutieuse ce qui est ce qui est se
trouvant rvl par ce qui sen dit. Faire de la phnomnologie linguistique, cest tudier
les tournures de langue pour comprendre que chacune renvoie une situation prcise, qui ne
serait pas la mme, bien souvent, si nous utilisions une autre tournure ou, rciproquement,
comprendre que chaque situation appelle des noncs propres, qui n'ont de sens qu' tre
11. Sense and Sensibilia, reconstructed from the manuscript notes by G.J. Warnock, Oxford University
Press, Oxford Paperbacks , Oxford, 1964 (1re dition in Clarendon Press : 1962), 144 p. ; trad. fr. de P.
Gochet, Le langage de la perception, Armand Colin, coll. U2 , Paris, 1971, 173 p. Nous ferons dsormais
rfrence ce texte par les initiales SS, en donnant la pagination de la traduction franaise derrire une /.
12. J.L. Austin, A Plea For Excuses , in PP, op. cit., pp. 175-204/136-170, notamment pp.181-
189/143-152.
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convoqus dans cette situation13. Comme l'explique Mats Furberg, pour Austin, nous avons
les mots que nous avons et nous parlons comme nous le faisons parce que nous concevons le
monde d'une certaine faon. Le monde aurait-il t diffrent que nous aurions probablement
parl diffremment. [Austin] s'intressait ce que les gens disent parce qu'il pensait que, tout
la fois, leur faons de parler rvlaient comment ils structurent une certaine situation, et
mettent en lumire diffrents traits de la situation nous disent quelque chose propos du
monde. [...] Sa phnomnologie linguistique est, entre autres choses, est une mthode
permettant de montrer comment un lger changement des facteurs intervenant dans une
situation fait que les locuteurs changent de mots14. tudier ce que nous dirions quand, cest
donc prendre mieux conscience de ce qui est quand on dit cela cest un peu retrouver, au
sein mme des distinctions ordinaires, cet blouissement qui survient en face de la description
littraire raffine, qui permet de dire avec une prcision ingale ce qui se passe15. Les
descriptions fines du langage ordinaire permettent ainsi de rvler (au sens photographique du
terme) les multiples nuances de la ralit (non rduite la ralit physique), et notamment
de l'action. Pensons ainsi aux nuances de l'action qui sont marques par ces diffrentes
descriptions, toutes les mmes l'exception de la place de l'adverbe : (a1) Maladroitement,
il marcha sur l'escargot ; (a2) Il marcha maladroitement sur l'escargot ; (a3) Il marcha sur
l'escargot maladroitement ; (a4) C'est maladroitement qu'il marcha sur l'escargot. 16
13. Voir aussi l'explication trs prcise que J. Urmson donne de cette mthode, in La philosophie
analytique, Cahiers de Royaumont, Editions de Minuit, Paris, 1962, pp. 19-20.
14. M. Furberg, Locutionary and Illocutionary Acts : A Main Theme in J.L. Austins Philosophy,
Gothenburg Studies in Philosophy, Gteborg, 1963, p. 66.
15. Pour ne prendre qu'un exemple, citons ce passage d'A. Robbe-Grillet : Le long de la chevelure
dfaite, la brosse descend avec un bruit lger, qui tient du souffle et du crpitement. A peine arrive en bas, trs
vite, elle remonte vers la tte, o elle frappe de toute la surface des poils, avant de glisser derechef sur la masse
noire, ovale couleur d'os dont le manche, assez court, disparat presque entirement dans la main qui l'enserre
avec fermet. Une moiti de la chevelure pend dans le dos, l'autre main ramne en avant de l'paule l'autre
moiti. Sur ce ct (le ct droit) la tte s'incline, de manire mieux offrir les cheveux la brosse. Chaque fois
que celle-ci s'abat, tout en haut, derrire la nuque, la tte penche davantage et remonte ensuite avec effort,
pendant que la main droite qui tient la brosse s'loigne en sens inverse. La main gauche qui entoure les
cheveux sans les serrer, entre le poignet, la paume et les doigts lui laisse un instant libre passage et se referme
en rassemblant les mches nouveau, d'un geste sr, arrondi, mcanique, tandis que la brosse continue sa course
jusqu' l'extrme pointe. Le bruit, qui varie progressivement d'un bout l'autre, n'est plus alors qu'un ptillement
sec et peu nourri, dont les derniers clats se produisent une fois que la brosse, quittant les plus longs cheveux, est
en train dj de remonter la branche ascendante du cycle, dcrivant dans l'air une courbe rapide qui la reporte au-
dessus du cou, l o les cheveux sont aplatis sur l'arrire de la tte et dgagent la blancheur d'une raie
mdiane. in La jalousie, ditions de Minuit, Paris, 1957, pp. 64-65.
16. J.L. Austin, A Plea for Excuses , in PP, p. 199/163.
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Gnralement, dans les cas a1 et a2, l'action est qualifie de maladroite, car elle est ralise
par inadvertance, alors que dans les autres cas, elle est qualifie pareillement pour signifier
que nous critiquons son action dlibre. Des nuances de l'action notamment ce que Austin
appelle parfois son style 17 sont donc bien marques par les diffrentes faons dont nous
employons les mots pour la dcrire.
