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Max Krief
2 rue Notre Dame 34170 Castelnau Le lez
0651925957
maxkrief34@gmail.com
Chère Louise,
Quelque soient nos mots, nous serons forcément lourds, indélicats, bien
éloignés de ton immense chagrin. Que peut-on dire, pour prétendre te
réconforter, chère Louise ?
Nous ne serons jamais aussi seuls que tu peux l’être aujourd’hui. Une maman
ne se remplace pas. Elle restera pourtant présente, sur le parcours de ta vie
fleurissante. Tu as l’âge de la consolation et du temps qui estompe les chagrins.
Tu as cette force que donne une maman à son enfant ; qui, en gaélique, signifie
« Brighid » ou Brigitte.
Nous ne la connaissions que très peu, Brigitte. Elle a pourtant marqué nos
cœurs, par son soutien énergique et généreux à notre groupe CORASSO. Nous
lui devons la campagne médiatique « Quoi ma gueule », dédiée aux patients
défigurés par les cancers ORL et ses conséquences. Elle a contribué à de
nombreux projets et soutiens, comme pour l’association «Laurette Fugain »,
consacrée aux enfants atteints de leucémies.
Nous gardons en mémoire son optimisme, sa joie de vivre, qu’elle attribuait
essentiellement à son amour pour toi, chère Louise. Sa présence le 16 avril au
cours de notre table ronde, laissera, sur nous, l’empreinte d’une grande et belle
personne. Et quand viendra le temps de la cicatrice des douleurs passées, tu
pourras toujours dire : « C’était quelqu’un, Maman. »
Louise, fille de Brigitte PARNAUDEAU partie brutalement le 2 mai 2019.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 1 sur 94
CHAPITRE 1
JE SUIS LA SOMME DE TOUS MES SOUTIENS
mercredi 30 novembre 2016
Les soucis de santé ça me connait. J’embête du monde, croyez-moi. Je
le sais, mais j’aime bien partager, me plaindre. Enfin c’était avant.
Pas si grave. Dépression nerveuse, « burn-out », des trucs du moment.
Hélicobacter pilori, estomac inondé d’acide et colon douloureux, supportable.
Puis, à l’occasion d’un déplacement de décors au théâtre, c’est le biceps qui
lâche. Bing… Comme un élastique tendu qui casse, en même temps qu’une
douleur électrique, presque anodine. Il remonte sur le triceps, jusqu’à l’épaule.
Rupture distale, qu’il me dit, le chirurgien orthopédique. Réservé aux sportifs
ou aux personnes atteintes de dégénérescence du tendon… J’y reviendrai.
Enfin, le bras en équerre immobilisé pendant six semaines et kiné plusieurs
mois. Ca vous sèche un optimiste insolent. Déjà que par nature, j’ai le sourire
retenu.
Alors en continu, ne quittez pas… Les choses sérieuses attendent... à l’affut.
Otites à répétition. C’est fréquent. Des gouttes dans l’oreille. On les sent couler,
froides jusqu’au fond et puis ça chauffe. On est bien ; alors en deux jours, ça
passe. On est immortel.
Et puis ça recommence. Mon médecin ? Y voit rien. Chochotte…
Encore des gouttes qui coulent, mais, effet bizarre, ne s’arrêtent pas, elles
s’enfoncent jusqu’à l’intérieur de ma joue.
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Quelques mois auparavant…
On est en mai 2016
Réveil à quatre heures. Un camion immobilisé devant chez moi. Il fait un
boucan d’enfer. Je laisse courir. J’ai trop de flemme et je me rendors. Il est
quand même gonflé, le routier. La nuit suivante, ça recommence. Gros poids
lourd. Je me lève pour me plaindre. Devant chez moi, il n’y a rien. Mais le
vacarme continue. Des deux côtés de la rue, rien du tout. Ni derrière la maison.
Je m’enferme, toilettes, salle de bain, boules Quiès. Mais le son me poursuit.
C’est dans ma tête. C’est donc ça les acouphènes. Un bourdonnement à bâbord
dans les fréquences moyennes. Je dirai huit cents hertz. C’est pas rien. Mon
doc, il voit rien, pas de bouchon, pas d’infection. C’est la dépression qu’il me
dit. Mais moi, comment je fais ? Tant pis pour le parcours de soin. Sans
courrier, ni recommandation, je m’invite chez le spécialiste. Tests d’audition,
en dehors des quinze kilohertz perdus dans les concerts de jeunesse, la courbe
rentre dans le moule. Palpation, tout semble conforme. Petite hésitation du
spécialiste. Bon, la sécu leur met la pression, mais l’IRM est l’examen le plus
adapté.
Septembre 2016
Je suis allongé, coincé dans cette machine qui tambourine. Pas bougé. A toutes
les tonalités et tous les rythmes, trente à quarante minutes. La musique de fond
ne peut pas couvrir les tam-tams. En cabine, je suis entrain de me rhabiller.
— Il y a un truc pas clair, qu’il me dit.
C’est l’opérateur. On y repasse, dans le tunnel. Il me rassure :
— Cela ne va pas durer.
Je suis dans la salle d’attente, interminable.
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— Écoutez, je ne vois rien du tout à gauche, objecte le radiologue.
Je suis déçu.
— Mais on a vu quelque chose à droite. Une masse bien définie, faisant quatre
centimètres sur la glande salivaire principale.
Pas de quoi s’affoler. Un adénome pléomorphe décrit comme une excroissance
bénigne. Mais qu’il faut traiter. Le corps n’aime pas qu’on le délaisse. Parfois,
Il se venge. Cette gentille tumeur blanche pourrait changer de caractère, féroce,
teigneuse passant du vermillon au pourpre, voire cramoisi. Mais on n’en est pas
là.
Octobre 2016
Le Professeur GARREL sommité de la chirurgie tête et cou sur Montpellier, me
reçoit ce matin. Pas de doute selon lui, un bel adénome sur la parotide droite. IL
préconise une exérèse totale, afin d’éviter toute récidive. Une routine. Peu à
perdre, des glandes salivaires, on en a plusieurs. Tout à gagner, on n’y revient
pas en général. Les risques ? Très rares : paralysie faciale temporaire, quelques
jours à quelques mois. Quand c’est ouvert, on fait un examen extemporané.
Quatre-vingt-quinze pour cent de résultats en faveur d’une tumeur bénigne.
Cicatrice en mode lifting, quasi invisible. Petite dépression sous l’oreille
s’atténuant avec le temps. Évidemment, il faut y passer. Masque à oxygène et
liquide qui chauffe dans la plomberie circulatoire.
Jeudi 4 novembre 2016
Je me réveille, douleurs à l’épaule et dans le crâne à tribord. Les soignants me
rassurent. Ils ont mis la dose morphinique nécessaire à un réveil de bonne
humeur. Mais je ne suis pas le patient modèle. Je demande à la tête qui est au
dessus de moi :
— Il y a un problème ?
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L’opération a duré six heures au lieu des deux prévues.
— Vous verrez avec le Professeur, qu’il me dit, froidement.
Enfin, de retour dans la chambre. Exceptées les nausées conséquentes de
l’anesthésie et la désagréable impression de ne sentir que la moitié du visage, je
suis en vie. Nuit pénible, la vessie pleine et impossible à vider.
Vendredi 5 novembre
Le professeur GARREL doit passer. Sentant mon anxiété, les infirmières me
rassurent. Apparemment, on a préservé le nerf facial. D’où la durée
d’intervention et le signe d’un pronostic favorable. Je suis serein et j’envoie un
message pour rassurer ma fille. Elle me demande de confirmer. Elle est
heureuse. Étudiante externe, le hasard a voulu qu’elle soit présente au sein du
CHU. L’équipe médicale est à mon chevet. Professeur GARREL, souriant,
s’exprime avec assurance.
— On a sauvé le nerf facial. C’était difficile, masse collante accrochée à la
gaine, profonde.
J’écoute attentivement répondant à son sourire. Puis son visage se ferme.
— Ce n’est pas très bon. On envoie le prélèvement pour ANAPATH.
Il répète pour être sûr d’être bien compris.
— Ce n’est pas bon, on se revoie dans dix jours pour les résultats et le
traitement.
Il pronostique un carcinome adénoïde kystique. Je sens une chaleur m’envahir
et la stupeur me saisit. Des images, rapides défilent, se transforment en ombre
et la perception de la mort plus ou moins proche me projette dans le monde de
la désespérance. Mon voisin de chambre termine son séjour à midi. Il me serre
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 5 sur 94
la main, les yeux remplis de compassion, « Bon courage » me dit-il. Quelle
expression étrange. Il m’a déjà enterré. Quel courage y-a-t-il à devoir affronter
la maladie. On ne l’a pas décidé. On la subit. Je m’entends employer la même
expression par le passé, à l’endroit de personnes accompagnant un être cher
dans une maladie à l’échéance incertaine, mais le courage ou la peur ne
modifient pas la situation de passivité inéluctable face à une pathologie
évolutive. Ma fille me rejoint. Je lui demande de me pardonner. J’ai été trop
confiant. Sa tristesse est à la mesure de ses espoirs trompés.
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CHAPITRE 2
L'IMPARFAIT DU SUBJONCTIF
Dimanche 13 novembre
Journée de commémoration des attentats de Paris. Impossible d’écouter
plus de quelques minutes, les témoignages des survivants et des familles des
victimes, à la radio, à la télévision. Emotion pesante, violente qui nous replonge
dans l’abime de l’inhumanité. A ce moment, comme dit Vincent Delerme, je
pense aux filles de 1973. Pour moi, année d’insouciance. Mélancolie des
instants innocents.
D’un autre côté, cela permet de me décentrer de ma confortable situation de
malade, entouré, choyé peut-être envié. Non, je déconne. C’est quand même pas
marrant tous les jours. Avez-vous essayé de faire un bisou avec la moitié de la
bouche paralysée ? Ca peut paraître drôle. Mais c’est pas sexy du tout. Et
encore, je vous parle d’un bisou platonique. Ma kiné m’entraine à faire des
bisous, des sourires, à fermer mon œil de hibou, à faire la moue. Ca, je sais
faire, paraît-il. Mais rire, cela tient de la performance. Je suis bien dans mon
rôle de valétudinaire. (Hihihi, vous n’avez qu’à chercher dans le dictionnaire).
Enfin, la douleur se corrige. Et tous ces gens bienveillants qui m’entourent. Je
m’interroge. Ces personnes ont-elles changé. Ont-elles toujours été comme je
les perçois aujourd’hui ? Bien, certainement. J’en suis extrêmement gêné. Je
n’en étais pas conscient. Les regardais-je vraiment ? Les écoutais-je davantage.
Que fallait-il donc pour que je prêtasse enfin attention aux autres ? L’imparfait
du subjonctif ? Le début de ma seconde vie.
En attendant, je balise un peu pour mercredi. Les résultats vont sceller le
parcours de cette vie entre parenthèses. Et celle de mon entourage. Comment
puis-je les épargner de cet accompagnement qu’ils n’ont pas choisi ? Me faire
le plus discret possible, le plus léger aussi. Bon, c’est pas gagné, je pèse quatre-
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vingt-dix kilos. Mais je régresse, les kilos s’envolent à grande vitesse. J’entends
ma fille qui hurle :
— Papa, il faut manger !!
— Mais je ne veux pas être un poids pour toi, ma chérie. Dialogue de sourds.
Mercredi 16 novembre 2016
Il est quinze heures dans la salle d’attente de consultation du Professeur
GARREL. Je suis accompagné par ma fille et sa maman. Elles sont aussi
stressées que je suis impassible.
— Comment tu fais Papa ?
— C’est pour ça que vous êtes là ma puce.
Chacun sa m… Non je délire, j’ai pris un Lexomil. Je suis immortel. Le
professeur assis en face de nous. L’infirmière coordonnatrice posant son regard
bienveillant et professionnel.
— Tout d’abord, je voudrais vous remercier pour tout le travail que vous avez
réalisé, m’exclamai-je.
Je lis dans son regard : attendez la suite, vous n’êtes pas arrivé.
— Allez- y cash Professeur.
— Bon, l’ANAPATH confirme le carcinome adénoïde kystique qui a la
particularité d’envahir les nerfs. Tumeur de grade IV, de progression lente
mais agressive. Il faudra donc supprimer le nerf facial droit.
Ma fille essaie de lire les informations sur l’écran. Elle me fait signe : stade II.
On se dispute discrètement. Non, c’est T2, la taille de la tumeur mesure de deux
à quatre centimètres. Pour connaître le stade, il faut la taille T, les métastases M
et N, le niveau des atteintes ganglionnaires, peau, os, nerfs, etc.
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La machine est enclenchée. Rapide. Rendez-vous Vendredi, Scanner tête et cou.
Lundi TEP-SCAN du corps entier. Tout cela déterminera le stade, c’est à dire la
progression de la maladie. Mardi, Val d’Aurelle pour la mise en place
éventuelle d’un essai clinique.
Mercredi enfin, retour en consultation pour analyse des résultats et stratégie de
soins.
Mercredi 23 novembre 2016
Cathy m’a accompagné. Le Professeur GARREL est détendu comme à
l’habitude. Depuis le début et jusqu’à présent, les mauvaises nouvelles se sont
succédées. Que va-t-il m’annoncer ? L’opération se fera le 13 décembre. On
creuse un peu plus profond afin d’éliminer le maximum de tissu cancéreux. On
sectionne le nerf facial avec greffe et reconstruction si possible. Opération
complexe, longue, délicate. On peut y laisser sa mâchoire. Mais moi, j’ai une
grande gueule. Enfin la bonne nouvelle : pas de métastases à distance.
A la maison, on ouvre le champagne et on reconstruit le monde, pour un instant,
pour un instant seulement… aurait dit Jacques Brel. Je ne vais pas bouder mon
plaisir. Ce soir j’ai peut-être gagné quelques années d’espérance de vie.
En attendant le 13, du repos bien mérité. Des visites à la maison. Mon frère est
venu de Paris en surprise. Qu’est-ce qu’il ne faut pas inventer pour se faire
remarquer.
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CHAPITRE 3
ECOUTER SON CORPS, IL RACONTE PARFOIS SA DOULEUR
Mardi 13 décembre 2016
Monsieur !.. Monsieur !… Monsieur, vous êtes en salle de réveil !
— Monsieur, comment ça va ?
Je cligne d’un œil. Le reste ne bronche pas. Et les bras ? Et les bras. Et les
jambes ? Et les jambes. Et la tête ? Et la tête. Alouette…
— Allez on le ramène en chambre.
La différence avec un sapin de Noël, c’est que je suis couché. Mais les
guirlandes et les boules sont là : perfusions glucose, soupe antalgique, Acupan
et Chlorure de sodium. Le sucré salé j’aime bien. Poire à morphine. Attention,
c’est pas pour faire la fête. Si t’es trop gourmand, ça se bloque. Enfin, oxygène
dans les narines. Voilà pour ce qui rentre.
Pour les sorties, drain de Redon cervico-facial, idem pour le mollet. (Oui, on a
prélevé nerf et peau de la jambe pour la greffe du nerf facial sacrifié.) Enfin,
sonde vésicale qui est en fait un tuyau qu’on enfonce jusqu’à la vessie pour
éviter le désagrément subi lors de la première intervention. Je vous laisse le soin
d’imaginer le parcours de cette tuyauterie souple chargée d’évacuer les produits
du catabolisme du corps sous une forme liquide. (En fait, l’urine). Je
n’imaginais pas qu’on pût insérer un tuyau aussi gros par cet endroit. Rien que
d’y penser… Oui je sais, ça fait mal. En réalité, pas trop, sauf si un visiteur
indélicat se prend les pieds dedans. Pour les lumineuses, on serait dans
l’atmosphère musique électro. Chiffres et voyants à diodes
électroluminescentes sur fond de bips tendance synchro. Fini de prendre les
choses à la légère. C’est du sérieux. On ne pense plus aux courses de la
semaine, je vous le garantis. Le soucis du moment, c’est plutôt : comment je
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 10 sur 94
vais pouvoir éviter la douleur. Comment rester digne, courtois, aimable quand
on ne possède plus la maitrise de ce corps quasi immobile.
Mercredi 14 décembre
Les équipes médicales se succèdent. Le staff ORL tout d’abord avec à sa tête le
chef de clinique. Puis vient l’une des deux équipes ayant participé à l’opération,
menée par la chirurgienne maxillo-faciale et chargée de la greffe nerveuse.
Enfin, le Professeur GARREL qui me suit avec son équipe. Souriant, mesurant
soigneusement le débit et la clarté de ses propos, il résume l’ensemble du
déroulement des opérations réalisées. Curetage complet en profondeur
notamment cervical. Sacrifice du nerf facial avec analyse extemporanée.
Prélèvement d’une partie de nerf et de peau située sur la Fibula. Insertion du
greffon en place de la branche accessible. Celle qui va pouvoir mobiliser un
jour peut-être le bas du visage. La branche nerveuse côté œil n’est pas
accessible. Ce qui veut dire, plus de mobilité de la paupière droite. On se revoit
vendredi, enfin si je peux m’exprimer ainsi.
J’ai mis du temps cette fois-ci pour récupérer.
Sauf exception, le personnel soignant est toujours aussi agréable et attentionné.
Jeudi 15 décembre 2016
— Bon, on va faire la toilette Monsieur, ce matin !
Ce sont les aides-soignantes. Je lève mes bras, bloqués par la tuyauterie. Les
jambes idem. Et pour compliquer le tout, la sonde urinaire qui remet à sa place
le reste de ma petite dignité pudique. Moi qui habituellement, ai du mal à
montrer mes orteils. Panique. Mais, c’est qui, on ?
— Ne vous inquiétez-pas, on a l’habitude, qu’elles tentent pour me rassurer.
L’une d’elle pourrait être une voisine, ou une amie d’une amie, ou une stagiaire
qui a fait sa formation dans l’établissement ou j’exerce. Une copine de ma fille,
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pourquoi pas. Ma réputation va en prendre un coup. J’imagine les rires étouffés
dans les couloirs et les blagues vaseuses dans le bureau des infirmières. Tant
pis, je me rends. J’abdique.
En fait, les choses se déroulent simplement, avec attention et professionnalisme.
C’est même agréable, car on mesure la portée que recouvre la notion de soins,
soin du corps bien sûr mais avec le respect, la dignité préservée du patient par
l’aide-soignante et la reconnaissance infinie du malade envers celle-ci.
Vendredi 16 décembre
J’ai dormi un petit peu. Les drains, l’oxygène et la pompe à morphine
ont été retirés. Je vais pouvoir me lever. Toilettes au lavabo.
Visite des médecins. Je sors aujourd’hui.
Je ressens pour la première fois une certaine contrariété. Cette impression
désagréable que l’on vous met dehors parce qu’il n’y pas assez de lits. A ce
moment, on voit bien que ce qui compte avant tout c’est l’efficacité des actes de
soins, ce qui, en soi, paraît tout à fait logique. Mais, la prise en compte de
l’anxiété, le mal-être, la fatigue de celui qu’on pourrait désigner comme le
client, ne sont pas toujours pris en compte. Peut-être, tout simplement, ma
mauvaise humeur liée à mes douleurs, active-t-elle en moi un ressentiment peu
objectif. Après deux heures en salle d’attente, Cathy vient me ramener à la
maison. Ce n’est qu’un au revoir pensai-je, résigné.
C’est bon de se retrouver à la maison. Je n’ai pas la force de répondre à tous les
gentils messages reçus pendant mon hospitalisation. Question douleurs, Les
sons ont du mal à sortir de ma gorge en feu, et j’ai la bouche asséchée par le
manque de salive. Le traitement antalgique se fait en continu, alternant
paracétamol + Laroxyl, et Xprim. La douleur correspond à la convergence
d’une otite carabinée, d’une rage de dent et d’une angine. Elle peut être décrite
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 12 sur 94
comme un coup d’électricité violent venant de l’oreille et se diffusant jusqu’au
fronto-temporal droite en céphalée insupportable.
