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Le Traitement des crises informationnelles dans l’industrie pharmaceutique Intelligence économique MS MM ESSEC 6 janvier 2012 Célia CROGUENNOC Armelle GUYENOT Sami HIMEUR Priscille JACQUES

Rapport industrie pharmaceutique

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Le traitement des crises informationnelles dans l'industrie pharmaceutique source : Portail de l'IE 2012

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Page 1: Rapport industrie pharmaceutique

Le Traitement des crises informationnelles dans l’industrie pharmaceutique Intelligence économique – MS MM ESSEC

6 janvier 2012

Célia CROGUENNOC

Armelle GUYENOT

Sami HIMEUR

Priscille JACQUES

Page 2: Rapport industrie pharmaceutique

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Avant-propos

Afin de pouvoir discerner les enjeux liés et les mécanismes de gestion des crises

informationnelles dans l’industrie pharmaceutique, ce rapport s’est appuyé sur 5 interviews

réalisées entre le 25 novembre et 28 décembre 2011.

Interview du Professeur Gérard de Pouvourville, Directeur de la Chaire Santé à

l’ESSEC Business School et conseiller scientifique au Ministère de la Santé depuis

1982

Gérard de Pouvourville est diplômé de l’Ecole polytechnique et Docteur en Economie et Administration

des Entreprises. Il a débuté sa carrière en 1973, au sein du Centre de Recherche en Gestion de l’Ecole

polytechnique puis au CNRS avant de prendre en 1993 la direction scientifique du Groupe Information

Médicale et Aide à la Gestion des Etablissements, { l’Ecole Nationale de la Santé Publique. Gérard de

Pouvourville a également été consultant auprès d’établissements hospitaliers publics et de nombreux

laboratoires pharmaceutiques.

En 2000, Gérard de Pouvourville a été nommé Directeur du Centre de Recherche en Economie et Gestion

Appliquée à la Santé.

Travaux réalisés : l’analyse comparative des systèmes de santé, l’évaluation des politiques publiques de

santé, le financement des services de santé, le développement des systèmes d’information en santé,

l’évaluation économique des actions de santé.

Interview du Professeur André Aurengo, ancien Président du Conseil supérieur

d’hygiène publique de France et médecin nucléaire français

Diplômé de l’École polytechnique, docteur en physique, docteur en médecine, docteur d’État ès sciences, le

Professeur André Aurengo est le chef du service de médecine nucléaire du groupe hospitalier de la Pitié-

Salpêtrière à Paris. Il a été élu le 22 février 2005 { l’Académie nationale de médecine.

Interview d’un médecin Rhumatologue, exerçant en province, et disposant d’un

poste à responsabilité au sein de la Fédération Française de Rhumatologie.

La personne interrogée a exprimé le souhait de garder l’anonymat au cours de cette interview.

Interview du Docteur Jean-Yves Guyénot, Secrétaire général { l’Ordre des

médecins de Bourgogne et docteur en médecine

Interview du Docteur Catherine Guyénot, Médecin au centre de transfusion

sanguine à Auxerre

Des membre de l’AFSSAPS, du laboratoire Servier, du Ministère de la santé ainsi qu’un

journaliste expert en lobbying pharmaceutique ont été contactés à plusieurs reprises mais n’ont

pas donné suite.

Page 3: Rapport industrie pharmaceutique

3

Synthèse

Cette recherche documentaire a pour objectif de répondre à la problématique du

« traitement des crises informationnelles dans l’industrie pharmaceutique ». Nous proposons ici

une tentative de mise en exergue des différents acteurs impactant ce traitement de la crise. Une

première partie propose une liste non exhaustive, mais toutefois représentative des grands

évènements de l’histoire des crises et scandales sanitaires, ainsi qu’un essai de définition du fait

scientifique et de sa légitimité. La seconde partie a pour objectif de fixer les grands éléments de

reprise du fait scientifique par les médias, et donc de décrire l’intervention de ceux-ci dans la

crise. Dans un troisième temps, nous nous intéressons aux stratégies mises en place par les

entreprises dans une tentative de contrôle et de gestion des crises qu’elles ont pu déclencher.

