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P
IERRE
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V
IOLLET
• J
EAN
-P
AUL
C
HABARD
P
ASCAL
E
SPOSITO
• D
OMINIQUE
L
AURENCE
Mécanique des fluides appliquée
Écoulements incompressibles
dans les circuits, canaux et rivières,
autour des structures
et dans l’environnement
D
ANS
LA
MÊME
COLLECTION
P.-L. V
IOLLET
,
Mécanique des fluides à masse volumique variable
, Presses des Ponts et
Chaussées, 1997.
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le
présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de l’auteur, de son éditeur ou du
Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 6, quai des Grands-Augustins, 75006 Paris).
© 1998 ISBN 2-85978-301-6
28, rue des Saints-Pères
75007 Paris
Remerciements
Cet ouvrage résulte de la refonte du cours de Mécanique des fluides appliquée de
l’École nationale des ponts et chaussées. Il bénéficie de l’expérience de nombreuses
années d’enseignement ainsi que, à plus d’un titre, des contributions de tous ceux qui
ont participé aux travaux de cette équipe enseignante au cours des dernières années.
En premier lieu, nous sommes redevables à André Daubert et Jean-Pierre Benqué
qui ont enseigné la mécanique des fluides à certains d’entre nous, et qui ont animé
avant nous cette équipe. Nous remercions également tous les « anciens » enseignants
qui pourront retrouver, ici ou là, dans ce livre, les traces de leurs pas : François
Boulot, Raymond Cointe, Gérard Labadie, Alain Hauguel, Jean-François Malherbe,
Rémi Pochat.
Notre reconnaissance va aussi à nos collègues plus jeunes qui ont enrichi ce cours,
qui nous ont aidé de leurs avis, qui nous ont fourni des illustrations ou qui ont relu
le manuscrit pour en extirper les erreurs : Georges Balzer, Elisabeth Ben Slama,
Olivier Dauchot, Danièle Garreton, Patricia Ern, Alexandre Ern, Olivier Simonin,
Alain Petitjean.
De nombreuses illustrations de ce livre proviennent du Laboratoire national
d’hydraulique de la direction des Études et Recherches d’EDF (DER), laboratoire par
lequel nous sommes tous les quatre passés et que certains d’entre nous ont dirigé.
C’est l’ensemble du personnel de ce laboratoire que nous remercions également ici.
Merci en particulier à Jean-Michel Hervouet pour les illustrations de calculs d’écou-
lements à surface libre (chapitre 6), et à Bertrand Carissimo du département Envi-
ronnement de la DER pour sa contribution aux illustrations et aux références du
chapitre 5.
V
Sommaire
Préface de Forrest M. Holly
VII
Avant-propos
X
Notations
XII
Chapitre 1.
Les notions fondamentales à travers l’histoire de leur découverte
(introduction aux écoulements incompressibles) 1
Chapitre 2.
Turbulence et modélisation des écoulements turbulents 67
Chapitre 3.
Écoulements permanents dans les circuits et réseaux de tuyauteries 137
Chapitre 4.
Efforts induits par les écoulements sur les structures 166
Chapitre 5.
Les écoulements à la surface du globe. Écoulements géophysiques.
Écoulements à surface libre 196
Chapitre 6.
Les écoulements transitoires dans les canaux et rivières 238
Chapitre 7.
Écoulements permanents et transport de sédiments
dans les canaux et rivières 316
Bibliographie
354
Index
361
Table des matières
364
V I I
Préface
Computational hydraulics, computational
fluid dynamics, and hydroinformatics have
invaded virtually all domains of research
and application in hydroscience and fluids
engineering. To the extent that this invasion
has led to improved understanding of
complex fluid phenomena and provided a
frame of reference for testing and verifying
designs and operational schemes, we have all
benefited from it. But to the extent that it has
shifted attention away from fundamental
descriptions and understanding of fluid
phenomena, and toward computational and
numerical issues, this invasion has left a void
in the scientific and technical literature. This
void exists somewhere between student
exposure to first principles of solid and fluid
mechanics on the one hand, and advanced-
student and researcher/practitioner exposure
to computational techniques and
applications on the other. This new text
naturally and refreshingly steps in to fill this
void, and as such is a most welcome addition
to the literature and to personal and
institutional libraries.
The text is refreshing in its innovative and
careful attention to setting the historical
framework of general and specific topics.
This is most notable in the first chapter,
which very gracefully and efficiently leads
the reader through historical developments
to contemporary mathematical statements of
basic fluid phenomena. Once the authors
Le calcul numérique en hydraulique et en
mécanique des fluides, l’hydro-informatique, ont
pratiquement envahi tous les domaines de
recherches et d’applications en sciences de l’eau et
en ingénierie des fluides. Nous en avons tous
bénéficié, dans la mesure où cette invasion a
permis une meilleure compréhension de
phénomènes complexes dans les fluides, et a
fourni un référentiel pour tester et vérifier les
concepts et leurs schémas opérationnels. Mais,
dans la mesure où l’effort s’est déplacé de la
description fine des phénomènes fluides vers les
aspects numériques et informatiques du calcul,
cette invasion a provoqué un vide dans la
littérature scientifique et technique. Ce vide se
trouve quelque part entre l’exposé didactique des
principes fondamentaux de la mécanique des
solides et des fluides, et la confrontation de
l’étudiant déjà avancé, du chercheur et du
praticien, avec les techniques du calcul numérique
et avec les applications. Ce nouvel ouvrage vient
avec bonheur combler ce vide ; il a sa place dans
les bibliothèques comme dans notre
documentation personnelle.
Ce livre est d’un abord particulièrement agréable
en ce qu’il met en scène, de façon très soignée
autant que novatrice, le contexte historique des
différents concepts. C’est dans le premier chapitre
que cet effort est le plus remarquable, en guidant
le lecteur d’une manière pédagogique et élégante à
travers les évolutions historiques jusqu’à la
description mathématique contemporaine des
M
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D E S
F L U I D E S
A P P L I Q U É E
V I I I
have established this foundation of
fundamental principles, they tie each
succeeding chapter back into the
introduction with appropriate and
supportive historical contexts. Although the
text does not shy away from rigorous
analytical descriptions of fluid phenomena,
it is unique in providing this delightful
historical context for each topic. The authors
have also made a special effort to tie the
chapters together into a unified whole, with
ample references forward and back ; this is
indeed rare, and much appreciated, in a text
of multiple authorship.
The topics treated and chapter structures
reflect the authors’professional
preoccupation with real-world problems. Yet
the presentations focus on fundamentals,
aimed squarely at the needs of advanced
students, researchers, and professionals.
Each chapter includes a section on problems
and applications, providing further
illustration and amplification of
fundamental concepts through application
to real-world situations and problems.
The organization of this text is not
traditional, and bears witness to the
authors’professional preoccupation with
real-world problems. For example, the lack
of universal descriptions of turbulence and
its effective mathematical and physical
conceptualization is a continuing,
fundamental stumbling block in most areas
of hydroscience and fluids engineering. The
authors therefore tackle the turbulence
problem in the very first technical chapter of
the book, providing a frame of reference for
the necessary empirical and quasi-analytical
descriptions of turbulence in subsequent
chapters. This chapter could be a textbook in
itself, providing a very comprehensive and
detailed description of the problem and
attempts to resolve it.
The material of the next chapter on steady
flow in conduits follows naturally from, and
builds on, the previous material on
phénomènes généraux de la mécanique des
fluides. Après avoir établi les fondements des
principes généraux, les auteurs replacent les
chapitres qui suivent dans ce contexte. Le discours
ne craint pas de recourir aux descriptions
analytiques rigoureuses des phénomènes, et sa
grande originalité, réside encore une fois, en ce
qu’il situe d’une façon très agréable chaque sujet
dans son contexte historique. Les auteurs se sont
également efforcés de produire un ensemble
cohérent, en établissant tous les liens nécessaires
entre les chapitres, avec de nombreuses références
croisées – chose trop peu fréquente dans un livre
écrit par plusieurs auteurs.
Les sujets abordés et la structure du livre
elle-même, reflètent les préoccupations
professionnelles des auteurs, en relation avec les
applications pratiques. Mais la présentation du
sujet se concentre sur les aspects fondamentaux,
directement orientés vers les besoins des étudiants
avancés, des chercheurs et des professionnels.
Chaque chapitre comprend des problèmes et des
applications, ce qui contribue à mieux illustrer
encore les concepts fondamentaux en montrant
comment ils s’appliquent aux situations réelles.
Le plan du livre rompt avec la tradition, ce qui
témoigne du souci des auteurs de traiter de
problèmes réels. Ainsi, l’absence de description
universelle de la turbulence, et sa traduction en
concepts mathématiques et physiques, sont les
pierres d’achoppement majeures, permanentes,
dans la plupart des domaines des sciences de l’eau
et de l’ingénierie des fluides. Les auteurs ont donc
choisi de s’attaquer au problème de la turbulence
dès le premier chapitre proprement technique du
livre, ce qui procure un cadre de référence pour les
descriptions empiriques ou semi-analytiques de la
turbulence qui sont utilisées dans les chapitres
suivants. Ce chapitre, qui fournit une description
détaillée et claire du problème, avec les tentatives
pour le résoudre, pourrait être un livre à lui seul.
La matière du chapitre suivant, qui concerne les
écoulements permanents dans les conduites,
s’appuie sur les concepts fondamentaux et sur la
description de la turbulence introduits
auparavant, et en découle naturellement.
I X
fundamental flow descriptions and
turbulence. The chapter on flow-structure
interaction is refreshing for its up-front
recognition of the need to distinguish
between non-accelerating and accelerating
situations as equally important, leading
naturally to the notions of added mass and
its quantification. The chapter on
geophysical flows provides an unusual and
much-appreciated unified view of
atmospheric and free-surface large-scale
flows. The final two chapters on unsteady
and steady channel flow embody very
thoughtful and well-crafted discussions on
the physical bases for waves of various scales,
and on the basic notions of mobile-bed
fluvial hydraulics.
The faint-hearted, perhaps attracted by the
humanistic and historical context of the
book, should not expect to digest the material
without chewing on the rigorous and
detailed mathematical descriptions. Indeed,
the book is unusual in its spanning of the
chasm between heuristic phenomenological
descriptions and their rigorous
mathematical representations. For the
student of intermediate to advanced fluid
mechanics and hydraulics ; for the researcher
seeking a base reference for problems of
current interest ; for the advanced student
seeking to develop a unified view of
seemingly disconnected realms in
hydroscience ; and for the professional
motivated to strengthen his or her
understanding of the fundamental bases of
simulation through computation ; this book
should be an invaluable and timeless
resource.
Le chapitre sur les interactions fluide-structure est
bienvenu par son rappel de la distinction entre les
écoulements qui subissent ou non une
accélération, situations toutes deux importantes ;
il amène naturellement à introduire et à quantifier
la notion de masse ajoutée. Le chapitre sur les
écoulements géophysiques tranche sur les
présentations habituelles et fournit avec
pertinence une vision unifiée des écoulements
dans l’atmosphère, et des écoulements à surface
libre à grande échelle. Les deux derniers chapitres
sur les écoulements instationnaires et
stationnaires dans les canaux constituent une
discussion bien construite sur les bases physiques
des phénomènes d’ondes à différentes échelles, et
sur les notions importantes pour les écoulements
fluviaux à fond mobile.
Le lecteur nonchalant qui pourrait n’être attiré
que par l’abord humaniste sous lequel se présente
le livre ne doit pas espérer en assimiler la matière
sans s’investir dans la compréhension des
descriptions mathématiques rigoureuses et
détaillées. Ce livre tranche réellement avec l’usage
en comblant le vide qui existe encore trop entre les
descriptions phénoménologiques heuristiques et
leur représentation mathématique rigoureuse.
Pour l’étudiant en mécanique des fluides et en
hydraulique, pour le chercheur qui a besoin d’une
base de référence sur les phénomènes généraux,
pour celui qui est assez avancé dans son étude du
domaine pour chercher à en développer une
vision unifiée à partir des différents éléments des
sciences de l’eau, souvent présentés comme
disjoints, et pour le professionnel qui souhaite
renforcer sa connaissance des bases qui sous-
tendent les méthodes de simulation numérique,
cet ouvrage devrait constituer une ressource
durable et de grande valeur.
Forrest M. Holly Jr.
Professor and Chair of Civil and Environmental Engineering
Research Engineer, Iowa Insitute of Hydraulic Research
Vice President, International Association of Hydraulic Research
Iowa City, May 1998
M
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X
Avant-propos
Aujourd’hui, l’étude des écoulements incompressibles en mécanique des fluides
offre une palette d’applications extrêmement diversifiée : des études d’aménagement
au génie industriel, de la ventilation dans l’habitat à la gestion de l’eau, de l’industrie
chimique à la médecine… C’est une composante obligée d’un grand nombre de
projets et de programmes pluridisciplinaires.
Ce livre constitue, à l’attention des étudiants, des ingénieurs et des chercheurs, un
exposé général sur les phénomènes importants et sur les méthodes d’analyse en
Mécanique des fluides appliquée. L’ingénieur doit avoir la capacité d’estimer rapide-
ment des ordres de grandeur, et doit aussi connaître les méthodes de modélisation
qui sont à la base des outils d’analyse plus précise. Parmi ces derniers, chacun connaît
le développement important des méthodes de simulation numérique et du marché
des logiciels. Sans une connaissance des phénomènes, on ne peut utiliser ces logiciels
de façon sûre. La recherche appliquée, aujourd’hui, a les mêmes besoins.
Le premier chapitre, destiné à introduire les bases de la mécanique des fluides,
tranche sur l’exposé traditionnel – et souvent ennuyeux – qui part de l’analyse tenso-
rielle pour aboutir aux équations de Navier-Stokes. C’est à la lecture du remar-
quable, bien qu’ancien, ouvrage de Hunter Rouse et Simon Ince sur l’«Histoire de
l’hydraulique», publié dans les années 1950 en français dans la revue
La Houille
Blanche
, puis, en anglais, aux États-Unis, que m’est venue l’intention de présenter
cette introduction sous la forme d’un aperçu historique. Il nous est très vite apparu,
ensuite, que l’approche historique présente aussi un intérêt pédagogique clair, grâce
à la progression qu’elle apporte dans l’introduction des éléments fondamentaux :
comment attendre d’un lecteur non initié qu’il puisse considérer, d’emblée, comme
des évidences, des notions que l’humanité a mis des milliers d’années à assimiler? Il
est aussi intéressant de rappeler la place que les ingénieurs français, comme Chézy,
Navier ou Saint-Venant ont tenu dans le développement de cette science. À ce titre,
ce chapitre introductif intéressera sans doute le lecteur déjà familier de la mécanique
des fluides.
Les domaines d’application qui sont l’objet de ce livre sont plus particulièrement les
circuits et réseaux hydrauliques, qui sont présents dans tous les domaines de l’ingé-
X I
niérie, les écoulements autour de structures et d’obstacles, importants pour les struc-
tures de génie civil comme pour la conception des véhicules et moyens de transport,
ainsi que les écoulements dans notre environnement naturel. Trois chapitres du livre
sont consacrés à ce dernier sujet. Est-il besoin de le rappeler, l’Homme ne peut être
indifférent à son environnement, que ce soit l’environnement qui agisse sur les
ouvrages ou bien que ce soient ses aménagements ou son industrie qui perturbent la
géosphère. Après une introduction générale aux écoulements de l’atmosphère et des
eaux de surface, le livre présente ensuite un approfondissement sur les écoulements
dans les canaux et rivières : propagation d’ondes, des crues et des inondations, trans-
port de sédiments, transitions de régimes dans les écoulements permanents.
Pratiquement tous les écoulements qui intéressent l’ingénieur sont turbulents
. Les connais-
sances de base sur la turbulence sont donc introduites dès le second chapitre du livre,
ce qui permet ensuite de comprendre les problèmes de la modélisation détaillée des
différents types d’écoulements et de bien voir ce qu’il y a derrière les outils simples qui
sont utiles à l’ingénieur.
L’unité de tous les phénomènes présentés dans ce livre est que la masse volumique
peut être supposée constante : il s’agit donc, comme nous l’avons rappelé plus haut,
d’écoulements incompressibles – notion qui est précisée dans le premier chapitre.
L’aérodynamique, les transferts de chaleur, les écoulements stratifiés font l’objet
d’un autre ouvrage.
Je souhaite que ce livre soit un bon support pour les étudiants et les élèves des écoles
d’ingénieur, mais aussi un outil utile pour ceux qui ont à résoudre des problèmes
concrets, et une lecture agréable pour les amoureux de la mécanique des fluides.
Pierre-Louis Viollet
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X I I
Principales notations
A
Section transversale d’une conduite ou d’un canal.
C
Célérité des ondes de gravité (= (g
h
)
0,5
)
C
D
Coefficient de traînée.
C
L
Coefficient de portance.
C
H
Coefficient de Chézy.
C
p
Coefficient de pression.
d
Échelle de longueur.
D
Diamètre (conduite de section circulaire ; objet cylindrique ou sphérique).
D
H
Diamètre hydraulique pour un conduit de section quelconque
(égal à quatre fois le rapport de la section au périmètre mouillé).
D
(
K
) Densité spectrale de la dissipation
ε
.
e
Énergie interne massique.
e
v
Épaisseur de la sous-couche visqueuse.
E
(
K
) Densité spectrale d’énergie turbulente.
f
Fréquence.
F Nombre de Froude =
V
/ (g
l
)
0,5
(plus précisement V / (g
h
)
0,5
pour l’étude des écoulements à surface libre).
g Accélération de la pesanteur.
h
Hauteur d’eau (=
η
–
Z
f
). Échelle de hauteur.
h
c
Hauteur d’eau critique (correspond à F = 1)
h
n
Hauteur d’eau normale (correspond à
I
=
J
)
H
Charge =
p
+
ρ
g
z
+
ρ
V
2
/ 2.
Charge exprimée en mètres d’eau =
H
/ ρg
Charge spécifique (comptée à partir du fond d’une rivière ou d’un canal).
Id Tenseur identité
I Pente du fond d’un canal ou d’une rivière = – ∂Zf / ∂x.
H
H s
X I I I
J Terme contenant le frottement pour un écoulement à surface libre
J = τ / (ρgRH).
k Énergie turbulente.
K Vecteur d’onde (= 2π / longueur d’onde).
Ks Coefficient de Strickler (expression du frottement pour un écoulement
à surface libre).
L Échelle de longueur dans le plan horizontal.
Largeur d’un canal ou d’une rivière. Longueur d’un conduit.
Lt Échelle des grandes structures turbulentes.
Lm Longueur de mélange de Prandtl.
l Échelle de longueur.
p Pression.
pi Pression d’arrêt.
p* Écart de pression par rapport à la pression hydrostatique.
p′, p*′ Fluctuation de pression.
P Terme de production dans le bilan d’énergie turbulente.
Q Débit volumique d’une écoulement en conduite, canal, ou rivière.
R Tenseur de Reynolds.
Rij Composantes du tenseur de Reynolds.
RH Rayon hydraulique = DH / 4
Re Nombre de Reynolds = Vd / ν
Ro Nombre de Rossby = V / γL
S Nombre de Strouhal = fd / V
Sij Composantes du tenseur des vitesses de déformation.
u, v, w Composantes de la vitesse selon les directions x, y et z, respectivement.
U Composante de la vitesse selon la direction principale de l’écoulement dans
un conduit, un canal ou une rivière, moyennée sur la section transversale A
(chap. 3, 6 et 7).
U, V Composantes, selon x et y, de la vitesse moyennée selon la profondeur ;
chapitre 5 (U = <u> ; V = <v>).
u* Vitesse de frottement (dans la couche limite).
ui Composante de la vitesse selon la coordonnée xi .
ui′ Fluctuation turbulente de la composante ui de la vitesse.
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É EX I V
V Vecteur vitesse.
x, y, z Repère cartésien (z désigne la coordonnée verticale ascendante).
xi (i = 1 à 3 pour x, y, z). x3 désigne la coordonnée verticale ascendante.
x Vecteur de coordonnées (x, y, z).
Y Fraction massique d’une substance dissoute ou présente dans le mélange.
Zf Cote du fond pour un écoulement à surface libre.
χ Périmètre mouillé.
δi j Symbole de Kronecker (= 1 si i = j ; = 0 sinon).
ε Terme de dissipation dans le bilan d’énergie turbulente.
γ Paramètre de Coriolis = 2 ω sin(λ).
η Cote de la surface libre d’un liquide.
κ Constante de Von Karman.
λ Latitude.
λ 0 Échelle de Kolmogorov (échelle des plus petits tourbillons turbulents).
Λ Longueur d’onde.
λ c Coefficient de perte de charge linéaire.
ν Viscosité cinématique.
ν t Viscosité turbulente.
µ Viscosité dynamique.
ρ Masse volumique.
Tenseur des contraintes.
σ i j Composantes du tenseur des contraintes : σ i j = τ i j – pδi j .
Tenseur des contraintes visqueuses.
τ i j Composantes du tenseur des contraintes visqueuses.
τ p Contrainte de frottement à la paroi.
τ w Contrainte de frottement causée par le vent
à la surface libre d’un plan d’eau.
ζ Rugosité d’une paroi.
ξ c Coefficient de perte de charge singulière.
ω Pulsation (= 2π / période).
ln Logarithme népérien.
log10 Logarithme décimal.
X V
sinh Sinus hyperbolique.
cosh Cosinus hyperbolique.
tanh Tangente hyperbolique.
∆ Laplacien .