Allez préparer un repas après ça. Bon, j’avoue, la nourriture n’est pas ma
priorité du moment. Je souhaiterais plutôt m’inscrire à un site de rencontre pour
personnes atteintes d’une tumeur ORL rare. J’aurais peut-être des ouvertures. Je
dis ça parce que, selon certaines statistiques, cette pathologie affecte plus
souvent les femmes que les hommes. Non mais, il n’a pas d’autre chose en
tête ! La collection de timbres ne me passionne pas. Exit la photographie pour
l’instant. Il y a bien internet. Mais l’autre fois je suis tombé sur un forum.
Désastreux pour éviter la dépression. Je vous cite quelques commentaires :
Posté le 08-08-2008 à 21:12:14
— Bonsoir à tous. Une amie est atteinte du carcinome adénoïde kystique.
Pourrais-je en savoir un peu plus sur l'évolution de la maladie ? Avoir une suite
à vos témoignages. D'avance merci.
Posté le 08-08-2008 à 21:12:14
— Désolé mon p’tit jean, tous ceux qui en étaient atteints et qui postaient ici
sont morts.
Allez faire des projets après ça !!!
Je sais, fatigue oblige, ce chapitre n’est pas très léger, et manque quelque peu
d’humour. Je me rattraperai la prochaine fois. Bonnes fêtes à tous.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 13 sur 94
CHAPITRE 4
BÊTE ET MÉCHANT
Mercredi 21 décembre
Rendez-vous post-opératoire avec le Professeur Garrel. C’est
maintenant presque la routine. Je fais le beau mais je n’en mène pas large. On
est venu à trois. Un malade, trois souffrances. C’est toujours comme ça.
Quoiqu’on dise, on n’épargne pas les siens. C’est la double peine. Pourtant, je
fais des efforts. Je joue le drôle et le fort. Mais il faut pas leur raconter des
histoires. Ils la voient, cette petite lumière vacillante au fond de vos yeux. C'est
l'hiver.
Le Docteur Garrel nous reçoit en présence de l’infirmière coordonnatrice. Il me
regarde, l’air de dire : oui, c’est pourquoi ? Je m’étonne moi-même d’intervenir.
— Bien, ça a donné quoi ?
Lui me regarde fixement avec un large sourire.
— L’opération s’est très bien déroulée. On a tout nettoyé. On a inséré le
greffon en place de la branche VII. La rééducation ne commencera pas
avant plusieurs semaines mais améliorera sensiblement le tonus musculaire
de cette partie du visage. Les résultats scanner et TEP-SCAN sont
globalement négatifs. Pas d’atteinte de la chaine ganglionnaire du cou. Pas
de nodules métastatiques caractérisés. Il faudra tout de même traiter les
zones tumorales résiduelles par radiothérapie.
J’en saurai plus le 4 janvier date de mon rendez-vous à l’ICM, Val d’Aurelle,
établissement régional de référence dans le traitement des cancers. J’approuve
les indications et conseils éclairés du médecin, quoi faire d’autre ?
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Mais j’ai toujours cette bizarre impression que le malade en question est une
autre personne, dont je serais le simple observateur. Je dois dire que je ressens
cela depuis le début. Ce n’est pas un déni. Je me situe simplement dans un
nouvel espace.
Une des brochures qui m’ont été proposées, décrit et précise le protocole de
traitement par radiothérapie. Bon c’est juste le menu. On est prévenu. On va
pas s’amuser. Trente cinq séances de traitement, quotidien, du lundi au
vendredi. Brûlures type coups de soleil, mucites, gène à la déglutition. Prévoir
en option, sonde naso-gastrique. Des promesses, toujours des promesses. La
soupe n’est pas toujours bonne. On est souvent déçu à la fin.
En attendant, on a fêté Noël. J’ai été gâté. Pas de surprise, j’ai eu un
tensiomètre et un livre : Comment bien vivre avec son cancer.
Non, c’est pas vrai, je plaisante. Je sais c’est d’un goût douteux. Oui mais moi,
ça me fait rire. Vous préfèreriez peut-être que je vous dises qu’à 59 ans, sur le
point de prendre ma retraite bien méritée après quarante deux années de
cotisations, je vais en lieu et place, bénéficier d’un traitement de radiothérapie
dernier cri, dont les risques sont la desquamation, l’ostéo-radionécrose
entrainant la perte partielle ou totale des dents, avec en prime des compotes
Blédina pour le restant de mes jours ? Non, vous ne voulez pas ça, pour moi.
D’ailleurs vous êtes trop gentils. Tout le monde est gentil avec moi.
Bienveillant. On me propose une place assise dans le TRAM. On me cède le
passage à la caisse du supermarché. Je deviens moi-même très cordial. En
voiture, je laisse filer les autres au nez de ma priorité. Je ne râle plus après les
feux rouges interminables. Les gens sont bons en général envers les faibles.
STOOOP !!!
Ne vous effrayez-pas, j’étais dans mon espace parallèle. Je reviens dans la vraie
vie. Celle qui vous oblige. Parce que si vous comptez pour les autres, les autres
comptent sur vous.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 15 sur 94
J’ai remarqué que mes chats se rapprochent de moi, ils me câlinent, me font des
gros ronrons. Je sais ce que vous vous dites : ces animaux ressentent la douleur
de leur maitre, et tout et tout. Que nenni. Ils profitent de la situation. Celui-là, il
est très faible, inoffensif, on en profite. Câlins, double part, et vas-y que j’te
miaule. Et il accoure, l’abruti. C’est des animaux sauvages je vous dis, très
intéressés, c’est tout.
Bon, apparemment, je vais mieux. Mon mauvais esprit reprend le dessus. J’ai
changé, je vous dis. Ca ne se voit pas encore, mais je ne saute plus sur la cuisse
de poulet quand le plat est sur la table. Je ne me dispute plus avec mes voisins.
Je vais aller voter aux prochaines élections. Je vais cesser de dire à ma fille
d’interrompre ses études pour trouver un boulot tranquille de serveuse ou
caissière. Je vais continuer à regarder « Plus belle la vie » à la télé.
Mes occupations sont conditionnées par mes douleurs. Je suis résolu à ne pas
trop me plaindre, mais cela reste limité. J’en profite pour reprendre la guitare,
malgré les éventuelles railleries. Vous voyez qu’il y a des bons côtés. Mais
c’est difficile, avec ma capsulite qui refait des siennes, c’est une petite torture et
pas que pour les oreilles de mes proches. Franck m’a donné une idée : créer un
réseau social Face Break. Ce serait amusant, et malgré la disparition des
derniers survivants de la guerre 14-18, de ceux qu'on appelait aussi les gueules
cassées, y-aurait du monde, croyez-moi. Oui, bon vous allez me dire, on ne met
pas les gens dans des cases. Mais ça permettrait des rencontres, voir plus, si
compatibilité des bouches de travers. Je vois bien que vous ne me prenez pas au
sérieux. Vous montrez toute votre compassion et indulgence envers une
personne repliée sur soi et tellement égocentrée. C’est vrai, je l’avoue, j’en
profite un peu. Mais quand on vous écrit pour dire que vous savez racontez le
quotidien vécu par beaucoup de personnes atteintes de ces pathologies ;
l’émotion non exprimée de gens en souffrance ou en rémission stabilisée, et
bien ça vous donne envie de continuer.
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Jeudi 29 décembre
Bientôt 2017, ma misanthropie en a pris un sale coup.
Il faut dire qu’après Charlie, Hyper Cacher, le Bataclan, la promenade des
anglais à Nice, et maintenant Berlin, toutes ces vies assassinées, je haïssais une
bonne partie de l’humanité. C’est comme au collège, il y a un élève qui fout le
bordel, et le prof déteste sa classe.
C’est simpliste comme raisonnement, mais dans l’adversité douloureuse, le
reptilien prend le dessus. Question de survie.
Enfin, la maladie, comme chaque épreuve de la vie, nous rend plus humble,
plus tolérant et moins aveugle, quelquefois. Elle nous laisse le temps de
réfléchir « religieusement » au sens donné à son existence. Comme disait
Brassens « Pour peu que le bonheur survienne, il est rare qu’on se souvienne
des épisodes du chemin ».
Enfin, c’est écrit, quel qu’en soit l’issue.
Décidemment, on tourne à la mélancolie. Période des fêtes oblige. Pour une
fois, notre Président dans son discours de nouvelle année, va parler de moi. Je
veux dire, entre autre. Si !!! Vous savez, quand il va dire :
— En ce jour, j’ai une pensée particulière pour les personnes seules, malades et
âgées.
Moi, avec mon foie gras dans une main, le champagne dans l’autre, et la bouche
pleine de saumon, je l’écouterai, émerveillé par tant de sollicitude. Enfin, il est
possible que tout ça soit mixé ensemble et avalé à l’aide d’une paille. Je vais
profiter de ces délicieux instants avant la douloureuse de la rentrée. Cet épisode
n’était pas prévu. Je voulais vous faire partager ma bonne humeur de cette fin
d’année. Tant pis, je vous avais prévenus. Joyeux Réveillon de la St Sylvestre.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 17 sur 94
CHAPITRE 5
PRÉLIMINAIRES
23 janvier 2017
Bonne année à tous. Il ne me restait que quelques jours pour vous le
souhaiter. Je dis « vous », pour ceux qui veulent bien perdre quelques minutes à
me lire. Pour vous, c’est toujours ça de pris sur la vicissitude quotidienne. J’ai
moi-même reçu de nombreux messages. Par exemple :
« Après 2016, Bonne année 2017… et surtout la santé !!
C’est pas drôle, je sais. Mais le temps ne s’y prête pas. Chacun ses soucis. Le
bonheur part en vacances, parfois. Il vous laisse seul planté au milieu de l’hiver.
Puis il revient, parce que vous lui avez clignez de l’œil ou fait une petite moue
de sourire. C’est à peu près mon visage actuel. Un œil qui ne se ferme pas un
sourire à mi lèvres et l’autre partie qui fait la moue. Comme dirait Coluche, si
tu souris à un flic, y'a outrage !
J’ai commencé l’année activement. Rendez-vous à Val d’Aurelle le 4 janvier.
C’est l’Institut du Cancer à Montpellier (ICM). J’ai fait connaissance avec
l’équipe de soin qui me suivra pour ce parcours. On me présente les différentes
étapes de cet accompagnement et les consultations annexes. Ca commence le 12
janvier par un Scan associé à des tests de simulation. On a réalisé une sorte de
masque perforé à l’aide d’une matrice chaude souple et fixée avec précision sur
mon visage. Un peu comme de la cire à épiler, vous voyez. On laisse refroidir et
on arrache l’ensemble.
Hihihi, vous y avez cru, hein !! Non, tout est vrai mais ça se retire tout seul.
Puis test de rayons, positionnement et angle de cible, j’imagine.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 18 sur 94
L’entretien avec l’infirmière coordonnatrice fut agréable, celle-ci pleine
d’attention me parlait lentement, attentive à toute inquiétude ou interrogation de
ma part. J’ai un ticket avec elle. Enfin je crois. Elle m’a laissé son 04. Oui, je
sais, c’est pas un numéro de portable. Non mais, ce n’est pas ce que vous
croyez. Vous avez l’esprit mal placé. Je veux dire par là que, comme patient, je
suis intéressant. Elle me trouve combatif et tout. Elle dit peut-être ça à tous ses
malades. Enfin, comme je disais précédemment, par les temps qui courent, tout
est bon à prendre.
J’ai rendez-vous demain le 24 janvier. Consultation dentaire et kiné. J’avais été
voir mon dentiste il y a quelques jours pour un panoramique dentaire et une
vérification générale. J’y ai laissé une dent avec la racine. Vous allez me dire,
c’est anodin comme intervention. Mais avec une mâchoire partiellement
paralysée, les douleurs maxillaires déjà présentes et très inconfortables, tout ça
m’a rendu un peu grincheux. J’ai pas laissé de pourboire. J’en suis quitte avec
les Big Mac. Terminés, les sandwichs, entrecôtes, festins et ripaille à foison.
Bonjour, les soupes, purée, compotes et liquides en tout genre. Il va falloir
augmenter la dose antidépresseur.
25 janvier 2017
A ce propos, j’ai eu une période délicate. Je ne vous raconte pas les détails.
Pour résumer, sur un coup de tête et sans en informer mon médecin, j’ai arrêté
mon traitement antalgique à base d’opiacées, car certains effets secondaires
rendaient mon quotidien très pénible, j’ai alors pu subir et connaître cet état de
manque que ressentent les consommateurs de ces produits addictifs :
tremblements, frissons, fièvre, mal au ventre, hypertension, insomnies,
dépression et mal être général. C’est une expérience que je n’oublierai pas et
que je vous déconseille d’expérimenter. Par exemple si vous êtes accro au
chocolat, que vous avez besoin de votre dose quotidienne pour vous sentir un
peu mieux. Personne ne peut vous blâmer. Mais alors, si vous avez décidé
d’interrompre ce cycle infernal de gourmandise, n’arrêtez pas d’un coup.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 19 sur 94
Diviser progressivement les portions et orientez vous vers un chocolat noir,
plutôt amer. Vous n’aurez plus qu’à compenser votre frustration en fumant une
bonne cigarette ou en buvant un bon whisky. Oui, ma démonstration n’est pas
percutante. Mais c’est aussi parce que du coup, mes douleurs sont revenues. On
n’en sort pas. Finalement, bien que l’on y trouve quelques compensations, Il
vaut mieux être en bonne santé que malade. Mais on ne choisit pas. Donc il faut
faire avec et éviter d’en vouloir à la terre entière. Chacun porte son fardeau et
nul ne peut en mesurer la charge. Vous aurez remarquez que je digresse un peu,
mais j’anticipe sur ma future guérison.
En ce moment, toute proportion gardée c’est la récréation. On s’amuse un peu
avant la douloureuse. Si, souvenez-vous, je vous en ai parlé avant les fêtes. On
fait les préliminaires, Oh, tout de suite… je veux dire les préparations, c’est
sympa. Mais quand faut y allez… C’est le 6 février ? Je passe à la radio. Oui
mais sans le son. Moi qui suis sensible aux arguments anti-nucléaires, me voilà
mal barré. Déjà pour le TEP-SCAN et la simulation, on avait dû m’injecter une
solution contenant des particules radioactives. Là, c’est autre chose. On tire
direct dans la bidoche. Bon d’accord, ils limitent la puissance. Je crois qu’ils
ont des problèmes avec les centrales nucléaires et qu’ils font des économies.
Alors, doses réduites mais quotidiennes. Un quart d’heure de rayons tous les
jours, du lundi au vendredi. Il paraît qu’après quelques séances c’est pas la
grande forme. On verra bien. Les trente trois séances terminées, on a le droit de
se détendre. Menus conseillés : repas liquide à la paille, tiède ou froid si
possible mais glace en dessert à volonté. Soleil interdit. Dans le sud, ce n’est
pas malin.
Des copains du travail viennent me voir demain. Et oui ils font le boulot à ma
place. Ils ne sont pas contents. Mais qu’est-ce que tu fous toute la journée, qu’il
me sort le collègue. Je ne sais pas bien, que je lui réponds. Je lis, j’écris, je
regarde la télé, je joue du piano et je fais des bons petits plats pour ma fille, je
reçois parfois du monde, je réponds au téléphone. Un collègue :
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 20 sur 94
— Correct quand même, l’arrêt de travail, et tout ça payé aux frais du
contribuable.
— T’inquiètes, ça va pas durer que je lui dis.
Il est devenu tout pâle.
Bon c’est mon côté parano qui ressort. Ce n’est pas vrai bien sûr. C’est la
descente aux opiacées qui me rend comme ça. Mes collègues, ils sont vraiment
sympas, heureusement qu’ils sont là aussi. On va se faire la galette des rois, au
presse-purée bien sûr.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 21 sur 94
CHAPITRE 6
POUR SACHA
11 février 2017
Cet hiver est rude. Il ne nous a pas épargnés. Pluie, vent glacial, nuits
agitées. Suspens politico-judiciaires, catastrophes annoncées. Et puis ces
abonnés du cœur, souffrants ou bienheureux, jouissant sans retenue, sur les
réseaux sociaux, se mettre à nu, sans condition, l’envie de parler de soi, quand
on s’adresse aux autres. Fêter une belle année ou un joyeux anniversaire, les
petites chaleurs du quotidien, ces mignonnes tendresses qui vous rendent
invincibles, au moins pour la journée. On peut philosopher sur le comportement
de l’homme, de son insuffisance. Vouloir refaire le monde, sans aider son
voisin. Crier à l’injustice, surtout quand il s’agit de soi, et ne pas tolérer le
moindre écart aux autres. Il faut positiver, vous sermonne le tribunal du
bonheur. Alors le quotidien s’en mêle. Ecole, études, boulot. Copain, petite
amie, mariée ou pacsé. Des projets pleins la tête, mais d’abord, les vacances de
l’été prochain. Que ferons nous ? Que ferez vous ? Avec les enfants ?
Tout cela n’a plus d’importance, en tout cas, pour sa mère, pour son père, ses
sœurs, sa famille toute entière. Cela faisait bien longtemps. Longtemps que je
ne l’ai pas revu. Ce petit ange casse-cou. A l’époque, visite hebdomadaire aux
urgences, me disaient ses parents. Il n’avait peur de rien. Il est devenu
naturellement un grand sportif médaillé. Equitation, trampoline et j’en passe. La
fierté des siens. Un peu de bonheur au monde.
La nuit est tombée. Il faut fermer la porte de ses propres difficultés, au moins
pour un moment,
Et laisser la place aux cœurs meurtris de cette injuste fatalité.
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CHAPITRE 7
VIVE LES FEMMES
Mercredi 8 Mars
La publication des pages de mon blog s’espace comme une nouvelle
représentation du temps. Ne vous focalisez pas sur cette phrase, c’est l’effet des
rayons.
Tous les matins, mon taxi m’emmène à Val d’Aurelle. La séance dure un quart
d’heure. Je me suis fait des copines. Anaïs, Soumia et Pauline. Ce sont les
manipulatrices. Oh, je vous vois venir… Obsédés. N’empêche qu’elles sont
ravissantes, gentilles et très attentionnées. Je vais demander quelques semaines
de traitement supplémentaires. Remarque, hier, exceptionnellement, je suis
tombé sur un gars, 1,90 m, type gros sportif. J’ai pas bronché. Au moment où
j’allais dire un mot, il m’a plaqué le masque sur le visage, le fixant
énergiquement, me soufflant :
— A tout de suite…
Les effets secondaires tant redoutés, peu présents chez certains, ne m’ont pas
oublié. J’ai été servi. Ils sont apparus dès la fin de la première semaine.
Mucites, brûlures, de la langue à l’œsophage en passant par le palais, la gorge et
les gencives. Déglutition douloureuse, nausées, maux de ventre. Tout cela s’est
un peu atténué, adouci par des bains de bouche et des anti-nauséeux. Puis,
deuxième semaine, brûlures externes que je qualifierais de légères, comme des
coups de soleils. Il y une crème pour ça. Le tout, complété d’une certaine
fatigue, m’obligeant à une sieste quotidienne.
C’est la 21ème séance. Je me trouve des affinités avec les poissons japonais près
de Fukushima. J’attire les vers luisants. Quand je bois de l’eau, elle se met à
bouillir dans ma bouche. Je peux gober un œuf, il finit en omelette dans mon
estomac. Dès que je m’allonge, j’ai tous les chats sur moi. Et alors, c’est pas
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 23 sur 94
inventé, je sens un parfum de viande de barbecue grillée se dégageant de ma
bouche. Trop cuit. J’espère qu’ils ne se sont pas trompés dans la recette.
Imaginez que vous oubliiez votre crêpe à réchauffer dans le micro-onde. Vous
voyez la tête de la Susette ! Biscornue, rabougrie, toute raide…
Se nourrir devient compliqué. On m’avait prévenu. Je perds du poids. Oh, les
jaloux… Je fais des efforts pour manger pourtant, parce que je redoute cette
sonde alimentaire. Je trouve ça déplorable. Allez justifiez auprès des enfants du
Soudan qui eux, meurent réellement par manque de nourriture, qu’un type
pesant 90 kg bénéficie en plus d’une sonde alimentaire. Un cinquième repas,
quoi !
