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Mémoire de M2 Droit des Affaires : Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Marché Thesis of LLM in Business Law: High Frequency Trading and market Manipulation
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Mémoire
Université de Toulouse 1 Capitole
Trading à Haute Fréquence et
Manipulation de Cours
M2 Droit économie et gestion Mention Droit de l'entreprise
Spécialité : droit des affaires - Parcours Juriste d'entreprise
2013-2014
Vincent Jeannin
Enseignant Correcteur : Sophie Sabathier
1/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
AVERTISSEMENT AU LECTEUR : L’université n’entend ni approuver ni désapprouver les
opinions émises dans ce document. Elles doivent être considérées propres à leur
auteur.
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Sommaire
Introduction 4
TITRE 1 – Cadre général des marchés financiers 5
I – Les grandes étapes des bourses du IXème siècle au XVIIIème siècle 5
II – Le début du XIXème siècle 7
III – La panique de 1907 11
IV – Les bienfaits de la spéculation 12
V – Les organes de contrôle actuels 14
A – Aux USA 14
B – En France 17
C – Au Royaume-Uni 22
D – Les organes supranationaux 24
TITRE 2 – Les définitions légales des abus de marchés 26
I – Les différents abus de marchés 26
II – La Directive 2003/6/CE 32
III – Situation aux USA et au UK 34
A – USA 34
B – UK 35
TITRE 3 – Le cas spécifique du HFT et de la manipulation de cours 37
I – Définition du HFT et problématiques 37
A – Définition du HFT 37
B – Problématiques juridiques 41
II – Spécificités de la manipulation à haute fréquence 43
III – La répression : Kraay , Swift Trade et Trillium, Panther Energy 44
A – Kraay 44
B – Trillium Brokerage Services 47
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C – Swift Trade 49
D – Panther Energy Trading 50
IV – Le futur du HFT dans le cadre réglementaire 51
Conclusion 56
Annexe 57
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Introduction
Les activités de trading sur les marchés financiers se sont complexifiées et intensifiées
ces dernières années. L’avènement de l’informatique a permis de passer au stade
supérieure de la recherche quantitative puis l’avènement des outils de
télécommunication ultra-rapides ont permis à des nouvelles stratégies de trading de se
développer : le Trading Algorithmique puis le Trading à Haute Fréquence, par exemple.
La finance a alors connu de nombreux bouleversements et est devenu un domaine très
régulé au rythme des scandales et crises. Les autorités veulent lutter contre les abus
de marchés qui sont une source déstabilisation des marchés financiers et plus
généralement de l’économie.
Les abus de marchés ont évolué avec les évolutions techniques et les régulateurs se
retrouvent dorénavant face à des nouvelles méthodes. En effet, le Trading à Haute
Fréquence a apporté son lot de nouveaux abus et les régulateurs, avec un temps de
retard, se mettent à réprimer plus ou moins lourdement ces nouvelles techniques de
manipulation de marché.
Notre étude présentera le cadre actuel des marchés financiers, des régulations et des
évènements qui ont mené à l’état actuel du secteur. Nous nous pencherons ensuite
sur les abus de marchés et de leur cadre règlementaire et légal. Enfin, nous étudierons
le cas spécifique du Trading à Haute Fréquence dans le cadre de la manipulation de
cours.
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TITRE 1 – Cadre général des marchés financiers
I – Les grandes étapes des bourses du IXème siècle au XVIIIème siècle
Le commerce et les marchés existent depuis l’antiquité. Si des structures formelles
existaient à cette époque, il est difficile de les qualifier de bourse mais plus de marchés
locaux comme il en existe encore de nos jours. Aussi, les premières formes de
spéculation existent depuis la même époque et le philosophe mathématicien Thalès
est peut-être l’inventeur de la spéculation et de la manipulation de marché : suite à un
climat favorable, il aurait anticipé une bonne récolte d’olives. Il aurait alors réservé à
l’avance tous les moulins à huile d’olive de la région. Ainsi, sa prédiction se réalisant, il
put se placer comme un point de passage obligatoire pour la filière et imposer ses prix
pour la presse des olives. Il serait, en somme, l’inventeur du travail à façon et des
« tolling agreement » ! Les anecdotes sont rapportées par Aristote1 et Montaigne2.
Il est difficile de dire quand la première bourse fut créée. En effet, l’émergence du
commerce et des grandes voies maritimes a de fait crée des marchés où se réunissait
acheteurs, vendeurs et négociants pour faire des affaires. Ainsi, en extrême orient, on
trouve des traces des groupements s’apparentant à des coopératives en relation avec
le commerce du thé ou des épices dès le IXème siècle.
Une première ébauche de bourse fut peut être crée à Venise à la fin du XIIIème siècle.
Pour pouvoir entreprendre des explorations maritimes à grande échelle, il a été
développé le système des carats. Ce système était une forme d’actionnariat
évènementiel et présente de nombreuses similitudes avec le crowdfunding. En effet,
des expéditions maritimes étaient mises aux enchères et des actionnaires partageaient
le coût d’un voyage en particulier d’un navire en particulier. Au retour du navire,
chaque actionnaire avait droit à une part de la cargaison ramenée, au proata de sa
participation aux frais du voyage. L’investissement serait qualifié de hautement risqué
car on ne compte pas le nombre de navires qui ne sont jamais revenus de leur
périples… L’ouvrage « Le Système de l'Incanto des galées du marché à Venise » (1995)
de Doris Stöckly détaille le système de façon approfondie et très documentée.
Quant à la ville de Brugge, elle bénéficiait d’un positionnement tout à fait intéressant.
Port d’étape entre l’Europe du Nord et la Méditerranée, la ville s’est vite développée
sous l’impulsion des marchands. Alors, étant devenu une ville étape où les marchands
se côtoyaient, la ville est tout naturellement devenu une place ou des liens et des
affaires se nouaient entre les commerçants. Les bateaux qui remontaient avaient des
cargaisons d’épice, de laine, de coton ou de thé à vendre, mais aussi des devises
étrangères. Les bateaux en partance avaient besoin de financement et de devises
étrangères,… Sont venus se greffer des banquiers et des négociants et la ville est alors
1 Aristote - La Politique - Traduction de Jules Tricot (1962)
2 Michel Eyquem de Montaigne - Les Essais - Livre I - Chapitre XXV - Du pédantisme
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devenu le théâtre non seulement d’échanges de matières premières mais aussi un
véritable marché des changes et de financement. Ainsi, en 1309, la bourse fut ouverte.
Le port de Bruges, Zeebrugge, est encore, aujourd’hui, un port important et est utilisé
comme point de livraison d’un marché financier de gaz. Ceci dit, le déclin relatif de
Bruges est dû à sa position : l’estuaire est relativement petit et les gros navires y
accédaient difficilement, d’autant plus qu’il était sujet à de l’ensablement de façon
fréquente. C’est ainsi que les ports dénommés par l’acronyme ARA (Amsterdam,
Rotterdam, Anvers) sont devenus le complexe portuaire leader de la région.
Au XVIème siècle, en France, des bourses de commerce à caractère régionaux se sont
développées. Lyon, qui bénéficiait d’une situation géographique toute particulière, sur
le Rhône, a commencé à développer un marché financier où les effets de commerce et
les escomptent pouvaient s’échanger. Alors, le premier emprunt public est lancé à
Lyon en 1555 pour qu’Henri II puisse financer les guerres contre Philippe II d’Espagne.
L’emprunt, premier de la sorte fut souscris avec frénésie : la qualité de la signature de
la monarchie a attiré les investisseurs… Mais, ironie de l’histoire, la monarchie n’eut
pas de scrupule à faire défaut sur cette dette et à la réaménager comme bon lui
semblait. Le régime politique français de l’époque empêchait d’espérer toute
régulation mais l’on voit d’ores et déjà que les premiers problèmes sont apparus très
tôt.
Thomas Gresham, marchand anglais, a, à son retour d’Anvers, créé, sur ordre
d’Elisabeth 1ère le Royal Exchange en 1565 notamment pour émettre de la dette
nationale et répliquer le fonctionnement de la bourse d’Anvers. D’une atmosphère
très conservatrice (dans la plus pure tradition britannique), elle sera, une centaine
d’année plus tard, concurrencée par la London Stock Exchange. En effet, le Royal
Exchange se dota d’une première régulation où des licences étaient accordées aux
marchands ayant le droit d’y opérer. Les courtiers ne bénéficiant pas de licence furent
évincés et se sont retrouvés dans des cafés à proximité (dont le légendaire Jonathan’s
Coffee House) ou dans la rue (Lombard Street notamment). On assiste donc aux
prémices des régulations mais pas nécessairement pour réguler les échanges et leur
transparence mais plus pour conserver une atmosphère de club où les membres se
connaissent entre eux, dans le fidèle esprit britannique : le but principal était plus
d’écarter les Italiens et autres immigrés plus que de protéger les intérêts généraux !
La première bulle spéculative donnée en exemple est la fameuse bulle des tulipes, à
Amsterdam. Les marchés des actions, les marché à terme et les marchés optionnels s’y
sont développés à la fin du XVIIème siècle et au début du XVIIIème siècle. Du côté des
matières premières, la Hollande était un gros exportateur de hareng, de fromage, de
gin et de tulipes. Les tulipes étaient considérées comme un article de luxe et se
négociaient sur un marché de changes (échange de tulipes contre d’autres matières
notamment). Entre novembre 1636 et février 1637, le prix du bulbe de tulipe a été
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multiplié par 20 ! La bulle s’est dégonflée aussi rapidement qu’elle avait gonflé et de
nombreuses ruines en découlèrent. Ainsi, au plus haut de la bulle, les bulbes de tulipes
de meilleure qualités représentaient l’équivalent monétaire de 20m3 de blé, soit
environ 150 tonnes de blé ! En 1637, un bulbe de tulipe est alors la chose la plus chère
au monde.
L’économiste Ecossais Charles MacKay explique dans son ouvrage « Extraordinary
Popular Delusions and the Madness of Crowds » (1841) son analyse des phénomènes
de bulle économique et d’instinct grégaire des foules conduisant à la création des
bulles et leur explosion. Les théories plus modernes ne nient pas l’existence de cette
tulipe-mania mais tendent à relativiser son ampleur. Quoi qu’il en soit, les dangers de
la spéculation commençaient à se faire connaître et des voix s’élèvent à l’époque, pour
la création de régulation pouvant encadrer les phénomènes pour d’une part protéger
les opérateurs mais d’autre part, pour empêcher que des opérateurs profitent de ces
phénomènes pour s’enrichir de façon immorale ou illégitime.
La France était pionnière en matière de régulations… Mais aussi de délits ! Louis XIII et
Louis IV étaient des monarques qui dépensaient sans compter : ouvrages
d’architecture, guerres, exploration,… Parfois le bilan de leurs finances n’était pas
franchement équilibré. Ils n’ont pas hésité à dévaluer subrepticement la monnaie en
diminuant la pureté de l’or dans les pièces de monnaie. Quand le stratagème fut
découvert, la création d’un poste de contrôleur des Monnaies de France s’imposait et
c’est alors que Jean Varin fut consacré à ce poste. De nos jours, un état aurait
énormément de mal à dévaluer la monnaie au nez et à la barbe de ces citoyens !
Ainsi, très tôt, les dangers potentiels de la finance ont été mis en évidence. Les
comportements immoraux sont aussi en train de se dessiner et des lois vont, à partir
du XIXème siècle, émerger, pour que ces comportements deviennent officiellement
illégaux.
II – Le début du XIXème siècle
La France fut avant-gardiste en matière de lois. Le Code Civil de 1804 en est
l’expression première et, dans le domaine financier, la création de la Compagnie des
Agents de Change fut officiellement créée en 1802. Les agents de change étaient des
officiers ministériels habilités à intervenir sur les marchés, étaient dûment contrôlés et
ont même évolué en acquérant le statut de percepteur d’impôts (impôt de bourse
notamment). Le contrôleur général des finances de Louis XVI (Charles Alexandre de
Calonne) avait voulu tirer utiliser la spéculation au profit des emprunts royaux. Loin
d’avoir un effet bénéfique, l’arme se retourna contre lui et la maîtrise de la situation
lui échappa : les actions et les dettes devinrent volatiles à outrance. L’aide de Honoré-
Gabriel Riqueti de Mirabeau fut vain et ses pamphlets contre la spéculation ont plus
marqué la littérature qu’eu l’efficacité recherchée : il accusait la spéculation, en 1787,
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d’être « la plus abominable des industries » dans sa « Dénonciation de l'agiotage au
Roi et à l'assemblée des notables ». C’est alors que Calonne créa le monopole des
agents de change pour limiter la spéculation qu’il avait voulu utiliser mais qui s’était
retournée contre lui. Le Code Pénal de 1810 en son Article 419 cherchait déjà à
réprimer les activités illicites entravant la libre formation des prix par « la concurrence
naturelle et libre du commerce ». Il est intéressant de voir que l’Article 420 apportait
déjà des circonstances aggravantes au précédent article si les activités illicites sont
effectuées sur les marchés de « grains, grenailles, farines, substances farineuses, pain,
vin, ou toute autre boisson ». En effet, si l’on se projette dans l’avenir, les
préoccupations ne semblent pas avoir changées ! La loi sur la séparation et la
régulation des activités bancaires du 18 juillet 2013 comporte 6 mesures (mesures 27 à
323) pour « lutter contre la spéculation sur les marchés de produits dérivés sur
matières premières agricoles ». Belle avancée en deux siècles pourrait-on dire de façon
ironique !
Les historiens s'accordent à dire que le premier « délit d'initié » de l'histoire remonte
au début du XIXème siècle (plus précisément en 1815) avec le coup financier d'un
certain Nathan Mayer Rothschild. La famille Rothschild était déjà une famille aisée de
banquiers reconnus (son père, Mayer Amschel Rothschild, avait transformé une petite
affaire familiale de prêt sur gage en banque et société de gestion de fortune) mais
l'opération réalisée a définitivement assuré la fortune de la famille pour les
générations futures ainsi que sa suprématie dans les milieux financiers. Cet événement
est intéressant à plus d'un titre car, notamment, la qualification de délit d'initié serait
sujette à débat dans le contexte légal d'aujourd’hui. En effet, la répression est
particulièrement compliquée en matière boursière car elle est difficile à qualifier, à
prouver et à l’imputer à son auteur.
Les versions divergent. Deux grandes thèses s'affrontent, la thèse populaire (à laquelle
Victor Hugo fait notamment mention dans « Les Contemplations », recueil publié en
1856, dans le poème « Mélancholia ») et celle de chercheurs contemporains
(notamment Niall Ferguson d’Harvard University et Oxford University).
Le jeune Nathan Mayer Rothschild est envoyé à Londres par son père où il développa,
avec succès, une entreprise de textile. Puis, lors des guerres napoléoniennes, il joua un
rôle important grâce à l’assise financière de sa famille. Il finança les armées
britanniques et noua des liens privilégiés avec la couronne d’Angleterre. Lors de la
bataille de Waterloo, grâce à son réseau d'informateurs voire même à l'utilisation de
pigeons voyageurs, Nathan Mayer Rothschild aurait connu le résultat de la bataille de
Waterloo (18 juin 1815) un jour avant que l'information n'arrive en Angleterre : en
effet, il aurait eu connaissance de l’issue de la bataille de 20 juin au matin alors que le
3 http://www.economie.gouv.fr/files/reforme-bancaire-100-mesures.pdf - Les 100 mesures de la loi de
séparation et de régulation des activités bancaires
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rapport du Duc de Wellington n’est arrivé à Londres que le 21 juin au soir. Il serait
difficile, aujourd'hui, de qualifier ceci de délit d'initié. En effet, l'information était-elle
librement à disposition du public? Si oui, il a en fait, grâce à une avancée
technologique, exploité l'inefficience du marché au regard de la circulation de
l'information. En faisant une analogie et en se projetant XXème siècle et plus
précisément dans les années 1980, il aurait fait voyager l'information par ADSL à 8
mégabits par secondes là où tout le monde la faisait encore voyager par les lignes
téléphoniques limitées à 28 kilobits par seconde. La recherche et développement,
l'investissement, donne des avantages concurrentiels et il semblerait compliqué de
parler de délit d'initié. L’analogie est d’ailleurs intéressante dans la perspective où
nous parlerons de trading à haute fréquence où la technologie tient une place
prépondérante. Ou bien, l'information n'était pas encore publique. Ainsi, on peut très
bien imaginer qu'il aurait obtenu l'information avant la fin de la bataille : ses contacts
ont très bien pu lui faire parvenir des informations privilégiées obtenues auprès des
généraux de Napoléon 1er ou ceux du Duc de Wellington faisant état d'une situation
désespérée pour les troupes de l’Empire et d'une défaite toute proche de ces
dernières. Nous serions là bien plus en adéquation avec le qualificatif contemporain de
délit d'initié.
Et de nos jours, en France, le Code Monétaire et Financier punit sévèrement le délit
d’initié. En son Article L465-1, il dispose qu’il est punissable de « deux ans
d'emprisonnement et d'une amende de 1,500,000 euros dont le montant peut être
porté au-delà de ce chiffre, jusqu'au décuple du montant du profit éventuellement
réalisé, sans que l'amende puisse être inférieure à ce même profit, le fait, pour les
dirigeants d'une société mentionnée […] et pour les personnes disposant, à l'occasion
de l'exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d'informations privilégiées sur
les perspectives ou la situation d'un émetteur ou de ses titres admis aux négociations
sur un marché réglementé […], de réaliser, de tenter de réaliser ou de permettre de
réaliser, soit directement, soit par personne interposée, une ou plusieurs opérations
avant que le public ait connaissance de ces informations ».
Quoi qu'il en soit, après avoir reçu l'information, Nathan Mayer Rothschild aurait
propagé une fausse information: il aurait fait circuler une rumeur faisant état de la
victoire des troupes emmenées par Napoléon 1er. Ainsi, la bourse de Londres s’écroula
et il en profita pour racheter à vil prix les actions, notamment, d’entreprises
industrielles anglaises. Quand la nouvelle de la victoire des troupes alliées arriva, le
marché se reprit évidemment puis flamba faisant la fortune de Nathan Mayer
Rothschild.
Si la qualification de délit d’initié est, on l’a dit, sujet à débat, la propagation de fausse
information serait aujourd’hui clairement condamnable. En France, le Code Monétaire
et Financer, en son Article L465-2, dispose qu’est punissable « le fait, pour toute
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personne, de répandre ou de tenter de répandre dans le public par des voies et
moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses sur les perspectives ou
la situation d'un émetteur ou de ses titres admis aux négociations sur un marché
réglementé ». Il s’agit d’un délit qui est « puni de deux ans d'emprisonnement et d'une
amende de 1,500,000 euros dont le montant peut être porté au-delà de ce chiffre,
jusqu'au décuple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l'amende
puisse être inférieure à ce même profit » selon les dispositions de l’Article L465-1 du
Code Monétaire et Financer.
Niall Fergusson, quant à lui, propose une version moins empreinte de caractère
mythologique. Historien écossais spécialisé en économie et finance, il est souvent
controversé pour ses prises de positions idéologiques et son approche contrefactuelle.