<G> Moyenne de la grandeur G, sur la section transversale d’un conduit
ou d’un canal, ou, selon la profondeur, entre Zf et η (chapitre 5).
G″ Écart local par rapport à <G> (= G – <G>).
représente la moyenne stochastique de la grandeur G (filtrée des
fluctuations turbulentes).
G ′ Fluctuation turbulente de la grandeur G (= G – ).
A ⊗ B Produit tensoriel du tenseur A et du tenseur B.
Sauf mention contraire, on utilise la notation d’Einstein de sommation des indices
répétés :
.
Dérivée partielle et dérivée en suivant le fluide dans son mouvement
La dérivée partielle ∂ / ∂t représente la variation dans le temps d’une grandeur en
un point fixe par rapport au système de coordonnées. Il est commode en Mécanique
des fluides d’utiliser le concept de variation des grandeurs en suivant les particules
fluides dans leur mouvement. La variation d’une grandeur f pendant l’intervalle de
temps dt, variation observée en suivant les particules fluides dans leur mouvement,
s’écrit (avec sommation sur l’indice i) :
;
soit : .
Cet opérateur est appelé dérivée particulaire de la grandeur f. Il représente la variation
d’une grandeur physique en suivant l’écoulement. Ce concept est très utile pour
écrire les équations de transport de diverses grandeurs comme l’énergie, la concen-
tration d’une substance portée par le fluide, etc.
∂2
x2∂-------- ∂2
y2∂------- ∂2
z2∂-------+ +=
G
G
Aik Bjk Aik Bjk ; Aik Bjk Cjl
k 1=
3
∑ Aik Bjk Cjl
j 1=
3
∑k 1=
3
∑= =
fdf∂t∂
---- tdf∂xi∂
------- xid+ f∂t∂
----f∂xi∂
------- xid
td-------+
tdf∂t∂
---- ui f∂xi∂
-------+ td= = =
fd
td---- f∂
t∂---- V grad f( )⋅+ f∂
t∂---- ui
f∂xi∂
-------+= =
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É EX V I
Rayon hydraulique et diamètre hydraulique
Dans la section transversale A d’un conduit ou d’un canal, le périmètre mouillé χreprésente la partie du périmètre sur lequel le fluide s’écoule au contact des parois
solides.
On appelle :
– rayon hydraulique le rapport RH = A / χ.
– diamètre hydraulique DH = 4 RH = 4 A / χ.
Pour une conduite de section circulaire, le diamètre hydraulique est égal au diamètre.
A
Écoulement en charge Écoulement à surface libre
surface libre
χ χ
C
HAPITRE
1 : L
ES
NOTIONS
FONDAMENTALES
À
TRAVERS
L
’
HISTOIRE
DE
LEUR
DÉCOUVERTE
1
C
HAPITRE
1
Les notions fondamentales à travers l’histoire de leur découverte
Introduction aux écoulements
incompressibles
« Je vois que beaucoup de choses, qui ont été
parfaitement démontrées par les Anciens, restent
actuellement incomprises de beaucoup de gens,
à cause de leur ignorance… »
Galien de Pergame,
Sur les facultés naturelles
(III, 10),
IIe
siècle après J.-C.
Ce chapitre se situe dans une perspective historique. Il décrit le développement de la
connaissance des écoulements, et des équations qui permettent de les décrire. Il établit, au
fil de cette revue, les équations, les méthodes et les hypothèses de base et constitue, par-là
même, une introduction détaillée à l’étude des écoulements incompressibles.
Il y a le problème des notations, qui ont pu évoluer au cours du temps. Pour faciliter la
compréhension du lecteur, toutes les équations qui sont citées sont retranscrites avec les
notations de ce livre, au détriment de l’authenticité historique, parfois.
1. L’homme et les écoulements incompressibles : de l’Antiquité aux équations de Navier-Stokes
Par où commencer une introduction aux écoulements incompressibles? L’approche
historique est une réponse possible, car la sédentarisation de l’homme et le dévelop-
pement de ses civilisations ont été très intimement liés à l’histoire de l’utilisation de
M
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D E S
F L U I D E S
A P P L I Q U É E
2
l’eau. Cette introduction historique s’intéresse d’abord au développement de la con-
naissance en hydraulique dans l’Antiquité, puis se propose de relater le long pro-
cessus de découvertes des lois physiques et des équations qui les décrivent.
1.1. L’Antiquité : 4 000 ans d’utilisation de l’eau
Les premières utilisations de l’eau
Les premiers foyers de civilisation furent des vallées : celles du Nil, du Tigre et de
l’Euphrate, de l’Indus, et du fleuve Jaune. Maîtriser l’écoulement de l’eau, gérer l’eau,
est une préoccupation majeure depuis que l’homme s’est sédentarisé. En premier lieu
vient l’irrigation. L’irrigation par petits canaux s’est sans doute développée dès la fin du
Néolithique entre le Jourdain, le Tigre et l’Euphrate (vers 6500 av. J.-C.?), mais la mise
en commun des moyens importants nécessaires à l’irrigation et au drainage des terres
alluviales fertiles – mais arides ou marécageuses – des grandes vallées alluviales a été
sans doute le moteur de la constitution des premières civilisations. Les premiers grands
travaux hydrauliques sont ainsi contemporains – voire antérieurs – à l’invention de
l’écriture : vers 3300 av. J.-C., à Sumer, dans le delta de l’Euphrate, vers 3000 av. J.-C., en
Égypte. En Mésopotamie, le système des grands canaux s’est progressivement déve-
loppé sous les dominations akkadienne, babylonienne et assyrienne, jusqu’à permettre
la généralisation d’une agriculture intensive à haut rendement. Certains canaux fonc-
tionnaient par écoulement gravitaire entre l’Euphrate et le Tigre. Écoutons Hérodote,
voyageur grec, qui visita l’Égypte et la Mésopotamie vers 460 av. J.-C. :
« Il pleut très peu en Assyrie, juste assez pour permettre au blé de pousser. Mais grâce à l’eau du
fleuve, il peut croître et donner des moissons […]. Toute la Babylonie est sillonnée de canaux,
comme l’Égypte ; le plus important de ces canaux est navigable, même aux plus grands bateaux ;
il relie, en direction du lever du soleil d’hiver, l’Euphrate au Tigre
1
. »
En Égypte, justement, la gestion du trésor que constituent les crues du Nil, porteuses
d’eau et de limons fertiles, a conduit, dès le troisième millénaire, à mesurer le niveau
des crues (par des échelles appelées « nilomètres ») et à stocker l’eau des crues dans
des réservoirs, aménagés à partir de cuvettes naturelles, afin de la réutiliser grâce à un
système de canaux d’irrigation.
1.
L’Enquête
, tome I, traduction de Jacques Lacarrière.
C
HAPITRE
1 : L
ES
NOTIONS
FONDAMENTALES
À
TRAVERS
L
’
HISTOIRE
DE
LEUR
DÉCOUVERTE
3
Figure 1.1.
Localisation des principaux grands travaux hydrauliques dans l’Égypte ancienne.
Mais les crues sont aussi sources de destructions. La première grande crue, dont on ait
la trace, est sans doute le Déluge mésopotamien
2
, qui pourrait être une crue de
l’Euphrate ayant détruit la cité sumérienne de Shuruppak vers 2900 av. J.-C. En Égypte,
2. Il existe plusieurs récits sumériens et babyloniens du Déluge (voir Samuel Noah Kramer et GeorgesRoux). Le récit babylonien, inclus dans l’
Épopée
de Gilgamesh
, fut, peut-être, inspirateur du récitbiblique.
31°
29°
27°
25°
Assèchement d'un bras du Nilpour construire Memphis,
digue et levées de protection(3100 av. J.-C.)
Memphis
Saïs Lac Timsah
Lacs AmersOuadiTumilat
Bubastis
Thèbes
Lac Qaroun
Dépressiondu Fayoun
Golfe de Suez
Sinaï
MerRouge
Île d'ÉléphantineRapides d'Assouan(première cataracte)
Alexandrie (332 av. J.-C.)
Barrage de Sadd el Kafara(2500 av. J.-C.)
Canal de Nechao (600 av. J.-C.)(canal des Deux Mers)
Canal Joseph
Lac Moeris (1850 av. J.-C.)
Canal de navigation(2400 av. J.-C.)
Nil
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des levées permettaient de contenir l’inondation excessive : c’est sans doute Ménès, l’un
des premiers pharaons, qui, vers 3100 av. J.-C., fit construire les premières levées pour
protéger sa capitale Memphis, nouvellement créée sur une terre gagnée sur un bras du
Nil. En Chine, le fleuve Jaune est connu pour ses crues dévastatrices et les changements
de son lit (voir la figure 7.4), et son histoire est celle d’une lutte sans fin contre les rup-
tures de digues ; vers 2000 av. J.-C., le légendaire empereur Yu (l’un des premiers empe-
reurs de Chine) fit édifier en treize ans un immense système de digues et de levées de
protection
3
. Hérodote rapporte que la reine Sémiramis (au
VIII
e
siècle av. J.-C.) « sup-
prima les crues du fleuve (l’Euphrate) en faisant construire, dans la plaine de Babylone,
des digues remarquables ».
La navigation fut très tôt une autre incitation à creuser des canaux. Sur le Nil, un
canal permettant aux navires de franchir les rapides d’Assouan a été percé vers
2400 av. J.-C., sous le règne du pharaon Merenrê (Ancien Empire), puis agrandi vers
1870 av. J.-C., sous Sesostris III, au Moyen Empire. Beaucoup plus tard, vers
600 av. J.-C., le pharaon Néchao II fit entreprendre par 120 000 ouvriers la construc-
tion d’un grand canal de navigation – ancêtre du canal de Suez – reliant le Nil à la
mer Rouge, assez large pour que deux trières puissent y naviguer de front. Ce canal a
été terminé vers 500 av. J.-C. par le Perse Darius I, successeur de Cambyse qui conquit
l’Égypte. Cette voie d’eau était alimentée par le Nil, et il semble que, jusqu’à Pto-
lémée, qui fit réaliser l’ouvrage final (une porte, ou écluse à sas?), en 280 av. J.-C., un
transbordement ait été nécessaire. Ce canal a été entretenu et utilisé sous la domina-
tion romaine, jusqu’à 760 ap. J.-C.
4
En Chine, les premiers éléments du vaste système
de canaux qui relie le bassin du fleuve Jaune à celui du Yangzi datent du
v
e
siècle av. J.-
C. En Mésopotamie, comme le Tigre n’était pas navigable jusqu’à son embouchure,
les grands canaux mentionnés plus haut permirent au roi Sennacherib, vers 700 av.
J.-C., de faire transiter une flotte construite à Ninive sur le Tigre jusqu’au golfe Per-
sique, via l’Euphrate
5
. L’existence de bateaux à voile est attestée vers 4000 av. J.-C. sur
l’Euphrate, et vers 3100 av. J.-C. sur le Nil : la voile permit le développement du com-
merce maritime : entre la Mésopotamie, Bahrein dans le golfe Persique et les
anciennes cités de la vallée de l’Indus ; entre l’Égypte et le « pays de Punt » sur la mer
Rouge, entre le Nil et Byblos au Liban.
Un autre exemple de grands travaux hydrauliques en Égypte au Moyen Empire : la
dépression marécageuse du Fayoun, alimentée par un ancien bras issu du Nil (le canal
Joseph ou Bahr Youssouf), 80 km au sud-ouest de Memphis, put offrir de nouvelles
terres agricoles après des travaux de canalisation du canal Joseph, de construction de
3. Liang Ruiju, Zheng Zhaojin, Hu Jialin, dans Garbrecht, 1987.
4. Voici ce qu’écrivit Hérodote sur le tracé de ce canal : « Il se détache [du Nil] un peu au-dessus deBubastis, passe près de la ville arabe de Patoumos [Tell el Maskhoutah] et aboutit à la mer […]. Ilcoupe d’abord la plaine égyptienne au pied de la montagne qui s’étend du côté de Memphis [la val-lée du Ouadi Tumilat] […]. Il longe donc la base de cette montagne sur une grande distance, ducouchant vers l’aurore, puis il passe par des gorges et se dirige vers le midi et le vent du sud pouraboutir au golfe Arabique. » (
L’Enquête
, II). Une stèle érigée par Darius I et découverte sur ce tracépermet de confirmer ce témoignage.
5. D’après Georges Roux,
La Mésopotamie
.
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digues pour l’aménagement d’un lac (le lac Moeris, sans doute au sud et au-dessus du
lac Qaroun qui occupe le fond de la dépression) et de construction de canaux de drai-
nage et d’irrigation
6
. Selon Hérodote, l’écoulement dans le canal Joseph était une
partie de l’année dirigé en direction du lac, et une partie de l’année en direction du Nil,
selon que le lac stockait ou destockait la crue. Ces travaux, entrepris par le pharaon
Sesostris II et terminés par son successeur Amenemhat II, durèrent une cinquantaine
d’années (entre 1890 et 1840 av. J.-C., environ). De nouveaux aménagements de cette
région furent réalisés sous les Ptolémées, au
III
e
siècle av. J.-C. : les restes d’un barrage de
8 km de long et 7 m de haut datent de cette période
7
.
Figure 1.2.
Le
qanat
: un ouvrage hydraulique pour obtenir de l’eau dans les pays secs.
Les cours d’eau étaient sources d’eau, mais de qualité médiocre pour la consomma-
tion. En l’absence de sources, le creusement de puits a été utilisé depuis le Néoli-
thique. Il existe une forme originale de puits, appelée
qanat
8
, inventée sans doute en
Arménie
9
vers le
VII
e
siècle av. J.-C., puis pratiquée dans l’empire perse, et dont l’uti-
lisation a été propagée par les Arabes jusqu’au Maroc et en Espagne : il s’agit d’une
galerie creusée presque horizontalement, mais avec une petite pente pour l’écoule-
ment de d’eau, au flanc d’un relief, jusqu’à rencontrer la nappe aquifère. Des puits
intermédiaires, espacés de 50 à 300 m, permettent la ventilation. La longueur de la
galerie est le plus souvent d’environ 10 km, avec un débit de l’ordre de 20 l/s.
Les Grecs et les premières théories
Dans l’Antiquité, les théories étaient inexistantes. Aristote (384-322 av. J.-C.) pensait
que si le bois flotte, c’est parce qu’il contient de l’air, est qu’il est dans l’ordre du posi-
tionnement de ces éléments que l’air soit au-dessus de l’eau (et l’eau au-dessus de la
terre, etc.). C’est de l’école d’Alexandrie que vinrent les premières lumières. On pense
qu’Archimède (287-212 av. J.-C.) étudia à Alexandrie avec les disciples d’Euclide ;
6. Günther Garbrecht, « The question of lake Moeris », Congrès AIRH, Cagliari, sept. 1979.
7. D’après des études de terrain de 1988, reportées par Schnitter, 1996.
8. Le lecteur pourra se reporter à l’étude très complète de Henri Goblot, 1979.
9. Dans les environs du lac de Van. Cette région faisait partie du royaume d’Urartu, qui était unegrande puissance rivale de l’empire assyrien.
nappe
quelques l/s à 400 l/s
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c’est dans sa patrie Syracuse, en Sicile (où il continuait de correspondre avec Ératos-
thène à Alexandrie), qu’il formula les lois de l’hydrostatique et de la flottabilité, et
pressentit la notion de pression, notamment par son postulat initial :
« Nous admettons comme principe que le liquide a une nature telle que, ses parties étant dispo-
sées d’une manière égale et contiguës, celle qui est le moins comprimée est poussée de sa place
par celle qui est comprimée davantage, et que chacune de ses parties est comprimée par le
liquide placé au dessus d’elle, à moins que le liquide ne soit enfermé dans quelque récipient et
comprimé par quelque chose d’autre
10
. »
Avec comme conséquence remarquable, dès la deuxième page de son traité :
« La surface de tout liquide en état de repos aura la forme d’une sphère ayant le même centre que
la Terre. »
Et, bien sûr, la formulation bien connue de la
poussée d’Archimède
:
« Toute grandeur solide plus légère qu’un liquide (de même volume), abandonnée dans ce
liquide, y sera immergée jusqu’à un niveau tel que le liquide qui occuperait le volume de la
partie immergée a le même poids que la grandeur entière. »
« Les corps solides plus légers qu’un liquide (de même volume), plongés par force dans ce
liquide, sont renvoyés vers le haut avec une force égale au poids dont le liquide, qui occuperait
le même volume que la grandeur solide, l’emporte sur le poids de cette grandeur. »
« Les grandeurs plus lourdes qu’un liquide (de même volume), abandonnées dans ce liquide,
descendent vers le bas jusqu’à ce qu’elles aient atteint le fond, et elles seront allégées dans le
liquide du poids du liquide contenu dans un volume égal au volume de la grandeur solide. »
C’est Héron d’Alexandrie (au
I
er
siècle après J.-C.) qui le premier a explicité la notion
de débit d’un canal, en exprimant le débit volumique comme le produit de la vitesse
(V) par la section (notée
A
dans ce livre) :
Q
=
VA
(1.1)
Par ailleurs, les Grecs avaient identifié le phénomène des marées, et compris, à partir
du
II
e
siècle après J.-C., les influences du soleil et de la lune.
Les ingénieurs romains
Les Romains ont construit de nombreux ouvrages hydrauliques : aqueducs, canaux,
systèmes d’alimentation en eau et systèmes d’assainissement. Une alimentation en eau
fraîche était placée par les Romains au plus haut de leur échelle de valeur, ce qui
explique le caractère parfois colossal des ouvrages réalisés : on peut encore voir le pont
du Gard en France, et des restes d’aqueducs en de nombreux endroits. L’histoire a con-
servé les écrits de deux auteurs : Marcus Vitruvius Pollio – ou Vitruve – qui vécut sous
Jules César et Auguste (
I
er
siècle av. J.-C.) et écrivit dans son traité sur les sources, les
moulins et les aqueducs, et Sextus Julius Frontinus – ou Frontin – (35-103 ap. J.-C.) qui
fut nommé par l’empereur Nerva, « commissaire pour l’eau (
curator aquarum
) » de la
ville de Rome avec pour mission de remettre de l’ordre dans le système de distribution.
On sait ainsi que l’eau provenant de sources, de la captation de nappes ou de rivières
10.
Des corps flottants
, trad. de Charles Mugler.
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FONDAMENTALES
À
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DE
LEUR
DÉCOUVERTE
7
était collectée dans des réservoirs, qui faisaient aussi office de bassins de décantation ;
puis par des aqueducs ou des conduites en charge, elle était transportée jusqu’à des châ-
teaux d’eau (
castellum
) et directement distribuée vers des réservoirs auxiliaires.
À Rome, trois différents types d’usages étaient distingués : les fontaines publiques, les
établissements de bains et, enfin, l’alimentation en eau des particuliers. Les deux der-
niers groupes de clients bénéficiaient d’une concession, liée au paiement d’une rede-
vance, ou don de l’empereur, selon les époques : ils étaient distribués à partir de
réservoirs à niveau constant dont le surplus se déversait vers l’alimentation des fon-
taines publiques. Ces dernières bénéficiaient donc d’une priorité d’alimentation. De
plus, la plupart des fontaines publiques de Rome, selon Frontin, étaient alimentées
par deux bouches, alimentées par des aqueducs différents, afin de garantir la sécurité
de l’approvisionnement. De nombreux piquages sauvages permettaient aux riverains
des aqueducs de s’approvisionner clandestinement, et aux fontainiers d’entretenir un
marché parallèle. Frontin consacra une grande partie de sa mission à réduire ces pré-
lèvements clandestins. On estime à presque un mètre cube d’eau par habitant et par
jour le volume d’eau ainsi apporté dans la ville de Rome (soit 100 fois plus qu’à Paris
au
XIX
e
siècle).
Les aqueducs romains étaient réalisés en maçonnerie. Souterrains sur une partie de
leur parcours, ils terminaient généralement leur trajet sur des arcades. Ils étaient cou-
verts, pour éviter la pollution de l’eau, avec des évents de ventilation ou d’inspection
Tableau 1.1. Les neuf aqueducs de Rome à l’époque de Frontin (vers 100 ap. J.-C.)*.
Deux autres aqueducs, l’Alexandrina et la Trajana, devaient encore être construits par la suite.
(*) D’après Frontin et les commentaire de Pierre Grimal.
Nom Date de
construction
Longueur
(km)
Débit estimé
(m3 / jour)
Origine et qualité de l’eau
Appia 312 av. J.-C. 16,5 73 000 Source dans la vallée de l’Anio. Excellente.
Anio Vetus 272 av. J.-C. 64 176 000 Rivière Anio. Un peu trouble.
Marcia 144 av. J.-C. 91 188 000 Captage de sources. Excellente (consommation).
Tepula 125 av. J.-C. 18 17 800 Captage de nappes. Eau tiède.
Julia 33 av. J.-C. 22 48 200 Sources. Excellente.
Virgo 19 ap. J.-C. 21 100 200 Source. Excellente.
Alsietina 2 ap. J.-C. 33 15 700 Lac Alsietinus. Non potable (naumachie
et jardins).
Claudia 47 ap. J.-C. 69 184 300 Sources. Excellente
Anio Novus 52 ap. J.-C. 87 189 500 Rivière Anio. Trouble (bassin de décantation).