Mais, en ralit, pour bien comprendre le passage prcdemment cit, il faut lui
ajouter cet autre :
Mais ce sujet est galement attirant pour des raisons mthodologiques, au moins
si nous procdons partir du langage ordinaire , autrement dit si nous examinons ce
que nous dirions quand, mais aussi pourquoi et ce que nous voudrions dire par l. Cette
mthode, au moins en tant quelle ne reprsente quune mthode philosophique, nexige
peut-tre gure de justification pour le moment [] Notre rserve commune de mot
contient toutes les distinctions que les humains ont jug utile de faire, et toutes les
relations quils ont jug utile de marquer au fil des gnrations. Et sans doute sont-elles
susceptibles dtre plus nombreuses et plus solides puisquelles ont rsist au long test
de la survie du plus apte , et plus subtiles, au moins en ce qui concerne les domaines de
la pratique ordinaire raisonnable, que celles que nous pourrions, vous et moi, trouver,
installs dans un fauteuil, par un bel aprs-midi alternative mthodologique la plus
apprcie. (PP., pp. 181-182/143-144)
Pourquoi se proccuper des mots du langage ordinaire donc ? Parce que leur raison
dtre est pragmatique, quil sagit pour eux de nous permettre de nous dbrouiller dans le
monde, avec lequel ils sont donc en troite relation puisqu'ils doivent faire preuve de leur
efficacit dans le commerce quils nous permettent dentretenir avec celui-ci. Les mots cest
ici que le thme de lillusion scolastique intervient pour la premire fois ne servent pas
avant tout reprsenter ce dont ils parlent, en rendre compte, mais agir dans le monde, et
parfois mme agir en le reprsentant. Cest donc cette origine pragmatique qui nous donne
selon Austin une premire raison de se baser sur les mots du langage ordinaire : plutt que
dutiliser un langage fabriqu de toutes pices i.e. un langage idal , tudions dj celui qui
a fait ses preuves.
Pourquoi a-t-il fait ses preuves ? Parce quil a survcu dans sa confrontation avec la
ralit, certes, mais aussi parce quil permet de marquer des nuances, des distinctions, des
prcisions : le langage ordinaire est un outil de prcision le premier que nous ayons notre
disposition pour parler du monde, pour lexplorer, le dissquer. Cest notamment ce qui fait
que dire ce que nous dirions quand, cest aussi et surtout expliquer pourquoi nous dirions cela
17. Voir J.L. Austin, A Plea for Excuses , in PP, p. 199/164.
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cette occasion prcise : il sagit, en utilisant les ressources varies du langage, de faire
comprendre ce que nous voulions prcisment dire en cette occasion et donc d'expliquer
quelles taient les raisons prcises de cet usage (Parfois je distingue un livre dun lapin parce
que seule la chasse au livre est autorise ; mais, une autre occasion, je ne fais pas de
distinction car je trouve quils ont le mme got). Pourquoi vouloir partir dautre chose que de
notre langage ordinaire alors quil nous permet dentretenir des rapports subtils avec le
monde, des rapports qui tiennent compte des diffrences, des carts ?
Le langage ordinaire va aussi tre, en consquence, le langage dont nous nous servons
pour justifier nos actions. Instaurant nos rapports avec le monde en fonction de ce quil nous
permet den dire, que nous russissions ou que nous rations, cest au moyen des ressources du
langage ordinaire que nous lexpliquerons, parce que cest par son usage que nous parvenons
dire ce qui sest pass, et bien souvent dans les moindres nuances.
Dire des mots, cest donc souvent dire des choses du monde, et, par consquent,
tudier ce que nous dirions quand, cest tudier ce que serait le monde concomitant ces
paroles : tudier ce que nous dirions si je tue votre ne, pour reprendre lexemple dAustin,
cest comprendre dans quelle configuration du monde mes paroles conviendraient, seraient
adquates, permettraient de nous en sortir dans notre rapport avec la ralit. tre attentif aux
nuances du langage implique donc une attention minutieuse la ralit avec laquelle ces mots
entretiennent diffrents rapports rapports que notre tude de ce que nous dirions quand nous
permettra justement de prciser18.
Ce nest pas dire que notre tude du langage et de la ralit par son moyen doit tre
respectueuse tout jamais des usages admis de celui-ci : cest justement parce que le langage
ordinaire nous permet daccder la ralit, est un moyen de transiger avec elle, que nous
pourrons tre amen le modifier, lamender si le rapport quil entretient avec celle-ci ne
convient pas, ou nest pas suffisamment prcis mais il faudra alors montrer que ce que nous
voulons dire ou faire est impossible avec les moyens du langage ordinaire, et il convient dj
den tudier linfinie subtilit pour voir tout ce quil nous permet de dire et de faire.
Enfin, dernier avantage dcisif de cette mthode aux yeux dAustin : elle permet
laccord.
