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1 Voici un extrait d’une recherche approfondie concernant les origines d’un toponyme et d’un patronyme apparus à la fin de la période carolingienne ou au temps des premiers rois capétiens, voire sous la domination romaine, ou bien encore à l’époque des Gaulois. 10 - Essai de synthèse sur les Chalenge ayant vécu à la fin du XIIIème siècle ou au début du XIVème La découverte des 2 personnages précédents, à savoir Guill(aume) Chalange, moine de l’Abbaye Saint-Martin de Sées au début du XIVème siècle, et Messire Renaud de C(h)ale(n)ge, doyen (ou prieur) du chapitre cathédral de Sées entre 1287 et 1293, est déterminante, car, du coup, il est possible d’affirmer qu’à cette époque, cette famille comportait déjà 2 branches, dont une était noble. De plus, par le fait que les chanoines du chapitre régulier de Sées étaient choisis par cooptation, laquelle tenait une place dans leur recrutement qui s’effectuait vraisemblablement dans un milieu régional étroit, et que, à la même époque, un membre de ladite famille fut moine dans l’abbaye de cette cité, il est quasi-certain que les Chalenge avaient fait souche à Sées, en étant liés à l’évêché du diocèse. Souvenons-nous qu’en 1368, Guillaume Chalenge s’était déclaré citoyen de ladite cité. Et Jehan Chalenge, qui avait rédigé cette année-là à Sées les 2 actes scellés par ledit Guillaume Chalenge, fut avocat et conseiller de l’archevêque de Rouen en 1380. Or pour être connu de l’archevêque de Rouen qui était à l’époque le cardinal Philippe d’Alençon (1359-1375), fils de Charles II, comte d'Alençon, puis le cardinal Pierre de la Montre (1375-1376), et enfin Guillaume de Lestrange (1376-1388), il paraît évidemment indispensable que Jehan Chalenge ait tenu des fonctions analogues auprès de l’évêque de Sées, à savoir Guillaume de Rancé (1363-1379), puis Robert Langlois (1379-1404). Cela dit, l’hypothèse selon laquelle Robertus de Chalonge, notaire du roi à la cour de Riom en 1293, serait un membre de la branche noble des Chalenge est, du coup, encore plus crédible. Car Renaud de Chalenge était membre de droit de l’Echiquier de Normandie en tant que doyen du chapitre de Sées, ce entre 1287 et 1293. Il était donc en contact avec les membres du Parlement de Paris, sinon lui, du moins son évêque qui, de plus, ne reconnaissait que la juridiction royale, et non celle du comte d’Alençon. Ainsi a-t-il pu favoriser l’accession d’un sien parent, Robertus de Chalonge (ou Chalenge) en l’occurrence, à la fonction de notaire du roi. En conséquence, les « 3 soleils d’or en champ de gueules », blason des Chalenge, sont apparus au plus tard dans les années 1290, si on les lie à la parentèle de Renauld de C(h)ale(n)ge. Ils apparaissent d’une part sur le sceau de Jehan Chalenge, vicomte de Quatremare dès 1380, lequel était originaire de Sées, et d’autre part dans l’église Notre-Dame de Louviers où Guillaume Chalenge Laisné avait fondé une chapelle en 1428. Et Jacques Chalenge, descendant dudit Guillaume, les avaient déclarés, dans sa recherche de noblesse, comme ayant été de tout temps les armoiries de sa famille qui, disait-il, provenait d’Auvergne, plus particulièrement de la région de Montferrand. A ce stade de notre étude, nous pouvons maintenant affirmer que les « Chalenge de Normandie » avaient, à la fin du XIIIème siècle, une origine commune à Sées. Il serait alors intéressant de pouvoir remonter leur filiation au cours de ce siècle, voire au siècle précédent. Malheureusement les documents font défaut.

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VVooiiccii uunn eexxttrraaiitt dd’’uunnee rreecchheerrcchhee aapppprrooffoonnddiiee ccoonncceerrnnaanntt lleess oorriiggiinneess dd’’uunn ttooppoonnyymmee eett dd’’uunn ppaattrroonnyymmee aappppaarruuss àà llaa ffiinn ddee llaa ppéérriiooddee ccaarroolliinnggiieennnnee oouu aauu tteemmppss ddeess pprreemmiieerrss rrooiiss ccaappééttiieennss,, vvooiirree ssoouuss llaa ddoommiinnaattiioonn rroommaaiinnee,, oouu bbiieenn eennccoorree àà ll’’ééppooqquuee ddeess GGaauullooiiss.. 10 - Essai de synthèse sur les Chalenge ayant vécu à la fin du XIIIème siècle ou au début du XIVème La découverte des 2 personnages précédents, à savoir Guill(aume) Chalange, moine de l’Abbaye Saint-Martin de Sées au début du XIVème siècle, et Messire Renaud de C(h)ale(n)ge, doyen (ou prieur) du chapitre cathédral de Sées entre 1287 et 1293, est déterminante, car, du coup, il est possible d’affirmer qu’à cette époque, cette famille comportait déjà 2 branches, dont une était noble. De plus, par le fait que les chanoines du chapitre régulier de Sées étaient choisis par cooptation, laquelle tenait une place dans leur recrutement qui s’effectuait vraisemblablement dans un milieu régional étroit, et que, à la même époque, un membre de ladite famille fut moine dans l’abbaye de cette cité, il est quasi-certain que les Chalenge avaient fait souche à Sées, en étant liés à l’évêché du diocèse. Souvenons-nous qu’en 1368, Guillaume Chalenge s’était déclaré citoyen de ladite cité. Et Jehan Chalenge, qui avait rédigé cette année-là à Sées les 2 actes scellés par ledit Guillaume Chalenge, fut avocat et conseiller de l’archevêque de Rouen en 1380. Or pour être connu de l’archevêque de Rouen qui était à l’époque le cardinal Philippe d’Alençon (1359-1375), fils de Charles II, comte d'Alençon, puis le cardinal Pierre de la Montre (1375-1376), et enfin Guillaume de Lestrange (1376-1388), il paraît évidemment indispensable que Jehan Chalenge ait tenu des fonctions analogues auprès de l’évêque de Sées, à savoir Guillaume de Rancé (1363-1379), puis Robert Langlois (1379-1404). Cela dit, l’hypothèse selon laquelle Robertus de Chalonge, notaire du roi à la cour de Riom en 1293, serait un membre de la branche noble des Chalenge est, du coup, encore plus crédible. Car Renaud de Chalenge était membre de droit de l’Echiquier de Normandie en tant que doyen du chapitre de Sées, ce entre 1287 et 1293. Il était donc en contact avec les membres du Parlement de Paris, sinon lui, du moins son évêque qui, de plus, ne reconnaissait que la juridiction royale, et non celle du comte d’Alençon. Ainsi a-t-il pu favoriser l’accession d’un sien parent, Robertus de Chalonge (ou Chalenge) en l’occurrence, à la fonction de notaire du roi. En conséquence, les « 3 soleils d’or en champ de gueules », blason des Chalenge, sont apparus au plus tard dans les années 1290, si on les lie à la parentèle de Renauld de C(h)ale(n)ge. Ils apparaissent d’une part sur le sceau de Jehan Chalenge, vicomte de Quatremare dès 1380, lequel était originaire de Sées, et d’autre part dans l’église Notre-Dame de Louviers où Guillaume Chalenge Laisné avait fondé une chapelle en 1428. Et Jacques Chalenge, descendant dudit Guillaume, les avaient déclarés, dans sa recherche de noblesse, comme ayant été de tout temps les armoiries de sa famille qui, disait-il, provenait d’Auvergne, plus particulièrement de la région de Montferrand. A ce stade de notre étude, nous pouvons maintenant affirmer que les « Chalenge de Normandie » avaient, à la fin du XIIIème siècle, une origine commune à Sées. Il serait alors intéressant de pouvoir remonter leur filiation au cours de ce siècle, voire au siècle précédent. Malheureusement les documents font défaut.

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S’agissant des actes émis par l’évêché et son chapitre, ils sont très rares, car la cathédrale et son environnement immédiat de maisons ont brûlé à maintes reprises. Yves de Bellême (1035-1070), l’un des successeurs d’Azon le Vénérable qui fut évêque de Sées de 986 à 1010, avait été contraint de mettre le feu aux maisons qui entouraient la cathédrale afin de débusquer les brigands qui s’y étaient fortifiés, l’église en fut atteinte et entièrement consumée. Sa reconstruction devait être longue et dispendieuse et quoique ce prélat possédât les comtés du Perche et d’Alençon, ses moyens ne lui permettaient pas une entreprise de cette importance. Il prit donc le parti d’aller dans la Pouille et dans la Palestine chercher, auprès des riches parents qu’il y avait, les secours en argent dont il avait besoin. On mit la main à l’œuvre vers 1053. Après 70 années de travaux, celle-ci fut consacrée le 21 mars 1126. C’était la 4ème cathédrale, construite en style roman. Entre-temps Robert II, duc de Normandie, avait donné la ville de Sées à Robert de Bellême. Guillaume de Ponthieu, fils dudit Robert, conserva la seigneurie de Sées et fit construire dans la ville le fort Saint-Pierre. Louis VII le Jeune, roi de France de 1137 à 1180, et le comte de Dreux, son frère, mécontents de Guillaume de Ponthieu, vinrent l’assiéger. Ils brûlèrent la ville, quoiqu’une partie en appartint à l’évêque. Et en 1174, la cathédrale fut à nouveau incendiée, cette fois-ci par Henri II, roi d’Angleterre. Sées fut ensuite plongée dans une suite de malheurs dus à la Guerre de Cent Ans, de 1337 à 1453, au cours de laquelle elle fut par 2 fois assiégée et ruinée par les Anglais. En effet, après la défaite de Crécy, en 1346, les murs de Sées furent consolidés afin de résister à d’éventuelles attaques anglaises. En 1356, après la défaite de Jean-le-Bon, près de Poitiers, Sées fut prise à nouveau par les Anglais et réduite en cendres. Jean Bouillet, bailli d’Alençon, en fit raser les faubourgs afin qu’ils ne tombent pas aux mains des ennemis. Ce fut après 1356 qu’on bâtit le fort Saint-Gervais. Charles V, par lettres données en 1367, confirma l’évêque dans la charge de capitaine de ce fort. Il est donc évidemment impossible, compte tenu de ces faits de guerre, d’espérer retrouver quelque document que soit, s’agissant des Chalenge ayant vécu à Sées antérieurement au XIVème siècle. Le cartulaire de l’Abbaye Saint-Martin de Sées est d’ailleurs muet sur ce sujet. Sur le plan juridique, Sées était rattaché à la vicomté de Falaise qui dépendait elle-même du bailliage de Caen. Or les baillis sédentaires ont vu leurs fonctions bien spécifiées sous le règne de saint Louis. Par conséquent, il est fort improbable qu’on puisse un jour découvrir quelque acte particulier qui ait eu trait aux agissements d’une personne ayant porté le patronyme de Chalenge à Sées au cours du XIIIème siècle (voir tous les actes des baillis de Louviers aux XIVème et XVème siècles - Neuvième et Dixième Livres). Par contre, nous avons découvert un extrait de texte où figure Hugues de Vaunoise, descendant probable de Hubert de Vaunoise dont nous allons nous entretenir ci-après, ledit Hugues ayant été tué au siège de Saint-Jean d’Acre en juillet 1191. Voici cet extrait : « … Cette charte, scellée de son sceau (il s’agit du sceau de Rotrou, comte du perche), fut donnée à Mâcon, l’an 1190, au moment du départ pour la Palestine… Rotrou (*), peu de jours après, fit voile vers la Palestine pour rejoindre les autres barons, dont les rois Philippe-Auguste et Richard d’Angleterre… Jean de Bellême-Montgommery(*), comte de Ponthieu d’Alençon, de Séez et autres lieux… Hugues de Vaunoise… * (*morts en juillet 1191 au siège de Saint-Jean d’Acre)… » (Antiquités et chroniques percheronnes, de Louis Joseph Fret, 1838). Nous ne saurons donc jamais quand les Chalenge vinrent s’installer à Sées. La plus ancienne de leur trace date de la fin du XIIIème siècle, c’est celle de Renauld de Chalenge, personne noble, prêtre et doyen des Sagiens. Or à cette époque, les patronymes étaient figés. Le patronyme de ce Renauld nous indique que ses ancêtres tiraient leur origine d’une localité désignée sous le toponyme de Chalenge. Mais 2 siècles auparavant, nous avons tenté d’identifier, dans le Premier Livre, Guérin et Hugues de Chalenges (Guarinus et Hugo de Calumniis), comme étant des seigneurs rattachés à la famille de Bellême et originaires du

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Chalange, localité située à 10 kilomètres à l’Est de Sées. Avant d’aller plus avant dans l’analyse de cette thèse, il convient auparavant de s’assurer de son bien-fondé. 11 - Guarinus et Hugo de Calumniis (Guérin et Hugues de Chalenges), originaires du Maine Analysons donc, une fois encore, les chartes qui mentionnent les témoins au rang desquels figurent Guérin et Hugues de Calumniis En 1067, Hubert de Vaunoise est cité comme témoin dans une charte par laquelle Hugues de Rocé, lors de son entrée en religion, confirme la donation précédente de ses biens pour la fondation du prieuré Saint-Martin du Vieux-Bellême, en présence d’Yves de Bellême, évêque de Sées (Cartulaire de Marmoutier pour le Perche). Y sont cités : monseigneur Eudes, prieur, et monseigneur Béraud, prévôt (de Bellême). Quelques années plus tard (autour de 1067), le même Hubert de Vaunoise est témoin de la vente faite par Guérin, frère de feu Eudes, prieur de Saint-Martin, au dit Béraud, religieux et prévôt au château de Bellême, d’une terre d’un demi-muid à ensemencer, située entre le bois de Gautier Le Roux et le chemin d’Eperrais, pour 20 sous, du consentement d’Adélaïde, son épouse, de Guillaume, leur fils et d’Arenberge leur fille. Comme Gautier, frère du vendeur, n’avait pas été présent à la vente, il promit qu’il y donnerait son consentement et ratifierait l’acquisition faite par les religieux, et que s’il refusait, ledit Guérin leur donnerait en échange une autre pièce de terre de la même valeur (témoins : Guérin de Chalanges (ou de Chalonges, voir de Calonges), Hugues son frère, Hugues du Vieux Bellême, Hubert de Vaunoise, Hildebert Le Pelletier). Comme nous l’avons déjà envisagé, la liste des témoins est probablement donnée par ordre d’une préséance due à l’ancienneté des témoins en tant que fidèles de la famille de Bellême. Hildebert Le Pelletier (tanneur de peaux) est cité en fin de liste, juste après Hubert de Vaunoise, lequel tirait probablement son origine du village situé à quelques lieues de Bellême, au Sud-Ouest. Quant à Hugues du Vieux Bellême, il n’apparaît qu’une seule fois dans le cartulaire de Marmoutier pour le Perche. Le Vicomte du Motey ne le cite pas dans sa liste des seigneurs vassaux de la maison de Bellême au cours de la 2ème moitié du XIème siècle, pas plus que sous Yves de Bellême, évêque de Sées (Origines de la Normandie et du duché d’Alençon, de l’an 850 à l’an 1085). Il en est de même s’agissant d’Hubert de Vaunoise et de Guérin et Hugues de Chalanges.

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Certes, mais essayons de fixer l’époque qui vit s’installer les Bellême dans le castrum du même nom. Nous ferons appel à 2 sources successives : celle du Vicomte du Motey et celle de Gérard Louise. Voici ce qu’a écrit le Vicomte du Motey : « … Au sommet d’un roc de pierre blanche et tendre, formant un mamelon très escarpé au Sud-Ouest de la colline sur laquelle s’étagent les maisons de Bellême, est

encore visible une très vieille chapelle romane. Cette chapelle est le seul reste du château des seigneurs de Bellême. Yves la dédia à Notre-Dame et à tous les saints, et la destina à être sa sépulture familiale. Il était fils de Fulcoin, seigneur de Bellême, lequel avait épousé Rothaïs et mourut jeune, avant 940. Guillaume 1er de Bellême, dit Talvas, fils d’Yves, fit construire une nouvelle forteresse : en ce temps-là, le château d’Yves était déjà appelé Le Vieux, car un château plus vaste, inexpugnable, séparé de la première forteresse par une dépression de la colline, s’élevait sur un point très culminant pour protéger le bourg qui s’était formé autour des oratoires dédiés à saint Sauveur et à saint Pierre. Guillaume Talvas y fonda la collégiale saint Léonard de Bellême. Il trépassa en 1031… » En 1885 déjà, donc avant la parution du livre du Vicomte du Motey qui eut lieu en 1920, le docteur Rousset écrivait : « … Yves s’était fixé fau bord d’une forêt magnifique et c’est sur un rocher que fut fondé Bellême (l’actuel Vieux-Bellême). Or Yves avait une famille, des serviteurs, des fidèles. Le clan devait s’agrandir. Force fut d’aller gîter plus loin. Yves y transporta sa colonie entière. Alors Bellême fut définitivement fondé… »

Quant à Gérard Louise, il nous dit ce qui suit : « … Les premières dates attestées dans le Bellêmois permettent de placer le décès d’Yves 1er l’Ancien (de Bellême) entre 1005 et 1012. Par ailleurs, Avejot, fils d’Yves 1er l’Ancien et neveu de l’évêque Sifroi, succède à son oncle sur le siège épiscopal du Mans entre 998 et 1004. Ces dates se placent à une bonne cinquantaine d’années après l’existence hypothétique d’Yves de Creil et permettent d’envisager la naissance de la Seigneurie de Bellême peu avant l’an mil, plus précisément dans le dernier tiers, voire le dernier quart du Xème siècle. Le lignage de Bellême doit son succès à l’évêque Sifroi dont l’épiscopat se place entre 968-971 et 998-1004. C’est lui qui a vraisemblablement doté Yves l’Ancien, son frère ou beau-frère, de biens venus de l’évêché du Mans. C’est lui qui a transmis le siège épiscopal directement aux Bellême par l’intermédiaire de son neveu Avejot entre 998 et 1004. De plus, Yves 1er l’Ancien possède des biens à la lisière de la forêt de Perseigne, qui appartenaient au comte du Maine Hugues II, confirmant ainsi l’implantation du lignage des Bellême dans le Nord-Est du Maine (le Saosnois ou Sonnois), pour la même époque… » (La Seigneurie de Bellême Xème-XIIème siècles, dévolution des pouvoirs territoriaux et construction d’une seigneurie de frontière aux confins de la Normandie et du Maine à la charnière de l’an mil, de Gérard Louise). Cet auteur suppose donc, dans le dernier quart du Xème siècle, une implantation ancienne des Bellême dans le Maine, voire une politique d’alliance systématique avec de vieilles familles de l’aristocratie mancelle. Et il admet que l’abandon du vieux château de Bellême, par Guillaume

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1er, au profit d’une nouvelle fortification installée sur le point le plus élevé du site actuel, eut lieu vers 1025. Revenons maintenant à notre charte où figure Hugues du Vieux-Bellême. L’appellation de cet Hugues nous indique qu’autour de 1067, il tirait son origine du vieux castrum édifié par Yves 1er l’Ancien. En tant que tel, il ne pouvait descendre (comme nous l’avons déjà envisagé) que d’un compagnon, serviteur, voire d’un parent éloigné de cet Yves qui, rappelons-le, trépassa dans les années 1005-1012, ou de son fils Guillaume 1er Talvas. Or le Vieux Bellême n’était-il pas un bien provenant de l’évêché du Mans, et donné par Sifroi à Yves 1er dans le dernier tiers du Xème siècle ? C’est bien là une conséquence de ce que Gérard Louise nous indique. Mais Vaunoise serait également un bien des Bellême, d’après ce même auteur. Qu’en est-il alors de la provenance de Guérin et Hugues de Chalanges (ou de Chalonges, voire de Calonges), car aucun toponyme situé dans la région de Bellême, tel que Chalanges, Chalonges, ou Calonge, n’est parvenu jusqu’à nous ? Guérin et Hugues seraient-ils venus du Maine ? Il apparaît, d’après Gérard Louise qui a analysé avec précision tous les biens détenus par la famille de Bellême dans les pays suivants : Domfrontais, Seigneurie de Mayenne, pagus de Sées, Corbonnais, Saosnois et Maine, que l’implantation des Bellême en Saosnois est liée aux possessions de l’évêque du Mans, en particulier dans la vallée de l’Huisne, à savoir les châteaux épiscopaux de Duneau et La Ferté-Bernard construits ou remis en état par l’évêque Avejot (de la famille de Bellême). D’après l’auteur, entre 1015 et 1025, dans cette vallée de l’Huisne, la construction d’un castellum à Duneau par l’évêque Avejot provoqua l’intervention du comte du Maine qui s’empara de la fortification et la détruisit : l’évêque se réfugia à Bellême chez son frère Guillaume. Se peut-il alors qu’un des prédécesseurs de Guérin et Hugues de Chalanges ait été mêlé à cette affaire ? Observons en effet la vallée de l’Huisne.

A 9 kilomètres en amont de Duneau, on peut identifier le village de Boesse-le-Sec, et à proximité de ce village le hameau de Chalonges. Guérin et Hugues de Chalanges seraient-ils des descendants d’un homme originaire de ce hameau, homme qui aurait participé à l’élévation du château de Duneau avant de fuir à Bellême pour y rejoindre son évêque, et ce dans les années 1025 ? Or une autre hypothèse, pour peu crédible qu’elle soit, peut s’appuyer cependant sur les faits qui suivent : en l’année 1351, un paroissien de

Montaillé, nommé Guillaume de Challonges, vendait une rente sur ses biens à la Maison-Dieu de Saint-Calais (ville située très au Sud de la vallée de l’Huisne). Or les Challonges sont effectivement un hameau de la commune de Montaillé, cité déjà au cours du XIIIème siècle (apud Chalonge). Dans l’affirmative, 40 à 50 années après la destruction du château de

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Duneau par le comte du Maine, Guérin et Hugues de Chalonges auraient-ils pu porter ce patronyme tout en demeurant dans le Bellêmois ? C’est très probable ! Néanmoins, vérifions si l’hypothèse retenue dans le Premier Livre reste toujours envisageable. 12 - De Guérin de Chalanges et Hugues son frère, originaire du Chalange Comme nous le rappelions ci-dessus, nous avons étudié, dans le Premier Livre, une notice d’acquisition de terres au profit d’un religieux, prévôt du château de Bellême, sur laquelle apparaissent comme premiers témoins « Garinus de Calumniis » et « Hugo » son frère. Cette notice a très probablement été rédigée dans les années 1067. Nous ne reprendrons pas sa description. « Guérin » et « Hugues de Chalanges » furent, à n’en pas douter, des vassaux de la famille de Bellême, du fait que leur patronyme soit apparu en tête de la liste des témoins de la notice d’acquisition de terres par le prévôt de Bellême, cette constatation nous indiquant que leur lignée était de plus haut rang que celles des autres témoins : Hugues du Vieux-Bellême et Hubert de Vaunoise. Ils étaient donc seigneurs (ou barons) relevant du prince de Bellême qui, compte tenu de notre analyse paléographique de cette fameuse notice d’acquêt, était Yves de Bellême, évêque de Sées jusqu’à sa mort en 1070, voire Mabile de Bellême, sa nièce, qui fut assassinée en 1082, mais certainement pas Robert de Bellême, fils de la dite Mabile. Toujours dans le Premier Livre, nous avons noté que les témoins, inscrits sur une autre notice d’acquêt de plusieurs terres et prés à Bellême, achetés à Gaultier Le Roux par Béraud, moine de Bellême, sont Eudes de Saint-Martin, qui possédait un moulin jouxtant ces terres ; Warin de Saint-Martin ; puis Saluste qui est homme de Gautier Le Roux ; Hugues, fils d’Etienne de Courtioux ; enfin Jean et Eudes, domestiques ; la notice étant signée par Eudes, moine. Nous avions aussi avancé l’hypothèse que les deux premiers témoins de cette vente pourraient être des féodaux de la puissante famille de Bellême, dont les terres englobaient celles mises en vente. En effet, nous avons découvert que Geoffroy de Saint-Martin fut vassal du Bellêmois sous Yves, Prince de Bellême et évêque de Sées, tout comme Gaultier (et Guillaume) Le Roux (Origines de la Normandie et du Duché d’Alençon de 850 à 1085, du Vicomte du Motey). Dans ce cas, pourquoi n’en serait-il pas de même s’agissant de « Guérin de Chalanges » et « Hugues », son frère, premiers témoins de la notice d’acquêt de la terre achetée par Béraud à Guérin, frère d’Eudes, autrefois prieur de Saint-Martin-du-Vieux-Bellême ? Mais pour aller plus avant dans notre analyse, il nous faut mieux comprendre l’histoire de la seigneurie de Bellême. 13 - Histoire de la seigneurie de Bellême Installée sur une région de forêts et de collines, la seigneurie de Bellême constituait une bande de terre longue de 120 km. De larges vallées (Sarthe, Huisne, Mayenne) la traversaient du Nord au Sud et constituaient autant d'axes de communication entre la Normandie et la vallée de la Loire. Les seigneurs de Bellême ont tiré parti de cette situation en élevant des châteaux au-dessus de ces couloirs et en percevant taxes et péages sur les marchandises en transit. La seigneurie voisinait de grandes principautés : royaume de France, comté de Blois et de Chartres, duché de Normandie et comté d’Anjou... En conséquence, elle relevait de différents maîtres : son chef devait prêter hommage au duc de Normandie, au comte du Maine (pour le Passais et le Sonnois) mais aussi au roi de France (pour le Bellêmois). Cette position marginale fit la fortune et en même temps la décadence de ce territoire. Les stratégies mises en oeuvre par la maison de Bellême, en particulier l'appropriation et la maîtrise du sol forestier par les châteaux, la combinaison d'alliances matrimoniales traçant des réseaux de part et d'autre de cette barrière, permirent à ses

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seigneurs de construire et de maintenir leur domination sur cet espace convoité mais aussi de façonner un territoire qui finalement tomba dans l'orbite anglo-normande. En résumé, la seigneurie de Bellême est un modèle de seigneurie de frontière que la réassurance du pouvoir des princes au XIIème siècle raya de la carte (source : Wikipédia). Mais revenons pour l’instant à l’époque de Guillaume Talvas.

Nous avions relaté, dans le Premier Livre, que Guillaume, premier prince de Bellême, surnommé Talvas (bouclier), fit construire un nouveau château à Bellême et l’église Saint-Léonard, consacrée entre 1023 et 1026, le château de Domfront et l’église Notre-Dame-sur-l’Eau. Mais l'ancien pays de Sées vit édifier par Guillaume Talvas bien d'autres forteresses entre lesquelles furent réparties, pour en former des châtellenies, une soixantaine de paroisses. Des fiefs y furent créés en vue du service militaire de ces places. A six lieues à l'Est d'Alençon, au Mesle, fut élevé un château destiné à défendre le « pont de bois » qui fut jeté sur la

Sarthe pour unir cette région au Bellêmois. A deux lieues, au Nord-Ouest du Mesle, un autre château s'éleva à Essai sur une colline, un autre domina la butte de Boitron (cette dernière forteresse fut considérablement augmentée par Robert de Bellême). Ces châteaux devaient couvrir la ville épiscopale de Sées, située à moins de deux lieues, qui avait elle-même sa forteresse. Guillaume de Bellême, qui avait à un haut degré le sens de la stratégie défensive, hérité de son père Yves 1er l’Ancien, avait fait, de l'ensemble de ses domaines, un vaste camp retranché. Or ce qui manquait le plus, dans ses châtellenies normandes, c'étaient les Normands. Car il est impossible d'affirmer l'origine normande d'un seul de ses vassaux. Les mêmes familles seigneuriales se retrouvent d'un bout à l'autre de ce que nous serions tenté d'appeler ses états. Elles sont, en grande majorité, d'origine bellêmoise ou mancelle. Cela s'explique aisément : dans le pays de Sées, les massacres des invasions danoises, attestés par saint Adelin, avaient fauché une partie des populations, et en particulier les descendants des leudes mérovingiens et carolingiens. La maison de Bellême les remplaça par des parents, par des amis, par d'anciens vassaux, par des compagnons d'armes. Ce système lui avait permis, malgré les suzerainetés différentes qui s'exerçaient sur ses domaines, d'obtenir, dans les deux cent cinquante paroisses et plus, soumises à son autorité, l'unification nécessaire au commandement (Origines de la Normandie et du Duché d’Alençon de 850 à 1085, du Vicomte du Motey). Cela dit, les ducs de Normandie essayèrent de dominer ce territoire mais les seigneurs de Bellême s'attachèrent à développer une certaine indépendance, au point qu'ils devinrent au XIème et XIIème siècles une menace permanente pour la tranquillité du Sud de la Normandie. Alors que les ducs ont toujours essayé de limiter la puissance de leurs vassaux en leur confiant des domaines dispersés, le territoire de la famille de Bellême était « la seule seigneurie d'un seul tenant qui ait existé en Normandie ». Vers 1050, Guillaume-le-Bâtard, le futur Guillaume-le-Conquérant, parvint à soumettre la région et contraignit son chef, Guillaume II Talvas, à donner en mariage sa fille, unique héritière, à un fidèle du duc de Normandie. Mais le fils issu de cette union, Robert de Bellême, reconstitua le domaine familial. Au début du XIIème siècle, la seigneurie était à son apogée. Environ 40 châteaux la défendaient. Pourtant c'est à cette période que le roi d'Angleterre et duc de Normandie, Henri Ier Beauclerc, réussit à abattre définitivement la dite seigneurie. En 1112, il arrêta Robert de Bellême, reprit Alençon, puis l'année suivante, il mena une coalition qui s'empara de Bellême et des autres places fortes de la

La citadelle de Domfront et l’église Notre-

Dame sur l’Eau

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seigneurie. En 1119, sur la requête de Foulques V, Henri Ier Beauclerc reçut en grâce Guillaume III Talvas, fils de Robert de Bellême, et lui rendit toutes les terres que son père avait possédées en Normandie : toutes, excepté Bellême (source : Wikipédia). Nous affirmions aussi, dans le Premier Livre, que Guérin de Chalanges et Hugues son frère, étant placés en tête des témoins de la charte que nous avons analysée, furent probablement d’un rang plus important que les autres. Pour ce qui concerne particulièrement Hubert de Vaunoise (Hubertus de Valnoisa), il était aussi présent, nous l’avons déjà dit, comme témoin lorsqu’en 1067 Hugues de Rocé confirmait par une charte en faveur de Marmoutiers, à l’occasion de son entrée en religion, ses donations précédentes pour la fondation du prieuré de Saint-Martin du Vieux-Bellême, avec la concession d’Yves de Bellême, seigneur suzerain ; ce qui confirme, au passage, que la charte qui nous intéresse a bien été rédigée avant la fin du XIème siècle, et non au cours du XIIème siècle. Or cet Hubert de Vaunoise fut la souche d’une famille noble, puisqu’en 1185-1190, une charte de Lisiard, évêque de Sées, répartissait les parts (deux pour les religieux et une pour le prêtre), entre les religieux de Bellême et le prêtre desservant de Saint-Martin du Vieux-Bellême avant Nicolas de Vaunoise (Nicholaus de Vaunoise), des oblations qui se font en la dite église (Cartulaire de Marmoutiers pour le Perche), et que plusieurs chartes de ce cartulaire, dont une de 1362, mentionnent les seigneurs de Vaunoise. Nous n’avons par ailleurs retrouvé aucune trace du patronyme d’un autre témoin, Hugues du Vieux-Bellême (Hugo de Veteri Bellissimo), et il en fut de même de celui de Guérin et Hugues de Chalanges (Guarinus et Hugo de Calumniis), probablement parce que les descendants de chacune de ces 2 familles avaient quitté Bellême et sa région quelques années après la rédaction de la charte qui concernait, en tant que témoins, Hugues du Vieux-Bellême ainsi que Guérin et Hugues de Chalanges. 14 - La frontière au Sud-Ouest de la Normandie à l’époque de Guillaume Talvas

Les remparts de Bellême

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Le SONNOIS

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Il est certain que les seigneurs de Bellême ont guerroyé, pendant tout le XIème siècle, avec le Maine et avec la Normandie pour s’agrandir et aussi pour résister à l’invasion. On sait que la famille de Bellême a donné des architectes habiles, particulièrement Robert de Bellême, dit le Diable, auquel Guillaume Le Roux confia la construction de Gisors en Normandie pendant la lutte anglo-française : « … Guillaume le Roux, non content du royaume d'Angleterre, que son père en mourant lui avait laissé en partage, venait d'acheter, de son frère Robert, la Normandie, moyennant dix mille marcs d'argent. Héritier de la politique et des desseins de Guillaume le Conquérant, Guillaume le Roux demanda au roi de France (Philippe 1er) une partie du Vexin français. Il n'attendit pas la réponse, et commença par mettre la main sur les châteaux de la Roche-Guyon, de Véteuil et de Mantes, favorisé qu'il était par leurs châtelains. Sans se laisser enivrer par ce premier succès, ce prince habile, prévoyant les suites que pouvaient amener son agression et les chances ordinaires de la guerre, résolut d'élever, entre le roi de France et lui, une barrière capable de l'arrêter, et de couvrir au besoin la frontière de Normandie. Il confia la défense du pont, et le soin d'y construire une forteresse, à Robert de Belesme, dont les connaissances dans l'art militaire étaient justement célèbres, ingeniosus artifex, comme dit Orderic Vital. Cet habile homme de guerre sentit que Guillaume le Roux étant déjà maître du cours de la Seine et de la route basse de France en Normandie, par la possession de Mantes, de Véteuil et de la Roche-Guyon, qu'appuyait en seconde ligne la place forte de Vernon, il fallait couvrir la route haute, qui de Pontoise conduisait à Rouen par Gisors. Cette dernière ville, assise sur la rivière d'Epte, et faisant pour ainsi dire tête de pont du côté de la France, lui parut donc le véritable point à défendre ; Ad irruendum in Franciam gratum Normannis prœbens accessum, Francis prohibent (dixit Suger)… » (Revue anglo-française, publication sous la direction de M. de la Fontenelle de Vaudoré, 1837) « … Sur le penchant d'une colline, au bas de laquelle serpentent les eaux pures et limpides de la rivière d'Epte, s'élève en amphithéâtre une riante et charmante cité : Gisors, ville au doux climat, aux mœurs patriarcales, à la jeunesse ardente, où l'on pourrait se croire à une distance immense de la capitale, bien qu'elle n'en soit éloignée que de dix-huit lieues. Gisors, matériellement parlant, est surtout remarquable par les admirables ruines de son immense château, dont les contours majestueux dominent la cité et l'enveloppent comme d'une auréole de gloire. Ce fut en l'an 1000, sous le règne du roi Robert, que furent jetées les fondations du château de Gisors qui, 100 ans après, fut considérablement agrandi et fortifié par Guillaume-le-Roux. L'histoire de ce château compte parmi ses événements la réception que Henri 1er, roi d'Angleterre, y fit en 1119, du pape Caliste II. Ce souverain pontife venait pour pacifier deux rois chrétiens et pour obtenir de Henri qu'il rendît à son frère Robert le duché de Normandie, ravi injustement à Robert avec sa liberté… » (Histoire pittoresque et anecdotique des anciens châteaux, demeures féodales, forteresses, citadelles, etc., de M. de Thibiage, 1846) 15 - Les lignes de défense du Sonnois à l’époque des Talvas Ces forteresses (Saint-James, Mortain, Domfront, Sées, Alençon) prouvent que le Sonnois n’existait pas avant le Xème siècle et qu’à cette époque seulement remonte son autonomie, car sans les fortifications élevées par les Talvas, il n’aurait pas pu se fonder, se maintenir et s’agrandir (ce qui fait dire à certains chercheurs contemporains que la lignée des Bellême serait issue du Sonnois). Les seigneurs de Bellême étaient protégés sur les flancs par les possessions de l’Alençonnais et du Bellêmois, en arrière, comme alliés du duc, s’appuyant sur la Normandie. La première ligne d’occupation du Sonnois est représentée par Saint-Paul, Blèves, Maulny, Lurson, Allières, les buttes de la Nue et de Mamers. En avant, Robert éleva Saint-Rémy du Plain, Saône, le mont de la Garde et Perray. A titre d’exemple, le camp retranché de Saône se composait d’une motte en terre, surmontée d’un donjon en pierres aux murs épais de deux mètres, dont l’appareillage très caractéristique nous autorise à dater sa construction du XIème siècle, et permet donc de l’attribuer à Robert de Bellême.