Débit total (sauf Alsietina) 977 000
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E8
tous les 100 mètres environ. Les conduites en charge étaient construites de matériaux
variés : maçonnerie, terre cuite, plomb. Les conduits de distribution, en aval des châ-
teaux d’eau, étaient réalisés en plomb ; leurs diamètres étaient normalisés en vue de
l’équité de la distribution. La pratique du siphon apparut assez tardivement dans
l’Antiquité11 : au début, les Romains préféraient faire suivre à leurs aqueducs les
lignes de niveau, et réaliser remblais et grands ouvrages d’art pour franchir les obs-
tacles naturels. Plus tard, lorsque le relief l’exigeait, comme à Lyon par exemple, les
Romains surent cependant réaliser des siphons de plusieurs kilomètres.
Figure 1.3. Caractéristiques hydrauliques de quelques aqueducs de Rome, à leur arrivée dans la ville
(les calculs hydrauliques figurent dans le problème n° 2, en fin du chapitre 7). L’Anio
Novus coule au-dessus de la Claudia. À l’arrivée à Rome, Marcia, Tepula et Julia sont
également sur les mêmes arches.
Les Romains savaient, bien sûr, qu’une pente vers l’aval est nécessaire à l’écoulement :
la pente moyenne des aqueducs romains varie habituellement entre 0,3 10– 3 et
4 10– 3 (exceptionnellement plus, ou moins, mais sur certains tronçons seulement).
Mais Frontin mesurait la quantité d’eau délivrée en considérant uniquement les sec-
tions de passage des ouvrages et des conduits, méconnaissant l’importance de la
vitesse pour le calcul du débit. Il existait pourtant une compréhension intuitive de la
grandeur que nous appellerons plus loin la charge ; écoutons Frontin : « Rappelons-
nous que tout aqueduc, chaque fois que l’eau vient d’un point assez élevé et arrive
dans un réservoir après un petit parcours, n’a pas seulement un débit correspondant
à son calibre, mais un débit supérieur ; chaque fois, au contraire, que, venant d’un
point assez bas – c’est-à-dire sous faible pression – il a un parcours assez long,
l’inertie du conduit le fait descendre au-dessous même de son débit théorique ; aussi
11. Sans doute dans la suite du développement scientifique à Alexandrie ; le siphon de Pergame, capi-tale d’un royaume hellénistique en Anatolie, est sans doute l’une des premières grandes réalisations,au IIIe siècle av. J.-C.
Julia Tepula Claudia Anio novus Marcia
1,4 m
0,7 m
h
0,8 m 1 m 1 m 0,9 m
1 m
Pente : I = 0,0013 environ, en fin de parcours.
Conditions de fonctionnement nominales estimées :
V = 0,95 m/s
h = 0,72 m
V = 0,69 m/s
h = 0,23 m
V = 1,34 m/s
h = 1,9 m
V = 1,35 m/s
h = 1,9 m
V = 1,25 m/s
h = 1,7 m
(limite de débordement)
2 m 2,7 m 1,7 m
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 9
faut-il, d’après ce principe, forcer le chiffre de la distribution, ou le diminuer. De
plus, la position de la prise a de l’importance. »
Les Romains, finalement, ont reconduit et généralisé des solutions existant bien
avant eux dans l’Antiquité (il existait déjà des aqueducs en Palestine au XIe siècle av.
J.-C., et même sans doute en Crête au IIe millénaire av. J.-C.), et n’ont pas fait pro-
gresser la connaissance au-delà des acquis de l’école d’Alexandrie.
Le Moyen Âge
Puis ce fut pour l’Occident le long entracte du Moyen Âge, où l’on oublia que la Terre
est ronde12, entracte rompu seulement par les travaux de quelques mécaniciens
proches de l’université de Paris (Buridan, Albert de Saxe…). Au IXe siècle, Archimède
est traduit en arabe. À cette époque, les frères Banû Mûsa, à Bagdad, traduisent de
nombreux auteurs grecs, et publient Le Livre des mécanismes ingénieux (Kitab al hiyal),
ouvrage décrivant des dispositifs hydrauliques et exploitant en particulier l’hydrosta-
tique d’Archimède. Les écrits de Héron d’Alexandrie, en revanche, tombent dans
l’oubli. En 1265, l’invasion mongole détruit le système d’irrigation de la Mésopotamie,
dont la population devait diminuer par la suite de 25 millions en 1200 à 1,5 millions en
191313. En Chine, le Grand Canal, colossal système de plus de 2 000 km de long destiné
à permettre les échanges entre la Chine du Nord et celle du Sud voit un premier abou-
tissement au VIIe siècle, sous les Sui. Il sera modifié et étendu sous les Song et les Yuan,
entre le XIe et le XIIIe siècle. En France, on commence au XIIe siècle la construction des
levées de la Loire pour protéger les terres avoisinantes contre les crues.
1.2. Léonard de Vinci et la Renaissance
C’est Léonard de Vinci (1452-1519) qui, après avoir lu Archimède, Héron, Frontin et
les auteurs du Moyen Âge, a donné le signal de l’essor de la mécanique des fluides.
Par la méthode, d’abord :
« […] avant tout, je ferai des expériences, puis démontrerai pourquoi les choses doivent se
comporter ainsi. C’est la méthode qu’il faut suivre dans la recherche de l’explication des phéno-
mènes de la nature. Il est vrai que la nature part du raisonnement pour aboutir à l’expérience ;
mais cependant nous devons suivre le chemin opposé : comme je l’ai dit, nous devons
commencer par l’expérience et tenter à partir d’elle de découvrir la raison14. »
Léonard de Vinci a été, de fait, par ses dessins, l’inventeur du concept des lignes de
courant, concept qu’il est donc opportun de définir ici :
Une ligne de courant est une ligne partout tangente au vecteur vitesse.
12. Cette rotondité avait été établie par les Grecs depuis Aristote ; Eratosthène, directeur de la Biblio-thèque d’Alexandrie, avait déterminé vers 200 av. J.-C. le rayon de la Terre avec une précision sur-prenante, à quelques pour cent près (en mesurant l’inclinaison du soleil à Alexandrie au momentoù il culminait au zénith à Assouan, le jour du solstice d’été).
13. D’après Garbrecht, 1987.
14. Op. cit., d’après Rouse et Ince.
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E1 0
Figure 1.4. L’observation des écoulements par Léonard de Vinci (dessins d’après des croquis du
Codex Leicester).
Il a laissé de nombreuses descriptions d’écoulements : jets, tourbillons derrière un
élargissement brutal, devant et derrière un obstacle, vortex, ondes de surface et res-
sauts hydrauliques – phénomènes dont nous parlerons dans la suite de ce livre. Qu’en
a-t-il conclu? Qu’il fallait profiler la forme des corps immergés pour limiter leur
résistance à l’écoulement. L’idée du parachute, de l’anémomètre pour mesurer la
Affouillement et tourbillon
devant un obstacle posé sur le fond.
Remous et tourbillons autour d’un obstacle
dans un écoulement à surface libre.
Tourbillons derrière un obstacle
cylindrique.
Structure pour protéger les berges, au confluent de deux
rivières, et dans un coude.
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 1 1
vitesse de l’écoulement, de la pompe centrifuge, des obstacles disposés près des
berges d’une rivière pour protéger ces dernières contre l’érosion. Il a étendu la
théorie de l’hydrostatique au-delà des principes d’Archimède, notamment pour les
systèmes de fluides de différentes densités. Il a compris l’influence du frottement sur
les parois sur la répartition des vitesses dans un canal :
« L’eau a une vitesse plus grande à la surface qu’au fond. Ceci se produit parce que l’eau en
surface est au contact de l’air qui offre une faible résistance, car l’air est moins dense que l’eau,
et l’eau au fond est au contact du sol qui offre une plus grande résistance, car plus dense que
l’eau et fixe14. »
Il a compris aussi que la vitesse de l’eau est différente de la vitesse des ondes qui se
déplacent à la surface libre :
« La vitesse de propagation des ondulations (de surface) dépasse toujours de beaucoup celle de
l’eau14… »
Léonard de Vinci a surtout été le premier, après Héron, à formuler le principe de con-
servation de la masse, ou principe de continuité :
« Une rivière à chaque endroit de son cours et au même moment donne passage à une même
quantité d’eau, quelle que soit sa largeur, la profondeur, la pente, la rugosité, ou son caractère
plus ou moins tortueux » ; ce qui n’est exact qu’en écoulement permanent, bien sûr. Ou encore :
« Une rivière de profondeur constante aura un écoulement plus rapide dans un passage étroit
que dans un passage plus large, dans la mesure de ce que la plus grande largeur excède la plus
petite14. »
Sensiblement à la même époque, Nicolas Copernic (1473-1543) posait que le poids,
auquel sont soumis les solides et les liquides est dirigé dans la direction du centre de
gravité, qui « ne diffère en rien du centre de la Terre ». Francisco Soto (1494-1560),
dominicain espagnol, posait dans le même temps les règles de la chute libre des
corps, reconnue comme un mouvement d’accélération uniforme – règles que Galilée
devait clarifier presque un siècle plus tard.
S’intéressant aux jets d’eau émis dans l’air, Evangelista Torricelli (1608-1647) établit
une analogie avec les corps en chute libre, tout en observant l’influence de la résis-
tance de l’air sur le mouvement du jet d’eau, « brisé en gouttelettes semblable à une
brume, (qui ne monte pas) moitié moins haut, voire trois ou quatre fois moins haut
que la distance jusqu’à laquelle, théoriquement parlant, […] on pourrait s’attendre à
le voir monter du fait de sa vitesse initiale14. » Torricelli établit que le débit d’eau,
émis par un orifice pratiqué dans un réservoir de paroi mince, varie comme la racine
carrée de la hauteur d’eau au-dessus de cet orifice.
(1.2)
h
V ah=
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E1 2
Mais il fallut attendre les travaux de Borda et Du Buat, un bon siècle plus tard, pour
identifier cette constante a :
a = 2 g (1.2 bis)
Torricelli est, bien sûr, davantage connu pour son invention du baromètre, invention
qu’il partagea d’ailleurs avec les autres disciples de Galilée.
Le Français Edme Mariotte (1620-1684) écrivit un Traité du mouvement des eaux et
des autres corps fluides, explicitant le rôle des propriétés des fluides, traitant des
méthodes de mesure, et poursuivant les travaux de Torricelli sur les trajectoires de
jets d’eau dans l’air.
Domenico Guglielmini (1655-1710) poursuivit à la même époque, en Italie, les
observations de Léonard de Vinci sur la distribution des vitesses dans les canaux, et
fut le premier à indiquer l’existence des écoulements uniformes, en équilibre entre la
tendance à accélérer pour un liquide qui s’écoule selon la pente d’un canal, et la résis-
tance par frottement sur les parois du canal. La vitesse de l’écoulement uniforme
augmente avec la pente15 :
« L’eau […] quittant le réservoir […] acquiert dans sa descente dans les rivières, qui sont dans
un plan incliné par rapport à l’horizontale, un certain degré de vitesse, mais ceci se ramène vite
à l’uniformité, à cause de la grande résistance que l’eau rencontre dans son mouvement. […]
Une fois ramené à cet état d’uniformité, l’eau doit maintenir la vitesse qu’elle a acquise précé-
demment en s’écoulant le long de son plan incliné, et cette vitesse est d’autant plus grande que
plus importante est la pente du fond. »
On appellera dans la suite profondeur normale, notée hn, la profondeur d’un tel
écoulement uniforme, en équilibre entre gravité et frottement.
Guglielmini fut aussi l’un des premiers à tenter d’analyser les mécanismes de trans-
port des sédiments en rivière.
1.3. À partir du XVIIe siècle : l’essor de la mécanique
On considère généralement que Descartes (1596-1650) fut le premier à appréhender de
façon correcte les phénomènes d’inertie et la conservation de la quantité de mouve-
ment. Poursuivant les travaux de Descartes et de son collègue Mersenne sur la pression,
et concluant par là les travaux initiés par Archimède, Pascal (1623-1662) démontra
que, dans un fluide, l’effort causé par la pression s’exerce dans toutes les directions. Le
caractère isotrope de la contrainte de pression est ainsi finalement établi.
Christian Huygens (1629-1695) mit en évidence expérimentalement, en étudiant la
chute des corps, que la résistance de l’air varie comme le carré de la vitesse – on pensait
jusque-là que la résistance était proportionnelle à la vitesse – et posa les premières
bases de la conservation de l’énergie.
Isaac Newton (1642-1727) apporta de son côté une conclusion aux travaux de plu-
sieurs de ses prédécesseurs en définissant clairement la masse, la quantité de mouve-
15. De la natura dei fiumi, 1697 ; op. cit., d’après Rouse et Ince.
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 1 3
ment, l’inertie, la force, et bien sûr l’attraction universelle. Il conduisit, par ailleurs,
de nombreuses recherches sur la résistance à l’avancement dans les fluides, en étu-
diant expérimentalement l’amortissement du mouvement de pendules dans diffé-
rents fluides. Il définit, en particulier, les prémisses de la notion de viscosité, en lien
avec le frottement, comme « la résistance qui vient du défaut de lubricité des parties
d’un fluide16. »
Newton posa le principe du mouvement relatif17 : la résistance à l’avancement d’un
objet dans un fluide au repos est égale à la force exercée par un écoulement de même
vitesse sur le même objet maintenu immobile.
Principe du mouvement relatif pour l’écoulement autour d’un objet.
L’Allemand Gottfried Wilhelm von Leibnitz (1646-1716) correspondit avec Newton, et
certaines découvertes qu’ils firent en parallèle donnèrent naissance à d’âpres contesta-
tions en paternité. Il fut le père du calcul différentiel et intégral, qui devait permettre
d’écrire toutes les équations de la mécanique des fluides. Un théorème porte son nom :
pourquoi ne pas le citer ici ?
Théorème de Leibnitz
Il s’agit d’établir le bilan d’une grandeur physique f quelconque, contenue dans un
certain volume noté Ω, que nous appellerons volume de contrôle. Soient Σ la surface
extérieure de ce volume, Vi la vitesse de déplacement des points de Σ, et n le vecteur
normal unitaire extérieur à la surface Σ. Le théorème de Leibnitz stipule que la varia-
tion dans le temps du bilan de la grandeur physique f dans le volume de contrôle est
la somme de deux termes : l’intégrale sur le volume de contrôle de la vitesse de varia-
tion de la grandeur f, et le flux de la grandeur f transportée à travers la frontière du
volume de contrôle à la vitesse Vi :
(1.3)
Pour appliquer ce théorème au bilan des grandeurs significatives en mécanique des
fluides, on choisit le plus souvent comme volume de contrôle le volume occupé à un
16. Principia, livre II, 9, « du mouvement circulaire d’un fluide », 1687, trad. de la marquise du Chaste-let, 1759.
17. Si la vitesse V est assez grande pour que l’écoulement soit turbulent, ce principe n’est qu’approxi-mativement vérifié, car l’effort F peut dépendre du niveau de turbulence de l’écoulement incident.
Objet en mouvement à la vitesse V
Résistance FVitesse V
Fluide en mouvement à la vitesse V
Force F
tdd
fΩ∫ Ωd⋅ f∂
t∂----
Ω∫ Ωd⋅ f Vi n⋅( ) Σd
Σ∫+=
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E1 4
instant donné par une certaine masse de fluide. Dans ce cas, la vitesse de déplacement
des points de la surface Σ du volume Ω est tout simplement la vitesse du fluide :
Vi = V, et le dernier terme représente alors le transport de la grandeur f par la vitesse
V du fluide au travers de la surface du volume de contrôle.
1.4. Le siècle de l’hydrodynamique : du fluide parfait vers la recherche de la compréhension des fluides réels
La découverte des lois de l’écoulement des fluides parfaits
À Bâle, en Suisse, Daniel Bernoulli (1700-1782) et Leonhard Euler (1707-1783)
furent les auteurs des premières traductions mathématiques des principes de la
mécanique des fluides. À partir des principes de conservation de l’énergie appliquée
aux corps solides par Huygens et Leibnitz, Bernoulli déduisit que dans un fluide la
somme de l’énergie potentielle (représentée par la pression p et par l’altitude z) et de
l’énergie cinétique doit rester constante, principe qui fut traduit par le théorème qui
porte son nom (que nous démontrerons dans la section 2.3, plus loin dans ce cha-
pitre), mais qui fut en fait formulé effectivement par Jean Bernoulli (1667-1748),
père de Daniel, et par Euler :
= constant (le long d’une ligne de courant) (1.4)
Ainsi, les liens entre variations de pression et variations de vitesse dans un écoule-
ment sont maintenant clairement établis : mais il s’agit encore de fluides dits parfaits,
c’est-à-dire non visqueux, car la formulation de l’effet des frottements internes, de la
viscosité, devra attendre encore de nombreuses années. C’est ce qui explique que la
démonstration de Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783) que, dans un fluide parfait,
la résistance à l’avancement est nulle, ait été ressentie à l’époque comme un paradoxe :
« Ainsi je ne vois pas, je l’admets, comment on peut expliquer de façon satisfaisante par la
théorie la résistance dans les fluides. Au contraire, il me semble que la théorie, en toute rigueur,
indique que dans de nombreux cas la résistance doit être nulle ; c’est un paradoxe singulier, dont
je laisse l’explication aux géomètres futurs18. »
Une autre contribution fondamentale est due à Euler qui, toujours sans expliciter
l’effet de la viscosité, écrivit les équations différentielles qui décrivent le mouvement
d’un fluide, ainsi que l’équation de continuité qui exprime la conservation de la
masse. Ce système est toujours connu aujourd’hui comme les équations d’Euler :
– principe de la dynamique appliqué au mouvement d’un fluide de vitesse V (de
composantes notées u, v, w), sur lequel s’exerce, par unité de masse, une force F
de composantes P, Q, R :
18. Op. cit., d’après Rouse et Ince.
V2
2g------ p
ρg------ z+ +
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 1 5
(1.5)
– conservation de la masse :
(1.6)
Il restait à expliciter la force F, qui comprend le poids ainsi que la résultante des forces
de frottements internes. En attendant que cette inconnue ne soit décrite, il restera
longtemps un fossé entre les théoriciens, incapables d’expliquer les phénomènes de
frottement et de dissipation d’énergie, et les expérimentateurs.
Études expérimentales : frottement et dissipation d’énergie
Car il y eut, bien sûr, des expérimentateurs, poussés par les besoins des études d’ingé-
nierie. Henri de Pitot (1695-1771), qui fut superintendant du canal du Midi, inventa,
pour mesurer la vitesse d’un fluide, le tube qui porte son nom. Le principe de mesure
est une application directe du principe formulé par Bernoulli, même si Pitot ne put
l’expliciter de façon tout à fait correcte.
Figure 1.5. Principe du tube de Pitot : la pression au point d’arrêt A, pA, est reliée à la vitesse V et à la
pression ambiante à la même altitude, p0, par l’expression suivante, qui résulte du
théorème de Bernoulli :
.
La différence des pressions dans le tube intérieur et dans le tube extérieur, à la même
altitude, (p1 – p2), est égale à (pA – p0). La mesure de cette différence de pression (par un
manomètre, par exemple), permet donc de trouver la vitesse V.
u∂t∂
------ u u∂x∂
------ v u∂y∂
------ w u∂z∂
------+ + + P1
ρ---
p∂x∂
-----–=
v∂t∂
----- u v∂x∂
----- v v∂y∂
----- w v∂z∂
-----+ + + Q1
ρ---
p∂y∂
-----–=
w∂t∂
------ u w∂x∂
------ v w∂y∂
------ w w∂z∂
------+ + + R1
ρ---
p∂z∂
-----–=
ρ∂t∂
------ ρu∂x∂
--------- ρv∂y∂
--------- ρw∂z∂
----------+ + + 0=
Vitesse V
Mesure de la différencedes pressions p1 – p2par un manomètre :h = V 2 / 2 gVitesse V
pression p1
trous
pression p2 h
pA
1
2-- ρV2+ p0=
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E1 6
Jusque-là, la connaissance de la résistance d’un écoulement par frottement sur les
parois se limitait aux considérations qualitatives développées par Léonard de Vinci,
et à la reconnaissance de l’équilibre entre le terme moteur gravitaire et le terme résis-
tant par frottement en écoulement uniforme (Guglielmini). Nous avons vu que les
travaux mathématiques de Bernoulli et Euler n’avaient pu modéliser les frottements
et la viscosité. Antoine de Chézy (1718-1798), qui fut parmi les premiers diplômés de
l’École nationale des ponts et chaussées, fut mandaté par l’Académie des sciences
pour remédier, par une déviation des eaux de l’Yvette, aux insuffisances de l’appro-
visionnement en eau de Paris. Il entrepris un certain nombre de campagnes de
mesure (en lien avec l’ingénieur Perronet) et établit une formule de transposition
permettant, à partir de la connaissance de la vitesse (V1) de l’écoulement permanent
uniforme dans un canal, de calculer la vitesse en régime permanent uniforme dans
un autre canal (V2) connaissant les pentes (I1 et I2), les surfaces (A1 et A2) et les péri-
mètres mouillés (χ1 et χ2), parties du périmètre de la section où l’eau frotte sur les
rives ou le fond :
(1.7)
Nous verrons au chapitre 7 les limites de cette formule de transposition, qui mécon-
naît notamment l’influence de la nature et de la rugosité du lit. Chézy était bien cons-
cient de ces limites :
« Pour tirer tout l’avantage possible de cette théorie, il faudrait avoir un grand nombre d’obser-
vations sur des rigoles de sections différentes ; on se servirait des observations faites sur celles qui
ressembleraient le plus à la rigole projetée19. »
Notons que ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que ce résultat sera mis sous la forme
que l’on appelle aujourd’hui la formule de Chézy, pour estimer la vitesse dans un
canal en régime permanent et uniforme, à savoir :
(1.8)
où est appelé rayon hydraulique, et CH le coefficient de Chézy.