Eh bien soit, les usages varient, nous parlons de faon imprcise, et nous disons
des choses diffrentes apparemment indiffremment. Mais pas tant quon pourrait le
18. A rapprocher de cette phrase de Wittgenstein dans la Confrence sur lthique de 1929 : Je suis
alors tent de dire que la faon correcte d'exprimer dans le langage le miracle de lexistence du monde, bien que
ce ne soit pas une proposition du langage, c'est lexistence du langage lui-mme. in Leons et conversation,
trad. par J. Fauve, Gallimard, coll. Folio-essais , Paris, 1992, p. 153.
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penser au premier abord. Il se trouve que, dans la grande majorit des cas, si nous
pensions quil relve de notre volont de dire de la situation, et dans la mme situation,
des choses tout fait diffrentes, il nen est pas ainsi : nous avions simplement imagin la
situation diffremment ; ce qui est on ne peut plus facile, car, bien entendu, nulle situation
(nous traitons de situations imagines) nest jamais compltement dcrite. Plus nous
imaginons de dtails cette situation, sur fond de rcit et il vaut la peine demployer les
moyens les plus particuliers, parfois mme ennuyeux, pour stimuler et discipliner nos
misrables imaginations , et moins nous sommes en dsaccord sur ce que nous devrions
dire. Nanmoins, en fin de compte, nous ne sommes parfois pas daccord ; nous devons
parfois admettre quun usage, bien qupouvantable, nen est pas moins rel ; ou encore,
nous emploierions parfois vraiment lune ou lautre des deux descriptions diffrentes, ou
les deux. Mais pourquoi ceci devrait-il nous dcourager ? Tout ce qui arrive l est
entirement explicable. Si nos usages ne concordent pas, soit vous employez X l o
jemploie Y , soit il est plus probable (et cest plus intrigant) que votre systme
conceptuel est diffrent du mien, quoique trs probablement tout aussi cohrent et
commode. Bref, nous pouvons dcouvrir pourquoi nous sommes en dsaccord : vous
choisissez de classifier dune faon et moi dune autre. Si lusage est imprcis, nous
pouvons comprendre quelle tentation y conduit, et quelles distinctions sont estompes :
sil existe des descriptions alternatives , la situation peut alors tre dcrite ou
structure de deux faons, ou bien il sagit dune situation o, en loccurrence, les
alternatives reviennent au mme. Un dsaccord sur ce que lon devrait dire nest pas
carter, il faut au contraire se jeter dessus : car lexpliquer est presque toujours clairant.
Si nous tombons sur un lectron qui tourne dans le mauvais sens, cest une dcouverte, un
prodige quil faut exploiter, non une raison pour abandonner la physique. De mme
quelquun qui parle de faon vritablement imprcise ou excentrique est un spcimen rare
dont il faut faire grand cas. (PP, p. 183-184/146-147)19
Comme nous matrisons tous le langage ordinaire, nous sommes tous capables, avec
plus ou moins de rflexion, ou avec plus ou moins de dtails, de dire ce que nous dirions
quand et de nous mettre daccord sur ce que nous dirions quand. Il sagit alors en effet de voir
si lusage de nos mots est pertinent par rapport la situation telle quelle est, et telle quon
entend la dcrire. Ds lors que nous savons parler la langue et donc distinguer par son moyen
les diffrences dans la ralit, nous pouvons dire les particularits de celle-ci et nous mettre
daccord avec ceux qui parlent la mme langue pour les dcrire de la mme faon. Si nous les
dcrivons diffremment, il se peut certes que nous ne parlions pas le mme langage, mais il
est plus probable, tant donn la trs grande plasticit de notre langue, que nous parlions de la
19. Nous avons jug utile de citer ce trs long passage, car il concentre tous les aperus
mthodologiques dAustin et parce que, en consquence, nous y reviendrons souvent.
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mme chose de faons diffrentes, parce que nous ne prenons pas en compte les mmes
lments, ou les mmes critres de description. Comme l'explique Furberg, lorsque [dans un
mme contexte] des personnes ne disent pas la mme chose, cela vient trs souvent du fait
qu'elles n'envisagent pas exactement la mme situation : lorsqu'on leur demande d'en prciser
la description, l'une d'elles mentionnera souvent des caractristiques que l'autre n'aura pas
observes, ou considrera comme tant une action ce que l'autre considrera en tre deux20.
Il s'agit d'une simple divergence dans la considration des traits pertinents. Laccord doit donc
pouvoir se trouver terme, si lon explicite de plus en plus les traits pris en compte et les
critres de description. Et si jamais nous nobtenons pas laccord, chose particulirement rare,
du moins pourrons-nous en donner des raisons, en nous basant notamment sur les ressources
du langage ordinaire. Comme dit toujours M. Furberg : mme si deux personnes ne sont pas
d'accord sur ce qu'il convient de dire propos d'une chose, souvent elles concderont
nanmoins toutes les deux que si le compte-rendu de la situation propos par l'autre est
accept, alors elles ragiraient verbalement toutes les deux exactement de la mme faon21.
On peut donc bien dire que cette mthode permet gnralement datteindre une certaine
forme dobjectivit en ce que tous ceux qui lappliquent sont susceptibles dobtenir les mmes
rsultats. Cest ici quon voit que la mthode philosophique qui caractrise la philosophie du
langage ordinaire dAustin se rapproche en fait de lidal dobjectivit du travail scientifique.