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Lignes de défense du Sonnois face au Sud-Ouest

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16 - La ligne de défense au Sud-Est du pays de Sées à l’époque des Talvas

On voit que le site du Tertre du Chalange (altitude de 200 mètres) est bien placé pour surveiller, à hauteur du Mesnil-Guyon, la pénétrante qui joint Mortagne-au Perche, puis Montchevrel, à la forteresse de Sées ; tout comme le site de Boitron (altitude de 224 mètres) l’est par rapport à la pénétrante qui joint Le Mêlé-sur-Sarthe, puis Saint-Aubin d’Appenai, à la forteresse de Sées ; et enfin le site d’Essey (altitude de 180 mètres) par rapport à la pénétrante qui joint Le Mêlé-sur-Sarthe à

Sées

Masselin d’Essay

Arnoul Corbet de Boitron

Guérin et Hugues de Chalanges

Alain et Hugues de Sainte -Scolasse

Pays de Sées : Les vassaux des Princes de Bellême dans la 2 ème moitié du XIème siècle (en noir)

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la dite forteresse de Sées. Cette étude topographique suppose que les voies d’accès pour atteindre la ville de Sées à partir de Mortagne-au-Perche et du Mêlé-sur-Sarthe furent de tous temps identiques (tant au XIème siècle qu’à notre époque).

N O Ç N E

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Le site où l’ancienne maison forte du Chalange a été édifiée est désigné sur la carte par le toponyme « Le Tertre ». Nous disions, dans le Premier Livre, que pour notre part, il était évident que ce manoir avait été construit à l’emplacement d’un poste de défense élevé à l’époque de Guillaume 1er Talvas, dans les années 1020, en même temps d’ailleurs que la ceinture de forteresses et de forts avancés s’appuyant sur Sées, Bellême, Alençon, Essay et Boitron. Et notre thèse était que Guérin et Hugues de Chalanges, furent probablement les descendants d’une famille qui avait reçu, de Guillaume Talvas, la garde de la maison forte du Chalange, poste avancé de la citadelle de Sées. Ce pouvait être une motte en terre, surmontée d’un donjon en pierres, comme l’étaient les retranchements des lignes de défense du Sonnois.

Le tertre du Chalange, avec son manoir accolé à une tour

Car s’agissant d’Essay, on sait que, dès le XIème siècle, c’était une place forte aux mains des princes de Bellême qui y firent construire l'église Saint-Pierre et la forteresse. Du château, il ne

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reste de nos jours que des débris de murs, une chapelle et quelques remparts. La forteresse a été détruite par les Anglais au cours de la Guerre de Cent Ans. Quant à la place forte de Boitron, il y subsiste encore une tour de facture récente, qu’on peut distinguer au centre de la photo ci-dessous.

Ces rudiments d’archéologie confortent donc notre hypothèse, ayant retrouvé la trace d’Arnoul Corbet de Boitron, vassal des Bellême dans la seconde moitié du XIème siècle (Origines de la Normandie et du duché d’Alençon de l’an 850 à l’an 1085 ; Vicomte du Motey), et celle de Masselin d’Essay, vers 1074, dans une charte qui relate l’arrêt rendu

à la cour de Jean, archevêque de Rouen, en présence de Guillaume (Le Conquérant) roi d’Angleterre, et de Mathilde sa femme, en confirmation des privilèges d’exemption de l’église Saint-Léonard de Bellême, à l’encontre des prétentions de Robert, évêque de Sées : témoins… Mathelinus de Axe (Masselin d’Essay). Essay étant situé près de Sées, Axis ou Axeium est bien le nom de ce lieu à cette époque (Cartulaire de Marmoutiers pour le Perche). Pour rendre encore plus crédible cette hypothèse, on citera cet extrait du Vicomte du Motey,

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dans « Origines de la Normandie et du Duché d’Alençon de 850 à 1085 » : « … Mancicas, vassal de Guillaume Talvas, fit alors bâtir (au début du XIème siècle), près de la motte sur laquelle s'élevait son manoir, et dont le nom d'une rue (d’Alençon) conservera longtemps le souvenir (il s’agit de la rue Etoupée, dont le nom primitif fut la rue de la Motte), une église dédiée à Notre-Dame… » Il est vrai que Le Chalange fut une seigneurie, au moins au XVIIIème siècle (voir les 3 extraits ci-dessous) : « … La terre et seigneurie de la Boullaye, située au Chalenge et s’étendant en Montchevrel et autres paroisses… » (Bulletin de la société historique et archéologique de l’Orne, 1909). « … Seigneur honoraire de Sainte-Scolasse et du Chalenge (fin du XVIIIème siècle)… » (Annuaire des cinq départements de la Normandie, de l’Association normande, 1895). « … contrat passé au Mans en 1587 : Philibert de Barville, écuyer, sieur de la Mauguinière, garde du corps du roi, demeurant habituellement au Chalenge (paroisse du Chalenge)… » (Bulletin de la société historique et archéologique de l’Orne, 1903). Dans ce cas, la tour qui est accolée au manoir situé sur le tertre du Chalange est-elle un ancien donjon ou un colombier ? On sait que l’architecture carrée des donjons sera abandonnée au cours du XIIème siècle, au profit de constructions à plan hexagonal, octogonal ou cylindrique. A titre d’exemple, au « … Château du Puiset… Le donjon est une tour hexagone d’un diamètre considérable… Louis-le-Gros (1108-1137), qui passa presque toute sa vie à guerroyer contre les seigneurs turbulens et indisciplinables, après s’être rendu maître du Château de Montlhéry, assiégea celui du Puiset… » (Mémoires, publié en 1823 par la Société des ingénieurs civils de France). On remarquera aussi que, s’agissant des communes, « … Il y en avait où les pigeons s’étaient tellement multipliés que dans une seule paroisse on trouvait quatre colombiers établis. Tel était le cas de la paroisse de Chalange en Normandie… » (La France économique & sociale à la veille de la révolution, de Maksim Maksimovich Kovalevskii, 1909). Mais un colombier ne pouvait être attenant à une maison d’habitation, donc la tour accolée au manoir du Chalange fut probablement un ancien donjon hexagonal. Pour autant, ce manoir fut-il une sergenterie ? Qu’est-ce qu’une sergenterie ? « … On donnait en Normandie ce nom à des fiefs nobles patrimoniaux et héréditaires qui passaient aux filles comme aux fils, dont l’exercice pouvait être affermé, et dont les propriétaires, soit hommes, soit femmes, devaient foi et hommage. La création des sergenteries était aussi ancienne que celle des autres fiefs dans cette province. C’était la récompense militaire, praediae militaria, des premiers guerriers qui avaient conquis la Normandie. Leurs anciennes fonctions étaient de rétablir, par la force des armes, le droit de justice dans toute sa splendeur ; c’est pourquoi ils étaient nommés sergents nobles du plaid de l’épée ou sergent de la querelle. Les privilèges des sergents nobles consistaient dans le droit d’assister, de donner leur avis et d’avoir une place honorable aux séances de l’Echiquier, qu’eux seuls pouvaient semoncer ou convoquer. Ils jugeaient provisoirement dans les affaires ordinaires, recevaient les plaintes, faisaient les informations, citaient et ajournaient les parties devant le duc ou la cour de l’Echiquier… » (France, dictionnaire encyclopédique, de Philippe Le Bas, 1845). S’agissant de « … La chastellenie d’Essey. Il n’y avoit originairement qu’une sergenterie du plaid de l’épée, qui fut inféodée le 20 juillet 1454, par Jean II, duc d’Alençon. Elle a été depuis divisée en quatre branches, dont la branche d’Essey, qui comprenoit Essey, Boitron… la

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branche de Sées, la branche de Courtomer et la branche du Mesle-sur-Sarthe… Quant à la Chastellenie de Saint-Scolasse, on ignore absolument le temps où les juridictions cessèrent d’y exister. Il y a bien de l’apparence que ce fut sous Pierre II (d’Alençon). Ce prince ayant fait rétablir le château d’Essey, voulut, suivant l’usage de ce temps-là, y attacher de nouveaux vassaux pour le défendre. On sait qu’il y attacha ceux du domaine de Graville (peut-être les Malet), dont une porcion de la sergenterie d’Almenèche, branche de Mortée, anciennement de la chastellenie de Sainte-Scolasse, faisoit partie. Il y a tout lieu de conjecturer que le même prince y attacha le surplus des vassaux de la chastellenie de Sainte-Scolasse, dont le château estoit détruit depuis longtemps. La chastellenie de Sainte-Scolasse contenoit anciennement trois sergenteries du plaid de l’épée, inféodée en différents temps. Plusieurs ont été divisées depuis. Celle, appelée de Sainte-Scolasse, fut inféodée vers 1404, & a été divisée depuis en deux branches : branche de Sainte-Scolasse, comprenant Sainte-Scolasse, Bures, Le Chalange, Mont-Chevrel ; et la branche du Mesle-Rault… » (Mémoires historiques sur la ville d’Alençon et sur ses seigneuries, de Pierre Josepeh Odolant Desnos, 1787). En lisant attentivement ces textes, on s’aperçoit que le manoir du Chalange n’a jamais été une sergenterie. En fait, les points d’appuis militaires cités dans les textes sont uniquement Essey et Boitron (lire les 3 extraits ci-après) : « … 1449 - Le duc (d’Alençon) et comte Jean II (du Perche) avait, à la tête de plusieurs hommes d’armes, reprit le château d’Essey et le fort de Boitron sur la garnison anglaise… » (Antiquités et chroniques percheronnes, de Louis Joseph Fret, 1838). « … Un lignage d’Essay apparaît dans le dernier quart du XIème siècle : Maschelinus de Auxe est cité vers 1074 (Orderic Vital) et en 1092 (cartulaire de Marmoutiers pour le Perche). Guarinus de Esseio, à la fin du XIème siècle ou au début du XIIème (1er cartulaire de Saint-Vincent du Mans)… » (Les seigneurs de Bellême, Xème-XIIème siècles, de Gérard Louise, 1993). « … Un Raoul prepositus de Boitron est connu par le cartulaire Saint-Martin de Sées dans les années 1080-1094. Vers les mêmes dates, Jean Burnet donne ce qu’il possède sur l’église et le moulin de Boitron à l’abbaye. Roger II de Montgommery confirme la donation avec ses fils, Hugues et Arnoul… » (Les seigneurs de Bellême, Xème-XIIème siècles, de Gérard Louise, 1993). Quant à la seigneurie de Sainte-Scolasse, le duc Richard II la donna à Richard de Sainte-Scolasse, puis elle releva de la dot de Mabile, épouse du frère utérin de Guillaume-Le-Conquérant (conformément aux 2 extraits ci-dessous) : « Le duc Richard II mit tous ses soins à organiser la frontière du Sud…. Il fit construire les châteaux de Moulins-La-Marche et de Sainte-Scolasse… Un vassal de Moulins, Herbert de Mélicourt, entouré de seigneurs d’origine française, revendique soigneusement sa qualité de Normand. On ne peut contester celle du guerrier Richard, qui reçut Sainte-Scolasse dont il construisit le château. Cette châtellenie et celle de Moulins étaient limitrophes des possessions de Bellême… Hugues, fils de Richard de Sainte-Scolasse, et Alain de Sainte-Scolasse vivaient en 1089… » (L’origine du duché d’Alençon, Vicomte du Motey, 1920). « … les 4 filles de Roger (de Montgommery) et de Mabile (de Bellême) furent… dont Mathilde, épouse de Robert, comte de Mortain, frère utérin de Guillaume-Le-Conquérant, qui reçut en dot la seigneurie de Sainte-Scolasse, où son mari fonda un prieuré… » (Antiquités et chroniques percheronnes, de L. Joseph Fret, 1838). Effectivement, d’après Gérard Louise, vers le Nord-Est du pagus, l’influence des Bellême fut inexistante au-delà de Courtomer et Sainte-Scolasse-sur-Sarthe. Car « … Le pouvoir ducal a su

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imposer ou récupérer un droit de garde à l’intérieur des châteaux de la Seigneurie de Bellême pendant la période 1050-1087, toute la période qui va de la fin du Xème au début du XIIème siècle montre un phénomène essentiel, celui de privatisation des châteaux… Cependant, il y a deux âges dans le type de fortifications utilisées par les Bellême pour implanter leur pouvoir au sol. Le premier âge doit correspondre à la première Seigneurie de Bellême, avant 1050 : les fortifications gardent un aspect traditionnel ou perpétuent des structures archaïques : enceintes, éperons barrés, sites de marécage. Cette première seigneurie a probablement récupéré, réutilisé des forteresses anciennes… Le deuxième âge correspond à l’implantation de mottes castrales dans la deuxième moitié du XIème siècle… » (Les seigneurs de Bellême, Xème-XIIème siècles, de Gérard Louise, 1993). A titre d’exemple d’un château édifié dans un site marécageux, « … En 1838, J.F. Galeron indique que le vieux château de Sainte-Scolasse était situé au centre de marais et vallon, défendu par d’énormes redoutes de terres, du côté le plus accessible, et que sa masse ronde était couverte de constructions. Le site était probablement installé dans la vallée marécageuse du ruisseau des Petits-Touvois, affluent de la Sarthe en rive droite, et à faible distance du bourg… Alannus de Sancta Scolassa et Hugo, fils de Ricardi de Sancta Scolassa sont signalés dans l’entourage de Robert II de Bellême, à la fin du XIème siècle, par le cartulaire de Saint-Martin de Sées… » (Les seigneuries de Bellême ; Xème - XIIème siècles, de Gérard Louise, 1993). Toujours d’après Gérard Louise, s’agissant du Vieux-Château de Bellême, il est cité pour la première fois dans un acte faux du cartulaire de Vierzon, daté de 991 : ce document indique qu’un personnage est venu de Belesma castro. Le site fut abandonné dans le premier tiers du XIème siècle, puisque Guillaume 1er de Bellême cèda à l’église Notre-Dame de Bellême la terre qui jouxtait le vieux château (terramque que adjacet veteri castro de Belismo) peu de temps après le décès de son père, Yves 1er l’Ancien, soit entre 1005-1012 et 1035. La question qu’on doit maintenant se poser est alors la suivante : après avoir défendu les accès du Chalange, après s’être installé à Bellême, quand, certains membres de la famille « de Chalanges » (de Calumniis), ont-ils quitté le pays bellêmois pour venir s’installer à Sées ? Probablement en 1119, lorsque Guillaume III Talvas recouvra les possessions de son père, excepté la forteresse de Bellême ! 17 - Une terre ayant fait l’objet d’un litige, telle est l’origine de la paroisse du Chalange

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Notre thèse explicitée et construite tant au début qu’à la fin de cette saga est que Guarinus et Hugo de Calumniis, demeurant à Bellême dans les années post-1067 et ante-1119, étaient originaires des « Chalanges », terres ayant fait l’objet de litiges, à savoir l’actuelle commune du Chalange dans le département de l’Orne, et que les prédécesseurs de ces « de Calumniis » durent y élever dans les années 1020, sur le tertre de la dite paroisse, une maison forte, sorte de poste avancé aux profit de Guillaume Talvas, afin d’éclairer la cité de Sées face au Sud-Est. Or le terroir en question se nommait très certainement « Chalonge », au temps où la langue romane rustique était parlée en Gaule (voir les explications dans le Premier Livre). On peut donc se demander à juste titre entre quels justiciables cette terre a pu faire l’objet de litiges, s’agissant de son appropriation, et aussi quand fut élevée l’église du Chalange. Ces justiciables étaient-ils les habitants d’un des villages voisins : Gaprée, Courtomer, Le Mesnil-Guyon, Saint-Germain-le-Vieux, Le Plantis, Sainte-Scolasse-sur-Sarthe, Planche ou Montchevrel ? Pour répondre à cette question, il nous faut analyser les terroirs de cette région, qui ont pu exister avant et après les invasions normandes. Quand, en 854, Charles-le-Chauve eut prescrit une enquête pour faire l’état de son royaume, l’évêque de Sées, Hildebrandt, reçut deux commissions de « missi » (envoyés extraordinaires du roi). Or quelle était la configuration générale du pays de Sées qu’ils découvrirent ? Dans les intervalles des massifs forestiers, dans les clairières, existaient un certain nombre de paroisses lentement formées, depuis le Vème siècle, autour des possessions épiscopales, des villas des leudes, et des oratoires, construits au VIème siècle, par des cénobites. Sauf quelques bourgades, les agglomérations de la population clairsemée étaient rares. L'église rurale, construite en clayonnage sur une base de pierre, apparaissait, avec son presbytère, isolée au sommet d'un coteau ou au fond d'un vallon. Si les « missi » de Charle-le-Chauve parcoururent l'Est du pays de Sées, ils y trouvèrent d'anciennes paroisses comme Courtomer, Saint-Lhomer, Sainte-Scolasse, Gaprée et Planches (Origines de la Normandie et du Duché d’Alençon de 850 à 1085, du Vicomte du Motey). Mais Le Chalange existait-il en tant que paroisse à cette époque ? Certes, si, vers 1067, Guarinus fut désigné sous le patronyme de Calumniis, c’est relativement à ce fameux poste avancé que nous venons de présenter, lequel fut construit sur le Tertre actuel du Chalange par les ancêtres de Guérin, probablement dans les années 1020. Observons avec attention ce patronyme, il s’écrit au pluriel, signifiant « les Chalanges » (ou « terrae de Calumniis » ; voir l’exemple décrit dans le Premier Livre), en tant que terres ayant fait l’objet de litiges dans le passé, et non une quelconque paroisse. C’est donc après la construction de ce poste avancé que la paroisse du Chalange s’est peut-être peu à peu constituée, prenant le nom de ces terres litigieuses, mais au singulier. Véronique Gazeau nous indique que les dîmes de cette église (et d’autres) furent attribuées à l’Abbaye de Grestain à l’époque des ducs de Normandie (Normannia monastica : Princes normands et bénédictins ; Xème-XIIème siècle). D’ailleurs il en sera de même au XIVème siècle, car si, sur le Pouillé du diocèse de Sées, établi en l’année 1373 et conservé aux Archives Nationales, la paroisse du Chalenge (Chalengeyum) était quitte de 52 sols et 6 deniers tournois pour l’année LXXI et de 52 sols et 6 deniers tournois pour l’année LXXII, sur le Pouillé de 1335, elle était rattachée à l’Abbaye de Grestain (abbas et conventus de grestano). Cette abbaye était bénédictine et de la même congrégation que celle de l’Abbaye Saint-Martin de Sées, puisque Foulque, un des religieux de Saint-Martin, devint abbé de Grestain dans les années 1110. On sait que le feu détruisit le monastère sous son abbatiat et que la charité des princes, des seigneurs et des fidèles ne tarda pas à réparer ce désastre. Comme l’Abbaye de Grestain avait été fondée vers 1050 par Hellouin de Conteville qui épousa Arlette, mère de Guillaume-le-Bâtard, après la mort du duc Robert en 1035, le patronage de l’église Saint-Jean-Baptiste du Chalange, par la dite abbaye, fut probablement une donation du chapitre de Sées, suite à l’incendie qui détruisit l’abbaye en 1124, voire avant, puisque Véronique Gazeau indique que l’Abbaye de Grestain était pourvue de biens situés non seulement dans ses environs, mais

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encore dans le Bessin et dans la partie occidentale du Cotentin, sans oublier des parts d’église situées dans l’actuel département de l’Orne, des dîmes et des terres dans le pays de Caux et dans la moyenne vallée de la Dives (Normannia monastica : Princes normands et abbés bénédictins - Xème-XIIème siècle, de Véronique Gazeau). Il faut peut-être voir là, s’agissant particulièrement des parts d’église situées dans l’actuel département de l’Orne, une usurpation des biens ecclésiastiques de l’épiscopium de Sées par Guillaume 1er Talvas, épiscopium dont il faut sans doute rattacher les débris du monastère Saint-Martin de Sées (Sées était peut-être, dès l’époque carolingienne, un monastère épiscopal, comme le fut à Rouen le patrimoine de la cathédrale et celui de Saint-Ouen). Cette usurpation est confirmée par une charte de restauration du chapitre cathédral de Sées vers 1025, par laquelle Guillaume 1er de Bellême octroie trois domaines avec leurs dépendances en prébende aux chanoines qu’il a placés auprès de la cathédrale de Sées (La seigneurie de Bellême ; Xème-XIIème siècles, dévolution des pouvoirs territoriaux et construction d’une seigneurie de frontière aux confins de la Normandie et du Maine à la charnière de l’an mil, de Gérard Louise). Il paraît donc envisageable que les « terrae de Calumniis » aient pu être attribuées par Guillaume 1er de Bellême, vers 1025, au chapitre de Sées qui venait d’être remis sur pied. Par la suite, l’église du Chalange fut probablement l’objet de litiges avec l’Abbaye Saint-Martin de Sées, raison pour laquelle sa dîme fut peut-être attribuée à l’Abbaye de Grestain. Rappelons que l’Abbaye Saint-Martin de Sées, fondée dans les années 550, puis détruite pendant les invasions danoises et norvégiennes des VIIIème et IVème siècles, ne fut reconstruite qu’en 1060, sous l’impulsion de Mabile de Bellême. On peut donc avancer l’hypothèse que les « terrae de Calumniis » furent, au moins dès le début du XIème siècle, des terres en litiges, peut-être entre les anciennes paroisses avoisinantes, lesquelles retrouvèrent une partie de leurs habitants après les dévastations engendrées par les hommes du Nord, mais plus sûrement entre le chapitre cathédral de Sées et l’Abbaye Saint-Martin de cette cité, avant que les raids des pirates normands ne viennent dévaster non seulement la cathédrale et son chapitre, mais aussi l’Abbaye Saint-Martin de Sées. On notera également que la thèse du dépeuplement consécutif aux invasions danoises est actuellement battue en brèche, notamment par Mathieu Arnoux et Christophe Maneuvrier. Nous les citons : « La dévastation et le dépeuplement des campagnes normandes au moment où Rollon s’installe à Rouen relèvent vraisemblablement d’un mythe historiographique créé par Dudon de Saint-Quentin pour servir l’histoire de la jeune dynastie normande. Tout, au contraire, laisse croire que les structures rurales n’ont pas été profondément transformées par les changements politiques des IXème et Xème siècles. La présence de fortes densités de population, le maintien du réseau urbain plaident par exemple en faveur d’une certaine continuité du peuplement, ce qui n’interdit pas l’existence de fortes nuances régionales (Le pays normand : Paysages et peuplement du IXème au XIIIème siècles ; Mathieu Arnoux et Christophe Maneuvrier). » Cette absence relative de dépeuplement confirmant notre hypothèse précédente, les « terrae de Calumniis », dont nous avons examiné l’apparition dans ce dernier paragraphe, ont certainement fait l’objet de litiges bien avant l’arrivée des pirates danois et norvégiens, à savoir au temps où la romane rustique était encore parlée en Neustrie du Nord-Ouest. Ainsi se termine notre incursion dans le pays de Sées, car nous venons de découvrir une charte qui remet fondamentalement en cause la thèse que nous venons de longuement présenter, s’agissant de l’origine de Guarinus et Hugo de Calumniis, origine qui ne peut être en aucun cas au Chalange. Mais avant d’abandonner au néant nos supputations qui s’avèrent vaines, laissons-nous bercer par quelques strophes d’un beau poème tiré du recueil de poésies « Plaine d’Alençon et du Mesle-sur-Sarthe », de Ch. Du Hays :

Le pays dont je cherche à faire la peinture Tient son nom d'un gros bourg sur la Sarthe bâti ; Cette rivière y ferme une large coupure,

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Quatre moindres cours d'eau viennent s'y engloutir. Ces rivières au Sud : l'Erine, la Pervenche, Avec leurs affluents, nées des mêmes coteaux ; Au Nord, c'est la Vesone, et plus loin c'est la Tanche Grossies toutes les deux de dix petits ruisseaux. Le Bassin de la Sarthe a six lieues d'étendue Du levant à Longpont, à Saint-Paul, au couchant ; Du Chalenge aux Aulneaux, dirigez votre vue (le Nord et le Midi), vous mesurez autant. Cet espace formule à peu près un losange, Par de hardis coteaux nettement limité ; Le centre est pittoresque, à tous les pas il change, Chaque colline semble y danser un ballet. Parcourez les coteaux qui servent de ceinture, Au Nord : Bure, Laleu, Montchevrel et Vaudon ; A l'Ouest Essay, Boitron (une large coupure Laisse tout entrevoir la Plaine d'Alençon) ; A l'Est : Saint-Quentin, Coulimer, Mesnière ; La forêt de Perseigne, ornement du Midi, Prolongeant les coteaux de Louze et Pervenchères, L'horizon sous vos yeux va s'ouvrir agrandi.