Les travaux expérimentaux, comme ceux de Pitot et Chézy, étaient réalisés sur des
vrais canaux ou machines. L’ingénieur anglais John Smeaton (1724-1792) fut le
premier à utiliser des modèles à échelle réduite pour concevoir des appareils divers,
roues de moulins à eau ou à vent, machines hydrauliques. En l’absence du support
théorique pour soutenir la similitude entre modèles réduits et réalité à pleine échelle,
Smeaton fut parfaitement conscient des possibilités, mais aussi des limites, de l’utili-
sation des modèles réduits :
« Ce que j’ai à communiquer sur ce sujet fut déduit initialement d’expériences réalisées sur
modèles (réduits), ce que je considère comme la meilleure méthode pour déduire les grandes
19. Op. cit. d’après Dooge, 1987.
V2 V1
A2 I2 χ1
A1 I1 χ2
------------------=
V CH
A
χ--- I
CH RH I( )= =
RHA
χ---=
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 1 7
tendances dans les études mécaniques. Mais il est tout à fait nécessaire de distinguer les points
sur lesquels un modèle diffère d’une machine en grandeur réelle ; sinon, un modèle serait plus à
même de nous éloigner de la vérité que de nous y conduire20. »
Nous reviendrons plus loin (section 4 de ce chapitre) sur l’analyse dimensionnelle et
l’utilisation des modèles réduits en hydraulique.
Jean-Charles Borda (1733-1799), ingénieur maritime, réalisa des expériences sur la
résistance à l’avancement dans les fluides, mais c’est pour ses travaux sur les écoule-
ments convergents et divergents qu’il contribua significativement au développement
de la connaissance21. Par rapport aux travaux théoriques d’Euler et de Bernoulli, il
reconnut qu’une perte d’énergie (perte de charge) doit être associée aux phénomènes
de tourbillons et de recirculations que l’on peut observer dans les écoulements diver-
gents. Il établit que, si l’on note :
(1.9)
la charge hydraulique, grandeur qui doit se conserver sur une ligne de courant, en
fluide parfait, d’après le théorème de Bernoulli (1.4), la perte de charge associée à un
divergent brutal qui fait passer l’écoulement d’une vitesse V1 à une vitesse V2 est
exprimée par l’équation 1.10 ci-après :
(1.10)
Ce qui peut s’écrire aussi, avec les sections A1 et A2 des deux conduits (puisque
V1 A1 = V2 A2 si la masse volumique est constante) :
(1.11)
Perte de charge « à la Borda » dans un
divergent. Dans un divergent, les
particules fluides sont émises avec une
énergie cinétique (correspondant à la
vitesse V1) qui leur confère de l’inertie.
Au sortir de l’orifice par lequel elles sont
émises, elles tendent à poursuivre leur
trajectoire. Derrière l’élargissement, il y a
des zones de recirculation importantes,
qui sont responsables de la perte de
charge.
20. « An experimental inquiry concerning the natural powers of water and wind to turn mills, andother machines depending on a circular motion », Philosophical transactions of the royal society ofLondon, vol. 51, 1759 ; op. cit. d’après Rouse et Ince.
21. « Mémoire sur l’écoulement des fluides par les orifices des vases », C.R., Académie des sciences,1766.
HV2
2 g -------
p
ρ g ------
z
+ +=
δH H 1 H 2–V1 V2–( )2
2 g-------------------------= =
δH H 1 H 2–A2 A1–
A1
------------------ 2 V1
2
2 g-------= =
V 1 V 2
M
É C A N I Q U E
D E S
F L U I D E S
A P P L I Q U É E
1 8
La charge hydraulique , définie par l’équation (1.9), représente une « énergie
totale » – énergie potentielle + énergie cinétique, exprimée en mètres d’eau. Cette
façon d’exprimer l’énergie résulte de l’histoire ; elle n’a guère de sens par exemple
pour étudier les écoulements d’air; c’est pourquoi, il est aujourd’hui plus commun
d’utiliser une autre définition de la charge, exprimée en unité de pression :
(1.12)
Définie ainsi, la charge
H
représente l’énergie totale (cinétique + potentielle) par
unité de volume de fluide.
Pierre Louis Georges Du Buat (1734-1809) consolida les travaux de Borda
22
. Il
reconnut l’existence d’une perte de charge à l’entrée d’un conduit, en tenant compte
du caractère abrupt du bord de ce dernier, qui induit une veine contractée suivie
d’une divergence des lignes de courant.
Du Buat réécrivit la vitesse dans un conduit issu à bord vif d’un réservoir, avec une
hauteur d’eau
h
, en introduisant une certaine hauteur
b
destinée à tenir compte de
cette perte de charge :
La valeur de
b
qu’il déduisit de données expérimentales conduit au résultat encore
utilisé aujourd’hui pour la perte de charge à l’entrée d’un conduit à bord vif issu d’un
grand réservoir :
(1.13)
Perte de charge à l’entrée à bord vif
d’un conduit. Dans la partie
convergente de l’écoulement,
les particules fluides sont
progressivement accélérées, l’effet
des frottements internes est
négligeable. La perte de charge est
due seulement au décollement de
l’écoulement derrière l’entrée à bord
vif. Un arrondi à l’entrée permet
de diminuer de façon très importante
cette perte de charge (voir le
chapitre 3).
Toujours sur le chemin de la modélisation des fluides réels, c’est-à-dire de la prise en
compte des phénomènes de frottement et de dissipation d’énergie, Du Buat déduisit
que la résistance à l’écoulement dans un conduit est indépendante de la pente de ce
22.
Principes d’hydraulique, vérifiés par un grand nombre d’expériences faites par ordre du gouvernement
,2
e
édition, Paris, 1786.
H
H ρg H1
2-- ρV2 p ρg z+ += =
U 2g h b–( )=
δH 0,51 V2
2g------≅
h
V
zones de recirculation
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 1 9
conduit. Il supposa que cette résistance varie comme le carré de la vitesse – ce qui
n’est que partiellement exact, comme nous le verrons au chapitre 3. Il conduisit plu-
sieurs centaines d’expériences sur des écoulements en conduit, ainsi que sur des
écoulements autour d’objets immergés – il établit ainsi qu’un parachute destiné à un
homme moyen devait avoir un diamètre de l’ordre de 6 mètres.
L’étude des conduits de section variable fut poursuivie un peu plus tard par Giovani
Battista Venturi (1746-1822), en montrant, ce qui est une application du théorème
de Bernoulli, les liens entre les variations de section et les variations de pression. Il
identifia aussi le rôle des phénomènes de décollements et de recirculations sur les
phénomènes de pertes de charge dans les divergents et convergents.
Au tout début du XIXe siècle, les travaux de Chézy et Du Buat sur les écoulements à
surface libre furent poursuivis par les ingénieurs des Ponts et Chaussées Pierre Simon
Girard (1765-1836), Gaspard Clair François Marie Riche de Prony (1755-1838), ainsi
que par l’Allemand Johann Albert Eytelwein (1764-1848). C’est de cette époque que
provient l’écriture (1.8) de la formule de Chézy, avec des estimations du coefficient CH
autour de 50 m0,5 s– 1 (ce coefficient n’est pas adimensionnel), et la croyance (erronée)
que ce coefficient a une valeur universelle – ce que, il faut rendre cette justice, Chézy
n’avait jamais prétendu.
Henri Philibert Gaspard Darcy (1803-1853) et son disciple Henri Émile Bazin (1829-
1917) poursuivirent l’étude des écoulements permanents dans les canaux ; ils recon-
nurent le rôle de la nature et de la rugosité des parois, d’une part, et de la forme géo-
métrique de la section transversale, d’autre part, sur la résistance à l’écoulement. Ils
réalisèrent pour cela des expériences avec des canaux revêtus de ciment, de briques,
de graviers, ou avec des parois rocheuses, et avec des sections rectangulaires, trapé-
zoïdales, ou semi-circulaires. C’est l’Irlandais Robert Manning (1816-1897) qui
proposa d’améliorer la formule de Chézy pour estimer la vitesse de l’écoulement uni-
forme en canal. La relation suivante est ainsi connue comme la relation de Manning-
Strickler :
(1.14)
Cette relation constitue un gros progrès par rapport à la formule de Chézy. En effet,
le coefficient de Chézy CH dépend de la nature de la paroi, mais aussi de la hauteur
d’eau, alors que le coefficient Ks ne dépend que de la nature de la rugosité du lit et des
parois. Ks n’est pas un paramètre adimensionnel. Depuis les travaux de l’Allemand
Julius Weisback (1806-1871), sur lesquels nous reviendrons dans la section 4.1, l’uti-
lité de raisonner avec des nombres sans dimension, ou nombres adimensionnels,
avait été démontrée. Manning proposa donc dans un deuxième temps une tentative
de reformulation de l’équation (1.14) ne faisant apparaître que des nombres adimen-
sionnels. C’est cependant l’équation ci-dessus qui est restée utilisée en pratique
jusqu’à aujourd’hui. Le coefficient Ks est resté plus connu sous le nom de coefficient
de Strickler.
V Ks RH2 3⁄
I1 2⁄=
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E2 0
1.5. Du XVIIIe au XIXe siècle : premiers résultats sur les ondes
Léonard de Vinci avait reconnu la différence entre la vitesse de propagation des ondes
et la vitesse du fluide. L’étude des phénomènes de propagation des ondes peut être
effectuée sans qu’il y ait besoin de maîtriser les notions de viscosité et des frotte-
ments. En effet, les écoulements associés aux ondes et aux transitoires rapides mobi-
lisent peu les frottements. Joseph Louis Lagrange (1736-1813) apporta une première
contribution en introduisant le modèle des écoulements irrotationnels (modèle qui
n’a de sens que pour un fluide parfait) :
Un écoulement irrotationnel est un écoulement dans lequel le rotationnel de la vitesse
est nul partout.
Pour décrire un écoulement irrotationnel, Lagrange introduisit la notion de poten-
tiel des vitesses, noté φ et défini comme :
V = grad(φ)
La contribution la plus importante due à Lagrange est la reconnaissance de la célérité C
des petites perturbations dans un écoulement en canal, en fonction de la hauteur d’eau h :
(1.15)
Ce résultat est essentiel à l’étude des phénomènes transitoires dans les canaux et
rivières. Nous l’établirons au chapitre 6. Lagrange sut reconnaître l’analogie entre la
vitesse de ces perturbations et, en aérodynamique, la vitesse du son.
Franz Joseph von Gerstner (1756-1832) étendit ces travaux à la propagation des
ondes en grande profondeur. Il identifia la condition qui décrit une surface libre, à
savoir que la pression y est égale à la pression atmosphérique. Il démontra que la célé-
rité (vitesse de phase) des ondes de faible amplitude en grande profondeur est fonc-
tion seulement de la longueur d’onde Λ :
(1.16)
L’observation des ondes en grande profondeur fut poursuivie un peu plus tard par les
frères Weber (1795-1878 et 1804-1891) à Leipzig. S’intéressant aux possibilités de
navigation à vapeur sur les voies d’eau intérieures, l’Écossais John Scott Russel (1808-
1882) réalisa des expériences en remorquant des bateaux de différentes formes sur
des canaux ; il établit ainsi le lien entre la résistance à l’avancement d’un navire et les
h
C
C g h=
C
Λ
Cg Λ2 π-------=
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 2 1
vagues induites par sa vitesse (ce que l’on appelle aujourd’hui la résistance de vague).
Une fois le navire arrêté, Russel avait coutume de suivre à cheval l’onde qui continue
de se propager dans le canal. Il mit en évidence, par rapport à la loi de Laplace (1.15)
qui ne s’applique qu’à des très petites perturbations, le rôle de l’amplitude d’une
onde sur sa vitesse de propagation.
Finalement, la solution du calcul de la célérité des ondes de petite amplitude en profon-
deur finie, combinant les solutions de Laplace (1.15) et de Gerstner (1.16) fut obtenue
par Sir Georges Biddle Airy (1801-1892), directeur de l’observatoire de Greenwich :
(1.17)
La démonstration de ce résultat (1.17) fait l’objet d’une application, à la fin de ce chapitre.
Avec Jean-Claude Barré de Saint-Venant (1797-1886) et Arsène Jules Émile Juvenal
Dupuit (1804-1866), tous deux ingénieurs des Ponts et Chaussées, apparurent le terme
de célérité pour désigner la vitesse de propagation des ondes (1.15), la notion d’écoule-
ment fluvial et d’écoulement torrentiel pour distinguer respectivement des écoulements
de vitesse V inférieure à la célérité C ou supérieure à cette dernière. Les lois des écoule-
ments permanents non uniformes dans les canaux et rivières, ce que nous appellerons
au chapitre 7 courbes de remous, ont été également formulées par Dupuit23.
Une onde particulière a depuis longtemps mérité l’attention : elle s’appelle intumes-
cence – ou mascaret – ou ressaut hydraulique, selon qu’elle est mobile ou fixe. C’est
une vague plus ou moins déferlante qui peut apparaître comme phase ultime du rai-
dissement du front avant d’une onde qui propage une augmentation de la hauteur
d’eau (onde de compression). Giorgio Bidone (1781-1839) de l’université de Turin
fut le premier à l’analyser systématiquement, en étudiant les remous formés par la
fermeture d’une porte d’écluse. Saint-Venant conclut les travaux de ses prédécesseurs
en déterminant le bilan de quantité de mouvement de part et d’autre du ressaut
hydraulique (voir le chapitre 6).
Le ressaut hydraulique permet de passer du régime d’écoulement torrentiel au régime d’écoulement
fluvial (voir la figure 7.10).
23. Études théoriques et pratiques sur le mouvement des eaux courantes, Paris, 1848.
CΛ
hC
g Λ2 π------- tanh
2 πh
Λ----------
=
h 1
h 2
Écoulement torrentiel Ressaut Écoulement fluvial
U1 > C1 = gh1 U2 < C2 = gh2
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E2 2
1.6. Émergence des lois décrivant le mouvement des fluides réels
Le XVIIIe siècle avait permis d’affiner la méthode expérimentale, avec la mise au point
des principaux outils de mesure, et les principes des études sur modèles réduits. Il
avait permis de jeter les bases des équations de l’hydrodynamique, avec les équations
d’Euler et le théorème de Bernoulli. Les limites de ces équations pour prendre en
compte toutes les situations d’écoulement où les frottements ou les pertes de charge
sont à prendre en compte avaient bien été perçues. C’est ainsi qu’un certain nombre
de formules approchées, dans la suite des travaux de Chézy et de Prony, puis
Manning au XIXe siècle, avaient été proposées pour calculer la vitesse des régimes uni-
formes dans les canaux. Pour combler ce fossé entre la théorie et l’expérience, il
restait à écrire les équations qui décrivent le comportement des fluides réels, tenant
compte de la viscosité, et à reconnaître l’importance du phénomène majeur pour la
plupart des écoulements d’intérêt pratique : la turbulence.
La première étape fut la reconnaissance de l’influence des propriétés physiques du
fluide sur l’écoulement dans un conduit. La viscosité de l’eau diminue avec la tempé-
rature : c’est ainsi que l’Allemand Gotthilf Heinrich Ludwig Hagen (1797-1884) mit
en évidence l’influence de la viscosité sur l’écoulement dans un conduit, en étudiant
l’écoulement d’eau à diverses températures, dans des tubes de 2,5 à 6 mm de dia-
mètre. À la même époque, à Paris, Jean-Louis Poiseuille (1799-1869), médecin et
pionnier de la biomécanique, s’intéressait à la puissance de pompage du cœur
humain, à la circulation du sang dans les veines, artères et capillaires sanguins. Il
réalisa des expériences dans des tubes de très petit diamètre (d = 0,03 à 0,14 mm)
avec de l’eau à différentes températures, mais aussi avec de l’éther et du mercure. Il
établit que, si δp est la différence de pression (perte de charge24) entre deux sections
distantes d’une longueur L, le débit est proportionnel au diamètre à la puissance 4 :
(1.18)
où C est une constante dépendant de la nature du fluide et de sa température – donc
de la propriété physique appelée viscosité. Ses successeurs devaient par la suite iden-
tifier la constante C comme : C = π / 128 µ , où µ est la viscosité dynamique. Cette
formule est appelée formule de Poiseuille (elle est démontrée dans une application à la
fin de ce chapitre).
La formule de Poiseuille indique une vitesse qui varie comme d2 (puisque le débit Q
est égal au produit VA, et que la section A est en d2) : ce résultat est très éloigné des
exposants 1/2 et 2/3 des formules de Chézy et Strickler ; c’est que les expériences de
Poiseuille, menées dans des tubes très petits, correspondent au régime d’écoulement
que nous appellerons plus loin laminaire, alors que les expériences à plus grande
échelle de Chézy et Manning, et de bien d’autres comme Bazin, correspondent au
régime turbulent.
24. En écoulement incompressible, dans un conduit horizontal de section constante, la vitesse U est lamême en toute section, donc δH = δp.
Q Cd4 δp
L------=
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 2 3
Pour bâtir le modèle théorique décrivant le mouvement des fluides, il restait à
répondre à cette question : comment traduire l’influence des frottements internes,
c’est-à-dire l’influence de la viscosité, dans les équations d’Euler? C’est ce qu’entre-
pris l’ingénieur des Ponts et Chaussées Louis Marie Henri Navier (1785-1836), en
tenant compte dans la force F de l’équation d’Euler écrite plus haut (1.5) de ce qu’il
supposa être une force d’attraction ou de répulsion entre molécules adjacentes25, de
composantes proportionnelles au laplacien des composantes u, v, w de la vitesse :
F = νe ∆V + F ′ (1.19)
Dans la force résiduelle F ′ reste alors simplement à exprimer le poids.
Navier ne put exploiter véritablement ce résultat, et n’explicita guère le paramètre
que nous avons noté ici νe . Ses successeurs, Augustin Louis de Cauchy (1789-1857),
Siméon Denis Poisson (1781-1840), et Jean Claude Barré de Saint-Venant (1797-
1886), reprirent et confortèrent la démonstration initiale de Navier. Saint-Venant
exprima, en particulier, les contraintes normales et tangentielles en fonction de la
viscosité et des gradients de vitesse, ce qui constitue la loi de comportement des fluides
linéairement visqueux. Nous verrons plus loin quelle interprétation intéressante
Saint-Venant et son élève Boussinesq donnèrent au paramètre νe , dans une première
vision de l’effet de la turbulence.
En dépit du mérite de Saint-Venant, c’est à l’Anglais Georges Gabriel Stokes (1819-
1903) – de l’université de Cambridge – que la postérité réserva l’honneur de donner
son nom, accolé à celui de Navier qui en fut le véritable inventeur, aux équations fon-
damentales de la mécanique des fluides, les équations de Navier-Stokes. Stokes, en par-
ticulier, identifia le paramètre νe de (1.19) à la viscosité cinématique : ν = µ / ρ.
Restait à mesurer cette viscosité. Couette, en 1890, mit au point le dispositif repré-
senté sur le schéma ci-dessous : dans le système constitué de deux cylindres de même
axe, séparés par le fluide étudié, la mesure de l’effort nécessaire pour faire tourner le
cylindre intérieur permet de déterminer la viscosité du fluide.
Parvenus à ce point, il est bon de faire une pause dans le fil historique, et de démon-
trer, à notre tour, les équations fondamentales de la dynamique des fluides. Sur la
description de la turbulence, nous reprendrons dans la section 3 le fil de l’histoire,
avec les contributions essentielles de Boussinesq et Reynolds.
25. Mémoire sur les lois du mouvement des fluides, mémoire présenté en 1822 à l’Académie des sciences.
Écoulement de Couetteentre deux cylindres coaxiaux
Cylindre tournant
Cylindre fixe
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E2 4
2. Les équations de base de la mécanique des fluides et l’approximation des écoulements incompressibles
2.1. Écriture des équations de base à partir des méthodes de bilans
Toutes les équations de base se déduisent à partir de bilans sur des volumes de contrôle
des grandeurs essentielles : masse, quantité de mouvement. Le théorème de Leibnitz
(1.3) est l’outil qui permet de formuler ces bilans, rappelons le ci-dessous :
(1.3)
Bilan de masse
Si, dans l’équation (1.3), la grandeur f est la masse volumique (notée ρ), l’intégrale au
premier membre du bilan représente la variation de la masse dans le volume Ω. Si ce
volume est le volume occupé par une certaine masse donnée de fluide, alors la vitesse
Vi des points de la surface Σ est simplement la vitesse V du fluide, et le bilan doit être
nul puisque la masse se conserve. Il vient donc :
(1.20)
Le deuxième terme représente le débit massique à travers la surface Σ du volume de
contrôle. Pour obtenir une équation différentielle locale, qui soit indépendante de
tout volume de contrôle, il faut transformer la deuxième intégrale en intégrale de
volume, en utilisant la formule d’intégration de Stokes :
En faisant tendre le volume Ω vers zéro, il en résulte la forme locale du bilan de
masse, appelée équation de continuité :
(1.21)
Nous avons ainsi démontré l’équation (1.6) qui était l’une des équations d’Euler. Si la
masse volumique est constante, cette équation s’écrit :
(1.22)
ou : (1.23)
n
Ω (t + δt )
Ω (t )td
d f ΩdΩ∫
f∂t∂
---- ΩdΩ∫ f Vin( ) Σd
Σ∫+=
ρ∂t∂
------ ΩdΩ∫ ρ Vn( ) Σd
Σ∫+ 0=
ρ∂t∂
------ ΩdΩ∫ div ρV( ) Ωd
Ω∫+ 0=
ρ∂t∂
------ div ρV( )+ 0=
div V( ) 0=
u∂x∂
------ v∂y∂
----- w∂z∂
------+ + 0=
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 2 5
ou, encore, avec la convention de sommation des indices répétés :
(1.23 bis)
Un écoulement à masse volumique constante est appelé un écoulement incompres-
sible. Nous reviendrons un peu plus loin sur les limites de validité de ce concept.