Je vous préviens : Je ne me rendrai pas ! Je ne cèderai pas ! Je ne me soumettrai
pas ! J’irai jusqu’au bout !
Un voisin que je n’avais pas vu depuis un moment, me dit :
— Oh, vous avez maigri, cela vous va bien. Vous faites un régime, qu’il me
dit ?
— Euh, non, j’ai un cancer.
Son sourire s’est figé !
Voilà pour mes lamentations.
Sinon, tout va bien. Je positive. Je relativise. Expressions à la mode, lieu
commun, éloignées des philosophies du même nom, développées par Auguste
Conte, ou Protagoras. Quand ça va mal, il faut se persuader que tout va bien.
Sans comparer, pendant la dernière guerre, dans les lieux chics parisiens, on n’a
jamais autant dansé, ri, fait la fête. Même Michel Serres que j’apprécie
beaucoup habituellement, s’y met lui aussi. Je résume son intervention : On n’a
jamais été aussi heureux sur terre. C’était pas mieux avant. Aujourd’hui, moins
de famine. Moins de guerre. Moins de violences. Bon il sait de quoi il parle. Il
l’a vécue la guerre et toutes les souffrances qui vont avec. Mais quand même, la
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 24 sur 94
terre n’en peut. Les espèces animales disparaissent comme neige au soleil.
L’individualisme et le consumérisme sont les nouveaux indicateurs du bonheur.
Je vous l’ai dit : l’effet des rayons n’a pas de limite. Je ne maitrise plus rien. Je
commence à raconter des bêtises. Je suis déconnecté de la réalité. Je m’intéresse
même à la politique, c’est vous dire.
Ma journée habituelle, c’est :
8h00, mon chauffeur me conduit vers ma suite, Radian 5. ICM.
8h30, rencart avec mes copines. Petit déjeuner aux rayons ionisants,
servis chauds.
9h00, Réunion de travail avec le médecin de suivi, la diététicienne ou le
dentiste. On parle régime et avenir.
10h00, Retour au château. Un peu d’administratif, régime de
prévoyance et gestion du patrimoine.
12h00, déjeuner rapide, soupe froide, eau et thé glacé.
13h00, détente et sieste bien méritée.
16h00, visite quotidienne de Cathy, mon infirmière bénévole à domicile.
18h00, contacts téléphoniques, amis, famille et huissiers.
18h30 Visites amis, famille, jardinier, aide ménagère et huissiers.
Encore eux !
20h00 Diner avec ma fille
20h30 Je ne vous dirai pas, j’ai trop honte. Bon d’accord. « Plus Belle la
Vie » à la télé.
21h30 Fin de la journée dans mon lit. FB, Blog, infos, mails, dodo…
Bon, j’attends que ça refroidisse et je vous donne des nouvelles.
Bisous, Bisous
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CHAPITRE 8
POISON D'AVRIL
Samedi 8 avril
Coucou les vivants. Je suis en vacances. Moi aussi j’y ai droit.
— Mais ça fait une plombe que tu y es, mon gars, dorloté, cajolé, entouré,
nourri aux frais de la princesse contribuable, hébergé quelques fois, services
compris. Et en plus, t’arrêtes pas de râler : la nourriture est pas terrible, le lit a
une place, on te réveille pendant la nuit, le thé est trop chaud, et puis quoi
encore ?
— Ben, je veux juste guérir et retourner vers ma discrète vie, celle dans laquelle
vous êtes comme tout le monde, vous souciant aussi des autres, où, quand ce
n’est pas la douleur qui vous réveille, mais la perspective d’une superbe
journée, avec cette appréhension du lundi vous rappelant que vous avez vécu un
beau weekend. (Là, je ne suis pas sûr).
J’ai terminé mon traitement RT. Les effets secondaires ont commencé très tôt,
dès la fin de la première semaine. Mais ils ont été vraiment désagréables la
dernière semaine et la suivante. Ceux-ci se sont caractérisés par une fatigue
intense, impossibilité de rester debout plus de quelques minutes, alimentation
réduite au thé sucré, et bien sûr douleurs buccales, tête, oreilles, mâchoire.
Vous savez, c’est l’année du Coq dans l’astrologie chinoise. Oui c’est mon
année. Il faut me faire plaisir. C’est pas gagné. Pourvu que l’année se termine
mieux qu’elle n’a commencée.
Enfin, c’est pas l’année du Canard à ce que je sache. Je ne crois pas que ça
existe d’ailleurs. Enfin, je dis ça, je dis rien, comme dirait Madame D’Agata,
ma voisine. Si c’est pas l’année du Canard, il faut le dire à mon nutritionniste.
Oui, il me gave comme un canard, ou comme une oie. Vous savez l’entonnoir
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 26 sur 94
qu’on enfonce jusqu’au gésier. L’animal, il n’a même pas le temps de goûter.
Ca file direct vers les boyaux. Le foie, entre temps, il engraisse, il va se faire
manger.
En état de dénutrition importante, j’ai cédé, j’ai rendu les armes. Je ne suis pas
fait pour la politique. Il faut dire qu’en matière de perte de poids, il n’y a pas
plus efficace. Les pubs pour des régimes soit disant efficaces peuvent
s’accrocher. Croyez-moi, un bon cancer et vous perdez vingt kilos en quelques
semaines.
Je me suis donc résolu à cette alimentation naso-duodénale, en clair, par gavage
via une sonde passant par le nez et se prolongeant dans l’estomac.
Il faut pas exagérer. Question valeurs nutritives, on n’est pas loin d’un repas
trois étoiles. Il n’y a que des bonnes choses, vitamines, sels minéraux, glucides,
lipides, protéines. Le problème, c’est que tout est mélangé sous forme liquide,
et ingéré en mode direct sans passer par les sentiments. Terminés les saveurs,
textures, et parfums. Il faut de l’efficacité.
A mon avis, trois étoiles c’est exagéré, car, en ce qui concerne la présentation,
flacons plastique, peut mieux faire. Et puis j’ai aussi l’impression de faire le
Ramadan. Le repas dure quinze heures et uniquement pendant la nuit. Je ne suis
pas contre, mais c’est pas la bonne période.
Un petit séjour à Val d’Aurelle m’a permis de me familiariser avec cette
nouvelle cuisine. J’en suis pas fan, mais j’ai repris des forces.
C’est spectaculaire. Je m’occupe du jardin. Je reçois mes fidèles amis. Mon
magasin préféré, c’est la pharmacie, j’en suis un fidèle client.
Je ne vais tout de même pas faire la conversation dans des cafés sur la place de
la Comédie, car avec ma sonde plantée sur le nez, cela provoque déjà une
attitude de fuite quand je sors dans la rue. C’est pas le moment de courtiser.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 27 sur 94
On va, malgré tout, vers du mieux. Il faut patienter comme on dit. Mais au fur
et à mesure, je suis contraint de repousser mes projets. Les perspectives
d’amélioration de mon état de santé se définissent sur le long terme. Je ne parle
pas de la maladie elle-même, mais de ces effets : la paralysie hémifaciale
pourrait durer quelques années, voire plus. Mon agueusie (absence de goût),
risque de se prolonger quelques mois, peut-être quelques années, et même
davantage. Je vous tiendrai au courant. Si je vous invite au restaurant, ce ne sera
pas la peine de choisir un gastronomique. Il faut être pragmatique, inutile de
dépenser plus qu’il ne faut. Ce serait du gâchis.
Il faut que je vous parle de mon anniversaire. J’étais pas très chaud. Déjà qu’à
mon âge, on a tendance justement à le faire oublier. En plus, je suis en petite
forme en ce moment. Je ne suis pas de bonne compagnie. Vous voyez, c’est
plutôt la période sans. J’ai beau ricaner, je ne suis pas dans l’enthousiasme
délirant. Enfin, j’ai cherché toutes les excuses possibles pour l’oublier cette
année, mon anniversaire. Et puis, ma fille m’a fait la surprise. Réalisant un petit
film émouvant où chacun de nos proches, amis, collègues, famille, exprimait
ses vœux à mon égard de façon si gentille, si affectueuse, si généreuse que j’en
fus retourné de tant d’attention.
Le montage et le générique, c’est Romain. La musique d’intro, c’est David
Bowie. Gros travail. L’idée et la réalisation, c’est Johanna avec l’aide dévouée
de tous ceux, complices, qui ont eu la caméra en main (ou Smartphone).
Merci serait un peu court. Je vais essayer de faire un peu mieux. Je vais essayer
de guérir
Et c’est bien parti.
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CHAPITRE 9
ON SAIT PAS OÙ ON VA, MAIS ON Y VA
Dimanche 16 avril
Je vous manque parait-t-il. On demande des nouvelles de ma plume. Il
faut que je vous précise, ce journal n’est pas utile pour ceux qui veulent faire
tourner les serviettes, pour les abonnés de la ribouldingue ou qui veulent faire la
bombe. Non, on est plutôt au fond des catacombes, proche de la mélancolie des
amours perdues, de la tristesse à faire fuir un dépressif potentiel. Dans un
monde perdu, quoi. Vous étiez prévenus. Mais vous en voulez encore. Enfin, il
y aussi ceux que ça barbe. On veut bien être compatissant, mais il ne faut pas
exagérer. Et puis c’est le printemps, il fait beau. Il faut penser aux résa. Déjà,
plus rien pour Split au mois d’août.
Ce matin, je me regarde dans la glace. Pas si mal pour un possible futur retraité
en sursis. J’ai maigri de partout. Sauf des chevilles. Je n’ai pas pris ferme, mais
j’ai quand même le bracelet électronique. Oui, j’en profite. J’ai des admirateurs
et surtout des admiratrices. J’ai acquis une certaine notoriété, notamment parmi
mes chats. Moi qui ai grandi sans faire de bruit. Ca me fait quelque chose.
L’anonyme, le silencieux, le misanthrope, le solitaire, le voilà flanqué d’une
petite célébrité. Il faut dire que la maladie a refait mon éducation. Il n’est
presque jamais trop tard. Je me lave les dents six fois par jour. Je m’habille
avec chemise et veste. J’aime les gens. Je trouve de la gentillesse chez la
plupart des personnes que je rencontre. Je vois beauté et lumière sur chaque
visage. Rassurez-vous, je n’ai pas intégré de secte. Ma tumeur n’a pas encore
atteint mon cerveau. Malgré mes soucis du moment, je ne suis pas aigri. J’en
veux seulement à mon corps, que j’ai pourtant épargné, et qui m’a un peu laissé
tomber.
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Cela fait quatre semaines que je traine ma sonde. J’ai recommencé à manger
bébé. Soupes, purée. Ca bave et ça gémit. Un petit rot de satisfaction. Et vient la
sieste.
On a connu des moments plus glorieux dans sa modeste vie.
Comment je vais ? Les douleurs très atténuées depuis un mois, persistent, mais
disparaissent avec Paracétamol et Tramadol. La déglutition est moins difficile
mais l’absence de goût persiste. Plutôt que l’absence de saveur d’ailleurs, c’est
sa déformation improbable qui est désagréable. La viande, c’est du métal. Le
chocolat, c’est du poivre. La texture des aliments s’apparente à du sable et de la
terre.
La paralysie faciale perdure. Je suis poursuivi par une odeur rance de grillade
sur vieux barbecue rouillé. Comme un début d’incendie, mais ce n’est que ma
bouche dont les rayons continuent leur tâche de nettoyage cellulaire.
Enfin, heureusement que ma fille m’oblige à me sortir de cette carcasse
infidèle, et me rappelle aux obligations parentales.
Vous savez, les cheveux frisés, c'est une calamité. Les rares compliments qu'on
vous fait, sont avant vos vingt ans, et vous marquent d'une insincérité
obséquieuse. Vous pouvez y passer des heures et des jours, lissage, brushings,
soins méticuleux, courts, longs, çà ne sera jamais qu'une tignasse à vous croire
lever du lit. Vous avez toujours l'air de rien, avec cette masse laineuse, sauf à se
nommer Einstein ou Beethoven.
Et j'ai refilé ça à ma fille. Vous imaginez son regard noir quand elle reluque ma
tignasse en scrutant la sienne recouvrant, il est vrai, une tête très bien faite.
Bref, un matin, je me mets à lui hurler, (preuve que ça va un peu mieux), de nettoyer ses cheveux trainant sur la vanité de la salle de bain. Elle me répond, l’effrontée :
— mais ce n’est pas moi Papa !
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 30 sur 94
Quelle mauvaise foi me dis-je… C’est alors que, parcourant ma tête, en quête de mèches rebelles, je sens comme un espace bien doux derrière mon oreille, se prolongeant sur ma nuque. Un désert de peau dans ma chevelure bouclée que je croyais épargnée. Les cheveux en touffe dans la baignoire, étaient les miens.
Je rends avec dépit mon tablier de paternel ronchon et injuste.
Un vent glacial souffle sur Montpellier. Ca peut rendre fou paraît-il. En tout
cas, je me sens obligé de rassurer mes proches. Ils sont grognons de cette
tramontane persistante. Je leur dis : c’est pas grave. Ca ne va pas durer. C’est un
mauvais moment à passer. Patience. Tant qu’il y a de la vie… Enfin toutes ces
choses-Là.
Jeudi 20 avril
J’ai eu des belles visites récemment.
Dans ces moments, mes expressions faciales ne sont pas à la hauteur de mes
émotions. Vous ne comprenez pas ? Relisez mon journal depuis le début.
Quel bonheur ! Dimanche prochain, le 23 avril 2017, sera une super journée
pour moi. Vous ne savez pas pourquoi ? Mon frère et son épouse viennent me
voir. Je les attends avec impatience. Non je n’avais rien de prévu ce jour-là, ça
tombe bien.
... Quant aux résultats du traitement, ce sera le 3 mai.
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CHAPITRE 10
ELEPHANT MAN
Vous connaissez Steven Spielberg. Les Dents de la mer, E.T, Jurassik
Park, La liste de Schindler, Il faut sauver le soldat Ryan, Munich, etc.. Pour ne
citer que les plus connus. « Duel » est son premier long métrage, tourné au
départ pour la télévision et qui fut produit pour le cinéma, au regard de son
succès local. Il fut réalisé en 1971 avec un budget ridicule, mettant en scène un
seul acteur non figurant. C’est l’histoire vraie d’un automobiliste poursuivit par
un énorme poids-lourds. On est pris par le suspens haletant de cette course
poursuite à travers la Californie. On ne voit jamais le visage du routier. Je ne
vous dirais pas la fin de ce petit chef d’œuvre.
Mais, ce qui rend ce film captivant, mais avec un certain malaise, c’est cet
homme ordinaire harcelé par un individu que l’on ne voit jamais, dont l’issue
reste incertaine jusqu’à son épilogue.
Dans la maladie, vous n’êtes jamais vraiment seul. Vous avez un adversaire.
Que vous le souhaitiez ou non, il vous accompagne. Il ne vous lâche pas. C’est
un pitbull. Parfois il fatigue. Mais vous gagnez rarement. On parle de
rémission. Jamais de guérison. On discute d’espérance de vie à quelques mois,
un an, deux ans, etc. Pour moi, c’est 65% à cinq ans par exemple. Cela signifie
que soixante cinq personnes sur cent sont en vie, cinq ans après le début de la
maladie. Puis, dans la rémission, on prend en compte le confort de vie. C’est
une autre histoire.
Justement, comme histoire, j’en ai une.
Un homme, qu’on appellera Simon, prétendait avoir obtenu ce que toute
personne ordinaire de son rang désire à un moment de sa vie : une épouse
charmante, aimante et dévouée. Des enfants en bonne santé et brillant à l’école.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 32 sur 94
Un travail qui lui permettait de profiter d’un niveau social confortable. Des
amis fidèles et une famille soudée.
Seulement, il n’était pas satisfait de son quotidien car il s’ennuyait d’habitudes
bien ancrées et de banals projets.
Un soir, il fit, comme à l’habitude, sa promenade dans le parc situé à proximité
de son domicile. Il y remarqua un vieil homme allongé sur un banc et mal en
point.
Il s’approcha de ce vieillard pour tenter une conversation. Mais l’homme,
apparemment, à l’aube de sa vie avait du mal à s’exprimer. Simon tendit
l’oreille au plus près des lèvres sèches du mourant. Il entendit alors quelques
mots prononcés avec balbutiements:
— Si tu veux être heureux, « Parapluie vert de chine ».
Il termina ces quelques mots par un dernier soupire. Simon appela les secours,
mais il était trop tard.
Simon rentra chez lui, accablé, mais silencieux et n’en dit rien à son épouse.
Le lendemain soir, sa femme le trouvant d’humeur inhabituelle, il se résolu à lui
parler de cet évènement troublant.
— Mais quels sont ces mots ? Lui demanda-t-elle à la fin de son récit.
Simon hésita puis lui dit :
— « Parapluie vert de chine. »
Elle ne réagit pas, mais au lendemain soir, Simon trouva la maison vide de son
épouse et de ses enfants. Elle avait emporté tous ses effets personnels. Simon
comprit qu’elle ne reviendrait pas.
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Le sol s’effondrait sous ses pieds. Il ne comprenait pas une telle réaction de la
part de sa bien aimée.
Le lendemain au cours de sa journée de travail, il se confia à son collègue et
ami, qui lui conseilla de prendre quelques jours de congés. Simon n’avait pas
prononcé les mots fatals.
Il rencontra le Directeur qui, connaissant Simon depuis de nombreuses années,
demanda des précisions sur ses difficultés. Simon raconta son histoire.
Le directeur voulu connaître les mots prononcés par l’homme du parc. Simon
refusa de peur de la réaction de son supérieur.
— Ne vous inquiétez-pas Simon.
Celui-ci, rassuré, dit alors :
— « Parapluie vert de Chine ».
Son interlocuteur ne dit rien, mais pendant son congé, Simon reçu une lettre de
licenciement pour faute lourde, sans préavis, ni indemnités.
N’ayant plus aucune attache, il décida de traverser le monde afin de trouver la
signification de ces mots qui lui avaient déjà fait tant de mal.
Son voyage dura des années et Simon fut confronté tout au long de son
parcours à un isolement et un rejet unanimes. A chaque fois qu’il prononçait ces
mots, les gens le repoussaient avec violence. Mais il ne se décourageât pas. IL
voulait avant de mourir connaître la signification de ce terme : « Parapluie vert
de Chine. »
Très vieux et malade, Simon, marchant avec difficulté et déshydraté dans un
désert chaud d’Afrique, finit par s’écrouler, sentant sa fin proche. C’est alors,
qu’un jeune homme apparut et vint à son secours. Simon refusa l’eau que lui
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proposait son sauveur mais lui demanda s’il connaissait la signification
de : « Parapluie vert de Chine ». Le jeune homme acquiesça :
— Bien sur, ces mots sont la clef du bonheur.
— Je vais mourir. Donnez-moi la solution de ce que j’ai cherché vainement tout
au long de ma vie.
Le jeune homme dit alors, s’approchant de l’oreille de Simon :
— « Parapluie vert de Chine » signifie…
Mais, Simon ne connut jamais la vérité, car il mourut avant que le jeune homme
eût terminé sa phrase.
Après le rendez-vous avec mon médecin, le Docteur Lapierre, mercredi 3 mai,
celle-ci m’annonce qu’il faut attendre encore un mois pour Le TEP-Scan. Il y a
eu un oubli administratif. Ca arrive.
Les résultats me seront délivrés par le Professeur Garrel à Gui de Chauliac. On
verra bien.
J’ai remarqué un affaissement prononcé de la partie droite de mon visage (Celle
qui est paralysée), ainsi qu’un gonflement à la base du cou formant une sorte de
goitre. Je crains que le greffon nerveux mis en place après la seconde opération
n’ait pas trouvé sa place.
On dirait « Elephant Man ».
Dans le supermarché, aux gens qui me dévisagent, je me sens obligé de dire :
— Je ne suis pas un monstre, je ne suis pas un animal, je suis un être humain !
S’ils me laissent entrer dans le bureau de vote, demain je vais faire mon devoir
citoyen. Et vous ?