Enfin, une étude approfondie des différentes parties prenantes du système de santé Français, et

donc de leurs rôles respectifs en cas de crise sanitaire sera réalisée.

Ce rapport a pour vocation de tenter de mettre en relief certains éléments discriminants

et pertinents de la gestion des crises informationnelles. Dans un secteur en perpétuelle

évolution, et un contexte politico-économique et social en mouvance constante, quels leviers

peuvent être actionnés pour permettre une meilleure gestion de ces situations difficiles ? Il

convient de rappeler que l’industrie pharmaceutique, très florissante, est un bel exemple de

performance industrielle, notamment en France ; et qu’il est urgent d’en revaloriser l’image,

parfois très entachée par des crises à répétition, souvent mal gérées par le passé.

Certaines réponses, du moins des outils de compréhension, et d’amélioration seront donc

proposés en ce sens. Bien que des perspectives positives soient envisageables, il est indéniable

qu’une remise en question profonde du système de santé en France, et notamment des

interrelations entre protagonistes est nécessaire. Nous mettons de plus en exergue l’importance

d’une communication choisie, raisonnée, transparente et donc plus efficace en contexte de crise.

Page 4: Rapport industrie pharmaceutique

4

Abstract

The main goal of this documentary research is to answer the problematic « The

informational crisis management in the pharmaceutical industry ». What we suggest here, is to

highlight the main actors who are particularly involved in the management of those crises.

This work will start with a description of the main crises which lead to health scandals

along with a definition of what we call the “scientific fact and its legitimacy”. In a second part, we

will have an attentive look at the media and try to answer the question: how the media pass on

the scientific fact and what are their exact role and impact ?

The third part will tackle the strategies deployed by pharmaceutical companies in order to

control and manage the crisis. And we will conclude on an overview of parties involved in the

French health system.

The purpose of this report aims at putting forward differential and relevant elements in

the informational crisis management. In a fast moving sector marked by a difficult political,

economical and social situation, what are the best answer to manage those crises ?

Pharmaceutical companies are flourishing and are a good example of industrial performance,

especially in France.

Some answers, understanding and improving tools will be suggested at the end of this

report. Despite the fact that positive outlooks are foreseen, it is though important to take a deep

new look at the French health system. We also insist on the development of a specific, reasoned,

transparent communication to best solve those crises.

Page 5: Rapport industrie pharmaceutique

5

SOMMAIRE

Introduction ....................................................................................................................................................... 6

I- Le fait scientifique et sa légitimité .................................................................................................................. 7

Fait scientifique et crise sanitaire .................................................................................................................. 7

Historique des scandales sanitaires liés à l’industrie pharmaceutique .......................................................... 7

Légitimité scientifique du scandale ................................................................................................................ 9

II- Les médias et les crises pharmaceutiques .................................................................................................... 10

L’industrie pharmaceutique et les médias ................................................................................................... 10

Place des médias dans les crises, , ................................................................................................................ 10

Causes possibles des dérives du traitement des crises par les médias, , ...................................................... 11

Réponses possibles au problème (experts) .................................................................................................. 12

III- Industries pharmaceutiques et gestion de crises ........................................................................................ 13

L’importance de la communication .................................................................................................................. 13

Crise du Médiator et communication à double sens ........................................................................................ 14

IV- Les parties prenantes .................................................................................................................................. 15

L’Etat garant de la santé publique................................................................................................................ 16

Le paradoxe étatique ................................................................................................................................... 20

L’ AFSSaPS .................................................................................................................................................... 21

Les professionnels de santé et les patients .................................................................................................. 22

Conclusion ........................................................................................................................................................ 25

Annexes ............................................................................................................................................................ 27

Retranscriptions Interviews ............................................................................................................................. 28

Interview de G. de Pouvourville .................................................................................................................... 29

Interview du Docteur André Aurengo ........................................................................................................... 32

Interview d’un Médecin spécialiste ............................................................................................................... 35

Interview du Docteur Catherine Guyénot ..................................................................................................... 39

Interview du Docteur Jean-yves Guyénot ...................................................................................................... 41

Page 6: Rapport industrie pharmaceutique

6

Introduction

La notion de traitement de crise informationnelle dans l’industrie pharmaceutique est

étroitement corrélée { l’existence d’un risque sanitaire. En effet, c’est la réalité d’un risque qui

induit un processus de gestion de ce risque et de transmission de l’information.