Bilan de quantité de mouvement
Pour écrire le principe fondamental de la dynamique, nous identifions maintenant la
grandeur f à ρV, produit de la masse volumique par la vitesse. L’intégrale au premier
membre de l’équation (1.3) représente maintenant la variation de quantité de mouve-
ment de l’ensemble des particules matérielles qui occupent à l’instant t le volume Ω.
Soit F la résultante de toutes les forces extérieures qui s’exercent sur les particules con-
tenues dans le volume Ω, il vient alors :
(1.24)
Les forces extérieures au volume Ω sont de plusieurs natures :
(a) le poids des particules s’écrit : ;
(b) la résultante des actions de contact sur la surface Σ avec le fluide alentour nécessite
davantage d’explications.
La force de contact avec le fluide alentour s’exprime à l’aide du tenseur des contraintes.
Explicitons rapidement cette notion, que le lecteur pourra approfondir en se reportant
aux traités de mécanique des milieux continus :
– l’ensemble des actions au sein d’un milieu continu est décrit par le tenseur des
contraintes, noté ici σ, défini dans un repère donné (comme un vecteur) par ses
composantes σij ; les indices i et j varient de 1 à 3 pour les trois directions de
l’espace x, y, z ;
– la force dF que le fluide extérieur au volume de contrôle Ω exerce sur un élément dΣde la surface de Ω, de vecteur normal unitaire extérieur n (dont les composantes sont
notées ni, i = 1 à 3) a pour composante selon la direction de coordonnée xi :
dFi = σij nj dΣ (1.25)
Cette force peut encore être notée, vectoriellement :
dF = σ n dΣ (1.25 bis)
Dans tout cet ouvrage, on utilise, comme c’est l’usage, la convention de sommation
des indices répétés (ou convention d’Einstein). Dans l’expression (1.25), il faut
donc entendre qu’il y a sommation au second membre sur l’indice j (j = 1 à 3).
La pression (notée p) exerce toujours sur un élément de surface une action qui est
perpendiculaire à cette surface (c’est le caractère isotrope de la pression). Il est donc
ui∂xi∂
------- 0=
ρV( )∂t∂
--------------- ΩdΩ∫ ρV Vn( ) Σd
Σ∫+ F=
ρ g ΩdΩ∫
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E2 6
facile de se rendre compte à partir de l’équation (1.25) que la pression intervient uni-
quement sur la diagonale du tenseur des contraintes :
σ ij = – p δij + τ ij (1.26)
δ est le symbole de Kronecker. Le terme τ ij à droite de l’équation (1.26) tient compte
des frottements internes, caractérisés par la viscosité du fluide. Dans les fluides
usuels, appelés fluides newtoniens ou fluides linéairement visqueux, l’expérience
montre que la loi de comportement, c’est-à-dire la relation entre la contrainte vis-
queuse τ et la déformation26 est linéaire :
(1.27)
ui représente la composante de la vitesse selon la direction xi . µ, viscosité dynamique,
et µ′, coefficient de seconde viscosité, sont des propriétés physiques du fluide.
Soit ν la viscosité cinématique : .
Figure 1.6. Viscosité cinématique de l’eau et de l’air, en fonction de la température, à une pression de 1 atm.
26. Le tenseur des vitesses de déformation a pour composantes : .
Tableau 1.2. Viscosité cinématique de quelques fluides, à 20°C et à la pression de une atmosphère.
ν (m2/s) ν (m2/s)
Eau liquide 1,006 10– 6 Air 1,5 10– 5
Glycérine 1,18 10– 3 Dioxyde de carbone 0,8 10– 5
Mercure 1,16 10– 7 Hydrogène 1,5 10– 4
Sij
1
2--
ui∂xj∂
-------uj∂xi∂
-------+ =
τ ij µui∂xj∂
-------uj∂xi∂
-------+ µ′ div V( )δij+=
ν µρ---=
1,8 E–06
0,0 E+00
ν (m2/s)ν (m2/s)5,0 E–05
0,0 E+00
5,0 E–06
1,0 E–05
1,5 E–05
2,0 E–05
2,5 E–05
3,0 E–05
3,5 E–05
4,0 E–05
4,5 E–05
2,0 E–07
4,0 E–07
6,0 E–07
8,0 E–07
1,0 E–06
1,2 E–06
1,4 E–06
1,6 E–06
T (°C)
Eau Air
T (°C)
0 80 – 50 20020 40 60 0 50 100 150
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 2 7
Dans les écoulements incompressibles, le dernier terme à droite dans l’équation
(1.27) est nul, puisque la divergence de la vitesse est égale à zéro. L’influence de la
seconde viscosité disparaît donc.
Revenons à la résultante des actions de contact sur la surface du volume de contrôle,
la composante de cette force selon la direction xi s’écrit :
Cette force peut aussi s’écrire, en notation vectorielle :
Les intégrales sur la surface du volume de contrôle peuvent être transformées en des
intégrales sur le volume Ω :
div(τ) est ici un vecteur dont la composante selon la direction de coordonnée xi est :
.
Si nous transformons aussi dans l’équation (1.24) l’intégrale de surface en intégrale de
volume, et si nous faisons tendre ensuite le volume de contrôle Ω vers zéro, comme
nous l’avons fait précédemment pour le bilan de masse, nous obtenons l’équation de
Navier-Stokes, qui est l’écriture locale du bilan de quantité de mouvement.
(1.28)
L’équation de continuité (1.21) a été utilisée pour simplifier le premier membre de
cette équation.
Si la masse volumique est constante, le dernier terme peut être écrit sous une forme
explicite simple ; c’est l’équation de Navier-Stokes :
(1.29)
La projection de cette équation selon les trois direction de coordonnée x, y, z d’un
repère cartésien est :
(1.30)
σij nj ΣdΣ∫ pni– τ ij nj+( ) Σd
Σ∫=
Fcontact σ n Σd⋅Σ∫ pn– τ n⋅+( ) Σd
Σ∫= =
Fcontact – grad p( ) ΩdΩ∫ div τ( ) Ωd
Ω∫+=
τ ij∂xj∂
--------
V∂t∂
------- V grad V( )⋅+1
ρ--- grad p( )– g
1
ρ--- div τ( )+ +=
V∂t∂
------- V grad V( )⋅+1
ρ--- grad p( )– g ν∆V+ +=
u∂t∂
------ u u∂x∂
------ v u∂y∂
------ w u∂z∂
------+ + +1
ρ--- p∂
x∂-----– ν∆u+=
v∂t∂
----- u v∂x∂
----- v v∂y∂
----- w v∂z∂
-----+ + +1
ρ--- p∂
y∂-----– ν∆v+=
w∂t∂
------ u w∂x∂
------ v w∂y∂
------ w w∂z∂
------+ + +1
ρ--- p∂
z∂-----– ν∆w g–+=
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E2 8
On a supposé ici que l’axe z est vertical et orienté positivement vers le haut : dans ces
conditions, le vecteur g a pour composantes (0, 0, – g). Si la viscosité est nulle, on
retrouve bien sûr les équations d’Euler (1.5).
Nous utiliserons souvent dans la suite la forme condensée de ces équations, écrites
avec la convention d’Einstein de sommation des indices répétés :
(1.30 bis)
Remarque. Les équations (1.29) et (1.30) sont écrites dans un repère galiléen. Or, le
repère naturel utilisé pour écrire un problème d’écoulement donné peut être en rota-
tion par rapport au repère galiléen de référence. Ainsi, un repère lié à la Terre, avec le
plan (x, y) horizontal et la direction z choisie comme la direction verticale ascendante,
est un repère en rotation. À une toute autre échelle, l’écoulement sur la roue mobile
d’une pompe, l’écoulement entre les ailettes du rotor d’une turbine, sont en général
décrits dans le repère lié à la roue ou aux ailettes, repère qui est en rotation.
Pour écrire ces équations dans le repère en rotation, il faut tenir compte de l’accélé-
ration d’entraînement, et de l’accélération de Coriolis. Nous verrons, au chapitre 5,
ce qu’il en est dans le cas des écoulements à la surface de la Terre (écoulements géo-
physiques).
Figure 1.7. Masse volumique de l’eau et de l’air, en fonction de la température, à une pression de 1 atm.
ui∂t∂
------- uj ui∂xj∂
-------+1
ρ--- p∂
xi∂-------– gi ν∆ui+ +=
1 000
970
ρ (kg/m3)ρ (kg/m3)1,60
0,60
0,70
0,80
0,90
1,00
1,10
1,20
1,30
1,40
1,50
975
980
985
990
995
T (°C)
Eau Air
T (°C)
0 80 – 50 20020 40 60 0 50 100 150
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 2 9
2.2. Discussion du domaine de validité de l’hypothèse des écoulements incompressibles
Un écoulement incompressible est un écoulement dans lequel il est possible de sup-
poser que la masse volumique est constante.
Bien sûr, la masse volumique varie, dans les fluides, en fonction des variations de
pression et de température. Pour que cette approximation soit licite, il faut donc, pre-
mièrement, que les variations relatives de masse volumique soient effectivement
petites et, deuxièmement, qu’il soit licite de simplifier l’équation de continuité sous la
forme (1.22), comme nous l’avons fait plus haut.
Ordre de grandeur des variations de masse volumique et des variations de pression
Dans un fluide, l’équation d’état exprime la masse volumique en fonction de la tempé-
rature et de la pression.
Pour un gaz, on peut utiliser le modèle de gaz parfait :
(1.31)
où R est la constante des gaz parfaits et M est la masse molaire – la température T est
bien sûr en Kelvin dans cette équation. Cette expression permet d’écrire les varia-
tions relatives de masse volumique comme :
(1.32)
Dans un gaz, les variations relatives de masse volumique sont donc négligeables si les
variations relatives de pression et les variations relatives de température sont toutes
deux négligeables.
Dans un liquide, on peut écrire les variations relatives de masse volumique sous la forme :
(1.33)
où εc, appelé module d’élasticité du liquide, ou compressibilité, est grand; par exemple :
εc = 2 109 Pa dans l’eau aux températures courantes. Le coefficient de dilatation à pres-
sion constante, β, est également assez faible : pour l’eau à température normale, β est de
l’ordre de 2 10– 4 °C– 1.
Ainsi, dans un liquide, les variations relatives de masse volumique sont faibles si les
variations de pression restent inférieures à, disons, 107 Pa, et pour une très large plage
de variations de température.
Mais qu’en est-il des variations de pression? Pour estimer l’ordre de grandeur des
variations de pression d’un point à l’autre de l’écoulement, δp, évaluons l’ordre de
grandeur des différents termes de l’équation de Navier-Stokes (1.29), en notant V
l’échelle des vitesses (ou des variations de vitesse), d l’échelle des longueurs caracté-
ristiques de l’écoulement considéré, et δt l’ordre de grandeur du temps pendant
lequel la vitesse subit une variation de l’ordre de V.
p ρ R
M----- T=
ρd
ρ------ pd
p----- Td
T------–=
δρρ
------1
εc
---- δp βδT–=
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E3 0
Indiquons sous chaque terme son ordre de grandeur, en supposant que toutes les
variations sont suffisamment régulières :
≈ ≈ ≈ – ≈ ν
L’ordre de grandeur des variations de pression est donc majoré de la façon suivante :
(1.34)
Dans un liquide, avec ρ ≅ 103 kg/m3, pour atteindre une variation de pression de
107 Pa, il faut donc une variation de vitesse de l’ordre de 100 m/s – ce qui est
considérable –, ou bien une vitesse variant au cours du temps d’environ 10 m/s en un
millième de seconde (avec d ≅ 1 m) – ce qui est une variation extrêmement rapide.
Dans un gaz, avec ρ ≅ 1 kg/m3, pour atteindre une variation de pression relative de
10– 2, si la pression de départ est voisine de la pression atmosphérique (p ≅ 105 Pa), il
faut donc une variation de vitesse de l’ordre de 30 m/s ou bien, encore, une vitesse
variant au cours du temps d’environ 10 m/s en un centième de seconde (toujours
avec d ≅ 1 m).
L’équation (1.34) permet donc de vérifier que, dans les cas que l’on étudie, les vitesses
ou les variations de vitesse sont suffisamment faibles pour que les variations de masse
volumique induites soient faibles elles aussi.
Simplification de l’équation de continuité
Regardons par ailleurs l’équation de continuité, que nous voulons écrire sous la
forme simplifiée (1.22) ; elle peut s’écrire :
Avec là encore une échelle de vitesse V, une échelle de longueur d caractéristique des
variations de vitesse et masse volumique, et une échelle de temps δt qui caractérise main-
tenant la vitesse de variation de la masse volumique, les ordres de grandeur respectifs des
éléments qui rentrent dans le calcul des trois termes de cette équation sont :
a b c
V∂t∂
------- V grad V( )⋅+1
ρ--- grad p( )– g ν∆V+ + 0= =
V
δt----- V2
d------ δp
ρd------ V
d2-----
δp max ρdV
δt---------- , ρV
2, ρgd,
ρνV
d-----------
≈
1
ρ--- ρ∂
t∂------ V
ρ---- grad ρ( )⋅ div V( )+ + 0=
a bc
1
δt-----
δρρ
------ V
d---
δρρ
------ V
d---
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 3 1
Si les variations relatives de masse volumique sont petites (δρ / ρ ? 1), le terme (b)
est négligeable devant le terme (c). Il en est de même du terme (a), à condition que
l’échelle de temps caractéristique δt ne soit pas trop petite par rapport à l’échelle de
temps cinématique de l’écoulement, à savoir d / V. Il arrive que cette échelle de temps
soit imposée par des variations de conditions aux limites du problème, par exemple
le temps de fermeture d’une vanne, ou le temps que met le nez d’un train pour
rentrer dans un tunnel. Si δt est très court (fermeture brutale d’une vanne), le terme
(a) ne peut être négligé, même si les variations de masse volumique sont faibles. On
ne peut alors faire l’hypothèse des écoulements incompressibles.
Pour résumer cette discussion, l’hypothèse des écoulements incompressibles est vérifiée
lorsque la température varie peu, lorsque les vitesses sont limitées à environ 100 m/s dans
un liquide ou 30 m/s dans un gaz, et lorsqu’il n’y a pas de phénomène qui conduise à une
variation brutale au cours du temps des conditions de l’écoulement. Ce domaine de vali-
dité couvre les écoulements usuels des liquides ainsi que l’écoulement du vent, ou l’écou-
lement de l’air autour des engins terrestres.
2.3. Retour sur le théorème de Bernoulli. Charge et pertes de charge
Bénéficiant de l’outil puissant que constituent les équations de Navier-Stokes, il est
facile de revenir sur la démonstration du théorème de Bernoulli (1.4).
Rappelons qu’une ligne de courant est une ligne partout tangente au vecteur vitesse. En
régime permanent, les lignes de courant et les trajectoires des particules sont confon-
dues. Il n’en est pas de même en régime transitoire, en général.
Soit une ligne de courant C qui va d’un point M1 jusqu’à un point M2, dl le vecteur
élémentaire tangent à C. dl est donc parallèle à la vitesse V.
Intégrons l’équation de Navier-Stokes (1.29) le long de cette ligne de courant, en uti-
lisant la propriété suivante :
(1.35)
Cette intégration entre M1 et M2 donne le résultat suivant :
(1.36)
Le terme V × rot(V) a disparu car le produit scalaire de ce vecteur, qui est normal à V,
par le vecteur élémentaire dl, qui est parallèle à V, est nul.
M1 M2V
V grad V( )⋅ gradV2
2------
V rot V( )×–=
ρ V∂t∂
-------M1
M2
∫ dl⋅ grad ρ V2
2------ p ρg z+ +
M1
M2
∫ dl⋅+ ρν∆V
M1
M2
∫ dl⋅=
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E3 2
Nous avons supposé, comme précédemment, que l’axe Oz est dirigé positivement
vers le haut. La composante de l’accélération de la pesanteur selon z est (– g), dans ces
conditions.
Soit la charge H que nous avons définie dans la section 1 comme :
(1.37)
La charge représente la somme de l’énergie potentielle et de l’énergie cinétique, par
unité de volume.
L’équation (1.36) peut s’écrire sous la forme plus simple, qui met en évidence la
variation de la charge entre M1 et M2 :
(1.38)
Écoulement permanent d’un fluide réel
En écoulement permanent, ce résultat s’écrit :
.
Ainsi, la charge ne se conserve pas le long d’une ligne de courant, dès lors que des
variations de vitesse importantes mobilisent l’influence de la viscosité. La charge ne
peut que décroître, bien sûr. Nous verrons au chapitre 3 que la turbulence est aussi
un facteur, qui vient s’ajouter à l’effet de la viscosité, pour la non-conservation de la
charge. H(M1) – H(M2) s’appelle la perte de charge entre les points M1 et M2 de la
ligne de courant. Nous avons, plus haut, traduit en ces termes les travaux de Borda et
Du Buat sur les convergents et divergents brusques. Nous verrons, au chapitre 3, que
la méthode de dimensionnement pratique des circuits hydrauliques repose juste-
ment sur l’estimation des pertes de charges dans les différentes parties des circuits.
Fluide parfait
Un fluide parfait est un fluide dont la viscosité est nulle. Bien évidemment, un tel
fluide n’existe pas. Mais dans certains types d’écoulements, les effets de la viscosité et
de la turbulence sont négligeables devant les effets d’inertie : l’écoulement autour
d’un obstacle, en dehors des couches limites et des sillages, peut souvent être consi-
déré comme un écoulement de fluide parfait. C’est une hypothèse qui peut être com-
mode, mais qui doit être utilisée avec précautions.
Dans un fluide parfait, le second membre de l’équation (1.38) est nul. Cette équation
se ramène donc au résultat suivant, qui est appelé théorème de Bernoulli généralisé :
H p1
2-- ρV2 ρg z+ +=
ρ V∂t∂
-------M1
M2
∫ dl⋅ H M2( ) H M1( )–+ ρν∆V
M1
M2
∫ dl⋅=
H M1( ) H M2( )– ρν∆V
M1
M2
∫ dl⋅–=
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 3 3
(1.39)
En écoulement permanent, le premier terme est nul, la charge se conserve donc le
long d’une ligne de courant, ce qui constitue le théorème de Bernoulli.
Écoulement irrotationnel
Un écoulement est dit irrotationnel lorsque le rotationnel de la vitesse est nul partout.
Cette hypothèse est très liée à l’hypothèse de fluide parfait. En effet, il est possible de
démontrer que l’écoulement d’un fluide parfait mis en mouvement sans chocs (sans
discontinuités) est irrotationnel.
Nous avons vu plus haut que, dans un écoulement irrotationnel, la vitesse dérive
d’un potentiel :
V = grad(φ) (1.40)
L’équation de continuité conduit alors immédiatement à une équation très simple
portant sur le potentiel des vitesses :
∆φ = 0 (1.40 bis)
En injectant l’équation (1.401) et l’équation (1.35) – en annulant rot(V) – dans
l’équation d’Euler, on arrive à une écriture du théorème de Bernoulli généralisé spé-
cifique aux écoulements irrotationnels :
. (1.41)
2.4. Condition de surface libre et influence de la gravité dans les écoulements incompressibles
Le théorème de Bernoulli – ou l’expression plus générale (1.38) – montre clairement
que la pression dans un écoulement varie à cause des variations d’altitude (variation de
pression hydrostatique) et à cause des variations de vitesse. Il est commode d’isoler ces
deux origines des variations de pression, pour identifier l’influence réelle de la gravité
dans un écoulement.
On peut ainsi introduire la pression dynamique p*, définie comme l’écart entre la
pression p et la pression hydrostatique :
p* = p + ρ g z (1.42)
où z désigne toujours la direction verticale ascendante (g z = – g).
L’équation de Navier-Stokes (1.29) peut alors s’écrire sous la forme suivante :
(1.43)
ρ V∂t∂
-------M1
M2
∫ dl⋅ H M2( ) H M1( )–+ 0=
φ∂t∂
------ V2
2------ p
ρ--- g z+ + + constante=
V∂t∂
------- V grad V( )⋅+1
ρ--- grad p*( )– ν∆V+=
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E3 4
Cette nouvelle équation (1.43) ne fait pas intervenir la gravité. Ceci a une consé-
quence pratique importante : un problème d’écoulement incompressible est indépen-
dant de la gravité si les conditions aux limites ne font pas intervenir la pression.
L’écoulement dans un volume entièrement contenu par des parois ne fait intervenir
que des conditions aux limites portant sur les vitesses : un tel écoulement est donc indé-
pendant de g, et donc de l’orientation du volume étudié par rapport à la verticale.
Les conditions aux limites ne font pas intervenir la pression : ces trois écoulements sont semblables.
Il n’en est pas ainsi lorsqu’il y a une surface libre. En effet, à la surface libre d’un
liquide, la pression p est égale à la pression atmosphérique : cette condition, convertie
en condition sur la pression dynamique p*, fait intervenir explicitement g, ce qui
constitue un contre-exemple de la propriété énoncée ci-dessus.
p = patm, donc p* = patm + ρgη (x, t)
À la surface libre d’un liquide, la condition sur la pression fait intervenir la gravité.