Il a ceci dit publié un ouvrage largement reconnu, en deux tomes : « The House of
Rothschild » (en 1999 et 2000). Selon lui, Nathan Mayer Rothschild, qui finançait les
armées britanniques, apprend par son réseau d’informateurs l’issue de la bataille
avant l’arrivée officielle de la nouvelle. Il aurait été surpris par la victoire rapide des
troupes alliées à Waterloo et estimait que la bonne nouvelle pourrait pâtir sur les
cours de l’or et de l’argent. Or, son stock d’or et d’argent, utilisés à des fins de
financement, se serait alors fortement déprécié. Il achète alors des emprunts
publiques Britanniques en masse (une victoire britannique ferait baisser les taux
d’intérêts des emprunts publics et donc, mécaniquement, augmenter la valeur des
emprunts publics, c’est l’effet balançoire des produits de taux). Deux ans plus tard, la
valeur de ces emprunts britanniques s’étant appréciée, il aurait gagné plusieurs
millions de livres.
D’autres versions font état, outre le « délit d’initié » et la « propagation de fausse
rumeur » de « manipulation de marché » proprement dite. Après avoir reçu les
informations sur l’issue de la bataille, il aurait ostensiblement vendu des titres pour
crée une vague de panique et la rumeur circulait « Rothschild sait », « Waterloo est
perdu »… Les titres s’écroulèrent et Nathan Mayer Rothschild racheta en masse juste
avant que la bonne nouvelle n’atteigne Londres. Quoi qu’il en soit, le mythe est établi
et alimentent toutes les spéculations possibles et imaginables !
On voit donc que les comportements du passés n’avaient rien d’illégales mais
largement définies comme immorales et étant le fait d’opportunistes. Victor Hugo
manifestait son indignation et sa honte dans « Mélancholia » et pointait les inégalités
de la société du XIXème siècle en préludes évident des « Misérables » : « Ce passant /
Fit sa fortune à l'heure où tu versais ton sang; / Il jouait à la baisse, et montait à
mesure / Que notre chute était plus profonde et plus sûre; / Il fallait un vautour à nos
morts; il le fut; / [...] / Un million joyeux sortit de Waterloo; / Si bien que du désastre il
a fait sa victoire, / Et que, pour la manger, et la tordre, et la boire, / Ce Shaylock, avec
le sabre de Blucher, / A coupé sur la France une livre de chair. / Or, de vous deux, c'est
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toi qu'on hait, lui qu'on vénère; / Vieillard, tu n'es qu'un gueux, et ce millionnaire, /
C'est l'honnête homme. Allons, debout, et chapeau bas! ».
III – La panique de 1907
C’est véritablement le début du XXème siècle et la panique de 1907 qui donna le coup
d’envoi des régulations, tant par la création de lois que de structures de contrôle. A
l’origine de la panique de 1907, il y a deux stratégies : le « corner » et le « squeeze ».
Ces pratiques sont dorénavant considérées comme un abus de marché, un délit.
L’entreprise United Copper a été ciblée par les frères Heinze. Ils voulaient effectuer
une opération consistant à acheter un grand nombre d’actions de la société (la
majorité d’entre-elles) pour faire monter les cours, faire paniquer les vendeurs à
découvert et les forcer à se racheter. Or, possédant le stock principal de titres, les
frères Heinze deviendraient la contrepartie incontournable et ils pourraient imposer
leur prix et rendre leurs actions à la hausse. Les traductions de « corner » et
« squeeze » prennent alors tous leur sens imagé : l’on met les vendeurs à découvert
dans un coin, et, par un abus de position dominante et on les écrase. C’est en somme
un simple processus de raréfaction de l’offre et de manipulation de la demande.
Le principe est donc assez simple mais peut s’avérer compliqué en pratique. La
puissance capitalistique nécessaire est non-négligeable : il faut pouvoir financer les
achats d’actions. Malheureusement pour eux, les frères Heinze ont sous-estimé le
capital nécessaire pour mener à bien leur opération. Ils auraient dû acheter un nombre
bien plus important d’actions pour avoir une position majoritaire, ils n’en avaient ceci
dit pas la capacité financière. Alors, les vendeurs à découvert ont pu clôturer leurs
positions avec, certes, des moins-values parfois mais ceci dit sans aucune panique, les
frères Heinze n’étant pas la seule contrepartie à pouvoir vendre des actions United
Copper. L’arme s’est retournée contre eux. Ainsi, face à ce mouvement massif de
ventes, le prix ont commencé à descendre et les frères Heinze se sont retrouvés
porteurs d’actions dont le cours étaient en train de s’écrouler et ils paniquèrent et
durent eux-mêmes vendre leur titres dans des conditions catastrophiques. L’issue était
inexorable et ce fut leur faillite.
La faillite des frères Heinze fit des dommages collatéraux. En effet, ils furent incapables
de rembourser l’argent emprunté pour financer leur opération compte tenu de leurs
moins-values. Leur première banque, le State Savings Bank of Butte Montana, fit alors
faillite également. L’effet domino était déclenché, rien ne pourrait l’arrêter.
La panique se propagea, une crise de confiance émergea : la faillite d’une banque de
renom crée un « bank run », les épargnants voulant retirer leurs avoirs des banques.
Les actions des banques s’écroulèrent, puis par contagion le secteur financier et
finalement la globalité des marchés actions cédèrent à la panique et le 15 novembre
1907, les marchés actions avaient perdu 50% de leur valeur par rapport à leur plus
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haut de l’année précédente. On ne compte pas le nombre d’épargnants ruinés, le
nombre d’entreprises ayant fait faillite et les conséquences économiques ont été
sévères : la production industrielle s’est écroulée de 11%, les imports ont reculé de
26% et le chômage a augmenté de 3% à 8%. C’est alors durant cette période qu’a été
mise en évidence l’existence de la délinquance en col blanc, les conséquences furent si
graves que le mouvement de régulation et de législation n’avait d’autre choix que de
s’amorcer, non seulement pour protéger les petits épargnants mais aussi pour garantir
la stabilité économique. Il était inacceptable que deux hommes puissent mettre en
péril l’économie d’un pays par des opérations sur les marchés financiers.
Quelques années plus tard, la Cour Suprême des USA s’est prononcée4 : l’opération
des frères Heinze fut officiellement qualifiée de fraude, la délinquance financière était
officiellement née (ils ne furent ceci dit pas condamnés pour d’uniques raisons de
procédure). Le terme « fraude » fut le qualificatif générique que la Cour Suprême
utilisa pour regrouper toute sorte de délit financier. Ainsi, les manipulations de
marchés et délits d’initiés sont alors définis comme inacceptable et devant déboucher
sur des condamnations.
C’est alors qu’en 1934 fut publiée le Securities and Exchange Act (dans le cadre
d’ailleurs du « new deal »), créant notamment la SEC (Securities and Exchange
Commission), organe de contrôle toujours existant. C’est la première loi du genre, elle
sera la base de toutes les régulations qui vont intervenir par la suite. C’est alors au
travers d’une crise que les USA ont été avant-gardistes au sujet de la législation
régissant les marchés financiers.
Le « corner » n’était pas une pratique nouvelle mais les conséquences furent les pires.
Un « corner » eut lieu en 1838 sur le coton américain et un autre eut lieu sur l’or à
New-York en 1869 mais n’ont eu que des conséquences mineures et à petite échelle.
La France quant à elle a connu un corner sur le cuivre dont les conséquences, en 1887,
furent mineures (la faillite de l’entreprise et le suicide de son dirigeant). C’est donc
véritablement le corner de 1907 qui eut les pires conséquences et créa la nécessité
d’un encadrement stricte des pratiques financières.
IV – Les bienfaits de la spéculation
La spéculation n’est pas nécessairement mauvaise, même si dans l’opinion publique
elle a souvent une connotation négative. Celui qui s’est enrichi par la spéculation est
mal vu, toujours soupçonné d’avoir utilisé de moyens malhonnêtes pour acquérir sa
fortune. Une étude sociologique serait possible sur le sujet mais les racines
chrétiennes de la France y sont peut-être pour quelque chose car plus que la
spéculation, c’est le riche qui est blâmé. Saint-Marc nous raconte d’ailleurs : « Il est
4 U.S. Supreme Court - United States v. Heinze, 218 U.S. 532 (1910) - No. 380 - Argued November 3,
1910, Decided December 5, 1910
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plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans
le royaume de Dieu »5. La spéculation ne serait que le moyen d’une fin peu honorable.
Quoi qu’il en soit, y aurait-il une bonne et une mauvaise spéculation ? Non. Il y a d’un
côté la spéculation et de l’autre les abus de marchés : la spéculation, tant qu’elle n’a
pas recours à des méthodes illicites peut difficilement être remise en cause. Ce qui
sépare la spéculation des abus de marchés ce sont les lois et les divers règlements mais
dans aucun cas la morale. Difficile ceci dit que l’opinion publique puisse faire de réelle
différence lorsque les leaders politiques n’hésitent pas à surfer sur cette vague. Une
phrase de François Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle, est restée
célèbre : « mon véritable adversaire, il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne
présentera jamais sa candidature, il ne sera jamais élu et pourtant il gouverne. Cet
adversaire, c'est le monde de la finance »6. On peut, ceci dit, se heurter à un problème.
Que penser de la spéculation quand elle utilise des méthodes nouvelles qui, par la
suite, seront définies comme étant des abus de marchés ? Les spéculateurs cherchent
constamment de nouvelles méthodes d’arbitrage ou d’exploitation d’inefficience de
marché et il se peut qu’elles soient définies, à posteriori, comme abus de marché par
les régulateurs. C’est une des raisons pour lesquelles les textes sont larges et les
définitions des abus de marchés sont très sujettes à l’appréciation des régulateurs
mais, par conséquent, rend difficile l’apport de preuve irréfutable que certains
comportement inconnus jusqu’alors constituent des abus de marchés. Justin Fox,
directeur éditorial de l’Harvard Business Review reprenait à son compte7 un propos de
John Schwall (cadre dirigeant chez Royal Bank of Canada à l’époque) rapporté par
Micheal Lewis dans son ouvrage « flash boys » : « les marchés financiers ont toujours
été corrompus ou sur le point de l’être ». La frontière entre nouvelles méthodes de
trading et abus de marché semble mince et de toute façon difficile à définir.
Pierre Giraudeau l’Ainé définissait assez bien la spéculation en 17418, sa définition
était très avant-gardiste et est toujours très actuelle : « spéculation, c'est acheter soi-
même ou faire acheter par quelques correspondants, soit pour son propre compte,
soit en participation, certaines marchandises, dans le temps qu'elles sont au-dessous
de leur prix ordinaire, pour les revendre ensuite, soit dans le même endroit où l'achat
est fait, soit en les faisant passer en d'autres endroits ». L’Académie Française a quant
à elle pour la première fois définie la spéculation en 17989 : « il se dit aussi des projets,
des raisonnements, des calculs que l'on fait en matière de banque, de finance, de
commerce, etc. Ses spéculations lui out réussi, lui ont mal tourné ». Le Petit Larousse
de 1905 donnait aussi une définition assez neutre de la spéculation : « combinaisons,
5 La Bible - Nouveau Testament - Evangile selon Saint-Marc - Chapitre 10 - Verset 25
6 Discours de François Hollande - Le Bourget - 22 janvier 2012
7 High Frequency Trading: Threat or Menace? - Justin Fox - 3 avril 214 -
http://blogs.hbr.org/2014/04/high-frequency-trading-threat-or-menace/ 8 La banque rendue facile aux principales nations de l’Europe - Pierre Giraudeau l’Ainé - 1741
9 Dictionnaire de l’Académie Française - 5
ème Edition - 1798
14/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
opérations en matière de banque, de commerce, etc ». L’exemple donné était ceci dit
négatif, pouvant communiquer le message subliminal que la spéculation n’était pas
une bonne chose : « se ruiner en spéculations hasardeuses ».
Les acheteurs ont un biais : ils veulent acheter un actif moins cher que son cours
actuel. Les vendeurs ont aussi un biais : ils veulent vendre un actif plus cher que son
cours actuel. Pour qu’une transaction soit réalisée, il faut, et c’est une évidence, que
l’acheteur et le vendeur soient d’accord sur le prix. C’est parfois difficile compte tenu
de leur biais respectif ! C’est particulièrement vrai sur les marchés de matières
premières qui étaient à l’origine avant tout des marchés de couverture : l’agriculteur
veut vendre plus cher son blé que le meunier ne veut l’acheter. C’est là qu’intervient le
spéculateur, il apporte la liquidité au marché. En effet, les acheteurs et vendeurs, pour
réaliser leurs transactions sont souvent tributaires d’un spéculateur qui va leur
apporter de la liquidité en acceptant de prendre un risque sur les marchés financiers.
La spéculation est donc bonne pour les marchés financiers, elle fluidifie la formation
des prix.
La spéculation est partout. Un petit épargnant qui a un PEA et qui achète des actions
est un spéculateur, il anticipe une hausse des cours. Un particulier qui emprunte à taux
variable pour l’achat de sa maison est un spéculateur, il anticipe une baisse des taux
d’intérêt. Une municipalité des Hauts-de-Seine de 30,000 habitants (Châtenay-
Malabry) qui emprunte €11 millions avec une formule d’indexation du taux d’intérêt
sur la parité de l’euro avec le franc suisse est une spéculatrice, selon la formule, elle
anticipait une hausse de la parité, le contraire s’étant produit, elle s’est retrouvé avec
un taux d’intérêt de 32.51%10. Un acheteur de blé, chez un meunier, qui indexe ses prix
de vente de farine sur les cours du blé et qui achète son blé avant d’avoir conclu une
vente de farine est un spéculateur, il anticipe une hausse du prix du blé. Si la
spéculation est bonne, elle n’est pas néanmoins sans risque. Nul doute que l’opinion
publique n’aurait jamais entendu parler des emprunts toxiques mentionnés ci-avant si
les scenarii de marchés avaient été favorables aux contractants ! L’aspect péjoratif de
la spéculation pourrait alors tout simplement venir du fait que, pour simplifier, c’est un
jeu à somme nul. Les gagnants font leurs gains au détriment des perdants… Est-ce
juste et moral ? C’est une question philosophique voire théologique ! C’est en tous cas,
si les règles sont respectées, légal.
V – Les organes de contrôle actuels
A – Aux USA
Le premier organisme crée fut la SEC, dépendant du gouvernement fédéral. La SEC
comporte aujourd’hui 5 divisions aux prérogatives différentes : la surveillance des
10
http://emprunttoxique.info/change/
15/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
entreprises, la surveillance des marchés financiers, la surveillance des fonds de
pension, la cellule d’enquête et la division innovations.
C’est la cellule d’enquête qui est en charge de veiller à faire respecter les lois et
règlements. Elle a un pouvoir civil et administratif mais en aucun cas pénal. Si elle a
autorité en matière civile et administrative, des poursuites pénales ne peuvent être
entreprises que par le procureur saisi par la SEC. Ainsi, très souvent, les sanctions
administratives (suspension des licences de trading) et civiles (amendes) ne donnent
pas lieu à des poursuites pénales, les parties signant très souvent des transactions
financières et les dossiers ne sont pas transmis au procureur. Mais c’est aussi du fait
que la constitution de l’infraction pénale est souvent difficile à démontrer.
L’organisme a fortement été critiqué lors de l’affaire Bernard Madoff (condamné
pénalement le 12 mars 2009). Son incapacité à détecter la fraude la plus grande de
l’histoire des Etats-Unis a été pointée du doigt. En effet, l’ampleur ($65 milliards) et la
simplicité de stratagème (un système de Ponzi) ont nourri les spéculations les plus
vives quant à l’existence de complicité internes, de lobbying ou de conflits d’intérêts.
Elle n’a réagi que le 19 décembre 200811 que lorsque l’affaire a été révélée au grand
jour (ses enfants l’ont dénoncé le 10 décembre 2008), prenant connaissance de la
fraude en même temps que tout le monde. Bernard Madoff a été condamné au pénal
à 150 ans de prison12.
Son pouvoir est ceci dit très conséquent, les exemples récents l’ont montré. En
novembre 2012, la SEC a condamné British Petroleum13 suite à l’explosion de sa
plateforme pétrolière Deepwater Horizon (en avril 2010) dans le Golfe du Mexique où
du pétrole s’est rependu dans l’océan. Alors BP a essayé de minimiser l’ampleur du
problème pour des évidentes raisons de relations publiques et d’image de marque
mais la SEC a estimé qu’il s’agissait aussi de propagation de fausse information
pouvant tromper les marchés financiers et les actionnaires. Ainsi, la sanction financière
fut incommensurable : $525 millions. En 2010, la banque Goldman Sachs a signé une
transaction avec la SEC14 mettant fin, pour $550 millions, à l’enquête de la SEC sur les
tromperies présumées de Goldman Sachs pendant la crise des « subprimes » où elle
aurait misé contre les produits qu’elle commercialisait à ses clients. Malgré l’ampleur
11
Litigation Release No. 20834 / December 19, 2008 - SEC v. Bernard L. Madoff and Bernard L. Madoff Investment Securities LLC (S.D.N.Y. Civ. 08 CV 10791 (LLS)) - SEC Obtains Preliminary Injunction, Asset Freeze, and Other Relief Against Defendants 12
United States v. Bernard L. Madoff, 09 Cr. 213 (DC) 13
Litigation Release No. 22531 / November 15, 2012 - SEC v. BP p.l.c., Case No. 2:12-cv-02774 (E.D. La. Nov. 15, 2012) - BP to pay $525 million penalty to settle SEC charges of securities fraud during Deepwater Horizon oil spill 14
Litigation Release No. 21592 / July 15, 2010 - SEC v. Goldman, Sachs & Co. and Fabrice Tourre, Civil Action No. 10 Civ. 3229 (S.D.N.Y. filed April 16, 2010) - Goldman Sachs to pay record $550 million to settle SEC charges related to subprime mortgage CDO
16/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
de la sanction financière, elle fut considéré comme une gentille tape sur le poignet au
regard de l’ampleur des conséquences.
Le second organisme fédéral revêtant une grande importance est la Commodity
Futures Trading Commission. La commission est en charge du contrôle des opérations
des marchés dérivés (futures, options, swaps,…). Elle remplace, en 1974, la Commodity
Exchange Authority (crée en 1936). Si à l’origine, comme son nom l’indique, elle était
spécifiquement dédiée aux marchés dérivés de matières premières (« commodity »)
dont les marchés étaient destinés à être des marchés dérivés de couverture des
risques de prix, la financiarisation des autres classes d’actifs et la généralisation des
produits dérivés ont fait qu’elle englobe dorénavant tous les marchés dérivés. La CFTC
contrôle les intermédiaires (courtiers), teneurs de compte (compensateurs), les
activités sur les marchés et se charge de faire respecter les règles. Au même titre que
la SEC, les sanctions sont civiles et administratives, en aucun cas elles ne sont pénales.
A sa discrétion, la CFTC peut transmettre des dossiers aux cours fédérales pour que le
volet pénal des affaires soit éventuellement traité. Ainsi, les bourses de Chicago (le
Board of Option Exchange, le Board of Trade, le Mercantile Exchange), du Kansas (le
Board of Trade), de Minneapolis (le Grain Exchange) et de New-York (le Mercantile
Exchange) sont toutes régulées par la CFTC.