De l drive son fameux slogan pas de modification sans aberration (PP, p.
189/152) : il sagit de comprendre que si une expression du langage ordinaire subit des
modifications dans son usage (ajout dun adverbe, prcision supplmentaire, restriction de sa
porte), cest que la ralit quelle dsigne ne correspond pas exactement la ralit quelle
dsigne gnralement, c'est--dire dans l'usage le plus ordinaire du terme, et quon indique
alors linflexion de celle-ci par une inflexion dans le langage, que tout locuteur de ce langage
pourra comprendre et sur laquelle il pourra saccorder. Ainsi, il n'y a pas d'usage correct de la
phrase J'ai fait mon caf intentionnellement dans un contexte22 normal : le terme
intentionnellement n'a un sens que si son usage est lgitim ou appel par un contexte
lgrement dviant (par exemple, si on me demande si je ne l'ai pas fait sans y penser.) Cest
20. Voir M. Furberg, op. cit., p. 51.
21. Ibid., p. 51.
22. Le terme contexte est prendre dans son sens ordinaire, comme l'ensemble des circonstances
dans lesquelles s'insre un fait , art. Contexte , in Le Petit Robert, Dictionnaires Le Robert, Paris, 1995, p.
456. Ce concept important dans notre travail comprend ainsi l'ensemble des traits diffrentiels qu'une situation,
par dfinition historique, peut receler, sans en exclure aucun. Un contexte peut ds lors tre un contexte social,
physique, psychologique, etc. Il est dans notre travail synonyme de situation et de circonstances .
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dire aussi quil y a un usage standard , donc accept par la communaut, pour dire
certaines choses. Ne pas utiliser cet usage, en dvier, cest avoir des raisons de le faire parce
que la ralit ne correspond plus cet usage standard dans ces circonstances tout
simplement car on ne mentionne pas un usage normal23. Noter les diffrences dans le langage,
ce sera ainsi noter les diffrences dans la ralit et pouvoir saccorder pour les distinguer. On
voit apparatre encore ici lide du langage ordinaire comme outil de prcision.
Quant HTD, il est maintenant assez clair que la mthode qui prside la dcouverte
du performatif, et ensuite la caractrisation de la parole comme acte descriptible sous trois
aspects, est bien cette mthode dattention prcise aux minutieux faits de langue qui renvoient
aux faits de la ralit. Les premires lignes de ce texte sont en effet celles-ci.
Le phnomne dont nous allons parler est trs rpandu et vident, et il nest pas
possible quil nait pas dj t remarqu, au moins a et l par dautres personnes.
Cependant, je ne crois pas quon y ait accord suffisamment dattention spcifique.
(HTD, p. 1/37).
Si Austin dcouvre que la parole fait, ce nest en effet pas en nous donnant les rgles a
priori et ncessaires qui dtermineraient laction linguistique24 ou en se basant sur une
mtaphysique particulire qui voudrait que toute parole soit action. Ce nest pas non plus en
tablissant une typologie dtaille des types de choses quon peut dire, ou des constructions
grammaticales dtermines par les linguistes, quAustin met au jour cette caractristique des
actes de parole. Il la soulve bien plutt en examinant prcisment lusage des mots, dans des
contextes dtermins usage auquel on na pas suffisamment prt attention jusquici. Par
exemple, pour voir ce quest une promesse, il va observer la faon dont on fait une promesse
23. Notons qu'il est question de mention et non de signification : Austin ne dit pas que la restriction
linguistique porte sur la signification de la phrase, mais plutt qu'elle restreint la porte de l'usage de cette phrase
qui n'a plus aucune raison d'tre accompli. C'est dire que c'est une restriction pragmatique, qui a voir avec les
conditions d'usage de la phrase. Cela nous permet de remettre immdiatement en cause les objections de J.R.
Searle, in Assertions and Aberrations , in K.T. Fann, Symposium on J.L. Austin, op. cit., p. 205-218, et de H.P. Grice in Prolegomena , in Studies in the Way of Words, Harvard University Press, Cambridge, Mass.,
1989, pp. 3-21, puisqu'ils interprtent abusivement la thse d'Austin de manire smantique et vri-
conditionnelle : or il ne s'agit pas de dire qu'il est faux que ma volont soit libre, par exemple, dans un contexte
ordinaire, mais que cela n'a aucun sens de le dire, ou encore qu'il n'y a aucun usage lgitime, fond, dans cette
situation, de cet nonc, de telle manire qu'un tel nonc manque une des conditions d'usage correct, qu'on
pourrait appeler de pertinence. Ou encore, un tel nonc n'est mme pas valuable en termes de vrit ou de
fausset. Un tel nonc n'choue pas parce qu'il serait faux, mais parce qu'il ne rencontre pas ses conditions
d'application. Voir les 21 27 du prsent travail.
24. Mthode qui risquerait dailleurs dencourir tout autant les foudres de Austin que lide quil y a des
concepts a priori. Voir son texte Are There A Priori Concept , in PP, pp. 32-54.