2.5. Condition de paroi. Couche limite
Condition à la limite sur une paroi solide
On pose aujourd’hui comme une évidence que la vitesse est nulle sur une paroi solide
fixe. Cette évidence fut longtemps masquée, notamment parce que, dans un écoule-
ment turbulent, la vitesse varie très vite dans une zone très fine au contact de la paroi,
comme nous le verrons au chapitre 2. C’est Stokes qui, après être parti sur une fausse
piste, formula définitivement ce fait, encore lui fallut-il six ans d’hésitations (entre
1845 et 1851) :
« Si le fluide en contact immédiat avec un solide pouvait s’écouler le long de ce dernier avec une
vitesse finie, cela voudrait dire que le solide serait infiniment plus lisse quand à son action sur le
fluide que ne le serait le fluide quand à son action sur lui-même […]. Je supposerai donc, pour
Fond
η (x, t )
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 3 5
ce qui est des conditions qui doivent être satisfaites aux parois d’un fluide, que la vitesse d’une
particule fluide est identique, tant en amplitude qu’en direction, à celle d’une particule solide
avec laquelle elle est en contact27. »
Couche limite
Lorsqu’un écoulement rencontre une surface solide, il est globalement défléchi par
cette dernière, si cette surface impose un changement de direction. Par ailleurs,
comme la vitesse sur la surface solide est nulle (dans le référentiel lié à la dite surface),
se développe une zone dans laquelle la vitesse varie entre zéro (à la paroi) et la vitesse
V du flux principal non perturbé par le frottement sur la paroi. Cette zone est appelée
couche limite.
Couche limite : (a) sur une plaque plane ; (b) sur une surface courbe (aile, voile, roue de pompe ou de
turbine…).
C’est Ludwig Prandtl (1875-1953) – dont on reparlera un peu plus loin – qui fut le
premier à analyser rigoureusement ce type d’écoulement. Détaillons ci-dessous les
grandes lignes de la méthode d’analyse des couches limites.
Soient u et v les composantes de la vitesse selon les directions x et y, parallèle et
normale à la paroi, respectivement. L’épaisseur de la couche limite, δ(x), augmente
lentement avec la direction x, il est donc possible de faire les hypothèses suivantes :
v ? u
?
De plus, l’écoulement est supposé permanent. Ces approximations, appliquées à la
projection selon y de l’équation de Navier-Stokes (1.30) – ou sous la forme (1.43) qui
permet d’éliminer la gravité, quelle que soit l’orientation de la direction y par
rapport à la verticale – permettent d’écrire :
≈ 0
27. « On the effect of the internal friction of fluids on the motion of pendulums », Transactions of theCambridge Philosophical Society, vol.9, 1851 ; op. cit., d’après Rouse et Ince.
(a) (b)
couche limite
couche limite
δ(x)
yV
x
x∂∂
y∂∂
p*∂y∂
--------
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E3 6
La pression varie donc uniquement selon la direction de l’écoulement28; la pression
est, en particulier, constante à la traversée de la couche limite29.
La pression p(x) est donc égale à la pression de l’écoulement loin de la paroi (à l’écart
de pression hydrostatique près) ; elle peut être approchée en première approximation
par le théorème de Bernoulli appliqué à l’écoulement loin de la paroi, puisque l’écou-
lement loin de la paroi n’est que peu influencé par les frottements internes.
Le système qui décrit l’écoulement dans la couche limite est donc le suivant :
(1.44)
où dp* / dx est une donnée externe au calcul de couche limite.
Ce principe de décomposition entre le flux principal supposé se comporter comme
un fluide parfait et la couche limite, principe introduit par Prandtl, reste encore
aujourd’hui une méthode couramment utilisée en aérodynamique ou dans le dimen-
sionnement des turbomachines.
Les équations (1.44) correspondent à un écoulement laminaire, c’est-à-dire non tur-
bulent. Nous verrons au chapitre 2 comment réécrire ce système pour calculer les
vitesses moyennes dans une couche limite turbulente. D’un autre côté, nous aborde-
rons en détail, au chapitre 4, la description des écoulements autour de structures
immergées. Nous allons simplement examiner ici la solution de l’écoulement lami-
naire qui se développe le long d’une plaque plane.
Couche limite laminaire le long d’une plaque plane
La solution de cet écoulement est due à Paul Richard Heinrich Blasius (1883-1970),
élève de Prandtl.
Dans le cas d’une plaque plane, la pression dans le flux principal est constante
selon x. Le terme en dp* / dx des équations (1.44) peut alors être omis. Blasius intro-
duisit une forme réduite adimensionnelle η de la coordonnée x, définie par :
.
Il démontra ensuite que le profil de vitesse adimensionnel u / V est une fonction de ηseulement :
;
28. Le lecteur pourra trouver au chapitre 5, à propos de l’approximation des écoulements quasi hori-zontaux, une discussion plus précise sur cette approximation.
29. C’est bien ce qui permet de supposer que dans le tube de Pitot – figure 1.5 – la pression au droit despetits trous du tube est égale à la pression du fluide au loin.
u∂x∂
------ v∂y∂
-----+ 0=
u u∂x∂
------ v u∂y∂
------+1
ρ---
dp*
dx---------– ν
∂2u
y2∂--------+=
η yV
νx------=
u
V--- f ′ η( )=
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 3 7
où f ′ est la dérivée d’une fonction f définie par l’équation différentielle suivante :
f ′′′ + f f ′′ = 0 avec f(0) = f ′ (0) = 0 et f ′ → 1 quand η → ∞.
Seule une intégration numérique permet de résoudre cette équation : le profil de
vitesse résultant est tracé figure 1.8. On observe que la vitesse u est égale à 99% de la
vitesse du flux incident V pour une valeur de η de 5, environ. L’épaisseur de la couche
limite varie comme x à la puissance 1/2 :
δ ≅ 5 (1.45)
Ou encore, sous forme adimensionnelle :
(1.46)
en posant : Rex = (1.47)
Figure 1.8. Tracé de la solution de Blasius pour la couche limite sur une plaque plane (d’après les
valeurs numériques reportées par White).
1
2--
νx
V------
δx-- 5
Rex
------------≅
Vx
ν-------
0
5
1
2
3
4
0 1,0u / V
0,2 0,4 0,6 0,8
η = y Vν x
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E3 8
3. Phénomènes d’instabilités. Turbulence
3.1. Un regard historique sur la turbulence
Fondation de l’approche théorique des écoulements turbulents
Ainsi les équations fondamentales de la mécanique des fluides sont écrites. Mais, en
même temps, Saint-Venant qualifie l’hydraulique de « désespérante énigme ». Les
équations en effet sont non linéaires, elles contiennent les germes de phénomènes
d’instabilités, et de la plus conséquente de ces instabilités, la turbulence.
Il existe en fait deux régimes d’écoulement. Hagen mit bien en évidence à partir de
ses expériences l’existence de ces deux régimes. Il réalisa des visualisations grâce à
l’utilisation de tubes de verre et de particules en suspension dans l’eau. Il publia ainsi
en 1854 une première description d’un régime d’écoulement, que nous appelons
aujourd’hui turbulent, caractérisé par l’existence de fluctuations irrégulières.
Saint-Venant interpréta, avec une vision étonnamment précoce, que les contraintes
dans un fluide en écoulement turbulent doivent dépendre de « l’intensité de forma-
tion des tourbillons ».
Ces intuitions furent développées par son protégé Joseph Boussinesq (1842-1929) :
« Les fluides se meuvent de deux manières différentes, selon qu’ils coulent dans des tubes très
étroits ou dans des espaces ayant des sections comparables à celles des tuyaux de conduites ou
des canaux découverts. Dans le premier cas, leurs mouvements sont bien continus, c’est-à-dire
que les vitesses varient graduellement, à chaque instant, d’un point du fluide aux points voisins,
et des formules très connues, données par Navier pour représenter ces mouvements, les régis-
sent avec toute l’approximation désirable, pourvu qu’on ait soin de supposer nulle la vitesse
contre les parois mouillées. Mais le coefficient des frottements que développent des mouve-
ments aussi réguliers est extrêmement petit, et si une telle continuité existait dans les tuyaux des
conduites ou dans les canaux découverts, les filets fluides très voisins devraient acquérir, surtout
près des parois, des différences de vitesse énormes. Il faut donc […] : (1) regarder les vitesses
vraies, à l’intérieur d’un fluide qui s’écoule, comme rapidement ou même brusquement varia-
bles d’un point à l’autre […] ; (2) faire dépendre les actions moyennes exercées à travers un
élément plan fixe, non seulement des vitesses moyennes locales […], mais encore de l’intensité
en chaque point de l’agitation tourbillonnaire qui y règne ; (3) rechercher, par conséquent, les
causes dont peut dépendre […] l’agitation tourbillonnaire […] ; (4) choisir, enfin, pour équa-
tions du mouvement, non pas les relations qui expriment à un moment donné l’équilibre dyna-
mique des divers volumes élémentaires du fluide, mais les moyennes de ces relations pendant
une temps assez court, ou ce que l’on peut appeler les équations de l’équilibre dynamique
moyen des particules fluides […]. »
Il y a peu à redire à ce texte30, qui met en évidence, lorsque le régime d’écoulement est
turbulent et présente des fluctuations, l’intérêt de travailler sur des grandeurs
moyennes.
Boussinesq écrivit également que, dans les équations de Navier, le coefficient que
nous avons noté νe dans la section 1.6 « doit dépendre en chaque point non seule-
30. « Essai sur la théorie des eaux courantes », Mémoires présentées par divers savants à l’Académie dessciences, vol. 23, 1877 ; op. cit., d’après Rouse et Ince.
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 3 9
ment de la température et peut-être de la pression, mais encore et surtout de l’inten-
sité de l’agitation moyenne qui s’y trouve produite. » Boussinesq est ainsi l’inventeur
du concept de viscosité turbulente, que nous présenterons plus loin, et qui est à la base
des modélisations de la turbulence les plus répandues.
Restait à quantifier la transition entre le régime qualifié par Boussinesq de
« régulier », que nous appelons aujourd’hui régime laminaire, et le régime turbulent.
Osborne Reynolds (1842-1912) réalisa de nombreux travaux expérimentaux à l’uni-
versité de Manchester. Parmi ses résultats figure l’expérience historique qui porte son
nom, et qui permit de mettre en évidence quantitativement la transition à la turbu-
lence dans un écoulement en conduit. Ses prédécesseurs avaient reconnu que la tur-
bulence apparaît lorsque la vitesse dépasse une certaine valeur, ou lorsque la taille du
conduit augmente, ou encore lorsque la viscosité diminue (ce qui peut être réalisé
expérimentalement en augmentant la température du fluide). Reynolds établit que
c’est la combinaison de ces trois paramètres, sous la forme d’un nombre sans dimen-
sion, qui caractérise cette transition31. Ce paramètre est connu sous le nom de
nombre de Reynolds :
Re = (1.48)
Ainsi, dans un tube de section circulaire, l’écoulement est turbulent lorsque le
nombre de Reynolds construit à partir de la vitesse débitante V et du diamètre d est
supérieur à une valeur critique, estimée aujourd’hui à 2 300 environ.
Reynolds interpréta justement ce seuil comme la limite au-dessous de laquelle les
petites perturbations qui peuvent prendre naissance dans le fluide s’atténuent et dis-
paraissent, alors qu’au-dessus de ce seuil, elles s’amplifient pour atteindre un niveau
fini. Ce travail sur les instabilités de l’écoulement d’un fluide visqueux avait été com-
mencé en fait par William Thomson, mais c’est Lord Kelvin (1824-1907), qui semble
avoir été l’inventeur du nom de turbulence pour décrire ce régime d’écoulement.
Reynolds alla plus loin que Boussinesq, en introduisant la décomposition devenue
classique entre vitesse moyenne (notée ) et fluctuation de vitesse (notée u ′), soit,
pour la composante de la vitesse selon la direction xi :
(1.49)
Allure de la vitesse instantanée enregistrée en fonction du temps, dans un écoulement turbulent.
31. « An experimental investigation of the circumstances which determine whether the motion of watershall be direct or sinuous and of the resistance in parallel channels », Phil. Trans. R. Soc., vol. 174,pp. 935-982, 1883.
Vd
ν-------
u
ui u i u ′ i+=
Vitessemoyenne u
Fluctuation u ′
u
t
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E4 0
En effectuant la moyenne de l’équation de continuité (1.23 bis) et de l’équation de
Navier-Stokes (1.30 bis), Reynolds écrivit les équations suivantes qui décrivent le
comportement statistique d’un écoulement turbulent :
Ces équations s’appellent les équations de Reynolds. Elles contiennent des termes
inconnus, les , qui sont appelés les tensions de Reynolds, qui viennent s’ajouter
aux tensions visqueuses ; lorsque l’écoulement est pleinement turbulent, les tensions
de Reynolds sont en fait beaucoup plus grandes que les tensions visqueuses.
Comment rapprocher ces équations de Reynolds avec la proposition de Boussinesq
citée un peu plus haut? Boussinesq supposait implicitement qu’il est possible d’appli-
quer l’équation de Navier à la description du champ de vitesse moyen. Dans ces con-
ditions, le terme νe∆ui de l’équation de Navier représente la somme de deux termes
de l’équation de Reynolds : le terme visqueux, , et le terme turbulent .
On peut alors décomposer νe en deux parties et poser :
νe = ν + ν t (1.52)
ν t s’appelle viscosité turbulente. Bien sûr, cette grandeur n’a pas de signification physique
profonde, ce n’est qu’un modèle, encore largement utilisé aujourd’hui, mais qui a ses
limites, comme nous le verrons au chapitre 2.
Après Reynolds, c’est à l’université de Göttingen que fut créée une prolifique école de
développement de la pensée et des connaissances, tant théoriques qu’expérimentales :
le fondateur de cette école fut Ludwig Prandtl (1875-1953). Paul Richard Heinrich
Blasius (1883-1970), connu pour ses travaux sur la couche limite que nous avons décrit
plus haut, mais aussi pour ses résultats expérimentaux sur les écoulements turbulents
dans les conduits, et Théodore von Karman (1881-1963), qui a laissé son nom aux
allées de tourbillons en aval d’un obstacle dans un écoulement, ainsi qu’à certaines
données sur la couche limite turbulente, furent membre de cette école.
C’est que la couche limite, que nous avons décrite dans la section 2.5 de ce chapitre, est
laminaire au début de son développement, puis devient turbulente lorsque son épais-
seur δ atteint une certaine valeur. Pour l’écoulement sur une plaque plane, la transition
à la turbulence est observée lorsque le nombre de Reynolds local Rex, défini par l’équa-
tion (1.47), dépasse une valeur de l’ordre de 5 105 (ou 106 si la surface est parfaitement
lisse et le flux incident bien régulier). Cette transition a une conséquence importante,
qui est un brusque changement de régime de l’écoulement autour d’une structure : c’est
ainsi que Gustave Eiffel (1832-1923), étudiant l’effort exercé par un écoulement sur une
ui∂xi∂
------- 0=
ui∂t∂
------- uj
ui∂xj∂
-------⋅+1
ρ---
p∂xi∂
-------– gi ν∆ui xj∂∂
u ′ i u ′ j( )–+ +=
(1.50)
(1.51)
u ′ i u ′ j
ν∆ui u ′ i u ′ j∂
xj∂----------------–
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 4 1
sphère, obtint un résultat complètement différent de mesures antérieures réalisées à
Göttingen – mais dans une gamme différente de valeurs du nombre de Reynolds.
Prandtl, un peu plus tard, devait expliquer ce phénomène.
Prandtl et son élève Blasius ont donc beaucoup travaillé sur les couches limites, lami-
naires et turbulentes. Prandtl a laissé son nom à un modèle de turbulence simple, mais
très bien adapté aux calculs de couche limite turbulente : ce modèle part d’un raison-
nement très simple, qui suppose que dans un écoulement cisaillé, siège d’un gradient
de vitesse ∂ / ∂y, la fluctuation de vitesse u ′ dépend d’une échelle de longueur Lm
(appelée longueur de mélange) des tourbillons turbulents, et peut donc s’exprimer
comme :
avec de plus v ′ ≈ u′ si les tourbillons ne sont pas trop aplatis. On écrit alors que la tension
de Reynolds de cisaillement, dans la couche limite, s’exprime de façon approchée comme :
(1.53)
Ce modèle s’appelle le modèle de longueur de mélange de Prandtl. Il revient à écrire
une modélisation de la viscosité turbulente sous la forme :
(1.54)
Tous les expérimentateurs depuis Hagen avaient remarqué que la transition entre le
régime laminaire et le régime turbulent s’accompagne d’un changement des lois expri-
mant la résistance à l’écoulement ou, autrement dit, des lois exprimant la perte de
charge entre deux points d’un conduit rectiligne, distants d’une longueur donnée L, en
fonction de la vitesse de l’écoulement dans ce conduit. Un nombre extrêmement impor-
tant de données expérimentales fut ainsi acquis au fil des ans. J. Nikuradse fut en parti-
culier le premier à étudier de façon systématique l’influence de la rugosité de paroi
(1933). La synthèse de ces données fut réalisée en 1939 par C.F. Colebrooke, et cette syn-
thèse mise en 1944 sous la forme d’une abaque par Hunter Rouse et Lewis F. Moody
(1880-1953). Cette abaque, que nous commenterons au chapitre 3 (figure 3.10), cons-
titue la synthèse utilisable de cette longue série d’études expérimentales.
Vers les méthodes modernes de modélisation de la turbulence
Un autre père fondateur des idées théoriques sur la turbulence fut Andrei Nikolae-
vich Kolmogorov (1903-1987). Il introduisit dans un papier, publié en 1942, les con-
cepts de grands tourbillons et de petits tourbillons, caractérisés par des échelles de
vitesse et de longueur différentes. Par un raisonnement reposant essentiellement sur
l’analyse dimensionnelle, il put relier les caractéristiques des petits tourbillons à des
grandeurs macroscopiques comme l’énergie totale de la turbulence, l’échelle de lon-
gueur des grands tourbillons et à la viscosité du fluide. Il mit en évidence que le
u
u ′ Lm u∂y∂
------=
u ′ v ′ Lm2
u∂y∂
------ 2
–=
νt Lm2
u∂y∂
------=
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E4 2
rapport de la plus grande taille de tourbillons, Lt, à la plus petite taille des tourbillons
présents, λ0, varie comme le nombre de Reynolds à la puissance 3/4 :
≈ Re3/4
Ainsi, le principal effet de l’augmentation du nombre de Reynolds, dans un écoule-
ment turbulent, est de diminuer la taille des plus petits tourbillons présents, alors
que l’écoulement moyen et les grands tourbillons sont peu affectés par les variations
du nombre de Reynolds. Nous exposerons en détail cette théorie dans le chapitre 2.
L’ère de l’ordinateur permit d’envisager la résolution numérique des équations de
Navier-Stokes et des équations de Reynolds. Une date importante pour l’utilisation de
ces équations pour résoudre des problèmes concrets est 1974, date de parution d’un
article de B.E. Launder et D.B. Spalding, de l’Imperial College de Londres, qui proposa,
à partir des idées de Kolmogorov, un modèle pour estimer la viscosité turbulente, le
modèle k – ε ; ce modèle fut pour la première fois utilisé en France en 1978. En 1975,
B.E. Launder, J. Reece et W. Rodi publièrent une première proposition d’équations per-
mettant de calculer de façon approchée les tensions de Reynolds .
Utiliser l’hypothèse de viscosité turbulente avec le modèle k – ε ou résoudre des
équations donnant directement les tensions de Reynolds sont les deux principales
méthodes utilisées aujourd’hui pour résoudre les équations de Reynolds et calculer
en pratique les vitesses moyennes dans un écoulement turbulent.
Avec le développement du calcul scientifique, une autre voie a été ouverte à partir des
années 1980 : revenir aux équations de Navier-Stokes sans faire d’hypothèses parti-
culières, et résoudre numériquement ces équations sur un maillage fin et avec un pas
de temps très petit, pour simuler directement la turbulence.
Le chapitre 2 reprendra ces notions et présentera dans le détail l’approche de modé-
lisation de la turbulence.
3.2. Phénomènes d’instabilités en mécanique des fluides
William Thomson, Lord Kelvin (1824-1907) et John William Strutt, Lord Rayleigh
(1842-1919), tous deux de l’université de Cambridge, ainsi que l’Allemand Hermann
Ludwig Ferdinand von Helmholtz (1821-1894) furent sans doute les premiers à étudier
scientifiquement les phénomènes d’instabilité – dont la turbulence est l’exemple le plus
répandu, mais non le plus spectaculaire.
L’un des mécanismes d’instabilités les plus importants en pratique est ainsi appelé
l’instabilité de Kelvin-Helmholtz : il se produit lorsque deux courants fluides parallèles
sont mis en contact avec des vitesses différentes. La discontinuité tangentielle de
vitesse est alors instable, et donne naissance à des tourbillons qui grandissent au fur
et à mesure que s’épaissit la couche de mélange entre les deux courants (figure 1.9).
Ces rouleaux, qui prennent naissance à la discontinuité de vitesse, grossissent vers
l’aval ; ils s’apparient entre eux, et, à partir d’une certaine distance, l’écoulement
devient turbulent.