Son pouvoir est très significatif. Ainsi, en janvier 2008, le courtier MF Global ne s’est
pas rendu compte que l’un de ses employés prenait des positions massives et non
autorisées sur les marchés dérivés de blé. Les opérations malheureuses ont enregistré
une perte de $141 millions. La CFTC a alors pointé qu’il était inacceptable que de telles
opérations soient restées indétectables par le service des risques. Alors, l’amende
infligée fut de $10 millions15. L’employé, Evan Brent Dooley, fut quant à lui condamné
au pénal à 5 ans de prison et $141 millions de dommages et intérêts16. A titre de
comparaison, la France a connu un cas similaire, l’affaire Kerviel et les conséquences
pénales pour l’intéressé furent similaires en première instance : 5 ans de prison (dont 2
avec sursis) et le montant total de la perte (dans le cas d’espèce €4.9 milliards) en
dommages et intérêts17. La Société Générale, quant à elle, a reçu un blâme et une
sanction de €4 millions par la Commission Bancaire18. Il est intéressant de constater
que le montant de la sanction financière infligée à MF Global représente 7% de la
perte alors que le montant de la sanction financière infligée à la Société Générale ne
représente que 0.08% de la perte. La culture de sanction financière aux USA et la
répression drastique des crimes et délits financiers prend alors tout son sens !
Ironiquement, le courtier MF Global fit finalement faillite le 8 novembre 2011 et reste
à ce jour la 8ème plus grosse faillite de l’histoire des Etats-Unis. 15
Release: 5763-09 - CFTC Sanctions MF Global Inc. $10 Million for Significant Supervision Violations between 2003 and 2008 16
United States of America vs. Evan Brent Dooley - No 10 CR 335 - Judge Robert M. Dow, Jr 17
Jugement du 5 octobre 2010, 11ème
chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris 18
Bulletin officiel du CECEI et de la Commission Bancaire - n°5 - Juillet 2008
17/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
Enfin, la CFTC plaide pour la transparence et reste le seul régulateur de marchés
dérivés à publier des statistiques fiables sur les marchés des matières premières au
travers, notamment, du Commitment of Traders (COT). Toutes les semaines, la CFTC
publie des rapports séparant les prises des positions entre spéculateurs (fonds de
pension, banques,…) et les commerciaux (opérateurs utilisant les marchés comme
marchés de couverture où allant à la livraison physique : producteurs, industriels,
négociants,…).
Le système financier américain cherche à s’autoréguler au maximum. Ainsi, la FINRA
(Financial Industry Regulatory Authority) est une agence privée ne dépendant pas du
gouvernement fédéral contrairement aux deux précédentes. Elle est en charge de
mettre en place des règles pour les intermédiaires financiers et les opérateurs de
marchés. Elle est financée exclusivement par ses membres. Ainsi, en Mars 2014, la
FINRA comptait 4,142 membres soit 633,155 opérateurs de marchés19. En termes de
taille (nombre d’employés), cette agence est aussi grosse que la SEC et 10 fois plus
grosse que la CFTC ! Les règles sont prises très au sérieux et les sanctions
administratives, civiles et pénales sont si lourdes que le secteur financier veut
s’autoréguler et tout faire pour que certains conflits restent des conflits d’ordre privé.
Ainsi, dans les faits, la FINRA est devenu le plus gros tribunal arbitral des USA. Il y a
entre 3,000 et 8,000 demandes d’arbitrages par an20.
Outre les litiges contractuels entre sociétés, la FINRA cherche aussi à protéger les
investisseurs individuels. Ainsi, un type fréquent de litiges à attrait à la vente de
produits financiers aux personnes âgées. La FINRA a par exemple tranché le fait que
vendre un produit financier à une personne de 77 ans avec une clause de pénalités de
rachat sur 10 ans n’était pas approprié. Ainsi, le 14 mai 2010, la société Ameriprise
Financial Services a été condamnée à payer $266,000 dollar pour manquement au
devoir d’information21.
Le secteur financier aux USA est donc fortement régulé et les sanctions civiles,
administratives et pénales sont souvent très lourdes. La culture de la transaction y est
assez développée et soulève de temps en temps la critique d’une justice à deux
vitesses où l’argent peut éviter les sanctions pénales.
B – En France
Le principe de la double répression (pénale et administrative) est aussi en place. Les
arbitrages, transactions ou compromissions avec les agences d’Etat sont ceci dit
sujettes à débat et pour l’instant très encadrées. L’Article 2060 du Code Civil dispose
que « On ne peut compromettre [...] sur les contestations intéressant les collectivités
19
www.finra.org/Newsroom/Statistics/ 20
www.finra.org/ArbitrationAndMediation/FINRADisputeResolution/AdditionalResources/Statistics/ 21
FINRA Dispute Resolution 08-04425 - Guenther Roth vs. Ameriprise Financial Services and David Tysk
18/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières
qui intéressent l'ordre public. Toutefois, des catégories d'établissements publics à
caractère industriel et commercial peuvent être autorisées par décret à
compromettre ». Le Conseil d’Etat disait ceci dit en 198622 que « les personnes morales
de droit public ne peuvent pas ses soustraire aux règles qui déterminent la
compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d’un arbitre la
solution des litiges auxquels elles sont parties ». L’arbitrage est donc, dans ces
circonstances très rare, et quand il a tout de même lieu, cela ouvre la porte à la
controverse. Ainsi, le 3 septembre 2008, le député Charles de Courson a rappelé, en
commission des finances à l’Assemblée Nationale23, au sujet de du contentieux entre
le Crédit Lyonnais et Bernard Tapie qu’il était « légitime de s'interroger plus avant sur
les possibilités d'un recours à l'arbitrage pour une structure, le CDR, qui est certes
constituée sous la forme d'une société anonyme, mais dont la surveillance et la gestion
financière relèvent directement d'un établissement public administratif – l'EPFR. Or, le
recours à l'arbitrage a toujours été exclu par principe pour les personnes publiques,
ainsi que le précise très nettement, et en des termes particulièrement larges, l'Article
2060 du code civil, qui dispose qu'on ne peut compromettre sur les contestations
intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus
généralement dans toutes les matières qui intéressent l'ordre public. Le Conseil d'État
a érigé cette interdiction en principe général du droit dans son avis du 6 mars 1986. Les
seules dérogations qui ont été apportées à cette règle concernent à ce jour les
différends des personnes publiques relatifs à la liquidation de leurs dépenses de
travaux publics et de fournitures, les litiges nés autour des contrats conclus pour la
réalisation d'opérations d'intérêt national entre plusieurs personnes publiques et une
entreprise étrangère ou l'obtention par l'Etat du retour d'un bien culturel ».
La loi de sécurité financière du 1er août 200324 a créé l’Autorité des Marchés Financiers
(AMF). Jusqu’alors, il existait 3 organismes prudentiels : la Commission des Opération
des de Bourse (COB), le Conseil des Marchés Financiers (CMF) et le Conseil de
Discipline de la Gestion Financière (CDGF). Leur regroupement a permis une
simplification, des synergies et la suppression des redondances. La COB, organisme le
plus proche de l’AMF actuelle, fut créée en 1967, bien plus tard, donc, que la SEC
américaine.
L’Article L621-1 du Code Monétaire et Financier précise son statut : l’AMF, « autorité
publique indépendante dotée de la personnalité morale, veille à la protection de
l'épargne investie dans les instruments financiers et tous autres placements donnant
22
Conseil d’Etat - Avis n°339710 du 6 mars 1986 23
Rapport d'information déposé en application de l'Article 145 du Règlement par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire relatif au contentieux entre le Consortium de réalisation (CDR) et le groupe Bernard Tapie et présenté par M. Jérôme Cahuzac, Député: http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i3296.asp#P243_63939 24
Loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière
19/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
lieu à appel public à l'épargne, à l'information des investisseurs et au bon
fonctionnement des marchés d'instruments financiers. Elle apporte son concours à la
régulation de ces marchés aux échelons européen et international ».
L’AMF a un pouvoir réglementaire somme toute relativement identique à ses
homologues étrangers : elle édicte des règles régissant les entreprises faisant appel
publique à l’épargne où émettant des instruments financiers, elle édicte les règles
relatives aux offres publiques et elle régule les professions financières (en des termes
de conditions d’accès ou de déontologie notamment). Toutes ces règles sont reprises
dans son Règlement Général25. Son Livre VI, « Abus de marché : opération d’initiés et
manipulation de marché » nous intéresse tout particulièrement. Plus que de définir
clairement quels sont les abus de marchés, le cadre général fixe quelles
comportements sont jugés acceptables, ainsi, il est parfois difficile d’identifier si un
comportement doit être considéré comme un abus de marché ou non. L’Article 612-2
fixe le cadre de l’acceptabilité des comportements : ainsi, les opérations doivent être
« transparentes », ne pas enfreindre la libre interaction entre « l’offre et la demande »,
ne pas impacter la « liquidité et l’efficience du marché », respecter les « mécanismes
de négociation », ne pas impacter « l’intégrité » des marchés, se conformer aux
recommandations émises par tout « contrôle » ou « enquête » et respecter les
« caractéristiques structurelles du marché concerné ». Autant dire que le pouvoir
d’appréciation discrétionnaire de l’AMF est important et, conséquence, rend difficile
l’identification des abus de marchés, notamment les nouveaux, la créativité étant
malheureusement sans limite dans le domaine.
La manipulation de marché fait l’objet du Titre III de ce même livre et ne semble pas
rendre véritablement plus clair les techniques de manipulation de cours et se borne à
encadre le concept. Ainsi, l’Article 631-1 définit comme manipulation le fait de
« donner des indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours
d'instruments financiers » ou de fixer « le cours d'un ou plusieurs instruments
financiers à un niveau anormal ou artificiel ». Aussi, est considéré comme de la
manipulation le fait d’avoir recours à des « procédés donnant une image fictive de
l'état du marché » en usant de « tromperie ou d'artifice » tels que la création de
« conditions de transaction inéquitables » par la création d’une « position dominante
sur le marché » ou « d’entraver l’établissement » des prix.
Les définitions sont donc plutôt larges ce qui, peut-on penser, pourrait donner un
avantage à l’AMF pour lui permettre de définir comme manipulation ou abus une large
gamme de comportement. Cependant, le corolaire est que le manque de précision
ouvre la voie à autant de contestations.
25
Règlement Général de l’AMF en vigueur : http://www.amf-france.org/Reglementation/Reglement-general-et-instructions/Reglement-general-en-vigueur/
20/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
Ainsi, une méthode de manipulation connue sous le nom de « spoofing » semble
clairement prohibée selon les dispositions du Règlement Général de l’AMF. Nous y
reviendrons en détail mais cette stratégie a comme fondement l’utilisation d’ordres, à
grande échelle, destinées à être annulés, en vue de polluer le carnet d’ordre et
d’influencer les autres opérateurs. L’annulation d’ordre étant tout à fait autorisée, l’on
va se heurter à au moins deux difficultés majeures : comment prouver l’intention
qu’un ordre n’avait jamais vocation à être exécuté ? Comment déterminer le nombre
d’ordres à partir duquel il s’agirait d’un procédé « donnant une image fictive de l'état
du marché » ? On commence donc à cerner les difficultés que les régulateurs des
différents pays auront à parfaitement encadrer le trading à haute fréquence. La
répression s’annonce donc particulièrement compliquée et de nombreuses pistes de
luttes contre la manipulation de marché passent par l’instauration de mesures
préventives (pénalités financières par exemple) mais ouvrirait la voix à la création d’un
marché à deux vitesses : ceux qui peuvent payer, et ce qui ne peuvent pas…
Sur les volets administratifs et disciplinaires, l’AMF est dotée d’un pouvoir de sanction.
Le Président de l’AMF saisira, sur le volet pénal, la juridiction adéquate si nécessaire.
L’AMF a sanctionné, le 20 décembre 2007, Antoine Nodet à une sanction pécuniaire26
de €250,000. Il me plait de citer cet exemple non seulement parce que dans le cadre
du « spoofing » et du « wash trade » (méthodes largement utilisées en trading à haute
fréquence) elle est particulièrement intéressante, mais aussi d’un point de vue
personnel car Antoine Nodet, ancien administrateur de la Société Française des
Analystes Financiers (SFAF) a été mon professeur à l’Ecole Libre de Sciences
Commerciales Appliquées (ESLSCA)27. En l’espèce, en 3 mois, la liquidité (représentée
ici par les nombre de transactions réalisées) d’une action cotée sur l’Eurolist
Compartiment C d’Euronext (actions, non cotées en continue, de PME dont la
capitalisation boursière est inférieure à €150 millions, autrement dit les plus petites
sociétés cotées en bourse et les moins liquides) a été multipliée par plus de 12 et le
cours a été multiplié par 9… Il n’en fallait pas plus pour éveiller les soupçons de l’AMF.
L’AMF, après enquête, a reproché à Antoine Nodet d’avoir réalisé de « façon
récurrente des opérations en face à face » et d’avoir procédé à « des annulations
d’ordres récurrentes ». Ainsi, les profits indûment réalisés ont été évalués à €80,000,
alors, la sanction représente plus de 3 fois les profits réalisés. Il sera intéressant de voir
le ratio des sanctions lorsqu’un cas de profit énorme se présentera au travers de
manipulation de marché identique effectuée par une société de trading à haute
fréquence.
26
AMF - Décision de la Commission des Sanctions à l’égard de M. Antoine Nodet - 1ère
section de la commission des sanctions de l’AMF - 20 décembre 2007 27
http://www.eslsca.fr/contacts-3e-cycle-specialise-analyse-finaciere.html
21/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
Le zèle de l’AMF est parfois bien moindre et l’affaire EADS a défrayé la chronique. Au
deuxième trimestre 2006, Airbus a de sérieux problèmes. Les dirigeants et gros
actionnaires discutent de la dégradation inéluctable de rentabilité d’Airbus, des
problèmes industriels que subit l’A380 et de la révision du programme de livraison de
l’A350. Ces informations ne sont alors pas publiques et l’AMF va alors enquêter sur des
ventes de titres EADS suspects des gros actionnaires (notamment Daimler et
Lagardère) et de membres du comité exécutif. Ont-ils agi sur la base de ces
informations ? Etait-ce de l’information privilégiée ? Le calendrier est troublant. Le
rapport de l’AMF28 note : « le 4 avril 2006, après la clôture du marché, les groupes
Lagardère et Daimler ont annoncé leur décision de céder, chacun et de concert, 7,5 %
du capital d’EADS. […] Au cours du mois de mars 2006, le service de la surveillance des
marchés de l’Autorité des marchés financiers a identifié de nombreuses cessions
d’actions EADS, consécutives à la levée d’options par certains des dirigeants d’EADS.
[…] Le 13 juin 2006, après la clôture, Airbus a annoncé un décalage du calendrier de
livraison de l’A380, en raison de difficultés industrielles de gestion de montée en
cadence de la production. EADS a publié le même jour un avertissement sur
résultats ». L’AMF a ceci dit conclu, entre autre, que les informations dont
bénéficiaient les personnes visées ne constituaient pas une « information privilégiée
au sens des dispositions […] de l’Article 621-1 du règlement général de l’AMF ». Ainsi,
l’AMF décida de « mettre hors de cause » la totalité des protagonistes. Les plus
mauvaises langues, dans la presse, ont largement cité cette morale « Selon que vous
serez puissant ou misérable, / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »29.
Ainsi, Colette Neuville, présidente de l’Association de Défense des Actionnaires
Minoritaires (ADAM), disait30 : « circulez, il n'y a rien à voir, c'est ce qu'on nous dit.
C'est un véritable scandale, cela va au-delà de tout ce que l'on pouvait imaginer ». De
leur côté, il est vrai que même les proches du dossier ont été surpris. Ainsi, la même
dépêche rapporte les propos d’une source anonyme : « on ne s'attendait pas du tout à
cela »…
Enfin, si les compromissions et les transactions, on l’a vu, sont très encadrées, il existe
une méthode de transaction homologuée qui s’appelle un accord de composition
administrative. En effet, la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire
et financière a modernisé les procédures des sanctions de l’AMF. L’Article 7 de la loi
crée le concept de « composition administrative » pour des procédures relatives à des
manquements commis par des intermédiaires financiers vis à vis de leurs obligations
professionnelles. Autrement dit, il est impossible de recourir à cette voie en ce qui
28
AMF - Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers réunie en séance plénière - Décision de la commission des sanctions à l’égard de MM. Olivier Andries, François Auque, Fabrice Bregier, Charles Champion, Henri Courpron, Ralph Crosby Jr, Thomas Enders, Alain Flourens, Noël Forgeard, Jean-Paul Gut, Gustav Humbert, Jussi Itävuori, John Leahy, Erik Pillet, Andreas Sperl, Thomas Williams, Stefan Zoller et des sociétés EADS NV, Lagardère SCA, et Daimler AG - 27 novembre 2009 29
Jean de la Fontaine - Les Animaux malades de la Peste - Fables de la Fontaine - Livre VII - Fable 1 30
Reuters - 18/12/2009
22/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
concerne les abus de marchés. Cela permet ainsi d’éviter que la commission des
sanctions de l’AMF ne soit saisie dans des cas mineurs et très spécifiques et les
sanctions sont la plupart du temps d’un faible montant (le bénéficiaire étant le Trésor
Public) et la société à laquelle les griefs ont été exposés s’engage à prendre des
mesures correctives. Ainsi, 12 accord de composition administratives ont été signées
depuis que la possibilité est offerte et, par exemple, le 14 mars 2012 avec la société
Alis Capital Management31. La thématique nous intéresse particulièrement puisque
elle implique un FCIMT (Fonds Commun d’Intervention sur mes Marchés à Terme, les
Hedge Funds à la française) dont une partie est gérée de façon quantitative et
systématique (on parle de trading algorithmique, cela nous intéresse dans le cadre du
trading haute fréquence). Le « défaut de permanence de moyens humains » ayant
conduit à « une absence partielle ou totale de gestion effective » ayant engendré des
pertes. Il est aussi reproché à la société de ne pas avoir communiqué sur cette
situation auprès des porteurs. L’accord comprend une sanction de €20,000 et
l’engagement par la société de documenter ses modèles quantitatifs pour, qu’en cas
d’absence du gérant, son remplaçant puisse gérer les positions de façon effectives. Il
s’agit donc de manquements mineurs mais soulève ceci dit un point important : les
modèles doivent être documentés et, on le verra par la suite, les trading haut
fréquence surfe sur la vague de l’opacité en premier lieu pour ne pas ébruiter les
secrets de leurs modèles mais aussi pour, malheureusement, essayer d’éviter les
contrôles et sanctions.
C – Au Royaume-Uni
Si la France c’est dotée relativement tard d’un organisme de contrôle, c’est encore plus
tard qu’est apparu un tel organe : en 1985, sous le nom de The Securities and
Investments Board. Son inefficacité a été pointée du doigt dans la faillite de la banque
Barings (banque menée à la faillite en 1995 par un seul et unique trader, Nick Leeson)
et l’organisation s’est restructurée, a augmenté ses pouvoirs et est devenu, en 1997, la
FSA, Financial Services Authority. Elle régulait alors les banques, les assurances, les
sociétés d’investissements, les conseillers en investissement financiers, les organismes
de crédit spécialisé,… La crise des subrpimes, la faillite de Lehman Brothers et la crise
économique ont déstabilisé les banques du Royaume-Uni, Si bien, qu’à deux reprises,
en 2008 et 2009, l’Etat a du renflouer les banques (la première fois pour £500
milliards, la seconde pour £50 milliards). Le symbole du vacillement du système
bancaire britannique fut représenté par The Royal Bank of Scotland (RBS), qui fut
pendant un (très court) laps de temps la plus grande banque mondiale avant de se
trouver au bord de la faillite et d’être, dans les faits, nationalisé en quasi-totalité
31
AMF - Accord de Composition Administrative conclu le 14 mars 2012 avec la Société Alis Capital Management
23/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
puisque l’Etat, au fur et à mesure des plans de recapitalisation, se retrouve actionnaire
à hauteur de 84%32.