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 35 sur 94
CHAPITRE 11
合気道 ( AÏKIDO)
Mon corps et mon âme se disputent. L’un traine sa carcasse, alors que
l’autre veut continuer la promenade. Ils ne sont plus sur la même longueur
d’onde. Il faut veiller à ce qu’ils s’accordent, dans le bon sens bien sûr. Le
moral influence-t-il la guérison ? C’est ce que l’on pense couramment. Pourtant
des études ont montré qu’il n’y avait pas de corrélation prouvée. A ce sujet, je
voudrais vous faire partager cette réflexion de Jérôme Buard, mon voisin,
disparu en 2013, Docteur en sciences biologiques et fondamentales appliquées.
Le moral et le cancer
« Quand le moral va, tout va. »
« Garde le moral, tu pourras tout surmonter. »
« Un bon moral, l’envie de se battre contre le cancer, c’est important pour
vaincre la maladie »
Combattre le cancer par un moral d’acier : vrai ou pas vrai ?
Bien avant d’être atteint par ce cancer du rein avec métastases osseuses et
hépatiques, j’avais comme une petite moue intérieure quand j’entendais ces
encouragements au moral vers d’autres patients cancéreux. Un doute d’abord
sur la validité de telles assertions. Qu’est ce que le moral, bon ou mauvais,
pourrait bien faire à une cellule tumorale, dans sa course folle aux divisions ?
Bon, OK, peut être un mécanisme biscornu avec stimulation du système
immunitaire en intermédiaire… Pourquoi pas ? Mais deuxièmement et surtout,
je pensais que, si ce n’était pas vrai, suggérer qu’un bon moral peut vous
guérir du cancer envoie un message terrible à ceux qui ne guérissent pas. Tu
n’as pas fait preuve d’un moral assez bon, pas assez de volonté, c’est donc
finalement un peu ta faute si tu y passes. Si même tu te laisses aller à organiser
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 36 sur 94
la suite, si tu prépares ta mort en essayant de la rendre la moins douloureuse
possible pour ceux qui restent, tu auras perdu du temps en ne te « battant » pas,
et, encore une fois, tu es un peu responsable de ta propre disparition.
Une question importante, une question qu’on peut tester
Donc, de deux choses l’une : soit la combattivité a un effet positif sur la survie
et il faut comprendre le mécanisme qui est derrière, avec peut être de nouvelles
voies thérapeutiques à explorer, soit ça n’a aucun effet et il faut arrêter de
culpabiliser les patients en suggérant qu’ils ne sont pas assez combattifs. Je
trouve donc intéressant d’essayer de répondre, le plus objectivement possible à
cette question : « quel est l’impact d’un bon moral, de la combattivité
(« fighting spirit » en anglais), sur la survie de patients cancéreux ? ». On peut
essayer d’y répondre si on est psychologue et donc capable de poser les bonnes
questions à des patients cancéreux. On répond d’autant mieux et d’autant plus
précisément que les patients interrogés sont nombreux et qu’on s’entoure des
précautions nécessaires à de telles études statistiques (groupes témoins etc.).
De nombreuses publications : pas d’effet de la combattivité sur la survie au
cancer
Comme souvent, quand on pense avoir soulevé une question scientifique
intéressante dans un domaine qui n’est pas tout à fait le sien, on s’aperçoit que
quelqu’un a déjà traité le problème ! En fait, de nombreuses équipes de
recherche ont planché sur cette question, à partir de la fin des années 70.
Chacune de ces études regroupait un nombre relativement restreint de patients
et analysait la corrélation soit entre leur combattivité soit au contraire entre
leur désespoir et leur survie au cancer. Par exemple, une étude portant sur 57
patientes atteintes de cancer du sein suggérait que la combattivité avait un effet
positif sur la survie (Greer et al. 1979). Mais le nombre restreint de patientes
testées, la façon biaisée dont les questions étaient posées et l’absence d’un
groupe témoin approprié étaient autant de problèmes qui n’auraient pas dû
permettre à cette étude d’être publiée. Vingt ans plus tard, une étude large,
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 37 sur 94
incluant 578 patientes atteintes de cancer du sein, des groupes témoins
appropriés et des questions non biaisées démontra que le degré de combattivité
n’avait aucun effet sur la survie des patientes (Watson et al. 1999). Enfonçant
le clou, c’est en 2002 que fut publiée une méta-analyse de 26 études (cancer du
sein dans la moitié des études), regroupant l’ensemble des données de 4946
patients et permettant d’avoir des chiffres beaucoup plus importants pour tester
la question de la combattivité (« mesurée » pour 1454 patients) (Petticrew et al.
2002). Là encore, la conclusion est que non, rien ne permet d’établir une
association entre la volonté de s’en sortir et la survie effective ou l’absence de
rechute du patient.
Au delà de cette conclusion négative importante, les auteurs conseillent donc
aux patients de ne pas s’imposer à eux même une attitude psychologique qui
n’aura pas d’influence sur leur propre survie. Ne pas se mettre la pression. Ne
pas culpabiliser si on n’arrive pas à avoir, en toutes circonstances, l’instinct
guerrier contre la maladie.
Pourtant, ces conclusions vont tellement à l’encontre de ce qu’un grand
nombre d’entre nous aimerait penser que les tenants de la psychologie positive
continuent, dix ans après la publication de ces études solides, à distiller cette
idée fausse que la combattivité influence positivement la survie au cancer.
C’est même semble-t-il un exemple type de publications biaisées dans la
littérature scientifique, avec d’un côté des publications qui continuent à
mentionner l’effet de la combattivité alors qu’aucune donnée ne le prouve et de
l’autre côté des conclusions contraires (comme celles de Petticrew 2002),
nécessitant d’être particulièrement solides pour pouvoir être publiées. On peut
lire alors de véritables coups de gueules scientifiques : les derniers articles qui
répètent ce qui est résumé ci dessus, demandent aux tenants de la psychologie
positive d’arrêter de prendre leurs désirs pour des réalités, d’arrêter de mettre
la pression sur les patients et d’accepter, simplement, les conclusions d’études
scientifiques solides (Coyne et al. 2010)
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 38 sur 94
A quoi bon garder le moral, alors ?
Est ce à dire que rien ne sert d’essayer de garder le moral ? Mon avis est que
si, ça sert à quelque chose ! Il faut garder le moral, la bonne humeur, avoir
assez d’humour pour s’amuser des situations cocasses dans lesquelles les
circonstances, la maladie peut nous mettre. Pourquoi ? D’abord pour
supporter soi même ces circonstances, rester digne pour soi même, être fier de
pouvoir rester digne, se trouver soi même pas si inintéressant que çà. La
déchéance physique est déjà tellement une source importante d’abattement que
le bon moyen de ne pas se laisser abattre mentalement est de dresser un
contrefeu d’humour et de bonne humeur. Mais surtout, il s’agit du moral des
autres, les proches. On se doit de les préserver et ne pas rajouter, sous leurs
yeux inquiets, à une possible déchéance physique une déchéance morale qui
pourrait les plonger, eux aussi, dans le marasme psychologique. Si ça se passe
mal pour vous, vos proches vont rester principalement avec le souvenir que
vous leur aurez fabriqué, un peu au cours de toutes ces années mais surtout
durant ces derniers mois. Autant essayer de leur laisser de belles images.
Mais, quoiqu’il en soit, nous, patients, devons revendiquer le droit de craquer
de temps en temps. Cela ne changera rien à la conclusion, ça peut libérer d’un
certain poids, permettant ainsi de faire à nouveau bonne figure le lendemain,
vers les autres et vers notre miroir.
Jérôme Buard (2013).
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 39 sur 94
J’ai moi-même toujours essayé de garder un bon moral. J’ai supprimé les
somnifères et autres anxiolytiques. Je ne prends plus que des antidouleurs.
— Menteur, tricheur !
Qu’il me fait, le petit diable, derrière mon oreille droite.
—Quoi ? Balbutiai-je ?
— Oui, et le Whisky, le soir, en toute discrétion… Et le verre de vin à table,
pour accompagner tes radis. Et Loulou, le chat qui te câline. Tout ça, c’est pas
des tranquillisants peut-être ? Oui, je l’avoue. Mais c’est pas remboursé par la
sécurité sociale. Ca vous coûte pas un rond.
A ce propos, je voudrais dire un petit mot sur notre système de santé français.
Je suis bien placé pour en profiter pleinement. Tous ces personnels soignants,
professeurs, médecins, chirurgiens, infirmières, manipulatrices, brancardiers,
aides-soignants, kinésithérapeutes, diététiciens, et personnel administratif. Ces
gens-là travaillent pour nous, les accidentés de la vie, pour vous, les familles,
les amis, les associations, qui portez le fardeau de l’accompagnement
nécessaire. Je peux citer aussi les équipements, la prise en charge financière et
le suivi par des équipes compétentes et dévouées. Alors, continuons à râler pour
ce qui ne marche pas. Mais prenons conscience que nous sommes dans un beau
pays.
Je vous assure que j’ai rien pris. Mais dites-le moi, si j’en fais trop, je
reprendrai mes tranquillisants. Hihihihih…
J’ai rendez-vous mercredi 7 juin avec le Professeur Garrel pour les résultats du
scan post-traitement.
Bon Weekend de la Pentecôte.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 40 sur 94
CHAPITRE 12
L'OMBRE
Interdit aux âmes sensibles et aux moins de 18 ans.
Oui, je sais, l'avertissement est un peu racoleur. Mais comprenez-moi, je
perds des lecteurs. Quand ça va un peu mieux, les gens vous lâchent. Alors je
vais me rattraper.
Ces dix derniers jours m’ont été particulièrement pénibles. Moi qui croyais
avoir déjà ressenti le niveau de douleur maximum, lors de mes péripéties
chirurgicales et effets secondaires de radiothérapie récente. J’étais loin du
compte. Tout ça est très subjectif naturellement. En tout cas, en ce qui me
concerne, lors de ces derniers jours, j’ai atteint le seuil du supportable. Cris de
bébé et perte de connaissance. Pour trois fois rien, en plus. C’est ça, la perte de
dignité. Vous contrôlez plus rien.
— Bon alors, accouche !!
Justement c’est un peu comparable, m’a-t-on dit.
Il faudrait utiliser un Pupillomètre, pour comparer. Un instrument
révolutionnaire qui mesure la douleur selon la dilatation des pupilles.
Sauf que dans mon cas, ce n’était pas pour la bonne cause. Je cumule, vous
comprenez.
Un peu comme le type qui sort de chez son oncologue, apprenant qu’il lui reste
deux mois à vivre. Il se casse les deux jambes dans l’escalier de l’hôpital. Et on
lui apprend qu’il devra rester dans un fauteuil pendant ces deux mois qui lui
restent. J’exagère. Mais c’est pour que certains comprennent. Une angine,
quand tout le reste va bien, c’est « Peanuts ». Mais, en même temps, si vous
avez un cancer de la gorge, c’est pas de chance.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 41 sur 94
Pour ceux qui n’ont pas lu mes chapitres précédents, je suis dans un contexte de
post traitement, chirurgie et radiothérapie, pour un carcinome adénoïde kystique
de la parotide droite, avec ablation du nerf facial (paralysie) et effets
secondaires importants. J’ai perdu 25 kg.
Bon, je commence.
Dans la nuit du 4 au 5 juin, des douleurs modérées. Je ne m’inquiète pas. Ca fait
partie de mon quotidien. Je ne suis pas allé aux toilettes depuis dix jours. Mais,
ne mangeant que très peu, c’est logique. Et puis, ça persiste et m’empêche de
me reposer. Direction, les toilettes. Une fois. Deux, trois, quatre…Je ne me
rhabille plus.
Rien, macache, walou, que t’chi, niet, ca vient pas.
Je suis emmerdé. Ah ! Commencez pas à rire !
Retour au lit. J’ai dû faire six aller-retour. Je me résous à prendre du Microlax
(pour les connaisseurs.) Pas mieux. Mais, alors, les douleurs s’intensifient.
Toujours pas d’exultation. Je m’angoisse. Cette situation m’est déjà arrivée, de
mon vivant. Mais s’est toujours bien terminée.
N’en pouvant plus, je prends une nouvelle initiative. Lavement Normacol. C’est
un peu comme la soude pour déboucher un évier. On ne fait plus dans la
dentelle. Il faut fermer les chiottes à double tour. Après, si ça marche pas, y'a
plus que la perforeuse… Mal m’en a pris.
Les douleurs, dans ce cas, c’est normal. Ce sont les contractions qui permettent
d’évacuer.
Ca commence à venir. Puis ça s’arrête. Terminus. Tout le monde descend. Je
suis coincé. Je ne peux plus marcher. Le moindre mouvement est une torture. Je
demande à ma fille d’appeler SOS Médecins.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 42 sur 94
— Pas question, qu’elle me dit.
Elle sent que quelque chose ne va pas. Elle appelle le SAMU. Pour une
occlusion, c’est trois quart d’heure d’attente. On est pas dans l’urgence absolue
paraît-il. Elle prend l’initiative de m’emmener directement aux urgences de la
Clinique du Parc, près de chez moi. Je hurle au moindre mouvement du
véhicule. C’est un bon test pour vérifier la qualité de vos amortisseurs.
J’engueule ma fille. Elle me répond :
— Moi aussi, je t’aime Papa.
Arrivé aux urgences. Je suis pris tout de suite. Ils ont un cinquième sens, pour
ça, les urgentistes. Au premier coup d’œil, ils ont vu que c’était pas du social.
L’urgentiste m’accompagne. Je suis sur brancard. Cabine des urgences. On
ferme les rideaux. Ma fille est reconduite.
Infirmières et médecin sont sur mon dos, si je puis dire. Moi, sur le côté.
Elle s’y prendra à plusieurs reprises, lavement à l’appui. C’est trop profond
qu’elle dit, le médecin (c’est une femme). J’ai, malheureusement, découvert
cette violence intime. Cette fois-ci pour la bonne cause.
Ca sort. Elle a jamais vu ça. Énorme. C’est une occlusion rectale. Je ne suis pas
soulagé pour autant. Une partie de mon anatomie en a profité pour ficher le
camp. Tout est à l’extérieur. Il faut tout repousser vers l’intérieur. Et c’est
reparti. J’ai réveillé tout le quartier. Mais je ne sais plus quelle heure il était.
La pression est enfin redescendue. Je n’en mène pas large. Je frissonne. On
prend mes constantes (température, tension, oxymétrie). Qui ne le sont pas du
tout, d’ailleurs. Ca sent l’infection.
— Monsieur ! On vous emmène au scanner pour un contrôle.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 43 sur 94
Moi qui pensai en avoir terminé. Une bonne nuit de repos et je redis bonjour à
mon carcinome. C’est raté. Je dois avoir un air déçu. La doctoresse,
sévèrement :
— Il était moins une. Votre fille vous a peut-être sauvé la vie.
C’est alors l’urologue qui vient me voir. Vous ne voyez pas le rapport. Moi non
plus. Patientez. Vous saurez.
— Vous avez un calcul. Un très gros, qu’il me dit. Quatorze millimètres de
diamètre. A la jonction pyélo-urétale.
Pour le dire plus simplement, le calcul obstrue la sortie du rein gauche sur
l’uretère chargée d’évacuer les urines vers la vessie. Le rein s’est bloqué. Ce
qui a provoqué une infection sévère. Il faut intervenir rapidement. Celle-ci
consistera à la mise place d’une sonde 2J. Une sorte de tuyau, bouclée aux deux
extrémités, fixée entre le rein et la vessie. Tout se fait par les voies naturelles.
Oui c’est petit pour faire entrer un tuyau de 25 cm en double crosse.
Heureusement, c’est sous anesthésie générale.
Je me réveille. On me ramène. Je vais mieux. Les puissants antalgiques ont fait
de l’effet. L’urologue vient me retrouver deux heures plus tard. Je ne le sens pas
de très bonne humeur. Il a peut-être des soucis personnels. Pas du tout.
— Monsieur, me dit-il, on n’a pas pu réaliser les actes chirurgicaux prévus.
C’est inaccessible. J’ai essayé de perforer le calcul, pour faire passer la sonde.
C’est un échec.
On recommence dans deux heures par une autre méthode, avec le chirurgien
néphrologue.
Dans l’urgence et la perspective d’une aggravation fonctionnelle, il va réaliser
une néphrotomie, sous contrôle en monitoring. Cette intervention se réalise
sous anesthésie locale. Je vais tout voir. On installe une sonde par perforation
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 44 sur 94
dans le dos au niveau du rein, afin d’évacuer des résidus de calculs et urine vers
une poche externe.
Si ça se dégage, on retentera, vendredi, la pose de la sonde double J. Cette fois-
ci je suis là pour un moment. Mais peu importe. J’ai beaucoup moins mal.
Vendredi 9 juin.
Nouvelle intervention. Nouvelle anesthésie. On va retirer la sonde de
néphrotomie et placer la sonde double J. Celle-ci court-circuite l’uretère
gauche, afin d’éliminer plus facilement le calcul se désagrégeant. On en profite
pour mettre en place une sonde urinaire. Vous savez, celle sur laquelle il ne faut
pas se prendre les pieds.
Deux heures et demi plus tard, je suis à nouveau en chambre, flanquée de deux
sondes et tous les tuyaux du cathéter. Ca me ramène aux souvenirs de
décembre.
Je vous résume le lien de cause à effets de mes déboires.
Calcul présent dans mon rein depuis plusieurs mois, grossissant dans le temps.
Dilatation de l’uretère et blocage du rein gauche. Infection rénale provoquant,
par réaction, une rétractation intestinale. Colite néphrétique. Occlusion
intestinale
La suite aurait pu être la grande porte vers ailleurs.
Le caillou est toujours là. Il faudra, au minimum, plusieurs semaines pour le
résorber.
Lundi 13 juin
Je sors aujourd’hui. Ce n’est qu’un au-revoir. Il faudra retirer la double J.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 45 sur 94
Il y a deux choses qui me chiffonnent. Le rendez-vous avec le Professeur Garrel
a été reporté. Il devait m’annoncer les résultats du traitement radio. C’est remis
à plus tard. La seconde, c’est que, quand ça va mieux, ça va toujours pas. C’est
comme une automobile. Quand vous commencez à changer des pièces et que
les problèmes s’accumulent, au bout d’un moment, votre vieux tacot, vous
préférez en changer. Parce que vous n’avez plus confiance en lui. J’ai pas tant
de kilomètres que ça au compteur. Cela dit, je commence à douter. Une ombre a
fait son apparition. Mais quand il y a une ombre, c’est qu’il y a du soleil
quelque part. Ma fille a montré qu’elle pouvait revêtir l’habit de futur médecin.
Et je suis toujours là, à faire le rabat-joie.
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CHAPITRE 13
COMING OUT
Je suis né au mois de mars, juste avant le printemps. Je dis cela car je
suis un prématuré. Sept mois. J’aurais pu être un Taureau. Combattant. Un « sûr
de lui ». Au lieu de ça, je suis un Poisson. Inquiet. Sensible. Tourne en rond.
Y'a pas de hasard. Arrivé en avance. Ca m’a aidé. Toujours ponctuel. Avant
l’heure aux rendez-vous. Y'a pas de hasard. J’étais quand même très fragile.
Intoxication alimentaire. A l’époque, pas de date sur les œufs en vrac. Mes
frères et moi, tous malades. Ambulances, hôpital… mais moi j’ai payé les
complications, je ne suis pas rentré tout de suite à la maison. Ca a duré. Mes
premières dettes médicales.
Argenteuil, square Locarno. Vie de famille ordinaire, du moins c’est ce que ma
mémoire me souffle. Les enfants, nous étions dix. Des parents aimants, mais
fatigués du chagrin que provoque la perte d’un pays d’enfance. La Tunisie,
réclamait déjà l’émancipation d’une France, tout juste sortie de la nuit, mais
encore dans le brouillard.
Ils nageaient entre deux eaux, Maman et Papa. Le souvenir de leur bonheur
ensoleillé ne comblait pas ce vide d’une banlieue encore humaine, mais déjà
grise de cette région tempérée, dont l’odeur de bitume à peine refroidi hante
encore aujourd’hui mes narines. Le souvenir c’est d’abord le parfum. L’odeur.