Lt
λ0
-----
u ′ i u ′ j
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 4 3
Figure 1.9. Rouleaux d’instabilité de Kelvin-Helmholtz dans une couche de mélange plane résultant
de la mise en contact de deux courants parallèles et de vitesses différentes. On observe
expérimentalement que l’épaisseur ecm de la couche de mélange augmente linéairement
avec la distance x. La relation suivante a été établie à partir de visualisations expérimen-
tales (Papamoshou et Roshko, 1988) pour un écoulement à masse volumique constante :
(1.55)
Il existe bien d’autres phénomènes d’instabilités. Ainsi, l’écoulement de Couette entre
un cylindre intérieur tournant et un cylindre extérieur fixe, écoulement que nous avons
évoqué dans la section 1.6 de ce chapitre, devient instable lorsque la vitesse de rotation
du cylindre intérieur dépasse une certaine valeur. Geoffrey Ingram Taylor de l’université
de Cambridge résolut théoriquement ce problème, et détermina que l’instabilité sur-
vient lorsque le nombre Ta (appelé depuis nombre de Taylor) dépasse une valeur de
1 700, environ.
(1.56)
L’écoulement perd alors sa symétrie de révolution, il s’organise en tourbillons dont la
structure évolue au fur et à mesure que le nombre de Taylor augmente.
Une autre instabilité, souvent rencontrée en pratique, est l’effet Coanda : un écoule-
ment qui passe au travers d’un diaphragme ou qui sort d’un ajustage peut, dans une
certaine plage du rapport des diamètres d1 / d2, et du nombre de Reynolds, coller en
aval à l’une des parois au lieu de constituer un jet axisymétrique (figure 1.10). Ce
phénomène a été découvert par l’aérodynamicien roumain Henri Coanda (1886-
1972), inventeur de la propulsion à réaction dans les années 1920.
Vitesse u1
Vitesse u2
ecm x
ecm 0,17 u1 u2–
u1 u2+( ) 2⁄----------------------------- x=
r i
re
ω Tari re ri–( )3ω2
ν2-------------------------------=
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E4 4
Figure 1.10. Effet Coanda. Schéma de principe et résultat d’un calcul numérique, extrait du dossier de
validation du logiciel ESTET de EDF-DER (Mattei, 1995).
Ainsi, comme conséquence du caractère non linéaire des équations de Navier-Stokes, on
peut observer des seuils au-delà desquels apparaissent des phénomènes instationnaires
d’instabilités. Dans un problème de mécanique des fluides, changer le sens des vitesses
aux limites du problème peut conduire à des solutions radicalement différentes : nous
avons vu plus haut les profondes différences entre les natures de l’écoulement dans un
convergent et dans un divergent. Enfin, là où la géométrie est apparemment symétrique
et où l’on pourrait s’attendre à observer un écoulement présentant le même caractère de
symétrie, des solutions non symétriques peuvent apparaître.
Ces phénomènes peuvent réserver des surprises à l’ingénieur, encore aujourd’hui.
Ainsi, la solution non symétrique de l’écoulement dans un tuyau faiblement débitant
connecté à un tuyau de plus grand diamètre et fortement débitant n’a été découverte
qu’il y a quelques années (figure 1.11).
Figure 1.11. Figure 1.11. Exemple de solution non symétrique : un petit tuyau parcouru d’un petit
débit est connecté à un tuyau de plus grand diamètre dans lequel circule un fluide à
grande vitesse ; un tourbillon s’installe dans le petit tuyau, sur une grande longueur :
(V ′ / V < 5 10– 3 ; Re = Vd / ν > 106), d’après Robert, 1992 ; Deutsch et al., 1996.
d1 d2
V ′
d
D
V
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 4 5
4. L’analyse dimensionnelle et les modèles réduits en mécanique des fluides
4.1. Des premières études expérimentales à la formulation de l’analyse dimensionnelle
Nous avons évoqué dans la section 1.4 les premières études sur modèles à échelle
réduite de roues et moulins, entreprises par Smeaton au XVIIIe siècle. Nous avons
aussi cité ses interrogations sur « les points sur lesquels un modèle (réduit) diffère
d’une machine en vraie grandeur ». La méthode appelée analyse dimensionnelle
permet de répondre à ces interrogations. C’est Julius Weisback (1806-1871), de
l’École des mines de Freiberg, qui fut le premier promoteur de l’utilisation de
nombres sans dimension, ou nombres adimensionnels, construits à partir des para-
mètres significatifs du problème étudié. C’est à l’expression des pertes de charge que
Weisback s’attaqua en particulier. Ainsi, l’équation (1.11), que nous avons écrite dans
la section 1.4 pour la perte de charge dans un divergent brutal, peut s’écrire comme
l’égalité de deux nombres adimensionnels :
L’analyse dimensionnelle de l’équation (1.13) montre, de son côté, que la constante
0,51 est un nombre pur, et a donc une chance d’être indépendante de la taille carac-
téristique du problème étudié. Pour exprimer la perte de charge correspondant à un
tronçon de longueur L d’un conduit de diamètre d, parcouru par la vitesse débitante
V, Weisback établit que la perte de charge adimensionnelle peut s’exprimer comme le
produit de deux nombres adimensionnels : le rapport L / D et un nombre λc – qui
sera identifié au chapitre 3 comme le coefficient de perte de charge linéaire :
(1.57)
C’est au XIXe siècle que fut généralisée l’utilisation de la soufflerie aérodynamique
pour réaliser des expériences et étudier les caractéristiques de modèles réduits.
Gustave Eiffel construisit une première soufflerie en 1909, puis une deuxième en
191232, pour étudier l’effet du vent sur les structures qu’il dessinait. C’est aussi à cette
époque que se développa le modèle, dit à fond mobile, pour étudier sur modèle réduit
le transport des sédiments ; un modèle réduit à fond mobile sur la Garonne à Bor-
deaux, à l’échelle 1/100, fut construit en 1875 par Louis Jérôme Fargue (1827-
1910)33. La technique des bassins d’études de carènes, où sont tractés des modèles
réduits de coques de navires, se généralisa également.
32. Cette soufflerie est encore visible à Paris, 67 rue Boileau, dans le 16e arrondissement.
33. L. J. Fargue, « Sur la corrélation entre la configuration du lit et la profondeur d’eau dans les rivièresà fond mobile », Annales des Ponts et Chaussées, Paris, 1868.
2 g δH
V12
----------------A2 A1–
A1
------------------ 2
=
2 g δH
V2----------------
L
d--- λ c=
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E4 6
La véritable rationalisation de l’utilisation des modèles réduits est due à Osborne
Reynolds (dont nous avons mentionné, dans la section 3.1, le rôle pour la connais-
sance de la turbulence), qui étudia, en 1885, un modèle de la rivière Mersey en Angle-
terre. Nous avons vu que la transition vers la turbulence d’un écoulement en conduit
dépend des trois paramètres que sont la vitesse, le diamètre et la viscosité du fluide.
Le nombre de Reynolds (1.48) :
est un nombre adimensionnel construit à partir de ces trois paramètres ; à lui seul il
permet de caractériser sous forme universelle le seuil de transition.
Ferdinand Reech (1805-1880), William Froude (1810-1879) et son fils Robert
Edmund Froude (1846-1924) réalisèrent des expériences sur des carènes de navires à
échelle réduite (en opposition avec Russell qui réalisait ses expériences en vraie gran-
deur). La résistance de vague d’une carène dépend des ondes induites par le déplace-
ment de cette carène, elle est donc fortement influencée par l’accélération de la
pesanteur g, comme tout phénomène impliquant une déformation de surface libre.
C’est Reech qui établit en 1852 le critère de similitude pour les ondes à surface libre,
mais c’est finalement en l’honneur de Froude père et fils que fut baptisé nombre de
Froude le groupement adimensionnel construit à partir de la vitesse V, de la hauteur
d’eau h, et de l’accélération de la pesanteur g :
(1.58)
Figure 1.12. Deux types de générateurs de houle utilisés dans des canaux ou bassins à houle.
a : à gauche : batteur de houle (visible au premier plan) dans un canal destiné à l’étude
de l’action des tempêtes sur les structures offshore.
b : à droite : générateur segmenté permettant de générer dans un bassin d’étude une
houle de direction et de forme quelconque.
Photos EDF, Laboratoire national d’hydraulique.
ReVd
ν-------=
FV
g h----------=
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 4 7
Helmholtz publia en 1873 un article établissant le rôle joué par la conservation du
nombre de Reynolds et du nombre de Froude dans la similitude entre la réalité et un
modèle réduit. La théorie complète de l’analyse dimensionnelle fut finalement for-
mulée par le Français A. Vaschy en 1892, par le Moscovite Dimitri Pavlovitch Riabou-
chinsky (1882-1962) en 1911, puis par l’Américain Edgar Buckingham (1867-1940)
en 1914. Seuls le premier et le dernier de ces trois auteurs ont finalement laissé leurs
noms au théorème fondamental de l’analyse dimensionnelle, appelé théorème des Π,
ou théorème de Vaschy-Buckigham.
4.2. Le théorème de Vaschy-Buckingham et quelques applications
L’analyse dimensionnelle repose donc sur le théorème de Vaschy-Buckingham, dont
voici l’énoncé.
Toute relation entre n paramètres faisant intervenir p unités indépendantes peut se
mettre sous la forme d’une relation entre (n – p) paramètres adimensionnels.
Point n’est besoin de grands développements pour démontrer ce théorème. Sa compré-
hension nécessite cependant, pour le débutant, un peu de réflexion. Son principe repose
sur le fait que toute relation entre grandeurs physiques doit être dimensionnellement
homogène.
Vérifions d’abord ce théorème sur quelques exemples choisis, les plus simples possi-
bles. La relation qui relie la surface A d’un carré à la mesure de son côté, a, est une
relation entre deux paramètres qui s’expriment à partir de la même unité (le mètre).
Il y a donc un seul paramètre adimensionnel, le rapport : A / a2. La relation entre A et
a peut s’écrire sous la forme :
(Nous savons par ailleurs que cette constante vaut 1.)
Considérons maintenant la relation qui exprime la surface d’un rectangle à partir de la
longueur de ses deux côtés, a et b. Il y a trois paramètres (n = 3), toujours une seule
unité, et donc deux paramètres adimensionnels ; choisissons par exemple A / a2 et a / b.
Nous pouvons donc écrire :
L’analyse dimensionnelle ne nous renseigne pas sur la forme de cette fonction f – nous
savons bien sûr que f(a / b) = (a / b)– 1 – pas plus qu’elle ne nous indiquait la valeur de
la constante dans l’exemple du carré.
Comme troisième exemple simple, considérons maintenant la relation qui exprime
le débit massique Q(kg/s) d’une conduite en fonction de la section A(m2), de la
vitesse moyenne U(m/s) et de la masse volumique ρ(kg/m3). Nous avons mainte-
nant quatre paramètres (n = 4), trois unités (kg, m, s, donc p = 3), et ainsi, selon le
A
a2
----- constante=
A
a2
----- fa
b--
=
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E4 8
théorème, un seul nombre adimensionnel. Le nombre sans dimension Q / ρUA est
donc constant (et nous savons par ailleurs que ce nombre est égal à 1).
La vérification du théorème peut être menée par récurrence. Supposons le théorème
exact pour n paramètres exprimés dans p unités indépendantes : par exemple, si les n
paramètres sont des longueurs, d, d1, d2, … des vitesses V, V1, V2, … et/ou des temps,
alors les unités indépendantes sont m et s, d’où p = 2. Ajoutons maintenant au pro-
blème un n + unième paramètre. Deux cas peuvent se présenter :
(a) Le n + unième paramètre s’exprime à partir des p unités des n premiers paramè-
tres (c’est donc dans notre exemple soit une longueur, une accélération, une
vitesse ou bien un temps) ; on peut alors former un nouveau nombre adimen-
sionnel avec le n + unième paramètre et un groupement des n premiers paramè-
tres : le théorème reste vérifié avec (n + 1) paramètres, (p) unités et (n – p + 1)
nombres adimensionnels ;
(b) Le nouveau paramètre s’exprime avec une nouvelle unité (par exemple, ce
nouveau paramètre est une force F qui contient en plus des unités m et s l’unité
kg). Il est alors impossible d’écrire une relation qui soit homogène avec seule-
ment les n + 1 paramètres, dont seul le dernier contient l’une des unités. Il faut
en réalité introduire un n + deuxième paramètre qui contienne lui aussi la
nouvelle unité (toujours dans le même exemple, ce pourrait être une masse volu-
mique ρ, qui contient comme la pression l’unité kg). On peut alors former un
nouveau paramètre adimensionnel avec le n + unième et le n + deuxième para-
mètre, et éventuellement certains des n premiers paramètres (F / ρ V2 d2, par
exemple). Le théorème reste vérifié avec (n + 2) paramètres, (p + 1) unités, et
(n – p + 1) nombres adimensionnels.
Exemple
Prenons encore un exemple pour illustrer comment s’applique la méthode : l’écriture
de la relation qui donne l’épaisseur δ de la couche limite sur une plaque plane en
fonction de la distance x à partir du bord d’attaque, de la vitesse V et de la viscosité ν(section 2.5) :
δ = f (V, x, ν) (1.59)
En posant ce problème, il faut s’interroger avant toutes choses sur la pertinence de la
liste des paramètres :
(a) Pourquoi ne pas avoir retenu l’accélération de la pesanteur? Car les conditions aux
limites sont purement des conditions cinématiques (vitesse nulle sur la paroi,
vitesse égale à V à l’infini), elles ne font intervenir ni la pression, ni la gravité ;
(b) Pourquoi ne pas avoir retenu la masse volumique? Car si la masse volumique est
rajoutée comme paramètre de l’équation (1.59), cette dernière ne pourrait être
dimensionnellement homogène, en l’absence d’un deuxième paramètre qui
contienne l’unité kg.
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 4 9
Ce deuxième paramètre pourrait-il être la pression? Non, car les équations (1.30)
montrent que, dans un écoulement incompressible, la pression n’intervient que par
son gradient ; la valeur de la pression n’a pas d’importance. Par ailleurs, il n’y a pas
d’écart de pression qui intervienne dans les conditions aux limites de ce problème.
La liste des paramètres étant validée, avec n = 4 et p = 2, le théorème de Vaschy-Buc-
kingham indique que l’expression (1.59) peut se mettre sous la forme d’une relation
entre deux paramètres : il est facile d’identifier le nombre de Reynolds local Rex =
Vx / ν ainsi que le rapport δ / x (mais on pourrait faire un autre choix : par exemple,
Vδ / ν).
L’équation (1.59) peut alors être mise sous la forme :
(1.60)
Pour aller plus loin, et préciser la forme de la fonction f, il faut bien sûr résoudre les
équations du problème (par exemple, pour une couche limite laminaire, c’est la solu-
tion de Blasius).
Remarquons que, si dans la liste initiale des paramètres nous avions choisi d’intro-
duire la viscosité dynamique µ au lieu de la viscosité cinématique ν, nous serions
parvenus au même résultat. En effet, dans la viscosité dynamique, intervient l’unité
kg. Pour que la relation exprimant δ à partir des paramètres V, x, µ, soit homogène, il
est nécessaire qu’intervienne un autre paramètre exprimé avec l’unité kg : la masse
volumique ρ. Il y aurait donc, par rapport à l’analyse précédente, un paramètre de
plus, une unité de plus et, donc, toujours deux nombres adimensionnels. Le nombre
de Reynolds s’écrirait dans ce cas :
Rex = ρ Vx / µ
Nombres adimensionnels usuels
Dans l’application de l’analyse dimensionnelle, le choix initial de la liste des paramè-
tres est l’étape dont dépend la qualité des résultats. Un problème type d’écoulement
incompressible peut comprendre les paramètres suivant : une vitesse V, une échelle
de longueur d, la viscosité ν, l’accélération de la pesanteur g, une variation de pres-
sion δp, la masse volumique ρ.
Ces six paramètres conduisent aux trois nombres adimensionnels qui suivent :
– le nombre de Reynolds : Re = dont nous avons déjà beaucoup parlé ;
– le nombre de Froude : F = , très important pour l’écoulement des liquides à
surface libre, comme nous le verrons dans les chapitres 6 et 7 ;
– le nombre d’Euler : E = , qui permet d’écrire une variation de pression sous
forme adimensionnelle.
δx-- f Rex( )=
Vd
ν-------
V
g d----------
δp
ρV2
---------
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E5 0
4.3. Utilisation des modèles réduits en mécanique des fluides
Principe d’utilisation des modèles réduits
L’analyse dimensionnelle est à la base de la définition des études expérimentales uti-
lisant des modèles réduits.
Lorsqu’on cherche à étudier un phénomène sur maquette à échelle réduite, il faut
déterminer les conditions de similitude, c’est-à-dire les règles de transposition qui
permettent d’interpréter quantitativement les mesures effectuées sur la maquette
pour trouver les valeurs des grandeurs caractéristiques du phénomène réel.
Supposons, par exemple, qu’on s’intéresse à la force Fv exercée par un vent de vitesse
V sur un bâtiment défini par sa hauteur h et par n longueurs caractéristiques d1, d2,
…, dn. L’analyse dimensionnelle montre que, pour exprimer le module Fv de cette
force, il existe une relation de la forme suivante :
(1.61)
Si on réalise une maquette géométriquement semblable au bâtiment, les paramètres
d1 / h, d2 / h… ont la même valeur sur la maquette qu’en réalité. Si, en outre, on
assure la même valeur pour le nombre de Reynolds Re = Vh / ν, la fonction f a les
mêmes arguments, donc la même valeur, sur la maquette (indice m) et en réalité
(indice r).
On aura alors : si Rem = Rer
Cette équation permet de calculer la force réelle Fv , r à partir de la mesure de Fv, m ; la
condition de similitude est ici l’égalité des nombres de Reynolds.
Tableau 1.3. Quelques ordres de grandeur du nombre de Reynolds
Cœur, artères et capillaires sanguins V ≅ 0,1 m/s d = 10– 4 à 10– 1 m Re = 10 à 104
Air dans l’habitat :
chauffage, ventilation, climatisation
V = 0,1 à 1 m/s d = 0,1 à 10 m Re = 103 à 106
Liquides dans les circuits industriels et urbains V = 1 à 20 m/s d = 0,01 à 1 m Re = 104 à qq. 107
Vent autour d’engins ou de structures V ≅ 10 m/s d = 0,1 à 100 m Re = 105 à 108
Écoulement dans les canaux V ≅ 1 m/s d = 1 à 10 m Re = 106 à 107
Fleuves et rivières naturelles V ≅ 1 m/s d = 10 à 1 000 m Re = 107 à 109
Écoulements géophysiques V ≅ 1 m/s (eau)
V ≅ 10 m/s (air)
d = 100 à 105 m Re = 108 à 1011
Fv ρV2h2 fVh
ν------- ,
d1
h----- ,
d2
h----- , …,
dn
h-----
=
Fv
ρV2h2---------------
m
Fv
ρV2h2---------------
r
=
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 5 1
Figure 1.13. Modèle réduit à l’échelle 1/75 de l’évacuateur de crue du barrage de Rizzanese, en Corse.
(Photo EDF, Laboratoire national d’hydraulique.)
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E5 2
Figure 1.14. Étude sur modèle réduit de la propagation de la houle dans l’entrée d’un port.
Photo EDF, Laboratoire national d’hydraulique.
Figure 1.15. Étude sur un modèle à fond mobile de l’aménagement de la zone de Belleville-sur-Loire.
Photo EDF, Laboratoire national d’hydraulique.
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 5 3
Figure 1.16. Étude du panache des aéroréfrigérants de la centrale nucléaire de Cruas (vallée du
Rhône). Cette étude a été réalisée dans une veine hydraulique, à l’échelle 1/400.
Photo EDF, Laboratoire national d’hydraulique.
Des modèles réduits peuvent être utilisés pour résoudre une très large gamme de
problèmes : écoulements en rivière, efforts exercés par la houle sur les structures
côtières ou offshore, étude du vent dans un quartier d’habitation, sollicitations aéro-
dynamiques d’un pont à haubans, dispersion de polluants dans l’air ou dans l’eau,
machines hydrauliques, études de carènes… Les figures 1.13 à 1.16, ainsi que la
figure 6.34, plus loin, en montrent quelques illustrations.
Problèmes posés par le respect de certaines conditions de similitude
Il arrive souvent qu’on ne puisse pas respecter rigoureusement toutes les conditions
de similitude ; il en est ainsi dans le cas fréquent où il y a deux conditions : une sur le
nombre de Reynolds, et une sur le nombre de Froude. On devrait avoir alors en effet
les deux égalités :
et
qui imposent une condition généralement irréalisable sur la viscosité cinématique νm
du fluide à utiliser sur la maquette et sur l’échelle géométrique dm / dr de cette der-
nière.
Vd
ν-------
m
Vd
ν-------
r
=V2
g d------
m
V2
g d------
r
=
M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E5 4
Dans un tel cas, on doit sacrifier l’une des conditions de similitude (la moins impor-
tante) ou rechercher un compromis. En général, on sacrifie la condition portant sur
l’égalité des nombres de Reynolds, car l’expérience montre que le nombre de Reynolds
n’a pratiquement pas d’importance quand il est assez grand. Cette observation se com-
prend à la lumière de ce qui a été dit plus haut dans la section 3.1 : si l’écoulement est
pleinement turbulent, donc si le nombre de Reynolds est largement au-dessus des
valeurs qui correspondent à la transition vers le régime turbulent, le terme contenant
la viscosité dans l’équation de Reynolds (1.51) devient négligeable devant le terme
contenant les tensions de Reynolds. Si cette condition est remplie, l’influence de la
viscosité (et donc l’influence du nombre de Reynolds) disparaît34.