Attisé par des protestations de l’opinion publique, des émeutes en marge du G20 de
Londres en 2009, la prise de pouvoir des conservateurs en 2010, l’Etat s’est lancé dans
des reformes financières structurelles se traduisant par le Financial Services Act en
2012.
La Financial Services Authority fut alors séparée en trois, le Financial Policy Comitee, la
Prudential Regulation Authority et la Financial Conduct Authority33. Le premier est un
comité dépendant de la Bank of England et est chargé d’identifier les risques macro-
économiques et les risques menaçant la stabilité du système financier. Il a un pouvoir
consultatif et fournit des recommandations aux deux autres autorités. La Prudential
Regulation Authority, dépendant également de la Bank of England, se charge d’établir
les règles prudentielles des banques, établissements de crédit, assurances et société
d’investissement. Elle veille notamment au respect des ratios de liquidité établis par le
Comité de Bâle. Ces deux établissements nous intéressent moins dans le cadre de
notre étude. C’est en effet la Financial Conduct Authority qui a récupéré les principales
prérogatives en matière de marchés financiers.
La Financial Conduct Authority contrôle toute les entreprises financière, elle s’assure
que les lois et les règles sont respectées et que les comportements des opérateurs
n’entravent pas le bon fonctionnement des marchés ou leur intégrité. Aussi, l’autorité
veille à ce que les clients soient traités avec équité en toute transparence et que les
informations de marché nécessaires leurs soient bien transmises.
La FCA vient d’aboutir à la conclusion d’une enquête ayant défrayé les chroniques
financières outre-manche et a abouti à la condamnation de Barclays à £26 millions
d’amende34. Un trader de la banque avait découvert une faille dans le mécanisme de
fixation des cours de l’or. Ainsi, en manipulant le fixing de l’or, la banque a évité de
payer des livraisons d’options digitales (le trader, Daniel James Plunkett, manipulait le
fixing pour que le cours de compensation de l’or finisse au-dessus ou au-dessous de la
barrière qui l’intéressait pour ses options). Le trader a été banni de la profession.
Ce genre des manipulations semble malheureusement courant quand des fixings de
taux sont concernés et ce cas fait écho au précédents cas où Barclays était déjà
impliqué : le scandale des fixings du LIBOR et de l’EURIBOR. Les banques RBS, Barclays,
HSBC, Deutsche Bank, JP Morgan et Citibank se seraient livrées à des ententes pour
32
RBS axes 3,700 jobs as taxpayer stake hits 84% - The Guardian - Jill Treanor - http://www.theguardian.com/business/2009/nov/02/rbs-slash-costs-cuts-jobs 33
HM Treasury - Press release - Financial Services Bill receives Royal Assent - 19 décembre 2012 - https://www.gov.uk/government/news/financial-services-bill-receives-royal-assent 34
FCA - Barclays fined £26m for failings surrounding the London Gold Fixing and former Barclays trader banned and fined for inappropriate conduct - 23/05/2014
24/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
manipuler le fixing des taux LIBOR et EURIBOR… Depuis 199135 ! Barclays s’est vu
infliger une amende de $200 millions36 par la CFTC, $160 millions par la justice
américaine37. L’UBS, quant à elle a récolté un total de $1.5 milliard de pénalités
financières38. Le courtier ICAP s’en sort mieux puisqu’il n’a récolté qu’un total de $87
millions de pénalités39. Enfin, la Commission Européenne40, au travers de son autorité
de la concurrence a notamment condamné RBS, Deutsche Bank et JP Morgan à un
total, à eux trois, de €599 millions. Citigroup a reçu une immunité partielle (se faisant
tout de même condamner à €70 millions) et UBS une immunité totale ayant été les
premiers à dénoncer les infractions. Les manipulations de ce type sont alors prises très
au sérieux.
D – Les organes supranationaux
Deux organes supranationaux méritent d’être cités : l’International Organization of
Securities Commission (IOSCO) et l’European Securities and Market Authority (ESMA).
La première organisation a exposition mondiale, la seconde a une exposition
européenne.
L’IOSCO compte plus de 100 membres et couvre ainsi plus de 90% des marchés
financiers. Son but est d’émettre des recommandations et des principes communs, un
code de conduite commun, de réfléchir en commun à des améliorations et
harmonisation des règles et de leurs applications.
L’ESMA a quant à elle l’objectif de créer, à terme, un organe de contrôle européen
unique qui aurait un réel pouvoir de contrôle et de sanction. En somme, l’objectif
serait d’harmoniser réellement les règles à l’échelle européenne en vue de garantir la
stabilité des marchés financiers et la protection des investisseurs. Nous en sommes
encore loin et l’institution se cantonne à émettre des recommandations pour les pays
membre et de produire des rapports.
Ainsi, ces deux institutions sont pour le moment plus consultatives et spéculatives que
réellement opérative. Elles sont ceci dit très utiles en ce qui concerne le partage
d’information et les retours d’expérience. On imagine mal l’IOSCO sortir de ce modèle
compte tenu du nombre de ses membres mais l’ESMA a clairement plus d’espoir
35
Financial Times – 27 juillet 2012 - My thwarted attempt to tell of Libor shenanigans - Douglas Keenan 36
CFTC Press Release PR6289-12 - CFTC Orders Barclays to pay $200 Million Penalty for Attempted Manipulation of and False Reporting concerning LIBOR and Euribor Benchmark Interest Rates - 27 juin 2012 37
Department of Justice - 27 juin 2012 - Barclays Bank PLC Admits Misconduct Related to Submissions for the London Interbank Offered Rate and the Euro Interbank Offered Rate and Agrees to Pay $160 Million Penalty 38
BBC News - UBS fined $1.5bn for Libor rigging - 19 décembre 2012 39
NY Times Dealbook - U.S. and British Officials Fine ICAP in Libor Case - 25 septembre 2013 40
Commission Européenne - IP/13/1208 - Antitrust: Commission fines banks € 1.71 billion for participating in cartels in the interest rate derivatives industry - 4 décembre 2013
25/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
d’évolution si le modèle actuel de la construction européenne perdure, ce qui semble
le cas puisque l’Union Européenne, on le verra, semble vouloir compléter par un volet
pénal la directive de référence des abus de marchés.
26/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
TITRE 2 – Les définitions légales des abus de marchés
I – Les différents abus de marchés
Le but est ici de présenter succinctement les différents types d’abus de marché dans
des termes vulgarisés. En effet, les abus de marchés, au niveau juridique ou
réglementaire, on le verra, sont décrits de façon assez large en vue de ne pas être trop
spécifique pour permettre d’inclure, à posteriori, des stratégies inconnues mais
considérées finalement comme des abus. Etre trop précis ouvrirait la voie à des
argumentations consistant à dire que si l’abus n’est pas décrit comme tel, ce n’en n’est
pas un. Le corollaire est que le manque de précision ouvre la porte, aussi, à de
nombreux débats sur ce qui est considérée, au point de vue légal, comme un abus de
marché ou non. Aussi, cela nous permettra de façon plus aisée de voir quelles
stratégies sont spécifiquement amenées à être utilisées par le trading à haute
fréquence.
Le délit d’initié est l’abus de marché que le grand public connaît le plus tant il est mis
en scène dans de nombreux films (« Wall Street » notamment). Il s’agit du fait d’utiliser
de l’information non publique pour opérer sur un titre. Le statut d’initié est, en
quelque sorte, transmissible. Si l’initié est d’abord celui qui, par sa position, par
exemple, dans une entreprise a accès à de l’information (notamment financière) non
publique, il transmettra ce statut à toute personne, même extérieure, à qui il
communiquerait cette information que ça soit de façon justifiée ou non d’ailleurs (la
communication de l’information peut être tout à fait justifiée, à un consultant par
exemple, ou non, par exemple à un membre de la famille ou à un ami pour que celui-ci
puisse bénéficier de l’information). Il va sans dire que celui qui obtient de l’information
privilégiée de manière illégale (vol, espionnage,…) sera bien évidemment considéré
comme initié s’il l’utilisait. La façon dont est obtenue l’information est primordiale
mais aussi difficile à appréhender. En effet, si un riverain d’une centrale EDF était
témoin de son explosion et décidait de vendre l’action en bourse, l’information ne
serait pas considérée comme privilégiée, elle est à disposition de tout un chacun. Par
contre, si un serveur de restaurant surprenait une conversation entre deux PDG au
restaurant, le cas est plus compliqué. Cela dépendrait du type d’information : les
discussions sur les profits sont moins sensibles que les discussions sur les fusions, par
exemple. Le cas est spécifiquement prévu aux Etats-Unis dans le « Code of Federal
Regulations »41. En effet si « quiconque » dispose de manière « directe ou indirecte »
de l’information « qu’il sait privilégiée ou à raison de croire qu’elle l’est », il pourra être
considéré comme initié. En comparaison, l’Article L465-1 du Code Monétaire et
Financier réprime l’utilisation de l’information privilégiée par des personnes
extérieures si elles le font en « connaissance de cause ». C’est en 1995 que ce concept
41
CFR Title 17 Chapter II - Part 240 - Section 240.14-e3 - Paragaph (d) (2) (iv)
27/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
est apparu en France. En effet, jusqu’alors, l’ordonnance du 28 septembre 196742
réprimait en son Article 10-1 le délit d’initié sans l’élargir aux personnes extérieures
n’ayant pas de lien, à priori, professionnel. La Cour de Cassation a inauguré le principe
le 26 octobre 199543. La Cour écrit dans son arrêt : « si le recel ne peut résulter de la
simple détention d'informations privilégiées, il est caractérisé à l'égard de celui qui,
réalisant, en connaissance de cause, des opérations sur le marché avant que ces
informations soient connues du public, bénéficie du produit du délit d'initié ainsi
consommé ». Cela ouvrit ainsi la porte à la rédaction actuelle de l’Article L465-1 du
Code Monétaire et Financier (l’ordonnance du 28 septembre 1967 fut modifiée par la
loi 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières puis par la loi
2003-706 du 1 août 2003 de sécurité financière pour formaliser les dispositions
actuelles du Code Monétaire et Financier).
Ainsi, l’une des clefs des défenses est de démontrer que la personne suspectée de délit
d’initié n’avait pas connaissance du caractère privilégié de l’information. Pour des
personnes extérieures, la tâche est plus simple que pour des personnes internes (par
exemple des dirigeants) et dans ce cas, l’avocat devra démontrer, et c’est difficile, que,
par exemple, la connaissance approfondie des marchés financiers lui permet de faire
des opérations sans détenir des informations privilégies et en faisant même
abstraction des informations privilégiées dont il aurait connaissance.
Le « front-running » est un abus de marché utilisé par les courtiers. Il pourrait presque
être assimilé à du délit d’initié, mais dans ce cas-là, la seule information formelle dont
dispose le courtier est l’ordre du client. Il ne dispose pas d’information privilégiée en
tant que telle. Si un courtier reçoit un ordre d’un client, il lui est interdit de passer un
ordre sur la même valeur avant son client. Autrement dit, il tirerait bénéfice de la
connaissance de ses ordres clients pour exécuter, avant ses clients, des ordres pour
son compte propre. Ceci dit, cet abus devient de plus en plus rare. La majorité des
sociétés de courtage introduisent des règles interdisant à leurs employés d’opérer
pour leur compte propre sur les marchés sur lesquelles ils interviennent pour limiter
les conflits d’intérêts et délits d’initiés évitant aussi, de fait, toute possibilité de « front
running ». Le « front running » a surtout lieu dans les marchés qui se traitent encore à
la criée (c’est la raison pour laquelle il devient donc rare en France du fait de l’absence
de criée). En effet, sur un marché à la criée, le statut des courtiers est différent et
ambigu. Pour apporter de la liquidité au marché, ils sont autorisés à passer des
opérations pour compte propre et pas seulement n’exécuter que des ordres pour le
compte de clients. La porte est alors grande ouverte au « front running ». Il faut noter
que l’inverse « le back-running » ou le « tailgaiting » (les termes n’existent pas à
42
Ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 instituant une commission des opérations de bourse et relative à l'information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité de certaines opérations de bourse 43
Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 octobre 1995, 94-83780 - Affaire dite Pechiney-Triangle
28/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
proprement parler) est absolument licite : le courtier peut passer le même ordre après
son client. Etant donné qu’il a exécuté l’ordre de son client, tout le marché a
l’information et il peut très bien agir par mimétisme (comme tous les autres courtiers
en présence), son client ayant eu la priorité.
On pourrait penser qu’il suffît d’ouvrir un compte à son conjoint pour détourner de
façon aisé les règles internes prohibant les négociations pour compte propre en vue de
pouvoir opérer, notamment, à du « front-running » en toute discrétion. Déjà fait, déjà
pris… Un cas somme toute relativement classique ! Ainsi, récemment, une plainte
pénale a été déposée par la SEC le 23 mai 201344 contre un courtier, Daniel Bergin, qui
aurait utilisé le compte de sa femme, Jacqueline Zaun, pour opérer à du « front-
running » et sécuriser $1.7 million de plus-values illicites. L’instruction est toujours en
cours et le cas semble tellement évident et individuel que, cette fois, la SEC n’a pas
proposé de transaction.
Le « wash trade » et le « spoofing » sont deux stratégies servant la même cause : créer
de l’activité trompeuse sur un titre. Le « wash trade » est le fait d’acheter et vendre au
même prix pour créer un volume artificiel, pour créer une activité sur un titre qui n’en
n’a pas pour éveiller les intérêts. Le « spoofing » est le fait de mettre en carnet des
ordres destinés à être annulés en vue de déclencher, également, des intérêts. On a
présenté auparavant le cas d’Antoine Nodet. Les supercheries sont relativement faciles
à détecter sur les titres peu liquides (où un nombre limité d’ordres permet de
manipuler le marché) que sur des titres liquides où les ordres seront noyés dans la
masse. Sur les titres liquides, on comprend mieux que l’infrastructure financière et
technique nécessaire pour mener à bien ce genre de stratégie soit imposante et plus
difficile à détecter. C’est malheureusement une constante, il est plus facile de détecter
les petits fraudeurs que les gros fraudeurs. Sur les titres liquides, il est relativement
aisé d’opérer à des « wash trade », il suffit d’avoir deux comptes différents, l’achat est
fait d’un compte, la vente d’un autre. Mais cela ne signifie pas pour autant que le
procédé est facile à mettre en place et même les plus gros se font attraper : la banque
JP Morgan en est l’exemple et en a fait les frais sur les marchés dérivés de pétrole et
d’essence. L’objectif n’était pas de créer une activité trompeuse mais de fausser le
calcul des ratios d’emprise autorisés par les entreprises de marché, c’est donc plus une
entrave au règlement de l’entreprise de marché (en l’occurrence le NYMEX, New-York
Mercantile Exchange) plus qu’une entrave à la loi, ce qui explique que la CFTC n’a pas
pénalisé JP Morgan mais c’est en effet le NYMEX qui a donné une amende de $30,000
dollars pour avoir, par 10 fois (seulement) en 6 mois, faussé les calculs d’emprise des
contrats à terme45. C’est évidemment le genre de stratégie qui nous intéresse au plus
haut point pour le trading à haute fréquence. En effet, « wash trade » et « spoofing »
44
SEC vs. Bergin & Zaun - US Distric Court - Northern District of Texas - Dallas Division - Case 3:13-cv-01940-M 45
NYMEX - Notice of Disciplinary Action - NYMEX-11-08428-BC - 1er
juin 2012
29/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
sont réalisés à grande échelle. Ceci dit, le « wash trade » est employé avec parcimonie
puisqu’il est plus facile de démontrer qu’un « wash trade » a été exécuté que de
démontrer qu’un ordre a été placé sans que l’intention de son exécution soit réelle
(c’est à dire du « spoofing »). Le trading haute fréquence est en effet le royaume du
« spoofing ». On verra mêmes plus loin que le « spoofing » est poussé à son paroxysme
par une méthode dite « quote stuffing » (gavage d’ordre).
Le « corner » ou « squeeze » pourrait être défini comme un abus de position
dominante. On l’a vu, c’est ce qui a déclenché la crise de 1907 aux Etats-Unis. L’AMF
consacre une partie de son règlement à ce sujet46. Il est fait référence à l’Article L233-7
du Code de Commerce qui rend obligatoire la déclaration des franchissement des
seuils de participation de 5%, 10%, 15% , 20%, 25%, 30%, 331/3%, 50%, 662/3%, 90% et
95%. Globalement, ces seuils ne prenaient en compte que les actions et depuis l’affaire
Porsche-Volkswagen cela a évolué dans globalement toutes les législations et
règlements en Europe. En effet, Porsche possédait, tout à fait régulièrement, 35.14%
des actions Volkswagen en septembre 2008 et ne cachait pas ses intentions
d’absorber, sur le long terme, la totalité de Volkswagen. La crise financière battant son
plein, le secteur automobile fut frappé de plein fouet, les fonds de pensions et hedge-
funds se sont mis à vendre les actions du secteur. Le 26 octobre 2008, Porsche fit
trembler les marchés en annonçant avoir augmenté sa participation dans Volkswagen
à 42.6% et détenir des options exerçables sur 31.5% du capital, portant
potentiellement sa participation totale à 74.1%. Ce fut suffisants pour créer un
« corner » et les fonds qui avaient vendus l’action à découvert étaient en position
désespérée et durent se racheter en panique. Ainsi, alors que l’action Volkswagen
avait clôturé à €210.85 le vendredi 24 octobre, elle ouvrit à €350 le lundi (soit +66%),
termina à €520 (+147%) et est venu culminer à €950 le mardi devenant ainsi la plus
grosse capitalisation boursière du monde ! Porsche clamait avoir agi dans la légalité
puisque les régulations n’imposaient pas, il est vrai, à l’époque, d’inclure les calculs la
part du capital détenue au travers de produits dérivés, en l’occurrence d’options
d’achats. Les hedge-funds victime du « squeeze » ne l’entendaient pas de la même
façon et ont exploré toutes les voies légales et 23 d’entre eux réclamaient €1.4 milliard
de compensation pour les pertes subies. La Cour Régionale de Stuttgart s’est
finalement prononcée en dernier ressort, récemment, le 17 mars 201447 48. Il se sont
vus déboutés de leur demande. En l’état actuel des règlementations, Porsche n’avaient
pas obligation de déclarer le capital potentiellement détenu par l’exercice de ses
options. Les règlementations ont bien évidemment évoluées à après ce gigantesque
« corner » légal et l’Article L233-7 du Code de Commerce dispose alors dorénavant que
46
Règlement Général de l’AMF : Livre II (Émetteurs et information financière) - Titre II (Information périodique et permanente) - Chapitre II (Information périodique) - Section 2 (Franchissements de seuils, déclarations d'intention et changements d'intention) 47
Rechtsprechung - LG Stuttgart - 17.03.2014 - 28 O 183/13 48
Bloomberg - Porsche Scores Victory in Hedge Fund Suits Over VW Bid - 17 mars 2014
30/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
doivent être inclus dans les déclarations de seuil « les actions déjà émises que cette
personne peut acquérir en vertu d'un accord ou d'un instrument financier mentionné à
l'Article L211-1 du Code Monétaire et Financier ». L’Article L211-1 du Code Monétaire
et Financier inclus alors les « instruments financiers à terme » dont les options
d’achats font partie. L’intention est excellente mais techniquement cela peut s’avérer
parfois compliqué. En effet, les prix d’exercice des options peuvent être tels que les
options sont exerçable un jour et non exerçable le lendemain.