18 - Guarinus et Hugo de Calumniis, originaires des Challonges, entre Ecorpain et Montaillé Tout récemment, nous avons eu la chance de découvrir une charte inédite qui a fait l’objet d’une étude en Angleterre, il s’agit de donations faites à l’Abbaye de Grestain en l’année 1082. En voici un large extrait : « … N°158. Grestain, abbey of Notre-Dame, Autumn 10 82 : A record that the abbey of Grestain had been founded by Herluin (de Conteville) in the year 1050 for the souls of his relatives, and which duke William's agreement. William himself gave the manor of Penton Grafton (Hants) with whatever belonged to him throughout Grestain's holdings on anything transported in both England and Normandy, in the same manner as Saint-Etienne of Caen held what the king had given it, and an entire villein at Conteville, who actually resided at Folamara. He also gave all customs relating to tolls and carriage which belonged to him throughout Grestain’s holdings on anything transported in both England and Normandy, in the same manner as Saint-Etienne of Caen held its holdings. Herluin himself gave thirty acres of land, and the bordars and fishermen he had at Grestain; the wood of Normare near the abbey; part of another wood at Mont-Saint-Georges; seven measures of grain from the mills of Sainte-Mère-Eglise; two villeins at Boulleville; the land of one plough, a horseman, a villein and three bordars at Tilly-sur-Seulles; thirty acres and a half of the church at Saint-Scolasse-sur-Sarthe, with the third sheaf belonging to this half; half of the church of Saint-Aubin at Bures, with the third sheaf and the burial dues which belong to it; with the agreement of Richard de Sainte-Scolasse and of king William; all the church at La Chalange, with the third sheaf of tithe belonging to it; one hundred acres of land which William son of Maingot held in the same will; all the tithe of these one hundred acres; all the tithe of the land of Warin son of Arnulf in the same will; all the tithe of the land of Thurstan Trenelinus in the same will; these (i.e. all the grants at La Chalange) were Tancuard's land and were given with the agreement of earl Roger de Montgommery... Calumnia (La Chalange)… »

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Notes : the contents of this previously unknown charter haves been discussed at length between Bates and Gazeau (1990). (Regesta Regum Anglo-Normannorum the Acta of William I, 1066-1087, de David Bates, 1998). Comme cette charte est essentielle pour ce qui nous concerne, en voici donc une traduction aussi fidèle que possible : « … Un acte concernant l’Abbaye de Grestain qui a été fondée par Herlouin de Conteville en l’an 1050 pour l’âme de ses parents, avec l’agrément du duc Guillaume (Le Conquérant). Guillaume lui-même donna le manoir de Penton Graston (Hampshire) avec ce qui lui appartenait des exploitations de Grestain sur toutes les choses transportées tant en Angleterre qu’en Normandie, comme Saint-Etienne de Caen tenait ce que le roi lui avait donné, et un vilain à Conteville, qui réside actuellement à Folamara. Il donna aussi toutes les coutumes ayant trait aux péages et transports tant en Angleterre qu’en Normandie, de la même manière que Saint-Etienne de Caen tenait ses exploitations. Herlouin lui-même donna trente acres de terre, les bordiers (vilains attachés à des tâches subalternes) et les pêcheurs qu’il avait à Grestain, le bois de Noremare près de l’abbaye, une partie d’un autre bois à Mont-Saint-Georges, sept mesures de grain provenant des moulins de Saint-Mère-Eglise ; deux vilains à Boulleville, une charruée de terre, un cavalier, un vilain et trois bordiers à Tilly-sur Seulles, trente acres et la moitié de l’église de Sainte-Scolasse-sur-Sarthe, avec le tiers de la dîme appartenant à cette moitié ; une moitié de l’église de Saint-Aubin à Bures, avec le tiers de la dîme et les droits d’enterrement qui lui appartiennent ; avec l’agrément de Richard de Sainte-Scolasse et du roi Guillaume ; toute l’église de La Chalange, avec le tiers de la dîme lui appartenant ; cent acres de terre que Guillaume, fils de Maingot, tenait dans le même testament ; toute la dîme de ces cent acres, toute la dîme de la terre de Guérin, fils d’Arnulphe, dans le même testament ; toute la dîme de la terre de Thurstan Trenilus dans le même testament ; celles-ci (c’est-à-dire toutes les cessions de La Chalange) étaient des terres de Tancuard et furent données avec l’agrément du comte Roger de Montgommery… » Le texte dit que la moitié de l’église de Sainte-Scolasse, la moitié de l’église de Bures et la totalité de l’église de La Chalange furent données par Herlouin de Conteville à l’Abbaye de Grestain, avec l’agrément de Richard de Sainte-Scolasse et du roi Guillaume pour les 2 premières églises citées, et celui de Roger de Montgommery pour l’église de La Chalange. Donc en 1082, La Chalange (église et terres) était une possession de la famille de Bellême. Par ailleurs, des terres de La Chalange - celles de Maingot, Guérin et Thurstan Trenilus - qui appartenaient à Tancuard, furent également données à l’Abbaye de Grestain. Quand Roger II de Montgommery reçut-il ce terroir du duc de Normandie ? Un élément de réponse est présenté ci-après : « … Au haut Moyen-Age, le Hiémois (dont le nom vient de sa capitale Uxuma, Exmes) est un pagus, c'est-à-dire une région placée sous le commandement d'un comte. On lui connaît 4 ou 5 subdivisions : la centena Noviacensis, autour de Neuvy-au-Houlme ; la centena Saginsis, autour de Sées et d’Exmes ; la centena Alancioninsis, autour d'Alençon ; et la centena Corbonensis, autour de Corbon, dans le Perche, base du futur comté du Perche. L'historien Lucien Musset pense qu'au IXème siècle, le comté d'Hiémois revêt une assez grande importance pour le roi carolingien puisqu'il joue probablement le rôle de marche face au royaume breton d'Erispoë et face aux Vikings débarqués sur la côte. Afin de resserrer l'encadrement administratif et militaire, certaines parties de l'Hiémois sont érigées en pagus entre 802 et 853 : la centena Saginsis et la centena Corbonensis. S’agissant de son intégration au duché de Normandie, Lucien Musset estime que c'est en 924 que la région passe sous le contrôle de Rollon, premier duc de Normandie. Sous ses successeurs, le Hiémois n'a plus la grande étendue qu'il avait à l'époque carolingienne (le Perche n'en fait plus partie). Il s'intercale

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entre les comtés de Mortain et d'Evreux. Selon Guillaume de Jumièges, en 1026, le duc de Normandie Richard II confie sur son lit de mort le comté d'Hiémois à son deuxième fils Robert (le futur Robert le Magnifique). Celui-ci devient duc à son tour en 1027 et donne l'Hiémois à un de ses plus proches compagnons Roger Ier de Montgommery. Les chartes de l'époque révèlent toutefois que le nouveau titulaire n'a pas rang de comte mais de vicomte, un titre confirmé pour les successeurs de Roger : Turstin Goz (vers 1035-vers 1043), Roger II de Montgommery, Robert II de Bellême (1107-1112)… » (source : Wikipédia). Cela dit, quelles pouvaient être les origines de Maingot, Guérin, Thurstan et Tancuard ? Si Guérin est un nom d’origine neustrienne, Maingot ne l’est pas : Maingot, ou Manegot, est un nom d’origine saxonne : « … Earl Roger de Montgomery, Earl of Arundel and Shrewbury ; one of the chief counsellors of William The Conqueror, to whom, as reward, Chichester and Arundel castles, and the earldom of Shrewburry, were given to him. He had land in twelve counties... Saxon possessors of land, in the time of King Edward the confessor… Manegot… Hugh, the son of Constance, holds of Hugh (de Grentemaisnil), 1 virgate of land in Lochesley (Loxley). The arable employs half a plough. There is 1 villein. It was and is worth 5s(hillings). Manegot held his freely… » (Domesday book, for the county of Warwick, tr. by W. Reader, 1835). Il est vrai qu’une colonie saxonne s’était installée dans la région de Sées depuis le IIIème siècle. Quant à Thurstan ou Turstin, c’est un nom d’origine normande et scandinave (voir les 2 extraits ci-dessous) : « … L’Eglise finit par l’accepter, après avoir suggéré de suivre l’exemple de Rollon (Hrôlfr) devenu Robert à son baptême : on eut ainsi des Turstin, alias Richard, Stigand alias Odon ou Ospac alias Robert. La colonisation rurale est encore plus difficile à étudier… C’est ce qu’illustre l’histoire des Goz : leur première assiette territoriale est à Toutainville, près de Pont-Audemer ; puis ils s’établirent en Bessin, près de Creuilly, dont un de leurs rameaux eut la seigneurie ; la faveur de Richard II valut vers 1020 à Turstin Goz d’être vicomte d’Hiémois… » (Histoire de la Normandie, de Michel de Boüard, 1970). « … Turstin Goz, fils d’Onfroy, et Le Danois, vicomte d’Argentan et gouverneur de Falaise, se liguèrent avec le roi de France contre le duc de Normandie, et lui promirent de lui livrer Falaise (1045)… Herluin, mari d’Arlette, mère du duc Guillaume, saisi d’une partie des biens confisqués sur Turstin Goz… » (Histoire du duché de Normandie, de Ignace-Joseph-Casimir Goube, 1815). Pour terminer la revue des noms apparaissant dans cette charte de 1082, relativement à l’église et aux terres situées à La Chalange, citons Tancuard qui est aussi un nom d’origine saxonne : « … Henri l’Oiseleur, duc de Saxe, né en 875, empereur en 919, mort 936… Ses enfants : Tancard, tué à Mersbourg en 939… » (Irish Names and Surnames, de Partick Woulfe, 1993) ; « … Tankard, tancard ; son of Tancred, (a Norman personal name, Teutonic Tancrad, early corrupted to Tancard and Tankard… » (Mémoires de la Société d’archéologie de la Manche, publié en 1884) ; « … Ward entra dans la composition d’un grand nombre de mots : Edward, heureux gardien ; Sigward, gardien victorieux ; Tancard, Tancuard ou Tancward, gardien reconnaissant (on retrouve le thank anglais, qui provient probablement du saxon - dank en Allemand)… » (Œuvres complètes de Voltaire, 1860). Il faut donc nous rendre à l’évidence. En 1082, l’actuelle paroisse du Chalange dans l’Orne se nommait déjà La Chalange, ou Calumnia en latin (et non Les Chalanges), et certaines des

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terres de cette paroisse, faisant partie du Hiémois, appartenaient, depuis la mort de Turstin Goz vers 1043, à Roger II de Montgommery, elles avaient été remises à Tancuard, d’origine saxonne, donc issu des Saxons implantés dans la région de Sées depuis des générations. Par conséquent il est impossible que Guarinus et Hugo de Calumniis, vers 1067, soit environ 25 années auparavant, puissent provenir de La Chalange. On remarquera que La Chalange relevait de Roger de Montgommery, en limite du Hiémois, alors que Sainte-Scolasse, dépendant du duché de Normandie, appartenait à Richard de Sainte-Scolasse. Voilà une constation qui pourrait expliquer la raison pour laquelle cette paroisse ait été soumise à des litiges entre les 2 parties, peut-être depuis Turstin Goz, vicomte du Hiémois, d’où son appellation de La Chalange, appellation qui entraîna pus tard la donation de l’église entière à l’Abbaye de Grestain, pour éviter toute contestation ultérieure Alors, d’où provenaient Guérin et Hugues de Chalanges ? Le Vicomte du Motey affirme que les vassaux et fidèles des premiers princes de Bellême provenaient du Bellêmois, ou étaient d’origines mancelles. Quant à Gérard Louise, il écrit que « … Les Bellême avaient assurément un prévôt à Bellême, mais sa fonction était sans doute administrative et subalterne… Le château de Bellême a été sans doute peuplé de milites castri, chargés de la défense, qui furent dotés de biens fonciers à faible distance de la forteresse. Vers 1100, on trouve ainsi un Geoffroy, fils de Lambert de Bréviart qualifié de miles de Belismo. D’autres lignages proches apparaissent dans l’entourage des Bellême : ceux de Rocé, Clinchamp, Vaunoise, Montgaudry, Eperrais… Les garnisons ducales à l’intérieur des châteaux de la Seigneurie de Bellême, sous le règne de Guillaume de Normandie, ont sans doute été installées après la conquête de 1049 à Alençon… » (Les seigneurs de Bellême, Xème-XIIème siècles, de Gérard Louise, 1993). Ainsi avons-nous trouvé quelques-uns des fidèles de la famille de Bellême, à savoir Yves et Eudes de Clinchamp, Hugues de Rocé et Hervé de Breviard dans une charte d’Yves de Bellême, évêque de Séez, par laquelle il confirme une donation à l’Abbaye Saint-Vincent du Mans : « … Confirmation par Yves, évêque de Séez, des dons faits par diverses personnes à l’Abbaye Saint-Vincent du Mans (1035-1070)… Signum Yvonis de Clino Campo, signum Odonis de Clino Campo, Guillelmi vicarii, Hugonis de Rocet, Hervei de Bremart (ou de Breviard)… » (Histoire de l'église du Mans, de Paul Léon Piolin, 1856). D’ailleurs Hugues de Rocé et Hervé de Bréviard étaient parents, comme on peut le constater dans les 2 textes qui suivent concernant la fondation du Prieuré de Saint-Martin-du-Vieux-Bellême : « … Il y eut néanmoins une difficulté là-dessus, parce que Hugues de Rocet avoit fait un pacte avec Hervé de Bréviard, son parent, que celui qui mouroit le premier des deux feroit héritier de ses biens celui qui survivroit à l’autre, Mais Eudes et Bérald, religieux de Marmoutier, entre les mains desquels il avoit fait cette donation, firent désister ce seigneur en lui donnant… » (Mémoires de la Société archéologique de Touraine, de la Société archéologique de Touraine, 1874). « … Charte notice de la confirmation, en faveur de Marmoutier, par Hugues de Rocé, à l’occasion de son entrée en religion, de ses donations précédentes pour la fondation du prieuré de Saint-Martin-du-Vieux-Bellême, avec la concession d’Yves de Bellême, évêque de Sées, seigneur suzerain - et de l’accord intervenu avec Hervé de Bréviard, parent dudit Hugues de Rocé, qui prétendait avoir droit, en vertu d’un contrat précédent, d’hériter de tous les biens du susdit Hugues… cum testibus pluribus aliis, nominibus his :… Huberto de Valnoisa… » (Cartulaire de Marmoutier pour le Perche, de M. L’abbé Barret, 1894).

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Certes, mais nous sommes obligés de constater qu’aucun toponyme provenant de « Calumnia » n’existe dans le Bellêmois ; c’est donc que les 2 frères « de Calumniis » tiraient leurs origines du Maine. Or dans le Premier Livre, nous avons répertorié les toponymes « Chalonge » des départements de la Mayenne et de la Sarthe. Les voici rappelés : Département de la Mayenne ; - « La Petite Chalonge », ferme de la commune de Saint-Denis-des-Gastines, - « Le Chalonge », ferme de la commune d’Alexain, - « Le Chalonge », lieu-dit de la commune de Bouère, - « Le Chalonge », ferme de la commune de Charchigné, - « Le Chalonge », hameau de la commune de Fougerolles, - « Le Chalonge », ferme de la commune d’Origné, - « Le Chalonge », hameau de la commune de Saint-Cyr-le-Gravelais, - « Le Chalonge », hameau de la commune de Saint-Gault, - Ruisseau de « Chalonge », commune de Louverné, affluent du ruisseau du Fresne, - « Les Chalonges », hameau de la commune de Bourgon, - « Les Chalonges », ferme de la commune de Châlons, - « Les Chalonges », ruisseau affluent de la Chopinière, - « Les Chalonges », ferme de la commune de Saint-Georges-sur-Erve, - et « Les Chalonges », ferme de la commune de Vautorte. Département de la Sarthe ; - « Chalonge », bois de la commune de Roèze, « Boscus de Calumnia » vers 1050, - « Les Grandes et les Petites Chalonges », bois de la commune de Beaufay, « Decima de Calumpniis » au XIIIème siècle, - « Les Chalonges », hameau de la commune de Boésse-le-Sec, - « Les Chalonges », hameau de la commune de Montaillé, - « Les Chalonges », bois de la commune de Saint-Vincent-du-Lorover, - « Les Chalonges », bois de la commune de Savigny-l’Evêque, - et « Les Chalonges », ferme de la commune de Vibraye. Ces topoymes sont nombreux, aussi devons-nous maintenant étudier quelles furent les raisons qui amena quelque prédécesseur des frères « de Calumniis » à venir s’installer à Bellême, en provenance du Maine. C’est ce que nous allons tenter d’éclaircir maintenant, en lisant les textes du Vicomte du Motey et de Gérard Louise : « … Cet état complet de la famille (de Bellême) est présenté par une charte de la fin du Xème siècle. (Charte 1ère de l’Abbayette : consensu et voluntate meorum parentum, dit Yves dans la charte précitée, duarum videlicet sororum mearum : Billehendis atque Eremburgis, nec non duorum avunculorum, Seinfredi episcopi et Guillelmi, atque cognatorum : Guillelmi clerici, Roberti, Sutsardi, rursusque Guillelmi laici.)… Il ne serait pas téméraire de penser qu’elle était de haute extraction bretonne et qu’elle s’était implantée dans le Maine et à Bellême, lors des guerres dirigées par les chefs de la Bretagne contre Charles-Le-Chauve… Elle avait en effet, avant les invasions normandes, des possessions très importantes sur les confins du Maine et de la Bretagne, entre Landivy et La Dorée. Certains de ses officiers, comme Abbon, ancêtre des Giroie de Saint-Cébery, sont des Bretons. Certains de ses membres portent le surnom caractéristique de Le Breton (Guérin, fils de Rotrou II, comte de Mortagne, et d’Adèle de Bellême, fille de Guérin, est apelé Warinus Brito - cartulaire de Saint-Vincent du Mans, n° 587 - Un Maurice de Bellême, issu d’une branche bâtarde, est appelé Mauricius de Bellissimo, qui dicitur Brito - cartulaire du chapitre du Mans, charte DCLII.)… Yves de Bellême, avait des sentiments religieux profonds qui sont prouvés par ses restaurations d’églises, la construction de sa chapelle castrale dédiée à la Vierge… ses

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restitutions au monastère du Mont-Saint-Michel (Charte Première du cartulaire de l’Abbayette)… Herbert Eveille-Chien, comte du Maine qui succéda à son père en 1016, résolut d’abaisser l’autorité féodale et les prérogatives de l’évêque du Mans (Avesgaud de Bellême). Voyant sa sécurité menacée dans sa capitale, Avesgaud fit construire, à Duneau près de Connerré, une forteresse de refuge que le comte assiégea et prit. L’évêque, craignant de tomber dans les mains de son ennemi, quitta Le Mans et se retira au château de Bellême, auprès de son frère (Guillaume 1er de Bellême)… Herbert Eveille-Chien s’étant emparé du Sud du Saosnois, Avesgaud réunit les vassaux épiscopaux aux troupes de son frère pour refouler l’agresseur et marcher sur Le Mans… Le comte Herbert eu d’abord l’avantage… puis la maison de Bellême fut victorieuse… Avesgaud rentra au Mans en 1020… Le duc de Normandie (Robert-Le-Diable, frère de Richard III et fils de Richard II), ne vint pas facilement à bout du prince de Bellême (Guillaume 1er Talvas) qui n’avait pas hésité à lui refuser obstinément l’hommage… Nous ignorons les combats qui précédèrent le siège d’Alençon, où Talvas alla s’enfermer avec toutes les troupes dont il pouvait disposer… mais le chef de la maison de Bellême dut capituler… Guillaume de Bellême se risqua à faire de nouveau appel aux armes… Il s’enferma peut-être dans la forteresse de Domfront… Une sanglante bataille s’engagea dans la forêt de Blavou, près de Pervenchères. Foulque de Bellême, son fils, fut tué, et Robert, son autre fils, fut blessé et ne ramena du combat qu’un petit nombre de chevaliers… Guillaume de Bellême en mourut subitement… C’était vers 1031… » (Origines de la Normandie et du duché d’Alençon, du Vicomte du Motey, 1920). « … L’expansion de la Seigneurie de Bellême dans le Maine - les conflits. Les rapports de Bellême et des comtes du Maine furent rapidement très tendus, en particulier dans le premier tiers du XIème siècle, sous le règne du comte Herbert Eveille-Chien. Quatre conflits nous sont rapportés par les sources narratives, dont voici le premier : Entre 1015 et 1025, dans la vallée de l’Huisne, autour du château de Duneau, la construction d’un castellum à Duneau par l’évêque Avejot provoqua l’intervention du comte du Maine qui s’empara de la fortification et la détruisit ; l’évêque se réfugia à Bellême chez son frère Guillaume ; il excommunia le comte Herbert et mit l’interdit sur le diocèse. Une guerre s’ensuivit. Il s’agit probablement du conflit rapporté par Orderic Vital entre Guillaume 1er de Bellême, aidé des Giroie, et le comte Herbert : le comte du Maine mit le seigneur de Bellême en fuite, mais sa victoire fut compromise par l’arrivée des Giroie ; l’évêque du lever l’interdit et faire la paix… » (La Seigneurie de Bellême : Xème-XIIème siècles, de Gérard Louise, 1992). De ces 2 textes, il apparaît que l’évêque du Mans, Avesgaud (ou Avejot), se réfugia à Bellême chez son frère Guillaume 1er Talvas lorsque le comte du Maine, Herbert Eveille-Chien, détruisit son castellum de Duneau, et qu’Avesgaud réunit ses vassaux épiscopaux aux troupes de son frère pour refouleur l’agresseur et marcher sur Le Mans. Un des premiers vassaux épiscopaux de l’évêque du Mans fut bien l’abbé de Saint-Calais (voir les 2 textes ci-dessous) : « … Un monastère fut fondé dont saint Calais fut le 1er abbé. A sa mort, son compagnon Daumer le remplaça. Il obtint de Childebert un nouveau dipôme d’immunité. Les successeurs de ce prince, Chilpéric 1er et Thierry, ne se montrèrent pas moins bienveillants à l’égard des abbés Gall et Siviard… Les faveurs dont cette maison avait été l’objet, l’avaient sur certains points, rendue indépendante, ou du moins relevait-elle directement du roi. Ces concessions avaient un caractère essentiellement précaire et chaque fois qu’un nouveau prince arrivait au trône, l’abbé devait lui en demander la confirmation. Il ne paraît pas qu’elle n’ait été jamais refusée, et Gontran, Clotaire II, Dagobert 1er, Clovis II, Childebert III et Dagobert III l’accordèrent les uns après les autres… Les princes carolingiens ne se montrèrent pas moins généreux… A la mort de l’abbé Ebroin en 801, Charlemagne conféra à Francon l’ainé, évêque du Mans, la jouissance de l’abbaye à titre de bénéfice viager… Le pape Nicolas 1er, sur les renseignements

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que l’évêque du Mans lui donna, prit sa défense. Les moines recevaient en même temps du souverain pontife l’ordre d’avoir à se soumettre à leur évêque… Finalement en 863, tout en restant soumis pour le spirituel à l’autorité de leur évêque, les moines retrouvaient définitivement la liberté des élections… » (Cartulaire de l’Abbaye de Saint-Calais, de l’abbé L. Froger, 1888). « … Genesius, abbé de Saint-Calais, fut remplacé par Foulques qui fit édifier, vers 1020, la tour du clocher de son église. Il est probable que la basilique toute entière fut renouvelée dans le même temps. L’abbé Adaelelme lui succéda, c’était l’un des premiers hommes de son temps dans l’architecture et la sculpture. Il reconstruit en 1025 l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire qui fut consumée par un incendie. Adaelelme fut remplacé par Ebrard qui occupait le siège épiscopal en 1040… Quoique la perte des documents sur cette abbaye nous enlève presque toujours la connaissance des faits qui s’y passèrent… Ce fut vraisemblablement vers la même époque que les droits féodaux et les prérogatives de l’abbaye de Saint-Calais furent établis d’une manière permanente. Le prélat qui la gouvernait tenait le premier rang parmi les abbés du diocèse ; il devait cette prérogative à l’ancienneté de son monastère, et à sa qualité de fondation royale. Il était aussi premier chanoine prébendé de la cathédrale du Mans, après le roi toutefois. Il avait le droit de visiter les 4 paroisses suivantes : Notre-Dame de Saint-Calais, qui comprenait toute la ville, et celles de Marolles, Montaillé et Rahay. Il avait un grand vicaire et était aidé dans l’exercice de la justice ecclésiastique, qui était pleine comme celle du grand doyen du Mans, par 3 officiers : un official, un promoteur et un greffier… L’Abbaye de Saint-Calais avait aussi les seigneuries de Marolles et de Rahay, quelques fiefs situés à Saint-Calais, Montaillé, et dans les paroisses voisines au nombre de 15 ; elle entretenait pour exercer la juridiction civile et criminelle en son nom 4 officiers : un bailli, son lieutenant, un procureur fiscal et un greffier… » (Histoire de l’église du Mans, de Paul Léon Piolin, 1856). Ainsi à Montaillé, l’abbé de Saint-Calais possédait le fief des « Chalonges » (conformément aux 2 extraits ci-après) : « … religieux, abbé et couvent de Saint-Calais, tiennent et relèvent à foy et hommage simple leur fief des Chalonges… » (Bulletin de la Société archéologique, scientifique et littéraire du Vendômois, Launay, 1901). « … On peut citer encore les fiefs de la Chevalerie et des Chalonges, à quelque distance au Nord d’Ecorpain. L’abbé de Saint-Calais, par raison de cedit fief des Chalonges, possédait dans la paroisse plusieurs cens, tailles et justice. Ce droit de justice était exercé comme appartenant primitivement à sa crosse, sur les métairies de La Lande, Fay, les Chemins, les Brières, Crucé, la Jaunaie et les Chalonges… » (Bulletin de la Société d’agriculture, sciences et arts de la Sarthe, 1849). N’oublions pas qu’une famille « de Challonges », demeurant à Montaillé, avait existé au milieu du XIVème siècle, elle était certainement originaire du fief des Chalonges de ladite paroisse. Car Il existe, dans les Archives Hospitalières de Saint-Calais dans la Sarthe, une copie d’un

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contrat passé le 8 mai 1351 par lequel « Guillaume de Challonges », paroissien de Montaillé, vend à Hugues, prêtre de la Maison-Dieu de Saint-Calais, une rente de 30 sous sur tous ses biens (Archives Départementales de la Sarthe). Ce fief apparaît sous le toponyme « Chalonge » (sans « s » terminal) au XIIIème siècle dans une copie d’une lettre écrite en parchemin scellée du scel de l’officialité du Mans, copie réalisée en 1488. Dans cette copie, les toponymes sont mal écrits. Donc on ne pourra pas prendre en considération l’écriture du mot « Chalonge » au singulier : « … L’incendie qui détruisit le monastère au XVème siècle, pendant l’occupation anglaise, fit disparaître les archives. On sauva néanmoins quelques titres, un nécrologe rédigé à la fin du XIVème siècle, un vieux cahier connu sous le nom d’ancienne caterne de l’abbaye, et un cartulaire rédigé au XIème siècle, incomplet mais néanmoins fort précieux… (Nous avons trouvé aux archives de la fabrique d’Evaillé, canton et arrondissement de Saint-Calais, un exemplaire de ce vidimus, transcrit sur parchemin en 1488. Le texte en est ordinairement plus correct que celui du cartulaire, écrit le rédacteur dans son cartulaire)… Gros des cures (XIIIème siècle) : A tous ceux qui ces presentes lettres verront Jacque de Touteville, chevalier, seigneur de Beuré, baron d’Ivry et Saint-Andry en la Marche, conseiller chambellan du roy notre sire, garde de la prevosté de Paris salut, scavoir faisons que l’an de grace mil quatre cent quatre vingt huit, le samedi vingt huitieme du mois de mars, vismes et leumes mot après mot une lettre de vidisse écrite en parchemin scellée comme il appartient sur double queue et cire verd, du scel de la cour de l’officialité du Mans saine et entière contenant cette forme… In ecclesia sancti Johannis de Montailler percipiunt dicti abbas et conventus unum modium bladi in magna decima, videlicet, quatuor sextaria avenae et octo siliginis et in residuo medietatem ; percipiunt etiam parvam decimam Sanci Johannis et medietatem tractus et tertiam partem mestivae (redevance coutumière sur les céréales) apud Chalonge et medietatem decimae et sextam partem tractus et sextam mestivae in terra Adam (Odon) Founeau medietatem decimae ; haec sunt quae percipiunt abbas et conventus Sancti Carilephi… » (Cartulaire de l’Abbaye de Saint-Calais, de L. Froger, 1888). La conséquence de ces analyses est la suivante : une famille de Challonges vivait à Montaillé en 1351. Elle tirait très certainement son nom du fief des Chalonges appartenant à l’Abbaye de Saint-Calais, dont l’abbé fut l’un des premiers vassaux épiscopaux de l’évêque du Mans. Notre thèse est alors celle qui suit, malheureusement indémontrable : Guarinus et Hugo de Calumniis furent les fils (ou petits-fils) d’un homme d’armes tenant, de l’Abbé de Saint-Calais, le fief des Chalonges, homme d’armes qui avait été attaché à l’évêque du Mans, Asvegaud de Bellême. Lorsque cet évêque se réfugia à Bellême, ce « milites » le suivit, puis s’installa définitivement près du Vieux-Château de Bellême. Par la suite, il est probable que les terres qui ont fait l’objet de la transaction entre Guérin, frère du prieur Eudes (trépassé) de Saint-Martin-du-Vieux-Bellême, et Béraud, religieux et prévôt de Bellême, bordaient les terres de Guarinus et Hugo de Calumniis, fils ou petits-fils du « milites ». D’où d’éventuelles constestations qui auraient pu en découler puisque Gautier, frère du vendeur, n’ayant pas été présent à la vente, il promit qu’il y donnerait son consentement et ratifierait l’acquisition faite par les religieux, et que si la vente ne pouvait se faire, ledit Guérin leur donnerait en échange une autre pièce de terre de la même valeur. Cette thèse a l’avantage de se placer dans le droit fil des constatations que nous avons rapportées auparavant. En effet, en remontant le temps, les Chalenge furent liés à l’archevêque de Rouen puis à l’évêque de Sées. Dans ce cas, pourquoi leur antécédent originel n’aurait pas été lié lui aussi à un évêque, celui du Mans en l’occurrence ! Or ce fief des Chalonges est probablement aussi ancien que l’Abbaye de Saint-Calais elle-même. C’est l’objet du chapitre qui suit.

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19 - Les Chalonges, terres en litiges depuis la création de l’Abbaye de Saint-Calais par Childebert I Grâce à une copie du dipôme de Childebert I, par lequel il fonde l’Abbaye de Saint-Calais en 515, nous pouvons imaginer quelles furent les limites des terres attribuées à ladite abbaye : DIPLOMA CHILDEBERTI REGIS I, DE MADVALLE. CHILDEBERTUS1, REX FRANCORUM, VIR INLUSTER2. Si petitionibus servorum Dei, pro quod eorum quietem vel juvamen pertinet, libenter obaudimus, Regiam consuetudinem exercemus. Noverint igitur omnes Fideles nostri praesentes atque futuri, quia monachus quidam peregrinus Carilephus nomine, de Aquitaniae partibus, de pago videlicet Alvernio veniens, Nobis postulavit, ut ei locum ubi habitare, et pro Nos Domini misericordiam implorare potuisset, donaremus, ut Eumcum monachis suis in nostra defensione et tuitione susciperemus. Cujus petionem, quia bonam esse cognovimus, et Ipsum Domini servum miraculis declarantibus veraciter perspeximus, libenti animo emplere studuimus. Dedimus ergo Ei de Fisco nostro Maddoallo3, super fluvium Anisola in loco qui vocatur Casa-Gajani, per locis descriptis et designatis, ubi Oratorium et Cellam Sibi et ab suis monachi, et qui post Eum venturi fuerint, construeret, et Receptaculum pauperum in eleemosyna domni et genitoris nostri Clodovei aedificare potuisset. Terminus ergo de nostra donatione, qui est inter Dominationem Fisci Maddoallensis et nostra traditione, incipit a villa quae appellatur ROCCIACUS4 super fluvium BRIA5… etc. 1 - Auctor libri de Vita Bertae abbatissae Bertum, darum, fulgentem et splendidum interpretatur. - Ab Honorio principe in usu caepit lenem Francos Bertum appellavisse. - Hinc CHILD-BERT proles praeclara vel potius puer lenis. 2 - Illuster. Tres honoratorum gradus passim adnotare est apud scriptores : Illustrium, Clarissimorum, Spectabilium. lllustrium potior erat, tribuebaturque Praefectis Praetorio, Praefectis Urbi , Quaestoribus, Magistris militum, etc. Apud nostros etiam haec dignitatis praerogativa diu, stante prima et secunda Regum Franciae stirpe oblinuit, cum Reges ipsi, atque adeo Majores Domus, Viras illustres sesemet indigitarent. Quomodo vero a Romanis in Franciam ea dignitas transierit a nemine hactenus proditum. Inde ortum existimo, quod Clodoveus, acceptis ab Anastasio Consularis dignitatis codicillis, Inlustris titulum qui Consulibus, caeterisque summis magistratibus competebat, tanquam Consul et imperii ofiicialis sibi adscripserit. (Acta SS. Omn. jul. T. I) 3 - MADVALLIS. « Childebertus... in villam Madvalis nuncupatam devenit... Rex Ei (Carilefo) Madvalem concedit ad condendum caenobium » S. Siviard. ineunte seculo VIII. (Acta SS. Ord. S. Bened. 1, 03) - MATVALLIS. IX° seculo. « Erat in pago Cenomanico rus nobile... cui nomen... Matvallis inditum est » (Vita S. Medardi. Spicileg. VIII, 408). - IX° secul o. « Lotharius... in pagum Cenomanicum, in villam cujus vocabulum est Matualis devenit » (Vita Ludovic Pii, apud Duch.,II, 312). 4 - L'abbé de Saint-Karlès est seigneur de la ville (villa) de Merroles, hors chemin et y a haute justice, étangs qui « doivent cens, corvées et Halles aux moulins de Roçay. Et icelle terre de Merroles et appartenances DE LA FONDATION ANCIENNE DE L'ABBAYE, tenue sans moyen en garde royale du Comte du Maine » - « Item, il a en la paroisse dessus dite un manoir appelé ROÇAY et une métairie et une borde au la fuie » - (Censif de 1391. Bibliothèque de Saint-Calais) - Rocciacus adjectif possessif formé du nom propre, très-connu, Roscius ; Roçay ou le Bas-Rossay est un moulin près de Savigny, mais sur la commune de Marolles et dans le département de la Sarthe ; le Haut-Rossay est une ferme qui domine le côteau voisin du Bas-Rossay.