Nous étions tous là, maintenant ; même si une partie d’entre nous allait quitter
rapidement le cocon familial. En chemin, Papa nous tenait la main. Nous étions
quatre, chacune de nos mimines se relayait pour attraper un doigt de notre papa.
Papa, c’était « Le Vieux » de Daniel Guichard. Pardessus râpé et tristesse
infinie de nous confier à Sarah, la Directrice de notre nouvelle maison.
Une maison d’enfants dans laquelle il faudrait grandir un peu plus vite.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 47 sur 94
J’avais sept ans. Je suis sorti à dix neuf ans. Je ne m’attarderai pas sur cette
période. Pas de mauvais souvenirs. Pas de très bons non plus. Sauf, les
vacances à Marseille, tous les ans. Les premières amours. Les premiers vents
aussi. Pas les derniers. J’ai grandi sans faire de bruit. Sage comme une image.
Ayant acquis cette assurance crasse des ados orgueilleux de leurs flirts
naissants. Je m’en rends compte aujourd’hui. Maman et Papa sont partis vite,
très vite, sans nous avoir donnés les codes. Il m’en reste, depuis, la sensation
de n’être jamais à ma place en société.
Dimanche 02 Juillet
— Monsieur ! Billet s’il vous plait !
Je me suis endormi. Dans le train pour Paris. Je vais chez ma sœur. Tant de
personnes à voir. Ma famille, mes amis. Et la rencontre à l’Institut Gustave
Roussy. Entre patients souffrant des cancers ORL rares, des intervenants
soignants et chercheurs. Organisée par l’Association CORASSO.
Lundi 03 juillet.
Superbe journée. Beaucoup d’interventions. J’en recueille essentiellement la
force de notre rencontre informelle. Voir tous ces visages ne démentant pas
l’impression virtuelle de nos échanges sur les forums sociaux. Sabrina, Tijana,
Jean-Marc, Sami, Marion, Christine, Chantal et j’en oublie. Tant d’histoires
particulières, de peur, de souffrances et d’espoirs quelquefois. Je ne l’ai pas
ramenée. Ca vous cloue le bec du plus doué des boute-en-train. Je n’étais pas
très avenant, il est vrai. Ma sonde associée à ma lithiase en sentinelle m’a
rappelé à l’ordre des précautions nécessaires. Boire beaucoup (de l’eau) et faire
pipi souvent. Malgré mon verre de whisky avalé à la hâte et deux tramadol de
50mg, je n’en menais pas large. Mais j’ai fait bonne figure. On m’a trouvé
plutôt en forme. La Bourse (les) en baisse, liée à une vessie encombrée, le tout
associé à un CAK 40 (Carcinome Adénoïde Kystique) en berne, ca vous gâche
une journée !
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Plus tard, ma sœur m’a reçu comme un prince. Elle, comme une mère, une
amie, une infirmière et une sœur. Puis mes frères, mes nièces, mes amis. Tous
là. Pour moi. Je n’ai pas mérité tout ça. Je suis juste malade. Beaucoup d'autres
ont payé cher cette année. Comme disait Coluche, les héros c’est ceux qui sont
toujours là. Les autres, ceux qui sont partis. On les pleure et parfois on les
oublie. C’était pour vous détendre avant les vacances.
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CHAPITRE 14
LE FIL
J’espère que vous profitez bien de l’été. Les poissons, eux, ne prennent
pas de vacances. Surtout avec le crabe à l’affut. Vous me direz, ils sont à la mer
toute l’année, ceux-là. Bon, mais les vacances c’est pas ça. Les vacances, c’est
partir. C’est, changer d’air, changer de peau. Les câlins à volonté, si c’est
possible. Pas ennuyé par les soucis quotidiens. Ou moins. Même les chômeurs
ont droit aux vacances. S’ils peuvent bien sûr. Pas les poissons. Pas les
malades. La sécu, elle veut pas. La double peine. Ou alors, il faut faire un
courrier bien argumenté pour sortir du département. En même temps, comme
dirait notre président, il y a tellement d’abus.
Par exemple, l’autre fois, j’ai vu un poisson essayer d’attraper un fil pendu à
une espèce de bâton. Il s’amusait comme un fou, gigotant, tournoyant, mordant
avec ténacité cette cordelette et dont un monsieur très énervé avait du mal à se
débarrasser, même en tirant de toutes ses forces. Si c'est pas abuser de la part du
poisson. Justement, comme je ne suis pas en vacances. Je suis chargé de la
garde des poissons. Ils s’appellent Roma et Nichel. Non, rien à voir. Ils sont
plutôt sédentaires. Ils sont à Romain et Johanna. Ils ne sont pas en vacances. Ils
travaillent. Mais comme j’ai l’air de rien faire de la journée, je suis de planton.
Vous allez voir qu’ils vont les abandonner, l’air de rien. Ni vu, ni connu,
j’t’embrouille. On m’a déjà fait le coup pour les chats. Ne soyez jamais
malades. Ne prenez pas votre retraite. C’est un calvaire. Je vais partir à
l'étranger avant qu'ils aient des enfants. Le papy gâteau. Manquerait plus que
ça.
A propos de bête. J’ai aussi regardé une scène révoltante à la télé. Unes espèce
de vache en furie fonçant sur un malheureux jeune homme déguisé, essayant de
se défendre comme il pouvait avec une espèce de cape rouge. L’animal était
tout rouge de furie, sanguinolent de colère. Il y avait du monde tout autour et
personne n’intervenait pour défendre l’imberbe innocent. Celui-là n’était pas en
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 50 sur 94
vacances non plus, je suppose. Lequel vous allez me dire ? Je parle du bovin
bien entendu.
Mon médecin non plus, n'a pas pris de vacances. Il a fait un AVC. Rassurez-
vous, il va relativement bien. Il est venu me voir pour m’apporter mon dossier
médical. Toutes les notes sur des fiches « Bristol ». Il est de l’ancienne
génération. Il goûte peu l’informatique. Mon doc, il ne peut plus exercer. Il s’en
va avec mes petits secrets. Vingt deux ans, qu’il m’ausculte. Il va me manquer.
Qui va pouvoir reprendre le fardeau ?
Je n’ai plus aucune raison de me plaindre. Mon caillou a fichu le camp.
Hospitalisation ambulatoire. Une double J pour évacuer le sable restant et deux
semaines plus tard, le 7 août, retrait de la sonde. Enfin libéré. Ceux qui ont déjà
eu des coliques néphrétiques savent de quoi je parle. Concernant mon KC. Je
sors la tête de l’eau, si je peux dire en tant que poisson.
Petit rappel succinct :
Les cancers ORL rares peuvent atteindre : langue, mandibule, plancher buccal,
joue, palais, lèvres, amygdale, voile du palais, larynx, corde vocale, pharynx,
sinus, nez, fosse nasale, base du crâne, orbite, glandes salivaires principales
(parotides) et secondaires, oreilles. Ils sont rares dans la mesure où ils touchent
moins de 6 nouveaux patients pour 100 000 habitants par an, ou dont la
complexité impose une prise en charge hautement spécialisée. Ces cancers,
souvent mal connus car peu fréquents, sont difficiles à diagnostiquer et leur
traitement n’est pas toujours consensuel. (Source REFCOR). lls ne sont pas la
conséquence d’une pratique ou un comportement particulier (Tabac, Alcool,
nutrition, etc.) Ceux-ci sont fréquemment agressifs et ont des conséquences
redoutables au quotidien. Perte de goût, difficultés de déglutition, paralysie
faciale, douleurs, acouphènes, pertes de la voix, atteintes osseuses nécessitant
de la reconstruction, pose de canule, greffe, etc. Certains malades pourraient
faire partie du club 14-18 (les gueules cassées). Il faut y ajouter les effets
secondaires à court et à long terme des traitements. Chirurgie, Radiothérapie et
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 51 sur 94
chimiothérapie. En ce qui me concerne, c’est la parotide droite. Elle ne
m’embête plus celle-là. Elle est aux États-Unis pour un test moléculaire. (Pas de
nouvelle, bonne nouvelle ?) Reste ma paralysie faciale. Malgré mon assiduité
aux séances de kiné faciale, je ne perçois pas de progrès. Ma demi-face
immobile me fait ressembler à certains portraits de Picasso. Je persiste à écrire.
Je continuerai après ma rémission. Pas pour mon cerveau. Ni pour mon cœur.
Celui-là, il répète tout à mon cerveau. Non. Pour mon ventre d’abord. Il
m’embête tout le temps. Ca ne date pas d’hier. Ca fait des années. Depuis
toujours peut-être. Ceux qui me connaissent bien le savent. Alors écrire
m’apaise. Comme un gant chaud qu’on pose sur son nombril. Un verre d’alcool
qui fait fuir ses appréhensions. Un massage qui câline ses intestins. Et puis pour
vous. Qui m’encouragez à poursuivre. Qui prenez plaisir à me lire. Car c’est
l’essentiel. Le contenu importe moins que la façon de l’écrire. Si vous me
suivez, je vous emmènerai vers un petit peu de bonheur en plus.
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CHAPITRE 15
COMING OUT (2)
J’avais envie d’un croissant ce matin. Quatre cents kilocalories, qu’ils
disent sur Wikipédia. Pas la peine de vérifier. N’oubliez pas que c’est un
roman. Bon, pas tout à fait encore. Il faut que j’utilise le « il » ou le « elle » à la
place du « je ». Vous le savez. C’est pas si simple. Puis, il faut écrire « Ce n’est
pas si simple ». Mais ça ne me plaît pas. C’est mon côté illettré. Illettré mais
pas Analphabète. Les dicos, c’est pas fait pour les chiens. Je fais une fixation en
ce moment.
Je m’étais dit, ça fait quand même beaucoup de joules, un croissant. Je vais
transpirer sur mon tapis de course pour anticiper les conséquences de ma
gourmandise. J’ai fait quatre kilomètres de marche rapide, inclinaison à six
pour cent. Les habitués du cardio comprendront. Quatre cents kilocalories
dépensées. Pour une viennoiserie. Vous voyez, il faut en avaler des kilomètres
pour perdre quelques livres. Vaut mieux s’arrêter de manger. C’est plus
efficace. C’est ce que j’ai fait, à un moment. Involontairement bien sûr.
Pour revenir à mon petit déjeuner. J’étais content de moi. Je m’apprête à avaler
ce croissant bien mérité. Arrrh… ça passe pas. J’ai perdu quatre cents calories
pour rien. Quatre kilomètres de marche rapide et aucune récompense. Alors,
vous vous demander sûrement :
— Que peut-il avaler ?
— Non ?
— Je vais vous le dire quand même. C’est mon journal !
— Restez, je vous en prie !
Pour les boissons : vins, whisky, bières, cognac, etc. C’est pour ça que je ne
peux pas me convertir à l’Islam. Ils ont refusé ma présence au sein des
alcooliques anonymes. C’est vous dire. Mon cas était hors limite.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 53 sur 94
Ce qui ne passe pas : eau, tisanes diverses, thé. Vous voyez, ces trucs pour les
malades, les bobos parisiens, les anglais, les marocains, les indiens et les
chinois. Ca fait du monde, vous me direz. Les trois quarts de l’humanité…
Éventuellement, un bon grog, mais avec beaucoup de rhum. Pour les aliments :
super, en ce qui concerne les lasagnes, cannellonis, risotto, frites, hamburgers,
etc. Ce que je ne peux vraiment pas manger : choux de Bruxelles, salsifis,
blettes, légumes en général. Vous êtes sceptiques ? D’accord, je me rends. Et
ça, vous le croyez :
« En dehors de ses collègues de travail, peu de gens connaissent son métier.
Celui qu’il exerce jusqu’au mois de novembre 2016. Il est formateur pour
adultes handicapés. Dans la première partie de sa carrière, Sa mission est
d'aider les personnes orientées vers les métiers de la maintenance électronique
et informatique, à en acquérir les compétences nécessaires. Affecté ensuite, en
Centre de Pré-orientation, Il réalise des bilans de compétences au sein d’une
équipe pluridisciplinaire, afin de permettre à ce public spécifique, d’élaborer un
projet professionnel. En lien avec leur pathologie, bien entendu. Quand
monsieur GARREL, son chirurgien, lui demande s’il compte reprendre son
activité après la maladie, Monsieur PAGES n’est pas très enthousiaste à cette
perspective. Le médecin argumente :
— Vous seriez bien positionné à l’égard de ces personnes. Sans nier leurs
difficultés, par le discours votre propre expérience et bénéficiant d’un
certain crédit, vous pouvez les persuader de développer leurs compétences,
malgré leur parcours, parfois chaotique.
Comme c’est bien dit, se dit-il.
— Mais non. J’ai déjà donné, marmonne-t-il, d’une voix enrayée
d’Aquoiboniste.
Bon, alors pourquoi ce nouvel épisode « Coming Out » ?
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 54 sur 94
Ben, je vais balancer. Planquez-vous, mes amis, mes proches, mes ex, etc. Les
dicos, les assassins des causes « bidon » ne doivent pas souvent les ouvrir. Je ne
les nomme pas terroristes. C’est trop gentil. Pendant l’occupation, les nazis
désignaient les résistants de cette manière. Les mots peuvent faire des maux. Je
commence mal. Un peu agressif. C’est pas contre vous. Je suis énervé. Frustré.
Les évènements dramatiques se poursuivent. Turku, Cambrils, Barcelone. Je
rigole plus. Je pleure en regardant les images de Barcelone. Tellement proche.
Touché comme j’ai pu l’être, pour Paris ou Nice. Vais-je le dire ? Puis-je
encore dire ça ? Je ne sais pas. Alors je vais le faire avec les précautions
nécessaires. Je vous préviens, les racailles qui se prétendent musulmans et qui
provoquent ces attentats. Aux Soutiens de tout bord. Les « qui relativisent sans
nommer les choses », comme les pacifistes d’avant guerre. Ceux qui veulent
mettre, face à face, les tueurs et leurs victimes. Les intellos du net qui,
lâchement, réclament, une compréhension psycho-socio-politico-économique.
Vous ne méritez ni compassion. Ni miséricorde. Je m’en fous. Je ne risque rien.
Ma famille est très éloignée. Mes amis me détestent. J’ai répudié mes enfants.
Je suis seul au monde. Je suis malade. Et mes jours sont comptés. Oui, bon,
vous aussi, vous me direz. Du moment qu’on est né, dirait Souchon. J’ai été
élevé dans ma petite enfance, bercé par les musiques de Oum Kalthoum, Farid
El Atrach, Warda, Doukha, aux côtés de Aznavour, Franck Alamo, Dalida,
Johnny Halliday, Christophe et d’autres. Donc voilà, je suis plutôt un gars du
Nord. Du nord de l’Afrique, je veux dire. Je n’ai donc pas d’a priori comme on
dit. Mais ces gens-là, disait Brel. Qu’on appelle individus et qui affirment agir
au nom de leur prophète, ils me font chier. Remarquez, ça m’arrange en ce
moment. Pourtant, je suis plutôt contre la peine de mort. Mais, si leur suicide ne
m’affecte pas, ça évite la paperasserie, il me contrarie quand il entraine le
malheur des autres. Ma bienveillance en a pris un sale coup. Bon j’arrête là.
C’est ainsi qu’on attrape un cancer.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 55 sur 94
CHAPITRE 16
腹切り HARA-KIRI
Aux moments compliqués, tu t’agrippes à ton fil. Tu sais, celui qui
t’empêche de tomber. Mais si. Tout le monde en détient un. A chaque période
de sa vie. Qu’on soit nourrisson, enfant, adolescent, jeune mature, ou solide
adulte, vieillard. Il n’y a pas d’âge pour cela. On n’existe pas tout seul. Ou sans
rien. Quelqu’un le tient, ton fil. Ta mère, ton père, ton oncle, ton frère ou bien
ta cousine. Un ami, une voisine. Celle ou celui que tu as laissé partir sans avoir
oser lui parler. Et que tu passes le reste de tes jours à chercher. Ta chatte, ton
chien. Ou quelque chose. Tes photos, tes souvenirs. Ta collection de voitures
anciennes. Tes broderies. Ton Dieu ou tes croyances. Tu n’existes que par ce
qui t’entoure.
Vous savez, il ne fait pas bon être seul. Surtout si en plus on les additionne, les
emmerdes. Attention, je ne dis pas « isolé » ou « solitaire ». Seul. Vraiment
seul. Sans fil, quoi. Mon fil à moi, c’est ma fille. Elle est là. Quoiqu’il arrive.
Elle peut être éloignée, occupée. Sollicitée, énervée, désagréable, inquiète. Mais
elle est là. Elle le tient, mon fil. C’est comme ça. Bien sûr, il y a la famille, les
amis, vous mes lecteurs fidèles et bienveillants. Mais, chacun doit tenir son
propre fil. Un peu isolé, je l’étais, ce mois d’août. Mais pas seul. Il y avait mon
fil. Je suis tout de même content de la fin de l’été. Les vacances, c’est comme
les fêtes. C’est pas terrible, quand on n’y est pas. Tu me diras : « tu es en
vacances toute l’année, toi. Dans le Sud. Au bord de la mer. Et pour ne rien
gâcher, tu ne travailles pas. » Oui, cependant, mes vacances à moi, c’est le
Nord. Paris quoi. Et en banlieue. C’est plus dépaysant. Cela dit, j’ai pas vu
grand monde cet été. A part les moustiques. Nombreux, cette année. Demain, je
reçois ma nièce préférée, tout de même. Non, vous ne saurez pas qui elle est.
J’en ai dix-huit, des nièces préférées. Si, je vous assure. Vous comprenez, je ne
veux pas faire dix-sept jalouses. En même temps, elles n’avaient qu’à venir.
J’aurais eu mes dix-huit nièces préférées à table. Certaines vont « culpabiliser ».
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 56 sur 94
J’adore. Non, je ne vais pas me faire Hara Kiri toutes les semaines. Certains
(sic) ne m’ont pas bien compris. Je tiens trop à ma future mort. Celle de quand
je serai vraiment vieux. Fripé. Déglingué de la ciboulette. A faire fuir. Jusqu’à
la vermine. Hara-Kiri Hebdo, c’est le prédécesseur de Charlie Hebdo. Créé par
François Cavanna, et Georges Bernier (Professeur Choron) père de Michèle,
l’actrice. Ce journal a fait toute mon éducation. Depuis mes seize ans. Alors,
j’en connais un bout, sans me vanter. Les éditions reliées de l’époque. Je les ai
encore. Il y avait Les dessinateurs, avec déjà, Cabu, le créateur de « Mon
Beauf » expression inventée par Cavanna. Wolinski, Gébé, Willem, Reiser,
mon préféré. Et puis les rédacteurs. Ceux qui vous rendent plus intelligents,
même quand vous avez les mauvaises bases. Delfeil de Ton, Isabelle, Choron,
et bien sûr Cavanna. Coluche les avait rejoints, un peu plus tard.
Ils tapaient sur tout, ces gars-là. Mais sans méchanceté aucune. La politique
avant tout. Mais aussi la religion. L’Église en prenait particulièrement pour son
grade. Régulièrement. Et pas avec des pincettes. On ne parlait alors pas de
blasphème. En réalité, ils s’en prenaient à certaines institutions et personnages
publics ayant un peu de pouvoir. Jamais aux personnes. Aux anonymes. Ils
pouvaient se moquer du Pape, mais jamais du catholique pratiquant lambda.
Vous transférez ça aux autres religions et vous avez tout compris. C’est
toujours le cas, je crois. Oui, je suis mélancolique de cette époque. Le souvenir
d’une jeunesse libre et insouciante. Ce qu’ils ont assassiné, c’est aussi cela. Je
soulignais que le terme « terroriste » pouvait être détourné de son sens (Par les
nazis par exemple à l’encontre des résistants). Le mot « résistant » peut subir le
même outrage. Beaucoup d’assassins, de part le monde, se drapent de cette
sémantique. Sans compter, son galvaudage par certains personnages publics.