La dernière manipulation de marché courante est la manipulation du cours de clôture.
Du même type que les manipulations du LIBOR et de l’EURIBOR dont nous avons parlé
précédemment, un intermédiaire peut avoir intérêt (pour lui-même directement ou
contre les intérêts de l’un de ses clients) à faire clôturer un titre au-dessous ou au-
dessus d’un certain niveau. Il lui est alors interdit d’exercer volontairement une
pression acheteuse ou vendeuse à la clôture pour influencer le cours de clôture. Ainsi,
La Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a confirmé, le 7 avril 200949, un arrêt
de la Cour d’Appel de Paris du 29 janvier 2008 qui avait confirmé la sanction pécuniaire
de €500,000 infligée par la Commissions des Sanctions de l’AMF à la société Foch
Investissements50. En effet, la société Foch Investissements avait manipulé le cours de
clôture de l’action Eurotunnel les 26 août et 24 septembre 2002. Ces dates
correspondait au jour de liquidation du Service de Règlement Différé (SRD, successeur
du Règlement Mensuel – RM). Ainsi, en manipulant à la hausse le cours de l’action, la
société Foch Investissement a pu diminuer les appels de fonds nécessaires pour
maintenir sa position. Les cours étant inscrits dans une tendance baissière, la société
n’avait pas, à priori, la capacité d’honorer la totalité des appels de marge requis pour
continuer à porter sa position sur le mois suivant.
Le dernier abus de marché dont il faut parler, n’est pas une manipulation de marché à
proprement parler car elle est indirecte. Il s’agit de propager de la fausse information.
Qu’elle ait ou non une influence sur les cours n’a pas d’importance, qu’il en ait été tiré
profit ou non n’influe pas sur le caractère illicite de l’abus. L’Article 632-1 du
Règlement Général de l’AMF (qui reprend les dispositions de l’Article L465-2du Code
Monétaire et Financier) ne fait en effet pas de différence compte tenu des
conséquences : « toute personne doit s’abstenir de communiquer, ou de diffuser
sciemment, des informations, quel que soit le support utilisé, qui donnent ou sont
susceptibles de donner des indications inexactes, imprécises ou trompeuses sur des
instruments financiers, y compris en répandant des rumeurs ou en diffusant des
informations inexactes ou trompeuses, alors que cette personne savait ou aurait dû
savoir que les informations étaient inexactes ou trompeuses ». Ainsi, l’AMF a
condamné, cas extrême alors que l’information n’avait pas eu de conséquence sur les
cours et que les protagonistes n’en avait pas tiré profit, deux bloggeurs à un total de
49
Cour de Cassation - Chambre Commerciale - Mardi 7 avril 2009 - Pourvoi 08-13077 50
AMF - Décision de la Commission des Sanctions - 7 décembre 2006
31/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
€18,000 euros d’amende51 deux bloggeurs ayant publié des informations erronées sur
la Société Générale. Le cas est intéressant puisque l’AMF dans sa décision motive le
fait que l’un des protagonistes aurait dû savoir (selon les termes de l’Article de
Règlement Général mentionné) que l’information était erronée grâce à sa « qualité
d’ancien professeur des universités enseignant l’analyse financière ». Ceci dit, les cas
les plus courants de propagation de fausse information sont fait pour en profiter par
des techniques dites « pump and dump » ou « trash and cash ». La première consiste à
propager de l’information positive pour pouvoir vendre des titres à un cours plus
élevée, la seconde consiste à propager de l’information négative pour acheter les
cours à un niveau plus faible. La technique du « pump and dump » est largement
représentée dans les films « Boiler Room » ou « The Wolf of Wall Street » qui sont
inspirés des agissements de la société Stratton Oakmont qui était une grande
spécialiste en la matière ! Les courtiers recommandent une valeur à l’achat en leur
communiquant des informations optimistes (mais fausses) à leurs clients (souvent sur
des titres de petites sociétés sur des marchés peu liquides où les cours sont
relativement faciles à manipuler) et se portent indirectement contrepartie pour leur
vendre les titres recommandés en vue de s’en débarrasser (bien évidemment au
meilleur prix et au détriment de leurs clients).
Ainsi, par exemple, la SEC a condamné, le 25 janvier 200852, la société Spear & Jackson
à un total de $6.8 millions de dollars de pénalités financière et dommages et intérêts
pour avoir réalisé une manœuvre de « pump and dump » sur son titre. Plus
anecdotique, un garçon de 15 ans a été condamné le 20 septembre 200 par la SEC53 à
payer à $285,000 pour avoir propagé de fausses informations surs des fora internet
tels que Yahoo! Finance de fausses informations sur des actions illiquides en vue de
faire monter les cours pour réaliser des profits. La commission a été particulièrement
clémente, le garçon ayant admis qu’il s’agissait d’une expérience censée démontrer
qu’aux balbutiements de la bulle internet, il était facile de manipuler les cours par la
propagation de fausses informations. Le fait qu’il ait gardé tous ses gains et était en
capacité de les rembourser immédiatement a certainement influencé la SEC dans sa
clémence. Aussi, on se doute que le cas a défrayé la chronique aux Etats-Unis et la SEC
souhaitait se débarrasser de la meilleure façon (et rapidement) de l’affaire qui a en
effet soulevé la controverse : il s’agissait en effet de la première fois où la Commission
poursuivait un mineur. La rumeur cours que la SEC, voulant se débarrasser au plus vite
du dossier, n’a pas terminé ses investigations et aurait laissé à l’adolescent environ
51
Décision de la Commission des sanctions du 7 novembre 2013 à l'égard de MM. Jean-Pierre Chevallier et Mike Shedlock 52
SEC - SEC Announces 100 Percent Return of Funds to Defrauded Spear & Jackson Investors - Release 2008-121 53
SEC - Administrative Proceeding - File No. 3-10291
32/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
$500,000 de gains litigieux54. La Commission se défend qu’elle n’ait pas pu établir avec
certitude le caractère délictueux des opérations concernées…
II – La Directive 2003/6/CE
La première directive dite « abus de marché » date de 2003 : la Directive 2003/6/CE55.
Elle repose sur 3 piliers : l’information de l’initiée, le mécanisme de formation des prix,
les informations fausses ou trompeuses. Des régulations, à l’échelle européenne, sont
en effet nécessaires pour harmoniser le souhait de voir les marchés financiers et les
investisseurs protégés.
Ainsi, sera qualifié d’abus de marché le fait d’utiliser de l’information privilégiée (que
cela soit à des fins personnels ou au profit de tiers), d’entraver le mécanisme de
formation des prix par de la manipulation de marché ou de propager de l’information
fausse ou trompeuse.
La directive, dans son Article Premier fixe des définitions importantes. Ainsi, une
« information privilégiée » est « une information à caractère précis qui n'a pas été
rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs
émetteurs d'instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui,
si elle était rendue publique, serait susceptible d'influencer de façon sensible le cours
des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers dérivés qui
leur sont liés ». Il est aussi précisé que « pour les personnes chargées de l'exécution
d'ordres concernant des instruments financiers, on entend également par "information
privilégiée" toute information transmise par un client et ayant trait aux ordres en
attente du client, qui est d'une nature précise, qui se rapporte, directement ou
indirectement, à un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers ou à un ou
plusieurs instruments financiers et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible
d'influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le
cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés ». Autrement dit, la première
définition a attrait au délit d’initié tandis que la seconde a plus attrait à la
confidentialité et la déontologie que tout intermédiaire financier doit envers ses
clients. La distinction est intéressante puisqu’elle proscrit de fait le « front running ».
Un intermédiaire financier ne peut alors pas utiliser la connaissance de l’ordre de son
client pour placer une opération, auparavant, pour son compte propre. Il utiliserait
ainsi une information privilégié et se livrerait, de fait, à un délit d’initié.
La « manipulation de marché », qui nous intéresse particulièrement dans le cadre de
cette étude, est définie, en premier lieu, comme le fait d’émettre des ordres
« susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne 54
New-York Times - Jonathan Lebed: Stock Manipulator, S.E.C. Nemesis -- and 15 - http://www.nytimes.com/2001/02/25/magazine/25STOCK-TRADER.html?pagewanted=all 55
Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché)
33/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
l'offre, la demande ou le cours d'instruments financiers » ou « qui fixent, par l'action
d'une ou de plusieurs personnes agissant de manière concertée, le cours d'un ou de
plusieurs instruments financiers à un niveau anormal ou artificiel ». En second lieu, « le
fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres qui recourent à des procédés
fictifs ou à toute autre forme de tromperie ou d'artifice » est aussi considéré comme
une manipulation de marché. Aussi, la propagation de fausse rumeur est considérée
comme une manipulation de marché potentielle : « le fait de diffuser des informations,
que ce soit par l'intermédiaire des médias (dont Internet) ou par tout autre moyen, qui
donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur des
instruments financiers, y compris le fait de répandre des rumeurs et de diffuser des
informations fausses ou trompeuses, alors que la personne ayant procédé à une telle
diffusion savait ou aurait dû savoir que les informations étaient fausses ou
trompeuses ».
Ces définitions restent très larges, la directive précise des cas pratiques : établir une
« position dominante », « acheter ou de vendre des instruments financiers au moment
de la clôture du marché, avec pour effet d'induire en erreur les investisseurs agissant
sur la base des cours de clôture » ou émettre un « avis sur un instrument financier (ou
indirectement, sur l'émetteur de celui-ci) après avoir pris des positions sur cet
instrument financier et de profiter par la suite de l'impact dudit avis sur le cours de cet
instrument sans avoir simultanément rendu public, de manière appropriée et efficace,
ce conflit d'intérêts » sont de la manipulation de marché.
La liste n’est malheureusement pas exhaustive et la directive en a bien conscience :
elle conclue en effet sa description des « manipulations de marché » par : « les
définitions de la manipulation de marché sont adaptées de manière à pouvoir couvrir
les nouveaux comportements qui constituent de fait des manipulations de marché ».
L’Article 2 cadre très bien qui sera concerné comme initié et prévoit les situations où
ce statut essayerai d’être détourné en agissant pour le « compte d’autrui ». Ainsi, un
possesseur d’information privilégiée sera initié s’il l’a obtenu en tant que « membre
des organes d'administration, de gestion ou de surveillance », en tant qu’actionnaire
actionnaires, du fait de ses « fonctions » professionnelles ou grâce à des « activités
criminelles ». L’Article 3 leur interdit de communiquer les informations qu’ils
détiennent « si ce n'est dans le cadre normal de l'exercice de son travail », ou de
donner des recommandations d’investissement « sur la base d'une information
privilégiée » qu’ils détiennent. L’Article 4 élargit interdit à quiconque d’utiliser une
information s’il sait ou aurait dû savoir (ce qui est difficile à prouver) qu’elle était
privilégiée.
L’Article 5 est clair, il prohibe de « procéder à des manipulations de marché ». Clair
mais vague car on l’a vu, difficile d’anticiper des comportements pas encore
catégorisés comme tels.
34/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
Le reste de la directive a trait aux obligations des émetteurs, aux pouvoir des autorités
de contrôle et à des considérations plus réglementaires d’application aux échelles des
pays membres.
La directive fut une étape normale, logique et spontanée dans la construction
européenne. La crise financière amorcée en 2007 a bousculé la donne. Alors, deux
directives sont venues modifier la Directive 2003/6/CE : la Directive 2008/26/CE et la
Directive 2010/78/CE. Nous n’aborderons pas les détails, les cinq premiers articles
n’ont pas subis de modification majeure et les modifications concernent des points de
cadre réglementaire.
III – Situation aux USA et au UK
Les USA ayant la plus vieille règlementation, elle faisait figure d’avant-gardiste. Il sera
alors peu surprenant de découvrir que les règles européennes (au sens large) sont
similaires aux règles américaines. Mais la différence entre ente les Anglo-Saxon et
l’Europe continentale réside dans la culture de la transaction.
A – USA
Le Securities of Exchange Act comprend une section entière prohibant les
manipulations de prix, la Section 956. Les termes utilisés sont globalement les mêmes,
ainsi, selon les dispositions de la sous-section (1) il est interdit de procéder à des
opérations donnant une « fausse représentation du marché » ou d’opérer à des
« activités trompeuses ». Le « wash trade » est particulièrement visé. Il est interdit,
selon la sous-section(2) de « crée l’illusion » d’une « activité réelle » sur un titre. Le
« spoofing » est là particulièrement visé. Les sous-sections (3) à (6) visent les
informations privilégiées et les fausses informations. La loi est alors du même acabit
qu’en Europe. On l’a cependant vu, la culture de la transaction y est forte et nombreux
sont ceux qui s’en sortent en payant une lourde amende.
Ceci dit, lorsque des victimes civiles sont identifiées, il est souvent impossible
d’échapper aux poursuites pénales et, on l’a vu par exemple avec la condamnation de
Bernard Madoff, les sanctions sont très lourdes. La justice américaine prend très au
sérieux le fait que des crimes financiers fassent des victimes et les peines de prisons
sont souvent plus élevées que les peines de crimes de sang du fait que le peines sont
additionnelles et cumulables. S’il peut paraître irréaliste de donner des peines de 150
ans de prison, c’est que le système américain prévoit que les avancées de la médecine
permettront un jour de vivre beaucoup plus longtemps qu’aujourd’hui et ainsi
d’exécuter toutes les peines infligées. Dans le même esprit, la prescription n’existe pas
pour les crimes de sang aux USA, un homme doit pouvoir répondre d’un tel crime tant
56
Securities Exchange Act of 1934 - Title I—Regulation of Securities Exchanges - Sec. 9. Prohibition Against Manipulation of Security Prices - http://www.sec.gov/about/laws/sea34.pdf
35/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
qu’il est en vie. Une autre fameuse condamnation fut celle de Jeffrey Skilling qui écopa
de 24 ans de prison et $45 millions d’amende pour notamment divers délits d’initiés,
manipulation de cours et propagation de fausse information dans le cadre de l’affaire
Enron57. L’existence ou non d’un volet civil conditionne globalement le devenir de
l’affaire au pénal, ainsi que les moyens financiers dont dispose la personne accusée
(l’argent est un excellent levier de négociation).
Le Dodd-Frank Act aux USA est un produit de la crise des subprimes de la crise
économique et financière qui s’ensuivi. La loi est entrée en vigueur le 21 juillet 2010 et
a pour but de garantir la stabilité financière et la transparence des marchés.
La loi n’a pas apporté de bouleversements majeurs au Securities of Exchange Act en
termes de règlementation sur les abus de marchés. Elle a renforcé les règles
déontologiques et les règles prudentielles pour les banques. Ceci dit, l’élément
intéressant de la loi est qu'elle a sensiblement augmenté le champ d’action de la SEC
et du CFTC. En effet, les régulateurs régulent dorénavant les marchés dits OTC (« Over
The Counter ») où les instruments financiers de gré à gré sont négociés.
B – UK
C’est peut-être une évidence, mais le Royaume-Uni fait partie de l’Union Européenne…
Ces derniers mois, le premier ministre conservateur David Cameron se retrouve dans
une position compliquée. En effet, les partis conservateurs et travaillistes ont toujours
surfé sur la vague de l’euroscepticisme pour faire prévaloir leur différence. Ceci dit, ils
ont été si habiles à la manœuvre que le parti indépendantiste (l’UKIP dirigé par Nigel
Farage, clin d’œil de l’histoire, c’est un ancien du London Metal Exchange) est devenu
une force incontournable aux dernières élections européennes.
Le ministre conservateur des finances du Royaume-Uni, George Osborne, semble ainsi
perméable à toute évolution des lois qui viendrait de l’Union Européen. Ceci dit, sur le
principe, il est favorable à une évolution sur le plan pénal et mieux une aggravation des
sanctions pénales. En effet, la City, avec la crise financière et les scandales financiers
(notamment, on l’a vu, l’affaire du LIBOR), a perdu de sa superbe mais reste le premier
centre financier mondial. Il veut ainsi, par une exemplarité sévère, rétablir la
réputation du centre financier. Ainsi, après le scandale du LIBOR, il souhaiterait que les
peines de prison aille jusqu’à 758 ans et non pas 4 ans comme le préconise l’Union
Européenne.
On l’a vu, le Royaume-Uni n’était pas avant-gardiste sur la régulation des activités
financières (la FSA a été créée en 1985 et le Financial Services Act date de 1986).
Longtemps considérée comme un paradis financier, la City est alors devenue, en effet,
57
http://www.enronfraud.com/pdf/consolidated_complaint.pdf 58
The Guardian - Currency market rigging could become criminal offence - http://www.theguardian.com/business/2014/jun/11/currency-market-rigging-criminal-offence
36/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
la première place financière mondiale. Le Financial Services Act fut remplacé par le
Financial Services and Markets Act 2000, toujours en vigueur actuellement (modifié en
200159). La Part VIII du Financial Services Markets Act traite des abus de marchés. La
section 118(2) définit les abus de marchés de façon, une nouvelle fois large, en trois
parties : la première a trait à l’information privilégiée, la seconde a trait à la
manipulation de l’offre, de la demande, de l’activité et des prix et la troisième prohibe
les comportements qui créeraient une distorsion des investissements. Autrement dit,
la première partie vise les délits d’initiés, la seconde la manipulation de marché et la
troisième à la fausse information.
Le régulateur peut par ailleurs porter les affaires devant la juridiction pénale selon la
Section 402(1)a et renvoie au Criminal Justice Act de 199360 qui n’est spécifiquement
rédigé que pour condamner le délit d’initié : outre les amendes, des peines de prisons
peuvent être prononcées, 6 mois maximum avec reconnaissance de culpabilité, et
jusqu'à 7 ans sans reconnaissance de culpabilité.
On anticipe alors comment va être modifié le Criminal Justice Act. La partie spécifique
au délit d’initié sera probablement élargie aux abus de marché en général. Le plus gros
challenge du Royaume-Uni est de s’assurer que ses lois seront compatibles avec les
directives Européennes.
59
http://www.legislation.gov.uk/uksi/2001/3649/contents/made 60
http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1993/36/contents
37/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
TITRE 3 – Le cas spécifique du HFT et de la manipulation de cours
I – Définition du HFT et problématiques
A – Définition du HFT
La définition même de Trading à Haute Fréquence (THF ou HFT, High Frequency
Trading en Anglais) est difficile à appréhender. Si l'on se bornait à une approche
sémantique, il suffirait de définir à partir de quelle fréquence l'on considère qu'une
fréquence est haute. Ce n'est malheureusement pas aussi simple que cela!