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5 - BRICIA, Brio, Braeya, Breya la Braye, rivière qui prend sa source à Saint-Bonier et se jette dans le Loir près des Ponts-de-Braye. Le ruisseau de Bonne-ouche, au contraire, commence à Marolles et tombe dans la Braye à 250 mètres de Roçay. Traduction : DIPLOME DU ROI CHILDEBERT I, TOUCHANT BONNEVAU. CHILDEBERT, ROI DES FRANCS, VIR INLUSTER. - 1« En accédant aux pétitions des serviteurs de Dieu, pour ce qui concerne leur tranquillité ou les secours a leur accorder, nous suivons la coutume des Rois. Sachent donc tous nos Féaux présents et à venir qu'un moine étranger, nommé Calais2, venant du pays d'Aquitaine, à savoir de la province d'Auvergne, nous a prié de lui donner un lieu où il pût habiter et implorer pour Nous la miséricorde du Seigneur ; en outre, de le recevoir avec ses moines sous notre protection et garde3. Comme nous avons reconnu que sa demande est bonne, et comme nous avons véritablement découvert que c'est un Serviteur de Dieu, ce qu'il a prouvé par des miracles, nous nous sommes appliqués de bon cœur à remplir l'objet de cette demande. Nous lui donnons donc de notre Fisc de Bonnevau4, conformément aux limites tracées et désignées, un terrain sur la rivière d'Annille, au lieu appelé CASA-GAJANI, où il construise, pour Lui et ses moines, et pour ceux qui viendront après lui, un oratoire avec un monastère, et où il puisse édifier un hospice pour les pauvres, en aumône (faite à l'intention ?) de notre seigneur et père, Clovis5. Ainsi la limite de notre donation, limite qui est entre la seigneurie du Fisc de Bonnevau et notre concession6, commence à la villa nommée ROÇAY sur la rivière de la BRAYE… etc. » 1 - Pour juger de l'authenticité de ce précieux document historique, on peut consulter le savant ouvrage de D. Mabillon « De re diploma », puis une dissertation sur les chartes vraies et sur les chartes interpollées, dissertation insérée au commencement du tome II d'avril, dans la collection des Bollandistes. On y trouve plusieurs diplômes de la même époque, contenant les mêmes expressions et un semblable détail pour les démarcations de terrain. 2 - Le mot Carilephus est le tudesque KARL-EPH, secours des guerriers, dont les principales variantes sont : Harl-hilf, Kérl-ulf, Kérl-eph et Harlew ; en français, Harlay. Le censif de l'abbaye de S.-Calais, daté de 1391, écrit S.-Karies, ce qui est bien la traduction de S. Carilephus ; dans les derniers siècles, au contraire, on a souvent écrit S. Calès ou S. Calles. 3 - Les moines d'Annisola furent reçus par ce diplôme dans la truste, parmi les Féaux du Roi, et Childebert déclare en finissant qu'il les prend, eux et tout ce qui leur appartient, dans sa « mainbournie », sous sa sauvegarde ; il défend à qui que ce soit de ses sujets d'intervenir dans leurs affaires. 4 - « Ex dualius linguis, latina videlicet atque britannica nomen ex antiquo Mat-vallis inditum fuit. MATVALLIS ergo, id est BONAVALLIS fundus ipse vocatus est ». C'est ainsi qu'un anonyme de Soissons donne, au IXème siecle, dans la vie de S. Médard, l'étymologie du mot gallo-romain Mat vallis, et cette interprétation a été admise sans conteste. Dans le breton, le mot Mat, Matt, Mad, Madd est encore fort usité avec la signification bon, bonne ; Val, Vau, (vallis) était autrefois féminin, et l'on disait Bonne-val, Bonnevau. 5 - Les mots latinisés Clodovœus, Clodovechus, Clodovius, Hludovius, Clodius représentent le nom tudesque CHLODWIG, Hleut-Wig, vir inluster ; CLOTHILDE, HLOD-HILD, virgo nobilis ; CLOTHER, Hleut-her, possessor nobilis. 6 - Il nous est impossible de ne pas reconnaître, par ce texte et par l’examen des lieux, qu’il s’agit ici des limites existant, depuis un temps immémorial, entre les communes de Marolles, de Saint-Calais et de Savigny. Ces limites, qui sont celles du département, suivent le ruisseau de

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Bonne-ouche jusqu’au pied du côteau qui domine le village de Bouviée ; remontent au Nord vers Mas-suin (Mansum Summum) qui occupe une position fort élevée ; arrivent au vallon des Vaux-Lambert, et après s’être approchées des Oliviers, descendent au Midi jusqu’auprès de Vau-Liger, en côtoyant les terres de la Borde de Coulieu ; elles gagnent ce côteau vis-à-vis du soleil couchant au pied duquel est la ferme de Vau-Pivet ; puis elles descendent dans le vallon de l’Annille à peu de distance du bourg de Saint-Gervais-de-Vic. Conclusion : Le chemin, dont il est ici question, traverse la voie du Mans à Orléans près de la Chatinière, et naguère encore un chêne se voyait à l’angle de la jonction, successeur éloigné peut-être du rouvre de Fasieu. Là se trouve d’ailleurs une brousse ou petit taillis, et des poudingues siliceux, blocs erratiques d’un demi-mètre de diamètre, fichés en terre sur une ligne continue le long du chemin, semblent être les anciennes bornes de la donation. On vient d’en arracher une partie dans les champs de la Chatinière, dans ceux de La Houssaie, etc. Le chemin qui sépare Ecorpain et Montaillé, se partage près de Tampin, en dehors des limites de la donation : une branche conduit à Coudrecieux ; l’autre à La Malandrie ; ce qui ne nous permet pas de douter que cette ferme ne soit la « possessio quae appellatur Malapatria », composant cette portion de La Borde de Coulieu, elles gagnent ce côteau vis-à-vis du soleil couchant et au pied duquel est la ferme de Vau-Pivet ; puis elles descendent dans le vallon de l’Annille, à peu de distance du bourg de Saint-Gervais-de-Vic. Le finage de la charte est ensuite marqué par celui qui existe, d’abord entre Saint-Calais et Saint-Gervais, près de Chaluau ; puis entre Saint-Gervais et Sainte-Cerotte à Ville-Bautrud. Trois fermes composent le village de ce nom, au milieu desquels passait un ancien chemin, encaissé solidement en pierres du pays. Les agriculteurs en retrouvent des portions dans leurs champs. Le chemin fait la limite, nous venons de le dire, entre Sainte-Cerotte et Saint-Gervais ; celle qui décrit la charte laissait Ville-Bautrud à gauche et montait dans les champs de la Méhauderie, occupés autrefois par un bois appelé La Fresnaie ; puis elle se dirigeait au Nord vers Ecorpain, bourg près duquel passait la voie pavée du Mans à Orléans, nommée dans la charte la « route des Varaces ». Les Varaces sont un village à l’Ouest d’Ecorpain, qui n’existait pas, on le voit, au VIème siècle. En sorte, que de la Fresnaie ou du petit bois jusqu’au bourg dont nous parlons, les limites actuelles entre Sainte-Cerotte et Saint-Calais, Ecorpain et Montaillé, sont évidemment celles que donnait Childebert. Elles suivent le vallon de Marchenau à Champ-Cellier, puis l’ancien chemin de Savigny à Coudrecieux. Avant d’écrire ces lignes, nous avons vu les bornes qui ont été conservées dans la haie d’un champ de la Fresnaie. En jetant les yeux sur une carte du département, on s’étonne avec raison de voir que la commune de Montaillé s’étend jusqu’à l’église même du bourg d’Ecorpain, de telle sorte que sur une ligne tracée du Nord au Midi, dans la direction de cette église, d’un côté se trouve la commune de Montaillé, comprise dans la donation de Childebert ; de l’autre la commune d’Ecorpain et le domaine de la Malandrie. Le finage de la charte suit donc les limites actuelles le long du chemin de Coudrecieux, au Nord d’Ecorpain, jusqu’à la ferme maintenant appelée la Petite-Houssetière, passe entre les étangs de La Bonde et des Bouettes ; puis, par le haut du taillis qu’il entoure quelque temps, gagne la ferme des Fontaines. A l’Ouest et en dehors de ces limites se trouve La Malandrie ; de l’autre côté vers le Nord est La Saulaie, à une lieue de distance, et La Saulaie se trouve en dedans des limites de Montaillé, au point où se joignent celles de Semur, de Coudrecieux et de Montaillé, et c’est dans le vallon de La Saulaie que commence maintenant la rivière d’Aunille. Childebert donnait ainsi toute cette portion de Montaillé resserrée entre les communes de Coudrecieux, de Semur et de Conflans, juqu’au vallon de Grenaille ou de Saint-Christophe… » (Histoire de Saint-Calais et de ses environs, par un membre de l’Institut des Provinces de France, 1850).

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De ce texte, on remarquera que le finage séparant les terres dévolues à l’Abbaye de Saint-Calais et celles du domaine de La Malandrie, à hauteur d’Ecorpain, suit le chemin d’Ecorpain à Coudrecieux. Or « Les Chalonges » se situent de nos jours immédiatement à droite de ce chemin (bordé par un pointillé), au Nord d’Ecorpain. On peut donc conjecturer que ces dites « Chalonges » furent l’objet de contestations entre l’Abbaye de Saint-Calais et le propiétaire du domaine de La Malandrie, ce dès l’époque mérovingienne. Or en ce temps-là, la romane rustique était encore inexistante. Ces « terrae de Calum(p)niis » sont donc à l’origine des « terras de las (ou dels) calonjas » qui, le temps passant, se sont dénommées « les Chalonges ».

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20 - Les Chalonges, domaine ayant appartenu à un colon, ou à un Gallo-romain dénommé « Callonius », voire à un Gaulois surnommé « Calonus » Cette terre des Chalonges a-t-elle réellement fait l’objet de litiges ? Si c’est le cas, il faut se rappeler que le mot Chalonges, issu du nom Calonja de la romane rustique, est apparu dans, et avec, la langue d’Oïl plus tardivement que son homologue de la langue d’Oc. Or nous avons vu, dans le Premier Livre, que la romane rustique était parlée dès le VIIème siècle (cf. les litanies carolines), jusqu’au Xème siècle (cf. les Serments de Strasbourg) ; on en voit quelques fragments dans les actes publics. Puis le 1er poème écrit en langue d’Oïl apparaît à la fin du IXème siècle. On peut donc estimer que le terme « Chalonges », désignant, dans cette langue, des terres contestées, n’a pu être utilisé au plus tôt qu’au tout début du Xème siècle. Reprenons maintenant l’historique des relations entre l’abbé de Saint-Calais, l’évêque du Mans et le roi des Francs. Après la donation de Childebert (cf. le cartulaire de l’abbaye de Saint-Calais de l’abbé Froger), l’abbaye relevait directement du roi. Les fonctionnaires royaux n’avaient plus le droit de pénétrer sur les domaines soumis à l’abbé, ni pour y rendre des sentences, ni pour y percevoir des amendes. Tels sont les avantages que concède la charte de Childebert. Celle de Chilpéric 1er les étend encore. Or ces concessions avaient un caractère essentiellement précaire, dit le rédacteur du cartulaire, et chaque fois qu’un nouveau prince arrivait au trône, l’abbé devait lui en demander la confirmation. Il ne paraît pas qu’elle n’ait été jamais refusée, et Gontran, Clotaire II, Dagobert 1er, Clovis II, Clotaire III, Clovis III, Childebert III et Dagobert III l’accordèrent les uns après les autres. Toujours d’après le rédacteur du cartulaire de Saint-Calais, les princes carolingiens ne se montrèrent pas moins généreux. Pépin-le-Bref prit sous sa protection l’Abbaye de Saint-Calais. Puis Nectaire, abbé de Saint-Calais, obtint du même roi, en 760, la confirmation des privilèges concédés antérieurement à son monastère. Le nouveau diplôme est des plus explicites : « Tout comte et tout évêque reçoivent la défense de pénétrer sur les terres de l’abbaye, et clause nouvelle, les agents du roi n’y pourront plus exiger de prestations ». Après Nectaire, Rabigaud et Ebroïn régirent le monastère. Ce fut sous l’administration du 1er de ces 2 abbés que, sur sa demande et sur celle de Mérolles, évêque du Mans, Charlemagne ratifia l’échange de terres que ces 2 dignitaires ecclésiastiques avaient fait. Le même souverain donna successivement 2 diplômes d’immunité, l’un en 771 à Rabigaud, l’autre en 779 à Ebroïn. Ce dernier mourut en 801. L’empereur conféra alors à Francon l’aîné, évêque du Mans, mais à titre de viager, la jouissance de l’abbaye. Néanmoins vers 810, le monastère était replacé sous l’autorité de l’abbé Adalgyse, auquel Louis-le-Pieux octroya en 814 une nouvelle charte confirmative de celles que son père (Charlemagne) et son aïeul (Pépin-le-Bref) avaient autrefois accordées. On s’aperçoit donc que les concessions du roi étaient précaires, à tel point que des contestations vont apparaître au cours du IXème siècle, s’agissant des donations faites à l’abbaye. C’est que les moines de Saint-Calais n’auraient pas hésité à produire des faux : « … Le faux diplôme de Thierry III (règne de 673 à 690) possède la valeur d’un document forgé au IXème siècle. Il prouve qu’en ce temps, au moment des grands débats entre l’évêché du Mans et l’Abbaye de Saint-Calais, Siviard était considéré comme un abbé d’Anisole (Saint-Calais). Il s’accorde en cela avec la Vie et avec le passage des Gesta Aigliberti, aussi du IXème siècle, qui qualifient Siviard d’abbé. Il faut remarquer que le praeceptum authentique de Charlemagne de 774 ne lui donne pas ce titre ; il l’appelle simplement dom(i)nus Senardus, et nous le montre enterré dans la villa de Savonnières. Siviard n’aurait bien pu être qu’un simple ermite, peut-être venu d’Anisole, classé au IXème siècle parmi les supérieurs de Saint-Calais, Daumer et Gall, eux aussi connus par des documents fabriqués… Le praeceptum de Charlemagne, daté de Pavie, du 19 février 774, par lequel le roi approuve l’échange fait par l’abbé d’Anisole Rabigaud, qui cède à l’évêque Mérolle deux villas (Curte Bosane et Monte Ebretamno) de l’abbaye contre la villa de Savonnières (Sabonarias) dans le pays manceau (paroisse Saint-Georges de la Coué), est de meilleur aloi… Le droit de l’abbé peut être

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précaire ; dans les Actus, ce droit est appelé oratorium, orator étant synonyme de precator. Alors l’abbé n’entre en possession de ses biens immobiliers qu’en signant un acte par lequel il reconnaît tenir le monastère à titre viager. Car quand le droit est héréditaire, il se transmet sans nouvel acte avec la charge et la dignité d’abbé. D’après l’auteur des Actus, le droit des moines de Saint-Calais était précaire. Et cela se comprend. Le monastère avait en réalité deux fondateurs : le roi et l’évêque du Mans ; ce dernier ne pouvait avoir seul le haut domaine et la haute main du fondateur que par l’abandon à lui fait, avec le consentement du roi, de toute la fondation ; en suite de quoi saint Calais en avait obtenu la jouissance en signant un précaire... » (La Province du Maine, de la Société des archives historiques du Maine, 1894). L’évêque du Mans saint Aldric, qui gouvernait son diocèse depuis 832, contesta l’élection de Sigemond comme abbé de Saint-Calais, élu en 833 par les moines de ce monastère, et en appela à l’empereur. Louis-le-Pieux fit instruire l’affaire et se prononça en faveur de l’évêque. Mais les moines s’opposèrent à la prise de possession du monastère par l’évêque du Mans. Au plaid de 837, Louis-le-Pieux, en présence des archevêques et évêques réunis, enjoignit aux religieux de reconnaître l’évêque du Mans pour leur abbé. Pendant 2 ans et demi, ils restèrent ainsi soumis à saint Aldric. A la mort de Louis-le-Pieux, Charles-le-Chauve (qui règna de 840 à 877) prit sous sa protection l’abbé Rainald. Mais le conflit, un instant apaisé, reprit bientôt avec plus d’acuité. Charles-le-Chauve fit appel au pape Nicolas 1er qui prit position pour l’évêque du Mans. Ces contestations semblent avoir pris fin au concile de La Verberie tenu en 863. A l'époque des discussions dont nous avons parlé, entre les évêques du Mans et l'Abbaye de Saint-Calais, les titres de ce monastère furent examinés avec rigueur, et trois conciles successivement reconnurent leur authenticité ; celui de Bonneuil, en 855, celui de Pistes, en 862, et celui de Verberie, en 863. Le Pape saint Nicolas 1er, qui s'était d'abord laissé surprendre par les pièces qu'alléguaient les évêques du Mans et avait condamné les moines de Saint-Calais, n'hésita pas, après un sérieux examen, à proclamer hautement les droits de ceux qu'il avait précédemment jugés coupables de désobéissance. Il déclara fausses les pièces fournies par les adversaires de l'abbaye et ordonna qu'elles fussent supprimées. L'ordre du souverain Pontife ne fut pas entièrement exécuté ; l'indépendance des moines de Saint-Calais, il est vrai, ne fut plus troublée, mais les pièces que l'on avait fait valoir contre eux demeurèrent dans les archives de l'église cathédrale. (Histoire de l'église du Mans, de Paul Léon Piolin, 1851). Dès l’année 855, les exactions de pirates provenant de Scandinavie étaient devenues fréquentes dans la province du Maine. La ville du Mans fut prise par ces barbares en 865. Ils y tentèrent une nouvelle expédition l’année suivante, puis vinrent y mettre le siège une nouvelle fois en 886, mais ils furent défaits, ce qui ne les empêcha point de livrer assaut aux châteaux, villes et bourgs de la contrée. Les moines de Saint-Calais quittèrent leur monastère, qui fut détruit par les Normands. Ils trouvèrent refuge à Blois et à Sens. On ne sait avec précision quand ils réintégrèrent leur abbaye, mais ils mirent plus de 100 ans à la restaurer, car dans la plupart de ces lieux dévastés par lesdits pirates, des seigneurs laïques s’étaient emparés de leurs biens : « … Les Bretons s’étant coalisés avec les Normands qui dévastèrent les bords de la Loire depuis plusieurs années, pénétrèrent, en 865, dans le Maine et pillèrent la ville du Mans. Pendant cette guerre de déprédations en tout genre, qui dura presque 50 ans, jusqu’au traité de Saint-Clair-sur-Epte (912), les monastères et autres édifices tombèrent sous le feu et le fer de ces sauvages aventuriers… Quoique ces documents soient fort incomplets, et que, par rapport à l’usurpation des biens, on n’y trouve enregistrés que ceux des monastères, il est facile de prévoir que les biens des laïques ne furent point épargnés. Au reste, voici ce que nous apprennent les chartes du temps, relativement à l’usurpation des biens des établissements religieux. On voit d’abord un seigneur ou chef normand faire irruption dans le Perche, et s’y établir ; on voit Goeth se fortifier à Montmirail, et posséder le petit Perche ou Perche-Goeth, qui, avant

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l’invasion des Normands, appartenait à l’Abbaye de Saint-Pierre de Chartres. Au Mans, vers l’an 969, David ou Hugues, successeur de Rioul ou Raginol le Normand, fonde, près de son palais, l’église collégiale de Saint-Pierre, sur les ruines, à ce qu’on croit, du monastère de Saint-Pierre ou de Sainte-Scolastique. Vers le même temps, le vicomte de Blois, Robert, rétablit le monastère d’Evron détruit par ses aïeux, qui en gardèrent la possession, comme ce seigneur le déclare lui-même. L’an 1036, Renault donne à l’abbaye de Saint-Michel-en-Mer le monastère de Saint-Victeur du Mans, dont les Normands s’étaient emparés (Ego Reginaldus, miles, cum matre meum Hersinde sicut ipse patre disposuit...). Nous pouvons citer une autre usurpation faite sur le monastère de Saint-Calais. Voici le fait : Un nommé Guillaume, qualifié du titre de seigneur de Saint-Calais, désirant faire construire une forteresse ou château (castellum) à Saint-Calais, en sollicite l'autorisation au commencement du XIème siècle, auprès d'Herbert, comte du Maine, et l'obtient ; mais afin d'avoir la sanction de l'abbé Herbert, qui gouvernait alors l'église de Saint-Calais, il donne à Dieu et à Saint-Calais, pour le salut de son âme, ses maisons, son verger, ses places, et tout ce qu'il possédait sur Saint-Pierre, avec les droits qu'il percevait sur la rivière d'Anille ; en outre, il donne aux moines sa terre de Montjoie, avec les moulins et les prés qui en dépendaient. Le tout moyennant, de la part de l'abbé, un retour de cent sous, et un pallium, de la valeur de trente livres, et avec de l'or (centurn solidos et 30 libras cum auro). De quelque manière que l'on envisage cette singulière transaction, elle n'est, en réalité, qu'une restitution de biens faite à l'Abbaye de Saint-Calais, qui en avait été dépouillée. On peut encore conclure de cette transaction que Guillaume n'était pas le premier seigneur de Saint-Calais, comme on l'a cru jusqu'à ce jour, et que ses biens avaient été possédés avec le même titre, avant lui, par ses ancêtres, dont l'origine, à n'en pas douter, était normande. Il est même croyable que les témoins signataires de cette transaction, tels que Olrick, Harduin la Perche, Wolf de Souday, Olrick le Nageur, Hubert, fils d'Hubault Gallin, fils de Drogon et de Théobald de Bezon, étaient pour la plupart des seigneurs du pays et possesseurs de biens qui avaient également appartenu au même monastère avant les usurpations des Normands. Toutes ces concessions de biens faites aux établissements religieux à quelque titre que ce soit, par les héritiers des premiers Normands, convertis au christianisme, ou par d'autres personnages du temps, qui les avaient achetés d'eux, démontrent que ces barbares s'établirent en grand nombre dans le Maine. Si, d'un côté, nous voyons presque toutes les abbayes dépouillées alors de leurs domaines, on ne peut douter que la plupart de ceux des grands propriétaires ou seigneurs morts pendant cette guerre d'extermination, ou même qui avaient survécu, ne furent envahis et conservés par les conquérants. Ce fait nous paraît d'autant moins contestable, que le roi Raoul fit, en 924, avec les Normands de la Seine, un traité par lequel il leur donna la province du Maine et le Bessin pour s'y établir. L'exécution d'un semblable traité, et les nombreuses usurpations déjà commises par les Normands de la Loire, dans le Maine, durent les rendre possesseurs d'une grande partie des terres du pays, et furent indubitablement une des principales causes de la construction d'un grand nombre de châteaux forts à cette époque, châteaux devenus indispensables aux Normands pour s'assurer le fruit de leurs spoliations ou des concessions légales qui leur furent faites ; et, aux seigneurs gallo-franks, pour leur sûreté personnelle et l'indépendance des biens qu'ils avaient pu conserver… » (Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe, de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe, 1848). Il faut dire qu’entre la chute des derniers rois carolingiens et l’apparition des premiers souverains capétiens, le pouvoir royal sur lequel aurait pu compter l’Abbaye de Saint-Calais était inexistant. Par ailleurs, le traité du roi Raoul, conclu en 924 avec les Normands de la Seine, rendait caduque, de facto, la donation de Childebert I. Un siècle plus tard, c’est sous l’épiscopat d’Avesgaud (995-1035) que les droits féodaux et les prérogatives de l’Abbaye de Saint-Calais (voir le contenu du paragraphe 18 ci-dessus) furent établis d’une manière permanente.

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Aucune charte de Saint-Calais, datant des Xème et XIème siècles, n’étant parvenue jusqu’à nous, nous avons consulté le cartulaire de l’Abbaye Saint-Vincent du Mans, plus précisément le premier cartulaire qui présente des chartes émises entre 572 et 1188, et qui a été réalisé par l’abbé R. Charles et le Vicomte Menjot d’Elbenne entre 1866 et 1913. Nous y avons identifié toutes les chartes dues à des contestations (calumpniae). Il en existe 68, comparativement aux 844 chartes de ce cartulaire. Il est alors intéressant de mentionner leur titre et année d’émission. On constate alors qu’elles s’échelonnent entre les années 1050 et 1120, mais que la plupart d’entre elles sont postérieures aux années 1080. Les voici : 1050-1067 : De calumpnia de ecclesia Curie Laboris 1065-1080 : De calumpnia cujusdam decime (de terra data a Marie de Matheriis) apud Puisols relicat 1067-1081 : De calumpnia domus Walterii Arbalestarii quam reliquit Ernaldus episcopus 1067-1081 : De dimissa calumpnia vinearum de Rengein 1067-1081 : De calumpnia quam fecit Hubertus in ecclesia Sancti Maximi (de Mosteriolo) 1068, circa : De calumpnia Gaufridi, fratris Radulfi vicecomitis, de rebus Curie Laboris 1068-1078 : De calumpnia terre duorum Amantium item relicta 1068-1078 : De calumpnia facta de terra Roberti Valerii 1070-1080 : De calumpnia facta in ecclesia Curtis Dominice 1076, circa : De calumpnia terre duorum Amantium dimissa 1078, circa : De ecclesie calumpnia de Attiniaco 1080, circa : De dimissa calumpnia in vinea Obergie quam reliquit Albericus Scarbotus cum Roman adiit 1080, circa : De calumpnia terre de Monte Alberonis 1080-1096 : De calumpnia quam fecit Robertus Burgondio 1080-1096 : De calumpnia facta ab Hugone, filio Salomonis 1080-1100 : De calumpnia quam fecit Rainardus in vinea quam dedit Winebaudus 1080-1100 : De calumpnia supra dicti doni (de terra Hermerii apud Cels.) 1080-1100 : De calumpnia relevamenti ecclesie de Soldiaco 1080-1100 : De calumpnia Pagani Leonii sedata 1080-1100 : De calumpnia facta a Warino Parvo 1080-1100 : De calumpnia facta a Warnerio de Sarcario 1080-1100 : De calumpnia predicte ventionis 1080-1100 : De calumpnia olearum de fevo Wauterii de Joiaco 1080-1100 : De calumpnia Garini de Sportiaco 1080-1100 : De calumpnia facta a Warino de Sportiaco 1080-1100 : De calumpnia jamdicte ecclesie de Attiniaco 1080-1100 : De calumpnia de Hugonis Pantolili 1080-1100 : De calumpnia terre de Vulpilleriis 1080-1100 : De calumpnia vicarie Sancti Langisi 1080-1100 : De calumpnia Hervei, filii Bernardi Calosi 1080-1100 : De calumpnia vindragii ecclesie de Matheriis 1080-1100 : De calumpnia ecclesie de Dongiolo 1080-1100 : De calumpnia facta in Longa Tusca 1080-1102 : De calumpnia facta a Wauterio de Monte Hedulfi 1080-1102 : De calumpnia predictarum ecclesiarum (ecclesie de Matheriis) 1080-1102 : De calumpnia sacerdotii ecclesie de Matheriis 1080-1102 : De calumpnia de medietate terre Marie relicta 1080-1102 : De calumpnia predicte ecclesie (de Domniolo) et aliarum 1080-1102 : De calumpnia facta in terra Duorum Amantium 1080-1103 : De calumpnia facta a Pagano (de Monte Dublello) 1080-1103 : De calumpnia terre apud Valendiacum 1080-1120 : De calumpnia presbiteratus de Sarciaco sedata 1080-1120 : De calumpnia facta ab Augerio de Truignacio

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1080-1120 : De calumpnia facta a Matheo Desert 1080-1120 : De prato calumpniato a Seinfredo 1080-1120 : De calumpnia terre de Ferraria 1080-1120 : De calumpnia quam fecit Algerius de Sancto Karro 1081-1102 : De calumpnia dimissa Sancto Vincentio a Gersende, uxore Huberti Ribole 1082-1102 : De calumpnia facta in rebus de Super Viduam de fevo Rothroci, quam fecit idem Rothrocus 1085-1098 : De calumpnia terre site juxta caput ecclesie Sancti Maximi 1085-1097 : De calumpnia facta de vicaria apud Sarceium 1090, circa : De calumpnia facta de terra Alguz 1090-1096 : De calumpnia facta a Wilhelmo de Braitello 1090-1102 : De calumpnia de terra de Fontana sedata 1093-1102 : De calumpnia facta ab Ingelbaudo vicario de ecclesia de Aciaco 1095, circa : De calumpnia quam fecit Gaufridus in rebus datis a patre suc. 1096, 16-18 février : De ecclesie calumpnia de Laboratorio 1096, circa : De calumpnia facta a Wilhelmo Hait de propria decima 1097-1100 : De calumpnia quam fecit Parvus de Rupibus in supra dicta ecclesia (Sancte Marie de Villana) 1100, circa : De calumpnia stagni Tafiaci sedata 1100, circa : De calumpnia facta in dictas ecclesias (de Flaccio et de Torreio) 1100, circa : De calumpnia iterum dicta facta a predicto Parvo (de Rupibus) 1100, circa : De calumpnia quam fecit Lisiardus de Sabloio 1100-1120 : De calumpnia facta a Wilhelmo de Sancto Lupo 1100-1120 : De calumpnia facta de terra de Monte Alberonis 1100-1120 : De calumpnia ecclesiarum de Matheriis et Curtcismont 1100-1120 : De calumpnia in rebus quas dedit Anseisus de Charentiaco 1103-1110 : De calumpnia facta a Witerno de Cresenthone relicta Par ailleurs, une autre de ces chartes, émise au XIIème siècle et ne présentant aucun litige, se rapporte à un bien immobilier « in decima de Callumpniis » - dans les décimes des Chalonges (commune de Beaufay, canton de Ballon). En examinant un autre cartulaire, celui de l’Abbaye Sainte-Père de Chartres, dont les chartes ont été émises entre 889 et 1490, la première contestation apparaît entre 1033 et 1069, et la suivante en 1077 ; 10 autres s’échelonnent ensuite jusqu’en 1136. Compte tenu de ces éléments et à ce stade de notre analyse, peut-on prétendre que « Les Chalonges », relevant de l’Abbaye de Saint-Calais, furent l’objet de litiges ? C’est peu probable, si on considère que jusqu’à leur fuite à Blois et à Sens dans la 2ème moitié du IXème siècle, fuite due à la destruction de leur monastère par les pirates scandinaves, les moines de Saint-Calais conservèrent la jouissance de leurs droits initiaux (ceux décrits dans la donation de Childebert, datée de la 4ème année de son règne), même si, à plusieurs reprises, l’évêque du Mans tenta de s’emparer de leur abbaye. Tout ce qu’on sait, c’est qu’ils mirent ensuite plus de 100 ans pour restaurer leur monastère et que leurs droits féodaux et prérogatives furent rétablis sous l’épiscopat de l’évêque Avesgaud (décédé en 1035), car entre-temps, à l’époque des ravages normands, des seigneurs issus des pirates s’étaient emparés des biens dévastés. C’est ce qu’on peut constater dans l’extrait du censif de l’abbaye, rédigé en 1391, censif que nous venons de découvrir, s’agissant des biens de Saint-Calais dans la paroisse de Montaillé : « … Montaillé… Eglise sous l'invocation de Saint-Jean-Bapliste ; assemblée le 24 juin, de temps immémorial. - La cure, estimée 1000 livres de rentes, était à la présentation de l'abbé de Saint-Calais, lequel, suivant le censif de celle abbaye, dressé en 1391, était doyen, et archidiacre en la ville et paroisse de Saint-Jean de Montaillé… La seigneurie de paroisse appartenait au Roi, probablement comme ayant été réunie à la châtellenie de Saint-Calais, ainsi