La sécurité sanitaire en France est composé de différents niveaux de hiérarchie (voir

Annexe 1), avec à sa tête le Ministère de la Santé (instance étatique), qui intervient via la

Direction Générale de la Santé. Cette instance interagit avec des organismes majeurs tels que

l’AFSSaPS (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé), la HAS (Haute Autorité

de Santé), l’INPES (Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé), la DGCCRF

(Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation, et de la Répression des Fraudes)…

Ensuite, différents acteurs1 (InVS, Préfets de zone…) permettent de faire le lien avec les ARS :

Agences Régionales de Santé, qui ont été créées dans une démarche de décentralisation du

système de santé. Au sein même des ARS, ont été fondées des antennes spécifiques, telles que les

CIRE (Cellules de l’InVS en Région), cellules de « veille alerte et gestion sanitaire », qui

permettent notamment la réception des signaux provenant des différents centres de santé.

Toute la problématique de notre sujet provient du fait que ce système s’avère

parfois peu efficace, et que parfois l’existence du risque devient trop rapidement publique, en

s’inscrivant dans un circuit de communication peu contrôlable par les instances publiques,

privées et les industries pharmaceutiques.

Ainsi, nous nous intéresserons au

« Traitement des crises informationnelles dans l’industrie pharmaceutique »

Deux questions en découlent : comment peut-on définir les crises informationnelles dans l’industrie pharmaceutique et comment sont-elles traitées par les différents acteurs ? Compte tenu du temps imparti, notre étude se limite à un cadre national et temporel. Ainsi nos recherches portent sur la France à partir de la deuxième moitié du XXème siècle jusqu’{ nos jours. La France faisant partie de l’Union européenne, les institutions européennes basées { Bruxelles peuvent être évoquées. A partir de cette problématique, nous avons dégagé 4 parties : le fait scientifique et sa légitimité, la reprise du fait scientifique par les médias, la gestion de la crise par les entreprises et les parties prenantes et leurs influences sur le traitement de ces crises. Nous tâcherons, enfin, de tirer des conclusions au regard des recherches et analyses réalisées.

Certaines recommandations seront exprimées dans un dernier temps, avec pour objectif

d’ébaucher les quelques grandes lignes d’un futur système, plus approprié et performant, de

traitement des crises informationnelles dans l’industrie pharmaceutique.

1 EHESP – La mission de veille sanitaire au sein des agences régionales de santé – Groupe MIP 23 – 2011

Page 7: Rapport industrie pharmaceutique

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I- Le fait scientifique et sa légitimité

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est important de bien saisir quelques notions ayant trait aux

termes même de santé, fait scientifique, crises sanitaires ou bien encore de scandale sanitaire.

Fait scientifique et crise sanitaire

La première définition du mot santé est donnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et date de 1946. Il s’agit alors d’ «un état complet de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité2». Le fait scientifique par rapport à la santé pourrait donc être interprété comme un événement dans la science qui viendrait perturber cet état complet de bien être physique, mental et social. Il peut alors se matérialiser sous la forme d’avancées scientifiques comme la mise au point d’un nouveau médicament, d’une nouvelle thérapie mais il peut également apparaître sous les traits d’une crise sanitaire. Afin de circoncire notre sujet, nous nous intéresserons aux faits scientifiques et à la notion de crise qui peut lui être attachée. Les crises sanitaires sont des évènements pouvant affecter soit réellement soit potentiellement la santé d’un grand nombre de personnes. Dans la plupart des cas, elles sont déclarées/officialisées par l'Etat. Parmi ces nombreuses crises, on note celles liées à des médicaments ou à des vaccins contaminés ou pollués (nous les détaillerons plus en aval). Si nous nous attachons maintenant à la notion de scandale, le dictionnaire Larousse le définit comme étant un « effet fâcheux, une indignation produits dans l'opinion publique par un fait, un acte estimé contraire à la morale, aux usages ». Il est d’ailleurs plutôt difficile d’identifier le début et la fin d’un scandale. De même, son ampleur dépend de la notoriété et du nombre de personnes impliquées et surtout, de l’importance que lui accordent les médias. N’oublions pas également, et nous le verrons plus loin, que les conséquences économiques engendrées pas ces scandales peuvent être lourdes de conséquences. Historique des scandales sanitaires liés à l’industrie pharmaceutique