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concrtement, voir comment elle marche, ou comment elle ne marche pas. Il ne va pas
prsupposer un mcanisme auquel les promesses doivent saccorder pour russir : il ne sait
pas ce quest une promesse sinon par lexploration minutieuse que nous pouvons en faire par
le langage qui va nous rvler dailleurs que le langage contribue la ralisation de la
promesse. C'est dire aussi le poids minent de l'exemple dans la thorisation austinienne :
pour comprendre un phnomne, il faudra toujours l'inclure dans une trame contextuelle qui
permettra d'en comprendre les tenants et aboutissants et qui permettra de le voir sous
diffrents points de vue. L'exemplification, qu'elle soit raliste ou fantaisiste, d'ailleurs, est
ainsi dterminante dans l'identification des caractristiques des phnomnes et dans la
perception de leurs nuances. Il ne s'agit pas tant de dnier le droit l'abstraction que
d'empcher qu'elle se fourvoie dans des simplifications cas paradigmatique de l'illusion
scolastique25. Le rel est compliqu et le meilleur moyen de le comprendre est bien de le saisir
dans sa totalit. C'est donc dire que le recours austinien l'exemple bien trouv, qui rvle un
aspect insouponn de la ralit, et aux histoires plus ou moins farfelues qui tonnent le sens
commun philosophique, n'est pas un signe de lgret mais d'humilit scientifique, en mme
temps qu'une recherche de prcision maximale.
Ainsi, dans HTD, il ne cherche ni btir des spculations mtaphysiques, ni
construire une thorie scientifique il jugerait en ralit que les faits notre disposition sont
beaucoup trop parcellaires pour quon puisse btir des hypothses qui seraient valides par
lexprience. Tout au plus admettrait-il que sa pratique est similaire aux dbuts dune science
en ce quelle cherche dmler des faits prcis au sein dun cheveau apparent : cest
justement cette mthode dattention minutieuse aux faits, au moyen du langage, qui peut
ventuellement servir de prmisse la construction dune nouvelle science. Et cest seulement
ce niveau quon peut comprendre la fois le statut quil donne la philosophie26 et ses
appels rpts la constitution dune vritable science du langage.
On prend souvent ceux-ci comme lgitimant la thorie pragmatique qui sest
construite partir de certaines ides dAustin. Mais elle ne sest srement pas construite en
25. Voir SS, p. 3-4/. Pour une analyse similaire, et inspire par Austin, qui claire cette proccupation et
cette mthode, voir P. Bourdieu, Language and Symbolic Power, Polity Press, Cambridge, 1992, 302 p. ; trad. fr.
de, Langage et pouvoir symbolique, Editions du Seuil, coll. Point-essai , Paris, p. et Mditations pascaliennes,
Editions du Seuil, coll. Liber , Paris, 1997, 319 p.
26. Je crois que la seule faon claire de dfinir lobjet de la philosophie, cest de dire quelle soccupe
de tous les rsidus, de tous les problmes qui restent encore insolubles, aprs que lon a essay toutes les
mthodes prouves ailleurs. Elle est le dpotoir de tous les laisss pour compte des autres sciences, o se
retrouve tout ce dont on ne sait pas comment le prendre. ( Performatif/constatif , in La Philosophie
analytique, Cahiers de Royaumont, 1962, p. 293.)
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fonction de la philosophie, ou de la mthode philosophique qui prsidait la dcouverte et au
traitement de ces ides et qui animait tout autant la conception quil se faisait de la science.
Quand Austin dit :
Dans lhistoire de la recherche humaine, la philosophie tient la place du soleil
initial, au centre, sminale et tumultueuse : de temps en temps, elle jecte quelque partie
delle-mme qui prend place comme une science, plante calme et bien rgule,
progressant rgulirement vers un tat final lointain. Ce qui se produisit il y a longtemps
avec la naissance des mathmatiques, puis encore avec celle de la physique ; ce nest
quau sicle dernier que nous fmes tmoins une fois encore du mme processus, la fois
lent et imperceptible : la naissance de la logique mathmatique, grce aux travaux
conjoints des philosophes et des mathmaticiens. Ne se pourrait-il que le sicle prochain
assiste la naissance, grce aux travaux conjoints des philosophes, des grammairiens et
de tous ceux qui tudient le langage, dune vraie science du langage complte et
dtaille ? Nous nous serions alors dfaits dune autre partie de la philosophie (il en
restera alors beaucoup dautres) de la seule faon dont on se dfait jamais de la
philosophie : en la renvoyant en haut de lescalier. (PP, p. 232/205)
Il ne prtend pas avoir accompli tout le travail philosophique pralable au
dveloppement dune vritable science du langage, ni moins encore que son travail
philosophique ntait quun pralable la dcouverte de faits linguistiques, dont ltude peut
dsormais trs bien oublier les leons. Au contraire, cet appel ritr la science est aussi un
moyen pour Austin de rappeler les philosophes au long travail de dpoussirage qui la
prcde et qui est souvent lobjet de la philosophie : parvenir une science du langage ne se
fera ainsi quau terme dun lent travail dexamen du langage, de ses usages, de ses multiples
raffinements, ce qui empchera quon construise une mythologie son propos plutt quune
science.27
Ds lors, poursuivre luvre dAustin et tudier les actes de parole, cest comprendre
que leur dcouverte et leur caractrisation nont de sens que dans lensemble de la philosophie
austinienne, et que, si leur tude particulire appartient bien au domaine plus restreint de la
philosophie du langage, il nen demeure pas moins que celle-ci doit dune part comprendre
que son objet est la dcouverte dune mthode bien particulire, et dautre part que leur tude
subsquente doit tenir compte, ne serait-ce que mthodologiquement, de tous les autres
lments thoriques quelle a permis dexpliciter. Cela nempche pas Austin de btir une
thorie, bien au contraire, mais celle-ci reste fragmentaire, parcellaire et certainement
27. Voir la mise en garde d'Austin contre le fait daller trop vite et par consquent de ngliger
certaines donnes , in HTD, p. 122/130.