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qu'il fut jugé au parlement de Paris, vers 1760 à 1770, contre le sieur Soin de la Tibergerie, acquéreur de la terre de la Gauterie, qui prétendait que cette seigneurie était annexée à ladite terre. On lit à cet égard, dans le censif de l'abbaye de Saint-Calais, déjà cité : Ledit curé de Montaillé et Jean Breteau, sont hommes de foy dudit abbé, de la métairie des Noyers et appartenances, pour raison du fief des Chalonges, et en font servige et cheveau de servige, quand il y échiet rachats et aides, selon la coutume et selon le contenu de leur aveu. - Item, ledit abbé a en ladite paroisse, plusieurs étraigers, cens, tailles et justice, par raison du fief des Chalonges, qui vient de ceux de Ponteron. - (Les métairies sur lesquelles ce droit de justice était exercé, comme appartenant primitivement à sa crosse, étaient : la Lande, Fay, les Chemins, les Brières, Crucé, la Jaunais, les Chalonges.) - Item, le sire de Calonge est suserain dudit fief des Chalonges et le garantit à 5 s(ols) a mutation d'abbé. - Item, la métairie de la Michelière, acquise, ainsi que celle de la Minière, par l'abbé Nicolas, de Mace Galon, est comprise au fief dudit abbé, à cause des Chalonges, et doit chacun an, 3 s(ols) de cens et 6 s(ols) de taille, et la partie de celle de la Mi(g)nière comprise, sur la paroisse de Montaillé, ainsi que celle de la Bouverie… » (Dictionnaire topographique, historique et statistique de la Sarthe, suivi d'une biographie et d'une bibliographie, de Julien Rémy Pesche, 1836). De prime abord, on lit dans ce censif que le fief des Challonges venait de ceux de Ponteron (moines de l’Abbaye de Pontron). Or cette abbaye cistercienne, au diocèse d’Angers, avait été fondée en 1134 (cf. les 2 extraits ci-dessous) : « … Table alphabétique des abbaies de l’Ordre de Citeaux… Sous le gouvernement de Rainard quatrième abbé de Citeaux… 1134… Ponteron (diocèse d’)Angers (Maison mère) Loroux… 1134 : Ponteron… » (Essai de l'histoire de l'ordre de Citeaux, de Pierre Le Nain, 1697). « … Vous trouvez dans la paroisse même du Louroux l'ancienne abbaye de Notre-Dame de Pontron, qui doit son origine a un ermite nommé Clément. Ce saint homme s'étant retiré, en 1134, dans le bois du Louroux, jusqu'alors repaire de malfaiteurs, pour y vaquer plus librement à l'oraison, les seigneurs du voisinage l'engagèrent, en lui promettant leur concours, à convertir en lieu de prière celle caverne de voleurs. Clément, entrant avec bonheur dans leurs vues, s'associa d'abord plusieurs solitaires disposés à mener comme lui la vie parfaite, puis proposa aux religieux de Cîteaux, établis depuis treize ans a l'abbaye du Louroux, dans la paroisse de Vernantes, d'accepter un grand espace de terres incultes, encore couvertes de bois, que consentaient à lui céder les seigneurs voisins, à condition qu'ils y bâtiraient un monastère. L'abbé du Louroux accepta la proposition, et vint s'établir à Pontron, au milieu de ces bois, avec quelques-uns de ses religieux. Bientôt la bonne odeur de leur sainte vie embauma tout le pays. On leur fit des dons considérables pour leur aider a bâtir le monastère ; les seigneurs et gentilshommes que la voix éloquente de saint Bernard, prêchant alors la (2ème) croisade (Pâques 1146 à Vézelay), avait déterminés à partir pour la terre sainte, vinrent les visiter, mettre leur voyage et leur personne sous la protection de Notre-Dame de Pontron, faire bénir par elle leurs drapeaux et leurs armes ; et joignant l'aumône à ces pieuses démonstrations, ils leur firent don de plusieurs terres, en se recommandant a leurs prières. Telle fut l'origine de Notre-Dame de Pontron, dont, hélas, aujourd'hui il ne reste plus que quelques ruines… » (Notre-Dame de France : L'histoire du culte de la Sainte Vierge dans les provinces ecclésiastiques de Bordeaux, Tours et Rennes, d’André Jean Marie Hamon, 1864). Une apparente contradiction semble exister dans le texte du censif. En effet, on y lit : « … Item, ledit abbé a en ladite paroisse, plusieurs étraigers, cens, tailles et justice, par raison du fief des Chalonges, qui vient de ceux de Ponteron… ». Et plus loin : « … Item, le sire de Calonge est suserain dudit fief des Chalonges et le garantit à 5 s. a mutation d'abbé… ». Dans le 1er item, on comprend que des étrangers, serfs ou paysans envoyés là par l’abbaye de Ponteron, sont venus se fixer en la paroisse de Montaillé, plus particulièrement sur les terres du fief des Chalonges, fief qui semble provenir de ceux (les moines) de Pontron (l’abbaye cistercienne). Dans le 2ème item, le sire de Calonge est dit être suzerain du fief des Chalonges, en le

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garantissant à 5 s(ols) à mutation d’abbé. Nous devons comprendre le terme suzerain de la manière suivante : « … Je fais cette note, parce que je vois tous les jours confondre les noms, & appeller Suzerain celui qui n’est que Dominant ; il est appelé Suzerain relativement à l’arrière-fief. Dans les tems même ou la matière des fiefs étoit encore mal digérée, & presque point débrouillée, cette erreur a glissé dans quelques Coutumes. Maine, par exemple, art. 222, nomme Suzerain celui que tout de suite elle appelle Chef - Seigneur ; Id est Dominant. De même en Anjou. C’est une erreur grossière ; on ne connaît que 3 degrés ; le Suzerain, le Dominant, & le Servant. Dans ce cas, relativement au Suzerain, le fief servant est l’arrière-fief, parce qu’il a le Dominant entre deux, qui lui-même est Servant du Suzerain, lequel a son égard n’est que Dominant. En un mot, le Suzerain est le seigneur médiat de l’arrière-fief… » (Traité des fiefs, tant pour le pays coutumier, que pour les pays de droit écrit, de Germain-Antoine Guyot, 1746). Et que veut dire l’expression « garantir un fief » ? Lisons ce qu’en disait le traité des fiefs, dont voici un large extrait : « … Des Droits du Seigneur suzerain sur les choses démembrées. Nous avons dit ci-dessus, que dans la Coutume de Paris le Démembrement de Fief ne fait aucun préjudice au Seigneur, qui prend tous ses droits féodaux sur la partie aliénée ou démembrée, ainsi que sur celle qui est retenue, à moins qu'il n'ait approuvé expressément ou tacitement la sous-inféodation, à quoi il ne peut être contraint. Il n'en est pas tout-à-fait de même dans nos Coutumes d'Anjou & du Maine ; car le Démembrement de Fief, quand il est aux termes & sous les conditions de la Coutume, peut être fait malgré le Seigneur qui est obligé de le reconnoître & de l'inféoder, en sorte que ce qui auparavant relevoit de lui directement & en plein Fief, n'en releve plus que médiatement & par arrière-Fief et & ce qui étoit tenu de lui à Foi & hommage, a pu être converti en censive, ce qui arrive toutes les fois que le Vassal alienateur n'a retenu qu'un devoir annuel sur la chose aliénée, ce que nous avons appellé une Constitution de tenure censive. Delà il résulte que le Seigneur souffre préjudice par ce Démembrement, puisqu'il n'a plus que le droit de suzeraineté sur la chose aliénée, laquelle releve immédiatement du Vassal alienateur à Foi & hommage ou censivement, suivant les diverses conditions de l'aliénation, & ce Vassal alienateur qui demeure Vassal par rapport au chef-Seigneur d'où il releve d'ancienneté, parce qu'il possede un Fief servant à son égard, devient Seigneur par rapport à l'acquéreur de la chose aliénée à l'égard duquel les deux tiers par lui retenus forment un Fief dominant. Ainsi il est clair que la partie aliénée est affranchie de la seigneurie directe de l'ancien Seigneur, qui n'est plus que suzerain à cet égard, & qu'au contraire le nouveau Seigneur est bien fondé d'exercer tous les Droits seigneuriaux sur cette partie aliénée, & d'y prendre à l'avenir les droits féodaux, s'il a retenu Foi & hommage & les droits de censive, s'il a seulement retenu devoir ou cens. Nous disons à l'avenir, car pour le Contrat d'inféodation ou d'accensement par lequel on fait de son domaine son Fief, il n'est dû aucuns droits seigneuriaux. Il n'en est point dû à l'ancien Seigneur que nos Coutumes appellent chef-Seigneur, suivant la disposition des articles 201. d'Anjou, 216. du Maine, il n'en est point dû au Vassal alienateur ou nouveau Seigneur, suivant les articles 161. d'Anjou, 178. du Maine. Mais nos Coutumes en autorisant le préjudice qu'on fait en cela au chef-Seigneur, que nous appelions suzerain, parce qu'il est devenu tel, ont pourvu à son indemnité. Ce dédommagement consiste en trois choses. La première, que le Vassal alienateur, c'est-à-dire pour nous servir des termes de nos Coutumes, celui qui tient les deux tierces parties du Fief, doit garantir sous son hommage celui qui tient de lui la tierce partie. Ce mot garantir, veut proprement dire exempter & affranchir cette tierce partie de tous devoirs seigneuriaux vers le Seigneur superieur, mais il emporte aussi obligation de la part de celui qui tient les deux tierces parties de déclarer dans ses Aveus qu'il garantit sous son Hommage le possesseur de la tierce partie ; comme s'il disoit qu'il fait en quelque façon Hommage pour lui & en son lieu & place ; & il doit

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encore emploïer dans son Aveu le possesseur de cette tierce partie au nombre de ses Vassaux ou Sujets, avec dénombrement en gros de ladite tierce partie… » (Traité des fiefs, de Claude Pocquet de Livonnière, Jean-Baptiste Coignard, Pierre-Augustin Le Mercier, 1729). Par conséquent, s’agissant du fief des Chalonges, dont le suzerain est l’abbé de Pontron, le sire de Calonge est lui-même suzerain de l’abbé de Saint-Calais auquel il a aliéné une partie de son fief (peut-être la tierce partie comprenant les métairies décrites dans le censif avec la référence suivante : « en raison du fief des Chalonges »). On notera que l’appellation « sire de Calonge » dénote un état seigneurial et non un patronyme. On découvre aussi, dans ce censif, que le droit de justice était exercé sur la métairie des Chalonges, comme appartenant primitivement à la crosse de l’abbé. C’est donc que cette métairie, ou son équivalent, existait déjà sous le règne de Childebert. Mais c’est le sire de Calonge qui, en 1391, est suzerain de l’abbé de Saint-Calais pour ledit fief, auquel il accorde sa garantie moyennant 5 sols à mutation dudit abbé. La partie du fief des Chalonges relevant de l’abbé de Saint-Calais comprenait au minimum 4 à 5 métairies en 1391 : Les Chalonges ; Les Noyers ; la Michelière ; la Mi(g)nière et peut-être aussi la Bouverie. Où résidait le sire de Calonge, suzerain des Chalonges en 1391 ? Au Challonges, ou bien en Anjou ? A titre d’exemple, à cette époque, « … la seigneurie de Saint-Calais était aux mains d’Olivier d’Ussé en 1369, mais il la vendit avant 1395 à Jean du Bueil. Ces personnages divers auxquels échut successivement la seigneurie étaient de trop haut vol pour venir y résider. Ils se contentaient d’en sauvegarder les droits et s’y faisaient représenter par un prévôt. Jean de Bueil appartenait à une famille tourangelle d’origine et fixée, depuis le XIIIème siècle, dans un petit village dont elle portait le nom (Bueil, commune du canton de Neuvy-le-Roi, arrondissement de Tours, Indre-et-Loire)… » (cf. Histoire de Saint-Calais, de l’Abbé L. Frogier, 1901). S’agissant des seigneuries locales, il en fut une, certes de moindre importance que la seigneurie de Saint-Calais, mais qui était située sur le territoire de l’actuelle commune de Montaillé, à savoir la seigneurie des fief et château de La Mérie : « … Le château de La Mérie, simple ferme aujourd'hui, était le chef-lieu du fief le plus considérable de Montaillé. Les seigneurs de La Mérie ayant fait construire le château de la Gauterie, vers la fin du XVIIème siècle, l'ancien château de La Mérie, abandonné par eux, tomba promptement en ruines. Cependant, il y a une quarantaine d'années, il restait encore un étage qui fut alors démoli (vers 1802) ; une grande salle du rez-de-chaussée a conservé son vaste manteau de cheminée à pilastres, dans le style du XVIème siècle. On voit encore sous les combles deux cheminées de la même époque. Le château de La Gauterie n'offre aucun intérêt architectural ; il n'existait pas à Montaillé de fief de ce nom ; mais il a été, jusqu'à l'abolition de la féodalité, la résidence des seigneurs de La Mérie et le siège de leur justice. Ainsi, on lit au bas d'un acte de 1725 : Présenté et affirmé aux plaids et assises de la Mérie, tenues au lieu seigneurial de la Gauterie, le 3 septembre 1723. A cette seigneurie on trouve constamment réuni le fief de la sénéchaussée de Saint-Calais, auquel était attaché l'office de sénéchal de la châtellenie, devenu héréditaire, à ce point qu'une femme, Jeanne de Tucé, dame de La Mérie, était, vers le milieu du XVème siècle, le sergent sénéchal du seigneur châtelain de Saint-Calais. Le plus ancien seigneur connu du fief de La Mérie est Guillaume d'Assé. Son nom est relaté dans le passage suivant d'un aveu de la châtellenie de Saint-Calais, rendu en 1465 par Jean de Bueil, comte de Sancerre et seigneur de Saint-Calais, à Jean de Bourbon, comte de Vendôme, son suzerain comme baron de Mondoubleau : Jehanne de Tucé, dame de la Mérie, foy et hommage-lige, à cause de la sénéchaussée de ma chastellenie de Sainct-Kalès, qui fut

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Messire Guillaume d'Assé, chevalier, et loyaulx aydes et tailles quant elles adviennent estre levées par la coustume du pays ; par raison de laquelle sénéchaussée, la dicte Jehanne de Tucé m'est tenue servir de sergent en ma dicte chastellenie qui s'appelle sergent sénéchal, lequel est tenu faire bon les amendes qui sont taxées tant en mes assises du dict lieu qu'en ma court extraordinaire, sans y prendre rien, et si aucuns abus le dict sergent commettoit en faisant le dict office, la dicte Jehanne est tenue de les réparer… » (cf. L’histoire féodale de Montaillé ; Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe, 1862). Une remarque s’impose après avoir lu le document précédent. Jehanne de Tucé était, en 1465, dame de La Mérie, avec pour suzerain le seigneur de Saint-Calais. Or La Mérie était un fief pourvu d’un château qui tomba en ruines au cours du XVIIème siècle. Mais dans le censif de Saint-Calais établi au cours de l’année 1391, le sire de Calonge est qualifié, dans un « item » qui lui est spécifique, de suzerain du fief des Chalonges. On notera que seul l’état seigneurial du sire de Calonge figure sur le censif, ainsi que celui de l’abbé, ce qui nous fait dire que cet « item » a probablement été recopié de censif en censif. Ainsi au XIIIème siècle, l’abbé prélevait un impôt à la métairie des Chalonges, ce qui valide l’hypothèse que nous venons de faire : « … XIIIème siècle : Gros des cures… In ecclesia sancti Johannis de Montailler percipiunt dicti abbas et conventus unum modium bladi in magna decima videlicet… ; percipiunt etiam parvam decimam sancti Johannis et medietatem tractus et tertiam partem mestivae apud Chalonge… (En l’église Saint-Jean de Montailler, l’abbé et le couvent percevront évidemment un muid de blé dans la grande dîme… ; ils percevront encore la petite dîme de Saint-Jean et la moitié du trait et un tiers de la mestive à Chalonge…) » (Cartulaire de l’Abbaye de Saint-Calais, de l’abbé L. Froger, 1888). Quant à la « mestive » et au « trait », voici ce qu’on peut en dire : « … La mestive (mestiva) est une sorte de champart qui oblige celui qui tient la terre à payer au seigneur une redevance en blé… » (Le livre des droiz et des commandemens d'office de justice : publié d'après le manuscrit inédit de la bibliothèque de l'Arsenal, de Charles François Beautemps-Beaupré, 1865). « … Le trait (tractus) devait être le droit pour le seigneur de faire rentrer ses dîmes par les vassaux de son domaine… » (Annuaire historique du département de l'Yonne, de Ch. Milon, 1857). Nous avons vu précédemment qu’en 1351, Guillaume de Challonges, paroissien de Montaillé, vendait une rente sur tous ses biens à la Maison-Dieu de Saint-Calais. C’est bien la preuve qu’une famille de Calonge, ou de Challonges, s’était installée depuis longtemps dans la paroisse de Montaillé. Alors, en faisant un parallèle avec la dame de la Mérie et son château, pourquoi le sire de Calonge n’aurait-il pas fait édifier un petit manoir à l’endroit où subsite actuellement une simple métairie, celle des Chalonges ? Cette remarque en entraîne une autre. Comment le fief des Chalonges a-t-il pu tomber dans les mains de l’abbé de Pontron ? Nous avons déjà avancé l’hypothèse selon laquelle les terroirs de ce fief auraient été usurpés aux moines de Saint-Calais, en 924, lors des pillages des pirates normands sur le Maine, les nouveaux propriétaires étant évidemment les mêmes qui dévastèrent la région. Or 50 ans plus tard, ces terres seront données par le roi de France aux comtes d’Anjou. Voici comment : « … Episcopat de Sigefroy (960-995) de la maison de Bellême. La maison de Bellême plaça successivement 3 de ses membres sur le siège épiscopal du Mans, et ces 3 prélats gouvernèrent le diocèse pendant 95 ans. Elle en éleva d’autres à des prélatures inférieures et à des dignités importantes dans notre Eglise ; et elle jouit d’une importance très grande dans le

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Maine pendant toute cette période… L’épiscopat de Sigefroy fut marqué par un évènement important. En 979, Geoffroy Ier, dit Grisegonelle, comte d’Anjou, marcha au secours du roi Lothaire, contre l’empereur Othon II, qui s’était avancé jusqu’à Montmorency, dont il faisait le siège, et même jusque sur les buttes de Montmartre, d’où il menaçait Paris. Geoffroy eut la part principale dans la victoire que remportèrent les Français… Lothaire, en récompense à ce service et d’autres que Geoffroy lui avait rendu, le gratifia, lui et ses successeurs dans le comté d’Anjou, de la charge de sénéchal de France. A ce privilège, le monarque en ajouta un autre plus important encore. Dans une assemblée générale des évêques, des comtes et des barons, il lui assura tous les droits dont les rois de France avaient joui dans les évêchés du Mans et d’Angers. Plus tard, ces concessions furent confirmées par les premiers princes de la dynastie capétienne… » (Histoire de l'église du Mans, de Paul Piolin, 1856). Il est certain que l’ex-domaine de l’Abbaye de Saint-Calais, dont l’origine provenait d’une donation royale (d’après la charte de Childebert I), fut du lot, puisqu’il était situé dans l’évêché du Mans, dont l’évêque était Sigefroy, de la maison de Bellême. Sous l’épiscopat de l’évêque suivant, Avesgaud, neveu du précédent, l’Abbaye de Saint-Calais retrouva ses droits féodaux et prérogatives (dans les années 1020). En tout cas, le fief des Chalonges était apparemment resté sous la coupe angevine. Lorsque saint Bernard prêcha la 2ème Croisade en 1146, on sait que de nombreux barons angevins firent des dons de terre à l’Abbaye de Ponteron avant de partir en Palestine. C’est probablement de cette manière que le fief des Chalonges passa dans les mains de l’abbé de Ponteron, voire lors de la création de l’abbaye en 1134 (ou quelques années après), lorsque le comte d’Anjou la dota de terres. D’où les items du censif de l’Abbaye de Saint-Calais, datant de 1391. Il est probable qu’à cette époque, le sire de Calonge n’appartenait plus à la famille « de Calonge », famille qui vit le jour en 924, lorsqu’un Normand s’empara du fief vacant. Cela dit, nous venons de découvrir que le diplôme établi en 515, et dans lequel Childebert I donne à saint Calais une partie de son Fisc de Bonnevau, serait un faux : « … Childebert I, pour Saint-Calais, 20 janvier 515… Ce diplôme de donation est un faux… La forme de l’acte est carolingienne. Le fond l’est également. Il est antérieur à 863, puisqu’il se trouve dans le cartulaire envoyé au pape Nicolas 1er. Le diplôme a dû être fabriqué pour fournir au monastère une arme contre les prétentions de l’évêque du Mans ; or ces prétentions ne se sont manifestées qu’après la mort de Louis-le-Pieux. Le plus probable est que les religieux l’ont composé à l’époque où ils se sont occupés d’explorer leurs archives et de recueillir leurs titres, c’est-à-dire vers les années 850-855… Ce qui en fait l’intérêt, ce sont les indications très détaillées qu’il contient sur les limites des terrains compris dans la prétendue donation de Childebert I : il est clair que ces limites sont celles du territoire que possédait ou prétendait posséder l’abbaye, au temps de Charles-le-Chauve (840-877)… Autant qu’on peut en juger, le domaine de l’abbaye englobait au moins les territoires de 5 communes actuelles : Saint-Calais, Conflans, Marolles, Montaillé, Rahay. Au Nord, à l’Est et au Sud-Est, les limites du domaine sont à peu près les mêmes que celles du canton de Saint-Calais, et, en partie, celles du département de la Sarthe… » (Œuvres de Julien Havet - Questions mérovingiennes, 1896). Or voici ce qu’en dit l’abbé Froger, rédacteur du cartulaire de l’Abbaye de Saint-Calais : « … Les indices de toute sorte qui trahissent une rédaction postérieure à l’époque mérovingienne y abondent. Il suffit d’en indiquer quelques-uns (écrit Julien Havet). Nous les résumons (écrit l’abbé Froger). Le roi, s’adressant à ses fonctionnaires, leur parle tantôt à la seconde personne, tantôt à la troisème personne ; c’est au cours de la pièce une perpétuelle confusion ; on ne voit rien de tel dans les titres qui nous sont connus. En outre le prince exprime sa donation par ce mot dedimus, alors que sous les Mérovingiens, le terme consacré est non pas dare, mais concedere. La souscription est toute carolingienne. Dans les actes mérovingiens, la date de temps et celle de lieu sont esprimées au moyen d’une seule et même

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phrase qui commence par le mot datum. Sous la seconde race, ces dates sont séparées, la première étant marquée par le mot data, la seconde, par actum. Or c’est cette dernière formule qui est employée par Childebert. Etc. Nous supposerions plus aisément que ce document a été altéré, enjolivé, par des copistes ignorants ou trop zélés et que ces derniers doivent, pour une large part, être rendus responsables des incorrections nombreuses et importantes que l’on a signalées (écrit l’abbé Froger). L’autorité en est par là de beaucoup diminuée, mais tel qu’il est, il peut nous donner une idée suffisante de la générosité dont le roi fit preuve, en dotant le monastère de Saint-Calais… » Par la suite, une synthèse d’ensemble des faux diplômes mérovingiens et carolingiens a été menée par d’éminents chartistes issus de l’Ecole des Chartes. Voici ce qu’écrit le rédacteur de cette synthèse, intitulée « Manuel de diplomatique », la diplomatique étant l’étude approfondie des diplômes dont il est question : « … L’Abbaye de Saint-Calais (Anisola), au diocèse du Mans, fondée, selon la tradition, au temps de Childebert I, avait perdu la plupart de ses anciens privilèges, à l’exception des préceptes d’immunité que lui avaient concédés Clovis III, Childebert III et Dagobert III, de 2 privilèges de Pépin-le-Bref plaçant l’abbaye sous la protection royale et de 3 diplômes de Charlemagne et de Louis-le-Pieux, lorsque l’évêque diocésain, Aldric, prétendit, vers le milieu du IXème siècle, la ranger parmi les possessions de son évêché. Pour se défendre, les religieux produisirent les titres qui leur restaient et refirent ceux (actes réécrits) qu’ils avaient perdus. A l’aide des vies de leurs premiers abbés, saint Calais et saint Sivard, composées, l’une au IXème siècle, la seconde au VIIème ou au VIIIème siècle, à l’aide d’une brève mention de Grégoire de Tours et des diplômes de Pépin-le-Bref, ils reconstituèrent le diplôme de la fondation de Childebert I et 3 autres actes, attribués au même Childebert I, à Chilpéric I et à Thierry III, plaçant l’abbaye sous la protection royale. Tous ces documents nous sont parvenus dans une copie moderne du recueil, formé au IXème siècle par les moines, et grâce auquel ils purent successivement triompher de leur évêque, d’abord au concile de Bonneuil en 855, puis, en 863, devant une assemblée présidée par le roi à la Verberie, et enfin, la même année, auprès du pape Nicolas I. Tous ces faits ont été admirablement mis en lumière par Monsieur Julien Havet, dans une étude des chartes de l’Abbaye de Saint-Calais qui demeurera un modèle de critique pénétrante et lumineuse… C’est à un prélat séculier qu’il faut attribuer l’une des fabrications les plus impudentes (actes faux) dont l’histoire ait gardé le souvenir. L’évêque du Mans, Aldric, auquel la critique moderne impute d’autres méfaits du même genre, avait entrepris, on l’a vu plus haut, de revendiquer la possession de l’Abbaye de Saint-Calais. Pour se l’assurer, il exécuta, vers 840, toute une série de fausses chartes mérovingiennes et carolingiennes, qui furent produites après sa mort, par son successeur Robert, en 863, dans une assemblée présidée par le roi à la Verberie. Ces documents apocryphes furent solennellement condamnés, et le roi ordonna de les détruire. Ils nous ont été heureusement conservés… » (Manuel de diplomatique, d’Arthur Giry, 1972). Nous ne pouvons que partager l’avis éclairé d’Arthur Givry. En effet, dans l’affaire qui opposait l’évêque du Mans à l’abbé de Saint-Calais, s’agissant de la possession de l’abbaye calaisienne, Louis-le-Pieux a toujours été favorable à Aldric, l’évêque diocésain. Les moines de Saint-Calais durent donc attendre le règne de Charles-le-Chauve, qui débuta en 840, pour présenter une fois de plus leurs doléances au roi de France. Il est évident que l’évêque, face au nouveau roi, s’est cru capable de le berner en lui présentant des « faux » tandis que l’abbé de Saint-Calais se lança dans la réécriture des diplômes que ses prédécesseurs avaient perdus, en particulier la fameuse charte de donation de Childebert I. On notera que le pape Nicolas I avait d’abord donné raison à l’évêque, avant de se retourner contre lui en exigeant qu’il détruise les faux diplômes ayant été réalisés sous l’épiscopat d’Aldric. Or, même en tenant compte de la réécriture de l’acte de donation de Childebert I, réécriture qui aurait donc été faite à l’époque carolingienne (vers 850), il apparaît évident que l’origine du

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toponyme des Chalonges n’a, de toute façon, rien à voir avec les mutations féodales précédemment décrites ni avec la transition de la langue romane rustique vers la langue d’Oïl, apparues à la fin du IXème siècle, puis au cours du Xème siècle, et enfin au début du XIème siècle. Alors, d’où peuvent provenir les Chalonges ? Pour répondre à cette interrogation, il est nécessaire de se référer à plusieurs hypothèses. Certains auteurs prétendent que le terme « Calonge » peut provenir de « Calonica », identique à « Colonica », un petite colonie (colonia en latin) : « … Calonica. Idem quod Colonica in Chartis aliquot Provincialibus... » (Glossarium mediae et infimae latinitatis, de Charles Du Fresne Du Cange, G. A. Louis Henschel, Pierre Carpentier, Johann Christoph Adelung, Léopold Favre, Marquard Freher, Joseph Juste Scaliger, Marcus Welser, 1883). « … Calonica : pro Calumnia. Calonica : (amende) poena pecuniaria, multa pro injuste institute actione, ut Calengium ; (petit domaine) coloni habitation et praedium, ut Calonica… » (Lexicon manuale ad scriptores mediae et infimae latinitatis : ex glossariis, de W. H. Maigne d'Arnis, J.-P., Jacques-Paul Migne, 1890 ; Lexicon latinitatis medii aevi , d’Albert Blaise, 1975). « …Calonge (antic Colonge) recorda un territori antigament confiat a l’administratio, a la colonitzacio d’altri… » (Els nostres noms de lloc, Enric Moreu Rey, 1982). « … colonica : calonge… » (Recueil des actes de Louis II le Bègue, Louis III et Carloman II, rois de France, de Félix Grat, 1978). « … Calonge : G. de Colonge ; a(nnée) 1120… » (Boletín de dialectología española, 1955). Qu’est-ce qu’une « colonica » ? Voici plusieurs éléments de réponse : « … Parmi les dépendances du manse figure en première ligne l'habitation nommée tantôt casa, tantôt sella ou cella, suivant qu'il s'agit d'un manse seigneurial ou tributaire. Le mot mansus est pris lui-même ordinairement dans cette acception restreinte, mais il désigne aussi quelquefois avec l'habitation les terres qui en dépendent, et, dans certains cas, les terres seulement. Curtis, qui est quelquefois, ainsi que factus et hoba ou huba, synonyme de mansus et même de villa, désigne plus ordinairement la cour ou la basse-cour : c'est la signification que ce mot présente dans les lois des barbares et dans le Polyptyque. M. Guérard cite à ce propos un texte de la loi des Bavarois, qui lui paraît signifier que le jet de la hache marquera, au Midi, à l'Orient et à l'Occident, les limites de l'enceinte de la cour, et que, quant au Nord, qui est le côté sur lequel doit tomber l'ombre de l'enceinte, la limite sera réglée par un jugement ou par un arbitrage. Mais on serait, je crois, conduit à une autre interprétation, si, au lieu de mettre un point après occidentem et une virgule après pertingit, on ponctuait ce texte de la manière suivante : Si autem curtis adhuc cinctus non fuerit, ille qui defendere voluerit, jactet securem, saiga valentem, contra meridiem, orientem atque occidentem ; a septentrione vero, ut umbra pertingit : amplius non ponat sepem nisi determinata fuerit contentio. Ce passage signifierait alors que les limites de la cour devaient être marquées, au Midi, à l'Orient et à l'Occident, par le jet de la hache, au Nord par l'ombre du bâtiment; et que, pour excéder ces limites, il fallait y être autorisé par un jugement. A l'énumération des bâtiments qui étaient ordinairement construits dans l'intérieur ou aux environs de la cour d'un manse seigneurial, M. Guérard joint de curieux détails sur ces ateliers de femmes nommés gynécées, qui finirent par se changer en lieux de prostitution. Il retrouve un équivalent du manse dans le fonds colonaire colonia ou colonica, que Bréquigny nomme colonage et qui consistait ordinairement dans une habitation accompagnée d'une certaine quantité de terres. Rapproché de mansus, le mot colonica paraît désigner les terres à

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l'exclusion des bâtiments ; joint à un nom propre, il devient synonyme de villa et représente soit une terre composée de plusieurs manses, soit un village ou un hameau ; distingué de la villa, il n'en comprend que la partie occupée par les serfs laboureurs et composée principalement de manses tributaires. Même dans son acception la plus étroite, le mot colonica s'applique à des possessions beaucoup plus considérables que les hospices, qui, se composant d'un fonds de terre peu étendu, ne formaient pas comme les manses un établissement rural à peu près complet, n'étaient pas soumis, dans l'intérieur d'un même fisc, à des lois communes et constantes, pouvaient être arbitrairement réunis ou divisés, et ne constituaient peut-être, au moins dans l'origine, qu'une tenure temporaire et révocable. D'autres tenures, composées probablement de petites portions de terre, sont appelées dans le Polyptyque unciae et partes. M. Guérard termine son examen des biens de l'abbaye de Saint-Germain en traitant des jardins, des moulins, des églises et des chapelles… » (Journal des Savants, de l’Académie des inscriptions & belles-lettres - France, Institut de France, 1845). « … M. Ducange expliquant le mot colonica, dit que c'est coloni habitatio & praedium, & que le mot mansus a la même signification que ceux de colonica, ou de colonia, qui est habitaculum rusticum cum sufficienti praedio ad alendum colonum aut familiam rusticam… » (Observations sur les titres des droits de justice, des fiefs, des cens, des gens mariés et des successions, de la coutume du comté de Bourgogne ; avec des traités à l'usage de la même province sur les institutions contractuelles, la puissance paternelle, les sociétés tacites, les baux à chepteil, de François-Ignace Dunod de Charnage, 1756). « … Souvent, la colonica est une unité d’exploitation agricole plus considérable que le manse… » (Mediae Latinitatis lexicon minus : lexique latin médiéval-français/anglais, de Jan Frederik Niermeyer, C. van de Kieft, G. S. M. M. Lake-Schoonebeek, 1976). « … Plus de dix ans après, en 615, lorsque saint Bertrand fit son testament, il ajouta beaucoup au domaine de son monastère en lui attribuant les terres de Crissé, Thionville, Colonica Talele, peut être Talais, dans le Bordelais… Bertrand légua encore à l'abbaye les domaines de Gaviacus, Colonica, Landolmae, Ferrensis ; dans les lieux nommés Cellis et Samarciago, près de la ville du Mans, tout ce qui appartenait à Portithorengus que le saint évêque avait eu sous sa tutelle, tout ce que Cela, Mancia et Guntha avaient possédé ; … une autre ferme nommée aussi Colonica, que Leodault avait donné à saint Bertrand pour les fondations qu'il faisait… » (Histoire de l'église du Mans, de Paul Léon Piolin, 1851). « … L’évêque acquiert la moitié d’une colonica au nom de la basilique Saints-Pierre-et-Paul, donc en étant administrateur de celle-ci, manifestement pour compléter un don. Il s’agit ici assurément de la possession des droits de cette colonica et non du bien réel, une colonica, traditionnellement traduite par l’expression : tenure occupée par un colon, ne pouvant être réellement séparée en 2 pour être viable. De plus, une moitié est donnée par une dame noble (illustris matrona) ; il est donc difficile d’envisager qu’elle offre une terre aussi petite que la moitié d’une colonge… » (Aux sources de la gestion publique : L'invasio des villae, ou, la villa comme enjeu de pouvoir, d’Elisabeth Magnou-Nortier, 1995). D’après ces 5 extraits de textes, il est difficile de cerner la constitution d’une colonica. Certains auteurs affirment qu’une colonica est un regroupement de plusieurs manses, voire un village ou un hameau ; d’autres avancent l’idée que la colonica est insécable territorialement, pouvant être une ferme qui, le temps passant, se dénommait ainsi dans le Maine (vers l’année 615). Si on observe la carte I.G.N. des environs de Saint-Calais, on s’aperçoit qu’un ancien village se dénomme « Vieux-Coulonge » ; il est situé à 4 kilomètres à l’Est - Nord-Est de Saint-Calais, sur un éperon bordant le ruisseau de Coulonge, alors que le château de Coulonge a été construit à 2 kilomètres au Nord-Ouest dudit village, près du lit du ruisseau. Pour autant, peut-on affirmer que la métairie des Chalonges, simple ferme, proviendrait elle aussi d’une ancienne colonica ? Cela paraît peu probable, compte tenu de la prononciation et de l’écriture « Coulonge »,