Le secteur a grandement évolué ces 30 dernières années. Les opérateurs de marchés
opéraient à l'origine à la criée, par exemple sur le parquet de la Bourse de Paris, autour
de la fameuse corbeille au Palais Brongniart61 (sa dernière séance fut le 10 juillet
198762). Les titres (actions63 64 65 66, obligations67 ou même les options68 des marchés
dérivés) étaient livrés en format papier. C'est d'ailleurs là que vient l'origine des droits
de garde: les masses de titres papier étaient gardés dans des coffres forts les droits de
garde correspondaient en quelque sorte à la location de l'emplacement et au
gardiennage. On imagine mal pourquoi de nombreux intermédiaires financiers
continuent à faire payer des droits dits de garde69 alors qu'une dématérialisation a été
initiée le 5 novembre 1984 suivant les conclusions du rapport de la Commission
Pérouse (octobre 1984). En effet, avec l'augmentation du nombre de sociétés cotées,
du nombre de titres émis sur les marchés financiers, la logistique devenait un véritable
casse-tête. On imagine les véritables tas de papier devant être transférés, chaque mois
par exemple lors du règlement mensuel, d'un dépositaire à un autre. Place et sécurité
étaient devenues de véritables contraintes.
L'avènement de l'informatique a rangé les titres papiers au rang de collection. Aussi,
les criées ont, elles aussi, pour la plupart, succombé et se font rares aujourd'hui (les
exceptions notables sont le très feutré London Metal Exchange70 et l’historique
Chicago Board of Trade71). Les cotations et ordres sont désormais calculés par un outil
informatique en temps réel et continu (d’ailleurs, le CAC de CAC40 et l’acronyme de
Cotation Assistée en Continue). La micro-informatique a quant à elle ouvert de
nouvelles perspectives. Les investissements nécessaires sont devenus négligeables et
61
Annexe - Figure 1 62
Archives INA - http://www.ina.fr/video/CAB87025026 63
Annexe - Figure 4 64
Annexe - Figure 5 65
Annexe - Figure 6 66
Annexe - Figure 7 67
Annexe - Figure 8 68
Annexe - Figure 9 69
http://www.lcl.com/fr/info-argent/comprendre-la-bourse/portefeuille-actions/droit-de-garde-banque/ 70
Annexe - Figure 2 71
Annexe - Figure 3
38/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
tout un chacun peut dorénavant disposer d'une puissance calculatoire extraordinaire
pour un investissement modique. C'est dans ce cadre que sont apparus l'arbitrage
statistique et le trading systématique, aujourd'hui plus largement nomme trading
algorithmique.
En effet, des décisions logiques prises des façons systématiques sur la base de calculs
mathématiques peuvent désormais être mises en place de façon aisée et à grande
échelle. Les opportunités sont identifiables rapidement grâce à des systèmes
d'informations développés, les calculs réalisables bien plus rapidement que par un
homme et sa calculatrice, et surtout, le gain de temps réalisé grâce à la transmission
rapide et automatisée des ordres est considérable.
Alors, définir le trading haute fréquence par un trading algorithmique à haute vitesse
de calcul, à haute vitesse de transmission et à grande échelle semble une définition
correcte sans pouvoir, toutefois, le quantifier en termes de temps et de nombres.
Alors, le trader à haute fréquence est soit un ordinateur, soit l’analyste quantitatif ou
développeur informatique qui l'a programmé. Le profil du trader a alors changé ces
dernières années. Ainsi, le profil du self-made man a complètement disparu. Le profil
du commercial tend à se raréfier tant les produits et stratégies deviennent complexes.
Ainsi, le profil ingénieur devient le minimum et souvent, des docteurs ès sciences
occupent de tels postes. Ainsi, le fondement des stratégies devient quantitatif et es
étudiants ont compris cela, en témoignent le nombre de mémoires ou thèses sur des
stratégies quantitatives de trading systématique : je peux en témoigner, étant passé
par là !72 Il y a ceci dit un risque (et on pourrait y consacrer un mémoire économique
entier) c’est que les modèles se déconnectent de la réalité économique ou passent
outre les logique de marché malgré l’exactitude des modèles mathématiques.
Beaucoup d’analystes quantitatifs sont alors qualifiés de « business blind ».
La technicité a quoi qu’il en soit un rôle prépondérant dans le trading algorithmique et
le trading à haute fréquence. C'est une des composantes de ce type d’opérations et le
commun des mortels n'est pas en capacité de comprendre comment sont
programmées et paramétrées ces machines. Pire, l'aveu pour le moins édifiant de
Jean-Pierre Jouyet (à l’époque Président de l’AMF et aujourd’hui secrétaire général de
la Présidence de la République) peut laisser pantois par son fatalisme : « soyons
réalistes. Nous sommes encore loin de disposer des moyens humains et matériels nous
permettant de déjouer toutes les stratégies de trading à haute fréquence
manipulatoires ; les enquêtes sont de plus en plus complexes, leurs ramifications
internationales et l’agilité croissante des contrevenants rendent notre travail chaque
jour plus difficile. La route est encore longue »73. Son constat antérieur est
72
Analyse et modélisation du UK Spark Spread pour la création d’une stratégie systématique de trading - Vincent Jeannin - Mémoire Master Statistiques et Econométrie - Université de Toulouse 1 - http://fr.slideshare.net/vinzjeannnin/mmoire-spark-spread 73
AMF - Discours de Jean-Pierre Jouyet - 26 janvier 2012 - Vœux à la presse
39/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
malheureusement vrai : « le gendarme est-il en mesure de courir aussi vite que le
voleur ? A l’heure où les transactions sur les marchés d’actions sont réparties sur de
multiples plateformes de négociation, où les ordres sont exécutés, ou annulés, nous
l’avons vu, en quelques micro secondes – un million d’ordres nous a dit Sophie
Baranger pour un opérateur, dans une journée –, où les transactions sur les marchés
dérivés se multiplient, la tâche pour les services de l’Autorité des Marchés Financiers
qui traquent les abus de marchés est de plus en plus ardue »74.
On pourra alors retenir la définition de l’ESMA qui, le 20 juillet 201175, tentait de
donner une définition universelle du trading à haute fréquence. La section III.1.12 du
papier cadre la définition du trading à haute fréquence : « les activités de trading qui
utilisent des techniques algorithmiques sophistiquées en vue d’interpréter les signaux
de marchés et de mettre en place en retour des stratégies de trading qui impliquent la
génération d’ordres à haute fréquence et leur transmission avec des temps de latence
faible. Ces stratégies se rapprochent dans les faits de market-making ou d’arbitrage
avec des horizons de temps extrêmement faibles ». On comprend donc que le HFT a
trois composantes : une composante algorithmique, une composante d’horizon
d’investissement faible et une composante technologique nécessitant la transmission
rapide des ordres. Ainsi, qu’on le veuille ou non, l’on crée un marché à deux vitesses
où les sociétés qui peuvent investir dans du matériel sophistiquée et des employés
surdiplômés seront avantagés. Pire, les entreprises se battent pour occuper des locaux
qui sont le plus proches possible du marché et de l’ordinateur central. Ainsi, les
entreprises de marché fournissent à prix d’or des emplacements de serveurs proche de
leur ordinateur central ou des entreprises, comme Spread, chargent $300,000
l’utilisation de câbles à fibre optiques reliant New-York à Chicago76.
Ce n’est pas sans poser de problèmes. Si de prime abord on peut dire que le HFT
présente de nombreux bienfaits il n’en reste pas moins risqué. En effet, on a déjà
évoqué les bienfaits de la liquidité. Ce nouvel apport de liquidité est clairement
bénéfique au marché et a pour conséquence directe de réduire les intervalles de prix
entre les meilleurs acheteurs et meilleurs vendeurs (le « bid - offer spread »). Ceci dit,
on peut considérer que la transparence n’est plus au rendez-vous, du fait des
opérations d’achats et de ventes rapides dont le but n’est parfois que d’engranger une
plus-value qui n’est égale qu’au pas minimum de cotation de l’actif. Mais le risque
principale est de porter atteinte à l’intégrité des marchés et le HFT augmente le risque
74
AMF - Intervention de Jean-Pierre Jouyet - 5 octobre 2011 – 4ème
colloque de la Commission des sanctions 75
ESMA - Publication 2011/224 - 20 juillet 2011 - Consultation paper - Guidelines on systems and controls in a highly automated trading environment for trading platforms, investment firms and competent authorites 76
Mother Jones - Too Fast to Fail: Is High-Speed Trading the Next Wall Street Disaster? - Nick Baumann - Janvier/Février 2013
40/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
de ce qu’on appelle le « flash krach ». Quand la technologie s’enraye, les conséquences
peuvent déstabiliser les marchés financiers.
Le « flash krach » du 6 mai 2010 en est l’illustration parfaite. L’indice américain Dow
Jones, déjà en baisse de 300 points (plus de 2% à l’époque) a perdu, en 5 minutes, 600
points supplémentaires pour atteindre une baisse de plus de 10% ! En 20 minutes le
marché a regagné les 600 points perdus. De nombreuses enquêtes ont été diligentées
mais l’évènement reste entouré d’une nébuleuse et toute la lumière n’a pas été faite.
Les machines sont programmées par les humains, elles n’exécutent donc que les
stratégies qui ont été programmées et l’instinct grégaire des opérateurs humais se
répercute aussi dans les machines : quand un humain panique, ses semblables aussi.
Ainsi, il semble que tous les algorithmes se soient mis à vendre en même temps et que
c’est l’afflux massif d’ordres de vente qui a créé cette baisse surréaliste. L’élément
déclencheur n’a ceci dit pas pu être clairement isolé mais la théorie la plus répandue
est celle d’un fonds ayant opéré une énorme opération de couverture et que la
stratégie a déclenché des stratégies de façon instantanée dans les fonds de HFT. La SEC
et la CFTC ont alors planché pendant près de 5 mois sur cet événement, il en ressort un
rapport du 30 septembre 201077. Ainsi, Waddell and Reed Financial, un gestionnaire de
fonds fondamental (par opposition à quantitatif) a dû opérer une couverture de $1.4
milliard sur les marchés à terme. Dans un premier temps, les ventes trouvaient des
contreparties acheteuses sur le marché, chez les fonds, les arbitragistes, mais vite, une
crise de liquidité s’est emparée du contrat le faisant chuter rapidement : les ordres de
vente étaient obligés de réduire leur prix pour trouver des acheteurs Ce mouvement
rapide a déclenché les stratégies de vente chez les HFT et la machine s’est emballée et
un cercle vicieux engagé, les ventes appellent des ventes de panique et le mouvement
s’amplifiait inexorablement et rapide… A haute vitesse.
Le risque technologique est bel et bien présent et, outre ce cas extrême, il est courant
d’accepter que le HFT augmente la volatilité des marchés financiers. Certains cas sont
plus anecdotiques, mais intéressant à citer. Par exemple, nombreux sont les fonds qui
analysent le texte d’un rapport dès sa publication (les rapports, par exemple, de
l’USDA - United States Department of Agriculture - Le ministère américain de
l’agriculture) : ainsi, les algorithmes font des recherchent lexicales et les fautes des
frappe peuvent tromper les algorithmes !
Difficile donc de conclure. Le HFT est-il une bonne ou une mauvaise chose ? La réponse
ne peut pas être tranchée de façon claire. C’est un outil des marchés financiers qui
apporte de la liquidité et de la transparence mais les algorithmes ne sont pas
transparents et donc dangereux. Comme tout outil, il peut être détourné pour se livrer
à des opérations illicites et plus que de blâmer l’outil, il faut réprimer les 77
SEC & CFTC - Findings regarding the market events of May 6, 2010 - Report of the staffs of the CFTC and SEC to the joint advisory committee on emerging regulatory issues - 30 septembre 2010
41/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
comportements illicites. Ceci dit, si l’intention d’éradiquer les abus de marchés du HFT
sont présente et louables, il est difficile d’identifier et donc de réprimer ces abus. Les
opérateurs de marchés le savent bien et plaident donc aussi pour la mise en place de
mesures préventives et bloquantes plus que de mesures répressives. Mais on le verra,
ces mesures consisteraient peut être en retour en arrière en matière de liquidité et
d’efficience de marché.
B – Problématiques juridiques
Les régulateurs se doivent d’intervenir rapidement pour éviter les débordements et
prendre un retard technologique qu’il sera difficile de combler. En effet, l’AMF estime
que jusqu’à 35% des transactions réalisées sur les marchés Européens le sont par
l’intermédiaire de HFT. Aux USA, on monterait même jusqu’à 60% !78 Il est peut-être
déjà bien tard…
Si les intentions sont présentes, la répression pose ceci dit problème. La répression a
pour base les abus de marchés et plus spécifiquement, dans ce qui nous concerne, la
manipulation de cours. Or, on l’a vu, nombreuses sont les condamnations
administratives, beaucoup moins nombreuses sont les condamnations civiles et quasi-
inexistantes sont les condamnations pénales. En effet, il est très difficile de caractériser
une infraction pénale dans le contexte du trading à haute fréquence. Les obstacles
juridiques sont donc réels.
En matière civile, il sera difficile de démontrer un préjudice de façon certaine. Il est
ceci dit relativement simple de démontrer un préjudice dans le cadre d’un délit de
fausse information. Ainsi, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a confirmé, le
15 mars 199379, que le préjudice est « certain » lorsqu’un investisseur achète une
action sur la base de fausse information et se chiffre à la « différence de cours » et
« découle directement de l'infraction » pénale. Mais dans le cadre de la manipulation
de cours purement technique (avec action directe sur le carnet d’ordre contrairement
à la fausse information), il semble beaucoup plus compliqué d’établir le caractère
certain, direct et personnel du préjudice, d’autant plus que le HFT agit sur des marchés
liquides où les intervenants sont nombreux (le caractère personnel du préjudice n’est
alors pas évident). Pire, l’évaluation du préjudice semble même très compliquée.
La technicité et la complexité des abus de marchés sont tels que c’est quasiment
uniquement l’AMF qui est à la source des saisies du parquet en matière pénale (ce qui
arrive dans les faits peu souvent) : c’est l’admission que le parquet ne possède pas les
moyens nécessaires à faire cavalier seul et s’en remet quasiment exclusivement à
l’AMF. Yves Guyon notait d’ailleurs que « dans le domaine du droit pénal boursier [...]
78
AMF - Avril 2011 - Le trading haute fréquence vu de l’AMF - Arnaud Oseredczuck, chef du service de la surveillance des marchés de l'AMF 79
Cour de Cassation, Chambre Criminelle, 15 mars 1993, pourvoi 92-82263
42/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
la COB est en fait sinon en droit, le véritable organe de poursuites, le ministère public
ne lui servant que de relais purement formel »80.
Mais l’AMF est-elle mieux équipée que le parquet ? Avec 447 employés l’AMF fait
figure de poids plume face à la SEC (3,958 employés), la CFTC (435 employés), la FINRA
(3,400 employés) et l’ancienne FSA (3,800 employés), les moyens peuvent donc
sembler insuffisants. Il vaut la peine de citer le Code de Procédure Pénale et son Article
40 : « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans
l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu
d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce
magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». De
deux choses l’une, soit l’AMF contrevient régulièrement à cette article (qui est certes
contraignant mais dont la sanction en cas de non-respect n’est pas formellement
prévue), soit les délits financiers, bien que pénalisés, ne sont jamais réellement
prouvés… C’est cette deuxième option qui est à retenir, les infractions pénales sont
très rarement prouvée, l’élément matériel étant extrêmement difficile à prouver.
La Directive relative à l’application81 de la Directive 2003/6/CE donne des pistes aux
régulateurs pour pouvoir identifier des manipulations de cours. Les Articles 4 et 5
donnent des séries de signaux, qui doivent éveiller les soupçons des régulateurs, sans
toutefois qu’ils soient nécessairement de la manipulation : « les États membres veillent
à ce que les autorités compétentes et les participants au marché, lorsqu'ils examinent
des opérations ou des ordres, prennent en considération les signaux suivants, qui ne
forment pas une liste exhaustive et ne doivent pas être considérés comme constituant
en eux-mêmes une manipulation de marché ». Autrement dit, il s’agit d’une admission
voilée que la preuve irréfragable est difficilement trouvable et les régulateurs se
basent sur des faisceaux d’indices. C’est pour cela qu’il est extrêmement difficile de
qualifier les infractions au niveau pénales. Ainsi, dans les décisions administratives, on
trouve souvent une contestation des griefs par les parties suspectées de manipulation
de cours ou la formule « ne reconnaît ni ne conteste » les griefs mais jamais
d’admission, ce qui serait un aveu ouvrant la voie à une sanction pénale.
Ainsi, la directive nous dit que quand les ordres représentent une « proportion
importante du volume quotidien d'opérations réalisé », que quand « les ordres émis
ou les opérations effectuées par des personnes détenant une position vendeuse ou
acheteuse marquée sur un instrument financier entraînent une variation sensible du
cours de cet instrument », que « si les opérations effectuées n'entraînent aucun
changement de propriétaire », que si les opérations « se traduisent par des
renversements de positions sur une courte période et représentent une proportion
80
Yves Guyon – La Comission de Opérations de Bourse 81
Directive 2003/124/CE de la Commission du 22 décembre 2003 portant modalités d'application de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché
43/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
importante du volume quotidien d'opérations », que si « les ordres émis ou les
opérations effectuées sont concentrés sur un bref laps de temps » ou que si « les
ordres émis modifient les meilleurs prix affichés à l'offre et à la demande », les
régulateurs doivent être alertés et suspecter de la manipulation de marché.
L’Union Européenne est bien consciente de la lacune pénale et s’efforce de travailler
dans une direction qui verrait, outre les sanctions administratives, le principe des
sanctions pénales mieux appliqué. Ainsi, le mouvement semble lancé, Viviane Reding
et Michel Barnier disait, le 14 avril 201482 suit à l’adoption formelle des propositions de
règlements par le Conseil que : « L'adoption intervenue aujourd'hui adresse un signal
fort: il y aura désormais une tolérance zéro pour les opérations d'initiés et les
manipulations de marché. Elle montre la détermination de l'Europe à protéger
l'intégrité de ses marchés financiers et à dissuader ceux qui chercheraient à faire des
profits illicites en manipulant délibérément l'information. Les autorités administratives
auront désormais plus de pouvoirs pour enquêter sur les abus de marché et pourront
infliger des amendes pouvant atteindre des millions d'euros. Par ailleurs, la perspective
d'une possible condamnation, dans toute l'Union, à une peine de prison aura un effet
dissuasif sur les auteurs d'abus de marché. La prochaine étape consistera à passer de
la législation à l'action: il faut que les États membres mettent rapidement en œuvre
ces nouvelles règles afin que les délinquants ne puissent plus se dissimuler nulle part
en Europe ».
La machine est donc en route pour combler les lacunes au niveau pénal. Nous y
reviendrons plus spécifiquement plus tard.
II – Spécificités de la manipulation à haute fréquence
Nous n’allons pas réexposer les techniques. En effet, on a bien vu que deux techniques
étaient principalement utilisables : le « wash trade » et le « spoofing ». Le « wash
trade » est facile à détecter et donc très peu usité. C’est donc le « spoofing » qui règne
au sein du HFT. On l’a vu, il est compliqué pour les régulateurs de prouver qu’un ordre
n’avait pas vocation à être exécuté. Les conditions de marché évoluant en temps réel,
le programmeur de l’algorithme dira qu’un ordre d’achat a été annulé 2 secondes
après avoir été placé parce que les conditions de marché du signal d’achat généré par
l’algorithme ne sont plus réunies quelques secondes après tant les paramètres
peuvent être nombreux. Et en effet, difficile de prouver le contraire pour les
régulateurs !