Plusieurs affaires de santé publique ont défrayé la chronique et eurent des conséquences importantes tant sur le plan économique qu’humain. Nous tâcherons de dresser un panorama global des scandales sanitaires qui ont éclaté depuis 1945 à nos jours.

Le Distilbène3 Cette hormone de synthèse fut prescrite à partir de 1948 à des millions de femmes dans le monde afin de prévenir les fausses couches. Elle fut { l’origine de nombreuses malformations chez les enfants des mères traitées (malformation de l’utérus engendrant une stérilité { l’âge adulte). Dès les premiers cas, les Etats-Unis la retirent du marché. La France la supprimera en 1977. Ce médicament fut responsable, entre autres, de plus de 160 000 victimes en France.

2 http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs220/fr/ 3 Le distilbène aurait des effets sur trois générations,Le Monde, 5 avril 2011

Page 8: Rapport industrie pharmaceutique

8

L’hormone de croissance4 A partir de 1973 et jusqu’en 1988, les enfants qui manifestaient des problèmes de croissance se voyaient injecter une hormone de croissance extraites d’hypophyses provenant de cadavres humains (l’hypophyse secrétant des cellules qui stimulent la croissance). Le procédé était le suivant : les glandes hypophysaires étaient sélectionnées par l’association France hypophyse dans les morgues de France, de Bulgarie et de Hongrie pour ensuite être revendues { l’Institut Pasteur qui en extrayait les hormones de croissance. Ces dernières étaient ensuite achetées par la Pharmacie centrale des hôpitaux pour traiter les patients. Chaque revente faisait l’objet d’une spéculation. Pour faire face à la demande croissante, le nombre d’hypophyses prélevées s’est accru et les contrôles se sont fait plus laxistes de la part de l’association France hypophyse. Beaucoup de cadavres à partir desquels les glandes hypophysaires étaient prélevées avaient la maladie de Creutzfeldt Jakob. En France, on estime à 1 698 le nombre d’enfants traités par cette hormone entre 1973 et 1988, date à laquelle on recense 93 décès des suites d’une injection d’hormone contaminée. En 1985, le scandale éclate et les Etats-unis mettent au point une hormone de synthèse. Néanmoins, la France continuera à utiliser des hormones de croissance extraites d’hypophyses jusqu’en 1988. La France est l’un des pays qui recense le plus de victimes liées { cette hormone de croissance. La maladie pouvant se manifester 30 ans après, on recense en 2008 111 morts. Suite à cela, un procès est ouvert en 1991 incriminant des hauts personnels de santé accusés d’avoir reçu des pots de vin. Ils ont tous été relaxés.

Le scandale de l’Isoméride5 En 1985 l’isomeride est utilisé afin de pallier les problèmes d’obésité. Ce médicament est mis sur le marché par les Laboratoires Servier et sera commercialisé jusqu’en 1997. Il est prescrit à plus de 5 millions de Français et fut { l’origine d’importantes complications pulmonaires. Après la découverte de cas d'hypertension artérielle pulmonaire dès 1995, et d'anomalies des valves cardiaques en juillet 1997, l'isoméride sera retiré de la vente en France. Il serait incriminé dans le décès de plus de 40 personnes.