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dérivées de « Colonge », qui apparaît dans le pays du Mans : « Colonia », « Coloniis », « in villa que dicitur Colonia (995-1032) » - Coulaines, près du Mans. Voici par ailleurs un exemple de Colonica mancelle, mentionné dans un acte daté du 4 septembre 581 : « … Exemplar quod domnus Domnolus, de villa Canon per consensum canonicorum suorum ad ecclesiam Sancti Vincenti fecit, anno XX regni domni nostri Chilperici gloriosissimi regis, pridie nonas septembris… Dono basilicae Sanctorum Vincentii et Laurentii, quem meo opere construxi et edificavi, pro salvationem civitatis et populi, conlocavi Coloneca (Colonica) cognominante Canonno… » (Cartulaire de l’Abbaye Saint-Vincent du Mans, de l’abbé R. Charles et le vicomte Menjot d’Elbenne, 1886-1913). Examinons alors les hypothèses émises par Albert Dauzat, linguiste français né en 1877 à Guéret et mort en 1955 à Paris, après avoir enseigné l’onomastique à l’Ecole pratique des hautes études : « … Albert Dauzat, pour Challonges, renvoie à Calonges (Callonica villa ; le suffixe « ica » s’est transformé en « ja », tout comme Colonica a donné Colonge ou Coulonge) du nom d’homme latin Callonius et suffixe ica (la propriété de). Cette interprétation, si elle est possible, présente seulement l’intérêt de situer une localité et une terre connues par les chartes carolingiennes. La seconde interprétation : terre qui a donné lieu à des contestations (Chalonge ou Chalenge), ne peut être discutée qu’à partir de documents plus tardifs, du Moyen Age classique (Xème, XIème, XIIème et XIIIème siècles)… » (Village, forges et parcellaire aux sources de la Seine : l'agglomération antique de Blessey-Salmaise - Côte-d'Or, de Michel Mangin, Jean-Louis Courtadon, Philippe Barral, Philippe Fluzin, 2000). Optons donc pour l’origine Callonicus (propriété de Callonius ou Callonica villa). En voici un exemple concret situé en Haute Normandie : « … Bilan scientifique de Haute Normandie, 1992 … A Callengeville (de Callonica villa ; Callengeville en 1500, Calongeville en 1594), 3 bâtiments à 2 nefs ont été étudiés dans les niveaux les plus anciens d’une villa gallo-romaine… » (Les installations agricoles de l'âge du fer en France septentrionale, de Stéphane Marion, Gertrude Blancquaert, 2000). Après avoir analysé attentivement la charte de Childebert I, réécrite vers 850 mais datée de la 4ème année de son règne (515), nous y avons identifié, outre Rocciacus, les toponymes Coldriciolus et Rivualcham. Sans aucun doute, Coldriciolus (l’actuel Coudrecieux) est un diminutif de Coldricus (ou Coldrico). Le suffixe « iolus » est à l’origine des suffixes toponymiques en « eul » caractéristiques de la langue d’Oïl. Or Coldricus (ou Coldrico ; la Couldraie ?) est un toponyme fréquent qui est lui-même formé du nom commun coldrus (couldre, ou coudrier, et du suffixe -icus désignant un lieu où poussent les coudriers), quoique un nonce « dictus Coldrus » ait existé dans les années 1474. En voici un exemple tiré d’une charte du Xème siècle : « … Carta vero est Hugonis Cenomanensium, in qua, filiis ejus consentienibus Hugone et Herberto, donat ad manufirmam duas villas, unam quae dicitur Laval et aliam quae Coldrico dicitur… » 931-992, analyse de Dom Anselme Le Michel, (Histoire du comté du Maine pendant les Xème et XIème siècles, 1909) ; Charte extraite du livre : (Les pouvoirs locaux dans la France du Centre et de l'Ouest - VIIIème-XIème siècles : implantation et moyens d'action, de Dominique Barthélémy, Olivier Bruand, 2005). Examinons maintenant la constitution du toponyme Rivualcham, précédemment cité. Il s’agit d’une latinisation du mot Rivualcha dérivant de Rivual(d)ica, la prononciation du « d » ayant disparu devant celle du « l ». Or Rivualdus est un nom de personne :

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« … ad Rivualdi mansum… » (Actes et documents anciens intéressant la Belgique, de Charles Albert Duvivier, 1898) ; « … filius Rivualdi… » (Cartulaires des abbayes d'Aniane et de Gellone publiés d'après les manuscrits originaux, Société archéologique de Montpellier, 1900) ; « … Cartularium Beatae Mariae Caritatis… Rivualdus scriptor… » (Archives d'Anjou : recueil de documents et mémoires inédits sur cette province, 1854) ; « … Rivualus Britanniae dux… » (Bibliotheca hagiographica latina antiquæ et mediæ ætatis, 1899). Et tout comme Rocciacus est le domaine de Roccius (Roccius est un nom de personne : à titre d’exemple M. Roccius Felix a été flamine d’un empereur « divus », probablement de Caracalla - cf. Les cultes païens dans l'Empire romain, de Jules Toutain, 1907), Rivualcha est le domaine de Rivualdus. On peut donc raisonnablement envisager que le toponyme Calonges (ou Challonges) provienne de Callonica (la propriété de Callonius). Il existe, en Corse, une ancienne cité dénommée « Calonica », et, en Italie, une autre dont le nom est « Calonico » : « …Calonica, antica città di Corsica, in gran parte distrutta, presso la costa orientale dell’isola… Calonico, vill. della valle Leventina, nell’Elvetico cantone Ticino… » (Corografia dell'Italia, par Giovanni B. Rampoldi, 1832). On notera, à titre de curiosités, qu’un romain (à l’époque du judaïsme), un plombier (romain), un évêque, un archiprêtre, une sainte « madre » italienne et et une sainte irlandaise se nommaient Calonicus ou Calonica : « … that he was the son of Calonicus, sister’s son of Titus ; and before embracing judaism… » (A Cyclopædia of Biblical Literature, de John Kitto, William Lindsay Alexander, 1876), « … Das Plattenfragment trägt einen Stempel mit dem Namen des Plumbarius, Valerius Calonicus… » (Die Wasserbewirtschaftung römischer Thermen, von Günther Garbrecht, Hubertus Manderscheid, 1994), « … Decreta Symmachi papae (pape en 498) … Subscriptiones espiscoporum : … Callonicus Foroclodiensis (en Etrurie : Forum de Claude)… » (Decretales pseudo-Isidorianae, et Capitula Angilramni du Pseudo-Isidorus, de Paul Hinschius, 1863), « … dominus Calonicus archipesbiter predicte ecclesiae… (acte datant probablement du XIIème siècle) » (Archivi D'Italia E Rassegna Internazionale Degli Archivi, de la Bibliothèque des « Annales institutorum », 1940), « … E la semplice e commovente lettera cristiana edita 1161 : Alla mia signora madre Calonica Ammone salute… » (Rivista di filologia e d'istruzione classica, de G. Chiantore, 1932), « (Saints irlandais)… Calonica, Julia, Urbana II… they were buried in the cemetery of Saint Callistus… » (Lives of the Irish saints, by John O'Hanlon, 1923). Mais le nom propre Callonius est utilisé fréquemment au temps de la république et de l’empire romain. On le trouve sur une monnaie consulaire ; puis comme patronyme d’un auteur latin ; dans la Gaule narbonnaise, à Arles, aux Ier ou IIème siècle ; en Hispanie et en Germanie (sur le Rhin ou le Danube) : « … un L. Callonius et un L. Gallonius… » (Description générale des monnaies de la République romaine communément appelées médailles consulaires, de Henry Cohen, 1857) « … Callonius, de cruciatibus martyr… » (Des causes de la décadence rapide de la langue latine, de H. Barreau, 1854), « … D(ecreto) d(ecurionum) publice T. Callonio C(aii) f(ilio) Vol(tinia) Nigro… Titus Callonius Niger, Sohn des Caius, aus der Tibus Voltinia… T. Callonius C. f. Vol. Niger (R), Narbonensis/Italien (?) ; Arles 1./2. Jh… » (Fremde in Gallien-Gallier in der Fremde : die epigraphisch bezeugte Mobilität in, von und nach Gallien vom 1. bis 3. jahrhunderts nachdem Christ, von Lothar Wierschowski, 2001), « …Gaulish names… Calenus (Aeduus.), Calenius (Salonae.), Calionus (Trev.), Callonius (Arelate - Arles)… » (Ulster journal of archaeology, de l’Ulster Archaeological Society, 1859)

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« … L. Callonius Primigenius… » (Inscriptiones Hispaniae Latinae, de W. Henzen, G. B. de Rossi, M. Bang, E. Bormann, 1974), « … Callonius Festus… » (Codex inscriptionum romanarum Danubii et Rheni, von Johann Wilhelm Christian Steiner, 1864). Le nom Calonus fut aussi celui de patriciens de Rome : « … On fit même paraître sur l’arène (en tant que gladiateurs) des chevaliers et des sénateurs. Le premier tyran fut naturellement le premier auteur de cet affront à la dignité du citoyen romain (il s’agit de Jules César, qui s’éleva par la chute de l’aristocratie ; il fit paraître dans l’arène Furius Leptinus et A. Calonus)… » (Oeuvres de Lord Byron, 1836), « … Il fut aussi arrêté qu'Octavien donneroit deux de ses légions à son collègue, & qu'il en recevroit à la place deux autres, qu'Antoine avoit laissées en Italie sous les ordres de Calonus, un de ses lieutenants… » (Histoire universelle, depuis le commencement du monde jusqu'à présent, de Moutard, 1780). Il est aussi certain que cet anthroponyme, sans suffixe, a servi à désigner en Gaule certains noms de lieux : « … Des noms de personnes sans suffixe… Chalons (38), Callonius… » (Noms de lieux du Dauphiné, de Jean-Claude Bouvier, 2002), « … Châlons (Isère) ; in Calone, XIème siècle, nom propre romain Callonius… » (Toponymie générale de la France, d’Ernest Nègre, 1990), « … Calonus, villa ; Châlon… » (Cartulaire de l'abbaye de Saint-André-le-Bas de Vienne, suivi d'un appendice de chartes inédites sur le diocèse de Vienne, IXème-XIIème siècles, 1869). Mais on trouve bien souvent le patronyme « Callonius » associé aux suffixes -acus, -ica, -icus, et -iacus : - -acus : « … Chauny (formes anciennes : Chaunid, Chony) : propriété de (suffixe -acus), Callonius, anthroponyme gallo-romain… » (Dictionnaire des noms de lieux en Wallonie et à Bruxelles, de Jean-Jacques Jespers, 2005) « … Le plus employé des suffixes est de loin le suffixe -acus, que les Gaulois connaissaient déjà sans doute sous la forme -aco et que le latin des Gaules a adopté. On peut donc bien parler de suffixe gallo-romain : -aco, latinisé en -acus, a produit un grand nombre de noms de lieux dans toute la France. Par une évolution phonétique qui n’a pas été la même sur l’ensemble de l’ancienne Gaule, ce suffixe a donné des terminaisons diverses. Si, par exemple, les régions du Sud-Ouest de la France ont des toponymes en -ac, on en trouvera rarement dans la France du Nord où le suffixe a généralement abouti à -i le plus souvent écrit -y, à -ié et -é… » (Noms de lieux de Normandie et des îles anglo-normandes, de René Lepelley, 1999). - -ica : « … le strade che da Campi si staccano per S. Piero a Ponti, per Signa, per Calenzano, per Calonica, Cafiaggio e Pistoja… » (Dizionario geografico, fisico, storico della Toscana : contenente la descrizione di tutti i luoghi del granducato, ducato di Lucca, Garfagnana e Lunigiana, d’Emanuele Repetti, 1833). - -icus : « … -icus (-icos latinisé en -icus) est un suffixe gaulois ayant servi avant la conquête romaine à désigner des noms de ville d’après le nom de la rivière qui l’a traversait… Bien plus tard, le suffixe -icus fut employé pour former des noms de lieu à partir de noms de cognomina romains... » (Revue internationale d'onomastique, 1953 ; et Recherches sur l'origine de la propriété foncière et des noms de lieux habités en France - période celtique et période romaine, de Henry Arbois de Jubainville, Georges Dottin, 1890).

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« … suffixes gaulois… -icus… Ce suffixe était en général précédé de l’accent (tonique), et il en est résulté en français une syllabe muette où le c dur s’est souvent adouci en ch ou en g : Aventicum - Avenche ; Lusarecas - Lusarches ; Gremmeticus - Jumièges ; Fabrica, Fabricas - Farges, Fargues, Forges… » (Manuel de diplomatique, d’Arthur Giry, 1972). - -iacus : « … Par analogie avec les noms terminés en -iacus, c’est-à-dire dans lequel le suffixe -acus est précédé d’un i, s’est créé à l’époque franque un nouveau suffixe -iacus qui s’est ajouté à des noms de personnes en us, tels que Martinus, Martiniacus, Martigny, Martigné… » (Manuel de diplomatique, d’Arthur Giry, 1972). S’agissant du suffixe -iacus, il faut êre prudent, on le trouve aussi associé à des noms communs. En voici un exemple breton où -iacus a été uni à Calumpnia, pour définir un toponyme (ici le lieu où fut implantée une église) : « … Prieuré de la Celle-Guerchoise 1084-1093 : notice du don de l’église de Chélun fait à Saint-Aubin par un chevalier nommé Auvé… quodam miles, nomme Alveus, donavit Deo et sancto Albano et ejus monachis ecclesiam quandam que vocatur Calumpniacus…scripto quod Silvester, Redonensis ecclesie episcopus, ecclesiam que dicitur Calumniacus… 1152 : Bulle par laquelle le pape Eugène III confirme les possessions de Saint-Aubin d’Angers… in Redonensi episcopatu Calumpniacum… (Cartulaire de l’Abbaye de Saint-Aubin d’Angers - tome II, du comte Bertrand de Broussillon, 1903). Plus tard, au cours du XVème siècle, le suffixe -iacus a servi parfois à latiniser un patronyme. Il en est ainsi de l’exemple suivant, « Dyonisius de Chalonniaco (ou Caloniaco) », pour indiquer que ce patronyme dérive d’un nom de lieu : « … Tunc temporis strenuissimus rex Karolus (Charles VII) apud Locum-Veris (Louviers) municipium curiam praesentia excellentis regis Siciliae ejusque germani Karoli de Andegavia (Charles d’Anjou), Cenomaniae comitis, et quamplurimorum magnatum, procerum, et nobilium illustratam tenebat ; et nedum Galliardum, praevalidum castrum in rupe excelsa conjectum supra amnem Secanam, praecisae cautis iniquitate et artificio munitissimum, nullo tormentorum fulmine labefactandum, in regis Karoli obedientiam venerat, quamquam illud senescallus Pictavensis et heros de Jalongniaco (peut-être initialement Chalongniaco, Jalognes), unus Franciae marescalorum, Johannesque de Bressiaco (Breriaco) ac Dyonisius de Chalonniaco (Caloniaco, à savoir Denis de Calonne - qui fut député par la ville de Tournay au roi de Bourges), ambo strenui milites, obsidione infesta et vi armorum crebro molestant… » (Narratives of the expulsion of the English from Normandy, M.CCCC.XLIX.-M.CCCC.L., de Joseph Stevenson, Robert Blondell, Gilles Le Bouvier, 1863). Dans le texte ci-dessus, Jalongne (ou Jalognes) a été latinisé en « Jalongniaco ». On peut craindre qu’il en fut ainsi concernant quelques toponymes latinisés dans les chartes du XIème siècle, époque où le latin fut réutilisé en tant que langue administrative, au dépens de la langue d’Oïl. Dans le cartulaire de Saint-Vincent du Mans, les contestations déjà présentées contiennent de telles latinisations. Un exemple flagrant est celui-ci, contenu dans une charte de 1034-1055 : « ecclesia de Colongiaco » (Coulongé), devenant « terra de Colongeio » en 1055-1062. En effet, « Colonge » provient lui-même de « Colonica » (« Colonius » adossé à -ica). D’autres exemples de latinisations, « ad hoc » ou non, figurent dans les contestations précédemment citées : Attiniaco, (Warnerio de) Soldiaco, (Wauterri de Joiaco), (Warino de Sportiaco), apud Valendiacum, (Augerio de) Truignacio, Aciaco, Tafiaci, (Anseisus de) Charentiaco. Il en est de même dans d’autres cartulaires de la région :

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- Cartulaire de l’évêché du Mans (du comte Bertrand de Broussillon, 1900) : vers 1111-1120, Guillermi de Ruiliaco. - Cartulaire de Marmoutiers pour le Perche (de l’abbé Barret, 1894) : en 1064, Frederico de Laziaco ; en 1090, Odo de Marciaco ; entre 995 et 1032, Beraldus de Malchenaico (de Malceniacus ou Malcenacus), qui devient Wilhelmo de Malchiniaco entre 1050 et 1064 ; en 1070, Beraldus de Siliaco. - Cartulaire de Marmoutiers pour le Vendômois (de M. de Trémault, 1893) : entre 1037 et 1063, Roberti de Marciliaco ; vers 1064, Hamelinum de Lengiacis, Drogone de Asiaco ; entre 1050 et 1060, Hainrinco de Buziaco ; vers 1066, Hildericus de Beziaco. Par contre, dans le Cartulaire de Saint-Vincent du Mans, les toponymes qui suivent ne proviennent pas d’une telle latinisation, mais sont issus d’un patronyme d’origine gallo-romaine, mérovingienne ou carolingienne : - en 573 : via Saturniacinse (de Saturniacus, issu de Saturnus ou Sarturnius ; « … Le sénat décida que Saturnius seroit accusé de prévarication contre le bien public… » : Oeuvres de Cicéron, de Marcus Tullius Cicero, traduit par Jean Nicolas Démeunier, Jean Marie Bernard Clément, Pierre Claude Bernard Guéroult, Pierre Rémi Antoine Guillaume Guéroult, 1783) ; Campum Locogiacinse (de Locogiacus, ou Locoiacus, issu probablement de Lucus, nom gallo-romain très courant) : Broialos Marcelliacensis (de Marcelliacus, issu de Marcellus ou Marcellius, nom gallo-romain très usité), - en 572 : in Soliaco (de Soliacus - Souligné, issu de Solius, patronyme romain) quam in Bariaco (de Bariacus, issu de Barius, patronyme romain), - en 873: in Sarciacum fuit (de Sarcius ou Sarcus, patronyme latin ; Sarciacum en 873, Cersiaco en 1070-1083, Sarsiaco en 1080-1120 - c’est-à-dire Sargé) ; Saderniacum Villarem et Vallem Petrosam, villas. Il est évident que la clarification de toutes nos hypothèses s’appuyant sur les suffixes précités, tels que -icus, -ica et -iacus, passe par une préalable étude historique de la fondation de l’Abbaye de Saint-Calais sur les lieux où avait été édifié la « Casa Gajani » (cf. paragraphe 4-19). 20-1 - Etude de la fondation de la « Casa-Gajani », à laquelle succéda le monastère d’Annisola, plus tard mentionné sous l’appellation de Saint-Karileph, puis de Saint-Calais Certes, nous avons été convaincus que la charte de Childebert I a été réécrite vers 850, ce qui n’empêche pas que la « Casa Gajani » ait probablement existé, et que la tradition orale transmise par les moines calaisiens s’en soit emparée. Donc, avant d’effectuer l’étude de la fondation de cette « Casa Gajani », il nous est apparu indispensable de décrire l’organisation de la Gaule, à partir de l’époque de sa conquête par les Romains jusqu’à celle de l’installation des premiers rois mérovingiens. L’organisation générale de la Gaule romaine Après la conquête de la Gaule, chacun des peuples qui la composaient eut un Patron résidant à Rome et sous la protection duquel il remettait ses intérêts. Mais cette institution fut de courte durée. César avait partagé la Gaule en 4 grandes Provinces : la Gaule Narbonnaise (comprenant les actuelles provinces de Languedoc, Provence, Dauphiné et Savoie), la Gaule Aquitanique ou Aquitaine (bordée par les Pyrénées, la Garonne et la Gaule Narbonaise), la Gaule Celtique (bornée par l’Aquitaine, la Narbonnaise, l’océan, la Seine et la Marne) et la Gaule Belgique (au Nord). Auguste, trouvant que la Gaule Celtique était trop considérable, augmenta à ses dépens l’Aquitaine et la Belgique. L’Aquitaine fut étendue jusqu’à la Loire, et il ajouta à la Belgique

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l’actuelle Franche-comté et l’Helvétie. Il fit de Lyon la capitale de la Celtique qui prit le nom de Lyonnaise. Il retrancha de la Belgique 2 provinces qui furent nommées Germanique-Inférieure et Germanique-Supérieure. La Gaule était donc partagée en 6 provinces sous Auguste. Sous le règne de Constantin, elle fut composée de 17 provinces : la Viennoise (Vienne), la 1ère Germanique (Mayence), la Seconde Germanique (Cologne), la 1ère Belgique (Trêves), la Seconde Belgique (Reims), la 1ère Lyonnaise (Lyon) ; la Seconde Lyonnaise (Rouen), la 3ème Lyonnaise (Tours), la 4ème Lyonnaise (Sens), les Alpes Maritimes (Embrun), les Alpes Pennines et Graïennes (Moustier-en-Tarentaise), la Grande Séquanaise (Besançon), la 1ère Narbonnaise (Narbonne), la Seconde Narbonnaise (Aix-en-Provence), la 1ère Aquitaine (Bourges), la Seconde Aquitaine (Bordeaux), enfin la Novempopulanie (Auch). L’empereur Constantin nomma 4 Préfets du Prétoire (sans pouvoir militaire), et leur assigna 4 Diocèses différents. Le 4ème de ces préfets, qui résidait à Trêves, capitale de son diocèse, eut en charge l’administration de la Gaule, de l’Espagne et de la Grande Bretagne. Il avait 3 Vicaires-Généraux : un pour l’Espagne, un 2ème pour la Grande Bretagne, enfin un 3ème pour la Gaule, résidant à Arles. Ce dernier prit le titre de Vicaire-Général des 17 provinces de la Gaule. Le Préfet du Prétoire des Gaules était le premier magistrat de la préfecture des Gaules, et son pouvoir s’étendait sur les 29 provinces de cette préfecture (Diocèse des Gaules : 17 provinces ; d’Espagne : 7 ; de Grande Bretagne : 5). Parmi les 17 provinces de la Gaule, 6 étaient gouvernées par des Proconsuls, c'est-à-dire par des gouverneurs qui primitivement, et selon ce qui avait été réglé par Auguste, étaient censés être nommés par le Sénat, et 11 étaient administrées par des Présidents nommés par l'empereur ; ce qui partageait toute la Gaule en provinces consulaires : Viennoise, 1ère Lyonnaise, 1ère Germanie, Seconde Germanie, 1ère Belgique, Seconde Belgique ; les 11 autres : Seconde Lyonnaise, 3ème Lyonnaise, 4ème Lyonnaise, Alpes Maritimes, Alpes Pennines et Graïennes, Grande Séquanaise, 1ère Narbonnaise, Seconde Narbonnaise, 1ère Aquitaine, Seconde Aquitaine et Novempopulanie, étant des provinces présidentielles (Géographie ancienne historique et comparée des Gaules cisalpine et transalpine, suivie de l'analyse géographique des itinéraires anciens et accompagnée d'un atlas de neuf cartes, de Charles Athanase Walckenaer, 1839). Le pouvoir militaire avait été confié préalablement à 2 Maîtres de la Milice (1 pour la Cavalerie et 1 pour l’Infanterie), qui prenaient rang immédiatement après le Préfet du Prétoire. Les inconvénients générés par la distinction des 2 Maîtres de la Milice firent qu’on réunit leurs fonctions sous un seul de ces officiers généraux (Histoire des Gaulois, depuis leur origine jusqu'à leur mélange avec les Francs et jusqu'aux commencemens de la monarchie françoise, suivie de, Détails sur le climat de la Gaule, sur la nature de ses productions, sur le caractère de ses habitans, leurs moeurs, leurs usages, leur gouvernement..., de Jean Picot, 1804). Le « Dux Tractus Armoricanus » A l'époque où fut rédigée la « Notice des dignités de l'Empire », vers le commencement du Vème siècle (sous Valentinien III, dont le règne commença en l'an 420), le commandement militaire des Gaules appartenait à un Maître de la Cavalerie, ayant sous lui six généraux : le Comte d'Argentoratum (de Strasbourg) et les Ducs de la Séquanie, de la région Armoricaine et Nervienne, de la Seconde Belgique, de la Première (ou plutôt Seconde ?) Germanie, et de Mayence. Le Duc de la région Armoricaine (Tractus Armoricanus) et Nervienne (Tractus Nervicanus) commandait toutes les flottilles et les corps de troupes destinés à la défense des côtes, depuis la Gironde jusqu'à l'Escaut. Son autorité s'étendait jusque sur les stations navales de la Moyenne Loire et de la Moyenne Seine, dans les provinces centrales telles que la Première Aquitaine et la Quatrième Lyonnaise (Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu'en 1789, de Henri Martin, 1855).

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Comme chaque province de la Gaule avait son Gouverneur (Proconsul ou Président), placé sous la tutelle du Vicaire-Général, lui-même dépendant du Préfet de la Gaule, la 3ème Lyonnaise, dont le Mans dépendait, était nommément désignée dans la « Notice de l'Empire » parmi celles qui étaient soumises à ce régime. Elle avait donc un Président, mais aussi un Duc. Car la « Notice » nous apprend en outre que deux des régions militaires de la Gaule, le « Tractus Armoricanus » et le « Tractus Nervicanus », étaient gouvernés par le même Duc ou Intendant militaire, et qu'au Mans, résidait un Préfet (commandant des légions). Dès l'an 286, on vit figurer le Dux Tractus Armoricanus ; Constantin lui conserva les pouvoirs civils et militaires. L'intendance militaire de ce Duc comprenait le pays des Nerviens et plusieurs contrées du Midi. Sous ses ordres se trouvaient le Préfet des Lètes Bataves et des Suèves païens, cantonnés à Bayeux et à Coutances ; le Préfet des Lètes Franks, à Rennes ; le Préfet des Lètes Suèves, encore païens, au Mans, etc. Mais dès que les Wisigoths s'emparèrent de Tours, ces officiers supérieurs furent forcés de chercher ailleurs leur résidence. C'est alors que l'on vit paraître un royaume dont le Mans était la capitale, et le Koenig ou roi Franc succéda au Duc romain. Clovis s'empara de cet état ; mais l'Armorique, jusqu'au IXème siècle, avait encore son Duc. Civitas, Condita, Vicus et Villa ; la « Condita de Lavardin(-sur-Loir) » Chacune des 17 provinces de la Gaule comprenait plusieurs « Civitates », et chaque « Civitas » était divisée en territoires dénommés « Conditae ». Chaque « Condita » comprenait à son tour un certain nombre de « Vici », et chaque « Vicus » était parsemé de « Villae ». Ces circonscriptions eurent des limites précises. Lorsque le christianisme est apparu, il adopta ce mode d'administration. La Province eut son métropolitain ; la « Provincia minor », ou Cité (Civitas), eut son Evêque ; le chef-lieu (Condita) de la Cité fut pourvu de son clergé à la tête duquel parut le « Prêtre-Cardinal », ou Archiprêtre. Le « Vicus », chef-lieu de « Condita », eut de même son « Archipresbyter vicanus » et son clergé. Il était prescrit aux gouverneurs de la province d'établir dans les « Vici publici » des « Curiae », ou palais de justice, afin d'y tenir les assises judiciaires et d'y héberger les officiers de l'Etat. Leur nom de « publicus » indique que le cens qu'on y percevait appartenait au fisc impérial ; mais l'histoire des évêques du Mans nous apprend que dès le temps de saint Julien, le cens de quelques « vici » fut concédé en faveur de la cathédrale ; ils prirent alors le nom de « Vicus canonicus ». Nous connaissons, jusqu'à ce jour, 14 « Conditae » de la « Civitas » du Mans, comme les 14 régions de Rome subsistent jusqu’à nos jours ; celle de Lavardin compte parmi les plus importantes. Nous y remarquons au moins 5 « Vici», dont un, celui d'Artins, resta toujours propriété de l'église du Mans. La « Condita » de Lavardin avait pour limites celles de la province même, à l'Est et au Midi ; puis les « Conditae » de Vaas, de Conerré et de Cormes, à l'Ouest et au Nord. Son étendue était de dix lieues communes en longueur et en largeur. La « Condita de Lavardin », ou « Condita Labricensis », correspondait à l'ancien archiprêtré de Trôo, composé des doyennés de Trôo, de la Chartre et de Saint-Calais. Labricin, plus connu sous le nom de Lavardin, était son chef-lieu. Dès le temps de saint Julien, des paroisses furent fondées dans chaque « Vicus », chef-lieu de « Condita ». Les « Vici », que des documents historiques placent dans la « Condita Labricensis » dont nous parlons, furent : Lavardin, chef-lieu ; Artins, célèbre par son temple de Jupiter, « vicus canonicus » ; Chemillé, « vicus publicus » ; Vibraye, « vicus Brigiae » ; les villas : Ruillé, Poncé, Bonnevau, Savigny, Sargé, Baillou, Lunay, Casa-Gajani ou Annisola, Savonnières (Saint-Georges-de-Laqcoué ) etc., où des paroisses furent fondées dès les temps les plus reculés et avec des limites bien précises, comme nous l'apprenons par la charte de fondation du monastère d'Annisola. Personne n'ignore qu'avant la conquête des Romains, les différentes