Le « spoofing », sous diverses formes, est donc largement utilisée. La première est
donc le « spoofing » standard, dit aussi « layering ». Arnaud Oseredczuck exposait en
avril 2011 que seuls 1 à 5% des ordres placés sur le marchés étaient exécutés et cite le
82
Abus de marché: l'UE instaure des sanctions pénales pour protéger l'intégrité des marchés - 14 avril 2014 - http://europa.eu/rapid/press-release_IP-14-424_fr.htm
44/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
cas d’un opérateur qui, en avril 2011, aurait placé 15 millions d’ordres et aurait eu en
retour 154 exécutions. Nous sommes en présence d’un taux de non-exécution de
99.998973%. Le record du temps minimum entre le placement de deux ordres est de 7
microsecondes tandis que l’ordre qui a été annulé le plus rapidement est un ordre qui
est resté 25 microsecondes valides sur le marché.
On a vu que cette méthode est faite pour tromper les autres opérateurs (voire même
tromper les autres algorithmes) et mais on pourrait arguer qu’un ordre placé sur le
marché même pour un temps très court est potentiellement exécutable et certains
traders à haute fréquence pourraient être pris à leur propre jeu s’ils tombaient sur une
machine plus rapide que la leur. Donc, la méthode du « spoofing » standard (dit
« layering ») trouve ses supporters.
L’objectif du « Spoofing » est donc de créer un mouvement de marché dit
« momentum ignition ». Le fait de mettre une pression sur les ordres acheteurs va
pousser de vrais acheteurs à vouloir acheter en priorité (en augmentant le prix) pour
bénéficier d’une potentielle vague haussière si tous les ordres d’achats étaient
exécutés. Le tradeur haute fréquence qui pratique du « spoofing » sur les ordres
d’achats veut donc faire monter le marcher pour exécuter un ordre de vente, seul
ordre qui sera réellement exécuté.
Il existe ceci dit une autre méthode de « spoofing » qui, quant à elle, est unanimement
considérée comme illicite : le « quote stuffing » (littéralement du gavage). En effet, il
s’agit là d’envoyer un grand nombre d’ordres, de les annuler, de les replacer et ainsi de
suite, dans l’unique but de ralentir les ordinateurs de marché et complexifier le carnet
d’ordre en vue de rendre sa lecture compliquée pour les autres opérateurs. Mais cela
ouvre une problématique, le but n’est pas de manipuler les cours, la méthode peut-
elle donc être réprimée dans le cadre de la manipulation de cours ? Certes, elle sert
souvent de précurseur ou de catalyseur à une autre manipulation mais elle n’agit pas
directement sur le cours. On est plus dans le piratage informatiaue que dqns la
manipulation de marché.
III – La répression : Kraay , Swift Trade et Trillium, Panther Energy
A – Kraay
La répression en France n’a jamais ciblé une entreprise spécifique de trading à haute
fréquence. Sommes-nous plus vertueux ? Les moyens de l’AMF sont-ils insuffisants ?
Difficile de se prononcer. Ceci dit, en France, nous n’avons plus que très peu de société
de trading ou de hedge-funds. Les FCIMT (hedge-funds à la Française) représentent
une part minime de la gestion collective. La société des trading sont peu nombreuses.
La principale raison a trait à la fiscalité. Elle est bien plus avantageuse en Suisse, au
Pays-Bas et au Royaume-Uni pour ce genre d’activité (en restant au niveau européen).
45/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
A l’heure actuelle, il n’existe qu’un seul cas en France se rapprochant d’une répression
de ce type d’activité. Kraay est une affaire évidente de trading algorithmique mais il est
difficile de parler de trading à haute fréquence, même si l’on s’en rapproche sur la
philosophie.
Kraay est une société de trading néerlandaise. C’est en fait une petite structure
puisqu’elle est unipersonnelle, le trader Kevin Kraayeveld, en est le gérant. La première
critique que l’on peut émettre est que l’AMF s’est attaquée à un petit poisson, en vue
de faire un exemple.
La Direction des Enquêtes et de la Surveillance des Marchés de l’AMF a en effet
identifié, à partir de décembre 2007, que la société Kraay passait, sur 25 titres, des
« rafales » d’ordres aux caractéristiques systématiquement similaires. En effet, ces
ordres semblaient avoir pour but de faire bouger le marché (à la hausse pour un ordre
d’achat) en vue de les annuler avant exécution et de placer un ordre, qui lui sera
exécuté, en sens contraire. Une enquête a alois été ouverte le 13 février 2008. Il sera
reproché à Kraay, en vertu des dispositions des Articles 631-1 et 631-2 du Règlement
Général de l’AMF d’avoir procédé à de la manipulation de cours sur au moins 5 actions
françaises.
La Commission des Sanctions de l’AMF, dans sa décision du 12 mai 201183, reproche à
Kraay d’avoir inondé le carnet d’ordre. Ainsi, par exemple, durant 14 minutes le 6 mars
2008, il a inondé le carnet de faux ordres de ventes en grand nombre et pour de
grosses quantités pour faire baisser le marché. Il aurait ensuite acheté le titre, annulé
des ordres de vente et bénéficié d’un réajustement haussier pour revendre à un
meilleur prix les titres réellement achetés. L’opération étant renouvelée plusieurs fois
pendant 14 minutes. Ainsi, sur 137 ordres en 14 minutes, 101 ont été annulés. Ainsi,
l’AMF estime que le procédé donne bel et bien des « indications fausses ou
trompeuses sur l’offre, la demande ou le cours d’instruments financiers ». On voit
donc que 137 ordres sur 14 minutes rendent difficiles la qualificatif de trading à haute
fréquence : 137 ordres en 14 minutes c’est, 9.79 ordres par minutes soit un ordre
toutes les 6.13 secondes. En Trading à Haute Fréquence on parle souvent à l’échelle de
la microseconde. Ce point fut évidemment soulevé par Kraay qui argumentait qu’il
n’opérait que de façon manuelle des techniques de trading haute fréquence largement
répandues dans le marché et jamais sanctionnées. L’AMF répondait que « considérant,
ensuite, que l’argument selon lequel les agissements de la mise en cause ne se
différencieraient pas de ceux du trading à haute fréquence, assorti d’un taux
d’annulation tout aussi important, est inopérant dès lors que, si les activités d’achat et
de vente sur le marché peuvent légitimement être exercées selon des techniques et
des cadences diverses, encore faut-il qu’elles ne donnent pas ‘’des indications fausses
ou trompeuses sur l’offre, la demande ou le cours d’instruments financiers’’
83
AMF - Décision de la Commission des Sanctions à l’égard de la société Kraay Trading I BV - 12 mai 2011
46/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
présentant, comme c’est le cas en l’espèce, les caractéristiques d’une manipulation de
cours ». Pour l’AMF, peu importe la fréquence, la manipulation de cours reste de la
manipulation de cours. C’est intéressant car le propos sous-jacent est que le HFT ne
semble pas contrevenir au règles de marchés en tant que telle, ce sont certaines
techniques d’abus qui contreviennent aux règles, pas le moyen.
Des soupçons pesaient sur d’autres titres mais l’AMF n’a pu les identifier. Autrement
dit, l’AMF a sanctionné une société pour 14 minutes de « spoofing » réalisées à l’aide
d’un algorithme. Et c’est là que la décision est intéressante. A la première lecture, cela
peut prêter à sourire mais cela lance un signal au marché, l’AMF veut être intraitable
avec la manipulation de cours, qu’elle soit algorithmique et à haute fréquence ne
change rien, et, le fait que les manipulations soient opérées rapidement sur de petites
périodes ne met pas les opérateurs à l’abri. Le HFT n’est pas répréhensible en soi, c’est
un simple outil. C’est aussi un enseignement important de la décision. L’AMF admet
d’ailleurs parfois que le HFT est une bonne chose en termes de liquidité et d’efficience
de marché : le Groupe de travail de l’AMF présidé par Jean-Pierre Pinatton et Olivier
Poupart-Lafarge84 écrit dans son rapport que le HFT a apporté une « très forte
augmentation des volumes » et un « resserrement des fourchettes entre bid et ask ».
Une chasse aux HFT n’est donc pas nécessairement amorcée.
Kraay sera ainsi condamné à €10,000 d’amende… Si cela représente un multiple
important des gains indument réalisés qui ne représentaient pas plus de €500, cela
peut paraître dérisoire et surtout un échec car le représentant du collège de la
Commission des Sanctions réclamait €1 million d’amende pointant le « caractère
systématique et répétitif du mode opératoire de Kraay ».
On prend ceci conscience de la difficulté à laquelle les régulateurs seront confrontés.
Sans vouloir présumer d’une culpabilité de Kraay à plus grande échelle, on imagine ceci
dit que sa stratégie de trading n’a pas été la seule illicite et que les suspicions de
« caractère systématique et répétitif » n’ont simplement pas pu être démontrées.
Ainsi, il a fallu plus d’un an et demi à l’AMF pour reconstituer 14 minutes de marché
pour un seul et unique titre Nexans. L’AMF semble alors avoir capitulé et n’a pu
apporter de preuves sur les autres titres sur lesquels pesaient de lourdes suspicions. Le
volume de données à analyser est tout simplement prodigieux, la reconstitution à
posteriori du marché est un véritable casse-tête tant la liquidité est devenue
importante et l’on commence à appréhender que la répression s’annonce
extrêmement compliquée. Les entreprises ayant de gros moyens technologiques et
humains seront alors plus difficiles à réprimander car on imagine que les moyens
technologiques et financiers leur permettront de développer des stratégies à la pointe
et non pas les stratégies les plus évidentes.
84
AMF - Rapport sur la révision de la directive MIF - 11 juin 2010
47/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
La répression française en est alors à ses balbutiements et l’on verra que la France
n’est malheureusement pas pionnière dans ce domaine. Les USA et le Royaume-Uni
ont infligé des sanctions envoyant un message bien plus dissuasif au marché. Les
affaires sont similaires mais les condamnations beaucoup plus sérieuses. Kraay semble
avoir bénéficié du fait qu’il s’agissait d’une société unipersonnelle et que les profits
indument réalisées (du moins ceux qui ont été identifiés) étaient dérisoires. L’abandon
de l’AMF de sa tentative de démontrer les manipulations sur les autres titres risque
même d’être contre-productif et d’envoyer un message d’aveu d’impuissance à ceux
qui seraient tentés de mettre en place des stratégies similaires.
B – Trillium Brokerage Services
Les cas de Trillium est intéressant à bien des égards. Trillium n'était pas à l’origine
spécialisé en trading à haute fréquence mais fut partie des précurseurs ayant fait
évoluer le trading algorithmique vers le trading à haute fréquence et c’est le premier
opérateur à être mis à l'amende pour de telles techniques. Plus que la condamnation
en elle-même qui n'est en fait qu'un cas de relativement évident de « spoofing »
(méthode de « layering »), c'est la chronologie des évènements qui est intéressante.
En 2005 (le 22 août85), c'est à dire il y a près des 10 ans, le directeur du trading
automatisé de Trillium (Paul Famighetti) déclarait à Wall Street & Technology que sa
société louait $100,000 par mois des infrastructures au NASDAQ en vue d'optimiser la
vitesse de ses exécutions et que le coût était un investissement rentable. En effet, le
NASDAQ loue des emplacements de serveurs situés à proximité de son ordinateur
central de marché. Anis, toute chose égale par ailleurs, plus la distance est réduite
entre le serveur qui envoie l'ordre et l'ordinateur central du marché qui le reçoit, plus
la communication entre les deux sera rapide.
Autrement dit, le NASDAQ (mais ce n'est pas la seule entreprise de marché à offrir de
tels services) fournit la possibilité, et en tire profit, à des entreprises membres du
marché de pouvoir utiliser des infrastructures leur permettant de mettre en œuvre des
stratégies potentiellement répréhensibles. L’insinuation est un raccourci peut-être un
peu rapide, pour faire un parallèle, le constructeur Ferrari ne sera jamais tenu
responsable des excès de vitesse commis par ses clients malgré le fait que la firme leur
fournit (à prix d'or) les outils nécessaires. On ne peut cependant pas imaginer que le
NASDAQ puisse être naïf au point d'ignorer que ses locataires d'emplacements de
serveurs n'allaient pas utiliser les infrastructures de façon, disons, optimale. Peut-être
que les revenus générés ont prévalus... Ceci dit, on ne peut que constater que les
entreprises de marchés ne sont pas les plus véhémentes ni les premières à remettre en
cause les comportements des traders à haute fréquence et sont en fait bien
silencieuses… Il y a fort à parier que, si la répression s’intensifie, il leur sera demandé, à
85
Wall Street & Technology – Milliseconds Matter – 22 août 2005
48/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
leur niveau de contrôler et d’essayer de mieux réguler les échanges et alors, peut-être
sera-t-il pointé des conflits d’intérêts. Ceci dit, quand les bornes de ses règlements
sont manifestement dépassées, elles se doivent d’agir pour ne pas être taxés de
complicité.
Ainsi, le 29 juin 2006, la société Trillium s’est fait condamner par la NASD (National
Association of Securities Dealers, l’ancien nom de la FINRA) pour avoir utilisé de façon
inappropriée les systèmes de trading du NASDAQ86. La sanction pécuniaire fut de
$225,000 pour avoir procédé à des manipulations du cours d’ouverture. Les intentions
de la FINRA étaient claires et fermes : la FINRA « réagira rapidement et agressivement
quand membres du marché essayeront de déstabiliser le marché ». Force est de
constater qu’il a fallu attendre plus de 4 ans pour que la FINRA tape plus fort.
En effet, la condamnation de Trillium relative à de la manipulation de cours utilisant
des méthodes de trading à haute fréquence n’est intervenue que le 13 septembre
201087. Un total de $2.6 millions en sanctions pécuniaires a été infligé, ainsi que des
suspensions de 6 mois à 2 ans pour 9 de ses traders, son directeur du trading et son
directeur juridique. Autrement dit, la condamnation est très sérieuse.
Apres enquête, la FINRA reproche à Trillium d’avoir entré un grand nombre d’ordres
de mauvaise foi, en les annulant, en vue de tromper les autres participants, de
manipuler les cours et d’en tirer profit : les faux ordres donnaient l’impression au
marché que des intérêts acheteurs ou vendeurs se manifestaient. Ainsi, cela aurait
permis à Trillium de réaliser 46,000 opérations réalisant des profits estimés à
$575,000. On peut donc constater qu’en effet, la sanction pécuniaire représente un
multiple important des gains réalisés.
Il est intéressant de voir que la société essaye aujourd’hui de tirer cette condamnation
à son profit en fournissant des outils d’identification de manipulation de marché88. En
effet, elle présente un outil qu’elle aurait développé en réponse à la condamnation de
la FINRA pour, d’abord, une utilisation interne. L’application fut développée après la
condamnation d’un « petit nombre de traders » de la société en vue de mieux
contrôler ses traders et éviter de potentielles nouvelles manipulations. La société
ayant remarqué qu’aucun outil de ce type n’était disponible sur le marché, elle s’est
décidée à le commercialiser. Cela semble une stratégie d’amende honorable ayant
payé au niveau marketing et relations publiques puisque la société connait un certain
succès avec ce système… Ceci dit, on peut se demander à qui et dans quel but est
destiné cet outil qui a été développé dans un but de contrôle interne à l’origine cible…
86
FINRA - News Release - NASD Fines Two Firms and Eight Traders $490,000 for Misusing NASDAQ Trading System - 29 juin 2006 87
FINRQ - News Release - FINRA Sanctions Trillium Brokerage Services, LLC, Director of Trading, Chief Compliance Officer, and Nine Traders $2.26 Million for Illicit Equities Trading Strategy - 13 septembre 2010 88
Trillium - http://www.trlm.com/surveyor/ - Why did Trillium develop Surveyor?
49/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
On peut très bien imaginer qu’il cible les traders à haute fréquence pour leur
permettre d’évoluer à la limite des activités illicites.
C – Swift Trade
La Société canadienne Swift Trade avait également quant à elle, déjà un certain passif.
La FINRA (alors appelée NASD) l’avait déjà épinglé, le 16 octobre 200289, pour
manipulation de marché et plus précisément des « wash trade ». Swift Trade fut
condamnée à $75,000 d’amende et une restitution de $26,000 de profits. Son
président a été suspendu 30 jours, son directeur juridique écopait quant à lui d’une
amende de $25,000. La société avait donc été, en quelque sorte, avertie…
Au Royaume-Uni, cette fois, le 31 août 2011, la Financial Conduct Authority, a
condamné Swift Trade à £8 millions90 pour manipulation de cours. En effet, l’autorité
considère qu’entre le 1er janvier 2007 et le 4 janvier 2008, a Société Swift Trade a
pratiqué du « spoofing » par la méthode de « layering » au travers de dizaine de
milliers d’ordres placés sur des actions peu liquides du London Stock Exchange. Swift
Trader aurait tiré profit de ces manipulations en influençant le cours de actions visés
en donnant une fausse représentation es intérêts acheteurs et vendeurs dans le carnet
d’ordres. La FCA note que ces actions étaient « délibérée » dans le but d’opérer à des
mouvements « artificiels » des cours, que ces manipulations étaient « systématique »
et de « grande envergure », que « beaucoup » de traders étaient impliqués, que
London Stock Exchange a mis en garde dès mars 2007 Swift Trade, mise en garde
restée sans effet sur les activités illicites de Swift Trade.
Un exemple de janvier 2007 est fourni, mettant en évidence le stratagème
typiquement employé par Swift Trade. En une minute le FSA a identifié de faux ordres
d’achats montant graduellement en prix alors que le véritable ordre, celui qui a été
exécuté, était à la vente. Les faux ordres d’achat on crée un biais acheteur, le reste du
marché pouvait penser qu’un véritable intérêt acheteur se dévoilait et par mimétisme,
d’autres opérateurs ont acheté à un prix plus élevé pour avoir la priorité. La taille
cumulée des ordres d’achats était 10 fois supérieure à la taille des ordres de vente.
Une fois le véritable ordre (la vente) exécuté, Swift Trade annulait ses ordres d’achat et
réalisait le stratagème en sens inverse pour racheter les titres vendus, plus bas. Les
taux d’annulations d’ordres pour Swift Trade étaient nettement supérieurs à la
moyenne et la durée de vie des ordres était d’en moyenne 18 secondes, bien en deçà
de la moyenne.
La FCA n’a pu établir la somme des profits indument réalisés et s’est alors basé, en
référence, sur la totalité des profits de 2007 (£1.75 million) pour déterminer la pénalité
89
NASD News Release - NASD Settles Charges Against Swift Trade Securities for Deceptive Trading and Non-Bona Fide "Wash" Transactions in QQQ 90
FCA - Decision Notice - http://www.fsa.gov.uk/static/pubs/decisions/swift_trade.pdf
50/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
financière de £8 millions. On constate donc la sévérité de la décision. Vue la lourdeur
de la sanction, Swift Trade a fait appel. La Cour d’Appel91 a confirmé la sanction le 19
décembre 2013.