Bien confortablement installés dans ce pays qui n’a pas connu de guerre sur son
sol depuis des décennies… Jusqu’aujourd’hui, bien sûr. Et arrêtez de vouloir
absolument me réconforter ! Je ne suis pas dépressif. Je vous enterrerai tous,
croyez-moi ! Je profite juste de mon temps libre, à défaut de pouvoir partir en
vacances, pour exprimer quelques sentiments. Il vaut mieux les mettre sur
papier, je vous assure. Sinon, on ne sait pas comment ça peut finir.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 57 sur 94
Un jour, Dieu était encore seul. Il s’ennuyait car il n’avait pas encore créé le
ciel, ni la terre et toutes ses créatures. Le problème, c’est qu’il ne savait pas
encore qu’il était Dieu. Eh non. Personne ne lui avait jamais dit. Vu qu’il était
tout seul. Il ignorait donc qu’il détenait ce pouvoir de création qu’il lui permît
de réaliser son œuvre. (D’après « Les aventures de Dieu » de François
Cavanna.) Je te laisse réfléchir à ça. Je vais encore me faire des amis, par les
temps qui courent. Enfin, par les temps qui tuent.
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CHAPITRE 17
LÂCHER DE BALLONS
J’attendais d’avoir les résultats de mes examens de suivi, le 25 du mois,
pour vous donner des nouvelles. Mais je suis trop sollicité, vous voyez. Oui,
oui, je sais, le succès a un prix. Tiens, tiens, j’ai une petite tâche sur mon nez…
Il faudra que je voie mon esthéticienne. Bon, je m’la raconte. Vous aussi,
quelques fois j’en suis sûr. Il faut tout de même que je fasse attention. Le mythe
de Narcisse se termine mal. Tant pis. Vous en saurez plus au prochain épisode.
Je fidélise, vous comprenez. Je voulais aussi fêter mes « un an ». Oui cela fait
maintenant un an que je me fais dorer la pilule. Qui, aux actes délicats de
charmantes infirmières. Qui, aux massages faciaux revigorants par mon kiné
spécialisé. Qui, aux soins très particuliers de mon urologue. Qui, aux regards
envoutants de ma doctoresse des pupilles. Qui, au sourire rarissime de mon
dentiste préféré. Qui, aux manipulatrices habiles et thérapeutiquement
rayonnantes. Qui aux bons soins et attentions de mes proches et amis. Juste une
illusion ! C’est pas une chanson. C’est la signification originale de l’expression
« se faire dorer la pilule. » J’y peux rien. Me voyant plutôt en relative forme,
on me demande souvent si je suis guéri. Je ne peux acquiescer, pourtant.
D’abord, il y a la paralysie faciale. Quand elle est la conséquence de la
résection totale de la branche VII du nerf, et c’est mon cas. Et que l’on vous
dit : « Oh, ca, c’est rien, je l’ai déjà eue ». Eh bien, vous ne pouvez que sourire
à moitié. Au sens propre comme au figuré. (Elle est pas mal, celle-là. Je l’aime
bien). Et puis il y a le manque de salive. Ah, je bave plus maintenant…
Impossible d’avaler du trop sec, du trop dur, du trop épais (le pain).
Comme je le disais, il y a quelques mois, le carcinome adénoïde kystique de la
parotide, on ne s’en sort jamais vraiment. Oui, le CAK est plutôt rare quand il
atteint les glandes salivaires. Il l’est d’autant plus quand il atteint la glande
salivaire principale, à savoir la parotide. Sa progression est lente. Ca, c’est une
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 59 sur 94
bonne nouvelle. Mais il est tenace. Il ne lâche pas le morceau, si je peux dire. Il
a la particularité d’accrocher les gaines nerveuses et de se propager ainsi. Très
localement. Du moins au début. Mais après traitement et rémission, il repart à la
charge, in situ. (60% des cas dans les dix huit mois qui suivent). Et puis il y a
les échappées. C’est à dire, quelques nodules à distance. Les poumons, d’abord.
Puis le foie, les reins, les os… Mais, le meilleur, c’est le lâcher de ballons. Ca
pourrait être une belle image. Mais là, non. Ca fait flipper. C’est un lâcher de
métastases. Heureusement, on reste sous contrôle. Voilà pourquoi le suivi est
rigoureux. Scanner, IRM, tous les trois mois, les deux premières années. Puis,
tous les six mois, les trois années suivantes. Enfin, une fois par an, à vie. Je ne
vous donnerai pas le taux de survie, parce que, avec mes amis de Corasso, on
est en concurrence. Et oui, vous comprenez, comme je pense pouvoir m’en
sortir, et vu les statistiques, je ne voudrais pas leur faire de la peine. C’est notre
diabète à nous. Notre SIDA. Une épée de Damoclès sur notre demi-sourire.
Je suis allé à Paris, récemment. Pour fêter les quatre-vingt-dix ans de Sarah,
notre directrice de l’époque. Souvenez-vous. La maison d’enfants, mon père, sa
douleur, mon silence. Vous n’avez qu’à suivre. Je me donne assez de mal pour
qu’on s’intéresse un peu à moi. Bref. J’étais heureux d’y aller avec Hervé,
Laurence, Paul, Claude, Annaïk, Zoé. Plutôt que festif, c’était cérémonieux.
Recroquevillée dans son fauteuil, Sarah n’en gardait pas moins une réelle
énergie que nous lui connaissions déjà, il y a cinquante ans. Avec un discours
des gens qui vous disent comment fonctionne le monde. Impressionnante. Dans
cette assemblée, il y avait surtout les habitués, les anciens. J’ai fait preuve de
prosopagnosie aigue. Si, si, ca existe. En même temps, c’était réciproque. Je ne
fais pas partie du sérail. Inutile de parler des choses qui fâchent. De toute façon,
j’ai fait ma crise. Colique néphrétique ? Crampe intestinale ? On est parti plutôt
que prévu. J’ai raté les friandises et le champagne. Des belles rencontres tout de
même. Philippe, Danielle, Armand, Orly…
Je souhaitais vous dire un mot sur les relations que j’entretiens ces derniers
mois avec les gens (comme dirait Mélenchon) Beaucoup de personnes que je
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 60 sur 94
considérais comme mes amis, ne m’ont jamais contacté depuis le début de ma
maladie. Alors, on me dit : c’est une réaction naturelle de ceux qui ont peur
d’une confrontation avec la personne en souffrance. Ou, qui souhaitent garder
une image positive de celle-ci. Et patati et patala…Il y a aussi des médecins
parmi mes amis. Des gens à forte personnalité. Eux, devraient être capables de
distance avec les évènements, du moins, je l’espère, pour leurs patients. Et puis,
il y a les voisins proches, qui vous évitent du regard, alors qu’on a fait la fête
l’an dernier… Alors expliquez-moi, Docteur, en plus de ma pathologie, suis-je
paranoïaque ? Et bien voilà, cela ne colle pas. Car d’autres proches, avec
lesquels, s’était établie une certaine distance, voire une indifférence, se sont,
eux, rapprochés de moi, depuis. Mon analyse : nous sommes dans une société
de la joie de vivre absolue. Obligatoire. C’est le nouveau code. Ne pas dénoter.
Pas d’ombre. Pas de faux pli. Ne parlons pas des choses qui fâchent. L’époque
du romantisme, de la mélancolie est passée. Onfray, Houellebecq et Polony
n’ont qu’à se rhabiller. On a perdu Claude Villers, Polac et Pivot. Mais on a
Nagui, Ruquier et Patrick Sébastien.
« On va danser, on va chanter … », comme dit la chanson.
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CHAPITRE 18
LE SOUFFLE
Je devrais être heureux. Mais ce n’est pas ce qui m’arrive. Le
contrecoup sans doute. Comme quand vous attendez impatiemment votre
weekend, fatigué d’une semaine éprouvante. Mais le dimanche, vous êtes au lit.
Vous êtes « crevé ». Vous avez tenu cinq jours, sans relâche pour faire bonne
figure. Et puis vous craquez. Plus tard, dans votre intimité. Comme aux
vacances. Vous n’y êtes jamais vraiment, que la deuxième semaine. Avant,
vous freinez, vous patinez, mais vous ne vous arrêtez pas de suite. Moi, ma
semaine, ce fut une année. J’y ai trainé cette foutue saleté. J’y ai emmené du
monde dans mon histoire. Il s’en est passé des maux, des mots, des doutes et
des aventures. Toujours, la gueule cassée en avant. Malgré mes écritures.
Laissant paraître, parfois, de manière détournée, un certain renoncement. C’est
moi qui tiens le gouvernail. Je vous le dis. Blessé, mais pas vaincu. La
démarche faussement assurée, qui fait sourire mes proches. Maintenant, je ne
me contiens plus. Les larmes retenues de cette année perdue, s’en vont
dégoulinant vers cette craquelure. Elles sont comme les mots. Parfois, on ne les
retient plus. Et tant pis pour ma gloire. Tant pis pour mon oubli. Et je vais vous
dire. Je suis en rémission. L’IRM d’aujourd’hui ne montre pas de
développement malin. Juste une persistance d’inflammation, conséquence de la
RTP. Le Scanner est à refaire, car mal ciblé. Ils se sont plantés, les idiots (Je
rigole). Ils ont visé le crâne, au lieu du thorax. C’était pour vérifier les nodules.
Le Professeur GARREL n’a pas l’air inquiet. Moi non plus, du coup. Il reste la
chirurgie faciale. C’est pour janvier. On va chanter, on va danser.
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CHAPITRE 19
LA DÉRIVE
Mercredi 18 Octobre 2017
— Hé ! Bidule ! Tu vas où comme ça ?
— J’en ai ras la casquette de ce foutu monde.
— Misanthrope ! Et tu fais quoi, après ?
— Je pars loin. Plus personne pour m’ennuyer.
— Dis que ce n’est pas vrai. Que tu as le moral dans les chaussettes, mais que
ça arrive. Que demain, y fera jour. Et que tout sera comme avant.
— Je ne peux pas le dire. Fatigué, que je suis.
— Enfin, C’est quoi ton problème ?
— Je m'ennuie. On peut vivre sans plein de choses, oui. Sans maison avec
piscine, sans S.U.V, sans vacances aux Baléares, sans promotion, ni
avancement. Sans passion, non !
— Comment y font, les autres ?
— Ils ont oublié. Je sais pas, moi ! Ils sont morts en vérité. Ils ne le savent pas,
c’est tout.
— Alors, bats-toi, Nom de Dieu !
— Je suis fatigué, que j’te dis. Plus envie…
— C’est mauvais !
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— Je refais la page.
— Quoi ?
— C’est écrituré, scribouillé, dramatisé. On n’y croit pas.
— Pourtant ça peut être du vécu.
— Justement. Les gens se foutent de ta réalité. Ils veulent de l’émotion. Fais-
les rire, pleurer, chanter, danser, crier. Avec des histoires. Avec ton histoire.
Qu’elle soit juste ou inventée ? Cela importe peu. Des salades, ils en
connaissent plein, les gens. Alors la tienne… Non, ce qui compte, c’est
comment tu la racontes. Comment tu la vis au moment où tu la mets sur le
papier. Par exemple :
Horreur, ce matin, du côté de Nîmes. On a retrouvé un jeune adolescent, la tête
plongée dans un abreuvoir à bestiaux ; son pantalon abaissé jusqu’aux chevilles.
Les gendarmes sur place, réalisent les premières investigations. D’après une
source proche des enquêteurs, il s’agit probablement d’un viol, suivi d’un
meurtre.
— Somme toute, ce fut un fait divers épouvantable mais d’une certaine banalité
au regard de la variété des atrocités imaginées sur notre jolie planète. Et si je
vous dis que cette chronique des années quatre-vingts a balayé l’insouciante
tranquillité de nos vingt ans. Qu’elle nous a précipité dans une autre réalité du
monde. Qu’elle a construit en chacun de nous, une sournoise mélancolie,
bousculant notre humeur au hasard de solitaires instants. Nous, c’était notre
bande de copains. Il ne fallut que ce fait divers pour effacer à jamais notre
candide naïveté.
Ca y est. J’ai réussi à accrocher votre attention.
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En attendant, je suis énervé. Les gens ne respectent plus rien. Et surtout pas le
code de la route. Le retour de ma mauvaise humeur est le signe d’une certaine
guérison. Oui, je parle comme un vieux. C’est normal, j’en suis un. Je veux
dire, part rapport à ma fille, par exemple. Et vous aussi mes nièces. Ainsi que
toi, ma toute nouvelle jeune fiancée. Non, là, je rêve, je plaisante. Il faut faire
attention à ce qu’on dit, en ce moment. Et ce qu’on fait. Tiens, je n’ose même
plus sourire à ma voisine. Elle pourrait appeler les gendarmes pour harcèlement
mimique labial. Surtout avec ma paralysie faciale. Alors là, comme disait
Coluche : souris jamais à un flic. Parce qu’il y a outrage. Comme en plus, avec
Monique, on a bien vingt ans de différence, je pourrais être accusé de
pédophilie. Non, non, rassurez-vous. Elle en a quarante. Les gens prennent tout
au sérieux, vous savez. Surtout quand ils croient que vous êtes malade.. En tout
cas, je suis jeune. Si je me compare à mes autres voisins. Moyenne d’âge,
quatre-vingt-cinq ans. Vous voyez, tout est relatif.
Je reviens au code de la route. J’en ai marre de ces conducteurs de gros 4X4 qui
sillonnent les centres ville à toute berzingue. Oui, on ne dit plus 4X4 mais
S.U.V. C’est pareil. Ca fait plus classe, Ils circulent sans complexe et sans
ralentir dans ma petite rue, limitée à trente kilomètre heure. Les ralentisseurs,
ils s’en fichent, avec des amortisseurs en uranium appauvri. Évidemment,
j’engueule surtout les femmes, c’est plus commode. Parce que chez nous, les
hommes sont armés. Non, je ne suis pas courageux. Remarquez, l’autre fois, je
suis tombé sur une dame qui m’a hurlé dessus. Elle avait tort évidemment.
Mais, ça m’a refroidi. Maintenant, je préfère jeter des clous par terre. Ni vu, ni
connu.
— Tu sais la différence entre une serviette hygiénique et un S.U.V que
j’demande à Monique ?
— Elle me regarde, méfiante. Ben non.
— Y’en a pas !
— Ah bon ?
— Ben non. Les deux sont faits pour les trous du cul.
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Bon, elle n’est pas de moi, mais je l’ai transposée. Je vais encore me faire des
amis... Surtout à Castelnau !!
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CHAPITRE 20
HEURE D'HIVER
Bon d’accord. J’ai compris. C'est fait. Je n'ai plus d'amis. Pas seulement.
Plus de famille non plus. Disparue, Monique ma voisine. Défections, mon
médecin, chirurgien, infirmière, courtisane. Adieu mes chers collègues. Et que
dire de l’absence de mon plombier, électricien, vendeur de légumes « Bio ». Ils
me manquent déjà. Oublié, mon banquier. Parti sans laisser d’adresse, mon
huissier. J'ai les témoins de Jéhovah, tout de même. Oui, ils font du porte-à-
porte. Non, non. C'est pas à cause de mon dernier article sur les S.U.V.
D’ailleurs, maintenant, j'adore les S.U.V. Je goûte régalement les Cross-Over.
Une petite préférence, peut-être, pour les Pickup. Je ne vous dirai pas que les
camions-bélier ne me font pas rêver. Finalement, je me dis qu'il vaut mieux
s'engueuler avec les moins nombreux.
Dans ma ville, ce sont les pauvres. Si, je vous assure. Il n'y en avait pas
beaucoup, des indigents, comme moi. Vous voyez, Castelnau le Lez, c’est un
peu le Neuilly sur seine de Montpellier. Le vrai problème, c'est les petites
voitures. Salauds de pauvres1. Mais depuis quelques années, des nécessiteux, il y
en a de plus en plus. Et ils circulent dans ma rue. Les Panda, Logan, Twingo,
Peugeot 208, Toyota hybride et autres Scénic phase 3. Manque plus que les
scooters et les vélos. Enfin, je m'étais acheté un nouveau Smartphone. Vous
savez, la marque pour les poires. Le vendeur m'avait dit : " C'est du solide, vous
verrez. Une voiture peut rouler dessus. Il restera intact." Et que croyez-vous
qu'il arrivât ? Si, si... on l’a fait.
Lancé par Coluche, mais plus tôt, par Jean Gabin dans "La traversée de Paris"
de Claude AUTANT-LARA.
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Une espèce de poubelle à quatre roues est passée dessus. La cata ! Pourtant
j'avais fait une petite analyse physique. Les voitures "Haut de gamme" ont de
bons amortisseurs. Les ralentisseurs, même pas peur, vous pensez. Mon
portable n'y aurait vu que du pneu, si on veut. Mais, là, non. C'est une espèce
de pile roulante, mi- essence, mi- alcaline qui déboule. Aucune finesse, la
caisse. Payée à crédit sur dix ans, j'imagine. Troisième classe. Pas la peine de
draguer, avec ça. On la cache, les dimanches ou les jours de mariage. Tout juste
bonne à se faire conduire par un péquenot, fier d'aller se ruiner la santé au
boulot. Une lourdeur, le tacot. Elle l'a pas loupé, mon ordiphone, la bagnole.
Tous mes contacts écrabouillés. Je suis retourné voir le vendeur. Il m'a regardé,
inquiet.
— Vous êtes accompagné ? Qu'il me chuchote.
— Non, pourquoi ?
— Vous êtes suivi, je veux dire. Vous voyez quelqu'un, insiste-t-il, le
malhonnête.
— J'ai juste une petite affection en voie de rémission. Rien de grave.
— Mais, votre visage... Vous avez des difficultés de compréhension, peut-être.
— Non, protestai-je. C'est une paralysie faciale, conséquence de mon
opération.
— Écoutez, qu'il me dit. Je ne veux pas d'histoire. Abus de faiblesse, tout ça.
Je vous rembourse.
— Je veux juste un échange, Monsieur !
— Non, revenez avec quelqu'un de votre entourage.
— Mais il ne faut plus poser votre téléphone sur la route, Monsieur ! Qu’il me
dit.
Il m'a pris pour un imbécile ou je rêve ? Après, on va dire que je suis
susceptible.
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CHAPITRE 21
MAUVAISE FOIS
Le mois décembre approche. Le mois des fêtes de fin d’année.
Ce n’est pas seulement les oies qu’on gave à cette période. On va s’en mettre
plein la panse. Bon, mais les volailles, on leur a pas demandé leur avis. Pour
elles, ça se finit mal, en général. Déjà, la grippe aviaire de l’année passée… Les
rescapées terminent leur courte vie dans nos assiettes. Non, on ne va pas
s’apitoyer sur des piafs. Dépêchez-vous, y’en aura pas pour tout le monde.
Remarquez, je ne vais pas me plaindre. L’année dernière, j’mangeais avec ma
paille. Oui. Déjà un an. Une autre vie… Cette année, j’ai droit à des demi-
portions. Oui, pour ma face gauche qui peut encore mâcher. Il n’ y a toujours
que le whisky qui passe le sens interdit. Je me suis largement déconnecté des
réseaux sociaux, depuis quelques temps. Le bonheur virtuel, affiché sur
certaines publications, m’ennuie. Quand on rencontre les gens pour de vrai, ça
fait bizarre. Comme le dit Chantal Cahouët, mon amie de CORASSO, sur des
vers de Anne Sylvestre :
Je me sens dérisoire
Juste à côté de l'histoire
Décalé
Comme un point dans une image
Comme un petit personnage
De Sempé
Alors, j’ai l’air de faire la tête comme ça. Surtout quand on voit les photos de
mon profil. Je veux dire, surtout de profil bien sûr. Mais dans des situations
réelles, je suis plutôt de ceux qui réconfortent ou amusent les autres. Enfin, ça
dépend aussi de l’ambiance. Il faut quand même du répondant.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 69 sur 94
Quand, par hasard, je croise une connaissance qui me dit : Tiens cela fait
longtemps qu’on n’a plus de tes nouvelles. Tu étais en voyage ? Je réponds :
non, j’ai eu un cancer, en ricanant. Alors, je sens comme un grand froid. C’est
difficile de continuer la conversation de manière détendue, après ça. Je me sens
obligé de la rassurer.