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cités étaient séparées entre elles par des terres vagues et incultes, que l'on gardait avec soin. L'empereur Auguste ayant fait faire exactement le dénombrement des personnes et des biens dans toute la Gaule, adjugea ces marches au fisc impérial, et depuis ce temps jusqu'à nos jours, on n'a cessé de travailler à leur défrichement. Lavardin nous apparaît ainsi comme la clef du territoire des Cénomans sur les limites, entre le Chartrain et la Touraine. La « Condita de Lavardin » était traversée par un réseau de voies des plus fréquentées. Nous plaçons en première ligne celles qui tendaient de cité à cité, et que nos titres anciens désignent sous les noms de route pavée, « strata » ; de voie publique, « via publica » ; ou de grande route, « magnum iter ». Ces sortes de voies étaient entretenues avec soin, même avant la conquête des Romains, et César parle des gros revenus que rapportaient dès lors les péages. Pendant l'ère gallo-romaine, rien ne fut épargné pour restaurer les routes, pour en augmenter le nombre, et veiller à la sûreté des voyageurs. La voie de Tours à Chartres et à Paris peut être regardée comme une des plus importantes et des plus anciennes ; on le conçoit sans peine. Elle sortait de « Caesarodunum » (Tours) par les vieux ponts, et traversait la forêt de Gâtine pour arriver au vieux Ternay et à Artins. Les gens du pays, depuis de longs siècles, lui donnent le nom de chemin de Lutèce, d'ancien chemin de Paris, et les titres du XVIème siècle la signalent sous le nom de « magnum itei quo itur Parisiis », lequel, de temps immémorial, fait la limite entre les paroisses de Sougé, de Trôo, de Bonnevau, de Cellé, etc. Cette voie semble aujourd'hui presque entièrement abandonnée, excepté entre Brou et Chartres. Son parcours, dans la « Condita de Lavardin », s'étendait du village des Ermites jusqu'aux confins de Savigny, près d'Epuizay. Elle était formée d'un encaissement de scories de fer et de pierres du pays. Une autre voie non moins importante et encaissée de la même manière, se fait remarquer dans la direction du Mans à Orléans, ville où les Romains établirent le comte qui commandait à leur milice (le Maître de la Milice), et où, dès le temps de César, furent placés l'entrepôt et le magasin des vivres pour l'armée. Autour de Rome, une vingtaine de voies rayonnaient dans tous les sens. Autour de la cité du Mans, nous en avons trouvé jusqu'à ce jour une dizaine. Toutes étaient encaissées en scories et en pierres du pays ; leur largeur était généralement de 5 mètres. La « Casa Gajani » La plus grande partie de la « Condita Labricinensis » était comprise, au IIIème siècle de notre ère, dans un vaste domaine qui appartenait à un seigneur gaulois nommé Gaïanus, et embrassait une étendue de 2 à 3 kilomètres en largeur, sur les deux rives de la Braye, depuis Baillou jusqu'à Sougé. On peut juger par là des immenses richesses de l'aristocratie celtique, qui possédait des contrées entières avec les villages et leurs habitants, colons ou serfs de la glèbe. Le palais de Gaïanus (Casa Gaiani) occupait l'emplacement où fut élevée, depuis, l'Abbaye de Saint-Calais, comme le prouvent d'une manière incontestable des documents authentiques relatifs à la fondation de ce monastère. Gaïanus donna à saint Thuribe, 2ème évêque du Mans, son propre palais pour le transformer en église. Il lui permit en même temps d'en établir dans les principaux villages de ses domaines, à « Matval » (Bonnevau), et à Savigny, qui, du nom de sa femme (Savinie ou Sabine), s'appelait « Saviniacum ». Ses vassaux et clients, au nombre de 412, furent baptisés avec lui au jour de Pâques suivant, dans les eaux de l'Anille, et plusieurs seigneurs, ses amis ou ses voisins, se convertirent à son exemple. Les donations qu'il fit au pieux évêque sont constatées par des traditions irrécusables et par des actes authentiques. Au VIème siècle, le lieu où fut fondée l'Abbaye de Saint-Calais conservait le nom de palais de Gaïanus, et il appartenait aux évêques du Mans, successeurs de saint Thuribe. Or on est réduit aux conjectures pour savoir ce qu'était Gaianus. Suivant les Actes de saint Thuribe, 2ème évêque du Mans, Gayanus était un personnage considérable du pays que le saint

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évêque convertit au Christianisme, ainsi que son épouse Sabine, et qui donna sa maison située sur le bord de l'Anille, pour y fonder un monastère. Saint Thuribe y construisit une église en l’honneur de saint Pierre, et un prêtre nommé Tyrrus y fut établi avec d'autres clercs. Quant à la charge possédée par Gajanus, elle équivalait assurément à celle de Tribun militaire ou Préfet, les Ducs précédemment cités étant les lieutenants du Maître de la Milice. Serait-il vrai que Gajanus fut ce préfet des Suèves, dont parle la « Notice », et que « les terres qui leur furent concédées formèrent depuis une partie de l'arrondissement communal de Saint-Calais » ? Certains disent que non, et qu’une semblable conjecture n'a nullement besoin d'être sérieusement réfutée. D'ailleurs, on sait parfaitement dans quelle partie du Bessin furent cantonnés ces corps d'auxiliaires Saxons ou Suèves, et dans quelle partie du Maine d'autres corps de la même nation s'établirent. On sait qu'au Vème siècle, les côtes entre Bayeux et Rouen s'appelaient Littus Saxonicum ; que les Saxons fondèrent la ville de Séez (Saxia), au milieu de leur état, et qu'ils laissèrent leur nom au Sonnois, dans le Maine (Saxonia Patria). Au VIème siècle, on voit les Saxons marcher contre les Bas-Bretons et se réunir aux troupes du Bessin, du Maine, de l'Anjou, du Poitou et de la Touraine, sous les ordres du Duc d'Armorique. Au IXème siècle, les Saxons du Maine avaient encore leur frontière gardée par un chef particulier. D’autres affirment le contraire, à savoir que Gajanus fut le commandant des Suèves ; ils ne peuvent se refuser de reconnaître, dans le « fundus Madvallensis », le vrai territoire où les Empereurs avaient établi les Lètes Suèves. En effet, on sait que Saint Calais choisit pour le lieu de sa retraite une masure, les restes d'un grand édifice appelé « Casa-Gajani », sur le bord de l'Anille ; c'est une circonstance certaine, écrite dans la vie du saint par saint Siviard, l'un de ses successeurs et son historien. Or suivant une tradition locale, cet édifice avait été la résidence, le château d'un chef militaire nommé Gajanus, auquel les Romains avaient donné le territoire des environs à titre de bénéfice militaire. Cette tradition, fortifiée par le texte de saint Siviard, semble prouver que ce Gajanus était le commandant des Suèves, le « Praefectos Lœtorum » indiqué par la Notice de l'Empire. Deux ou trois auteurs modernes ont avancé que le Duc (Gajanus) ne possédait effectivement le territoire de la « Casa Gajani » qu'à titre de bénéfice militaire ; mais des documents historiques semblent contredire formellement cette opinion : Gajanus, disent les « Actes », était très riche ; il avait de nombreuses possessions et beaucoup de biens en propre, et sa réputation de bravoure était telle, que ceux de sa province le regardaient comme Duc. Car on distinguait autrefois deux sortes de biens : ceux que l'on avait en toute propriété ; ceux dont on avait l'usufruit par bénéfice. Le territoire de la « Casa Gajani » était sans nul doute possédé en toute propriété par le Duc, puisqu'il y construit une villa ; qu'il le donne de son autorité privée, et que ce lieu conserve son nom pendant plusieurs siècles ; de même que, selon toute probabilité, la villa voisine prit le nom de son épouse Savinie. A la fin du Vème siècle, l'église étant tombée de vétusté et la « villa » ayant été abandonnée, ce territoire fut adjugé au fisc domanial. La succession épiscopale fut alors interrompue dans la cité du Mans, et c'est à cette époque qu'on peut fixer la destruction complète de la ville de « Labricinum », du palais de Gaïanus et de l'église que saint Thuribe y avait fondée. Mais que veut dire le mot « Casa » ? La « Casa Gajani » signifierait « chèze ou petit monastère de Gajanus ». D. Mabillon affirme que le mot Casa désigne, surtout à l'époque où régnaient les Mérovingiens, un Monastère. Selon Ducange, « on appelait Casaux, Casati, ceux qui recevaient en bénéfices des biens ecclésiastiques ; ceux qui étaient feudataires d'une église ». D'ailleurs personne n'ignore que ce nom de Casa ou « Chèze » a été conservé jusqu'à nos jours par plusieurs monastères célèbres. Le nom de « Casa Gajani », par conséquent, remonterait seulement à l'époque où fut fondée la basilique Saint-Pierre, et aurait cessé lorsqu'un autre monastère remplaça celui de Gajanus.

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Faudrait-il regarder Gajanus comme ayant eu le dernier titre de Dux ? Les « Actes » de saint Thuribe affirment seulement que ce guerrier se conduisait si courageusement qu'il était regardé comme Duc parmi ceux de son pays ; suppléer au silence de l'histoire par de simples conjectures, paraît à nos yeux une témérité. II en serait de même si nous voulions tenter de faire connaître quel genre d'habitation présentait la demeure de Gajanus sur le bord de l'Annille. Au reste, les anciens auteurs latins, et notamment César, nous apprennent que les chefs gaulois avaient leurs « aedificia » au fond des vallées humides, dans le voisinage des rivières et des forêts. On sait que les Gallo-romains opulents choisissaient de même la place de leurs villas, et que sous les Mérovingiens, les guerriers, en temps de paix, préféraient le séjour des campagnes à celui des villes. Cela dit, l'origine des bénéfices et des fiefs doit être rapportée encore plus aux Gaulois qu'aux Francs, et ils eurent la plus grande part à ceux qu'on trouve formés dès le commencement de la première race. Les Gaulois, quoique soumis aux officiers de l'empire, avaient conservé leurs usages. Celui de s'attacher à un chef, duquel ils tenaient les terres, était analogue à l'engagement connu chez les Romains, sous le nom de clientèle. On ne peut pas même douter, d'après la civilisation des Gaulois, que la plupart des concessions ne fussent devenues perpétuelles lorsque Clovis fonda la monarchie. Et si cette institution se trouve chez les Germains, c'est qu'ils étaient frères des Gaulois. La légende dorée de la conversion de Gajanus au Christianisme Dans ce temps-là, lorsque après la mort de saint Julien, 1er évêque de la cité du Mans, saint Thuribe lui eut été substitué après avoir été ordonné pour le même siège, dignité qu'il méritait par sa charge d'Archiprêtre et comme étant issu de la noblesse de Rome, et lorsque la vigueur du Christianisme croissait et déjà se répandait de toutes parts, à l'instigation de l'antique ennemi et à la persuasion des malveillants, une persécution s'éleva dans l'Eglise et sévit contre les Chrétiens. Saint Thuribe, qui d'abord fut philosophe, mais qui devint ensuite disciple du Christ et fut envoyé par le Siége Apostolique pour aider saint Julien dans sa prédication, se trouvant, par un effet de la divine Providence, le compagnon, et l'aide de ce saint, saint Thuribe mérita de plaire à Dieu et aux hommes de bien, tandis qu'il ne craignait pas de déplaire aux méchants et aux incrédules. D'où il advint qu'il ne s'effraya point de la fureur d'un païen nommé Gajanus, d'un esprit violent et d'une impiété sans frein. Gajanus, en effet, avait une épouse nommée Savinie, qui ayant embrassé la doctrine prêchée par saint Thuribe et s'étant convertie au Seigneur, s'adonnait entièrement au service de Dieu. Alors son mari, guidé par la jalousie, dressa des embûches pour l'épier tandis qu'elle allait à l'église. Lorsque Savinie fut entrée par une porte, Gajanus la suivit par une autre, et, plein d'une curiosité déplacée, il regardait et écoutait ce qui se passait en ce lieu. Mais dès que saint Thuribe eut fini la prière et que les fidèles répondirent « Amen », Gajanus devint aussitôt aveugle, de telle sorte qu'il ne pouvait plus ni voir ni entendre. Or il était fort riche, possédait beaucoup de terres, beaucoup de biens en propre, et sa bravoure était si renommée, que ceux de la province le reconnaissaient pour Duc. Ceci, au reste, est démontré jusqu'à ce jour par le lieu même, situé sur la rivière nommée Annisola, lieu que les habitants appellent encore aujourd’hui Casa Gajani, et par des édifice que l’on y trouve en grand nombre. Etant donc devenu sourd et aveugle, comme on vient de le rapporter, en punition de cette action coupable, il dit à ses serviteurs : « Hâtez-vous de me prendre sur vos bras et de me porter hors de cette église. » Aussitôt que Savinie fut avertie de ce qui se passait, elle se mit en prières et, les yeux en pleurs, elle adressait de ferventes supplications au Seigneur pour obtenir en faveur de son époux la miséricorde divine. Quand les divins mystères furent accomplis et que l'office fut terminé, Savinie, chérie de Dieu, se prosterna devant saint Thuribe en lui disant que Gajanus, son mari, voulant imprudemment soulever le voile des mystères de Notre Seigneur Jésus-Christ, avait été puni en perdant la faculté de voir et d'entendre. Alors saint

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Thuribe, plein de confiance en Dieu, vint avec Savinie auprès de Gajanus, et, les yeux levés vers le Ciel, il se mit à implorer le pardon de ce dernier. Aussitôt que les assistants eurent répondu « Ainsi soit-il » à ses prières, les yeux et les oreilles de Gajanus s'ouvrirent ; à la vue du saint évêque, une grande crainte le saisit, et, tout hors de lui-même, il ne savait plus ce qu'il faisait. Saint Thuribe se mit dès lors à l'instruire de tout ce qui concernait l'édification de son âme. Tout cela s'étant ainsi passé très bien, le païen Gajanus crut en Jésus-Christ et fut corroboré dans la foi. Il se jeta aux genoux de saint Thuribe et, en présence de tous, il lui dit : « Très saint père, acceptez ma maison que j'ai construite sur la rivière d'Annisola ; acceptez en même temps tous mes meubles, et fondez en ce lieu une église pour convertir les infidèles et gagner des âmes à Dieu. Acceptez, en outre, mes autres possessions ; fondez-y des églises et édifiez tout ce qui est nécessaire pour le culte divin ; enfin, permettez-nous, à mon épouse et à moi, de servir avec vous votre Dieu. » Saint Thuribe agit donc conformément aux désirs de Gajanus ; il construisit et dédia des églises dans les domaines de celui-ci, et, dans la maison qu'il avait sur les bords de l'Annille, demeure qu'il affectionnait plus que les autres, le saint évêque fonda une église en l'honneur de saint Pierre et de tous les Apôtres ; puis il y rassembla des serviteurs de Dieu, menant la vie de communauté et vivant saintement. Ce lieu est appelé jusqu'à ce jour la « Casa de Gajanus » à cause de la demeure et de la noblesse de ce dernier. Bientôt par lui beaucoup de gens nobles, de personnages illustres, beaucoup de ses amis se convertirent. Saint Calais s’installe dans les ruines de la « Casa Gajani » Pendant le Vème siècle surtout, la Gaule fut dévastée par de nombreuses armées venues du Nord ; saint Jérôme, Salvien et plusieurs contemporains assurent qu'à peine quelques villes peu considérables furent épargnées. Les Vandales, entre autres, promenèrent le ravage et la désolation pendant plus de dix années. Nous savons, en outre, que les Saxons envahirent l'Anjou, le Maine et une partie de la Normandie actuelle. Enfin, les Francs de Clovis, pour s'emparer de notre province du Maine, occupée par Regnomir, parent de celui-ci, la livrèrent aux horreurs de la guerre, vers l'an 510. Or certains auteurs prétendent qu'après la victoire de Tolbiac contre les Allamans en 496, Clovis soumit une partie des Germains à un régime de féodalité que l'Allemagne conserve encore, et que ses successeurs, à son exemple, louèrent à leurs feudataires non seulement les possessions, mais les personnes mêmes de leurs sujets, auxquels on donnait le nom de serfs, en allemand, Leuth « Lœti » ; cependant « l'Art de vérifier les dates » nous apprend, au contraire, que l'institution des fiefs était commune aux Germains et aux Gaulois avant la conquête des Romains, et avant la conquête des Francs nous voyons de nombreuses colonies de ces « Lœti » ou serfs d'Allemagne, cantonnées de tous côtés dans la Gaule. On s'accorde assez généralement à reconnaître que le mot fief vient de « fiscus » qui servait à désigner le trésor public, le domaine royal ; une foule de causes, prévues par loi romaine, faisaient rentrer dans ce domaine les biens des particuliers, la déshérence principalement. A titre d’exemple de propriété du Fisc, Braine (près de Soissons) était, au VIème siècle, une de ces immenses fermes où les rois francs tenaient leur cour, et qu'ils préféraient aux plus belles villes de la Gaule. L'habitation royale n'avait rien de l'aspect militaire des châteaux du Moyen Age ; c'était un vaste bâtiment, entouré de portiques d'architecture romaine, quelquefois construit en bois poli avec soin, et orné de sculptures qui ne manquaient pas d'élégance. Autour du principal corps de logis se trouvaient disposés par ordre, les logements des officiers du palais, soient barbares, soient romains d'origine ; et ceux des chefs de bande, qui, selon la coutume germanique, s'étaient mis avec leurs guerriers dans la « truste » du roi, c'est-à-dire, sous un engagement spécial de vasselage et de fidélité. D'autres maisons de moindre apparence étaient occupées par un grand nombre de familles qui exerçaient, hommes et femmes, toutes sortes de métiers, depuis l'orfèvrerie et la fabrique des armes jusqu'à l'état de

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tisserand et de corroyeur, depuis la broderie en soie et en or jusqu'à la plus grossière préparation de la laine et du lin. Quelle que fut leur origine et leur genre d'industrie, ces familles étaient placées au même rang, et désignées par le même nom, celui de Lites en langue tudesque, et en langue latine, par celui de Fiscalins, c'est-à-dire attachés au Fisc. Des bâtiments d'exploitation agricole, des haras, des étables, des bergeries et des granges, les masures des cultivateurs et les cabanes des serfs du domaine, complétaient le village royal, qui ressemblait parfaitement, quoique sur une autre échelle, aux villages de l'ancienne Germanie. Dans le site même de ces résidences, il y avait quelque chose qui rappelait le souvenir des paysages d'outre-Rhin ; la plupart d'entre elles se trouvaient sur la lisière et quelques-unes au centre des grandes forêts mutilées depuis par la civilisation, et dont nous admirons encore les restes. Clothaire employait ainsi son temps, lorsqu'il n'était pas occupé au loin par la guerre, à se promener d'un domaine à l'autre, consommant à tour de rôle dans ses fermes royales les provisions en nature qui s'y trouvaient rassemblées, se livrant avec ses leudes de race franque aux exercices de la chasse, de la pêche ou de la natation, et recrutant ses nombreuses maîtresses parmi les filles des « Fiscalins ». Mais revenons maintenant à notre « Casa Gajani ». Elle se trouvait alors tellement abandonnée qu'un vaste désert s'étendait à l'entour. La voie publique du Mans à Orléans en était éloignée de plus d'un kilomètre. La « Casa Gajani » avait donc été réunie au domaine public et à la paroisse de Madvallis ou Bonnevau, déjà importante dès le temps de saint Thuribe, et qui fut longtemps une des résidences royales, villas du Fisc avec leurs « comites », leur cour et leurs nombreuses troupes de serfs fiscalins. Bonnevau d'ailleurs n'était pas une terre à dédaigner pour les Mérovingiens ; sa belle position sur un coteau élevé au milieu des vallons les plus riants, d'où lui vient son nom ; son voisinage de la voie publique de Tours à Paris ; des champs fertiles, des rivières poissonneuses, des forêts profondes et pleines d'animaux pour la chasse : tout s'y réunissait à souhait. Avant que la cour se présentât dans ces villas royales, on construisait à la hâte de vastes édifices en bois et en terre, et l'on ne se retirait qu'après avoir épuisé toutes les provisions en nature. Les revenus en espèces étaient, au contraire, convertis en monnaie dans la villa même, où s'établissait un atelier monétaire. Donc, au commencement du Vème siècle, saint Calais « se retira en un lieu situé dans le district de Lavardin et que les anciens appelaient Casa Gajani ». Près de cette « casa » coulait la rivière d'Annisola, et prenant jusqu'à ce jour le nom de la rivière, ce lieu porta le même nom. Le saint anachorète y trouva une fontaine dont la source jaillissait avec abondance, et les murs d'un ancien édifice qui s'écroulaient de vétusté ; ces ruines annonçaient cependant encore quelle avait été jadis la beauté du travail. La légende affirme que saint Calais réédifia la basilique de ses propres mains. Au VIIIème siècle, saint Siviard qualifie cette église du nom de « basilique », parce que sous les Mérovingiens on qualifiait ainsi celles que desservaient des clercs assujettis à l'office canonial et à la vie de communauté. L'on peut s'en convaincre en lisant le testament de l'évêque du Mans saint Bertrand, et la « Dissertation d'Hadrien Valois sur les basiliques ». Cet auteur prouve que saint Grégoire de Tours nomme les monastères tantôt « Cellae », tantôt « Oratoria », mais le plus souvent « Basilicae ». Conclusion : L’essentiel des paragraphes du chapitre 20-1 est tiré de l’Histoire de Saint-Calais et de ses environs, ouvrage publié en 1850 par Auguste Voisin, membre de l'Institut des provinces de France. On synthétisera ce chapitre de la manière suivante : - A : Gajanus (ou Gainaus) fut très probablement, au cours du IIIème siècle, un Tribun ou Préfet militaire placé sous les ordres du Préfet (des légions) du Mans. Il était fortuné, et son nom païen de « gaians » signifiait « géant », à savoir homme de haute stature (ce qui paraît normal à cette époque pour pouvoir être à la tête d’une cohorte ou d’une légion). Certains disent qu’il était d’origine suève (les Suèves provenaient de la Germanie où ils avaient vécu dans la grande

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Forêt Hercynienne, sur les bords de l’Elbe. Vaincus par César en -58, ils s’installèrent Outre-Rhin dans une région qui se dénomme actuellement la « Souabe », avant de sillonner la Gaule et de fonder ensuite un royaume en Hispanie). Nous savons qu’il s’est converti au Christianisme. - B : La très vaste propriété de Gajanus englobait la « Condita de Lavardin ». Son palais s’élevait à l’emplacement où fut construit au VIème siècle l’Abbaye de Saint-Calais, sur les bords de l’Annille. Entre-tremps, l’abbaye fut détruite au cours des invasions barbares. - C : Après l’établissement des Francs, les propriétés rattachées aux ruines de la « Casa Gajani » furent incorporées au Fisc (domaine royal). Ayant rédigé ces quelques éléments de conclusion partielle, rappelons-nous que Childebert I, fils de Clovis, aurait fait une donation à saint Calais en 515. Dans la charte de donation, réécrite vers 850, on peut lire : « … Nous lui donnons donc de notre Fisc de Bonnevau, conformément aux limites tracées et désignées, un terrain sur la rivière d'Annille, au lieu appelé CASA-GAJANI, où il construise, pour Lui et ses moines, et pour ceux qui viendront après lui, un oratoire avec un monastère, et où il puisse édifier un hospice pour les pauvres, en aumône (faite à l'intention ?) de notre seigneur et père, Clovis. Ainsi la limite de notre donation, limite qui est entre la seigneurie du Fisc de Bonnevau et notre concession, commence à la villa nommée ROÇAY sur la rivière de la BRAYE… ». Le rédacteur de l’Histoire de l’Abbaye de Saint-Calais précise qu’on doit reconnaître, par ce texte et par l’examen des lieux, qu’il s’agit ici des limites existant, depuis un temps immémorial, entre les communes de Marolles, de Saint-Calais et de Savigny, et que ces limites sont celles du département. En conséquence de quoi le territoire où Les Chalonges sont implantées appartenait au Fisc de Childebert I. Pour autant, était-il intégré aux biens immobiliers détenus au IIIème siècle par Gajanus ? C’est fort possible, car les limites occidentales de la donation existent, elles aussi, depuis des temps immémoriaux. 20-2 - « Les Chalonges » : ferme gauloise, gallo-romaine, ou bien métairie mérovingienne Que peut-on dire alors de cet antique toponyme ? Il est bien connu que César et ses successeurs empereurs attribuèrent des propriétés individuelles immobilières en Gaule, d’une part aux Gaulois romanisés, et d’autre part aux vétérans des légions à la fin de leur service militaire. Ainsi, ces Gaulois romanisés et anciens légionnaires colonisèrent-ils de vastes étendues, principalement à proximité immédiates des voies romaines (ou gauloises), et en dehors des grandes cités gallo-romaines. Donc, pour valider notre raisonnement, lequel met en avant l’existence d’une Callonica (villa), ou d’un Callonicus (propriété de Callonius, Gaulois romanisé ou ex-légionnaire romain), encore faut-il trouver, à proximité des Challonges, les traces d’une ancienne voie romaine. Or c’est bien le cas, à environ une lieue (mesure romaine) de cette métairie : « … D'autres voies, qui ne sont point signalées sur les tables géographiques dont j'ai parlé, n'ont pas moins de droits à votre attention ; je place en premier lieu celle du Mans à Orléans, que j'ai suivie pas à pas pendant plus de 50 kilomètres, et qui présente également tout le long de son parcours des amas de scories provenant de forges à bras, situées dans le voisinage. Cette voie nous est désignée du Mans à Pont-Lieue dans le testament de saint Bertrand, et de Pont-Lieue à Orléans par Saint-Calais, dans le procès-verbal d'arpentage pour la banlieue du Mans ; elle nous est désignée auprès de Saint-Calais sous le nom de Strata Vetus (la Vieille-Estre) dans la charte de fondation du monastère de Saint-Calais, accordée par le roi Childebert, et, en effet, il faut avouer que Pont-Lieue, Saint-Calais et Orléans se trouvent presque également situés sur le même degré de latitude : cette direction par conséquent offre le plus court chemin du Mans à Orléans. Quant à la construction de cette antique route que nous

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avons trouvée bien pavée encore en plusieurs endroits, nous avons la plus entière certitude que c'est une voie romaine. Childebert I l'appelle au VIème siècle Stratam Veterem ; on remarque d'endroit en endroit, tout le long de son parcours, des forges à bras, d'antiques villas, comme la Casa de Gajanus à Saint-Calais... Nous avons été surpris au dernier point en lisant dans le dernier Bulletin de la Société d'agriculture d'Indre-et-Loire un rapport dans lequel le conservateur du musée archéologique de Tours prétend que la voie du Mans à Orléans est connue et signalée dans la Notice des dignités de l'empire romain, et qu'elle avait son medium dans un endroit nommé Sougé… A entendre notre collègue, l'antique route que nous signalons ne serait qu'un ancien chemin gaulois, par la raison qu'une partie de l'encaissement est formé de scories ; mais il me semble que cette voie a été bien gauloise, bien romaine et même bien française, puisqu'en 1632, elle est encore donnée comme la route du Mans à Orléans... » (Bulletin monumental de la Société française d'archéologie, 1844). D’ailleurs, voici le nom des fermes qui jouxtent cette ancienne voie romaine (qui fut auparavant gauloise), de la commune de Maisoncelles à celle de Sargé : « … Des mémoires sur la voie romaine du Mans à Orléans ; noms des fermes de l’arrondissement de Saint-Calais et de la commune de Sargé (Loir-et-Cher) près desquelles la voie passe… Commune de Maisoncelles : La Janverie, le Poteau ; commune d’Ecorpain : Marchesais, l’Oiselière, la Ganerie, la Horlière, Ville-Foulon, la Chatinière ; commune de Montaillé : la Coëfferie, le Biard, Longuelée, la Petite-Cancerie ; commune de Saint-Calais : la Gâte, Gouaslonnière, le Moulin-Ars, Chanteloup, le Joncherai ; commune de Marolles : les Grandes-Bruyères, Mortier, Monts ; commune de Sargé : Pie-Huche, le Vau, la Trousserie, Taillefer… » (Histoire de Saint-Calais et de ses environs, par Auguste Voisin, membre de l'Institut des provinces de France, 1850). Nous avons représenté (par un trait de couleur bleue), sur la carte I.G.N. de la page suivante, le tronçon approximatif de cette voie romaine qui passe au Sud des communes d’Ecorpain et de Montaillé. Par ailleurs, nous avons découvert, dans le censif de Saint-Calais rédigé en l’année 1391, que les métairies sur lesquelles le droit de justice de l’abbé était exercé, comme appartenant primitivement à sa crosse, étaient la Lande, Fay, les Chemins, les Brières, Crucé, la Jaunais et les Chalonges. Nous les avons toutes identifiées sur cet extrait de carte, hormis la métairie dite « Crucé ». Le rédacteur du censif les a citées dans un ordre bien précis, puisque la métairie de La Lande se situe à 1 kilomètre au Nord-Est de Montaillé, tandis que celle des Chalonges est en bordure du finage (emprunté par l’actuel chemin départemental n°74 entre les communes de Sainte-Cérotte, Ecorpain et Coudrecieux), tel qu’il apparaît dans la charte de donation de Childebert I. Tâchons de retrouver maintenant la signification originelle de chacun des noms de ces métairies : - Métairie de « La Lande » : l’explication de ce toponyme est banale. - Métairie de « Fay » (au Sud de la Petite Cancerie). « Fay » dérive de « Fagia », ou « Fagium », nom formé de « Fagus » (hêtre), et du suffixe -ia ou -ium indiquant un lieu. C’était donc un « bois ou un bosquet de hêtres ». - Métairie « Les Chemins » : l’explication de ce toponyme est banale (actuellement « Le Chemin »). - Métairie « Les Bruières » : l’explication de ce toponyme est banale (actuellement « Les Grandes Bruyères »).

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- Métairie de « Crucé » (que nous n’avons pas identifiée ; aurait-elle disparu ?) : « Crucé », ou « Cruçay », provient de « Cruciacus », terme formé de « crux » (la croix) et du suffixe -iacus. C’est probalement une ancienne manse devenue chétienne (au cours du IIIème siècle ?). En voici 2 exemples : « … Gruchet, fief et chapelle à Pont-Authou ; de Cruciacus (cartulaire de Jumièges, 1024)… » (Dictionnaire topographique du département de l’Eure, de Monsieur le Marquis de Blosseville, 1878), « … Recueil de chartes de l’Abbaye de Cluny… et in uno manso, qui dicitur Cruciacus (vers 1040)… » (Collection de documents inédits sur l’histoire de France, d’Auguste Bernard et Alexandre Bruel, 1876-1903). - Métairie de « La Jaunais » : (actuellement « La Jaunas », près des Chalonges). « Jaunais », ou Jaunays, provient de « Jauniacus », nom formé à partir du nom commun « jalnus », qui signifie « jaune » (à cause de la couleur des fleurs qui y poussaient), et du suffixe -iacus indiquant le lieu. De nos jours, le toponyme s’est scindé en 2 lieux-dits : « La Jaunas » et « La Petite Jaunas ». - Métairie « Les Chalonges » : nous avons déjà émis l’hypothèse que Chalonges, ou Calonges, provenait de « Callonicus », nom formé de l’anthroponyme « Callonius » et complété par le suffixe gaulois -icus, ou -ica. Ce suffixe étant précédé de l’accent (tonique), il en est résulté en français une syllabe muette où le c dur s’est adouci en g. Le toponyme « Callonicus », ou « Callonica (villa) » est d’origine gauloise ou gallo-romaine.