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inaboutie, non pas par rpugnance personnelle pour le caractre systmatique dune thorie28
ou parce que sa mthode empcherait de latteindre, mais parce que, fonde sur sa philosophie
gnrale, elle est minutieuse et attentive au moindre fait et parce que dans sa minutie elle se
refuse tomber dans les diffrents mythes (de la signification, de lintention, etc.) quelle a
permis de mettre au jour. tudier les actes de parole, ce sera donc, pour nous, rendre compte
de ce que la philosophie gnrale dAustin permet de penser leur propos, mais aussi voir
comment leur caractrisation intervient dans la rsolution dautres problmes philosophiques
(la question de la promesse, de lengagement, du rapport autrui, de la vrit, du ralisme,
etc.), ou encore de voir comment la question de lacte de parole nest quun aspect sinon dun
systme, du moins dune vision philosophique gnrale.
2. Les descriptions multiples de laction et le ftiche valeur/fait.
Laction de la parole nest pas dune identification aise. Reconnatre son aspect
linguistique ou smantique semble peu prs vident, mais dterminer en quoi prcisment
consiste laction, et o elle se situe, lest beaucoup moins et semble premire vue paradoxal.
Il convient dexaminer tout dabord ce que lon entend, ou non, par accomplir
une action ou faire quelque chose , et ce que lon y inclut, ou non. On a encore trop
peu enqut sur ces expressions pour elles-mmes [] (PP, p. 178/139)
Il sagit donc ici, comme nous lavions annonc, dtudier les expressions relatives
aux actions pour y voir un peu plus clair dans la ralit mme dont elles parlent. Ce sera bien
ainsi par un examen attentif des usages des expressions relatives aux actions, de leur
diffrentes modulations, que nous pourrons parvenir distinguer les diffrentes faons de dire
laction et les diffrents niveaux o elle peut se situer selon ce quon veut en dire : dcrire, de
faons diffrentes, laction, cest rendre compte des diffrentes faons dagir. Car comme le
note Austin :
[] il nous est toujours possible de dcrire de diffrentes manires ce que jai
fait , ou dy faire rfrence de bien des faons diffrentes. [] Devrions-nous dire,
disons-nous quil a pris largent de cette femme ou quil la vole ? Quil a mis une balle
dans un trou ou quil a mis un putt ? Ou encore quil a dit : Daccord , ou quil a
accept une offre ? Autrement dit, dans quelle mesure les mobiles, les intentions et les
conventions doivent-ils faire partie de la description des actions ? Et plus particulirement
28. Si lon peut noter une rpugnance personnelle chez Austin, ce serait plutt celle du manque de
finesse ; ce quil reproche la philosophie, ce nest pas tant son esprit de systme que son inattention aux dtails
et aux subtilits ; c'est quelle traite bien souvent le moindre problme avec ses gros sabots en en perdant par
l la saveur particulire. Le systme nest alors quun ventuel symptme de cette inattention maladive aux
particularits.
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ici, quest-ce quune action, ou une action particulire, ou laction ? Car on peut
gnralement diviser ce quon appelle une action en plusieurs parties distinctes, en
diffrentes sections, phases, tapes. On a dj fait mention des tapes. On peut dmonter
le mcanisme de laction, et dcrire (et excuser) sparment la comprhension des
informations, lapprciation de la situation, lorganisation, la dcision, lexcution et ainsi
de suite. Les phases sont assez diffrentes. On peut dire que quelquun a peint un bateau
ou fait une campagne, ou bien quil a dabord pos cette touche de couleur puis celle-l,
ou quil a dabord entrepris une campagne puis celle-l. Les sections aussi sont
diffrentes. Un seul terme dcrivant ce que quelquun a fait peut couvrir une suite
dvnements plus ou moins longue ; ceux qui sont exclus par une description plus
limite sont alors appels consquences , rsultats , ou effets , etc., de son acte.