Pour revenir à nos dindes, je n’aime pas trop le mois de décembre, vous l’aurez
compris. On va le faire bien sûr. Noël en famille, la Saint Sylvestre entre amis.
Peut-être…
Mais vivement janvier 2018. Les journées qui s’allongent. Les bonnes
résolutions. Qu’on ne tiendra certainement pas. Les projets qu’on construit.
Dans notre tête, surtout. Les bonheurs qu’on espère. Garder ou trouver. Mais
surtout, ne pas perdre. Et toujours poursuivre. C’est l’essentiel. Tout le reste
n’est que prétexte. En même temps, ça fait avancer le monde. Ils font avancer le
monde. Surtout les artistes. Les vrais, les grands. Ceux qui ont passé les siècles.
Et puis les chercheurs. Enfin, ceux qui trouvent. Les philosophes, les
ethnologues, les…Je n’aurais pas dû me lancer dans ce galimatias. Je vais
forcément oublier du monde. Enfin, nous, on n’y est pas. Peut-être Sabrina,
mon amie de CORASSO.
Aujourd’hui, c’est le « Black Friday ». Ca nous vient des USA. Ca tombe mal,
j’ai un soucis avec ma carte bleue. Soupçon de substitution de mon code par un
commerçant. Dans le doute, j’ai fait opposition. Aujourd’hui même. Moi qui
prévoyais dépenser sans compter. Je vais faire des économies, ça c’est certain.
Pas de foie gras, pas de cadeaux, rien pour le Téléthon. Je vais être
« Blacklisté ». Avec le nombre de pubs que j’ai reçues, ils vont faire la gueule.
Vous rendez-vous compte ? C’est vraiment le « Black Day » pour tous mes
marchands préférés.
Janvier 2018 sera, pour moi, entre autres, les interventions de chirurgie
esthétique. Blépharoplastie, lifting et Botox. Que du bonheur. Aux frais de la
Caisse d’Assurance Maladie. Râlez-pas. J’ai cotisé pour ça. Je vais pouvoir
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 70 sur 94
reprendre la clope, après ça. J’arrête de courir. Et je remplace l’eau par du vin.
J’entends déjà les soupirs. Je vais juste rattraper le temps perdu. Bien oui.
Jusqu’à présent, pas de tabac, pas d’alcool, de drogue, pas d’alimentation à
risque, un peu d’activité physique. Et je me chope la crève. Alors, autant en
profiter. Bon, j'imagine vos commentaires réprobateurs. Je plaisante. Je vais
mettre de l’eau dans mon vin.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 71 sur 94
CHAPITRE 22
LE COMBATTANT
L’émoi dû à mes mots m’oblige à minorer mes états d’âme.
C’est vrai, j’en fais un peu trop. Ce matin, je suis remué, c’est pour ça.
Cinq décès dans ma maison. Le drame. Je l’ai dit. Je n’aime pas le mois de
décembre. Comment ? Je ne sais pas. Suicide ? Ou bien le froid ? Le froid
n’aime pas les faibles, les petits, les fragiles, les vieux. Ni surtout les "sans
abris". Là, c’est autre chose. Ce sont mes poissons. Tout frêles, ils étaient. J’ai
essayé de les réanimer. Voulant aveuglément croire qu’ils étaient simplement
endormis. Rien à faire. Certains sur le dos, se laissant glisser au rythme du
remous provoqué par la pompe à eau. D’autres, flottants, comme des brindilles
en surface. Et puis, le petit, au gros ventre arrondi, planqué à fond de sable
coloré. Un carnage. Il y a quand même des rescapés. Les anciens. Ceux que
j'avais adoptés. Le combattant Roma, un Betta Splendens, Nichel et trois autres
Paracheirodon simulans que je n’ai pas eu l'opportunité de baptiser. Ne prenez
pas cela à la légère, s’il vous plait. La tristesse n’est pas régie selon un barème.
L’émotion n’a pas de hiérarchie. On peut pleurer pour un film, et rester placide
à des funérailles. J’y tenais à mes poissons.
— Attention ! Ceux-là, ils sont fragiles, qu’elle m’avait dit, la poissonnière.
Non, je veux dire, la jeune fille charmante du magasin d’aquariophilie. Elle
m’aime bien, je crois. Ne vous cachez-pas le visage ! Vous êtes très bien, vous
savez, qu’elle m’avait dit, lors de mon premier passage. Depuis, j’y vais
régulièrement. Je ne sais pas si c’est pour les poissons, en fin de compte.
Maintenant, je me sens coupable. Elle m’avait confié ses fritures avec ce regard
insistant qui semblait dire :
— Prenez-en soin, ce sont des êtres vivants.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 72 sur 94
Et voilà. En état de culpabilisation intense. J’ai honte. Je n’ose pas y retourner.
Qu’est-ce que je vais lui raconter ? Je n’ai pas su m’y prendre, voilà tout. J’ai
peur qu’elle me regarde de ses yeux réprobateurs, faisant fi de mon infirmité.
Elle, qui auparavant, fut tellement bienveillante à mon endroit.
Vous croyez qu’elle va me confier d’autres animaux, à présent ? J’ai toujours
pensé que, s’occuper de ses plantes, ses bêtes ou ses enfants, des gens en
général, témoignait d’un même état d’esprit. Celui d’une attention particulière
aux autres. Au monde des vivants. Je n’ai pourtant, moi-même, jamais eu la
main verte, comme on dit. Mais ce n’est pas de la mauvaise volonté. C’est juste
un manque de savoir-faire, d’éducation, d’expérience positive. D’autres
ignorent le monde animal, en dehors de leur assiette. C’est comme sa
progéniture. En principe, les parents aiment leurs enfants et font ce qu’ils
peuvent pour les aider à grandir. Mais ce n’est pas toujours facile. Et, sauf en
cas de maltraitance ou de négligence, il est inutile de rapporter toutes les
difficultés du monde à l’éducation des enfants. Vous me direz, les poissons, ils
n’ont pas de libre arbitre. Ils dépendent entièrement de notre capacité à les
protéger et les laisser vivre leur modeste parcours de pantouflard à nageoires.
J’ai vu ma nouvelle Kiné, ce matin. Spécialisée en rééducation maxillo-faciale.
J’étais avec Alexandre depuis presque un an. C’est mon ex. Je veux dire, mon
ancien kiné. Il a déménagé. Ça fait drôle. Toute proportion gardée, c’est comme
un remariage. On sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on va gagner. Oui, je
vais me calmer avec ces vieux poncifs. En tout cas, ma nouvelle
kinésithérapeute a perçu un léger mouvement labial, du côté paralysé. Très
léger. Après plus d’un an d’immobilisation, c’est très encourageant. Bon, il faut
pas s’emballer. Peut être des spasmes réflexes dus à un développement
anarchique de la branche nerveuse. Pour simplifier. Si je cligne de l’œil, mon
cerveau va induire une impulsion nerveuse me forçant à sourire. C’est pour de
vrai, je vous assure. Mais rien n’est certain. On verra bien.
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 73 sur 94
En attendant, je vais aller voir ma copine aquariophile. Je n’ai pas intérêt à lui
faire un clin d’œil. Sinon, je repars entre deux gendarmes pour harcèlement de
rue.
En plus d’être endeuillé, je risque de finir ma nuit en garde à vue.
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CHAPITRE 23
BÛCHE GLACÉE
7 décembre 2017
L’année 2017 se termine avec précipitation. Comme une conclusion,
pour ces gens célèbres récemment disparus. Qui ont contribué au monde. Qu’on
aime ou pas. C’est un peu notre vie qui s’enfuit. Nous rappelle au souvenir de
notre propre fragilité. Nous ne serons pas les derniers. Je suis, cependant,
étonné de lire certaines réactions. Le terme « réaction » choisi dans sa
signification sociale. Pourquoi dénigrer l’importance de l’émoi suscité par la
disparition de Johnny Hallyday ? Je dis bien Johnny Hallyday. Pas Jean-
Philippe Smet. Non, il n’était pas dans mon environnement musical. Je n’ai
jamais acheté ses disques. Je ne suis jamais allé à ses concerts. Pas vraiment
fan. Mais qu’a-t-il fait pour susciter si peu de respect, que l’on doit
habituellement à ceux qui ont marqué nos heureuses jeunesses ? Par ceux-là,
qui promettent le bonheur à chacun. Sont-ils donc, à ce point, « Insoumis » à
leur propre émotion. Comprenne qui pourra.
« J’ai un problème », « Oh ! Ma jolie Sarah » ; Slows des premières amours. Ce
n’est pas Johnny que l’on pleure. Juste, la mémoire de nos petits bonheurs
perdus. Et puis son cancer, c’est vraiment la mort en souffrance à petit feu.
Alors, je lui dois bien un menu hommage. Cela ne m’empêche pas de penser à
mes amis les plus proches récemment disparus. Mes poissons d’abord. Les
tristesses ne se soustraient pas.
— Ta gueule ! Salope !
Je crois avoir mal compris. Je m’approche d’une dame d’un âge certain. Les
mots viennent de sa bouche. Elle est en conversation avec Sylvia. C’est mon
aquariophile. Je me précipite. La respectueuse cliente raconte qu’elle a recueilli
un perroquet Cacatoès. Le piaf lui sort ça tous les matins. Elle, qui vient de
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 75 sur 94
divorcer ! Elle s’en remet pas, la pauvre dame. La jeune vendeuse, confuse, lui
confie, que, maintenant, il sera compliqué de le faire taire.
Elle lui conseille de prendre des « Inséparables ».
Revenons-en à mes poissons.
— Finalement et par déduction, ils n’ont pas mis fin à leur jour, les fretins.
me dit Sylvia
— Oui, parce qu’un suicide de masse implique un environnement sectaire. Ce
qui n’est pas évident pour des animaux aussi peu bavards. C’est donc le
froid.
La jeune commerçante m’accuse, alors, de ne pas avoir suffisamment chauffé la
maison.
— C’est de la maltraitance qu’elle me dit.
— Vous auriez pu me conseiller un système de chauffage pour aquarium, lui
rétorqué-je. Je ne savais pas que c’étaient des poissons tropicaux.
Elle me fait alors un discours sur le changement climatique. Je n’ai rien
compris. Comme je voulais éviter une dispute, avant même que nous fissions
connaissance, j’ai admis mes tords et lui ai demandé si elle voulait tout de
même vérifier la température de mon salon. Oui. J’ai dit ça ! Je ne sais pas
pourquoi. Je suis passé par toutes les couleurs, jusqu’au rouge. Comme mes
poissons. J’avais envie de plonger dans un aquarium. Je n’ai pas attendu la
réponse. Finalement, je suis reparti avec deux autres combattants. Puis, je suis
allé acheter des filets de daurade. Il y a plusieurs manières d’apprécier la
poiscaille.
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Je ne veux pas casser l’ambiance, mais ce sera difficile pour le téléthon, cette
année. Déjà que les gens sont moins généreux. Non, ce n’est pas une question
de richesse. Quand je faisais du dépannage à domicile, au cours de ma première
vie, Il y a trente ans. Les gens donnaient toujours quelque chose. Un coup à
boire, souvent. Une invitation à diner. Et même, parfois… Non. J’arrête. Déjà
que je suis fiché. Non, pas « S ». Ne dites pas n’importe quoi. En tout cas,
régulièrement, c’était de la petite monnaie en pourboire. Parfois, un gros billet.
Pourquoi, je vous dis ça ? Parce que ce n’était pas vraiment lié au niveau de
fortune des clients. Et si je me souviens, les plus généreux étaient souvent les
moins pourvus. C’est plutôt une histoire de disponibilité. Regardez, moi par
exemple, je caresse mes chats, tout en faisant autre chose, lecture, ordi, papiers,
téléphone. Mais quand je cause avec un interlocuteur désagréable, et que je
commence à m’énerver, mon chat se taille en courant, comme s’il ressentait que
ce n’était pas le moment. Bref, que je n’étais plus disponible.
Jean d’Ormesson, comme mes poissons, n’a pas eu l’hommage escompté.
Difficile pour un grand écrivain de mourir en même temps qu’un prince de la
scène.
1. Restez vivant1 est quand même préférable.
2. Et moi, je vis toujours 2.
3. Tant que vous penserez à moi3.. N’est-ce pas ?
1.Johnny Hallyday-1994 2. Jean d’Ormesson-2018 3. Jean d’Ormesson-1994
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CHAPITRE 24
RABAT-JOIE
Bon, j’admets. Le titre n’est pas attractif. Vous avez l’habitude. Je fais
pas dans la norme. Quand vous me lirez. On sera dans la nouvelle année. On
aura déjà terminé les petits canapés de foie gras. Les morceaux de dinde farcie
entre les dents et le champagne dégoulinant d’une lèvre tombante. Peut-être que
la galette de Balthasar, Gaspard et Melchior sera digérée. Et on rêvera d’une
nouvelle année meilleure.
J’ai pas l’air comme ça, mais je suis un optimiste réaliste. C’est à dire un
pessimiste. Ben oui. En dehors des films américains, dites-moi ce qui se
termine bien ! A plus ou moins long terme, je vous l’accorde. Sauf si vous
croyez à la sainte vierge. Ou aux soixante douze vierges. Non, c’est pas les
mêmes. Là, il vaut mieux être un homme, hétéro et un peu pédophile. On a le
droit de ne pas répondre pas tous ces critères. Il vaut mieux se faire une raison.
Et profiter du temps présent. Tiens par exemple. J’ai adoré Noël. En famille.
Décorations lumineuses. Plein d’amour. Plein de cadeaux, j'ai reçu. D’abord,
les bretelles. Noires, comme j’aime. Très utiles, vous savez.
J’ai perdu vingt cinq kilos, ces derniers mois. Dont du gras de la panse. Alors,
j’ai la peau du ventre qui court après mes chaussures. Comme un buveur de
bière en phase régime. Qui ne voit plus ses jolies ceintures. Mes nouvelles voies
d’accès servent à remonter la bidoche. Plus besoin de me tenir le falzar.
Enfin, j’en fait toujours trop. J’ai été gratifié aussi, d'un excellent whisky. C’est
de circonstance. Je ne supporte plus le vin en général. Et le champagne en
particulier. Et puis, j’ai eu les lunettes. Noires aussi. La casquette. L’écharpe.
J’avais déjà « le masque ». Équipé pour sortir. Tout beau, je suis. Mais ça ne se
voit pas tellement. On dirait un « Black-Block ». C’est dans l’attente de mon
ravalement de façade. Pour ce mois-ci, j’espère. Après le SCAN thoracique de
contrôle.
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5 janvier 2018
Je suis avec le Professeur Garrel. Une heure de retard. Enfin, c’est mon tour. Je
me surprends à lui lancer :
— Dure journée aujourd’hui ?
Il me concède une esquisse de rictus, laissant entrevoir un sourire retenu.
— Oui, qu’il me fait.
On l’a appelé en intervention urgente à Lapeyronie, un autre hôpital. En salle
d’attente, ça râle, ça roumègue. Et moi, je me souviens de ma première
opération le 4 novembre 2016, programmée sur deux heures. Elle avait
finalement occupé mes chirurgiens durant plus de six heures. On relativise alors
le retard des médecins. Bien heureux, celui qui peut encore attendre.
Commentaire sur le SCAN thoracique et petit examen clinique. Tout va bien,
qu’il me fait. Je vous dirige vers le Dr Galmiche pour la myoplastie. Je vous
revoie en fin d’année.
— Vous aller me manquer, lui dis-je.
— Vous êtes suivi par le Dr Lapierre de l’ICM en parallèle, qu’il me répond.
Laissant paraitre qu’il avait d’autres chats à fouetter, des patients sans doute un
peu plus affectés.
7 janvier 2018
Maman, si tu voyais ma vie, disait Michel Berger, par la voix de France Gall.
Ils en ont fait, des jolies chansons, ces deux-là. Maman peut être fière.
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16 janvier 2018
Le barbier va me faire la mise en pli. Je suis à Gui de Chauliac. Service de
chirurgie maxillo faciale. Je revois le Dr Sophie Galmiche. Elle était intervenue
pour l’insertion du greffon prélevé sur la jambe en lieu et place du nerf facial
sectionné. Cette jeune experte va réaliser les gestes de reconstruction faciale.
Myoplastie temporale droite, canthoplexie, suspension sourcil, blépharo,
moeteur et midface. C’est ce qui est écrit sur le programme. Prévu pour la fin
du mois. Que du bonheur ! Comme on dit sur FB. Vous connaissez ? C’est le
dernier réseau social : « Fake Being. »
18 janvier 2018
Je me suis remis au piano. Je galère. Mais j’ai des auditeurs. Ce sont mes chats
et mes poissons. Bon public. Je ne suis pas certain qu’ils soient convaincus par
mes prestations. Ben, les « combattants ». Peuvent pas se boucher les oreilles
ou de se tirer aux Seychelles. Et mes chats, pantouflards comme c’est pas
permis, se voient cantonner au rôle de groupies involontaires. Mes voisins qui
ont décidé de déménager. Alors, je fais une exception. Je ne joue pas quand il y
a des amis. J’ai quand même envie qu’ils reviennent. Bonne année quand
même.
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CHAPITRE 25
MORT DE RIRE
28 janvier 2018
J’ai reçu le livre d’un ami d’enfance, Yves, avec lequel j’ai partagé,
quelques années durant, mon dortoir de la maison d’enfants. Adressé gentiment
par sa sœur. Il y raconte sa vie. Entre sept et quinze ans, c’est un peu la mienne.
Je m’y retrouve. Les détails que j’avais oubliés. C’est troublant. Puis, on s’est
éparpillés. Maintenant, je connais la suite. Une vie forte en drames. Très
heureuse aussi. J’ai raté quelque chose. Plus tard, on s’est croisé, rarement.
Souvent une référence pour moi. Rigoureux, généreux, sportif, bel homme. Il
ne croyait pas au hasard. Alors, il faisait très attention à lui. En 2011, sortie
brutale. Une saloperie au cerveau. Il était mon ainé de un jour. On ne maitrise
pas tout.
07 février 2018
Je l’ai mauvaise. Foutue époque. Où la clef sous le paillasson a fait place aux
caméras en tout genre. Où une procédure judiciaire interminable a remplacé une
bonne engueulade. Où le téléphone à cabine qui permettait d’appeler les
secours, a disparu au profit du Smartphone qui filme la scène d’agression. Où
l’isolement est aussi important que les moyens de communication et autres
réseaux sociaux foisonnent. Tout n’était pas bien. Tout n’est pas pire,
aujourd’hui. Je ne me sens pas à l’aise, dans cette époque. C’est tout.
Quand ça va pas fort, on a tendance à s’agripper. C’est le sourire de ma fille.
Un petit compliment de Marie-Clotilde ou Audrey, mes infirmières. Un miaou
de Loulou. Le message de Chantal. Un mot réconfortant de Cathy. Coup de fil
affectueux de Nadine, vite écourté de mes impossibles confidences. Par un
tendre smiley de Sabra. Promesse d’une visite de Hugues et Laurence. J’en
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 81 sur 94
oublie bien sûr. Ce soir, en manque. D’imagination. Le trop plein. Mon humour
se fait la malle. Je décroche. Dégringolade.
Cela a commencé à mon retour, dans le monde des vivants. Après
l’intervention. On est le 31 janvier. Foutue anesthésie. Je suis descendu au bloc
vers 8h30. Je me retrouve en chambre vers 18h30. Que s’est-il passé ? Aucun
souvenir de la salle de réveil. Maux de tête quasi permanents. Cela fait sept
jours maintenant. Je carbure aux Tramadol et Paracétamol. Moi qui ai eu tant de
mal à m’en défaire. J’ai la tête des frères Bogdanov. Mais ça, je m’en fiche.
Même sans leur intelligence. C’était prévu. Les coutures, de la joue jusqu’au
crâne, en passant par les oreilles. C’est la routine. Les yeux aussi. Pleins de fils.