Mais « Calonus » signifie aussi « homme au cœur (calon en Gallois) bienfaisant » dans la langue celtique : « un den èn deusur galon vad » (Dictionnaire français-celtique, ou français-breton, nécessaire à tous ceux qui veulent apprendre à traduire le français en celtique, ou en langage breton, de Grégoire de Rostrenen, Benjamin Jollivet, 1834) ; « … Le vieux seigneur était le noble Galonus, d’origine gauloise, pure de tout mélange de sang romain… » (Bulletin

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mensuel de la société polymathique du Morbihan, 1885) ; « … Galonus, petit prince d’Aginense, vivait, au Vème siècle, dans son palais de Trémazan, avec la princesse Florence, sa femme, fille d’Honorius, roi de Brest, roi suivant la légende… » (Le lycée armoricain, 1824). Quels sont les toponymes qui existent dans le voisinage des « Chalonges » ? Car « … les noms de lieux ont une histoire que la toponymie a pour but d'expliciter. Ils sont, d'une part, les précieux témoins linguistiques des relations entre l'homme et son milieu, retraçant par exemple ses efforts incessants pour mettre en valeur la terre, maîtriser la nature, développer les industries locales. Ils sont également les vestiges de certaines pratiques culturelles et cultuelles, et ont parfois conservé le souvenir d'une peuplade qui occupait un territoire, du fondateur d'une cité, ou du propriétaire d'un domaine. Inscrits dans le temps, les noms de villes et de villages, de régions, de montagnes et de rivières, et même de parcelles, appartiennent à une langue et un espace géographiques donnés (gaulois, gallo-romain, germanique, français ou langue régionale). Nos cartes actuelles, riches de ces superpositions, deviennent des livres d'histoire à découvrir, à parcourir… Le suffixe -ière provient du latin « -aria », qui fut d’abord employé dans les noms communs : Ferrières : lieu où on trouve du fer. Pendant la période féodale, il s’associe très fréquemment à des familles… » (Les noms des lieux en France : essai de toponymie, de Stéphane Gendron, 2003). Commençons par le village dénommé « Adel », situé à 4 kilomètres au Nord-Nord-Est des Chalonges, en bordure de la route départementale 249. « Adel » est un mot d’origine purement saxonne signifiant « noble » (prénom Addeleia dans le cartulaire de Saint-Vincent du Mans). Il indique par conséquent une pénétration de la forêt lors de l’invasion saxonne. Poursuivons notre analyse. Rappelons-nous que la région avait été conquise, avant Clovis I, par une certain roi du Mans (un Franc), dénommé Regnomir. Or on trouve des hameaux ou des fermes avoisinant de près ou de loin les « Chalonges », dont les toponymes sont la « Tréhardière », l’« Auberdière » et la « Guénardière ». En se référant à l’exemple ci-après, pris en dehors de la « Civitas » du Mans, on s’apercevra que ces topnymes sont construits sur des noms germaniques : « … La Jubaudière (Ingelbauderia entre 1104 et 1120) ; étymologie : La forme Ingelbauderia indique que le mot vient du nom d’homme germanique « Ingelbald », suivi du suffixe -aria qui indiquait un domaine, une plantation ou un territoire. Comme pour La Ferrière, ce suffixe -aria s’est transformé en -ière… » (Les secrets des noms de communes et lieux-dits du Maine-et-Loire, de Pierre-Louis Augereau, 2004). Ainsi : - La Tréhardière, hameau situé à 5 kilomètres au Nord des Chalonges, provient de « Tréhard » (mot celtique et irlandais « traig » : pied ; anglo-saxon « throec » : bravoure ou force ; et nom teuton « hard », ou « ard » : fort). - L’Auberdière, village situé à 1,8 kilomètre au Nord des Chalonges, dérive d’Albert, contraction de Adalbert (« Adal » ; du saxon noble ; et « bert », illustre ; prénoms Alberedus, Albereda, et Albertus, répertoriés dans le cartulaire de Saint-Vincent du Mans). - enfin La Guénardière, hameau situé à 1,5 kilomètre au Nord-Nord-Ouest des Chalonges, provient de Guénard (germanique « Wanhard » : de « Wan » : espérance, et « hard » : fort ; prénoms Warnaldus, Wainardus, Gaignardus, Guarnaldus, répertoriés dans le cartulaire de Saint-Vincent du Mans). Par conséquent, on constatera qu’une penétration de la forêt a eu lieu au-delà de la ferme des Chalonges, les migrants arrivant par la voie romaine. En effet le toponyme Montaillé, qui est celui de la commune de rattachement de la dite ferme, est d’origine germanique :

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« … Montailler, XIIIème siècle ; Monteallerii, 1421 ; contraction de montem et d'Alherius, nom de personne germanique qui renvoie aux invasions du Vème siècle (Toponymie générale de la France ; 2 volumes ; étymologie de 35.000 noms de lieux, d’Ernest Nègre, 1998). Mais ce n’est pas tout. A proximité immédiate des Chalonges, à 500 mètres au Nord, il existe un village dénommé « Béancé ». On trouve, en Espagne, un toponyme analogue : « Beanzé » (El sistema de comunicaciones en España, 1750-1850, de Santos Madrazo, 1984). Or ce toponyme dérive probablement de « Beanicica (villa) », domaine de « Beanicus », ou de « Beaniciacus », endroit béni (des dieux celtiques), tout comme « Cruciacus » indiquait une ferme chrétienne. On peut imaginer qu’à cette époque, le nouveau « Cruciacus » (Crucé) s’est opposé localement à l’ancien « Beaniciacus » (Béancé). « Beanick » est un patronyme qui existe encore de nos jours, particulièrement aux Etats-Unis d’Amérique, où quelques migrants venus de Grande Bretagne l’ont importé. En effet, cet ancien mot celtique se retrouve dans un dialecte des Highlands : « … Chamberlayne inserted in his collection of the Lord's Prayer a specimen in a Celtic dialect (Waldensic or Waldense), which he had received from Walden in Essex, where some settlers from the Highlands still preserved their language… » (The British Review, and London Critical Journal, 1815). Dans ce dialecte celtique, « beanich », « beanick » ou « beanicha » signifie « blessed » en anglais (« béni » en français). Son équivalent irlandais est « beannuighthe » (An Irish-English dictionary, by Edward O'Reilly, John O'Donovan, 1864). Et il existe un lac en Ecosse qui se nomme « Beanoch » : « … The next in size to Loch Assynt are Cam Loch, Loch Urigill, Vyeatie, Na-gana, Beanoch, Gormloch, and Culfreich… » (The Angler's Companion to the Rivers and Lochs of Scotland, de Thomas Tod Stoddart, 1847). On trouve le mot « beanicus » en Pologne, écrit sous cette forme, en rapport avec « beatus » qui signifie « bienheureux » en français (cf. Słownik łaciny średniowiecznej w Polsce : Lexicon mediae et infimae latinitatis Polonorum, de la Polska Akademia Nauk, Marian Plezia, 1969). Compte tenu de ces découvertes, on peut avancer l’hypothèse qu’un Gaulois, surnommé « Beanick », voire « Beanix », possédait une ferme (l’actuelle Béancé) qui, après romanisation, a reçu l’appellation de « Beanicica (villa) », ou bien que l’endroit était béni : « Beaniciacus ». Mais il existe aussi, en France, le bourg de « Baigne », dont le nom dérive de « Beania » (cette transformation indique que l’accent tonique était placé sur la 2ème syllabe « an » de « Beania ») : « … Baigne (canton, arrondissement de Barbezieux), Beania… » (Archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis, de la Société des archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis, 1910). Or « Beania » provient du celtique « bean », qui signifie « femme » ou « épouse » : « … Bean : a woman, a wife… » (An Irish-English dictionary, by Edward O'Reilly, John O'Donovan, 1864). Et « bean » a donné le nom « Beanus ». Un saint irlandais portait ce patronyme au Moyen Age (voir les 4 extraits ci-dessous) :

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« … Erat autem pueri patruelia, Beanus nomine, ab ineunte aetate Christi gaudens… » (Chronicles of the Picts, chronicles of the Scots: and other early memorials of Scottish history, by William Forbes Skene, 1867), « … The Irish commemorate on this day (16th of december) saint Beanus, a bishop in Leinster… » (The Lives of the Fathers, Martyrs, and Other Principal Saints, by Alban Butler, 1845), « … Saint Beoc, Mobheoc, Beog, Beanus, Dabeoc, Dabheoc, or Dabheog, abbot of Termonn, Lough Dergh, county of Donegal (Fifth or Sixth century)… » (Lives of the Irish saints, by John O'Hanlon, 1923), « … Saint Bean ou Bearn (Beanus), évêque d’Aberdeen en Ecosse, au XIème siècle… » (Encyclopédie théologique : ou, Série de dictionnaires sur toutes les parties de la science religieuse, de Jacques-Paul Migne, 1844-1873). Par ailleurs, nous avons identifié, dans la charte de donation de Childebert I (réécrite vers 850 par les moines de Saint-Calais), le toponyme « Rivualcha » (latinisation de « Rivualche ») qui, d’après nous, proviendrait de « Rivualdica ». Or le suffixe -che est bien équivalent au suffixe -ge qu’on trouve dans le toponyme « Calonge ». C’est la preuve qu’à cette époque, l’écriture « Calonica » était probablement obsolète, et que, dans cette région, on écrivait déjà « Calonge » (notons qu’à contrario sensu, en 840, dans une charte de l’empereur Lothaire, il est écrit : « … Caliniaco Villa Comitatus Cabilonensis… », pour désigner « Chagny », villa du comté de Châlon en Bourgogne). S’agissant de l’accent tonique, il s’est porté sur la 2ème syllabe de « Rivualdica » et de « Calonica », et le suffixe -ica s’est transformé respectivement en -che et -ge. Quant au toponyme « Beanicica », ou « Beaniciacus », l’accent tonique s’est porté également sur la 2ème syllabe « an », et le « i » qui suivait est devenu muet, tandis que le suffixe -ica, ou -iaca, s’est transformé en -é. Donc, avant les invasions normandes dans le Maine, lorsque le pape Nicolas I et le roi de France Charles-le-Chauve réintégrèrent l’abbé de Saint-Calais dans ses droits face aux prétentions de l’évêque du Mans, le toponyme « Calonge », dérivé de « Calonica », existait déjà dans la langue romane, raison pour laquelle il est dit dans le censif de Saint-Calais, datant de 1391, que la métairie des Chalonges ainsi que d’autres étaient rattachées « primitivement » à la crosse dudit abbé. Compte tenu de ces analyses, particulièrement de celle où le toponyme Béancé (« Beanicus » adossé à -ica ou a -iacus), situé dans le voisinage immédiat des Chalonges (« Calonus » adossé au suffixe -ica), est lui aussi celtique et bâti sur la même structure que « Callonica », nous pouvons donc raisonnablement envisager que la métairie actuelle des « Chalonges » ait été, avant la conquête de la Gaule par les Romains, une ferme gauloise ayant eu pour propriétaire un certain « Calonus ». En effet, elle paraît peut-être trop éloignée de la voie romaine (qui fut d’abord gauloise) pour avoir été tenue par un vétéran des légions. Voici une vue aérienne de la ferme des Chalonges. A l’extrémité de la flèche rouge, on devine un trait rectiligne blanchâtre d’une quarantaine de mètres, orienté Nord-Ouest - Sud-Est. Ne serait-ce pas la trace d’un ancien mur ? On remarquera que la terre est calcaire (cf. la cour intérieure de la ferme). Le chemin d’accès à l’exploitation a une largeur de 2 mètres à 2,5 mètres. Donc notre trait à une largeur de 40 à 50 centimètres. Ce n’est pas un antique chemin d’accès. On devine un ancien chemin orienté Est-Ouest tout en bas de la photo ; il semble se raccorder, à droite, au chemin principal. A gauche, il débouche sur une zone tachetée qui pourrait être une ancienne cour intérieure, la tache sombre située entre

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2 bosquets d’arbres, au Sud-Est du trait rectiligne précédemment cité, est une mare. Il semble que le contour initial de la métairie ait suivi notre trait blanc. Les bâtiments principaux de la ferme actuelle ont été construits au Nord de cette zone. Enfin, en observant l’extrait précédent de la carte I.G.N., on remarque qu’un chemin relie les « Chalonges » au lieu-dit « Le Point du Jour », thalweg où coule un ruisseau. C’est sûrement là que notre Gaulois s’alimentait en eau claire, à la clarté du jour naissant ! A son époque, sa ferme était vraisemblablement en lisière de l’actuelle Forêt de la Pierre et du Bois des Loges ou dans une clairière. En effet, dans l’environnement du lieu-dit « Les Chalonges », on observe encore d’anciennes appellations gallo-romaines relatives à des plantations d’arbres, telles que « La Fresnaie » (bois de frênes), « L’Epinay » (bois d’épineux), ou encore « La Houssaye » (bois de houx). Il existait aussi, plus au Sud, des bois de cormiers (cf. « Le Cormier » au Sud d’Ecorpain ; « Le Cormier » entre « La Jaunas » et Montaillé). Le cormier est une essence très dense qui servait à confectionner des manches d’outils. Le mot « cormier » est d’origine gauloise et provient du nom d’une boisson faite avec les cormes fermentées : le « curmi ». (Les ressources génétiques forestières en France, de Michel Arbez, Jean-François Lacaze, 1999). Cette région avait des limites très anciennes. Nous l’avons déjà dit après avoir analysé l’« Histoire de l’Abbaye de Saint-Calais ». Or le finage de la donation de Childebert I aurait suivi un ancien tracé datant, certes, de l’empereur Auguste, et pourquoi pas de l’époque celtique, voire néolithique, sous-entend l’auteur de l’extrait de texte qui suit : « … Il est une science, bien formulée dans les décrets de l'empereur Auguste ; celui de Tibère, gravé sur une table d'airain ; ceux des derniers Césars ; les lois agraires et les traités des arpenteurs latins (agrimensores). Cette science a son glossaire particulier et ses signes pour déterminer les limites territoriales. La loi portait expressément : hœc signa per diversas provincias observentur. En tête de l'Amplissima collectio, la charte de fondation de l'Abbaye royale de Saint-Calais prouverait que sous les Mérovingiens on suivait fidèlement encore les anciens errements ou du moins en partie. J'explore depuis longtemps les lieux, désignés minutieusement par cette charte, et crois pouvoir affirmer que jusqu'à nos jours rien n'avait été changé, pour ainsi dire, sur les limites des paroisses, faisant partie de la seigneurie abbatiale de Saint-Calais; j'ai retrouvé en place les rangées de pierres (lapides nativi), les pierres fiches (lapides fixi, petrae fissae), que le prince déclare avoir fait poser ; mais je n'ai point encore cherché les signes dont il parle. Au quadrifinium de Semur, il a fiché, dit-il, de grandes pierres sous un arbre très élevé (grandes lapides subter figere jussimus), et le village voisin, jusqu'à ce jour, s'est nommé La Pierre. Ne voilà-t-il pas l'origine véritable des peulvans - piliers commémoratifs - réputés celtiques ? Plus loin, il rencontre une large pierre (et est ibi lapis magnus, qui venit de Verto fonte) amenée de cinq à six kilomètres. Ne voilà-t-il pas l'origine d'un dolmen véritable ? Plus loin encore, il arrive - ad veterem terminum - à l'antique borne du Chêne-aux-Fées. Il a signalé : stratam veterem, une voie romaine, près de Saint-Calais ; stratam Variciacensem, la voie d'Orléans au Mans, par le village des Varaces (Ecorpaing) ; la voie du Grand-Châtellier de Semur (vetus via, quae venit de Sinemuro)… » (Répertoire historique et archéologique de l'Anjou, de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts d'Angers, 1861). L’analyse du finage de la donation de Childebert (réécrite en 850, alors que le toponyme Calonge n’avait pas encore le sens de « contestation ») nous montre encore une fois que la métairie « Les Chalonges », rattachée primitivement à la crosse de l’abbé de Saint-Calais, n’a pas pu faire l’objet de litiges, puisque les limites du finage de la donation de Chiledebert I existaient encore au XIXème siècle et apparaissent aussi de nos jours sur la carte I.G.N. Or « Les Chalonges » jouxtent la commune d’« Ecorpain ». Il est donc essentiel de tenter de trouver l’origine du bourg d’Ecorpain, immédiatement au Sud des Chalonges. Au XIIIème siècle, dans le cartulaire de Saint-Calais, cette localité est identifiée ainsi : « … in ecclesia d’Escorpain percipit dictus abbas… ». On trouve ce toponyme écrit sous la forme Escorpaing en 1367 et

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1465, mais on n’en connaît point la signification. Néanmoins, il en existe un homonyme dans le département d’Eure-et-Loir : c’est « Escorpains ». Tâchons donc d’émettre nous-mêmes une hypothèse concernant cette origine, hypothèse qui soit réaliste. Le suffixe « paing » dérive du terme « paganus », qui signifie « habitant d’un pays », mais aussi (et beaucoup plus tardivement) « non chrétien », c’est-à-dire « païen ». A titre indicatif, explicitons l’origine de « compaing », qui a donné « compagnon », comme « compaingne » a donné « compagne » : « … Compaing provient de compaganus qu'on trouve dans les canons des dialectes de Caninius, au rapport de Vossius (grammairiens des XVIème et XVIIème siècles) ; et paganus est dérivé de pagus (pays, contrée), et signifie, au sens propre, habitant du pays avec un autre habitant du même pays… » (Philologie française ; ou, Dictionnaire étymologique, critique, historique, anecdotique, littéraire, pour servir à l'histoire de la langue française, de François Noel et L. J. Carpentier, 1831). Certes, mais qu’est-ce qu’un pagus ? Grégoire de Tours (538-594) nous en donne la signification dans la géographie de son époque : « … Je vais citer quelques-uns des innombrables exemples que j’ai recueillis et dans lesquels le mot pagus désigne une étendue quelconque de territoire depuis celui de la plus mince villa jusqu’à celui d’une province ou d’un empire : Nobiliacensis pagus, Balbiacensis pagus, Iciodorensis pagus, Croviensis pagus, Lipidiacensis pagus, Berravensis pagus (tous ces exemples nous montrent le mot pagus appliqué à des bourgs et à des localités infimes : vici, villae, domus) ; Ratiatensis pagus, Rossontensis pagus, Perticensis pagus, Arbatilicus pagus, Vilcassinus pagus, Briegius pagus (ici pagus représente un territoire moindre qu’une cité, mais d’une étendue assez considérable, peut-être celui de l’ancienne Condita) ; Tholosanus pagus, Pictavensis pagus, Suessonicus pagus, Remensis pagus (cette fois pagus embrasse la cité, probablement l’antique Civitas) ; et Pagus Antiochensis, Pagus Hunnorum (pagus désigne ici une contrée quelconque)… » (Géographie de Grégoire de Tours, de Frédégaire : le pagus et l'administration en Gaule, d’Alfred Jacobs, 1858). Quant au préfixe « escor », c’est un ancien nom germanique : « Ascar », « Ascher », « Ascar », « Eskere » ; ou encore « Ascarich », « Eskerich », qui a donné le latin « Ascarius ». (Altdeutsches Namenbuch, von Ernst Wilhelm Förstemann, 1856). A titre d’exemple, citons la ville d’Esquéhéries dans le Laonnois (Scheriis en 1159 et Escheheries en 1199 ; cf. Naissance d'une cité : Laon et le Laonnois du Vème au Xème siècle, de Jackie Lusse, 1992). Mais c’est également un ancien nom scandinave (cf. Danes and Norvegians in England, de Worsaae) : « Asgeir, Eskere, ou Askher, signifie piquier, lancier. » Par ailleurs, on rencontre aussi au Danemark le patronyme latinisé « Scori », « Scorius », « Skorrus » ou « Scorra » provenant du nom de personne « Skorre », ou « Skorri » (cf. Diplomatarium Danicum : række, 1. bd. Regester 789-1052 / udgivet af C. A. Christensen, Herluf Nielsen, Niels Skyum-Nielsen, Adam Afzelius, Franz Blatt, Danske sprog og litteraturselskab, Gustav Hermansen, Kåre Olsen, Lauritz Weibull, Aage Andersen, Thomas Riis, Russell Friedman, 1938 ; Laxdæla-saga : sive Historia de rebus gestis Laxdölensium. Ex manuscriptis Legati Magnæani cum interpretatione latina, tribus dissertationibus ad calcem adjectis et indicibus tam rerum qvam nominum propriorum, de Gunnlaugur Oddsson, Hans Evertsson Wium, Gunnars Þáttr Þiðrandabana, Þorleifur Guðmundsson Repp, Finnur Magnússon, Børge Riisbrigh Thorlacius, Peter Erasmus Müller, Erich Christian Werlauff, Þorgeir Guðmundsson, Arnamagnæanske stiftelse, 1826 ; Skandinavernes korstog og andagtsreiser til Palæstina, 1000-1350, de Paul Riant, 1868 ; Historia Norwegie, de Inger Ekrem, Lars Boje Mortensen, Peter Fisher, 2003). En Islande, en 1097, il existait un certain « Thordus Scorius de ponte ligneo » - Thor Skorre du Pont de bois - (cf. Íslenskir annálar ; sive Annales Islandici ab anno Christi 803 ad 1430, 1847). En conséquence, notre thèse consiste à prétendre que le toponyme Escorpaing a été formé par l’association des 2 mots « « Scorius » et « Paganus » signifiant « Skorre le Païen », car dans

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les langues romanes, « paganus » ne s’est conservé qu’avec le sens chrétien. Le bourg primitif d’Ecorpain (« Scorii Pagani » feodum, devenant « scoripagani », puis « escorpaing » en langue d’Oïl) aurait donc été fondé au cours des invasions normandes du Maine à la fin du IXème siècle. Du coup, on comprend pourquoi il n’est pas cité dans la donation de Childebert I, donation dont la charte a certainement été réécrite vers 850. Voici ce qu’en disait Monsieur E. Paty, en 1849 : « … La seigneurie de paroisse (d’Ecorpain) était une châtellenie, membre de la baronnie de Bouloire ; elle était annexée à la terre du Buisson (située à 3 kilomètres à l’Ouest), maison bourgeoise, et ferme aujourd'hui. L'église d'Ecorpain n'offre aucune particularité qui mérite mention. C'est toujours la nef romane du Xème siècle, agrandie au XVIème d'une chapelle et du chœur à chevet droit, orné d'une grande fenêtre ogivale que surmonte un gable ou fronton triangulaire. Ces deux grandes époques, Xème et XVIème siècles, bien distinctes dans presque toutes les églises rurales du canton de Saint-Calais, s'expliquent facilement : car on conçoit bien que ces églises, isolées et sans moyens de défense, durent être pillées et détruites au IXème siècle ; que le Maine fut le théâtre des cruels et cupides exploits des Northmans. Sur la fin de ce IXème siècle, les populations, dispersées par les hardis pirates du Nord, se réunirent quand l'ouragan eut passé, et construisirent de nouveau sur le sol déblayé. Mais la crainte de nouvelles irruptions ne permit pas alors d'élever de vastes édifices, Les églises, flanquées de lourds contre-forts, éclairées par de simples meurtrières, comme à Ecorpain, offrirent à l'extérieur un certain air de force, et purent même, au besoin, devenir lieu de refuge. Au XVIème siècle, ces édifices, ne répondant plus aux exigences du culte, prirent un plus grand développement par l'adjonction de chapelles latérales, d'un nouveau chœur et quelquefois même de bas-côtés. C'est alors que le besoin d'harmoniser nouvelles et anciennes constructions fit disparaître les petites meurtrières cintrées, auxquelles on substitua de larges ouvertures ogivales. Mais il est à remarquer que ces travaux d'agrandissement sont restés presque partout inachevés, par cause sans doute des guerres de la Réforme, dont on sait les déplorables excès… » (Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe, 1849). Skorre le Païen a probablement fondé Ecorpain en 924, après le traité de paix conclu entre le roi de France Raoul et les Normands de la Seine dont le chef était Rollon, traité qui octroyait le Bessin et le Maine auxdits Normands. C’est peut-être à cette date que se sont lnstallés les ancêtres (normands) du sire de Calonge dans la métairie des Challonges. Dans les années 920, les contestations (calonges) n’existaient pas entre Normands ; seul le fer, voire le feu, règlait les différents. Puis c’est sûrement après l’année 926 que les moines de Saint-Calais revinrent reconstruire leur abbaye en ruines. Car « … vers le milieu du Xème siècle, Hugues-le-Grand recouvra le Maine sur les Normands. Ce guerrier, dès l'année 926, osa prendre l'offensive contre les Normands de la Loire ; il vengea les dégâts qu'ils avaient faits sur ses terres, et ne craignit pas d'aller les attaquer dans les iles de la Basse-Loire, où ils étaient établis depuis plus d'un demi-siècle. Il réussit à les en chasser et força leurs bandes à se disperser. Les plus nombreuses se portèrent sur les ruines de Nantes ; Hugues fut même obligé de reconnaître leur pouvoir sur le comté nantais, et les pirates restèrent encore pendant quelque temps maîtres de l'embouchure du fleuve. D'autres bandes voulurent traverser l'Anjou, le Maine et le pays chartrain, pour gagner les rivages de la Manche ; mais elles furent arrêtées au passage de la Braye près de Matovall ou Bonneveau, où elles eurent à soutenir un combat sanglant. C'est sans doute de cette époque que date la destruction totale de l'ancien palais des Mérovingiens, dont le nom ne reparait plus dans l'histoire depuis cette époque… » (Histoire de l'église du Mans, de Paul Piolin, 1854). Donc Ecorpain n’était pas une cité gauloise, mais d’origine normande. Du coup, on peut avancer l’hypothèse qu’au cours du Xème siècle, le sire d’Ecorpain ait pu revendiquer la propriété de la métairie des Chalonges (d’où son nom), qui jouxtait son fief, ladite métairie relevant probablement du seigneur de Montaillé (peut-être ancien normand lui aussi), avant qu’elle ne fût rattachée au comte d’Anjou, puis à l’Abbaye de Ponteron.

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Cela n’empêche pas que d’antiques fermes celtiques aient pu exister sur le territoire de l’actuelle commune d’Ecorpain (cf. la ferme « Le Cormier » au Sud du bourg, cormier étant un mot d’origine gauloise). Il en est particulièrement ainsi du toponyme « Les Varasses », ou « Varaces », (de « variciasensem », écrit comme tel sur la charte de Childebert I). « Variciacus » est un adjectif formé à partir du nom « Varicus », ou « Varicius », lui-même pouvant être dérivé de « Varius », issu de « Varus » ; mais « Varicus » signifie aussi : « qui fait de grands pas (en écartant les jambes) ». Varicus ou Varicius est un nom de personne, comme Calonus ou Callonius. Pour quelle raison le rédacteur de la charte a désigné l’ancienne voie gauloise, puis romaine, sous l’appellation de « stratam variciasensem » (voie des Varaces) ? Il est vrai qu’un autre lieu-dit portant le même toponyme (La Varace) est situé à 1 kilomètre au Nord de Sargé-sur-Braye, où l’ancienne voie, dont il est question, passait à « La Trousserie » et au « Taillefer ». Actuellement, Les Varasses, à l’Ouest d’Ecorpain, forment un ensemble de 3 fermes situées sur une élévation du terrain (point culminant à 172 mètres) par rapport au ruisseau du Tousson dont le lit est à l’altitude de 151 à 141 mètres. Y aurait-il eu ici un groupement de fermes gauloises devenu pagus par la suite : le pagus variciacenses ? C’est envisageable, compte tenu de ce que nous enseigne Grégoire de Tours. Les environs immédiats y sont si remarquables qu’une ferme, au Nord, se nomme Belle Vue, et une autre, au Sud, Beauregard. Mais il existe aussi un autre toponyme dérivé de Varasse et situé au Nord d’Ecorpain. Il s’agit du village dénommé « La Varasserie ». Or il paraîtrait que les termes « varrasse », « varace » et « varache » désigneraient des marécages dans l’Ouest de la France. Cette hypothèse ne peut être retenue, s’agissant des 3 toponymes précités, compte tenu de la nature de leur terrain qui est en pente. Par ailleurs, un toponyme dont l’écriture est assez proche existe aussi dans le département de l’Ain. Il s’agit du village de Saint-Paul de Varax, localisé en Bresse, qui fut possédé en tant que fief au XVème siècle, par une famille de cette région : « … Gaspard, seigneur de Varax, que le duc Louis voulut aussi gratifier d'une manière solennelle et dédommager des peines qu'il avait endurées, érigeant, par des lettres patentes, datées de Quins, le 26 février 1460, les seigneuries de Varax, de Richement et de la Poype, en Bresse en comté, sous le titre de Varax… Guillaume de Varax, évêque en 1462… » (Essai sur les anciennes assemblées nationales de la Savoie, du Piémont et des pays qui y sont ou furent annexés, de Ferdinand Dal Pozzo, 1829). Or si la « strata Variciacensem » est nommée ainsi dans la charte de Childebert I, ce ne serait peut-être pas dû au village « Les Varasses » situé à l’Ouest d’Ecorpain, mais au hameau « La Varace » jouxtant Sargé-sur-Braye. En effet, un certain Liger aurait identifié, en 1900, la ville de Varacia près de Sargé, localité gallo-romaine considérable, d’origine gauloise, et ruinée dès le IVème siècle. Liger dit qu’il y a raison de croire que la voie romaine du Mans à Orléans fut établie sur un chemin gaulois dans toute sa longueur (cf. Bulletin, de la Société d'histoire naturelle de Loir-et-Cher, 1926). Ledit Liger est cité par ailleurs comme un homme exalté et agressif dont la brochure de son imaginaire « Ville de Varacia » est à consulter avec prudence (cf. La Province du Maine, de la Société des archives historiques du Maine, 1965). Qui a raison ? Liger probablement, même s’il fut considéré comme un exalté ! Car le relief de Sargé est tel qu’un oppidum gaulois des Varaces a pu exister là, en bordure de la « strata Variciacensem ». Nous opterons nous aussi pour cette hypothèse. Dans ce cas, la métairie des « Chalonges » était distante d’approximativement 16 kilomètres de cet éventuel oppidum. Quant aux hameaux des « Varasses » et de la « Varasserie », situés respectivement à l’Ouest et au Nord d’Ecorpain, il est probable qu’ils dérivent d’un anthroponyme gaulois (Varax ?) ayant été par la suite romanisé (de même que le nom de l’oppidum précédemment cité). Souvenons-nous en effet de la ville de Bibrax, citée dans la « Guerre des Gaules » de Jules César.

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Ainsi aurions-nous aimé montrer l’origine gallo-romaine, voire gauloise, de la métairie des « Chalonges ». In fine, la logique de notre raisonnement nous conduit à éliminer cette hypothèse, ladite métairie ayant été très probablement édifiée après l’installation des Normands dans la région. Quant au droit de justice qui était exercé comme appartenant primitivement à la crosse de l’abbé de Saint-Calais, sur les métairies de La Lande, Fay, les Chemins, les Brières, Crucé, la Jaunaie et les Chalonges, il s’agit sûrement de l’époque post-1020, après que les prérogatives et droits féodaux dudit abbé fûrent établis de manière permanente. Et à Bellême, le patronyme roman « (de) Calonges », porté par les 2 frères « Guarinus et Hugo », a été écrit (avec juste raison) sous la forme « (de) Calumniis ». Au fait, suivant notre hypothèse, pourquoi ces 2 frères se sont-ils rangés sous la bannière de l’évêque Avesgaud afin de combattre le comte du Maine, Herbert Eveille-Chien, alors que leur suzerain était très certainement, non l’abbé de Saint-Calais comme nous l’avons envisagé au début de cette recherche, mais le comte d’Anjou ? Souvenons-nous en effet qu’à la fin de l’épiscopat de Sigefroy, prédécesseur d’Avesgaud sur le siège du Mans, le roi de France Lothaire, pour récompenser les services que Geoffroy, comte d’Anjou, lui avait rendus, assura audit comte tous les droits dont les rois de France avaient joui dans les évêchés du Mans et d’Angers. Plus tard, ces concessions furent confirmées par les premiers princes de la dynastie capétienne. Or présentement (au début de l’épiscopat d’Avesgaud), la famille de Bellême, à savoir Guillaume Ier de Bellême, frère d’Avesgaud, avait augmenté la prospérité de sa maison en s’attachant fortement aux intérêts des rois de France, Hugues Capet puis Robert II, et en se liant plus étroitement avec le duc de Normandie Richard II, dit le Bon. Or les antécédents de Guérin et Hugues de Calumniis étaient probablement issus des Normands de la Seine, et leur fief, rattaché primitivement à la donation de Childebert I, relevait du roi de France, avec pour suzerain le comte d’Anjou. Lorsque Avesgaud réunît des troupes pour combattre le comte du Maine qui venait de détruire le château épiscopal de Duneau, ce fut, pour Guérin et Hugues de Calumniis, l’occasion de se tailler de nouveaux fiefs aux dépens de Herbert Eveille-Chien. On sait ce qu’il en advint. Avesgaud fut obligé de se réfugier au château de Bellême, raison pour laquelle lesdits Guarinus et Hugo de Calumniis durent en faire autant. Certes, mais si il est probable que les antécédents desdits Guérin et Hugues furent normands, alors comment pouvait se nommer le premier de la lignée, bien avant qu’un de ses successeurs ne se parât du titre de seigneur de Calonge ? Etait-il apparenté à Skorre le Païen ?

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