Dans le cas des modèles d’écoulements dans l’environnement représentant une zone
de très grande emprise, l’échelle géométrique est nécessairement très petite. Dans ce
cas, même la condition mentionnée ci-dessus sur le seuil du nombre de Reynolds
peut être impossible à respecter (ce qui se comprend en réalisant, par exemple, que
sur un modèle au 1/1 000, une hauteur d’eau de 1 m se traduit par une profondeur de
1 mm seulement). Il a alors été courant d’utiliser des échelles différentes pour les
hauteurs et pour les dimensions dans le plan horizontal, pour augmenter artificielle-
ment la hauteur d’eau sur le modèle. Ces modèles sont appelés modèles distordus.
Ceci est évidemment à éviter, et on conçoit que la similitude pâtisse de ce genre
d’approximation : la structure tridimensionnelle des circulations n’est plus correcte-
ment représentée. Le problème n° 6, en fin de ce chapitre, présente un exemple de
dimensionnement d’un modèle distordu.
Les modèles réduits qui veulent représenter les transports de sédiments sont égale-
ment l’objet d’une similitude approximative, car les grains utilisés en laboratoire
pour représenter les sédiments réels (sable, bakélite broyée, grains de matière plas-
tique) sont d’un diamètre trop petit pour que la similitude des forces exercées par
l’écoulement sur les grains soit respectée (le nombre de Reynolds construit sur la
taille du grain est trop petit). La bonne utilisation de ces modèles demande une
grande expérience, et ne doit être mise en œuvre que dans les équipes qui disposent
du savoir-faire correspondant.
Modèles distordus, ou modèles sédimentologiques, nécessitent en général un calage
sur des données réelles. La méthode utilisée consiste à «caler» le modèle, en modi-
fiant certaines rugosités, par exemple sur les données disponibles concernant l’état
existant, en cherchant donc à reproduire cet état existant, puis à modifier le modèle
pour y introduire les aménagements à étudier.
34. À proximité de la paroi, dans la couche limite, l’influence de la viscosité peut subsister, même lorsquele nombre de Reynolds construit sur les dimensions globales de la zone étudié est grand. Pour quel’influence de la viscosité disparaisse complètement dans la couche limite, et donc pour que le frotte-ment sur la paroi ne dépende plus du nombre de Reynolds, il faut atteindre un régime d’écoulementappelé régime turbulent rugueux. Nous définirons cette notion dans la section 2.1 du chapitre 3.
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 5 5
P R O B L È M E S E T A P P L I C A T I O N S
1.
MODÈLE DE HOULE AU PREMIER ORDRE (HOULE D’AIRY)
Déterminer la célérité d’ondes de gravité de petite amplitude, en fonction de la
longueur d’onde et de la profondeur. Supposer l’écoulement irrotationnel, le
mouvement sinusoïdal, et l’amplitude suffisamment faible pour que le pro-
blème soit linéarisable.
Solution
On suppose que l’amplitude de l’onde est faible devant la longueur d’onde Λ,
et on néglige tous les effets visqueux : l’écoulement est supposé irrotationnel,
la vitesse dérive du potentiel :
φ(x, z, t).
Soit η(x, t) la cote de la surface libre, et h le niveau de la surface libre lorsque le
fluide est au repos. L’amplitude est faible, donc : ? Λ .
η – h et la vitesse u sont considérés comme infiniment petits du même ordre.
Les conditions aux limites s’écrivent :
– étanchéité au fond (z = 0) :
– à la surface libre, les conditions de continuité de la vitesse verticale et de la
pression doivent s’écrire pour z = η. Comme (η – h) est petit, ces condi-
tions sont écrites, au premier ordre, pour z = h :
– la pression est égale à la pression atmosphérique (prise arbitrairement
égale à zéro); ceci s’écrit, à l’aide du théorème de Bernoulli généralisé
(en négligeant le terme en V2) :
soit
Niveau de la surface
au repos x
z
h
z = η
η h–
uz 0=
φ∂z∂
------z 0=
0= =
ρ φ∂t∂
------z h=
ρg η+ 0= η – 1
g-- φ∂
t∂------
z h=
=
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P R O B L È M E S E T A P P L I C A T I O N S
– continuité de la vitesse verticale :
On cherche la solution sous la forme d’une onde qui se propage dans la direc-
tion x avec un vecteur d’onde K et une pulsation ω :
φ(x, z, t) = f(z) cos(Kx – ωt)
Reportons cette expression dans l’équation de continuité, qui s’écrit, pour un
écoulement irrotationnel :
∆φ = 0
L’équation qui en résulte admet comme solution, compte tenu de la condition
à la limite écrite plus haut pour z = 0 :
φ(x, z, t) = A cosh Kz cos(Kx – ωt)
Ceci permet de calculer la vitesse du fluide, ainsi que la cote de l’interface η, en
utilisant l’équation écrite à la surface libre pour la continuité de la pression à la
surface :
η (x, t) = – cosh(Kh) sin(Kx – ωt)
Il est alors possible de calculer la constante A à partir de l’amplitude de l’onde.
Pour obtenir la célérité de l’onde, il faut établir la relation de dispersion, qui
relie ω et K. Celle-ci est obtenue en reportant l’expression obtenue pour le
potentiel φ dans la condition qui exprime la continuité de la vitesse verticale à
l’interface. Il vient alors :
ω2 = gK tanh(Kh) (1.62)
D’où les célérités :
– la vitesse de groupe représente la vitesse de propagation de l’énergie ; c’est la
vitesse d’ensemble de propagation du paquet d’ondes, ou du train d’ondes ;
elle est égale à :
– la vitesse de phase est la célérité d’une onde particulière :
Ce dernier résultat constitue l’équation d’Airy (1.17). Si la profondeur est petite
par rapport à la longueur d’onde, cette équation se simplifie pour donner l’équa-
tion de Lagrange (1.15). Si, au contraire, la profondeur est très grande, nous
obtenons l’équation (1.16).
φ∂z∂
------z h=
η∂t∂
------=
Aωg
--------
Cω∂K∂
-------=
CωK---- longueur d’onde
période---------------------------------------
g Λ2 π-------- tanh
2 πh
Λ-----------
= = =
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 5 7
P R O B L È M E S E T A P P L I C A T I O N S
2.
ÉCOULEMENT DE POISEUILLE DANS UN CANAL PLAN
Déterminer le profil de vitesse dans l’écoulement laminaire, permanent et uni-
forme, dans le canal compris entre deux plans parallèles, supposés infinis dans
la direction transversale. En déduire la relation entre la vitesse débitante et le
gradient de pression.
Solution
L’écoulement est permanent et uniforme, donc ∂u / ∂t = 0 et ∂u / ∂x = 0.
L’équation de continuité indique alors que : ∂v / ∂y = 0. Comme v = 0 à la
paroi (étanchéité), la vitesse v est nulle partout. La projection selon y de
l’équation de Navier-Stokes se réduit alors à :
La pression est donc constante dans chaque section transversale à l’écoule-
ment. La projection selon x de l’équation de Navier-Stokes s’écrit, de son côté :
Si nous dérivons par rapport à x cette dernière équation, nous obtenons, toujours
en vertu des mêmes hypothèses :
Le gradient de pression ∂p* / ∂x est donc une constante du problème. C’est le
terme moteur de l’écoulement, qui équilibre l’influence du frottement sur la
paroi. Il est donc facile de se rendre compte que ∂p* / ∂x est négatif (la pression
diminue en suivant l’écoulement).
u (y ) e
e
x
y
0 – 1
ρ--- p*∂
y∂--------=
0 – 1
ρ--- p*∂
x∂-------- ∂
y∂----- ν u∂
y∂------
+=
∂x∂
----- p*∂x∂
-------- 0=
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Posons : , avec a > 0.
Il est possible d’intégrer une première fois la projection selon x de l’équation
de Navier-Stokes, écrite plus haut :
= – ay + constante
La constante d’intégration peut être écrite à l’aide de la contrainte de frotte-
ment à la paroi, τ p :
Comme nous l’avons précisé plus haut, il existe un lien entre le gradient de
pression et la contrainte de frottement τ p. Un bilan global des forces qui
s’exerce sur un tronçon de l’écoulement conduit à :
ρae = τ p
Donc : = – a(y – e)
On peut obtenir ce résultat par un autre raisonnement : on doit en effet avoir,
par raison de symétrie, du / dy = 0 pour y = e. Ceci détermine la constante
d’intégration.
Il est maintenant possible d’intégrer une deuxième fois cette équation, en uti-
lisant comme condition à la limite u = 0 pour y = 0 (à la paroi). Il en résulte un
profil de vitesse de forme parabolique :
u = – (1.63)
Si nous définissons une vitesse u* appelée vitesse de frottement telle que : τ p = ρu*2,
le profil des vitesses peut aussi s’écrire sous forme adimensionnelle :
(1.64)
En intégrant le profil de vitesse selon la section, il est possible d’obtenir le lien
entre la vitesse débitante U (égale au débit divisé par la section) et le gradient
de pression :
Le débit volumique pour un canal de largeur L est :
Q = 2 eUL =
a – 1
ρ--- p*d
xd--------
=
ν ud
yd------
ν ud
yd------ ay–
τp
ρ----+=
ν ud
yd------
a
ν--- y2
2---- ey–
u
u*
----- – u* y
ν--------- y
2e----- 1–
=
U1
e-- u y( ) yd⋅
0
e
∫ae
2
3 ν-------= =
2 ae3L
3 ν---------------
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 5 9
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3.
ÉCOULEMENT DE POISEUILLE DANS UN CONDUIT DE SECTION CIRCULAIRE
Déterminer le profil de vitesse dans l’écoulement laminaire, permanent et uni-
forme, dans un conduit de section circulaire, de diamètre d. En déduire la rela-
tion entre la vitesse débitante et le gradient de pression.
Solution
La démarche est la même que pour le cas de l’écoulement de Poiseuille entre
deux plans. Nous supposons que la vitesse circonférentielle est nulle. Alors,
l’hypothèse d’écoulement uniforme conduit à ∂v / ∂r = 0, d’où v = 0 puisque
la vitesse v est nulle à la paroi (r = d / 2).
La projection de l’équation de Navier-Stokes selon la direction de l’écoulement,
x, s’écrit :
Pour les mêmes raisons que dans le cas précédent, le gradient de pression dp* / dx
est une constante du problème. On peut donc toujours poser (a > 0) :
En intégrant une première fois la projection selon x de l’équation de Navier-
Stokes, il vient :
La constante d’intégration a été déterminée en écrivant que, par raison de symé-
trie, du / dr = 0 pour r = 0 (au centre du conduit).
u (r ) d
x
r
0
01
ρ---∂p*
∂x---------–
1
r-- ∂
r∂----- rν u∂
r∂------
+=
a – 1
ρ---∂p*
∂x---------=
ν ud
rd------ – a
r
2--=
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La deuxième intégration, avec la condition à la limite u = 0 pour r = d / 2,
conduit au profil de vitesse :
(1.65)
La forme de ce profil de vitesse est tracée figure 1.17. Elle coïncide avec la
forme du résultat (1.63).
Figure 1.17. Écoulement laminaire dans un tube ou dans un canal plan : forme du profil de
vitesse.
La vitesse débitante U s’obtient en intégrant ce profil de vitesse sur la section :
Le débit volumique est alors :
Ce résultat constitue la formule de Poiseuille (1.18).
u – a
ν--- r2
4---- d2
16-----–
=
y / dy / 2 e
u / u max
0 0,2 0,4 0,6 0,8 1,0
U4
πd2--------- u r( )
0
d 2⁄
∫ 2 πr rd⋅ ad2
32 ν---------= =
Q Uπd2
4----- πd4
128 ν------------ a= =
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 6 1
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4.
COURANTS INDUITS PAR LE VENT DANS UN BASSIN FERMÉ DE GRANDE LONGUEUR
Nous considérons l’écoulement induit par le vent dans un bassin de grande
longueur, fermé à ses deux extrémités. Soit τw la contrainte de frottement en
surface due au vent. Nous cherchons à exprimer le profil de vitesse u(z) dans la
région centrale du bassin en fonction de τw, de la hauteur d’eau h, et des pro-
priétés physiques.
Nous nous situons dans le cadre des hypothèses simplificatrices suivantes :
– la vitesse u(z) et la hauteur d’eau h sont suffisamment faibles pour que
l’écoulement soit laminaire ;
– la pente de la surface libre, dη / dx, est assez faible pour que l’on puisse
supposer que la hauteur d’eau h varie peu dans la zone étudiée ;
– la largeur du bassin (selon la direction y perpendiculaire à la direction du
vent) est constante ;
– le bassin est très long, et il est possible de supposer, dans la région centrale,
que l’écoulement est uniforme (∂u / ∂x = 0, ∂2u / ∂x2 = 0).
Solution
Soit η la cote de la surface libre, et h la hauteur d’eau. La projection selon x des
équations de Navier-Stokes s’écrit, en notant que la pression dynamique (cons-
tante dans une section, comme dans les problèmes précédents) s’exprime à
partir de la cote de la surface libre comme p* = ρgη (voir la section 2.4) :
Ventz
x
gηd
xd------– ν d2u
z2d--------+ 0=
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Une première intégration selon z conduit à :
où, comme dans les deux problèmes précédents, τ p désigne la contrainte de
frottement au fond (z = 0). Cette équation, écrite à la surface libre (z = h),
nous donne une relation entre τ p, la contrainte de surface due au vent, τ w, et la
pente de la surface libre :
La deuxième intégration selon z, avec la condition à la limite u = 0 pour z = 0
donne :
Il reste à écrire que le débit par unité de largeur :
est nul, puisque le bassin est fermé à ses deux extrémités, et que la largeur L du
bassin est constante. Ceci nous donne une relation entre la pente de la surface
libre dη / dx et τp :
Nous avons déjà écrit une relation entre τw, dη / dx et τp. Il en résulte : τw = – 2τp,
et nous avons alors finalement :
(1.66)
La vitesse est nulle à une altitude z = h, et le courant de retour en profondeur
est maximal pour z = .
ν ud
zd------ g
ηd
xd------ z
τp
ρ----+=
τw
ρ----- gh
ηd
xd------
τp
ρ----+=
u gηd
xd------ z2
2 ν------
τpz
ρν-------+=
Q
L---- u z( ) zd
0
h
∫=
ηd
xd------ –
3 τp
ρg h----------=
uτwz
2 ρν---------- 3
2-- z
h--- 1–
=
2
3--
h
3---
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 6 3
P R O B L È M E S E T A P P L I C A T I O N S
Figure 1.18. Écoulement laminaire induit par le vent dans un bassin fermé : forme du profil
de vitesse.
5.
ANALYSE DIMENSIONNELLE POUR LA FRÉQUENCE DE DÉTACHEMENT TOURBILLONNAIRE DERRIÈRE UN OBSTACLE
Un obstacle placé dans un écoulement permanent subit des efforts périodi-
ques dus au « lâché » de tourbillons alternativement de part et d’autre de son
sillage (pour en savoir plus, voir le chapitre 4). Pour connaître la fréquence f
d’excitation d’un tube de diamètre D placé dans un écoulement d’eau de
vitesse constante V, on veut réaliser une étude sur une maquette à échelle
réduite. À l’aide de l’analyse dimensionnelle, déterminer la forme de la loi
donnant f. Avec une échelle géométrique de 1/10, quelle devrait être la vitesse
de l’eau sur la maquette pour reproduire l’effet d’un courant de 5 m/s ?
z / h
u / u max– 0,5 0 0,5 1,0
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Solution
La fréquence f peut dépendre a priori des paramètres suivant : V, D, ρ, ν, g. On
note en premier lieu que, tant que le tube est entièrement immergé dans le
liquide, et loin de toute surface libre, la gravité g ne doit pas avoir d’influence
sur la fréquence f. Deuxièmement, dans la liste des paramètres, ρ est le seul
paramètre contenant l’unité kg : il ne peut donc intervenir tout seul. Nous rete-
nons donc :
f = fonction (V, D, ν).
Il y a quatre paramètres et deux unités fondamentales (m et s), donc deux nombres
adimensionnels :
= fonction
Le premier nombre s’appelle le nombre de Strouhal, et on reconnaît, pour le
deuxième, le nombre de Reynolds. Si, entre la maquette et la situation que l’on
étudie, les nombres de Reynolds sont égaux, les nombres de Strouhal seront
eux aussi égaux. Pour reproduire le phénomène en similitude, on doit donc
conserver le nombre de Reynolds :
où l’indice m se rapporte à la maquette, et l’indice r à la situation que l’on veut
simuler. Le fluide est de l’eau dans les deux cas, sensiblement à la même tempé-
rature, aussi la viscosité est la même. Pour une échelle géométrique de 1/10, et
un courant Vr = 5 m/s, on obtient une vitesse d’écoulement sur la maquette
Vm = 50 m/s. Cette vitesse est difficile à réaliser dans une veine hydraulique !
C’est pourquoi, on est souvent amené à utiliser le fait que, passé un certain seuil,
la conservation du nombre de Reynolds n’est plus indispensable.
fD
V------ VD
ν--------
VmDm
ν---------------
VrDr
ν------------=
CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 6 5
P R O B L È M E S E T A P P L I C A T I O N S
6.
ÉTUDE D’UN MODÈLE RÉDUIT POUR ÉTUDIER LES COURANTS DE MARÉE DANS LA MANCHE
On se propose de définir un modèle réduit permettant d’étudier les courants de
marée dans la Manche. Le phénomène résulte des actions combinées de l’inertie,
de la gravité et de l’accélération de Coriolis causée par la rotation de la Terre.
On suppose (ce sera établi au chapitre 5) que l’influence de l’accélération de
Coriolis dépend uniquement du paramètre : γ = 2 Ω sinλ, où λ est la latitude
(prendre λ = 45°) et Ω la vitesse angulaire de rotation de la Terre. L’emprise
horizontale de la zone étudiée est L = 1 000 km. La profondeur est de l’ordre de
h = 100 m et la vitesse des courants de marée est de l’ordre de V = 1 m/s. La
maquette représentant la zone étudiée est implantée sur la plaque tournante,
de 20 m de diamètre, du Laboratoire des écoulements géophysiques et indus-
triels à Grenoble.
(a) On admet que la conservation du nombre de Reynolds n’est pas indispen-
sable, pourvu qu’il soit assez grand pour que l’écoulement soit suffisamment
turbulent, et donc que la viscosité n’ait pas d’influence. Établir les autres règles
de similitude. Calculer l’échelle des longueurs, des vitesses et la valeur, sur le
modèle, du nombre de Reynolds construit avec la hauteur d’eau.
(b) Afin d’obtenir une valeur suffisante du nombre de Reynolds, on est amené
à distordre le modèle réduit, c’est-à-dire à choisir une échelle des hauteurs dif-
férente de l’échelle des longueurs dans le plan horizontal. Dans ces conditions,
on montre (ce que le lecteur pourra vérifier après avoir lu le chapitre 5) que le
nombre adimensionnel caractérisant la gravité doit être construit sur la
hauteur d’eau, alors que le nombre adimensionnel caractérisant l’accélération
de Coriolis doit utiliser la dimension caractéristique dans le plan horizontal.
Déterminer l’échelle des hauteurs qui permet d’avoir un nombre de Reynolds
de 3000 environ. Déterminer la vitesse de rotation de la plaque tournante qui
permet de représenter l’effet de l’accélération de Coriolis.
Solution
(a) Le problème est entièrement caractérisé par les six paramètres suivants : V,
L, h, γ, ν, g. Ces paramètres font intervenir deux unités (m et s). Les six para-
mètres peuvent donc être ramenés à quatre nombres adimensionnels :
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– le nombre de Reynolds : Re = ;
– le nombre de Froude : F = ;
– le nombre suivant, appelé nombre de Rossby : Ro = ;
– et le rapport B = .
Admettons qu’il ne soit pas nécessaire de respecter le nombre de Reynolds, à
condition que l’écoulement sur le modèle soit turbulent, comme dans la réa-
lité.
On utilise sur le modèle toute la dimension de la plaque tournante, aussi
Lm = 20 m. L’échelle des longueurs est donc égale à Lm / L, soit 1/50 000. C’est
la conservation du nombre de Froude qui détermine alors l’échelle des
vitesses : Vm / V = (Lm / L)0,5, soit 1/224. Sur le modèle, la hauteur d’eau et la
vitesse valent donc : hm = 2 mm et Vm = 4,47 mm/s, soit Rem = 8,9! L’écoule-
ment serait laminaire sur le modèle, le frottement sur le fond serait très mal
représenté.
(b) Pour augmenter le nombre de Reynolds sur le modèle, on distord le para-
mètre B = h / L. Il est évident que la représentativité du modèle en souffrira, en
particulier pour ce qui est de la représentation des écoulements de structure
tridimensionnelle. Cependant, pour les courants de marée, pratiquement
homogènes selon la verticale, cette approximation a été souvent considérée
comme admissible.
L’échelle des vitesses est égale à la racine carrée de l’échelle des hauteurs (con-
servation du nombre de Froude), il est donc facile de calculer l’échelle des hau-
teurs qui correspond à un nombre de Reynolds sur le modèle de 3 000 environ,
soit : hm / h = 1/1 036, arrondi dans la suite à 1/1000. Nous aurons : hm = 10 cm
et Vm = 3,16 cm/s.
L’échelle des longueurs est toujours 1/50 000 dans le plan horizontal. La dis-
torsion de l’échelle des hauteurs est donc de 50. La conservation du nombre de
Rossby :
Ro = Rom = Vm / (2 Ωm Lm)
conduit à une vitesse de rotation de la plaque tournante de :
Ωm = 0,78 tour par minute.
Vh
ν-------
V
g h----------
V
γ L-------
h
L---
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