J’ai revu ma chirurgienne. Emporté par l’enchainement des petits soins. Pas osé
lui demander. Plutôt distante avec moi. Mes quelques questions maladroitement
exprimées. Refermées, en face, par « c’est comme ça », « Je ne suis pas au
courant ». Sourire tendu. Impression de l’emmerder. Aurait-elle oublié une
aiguille dans mon crâne ?
Elle m’annonce que ma paupière ne fermerait plus. Je ne m’y attendais pas.
Depuis trois ans maintenant que mes soucis de santé se sont succédés, j’en ai
accepté les inévitables tracas, liés aux soins et petites infirmités de tous ordres.
Pas grand chose, finalement. Mais là, ça déborde. Je la revois le 15. On verra
bien.
Je la refais pas, celle-là. Pas marrante, l’histoire, mais c’est la mienne. La vraie.
J’ai restreint mon blog aux abonnés. Pour les nouveaux, faudra faire un effort.
Rien en retour, que de se retrouver un peu dans mes lignes. Un tout petit
moment de moi. Et de vous.
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CHAPITRE 26
MANQUE
28 février 2018
Y’a plus de saison, qu’ils disaient. L’hiver à rallonge, oui ! Venez voir.
Vingt centimètres de poudreuse, du côté de chez moi, près de Montpellier. Non,
rien à voir avec le titre. Même les yeux des vieux n’ont jamais vu ça, par ici.
Valait mieux pas aller au boulot. Sinon, c’était dodo sur le bureau. Ou dans
l’auto, toute la nuit. Et gueule de rincé, dès potron-minet.
La neige, c’est le top, quand tu skies. Ou que tu regardes jouer les mômes.
Sinon, c’est pour la photo. Y’a cette l’odeur que j’aime bien. Cette si
particulière senteur de la neige. Et ce silence. Absence des voitures, coincées
sur l’autoroute. Après, c’est la gadoue, dans les faubourgs. Du coup, j’ai raté
mon rendez-vous post-op.
J’ai été grognon, ces derniers mois. Je ne peux pas tout raconter. J’ai des
circonstances atténuantes.
J’me plains beaucoup, c’est vrai. Mais y’en a d’autres…
Parfois, apprenant mon histoire, il se trouve toujours un gus pour me dire :
— Oui, je compatis. J’ai moi-même un grand oncle de quatre vingt quinze ans
qui a une petite mine ces jours-ci.
Ou alors :
— tu sais, moi aussi, j’ai des soucis. Je me suis tordu la cheville et je ne peux
plus courir pendant quinze jours.
Et avec bonne intention, le même type me dit :
Max Krief – Poisson Ascendant Cancer – Page 83 sur 94
— Et alors, tu vas pas si mal. Ca y est ! T’es guéri, mon vieux.
Vous avouerez que c’est agaçant. Cela dit, c’est vrai. Si on néglige la paralysie
faciale définitive. Les soins oculaires multi-quotidiens ou autres gouttières
fluorées à vie. Et l’angoisse de la récidive… Mais, le plus difficile, c’est
l’absence de sourire. Et de rire à pleines dents. Et ça me manque.
16 mars 2018
Une de mes voisines est atteinte de ces diverses affections articulaires,
Spondylarthrite ankylosante des mains, poly arthralgie, polyarthrite
rhumatoïde, algodystrophie. Elle a des morceaux d’os qui poussent sur ses
phalanges, ses orteils, ses coudes, ses genoux. Inopérable qu’elle me dit. Elle en
souffre terriblement. Maintenant, elle doit aussi se consacrer à son mari. AVC
et problèmes vésicaux. Elle s’occupe. Toute la journée. Il y en a des choses à
faire dans sa maison. Elle me raconte que son heure de déprime se situe entre
dix huit et dix neuf heures. Passage à vide. C’est le moment de la journée où il
fait la sieste. La pause pour elle. Quatre-vingts ans, la nana. Et elle me tient la
conversation en souriant.
Stephen Hawking est mort le 14 mars. Soixante seize ans. Le corps ratatiné par
la sclérose latérale amyotrophique (maladie de Charcot). En état de paralysie
musculaire quasi totale à la fin de sa vie. Se trimbalant dans son « caddie »
élaboré spécialement pour lui. Mais, il avait toute sa tête, le type. Bien faite. Et
beaucoup plus que tout le monde. La seule partie intacte de ce corps meurtri, ou
presque. Il s’est marié deux fois et a eu trois enfants. Qu’a-t-il pu faire de sa
vie, se demanderait-on, s’il n’était pas célèbre ? Il a seulement découvert le
rayonnement des trous noirs (rayonnement de Hawking), élaboré le théorème
sur les singularités, établi un lien entre l’infiniment petit (mécanique quantique)
et l’infiniment grand (relativité générale d’Einstein). Tout cela lié à la théorie
des cordes. Avec pédagogie et humour. Physicien de la cosmologie, professeur
de mathématiques à l’université de Cambridge. Il a pas laissé d’ardoise, le gars.
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Deux exemples parmi d’autres. Pourquoi je vous raconte ça ? Ben, il faudrait
arrêter de se lamenter.
Rendez-vous avec Le Dr Galmiche, ma chirurgienne, qui a réalisé la myoplastie
faciale. Je l’avais loupée deux fois. La seconde, à cause de la neige. Après la
première consulte post-opératoire que j’avais mal vécue, j’étais un peu anxieux.
Je ne sais pas si c’est moi qui ai changé d’attitude, mais cela s’est vraiment bien
déroulé. Très attentionnée, la doctoresse. Souriante, précise dans ses
explications, satisfaite du résultat de l’opération (voir chapitre précédent).
J’étais moi-même dans de bonnes dispositions, la remerciant, sans obséquiosité,
pour la qualité de son travail. Elle m’a proposé deux interventions
supplémentaires afin d’affiner la symétrie et limiter la tension du côté sain.
Mais, y’a pas de miracle, qu’elle me dit. Vous ne retrouverez plus votre visage
d’avant.
C’est pas grave, j’ai pas l’intention d’aller en boite, que je lui fais.
Je veux juste arrêter de faire la gueule. (A l’insu de mon plein gré, bien sûr)
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CHAPITRE 27
ELLE AUSSI
Le printemps m’a surpris. Je m’étais endormi. Mon hiver s’est débattu
dans le devoir médical. Celui qui vous contraint et vous préserve.
8 mars 2018
J’étais plein d’entreprise. Un séjour à Paris avec ma fille. Ballade sur les quais,
Bastille, Beaubourg, Les halles, Montmartre. Moi, je connais déjà. Mais
redécouvrir Paname avec une montpelliéraine inconditionnelle, c’est quelque
chose. J’ai eu l’occasion de revoir Sabrina et Michel de CORASSO. Heureux
de les retrouver. On est revenu sans nostalgie.
10 avril 2018
Petite virée, seul, en voiture, chez Laurence et Hervé à Salles le Château. En
famille. La première depuis deux ans. Évidemment royal. Ca vaut le coup de
guérir.
Retour à la maison. J’ai demandé au médecin du travail, l’autorisation de
reprendre mon travail. Histoire de revenir dans le monde des actifs. Comme
disait Coluche, il vaut mieux mourir de son vivant. En septembre, pas plus tôt,
qu’il m’a dit. En attendant, petits travaux dans la maison.
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28 avril 2018
La Chute.
Vous savez, ce film de Oliver HIRSCHBIEGEL, Le cinéaste y raconte les
derniers mois de la vie de Hitler, enfermé dans son bunker, à Berlin. Il se
donnera la mort avec Eva Braun, peu avant l'arrivée des troupes Russes. Ce film
avait été critiqué, car il y révélait un semblant d’humanité chez ce dictateur,
notamment par le jeu éblouissant de Brun GANZ. Il eût été plus apaisant de le
percevoir comme un monstre. La caricature de celui qui ne fait plus humanité.
Ce sont alors, les infimes séquences de bienveillance, notamment à l’égard de
son épouse, qui nous sont insupportables. Il n’y a jamais de monstres chez les
animaux, hormis, ceux imaginés par l’homme, et qui, paradoxalement, nous
rassurent.
Je ne sais pas pourquoi, mais c’est à ce film que j’ai songé, quand, en un
instant, je me suis retrouvé allongé sur le sol de ma terrasse, sur le flanc, la tête
soutenue par mon bras. Impossible de bouger. Je hurlais :
— Merde ! Merde !
Moins par la douleur que par l’idée de m’être fracturé quelque chose et l’idée
que je puisse être encore immobilisé plusieurs semaines. Alors que je me
relevais enfin de cette léthargie et révélais déjà mes nouvelles envies. Au dessus
de moi, la tête antipathique d’une voisine, qui faisait un effort pour avoir l’air
compatissante. Tout s’est passé très vite. Les voisins, les pompiers, les
urgences. Morphine. Radio. Pas de fracture à la hanche. Mais gros troma. Pas
d’examen neurologique. Pas d’examen clinique d’ensemble. Ils ne m’ont même
pas déshabillé. On m’a réexpédié à la maison. Sur brancard, en ambulance.
Rien compris.
Le lendemain, gros vertiges persistants. Impossible de me lever davantage.
Retour aux Urgences . Cette fois, on passe tout en revue. Scan cervical. Tests
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neuro. Sang, urine, abdomen. RAS. Je repars comme je suis venu, douze heures
plus tard. Sur le compte rendu, est précisé : "Si les symptômes persistent,
veuillez recontacter les urgences".
Ca fait deux jours, maintenant. Je peux enfin marcher avec des béquilles. Mais
la terre tourne toujours trop vite à mon goût. Et pas dans le bon sens. Malgré le
Tanganil.
Ils n’ont pas vérifié les cervicales. Peut-être. Je n’en sais rien, de toute façon.
Demain je vais voir mon médecin traitant. En planeur, bien sûr.
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CHAPITRE 28
LE TRAVAIL, C’EST LA SANTÉ
15 août 2018
Le mois d’août, pas top. Interdit de soleil pour cause d’intervention
chirurgicale. Pas grave. Juste esthétique. Dérisoire. Peut-être. Pour se rappeler
qu’on est encore vivant. Avec les cicatrices, pas de douche, c’est risqué. Pas de
bain, c’est dangereux. Il faisait très chaud. Une amie m’a conseillé d’enlever le
haut. Elle ne savait pas, pour les cicatrices. Je lui ai répondu : d’accord, mais toi
d’abord. Enfin, je ne vais pas me plaindre. J’ai échappé à la noyade. Cinq cents,
cet été. Vous rendez-vous compte de la chance. J’exagère. Faut pas plaisanter
avec ça. Ben oui. Finalement, tout va bien. Tout va bien, c’est vite dit.
03 septembre 2018
C’était la rentrée. Pour moi aussi. Enfin, je croyais. Annonce Pôle Emploi :
« Recherche Formateur pour adultes handicapés ». Non, ne vous précipitez pas.
La place est prise. C’est pour me remplacer. Oui, je me suis fait virer. Pour
cause d’inaptitude. Le premier jour de reprise, on m’a fait faire le test du
sourire. Je me suis mordu la langue. Du coup, renvoyé.
— Ah, la maladie ! Quand ça vous tue pas, blablabla… Sacré Nietzsche !
J’avais fait une démarche au mois d’avril afin de reprendre le travail au plus
vite. Avec la pression du médecin-conseil de la sécurité sociale. A mi-temps, en
septembre, qu’il m’a dit. Avec suivi. Y'en a d’autres qui auraient épuisé leurs
droits pour moins que ça. Enfin, moi, j’étais partant. Question de survie morale.
Donc, on est le 3 septembre. Rendez-vous au Service de Santé au Travail. Coup
de tampon : « Apte, à mi-temps, avec aménagement de poste. » Accueil
chaleureux et bienveillant dans la taule. De tout le monde… Enfin presque.
Comment dire ? Bon, "presque", c’est pas Sainte Teresa de Calcutta. Ni une
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"Juste parmi les nations" Je vais être gentil. Cruella lui va mieux. Effrayée par
le retour de Martin Guerre. Vous pensez. Elle avait tout réaménagé dans la
perspective de mon absence définitive. Pourtant, je me serais contenté d’un coin
de bureau, un stylo, une chaise peut-être. Du travail quoi. Parfaitement
conscient des problèmes d’organisation que produirait mon retour et enclin à
m'adapter à cette nouvelle situation. Mais non. C’était déjà trop. Je n’avais plus
la gueule de l’emploi. Je rentrais plus dans le moule. Elle m’a dissuadé.
Insidieusement. Conseillé de retourner vers le doc du taf. Alors le médecin du
travail, ben, il m’a notifié une inaptitude définitive : « Par mesure d’urgence et
de danger immédiat. » Ce qui a déclenché inévitablement une procédure de
licenciement : « Pour inaptitude à tout emploi dans l’entreprise. » Et me revoilà
en maladie. La sécu te pousse à reprendre le travail. L'employeur te pousse
dehors. Tu sais plus où te mettre. J’aurais mieux fait de rester au lit. Je peux
vous dire que j’ai travaillé de nombreuses années pour l’insertion des personnes
handicapées. Et bien, je me suis retrouvé comme un cordonnier à qui on a retiré
ses chaussures et ses chaussettes. J’ai quand même adressé un courrier à
l’Inspection du Travail.
EN voici la conclusion :
« A l’heure où l’on fait la promotion du travail et de l’activité, au détriment de
la situation d’assisté social, ma lettre a pour but d’informer votre institution
que, malgré ma volonté de reprendre une vie active et sociale, on m’a renvoyé
vers un statut de malade-assisté duquel je souhaitais m’éloigner. » Bien
Cordialement
Et bien, c’est là, mon témoignage. Ma réalité. On n’est pas à la télé. Ce qu’il
faut de soucis pour écrire quelques lignes…
Bon, il faut que je me prépare pour le shooting CORASSO « Quoi ma
gueule ? ».
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CHAPITRE 29
QUOI MA GUEULE ?
30 septembre 2018
Je suis à Paris. C’est dimanche. Il gèle dans ce pays. On m’avait
prévenu. Prends un gilet, tu sais ici… J’ai compris bien plus tard, qu’il fallait
qu’il soit jaune fluo.
Mais à ce moment-là, on était sur un autre continent. 7,2 ° le matin. C’était pas
chaud, je vous jure. Frisquet, au minimum. Je me retrouve à souhaiter le
réchauffement climatique. La disparition des espèces, les déplacements massifs
de population, l’implantation des organismes tropicaux en Méditerranée, la
fonte des glaciers, la désertification, l’érosion des côtes, la disparition des
terres, les moustiques tigres. Ah, ben tant pis. J’ai trop froid.
— Quoi ma gueule ?
Elle me regarde de travers, la fille d’en face.
— Fais- le encore plus agressif, qu’elle me dit.
Je lui réponds :
— Plus ? Non. C’est pas possible. Après, c’est la violence physique. Et tu ne
m’as rien fait. Déjà que ma tête, en elle-même, est une agression visuelle.
Les enfants de ma rue me jetteraient des cailloux, s’ils n’avaient pas grandi,
depuis.
— Elle insiste. Bon, alors, prends un air moqueur.
— Comme d’habitude alors ?
— Ok ! Restes comme tu es, ça ira pour la prise.
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— Cheeeeeese, qu’elle me dit.
Je serre la mâchoire…
— Ben ça y est !
Elle me regarde…
— Ah Bon ?
Oui, c’est ma séance. Mon shooting pour l’association CORASSO. On est
nombreux à participer à ce reportage. Les atteints par un Cancer ORL Rare. Les
toujours. Ou les anciens. Les nouveaux qui se demandent ce qui leur arrive. Pas
facile de se montrer. Et, là, y’a du monde. Cécile, la directrice artistique.
Stéphane, directrice du projet. Fanny, attachée de presse. Zoé, la photographe.
Nils à la vidéo. Emilie au maquillage. Et puis, Christine, la directrice de
l’association. Et bien sûr, Sabrina, qui nous motive, nous soutient, nous
encourage. Nous engueule parfois. Elle peut. Il faut pas lui raconter des salades.
Toutes ces personnes. Bienveillantes, drôles, professionnelles. Qui vous
donnent de l’importance. Qui vous regardent sans vous dévisager. Qui vous
écoutent sans compassion inutile. Enfin, on a l’air d’être quelqu’un. On change
de fringues. C’est pour le fond. On change de frusques. C’est pour le teint. Et
puis le maquillage. Et puis les prises. Ca clic et ça clic-clac. On est tout nu, dans
sa tête. Et puis les mots. Ceux que tu prononces avec appréhension. Maladie,
cancer, paralysie, salive, reconstruction, image de soi, récidive. Ceux que tu
lances pour faire le buzz, la blague. Pour exorciser ton anxiété. Bon public, qui
sourit. Tu veux voir quelques photos ? Mon dieu ! J’ai du mal. Déjà que j’ai
horreur de voir mes pieds. Vous pensez.
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CHAPITRE 30
EMBRASSEZ QUI VOUS VOUDREZ
Elle se rapproche à peine, Sa bouche comme un appel. Envers et contre
moi. Je n’ose lui faire front et tourne le visage afin que son baiser aboutisse à
ma joue. Ses mains, si délicatement, obligent mon visage à revenir en elle. Et je
sens ce souffle de rosée. Ce cœur qui tambourine. N’est plus aussi fréquent. Et
perçois cet appel, d’une extase complice de nos lèvres humides.
Alors je me réveille d’un cri haletant, et je sens cette langue de chat
rappeuse et sèche collée à mon palais. Je me débats pour ne pas tomber du lit,
en cherchant à son pied, cette bouteille d’eau. Ma gorge brûle et je dois éteindre
ce feu qui m’étouffe. Enfin, je m’enivre de cette onde jusqu’à suffocation. Ma
première expérience avec l’asialie.
Cette absence de salive, double conséquence d’une exérèse totale de la
glande salivaire principale droite et du traitement de radiothérapie qui
s’ensuivit. Le bon côté, c’est « adieu aux postillons. » Et Le pire n’est pas
toujours sûr. Mais les pathologies, liées au manque de salive, sont fréquentes.
Car, en dehors de son rôle hydratant, celle-ci est un système immunitaire
naturel spécialisé. Qui entretient les bonnes bactéries, celles qui te permettent
d’avoir un environnement buccal sain. Mais qui combat les mauvais germes,
ceux qui provoquent, notamment, les infections dentaires. Donc pas ou peu de
salive, c’est caries à répétition assurées, mucites et aphtes en nombre.
Champignons et mycoses en série, des gencives au palais, de la langue à la
gorge. Associées au risque redouté d’ostéonécrose des mâchoires, conséquence
de la radiothérapie ORL Et là, c’est pas les vacances Alors, ce sont les
gouttières fluorées quotidiennes et à vie, si on veut éviter la sonde gastrique et
la perte inexorable des dents. Et je n’ai pas échappé à certaines de ces
pathologies, heureusement les plus bénignes. Parlons un peu du goût. Plutôt, de
son absence (Agueusie) ou de sa modification. Principalement liée à la
radiothérapie, l’asialie amplifie ce symptôme. Pour ma part, après deux ans, les
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effets sont toujours présents, bien qu’atténués. Les gouts de base sont les plus
touchés (Salé, sucré, acide, amer). Certaines saveurs sont amplifiées. Goût
métallique pour la viande et le chocolat. Le gras est rebutant. Reste la
sensibilité aux saveurs plus fines, comme les fruits ou les légumes en général.
Ce qui me vaut cette silhouette débarrassée de vingt cinq-kilos. En réalité, le
goût étant affaire de mémoire, on reconstruit inconsciemment, sa sensibilité
gustative afin qu’elle soit adéquate à son propre bien-être. Bien sûr, existe-t-il
des astuces et traitements d’appoint qui limitent ces sensations. Qui vous
rendent la vie plus facile, quasi-normale. Mais on n’échappe pas aux limitations
orales. Finis, les beaux discours, sans une hydratation fréquente, eau ou salive
artificielle. On reste alors avec cette voix inaltérable, qu’accompagne l’écoute
des âmes bienveillantes.
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