Le 20 juin 201292, l’Ontario Securities Commission (le régulateur de l’Ontario au
Canada) a condamné la société Swift Trade et son dirigeant Peter Beck après un
contrôle en mars 2009, pour des défauts comptables, des défauts de procédures et des
défauts de conformité dans leurs affaires. Ainsi, des amendes C$400,000 ont été
infligées, une suspension de 6 ans dans l’Ontario, et Peter Beck interdit d’exercer des
mandats de dirigeants dans l’Ontario pendant une durée de 2 ans.
Swift Trade n’a pas survécu et le 13 décembre 2010, la société a été dissolue par ses
dirigeants (dans l’espoir, aussi, d’essayer d’échapper aux sanctions, ce que la Cour
d’Appel avait clairement identifié). Enfin, le 18 décembre 201293, la SEC a condamné
les deux dirigeants de Swift Trade (Peter Beck et Charles Kim) à $250,000 d’amende et
une suspension permanente de leur licence aux Etats-Unis, sanction extrêmement
sévère et rare. La décision est importante car la SEC condamne des agissements qui ne
se sont pas produites, à priori sous sa juridiction. Ainsi, la mesure semble plus
préventive que répressive.
D – Panther Energy Trading
Panther Energy est peut-être la première société qui a formellement été sanctionnée
en sa qualité de trader à haute fréquence pour manipulation de marché : la societe est
en effet une société de trading pratiquement uniquement le trading a haute
fréquence. C'est en effet un cas de « spoofing » (le mot est cité dans le rapport de la
CFTC) évident qui a été mis en place à grande échelle. Les opérateurs traditionnels
espèrent que cela créera un précédent mais il n'est pas évident de généraliser l'affaire.
En effet, tous les traders hautes fréquences ne se livrent pas à des manipulations,
disons le mot, aussi grotesques. La société et son dirigeant (Michael Coscia) ont été
d'une telle cupidité et ont manqué de façon élémentaire de discrétion qu'il semblait
inéluctable qu'ils soient démasqués. Dans ce jeu du chat et de la souris, le cas s'est
résolu à l'Américaine, par une amende, la restitution des bénéfices réalisés et une
suspension de licences de trading.
91
England and Wales Court of Appeal (Civil Division) - Neutral Citation Number: [2013] EWCA Civ 1662 - Case No: A3/2013/0626 - 19 décembre 2013 92
Ontario Securities Commission - In the matter of the Securities Act, RSO 1990 c.S.5 as amended and In the matter of Peter Beck, Swift Trade, Biremis, Opal Stone Financial Services, Barka Co., Trieme Corporation and Calm Oceans - 20 juin 2015 93
SEC - Press release 2012-271 - SEC Revokes Registration of Toronto-Based Broker and Bans Two Executives from U.S. Securities Industry for Allowing Layering
51/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
En effet, le 22 juillet 2013, la CFTC a condamné Panther Energy LLC et Micheal Coscia94
à $1.4 million d'amende, $1.4 million de restitution de profit illégitimes (c'est un
classique, la pénalité financière totale représente deux fois les gains injustement
réalisés) et une année de suspension. Ainsi entre le 8 août 2011 et le 18 octobre 2011
(c'est à dire seulement 72 jours), la société a placé et annulé 400,000 ordres sur, entre
autre, les marchés dérivés de pétrole, de gaz naturel, de maïs, de blé, de soja, d'huile
de soja et de tourteaux de soja. Autrement dit, plus de 5,500 ordres par jour ont été
placés et annulés, soit, en considérant faussement que les marchés sont ouverts en
continu, environ 230 ordres par heure, soit près de 4 ordres par minute (un ordre
toute les 15 secondes). Difficile dans ces circonstances de ne pas éveiller les soupçons.
Le plus important dans ce cas est que le CFTC a réussi à démontrer que les ordres
étaient placés avec « l'intention d'être annulés » ce qui est une contrevenante claire
aux règles de marchés. Il est en effet difficile de démontrer l'intention et c'est, on l'a
vu, le problème principal auquel se heurte la répression. Car une fois que l’intention de
non-exécution des ordres placés est démontrée, il s’agit clairement d’une entrave au
Dodd-Frank Act en sa section 747. En effet, la Section 5C précise nommément le
« spoofing » comme étant illicite, lui donnant une définition légale : le « spoofing » est
le fait de « placer des ordres à l’achat ou à la vente avec l’intention des les annuler
avant exécution ».
La CFTC, lors de son enquête, a pu accéder aux modèles algorithmiques de Panther
Energy. C'est un grand pas en avant. Le travail des régulateurs est rendu compliqué par
le fait que les modèles employés sont de plus en plus compliqué et il n'est pas aisé de
déceler le caractère factice (dans le sens où les ordres sont destinés à être annulés)
des ordres sans avoir accès au modèle lui-même. C'est l'un des avantages du système
américain où il est relativement aisé d'éviter, par des transactions, les poursuites
pénales (et donc la prison), alors, la société visée et son dirigeant sont en général
ouvert aux collaborations approfondies et transparentes. Le fait pour Panther Energy
d’avoir montré patte blanche dans ses modèles lui a certes évité une amende plus
lourde, mais envoie un message aux opérateurs. Les régulateurs veulent dorénavant
accéder aux modèles pour identifier les stratégies illicites à la source.
IV – Le futur du HFT dans le cadre réglementaire
Pour limiter les abus, les régulateurs pensent à introduire des contraintes
règlementaires d'ordre technique. Ces contraintes seraient probablement très
efficaces dans l'ensemble mais posent un problème. En effet, cela pourrait être vu
comme un retour en arrière et cela aurait des risques de perte de liquidité.
94
Release PR6649-13 - CFTC Orders Panther Energy Trading LLC and its Principal Michael J. Coscia to Pay $2.8 Million and Bans Them from Trading for One Year, for Spoofing in Numerous Commodity Futures Contracts
52/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
On l'a vu, l'AMF ne fustige pas nécessairement le HFT qu'elle définit comme un outil
pouvant servir à des manipulations. Des contraintes techniques, voire mécaniques et
financières pourraient alors sonner le glas du HFT.
Par exemple, l'une des pistes envisagées et d'instaurer un temps de latence minimum.
Autrement dit, un temps minimum (plus de l'ordre la milliseconde que de la
microseconde) serait fixé entre le moment ou l'ordre est envoyé et le moment où
l'ordinateur central du marché le fait apparaitre en carnet. Ainsi, avoir un système de
transmission ultrarapide ne deviendrait plus un avantage. Ceci dit, les entreprises de
marché comme le CME, le CBOT ou le NASDAQ qui louent à prix d'or des
emplacements de serveur situés à proximité de leur ordinateur central verraient une
source de revenu probablement disparaitre. On peut compter sur le fait qu'elles se
livreront à un intense lobbying pour éviter qu'une solution de ce type soit mise en
œuvre.
Une autre piste est d'agir sur la technicité des ordres. On l'a vu, des ordres peuvent
être modifiés ou supprimés en quelques petites microsecondes. Une solution serait
alors d'introduire une durée minimum pendant lequel l'ordre doit rester affiché dans
le marché. C'est une solution qui rencontrera beaucoup d'opposition, les erreurs
légitimes nécessitant une modification immédiate peuvent exister. Aussi, les
programmeurs des algorithmes nous diront que si un signal ayant généré un ordre
n'est plus valide, il faut supprimer l'ordre et que les modèles contenant un nombre de
paramètres souvent très grand, n'ordre peut légitimement être valide pendant une
seconde et pas la suivante (argument qu’ils utilisent pour justifier que leur « spoofing »
n’en n’est pas).
Une autre contrainte financière serait de faire payer les ordres annulés. Les mêmes
critiques seraient formulées. Ceci dit, au début des années 2000, les ordres annulés
payants pour les particuliers étaient légions. Une telle mesure serait vue comme un
retour en arrière. Bien sûr, cette mesure, comme la précédente, peut être
techniquement élaborée pour toucher en priorité les gros passeurs d’ordres en
donnant des quotas d’ordres à annuler ou modifier gratuitement, les possibilités sont
nombreuses…
La contrainte financière est, quand on y pense, déjà en place. En effet, la taxe sur les
transactions financières est en place depuis 201295. L’Article 235 ter ZD du Code
Général des Impôts dispose qu’une taxe de 0.2% est dû pour les opérations d’achats
de titres de société françaises. Ceci dit, elle ne concerne que les entreprises « dont la
capitalisation boursière dépasse un milliard d'euros ». Dans un sens, cela peut paraître
paradoxal, les titres des entreprises plus petites seront moins liquides donc
manipulables plus facilement, mais d’un autre côté, ces manipulations sont plus faciles 95
Loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 modifiée par l’Ordonnance n°2013-676 du 25 juillet 2013
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à détecter. Il ne faut ceci dit pas oublier que cette taxe n’a pas été mise en place pour
lutter contre la manipulation de marché mais pour limiter la spéculation. La
spéculation sur les petites valeurs est toujours bonne car elle en est au stade où
l’apport de liquidité est bénéfique. Mais indirectement, cela a un impact sur le trading
à haute fréquence.
En effet, le trading à haute fréquence a pour vocation de profiter de variations de
cours infimes. Or, en prélevant 0.2% de taxe, la variation de cours nécessaire à rendre
l’opération rentable est plus élevée. Donc le HFT, si ce genre de taxes était
généralisées devrait veiller à augmenter la rentabilité de ses stratégies. Cela n’aura
alors pas d’impact sur les techniques de manipulation en soi, peut être que l’effet
serait-il même plus pervers ! En effet, s’ils doivent augmenter leur rentabilité, peut-
être se livreront-ils à des pratiques de manipulation encore plus agressives pour le leur
permettre !
On aurait alors affaire à une taxe sanction ou un impôt de dissuasion. Sera-t-il
efficace ? Les politiques partent du principe que la finance est un ennemi (nous citions
auparavant le discours du candidat François Hollande) et qu’elle est responsable de la
crise. C’est un sujet de mémoire à lui seule mais est-ce vrai ? On pourrait se demander
si les emprunts toxiques des municipalités sont la fautes des maires qui pendant leur
mandature voulaient un taux faible (à des fins électoraliste évidentes) et ont poussé
les banques à la créativité ou est-ce bien les banques les coupables ? Dans la crise des
subprimes, on pourrait imaginer que les dirigeants politiques successifs qui ont promu
l’accession à la propriété pour les classes sociales basses et moyennes comme une
réussite sociale indispensable et ultime ont obligé les banques à prêter à des acheteurs
insolvables ? Ainsi, il est aisé et démagogique de désigner les responsables de la
volatilité actuelle des cours : ce sont les spéculateurs et les très à la mode HFT. Il faut
donc diminuer les volumes en instaurant des barrières. Les barrières à l’entrée des
marchés financiers sont quasiment inexistantes aujourd’hui : les frais de transaction
sont si faibles que tout un chacun peut réaliser des petites opérations sans avoir un
seuil de rentabilité trop décalé par l’impact de ses frais. Mais du fait de l’égalité devant
l’impôt, une véritable taxe sur les transactions financières toucherait tous les
opérateurs, y compris le particulier et son PEA… Difficile d’imagine que cela soit une
mesure populaire surtout vu l’alternative qu’a le petit épargnant, le taux du Livret A
est si bas qu’il est obligé de trouver de la rentabilité ailleurs et compte tenu du ras le
bol fiscal de ces dernières années, on doute qu’une taxe important puisse être
promulguée sans protestation.
De plus, même le Fonds Monétaire International est critique96 envers une globalisation
d’une taxe sur les transactions financières. Les revenus générés seraient incertains et
96
IMF Working Paper WP/11/54 - Taxing Financial Transactions: Issues and Evidence - Thornton Matheson - Mars 2011
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disparate. Pire, la liquidité et le coût du capital pourraient en être impactés. Le débat
est alors encore très âpre et sera loin d’aboutir. Le plus gros marché du monde est
celui des changes : la Banque des Règlements Internationaux estime que $5.3 trillions
sont échangés chaque jour97 est nos sommes encore loin de voir un tel marché ciblé.
Aussi, en se concentrant spécifiquement sur les marchés actions, cette taxe sera évitée
(et donc les revenus s’amenuiseront au fil des années) simplement par un changement
d’allocation : un fonds de HFT qui agissait sur les actions appliquera ses stratégies aux
matières premières par exemple. Il est donc important, si une telle taxe venait à se
généraliser, de penser à son champ d’application de façon scrupuleuse.
Les régulateurs cherchent ceci dit spécifiquement à limiter les risques d’abus de
marchés du HFT. Ainsi, la nouvelle directive européenne devrai être plus sévère98 :
« les stratégies abusives que permet le trading à haute fréquence seront
rigoureusement interdites », « ceux qui manipulent des indices de référence tels que le
LIBOR se rendront coupables d'abus de marché et encourront de lourdes amendes » et
il y aura la possibilité « d'infliger des amendes atteignant au moins trois fois le profit
que l'abus de marché a permis d'engranger, ou, dans le cas d'entreprises, au moins 15
% de leur chiffre d'affaires ». Les intentions de faire évoluer le cadre général des abus
de marchés est donc bien réel et le trading à haute fréquence est bel et bien visé de
façon explicite.
L’IOSCO réfléchit, c’est son rôle, à la façon de s’assurer que le HFT ne se livre pas à des
pratiques abusive. Ainsi, son Comité Technique publiait en juillet 2011 un rapport
assez complet ciblé sur le HFT99. Il pointait dans un premier temps la difficulté de
mettre en évidence els effets du HFT. En effet, il est compliqué d’analyser les effets
d’une seule stratégie parmi les autres. Aussi, le HFT est lui-même une combinaison de
différentes stratégies. Considérer que le HFT à un effet négatif sur les marchés est
alors une hypothèse forte non nécessairement vérifiée. La seule évidence est que le
HFT apporte une nouvelle liquidité.
L’IOSCO propose, au niveau des du HFT, de, notamment, leur imposer une taxe sur les
ordres annulés (déjà évoqué) mais aussi de faire valider leur modèles par les
régulateurs. On touche sans doute un point très sensible ici. Le comité conseille
également de créer une licence de trading spéciale pour le HFT ce qui permettrait
d’identifier les sociétés le pratiquant et d’exiger des contraintes règlementaires pour
l’accord de la licence. Ainsi, les régulateurs pourraient juger si l’entreprise maitrise
97
Bank of International Settlement - Triennial Central Bank Survey of foreign exchange turnover in April 2013 - preliminary results released by the BIS - 5 September 2013 98
Abus de marché: l'UE instaure des sanctions pénales pour protéger l'intégrité des marchés - 14 avril 2014 - http://europa.eu/rapid/press-release_IP-14-424_fr.htm 99
Regulatory Issues Raised by the Impact of Technological Changes on Market Integrity and Efficiency - Consultation Report - Technical Committee of the IOSCO - CR02/11 - Juillet 2011
55/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
assez la technologie pour lui accorder sa licence ou si elle a bien mis en place les
procédures de contrôles de risques de façon adéquate. Enfin, à la manière des
banques et des stress-test sur leurs ratios prudentiels, L’IOSCO préconise la mise en
place de stress-test en vue de mieux évaluer les risques apportés par le HFT. Au niveau
des entreprises de marché, il est suggéré la mise en place de contrôle de flux,
d’instaurations de limites de volatilité ou de flux, un contrôle de cohérence des ordres
annulés, voire de frais sur les mise en place, modification ou annulation d’ordres. Les
entreprises de marché sont en effet les premières à pouvoir identifier des abus de
marchés, les régulateurs ont besoin de leur concours. Enfin, au niveau des entreprises
de marchés, l’IOSCO appelle à passer en revue toutes les règles et de s’assurer de leur
compatibilité avec le HFT.
L’ESMA, de son côté, a publié une étude similaire fin 2011100. Elle insiste sur les actions
à entreprendre du côté des régulateurs. Ainsi, elle suggère de faire évoluer les
règlements généraux et de mettre en place des règles de reporting spécifiques où les
entreprises détailleraient leurs activités en des termes quantitatifs (nombre d’ordres
exécutés, nombre d’ordres envoyé au marché, profit moyens par ordres,…) en vue de
cibler les contrôles de manière plus efficace, de combler le gap technologique qui s’est
développé entre les régulateurs et les entreprises utilisant le HFT ce qui implique qu’ils
aient des moyens humains plus importants, d’être en mesure de reconstituer l’activité
de marché de façon plus rapide et fiable qu’a l’heure actuelle (on l’a vu, l’AMF a mis 18
mois à pouvoir reconstituer l’activité sur un seul titre dans l’affaire Kraay). L’ESMA
suggère d’imposer des mesures de contrôles internes obligatoires dans les sociétés
financières réalisant du HFT en vue de faciliter les contrôles et d’évaluer la volonté
qu’ont les entreprises opérant du HFT de se conformer aux règles. L’AMF a accueilli
favorablement ces recommandations puisqu’elle compte les appliquer101.
100
ESMA - Final Report - Guidelines on systems and controls in an automated trading environment for trading platforms, investment firms and competent authorities - 21 December 2011 | ESMA/2011/456 101
AMF - Position AMF n° 2012-03 - Systèmes et contrôles dans un environnement de négociation automatisé
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Conclusion
Nous avons donc vu que les abus de marché sont pris encore plus au sérieux depuis la
crise financière du milieu de la première décade du 21ème Siècle. Les régulateurs se
retrouvent face à de nouveaux enjeux et, pour ne pas voir la situation dégénérer, ils se
doivent de réguler spécifiquement le HFT qui peut en effet s’avérer être un outil de
choix pour opérer à de la manipulation de marché.
Le processus est en marche, nous l’avons bien constaté. Nous en sommes aux
balbutiements et de longs mois et de longs travaux seront nécessaires pour non
seulement déboucher sur des règlementations visant spécifiquement le HFT mais aussi
des régulations globales.
En effet, il est primordial que les principaux pays concernés agissent de concert mais
aussi que les entreprises de marchés soient impliquées dans le processus : ce sont elles
les premières susceptibles de pouvoir identifier la manipulation de marché car elles
reçoivent les ordres. Ainsi, cela soulèvera nécessairement certains douloureux
potentiels conflits d’intérêts et des lobbys entreront probablement en action pour
limiter la portée de nouvelles régulations.
La tâche est donc énorme et s’annonce rude. On ne peut que souhaiter que les
régulateurs sauront se doter des moyens techniques et humains pour mettre en place
une répression aussi technique et rapide que les manipulations du HFT. Ainsi, on
espèrera pouvoir parler de Répression à Haute Fréquence !
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Annexe
Fig 1 - Le parquet de la Bourse de Paris avec, au centre, la corbeille. Un bac à sable s’y
trouvait au centre, c’était en fait un cendrier.
Fig 2 - L’atmosphère très feutrée (dans la plus grande tradition anglaise) du London
Metal Exchange
Fig 3 - Le « pit » Chicago Board of Trade
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Fig 4 - Action au porteur du Métro parisien
Fig 5 - Action nominative du Métro parisien
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Fig 6 - Action au porteur Franco-Russe (Houillère de Bérestow Krinka)
Fig 7 - Action nominative Américaine (The Lehigh Coal and Navigation Company)
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Fig 8 - Obligation au porteur avec 3 coupons du Canal de Panama
Fig 9 - Option au porteur émise par Dresdner Bank sur taux US Dollar à 5%
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