( A Plea for Excuses , in PP, p. 201/166)
On peut donc dire laction en de multiples sens selon que lon dsire parler de la
faon dont elle a t mise au jour (on dtaille alors les tapes de sa ralisation, qui sont les
niveaux concernant lexcution de laction et o peuvent intervenir des checs), des
diffrentes sous-actions qui composent laction globale dont on parle (on dcompose alors
laction en phases), ou des diffrents moments o elle se dfinit (on distingue alors laction
proprement dite de ses consquences). Apparat-l un rapprochement vident entre la faon
dont Austin parle de laction et la faon dont Aristote parlait des causes dans La Physique :
laction peut se dire en plusieurs sens comme la cause pouvait se dire en plusieurs sens selon
la dimension causale considre cest--dire en fait selon les intrts motivant la description
ou lexplication, qui renvoient chacune une partie de la ralit. Cest juste rappeler que la
ralit de laction, tout comme la ralit de la cause, peut tre tudie sous diffrents angles
dont lusage dans le langage ordinaire rend compte. On le verra plus tard, ces diffrentes
descriptions, qui chacune sont vraies et doues dune utilit propre, sont relatives aux
objectifs qui les motivent. Selon ce dont on voudra rendre compte, on pourra donner la faon
dont on a ralis laction, ce qui compose sa ralisation, et ses consquences. Il en ira de
mme par aprs dans la caractrisation que Austin offrira de lacte de parole : il en donnera
les procdures dexcution (les tapes) en discernant ses conditions de flicit ; il dveloppera
les divers aspects qu'il prend (quil appellera niveau locutionnaire , niveau
illocutionnaire et niveau perlocutionnaire ) et il distinguera lacte de parole au sens
propre de ses effets ou consquences.
De mme que lon remarque ici que ces trois caractrisations de laction recouvrent
des choses identiques (on dcrit une mme ralit de faon diffrente), puisquune tape de
laction de peindre (le fait de poser des coups de pinceau sur une toile) en sera aussi un
ensemble de phases en mme temps quune section, de mme on remarquera que ces
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recoupements se retrouveront dans le cas des actes de paroles, laspect perlocutionnaire se
retrouvant par exemple la fois du ct des lments qui composent un acte de parole, et de
ses consquences. Selon la caractrisation plus ou moins large quon voudra donc offrir de
lacte de parole, on identifiera des parties distinctes. Et il ne faudra pas stonner si Austin,
aprs avoir identifi un lment comme partie dun acte, en viendra par aprs le rejeter
comme simple consquence de lacte : il sattachera en fait saisir lacte sous deux
descriptions diffrentes, et naura pas pour autant commis une erreur de classification ou
confondu deux points de vue : il sera simplement pass de lun lautre (sans, il est vrai, que
ce soit toujours vident) parce que, parfois il convient de passer de l'un l'autre pour les
identifier et parce qui l'intresse, c'est :
l'acte de discours intgral, dans la situation intgrale de discours, [qui] est en fin
de compte le seul phnomne que nous cherchons de fait lucider. (HTD, p. 148/151)29
Il n'y a donc qu'un seul phnomne qu'on lucide en le dcrivant sous diffrents
aspects. Et selon la description privilgie, on considrera quun aspect de lacte est plus
important que lautre. On pourra ainsi privilgier laspect des phases et tudier les conditions
qui prsident la ralisation dune action (cela correspondra au moment o Austin dtaillera
les conditions de flicit de lacte) ; ou bien on tudiera laspect des sections en sintressant
ds lors ce qui caractrise lacte de parole en propre (ce qui fait le propre de lacte en
parole) : cela correspond au moment o Austin rejettera comme simple consquence ou effet
laspect perlocutionnaire de lacte de parole. Il tudiera donc des caractristiques propres
diffrents niveaux daction, qui chacun pourront subir des checs propres. Nous nen sommes
cependant pas encore l et nous devons au pralable voir comment vont se dployer ces
caractrisations ; du moins savons-nous maintenant quelles relvent dun type de description
possible de lacte.
Par ailleurs, on remarque ds maintenant que, selon la description de laction
considre, ce ne sont pas uniquement (ni ncessairement) des lments factuels qui vont tre
pris en compte, mais aussi des lments valuatifs. Dun simple point de vue descriptif ou
factuel, en effet, cest toujours la mme action qui est dcrite par lnonc il a pris de
largent cette femme et par il lui a vol de largent , et, pourrait-on ajouter, par il a
rendu aux misreux largent que la noblesse leur avait extorqu . On pourrait pourtant dire
que le premier nonc parle de faits bruts , et que les deux autres portent en eux des
jugements de valeur (sans caractriser pour le moment ces jugements de valeur comme
moraux ou politiques) : ils valuent dune certaine faon laction faite (ngativement dans un
29. Sur ce point, voir aussi L.W. Forguson, : Austins Philosophy of Action , in K.T. Fann,
Symposium on J.L. Austin, op. cit., p. 145.
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cas, et positivement dans lautre). Ce qui les distingue, dit-on souvent, cest laccord quils
permettent de recueillir : depuis Kant au moins, en effet, les noncs purement descriptifs
(sans lment valuatifs) sont censs pouvoir recueillir lassentiment de tous, alors que les
jugements valuatifs seraient propres aux personnes qui les noncent, dans la mesure o elles
prendraient certaines valeurs en considration qui pourraient ne pas tre prise en considration
par un autre groupe de personnes, ce dernier refusant, ds lors, que ce jugement soit une
bonne caractrisation de laction.
Il nempche pourtant quils permettent tous, dans certains cas, de dire quelque chose
de vrai ou de faux. tant donns certaines conditions, un certain contexte, il pourra tre vrai
de dcrire laction comme un vol ou comme une restitution de largent extorqu. Austin
soutient en fait quon peut se mettre daccord sur lobjectivit dun jugement valuatif. On
verra limportance de ce fait plus tard30, mais on dcouvre dj ici une des premires raisons
de la remise en cause par Austin du ftiche fait/valeur31 qui veut que toute description de
fait ne soit jamais entache par un lment valuatif (en loccurrence, il a vol ), ou, plus
exactement, qui pense pouvoir tablir la vrit dune description donne en la comparant
seulement et directement aux simples faits bruts. Ces descriptions de faits ont t considres
par la tradition philosophique anglo-saxonne comme tant, sous le nom de propositions ,
les seuls noncs dots de signification prcise, parce quon pouvait tablir leur signification
et leur rfrence en termes de faits ou de classes de faits. Or ce simple exemple nous montre
que, pour dcrire correctement une action, il convient parfois de la caractriser dune faon
qui implique autre chose que le simple rapport des vnements bruts observs, car il est des
cas o lutilisation des mots il lui a vol de largent est la seule faon de dcrire
correctement la situation, de la dcrire de manire objective.
Austin montre dj ici que, au moins pour le cas des actions, la description de celles-ci
inclut toujours plus ou moins un lment valuatif, dont seule la prsence permet, du moins
dans certains cas, de dterminer si cette description est vraie ou fausse. Il remet donc en cause
la distinction tablie par les no-positivistes entre jugement de fait et jugement de valeur,
remise en cause qui annonce leffondrement de la distinction admise entre langage (qui dit ce
qui est) et action (qui modifie ce qui est).
Ainsi, lattention aux petits faits de langue (ici, ceux de la description de laction et les
modulations des excuses qui sy rattachent) nous permet de dcouvrir des subtilits dans notre
langage lorsque celui-ci veut dcrire des situations : celles-ci, en effet, ne sont pas neutres et
30. Voir notre 36.
31. Il sagit de mettre en pice deux ftiches (que je suis assez enclin, je lavoue, maltraiter),
savoir : le ftiche vrit/fausset, et 2) le ftiche valeur/fait. (HTD, p. 151/153)
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peuvent inclure un lment qui demandera non pas seulement tre rapport, mais aussi tre
valu, dune part. Dautre part, il existe plusieurs faons de rendre compte dune action, ce
qui l encore remet dj en cause lide chre tous les rformateurs du langage ordinaire
quil ny aurait quune seule faon de dire (correctement) ce qui est, et que cette faon, qui
plus est, serait dune objectivit absolue parce quelle ne ferait pas intervenir dlment
valuatif. Austin nous montre au contraire que pour le cas des actions, il convient bien
souvent de faire un jugement valuatif pour en rendre compte de manire objective.
3. Laction se dcrit toujours par rapport un arrire-plan de pratiques
le ftiche valeur/fait, bis.
Si une situation daction considre demande souvent tre value pour tre
correctement dcrite, cest notamment parce quune action se dfinit sur un fond de pratiques
qui viennent en quelque sorte la normer en lui donnant un sens cest--dire qui viennent
lorienter. Cest ce que nous apprennent les excuses qui viennent toujours aprs une action,
qui, dune certaine faon, na pas russi, pour excuser cet chec : il ny a dexcuses que par
rapport des normes, des normes de linacceptable (PP, p. 158) et peut-tre de
lacceptable. Car, toujours pour revenir sur la mme ide,
Il y a en effet, larrire-plan, lide vague et rassurante que, en dernire analyse,
accomplir une action doit revenir faire des mouvements avec des parties du corps ; ide
peu prs aussi vraie que celle qui consiste penser que, en dernire analyse, dire
quelque chose revient faire des mouvements avec la langue. (PP, p. 178/139)
Cette caractrisation est insuffisante car, bien quelle ne soit pas fausse (on a vu quon
pouvait dcrire une action de diffrentes faons selon la perspective adopte), elle ne nous
apprend rien sur laction considre. Tout au plus nous donne-t-elle les phases physiques de
laction considres, mais elle ne nous dit certainement pas ce quest laction considre au
sens propre puisque, selon ce type de caractrisation, tuer un ne et donner de largent
aux pauvres sont peu de choses prs similaires, en ce sens que ces deux actions consistent
en une certaine somme de mouvements physiques plus ou moins distincts. Semble en effet
ncessaire ici une caractrisation normative, ou valuative, de laction considre qui va la
dfinir par rapport une pratique humaine. Tuer un ne ce nest pas seulement prendre un
fusil, regarder dans un viseur, tirer sur la gchette et mettre fin par ce moyen aux processus
vitaux dun ensemble de molcules au pelage gris. Cela sinscrit plutt dans un ensemble de
pratiques sur fond duquel cette action prend sens : il suffit pour sen convaincre daller plaider
auprs de votre voisin : jai pris un fusil, regard dans le viseur, , et jai mis fin la vie de
votre ensemble de molcules au pelage gris . Ce nest pas ce type de caractrisation qui
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lintressent. Tuer un ne est
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