Le sang contaminé6

La crise du sang contaminé trouve son origine dans les années 80 avec la mise en évidence du virus du sida. Des années ont été nécessaires afin d’identifier les facteurs de transmission du virus du SIDA ainsi qu’{ l’élaboration des tests de dépistage efficaces. Le virus du SIDA se transmettant entre autres par le sang, des procédures ont dû êtres mises en place pour que les organismes de transfusion sanguine utilisent des méthodes et des produits sécurisés (comme la technique de chauffage d’extrait de plasma permettant d’«inactiver » le virus qui fut découverte en 1984). Le retard pris entre la connaissance du problème et la mise en place de mesures adéquates a constitué l’affaire du sang contaminé. L’opinion publique ne sera vraiment sensibilisée qu’en 1985 avec l’annonce par le Premier ministre d’un dépistage obligatoire des donneurs de sang. Néanmoins, les trois fournisseurs de tests de l’époque (Abbott, Pasteur, et Organon-Teknika) n’étaient pas en mesure de fournir l’ensemble des quantités demandées. On estime { 95% le nombre d’hémophiles contaminés à ce moment. Les stocks de produits non chauffés (ne permettant pas d’inactiver le virus) cessent d’être remboursé par la sécurité sociale, mais le gouvernement n’interdit pas leur 4 L’Express du 6 février 2008 « Le procés d’un scandale », Le Monde du jeudi 23 mai 2002, Libération 24 avril 2004 5 http://www.victimes-isomeride.asso.fr/isomeride.html 6 Les grands scandales sanitaires dans l'hexagone depuis 1945 - France 24, Sang contaminé : Bayer et Baxter indemnisent des hémophiles - Le Monde

Page 9: Rapport industrie pharmaceutique

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utilisation et ne rapatrie pas les suppléments de stocks en circulation. Ces derniers ont donc continué { être utilisés alors même que l’on connaissait les dangers. De même, aucune information n’était délivrée au patient. On estime ente 30 et 50 contaminations supplémentaires entre juin et décembre 1985. Le scandale éclate en 1986 avec la publication d’un rapport du Centre de transfusion sanguine déclarant qu’un hémophile sur deux a été contaminé (2 000 personnes). En 1992, une enquête est ouverte et les principaux dignitaires de santé sont mis en examen. En 1999, l’ancien Premier Ministre ainsi que deux autres Ministres comparaissent devant la Cour de justice de la République et se voient relaxés.

L’affaire du Médiator7 Le Mediator (Benfluorex) est mis sur le marché en France en 1976 par les laboratoires Servier. Ce médicament destiné aux diabétiques sera également utilisé en tant que coupe-faim. En 2003, des cas de valvulopathies8 sont référencés en Espagne suite à la prise du Mediator faisant l’objet d’un retrait sur le territoire national et en Italie en 2005. Après de nombreuses alertes émanant des professionnels de santé, le Mediator est retiré sur le marché français en 2009 (soit 33 ans après sa commercialisation). A ce moment 300 000 personnes sont sous traitement. Le scandale éclate lorsque la pneumologue Irène Frachon, publie son livre Mediator 150 mg. Combien de morts. L’affaire mettra en cause des conflits d’intérêts entre les politiques, les autorités de santé publique (AFSSaPS, HAS) ainsi que les Laboratoires Servier.

Légitimité scientifique du scandale

Pour qu’un fait scientifique se transforme en scandale de santé publique, plusieurs facteurs sont en cause : la notoriété des personnes mises en cause en l’occurrence (ici les laboratoires scientifiques mais également les politiques), le nombre de personnes impliquées, et enfin, les conséquences qui suivent cette crise, qu’elles soient juridiques et/ou économiques. A la question « A partir de quand peut-on dire que le fait scientifique a une véritable légitimité ? », le Professeur de Pouvourville, Directeur de la Chaire Santé { l’ESSEC indique qu’ : « … avec les techniques statistiques qui existent, on essaye avec les données qu’on a de regarder si on pourrait établir un lien de causalité avec une robustesse suffisante et voir si il y a vraiment matière à

7 Chronique du scandale Mediator, L’Express, 14 décembre 2011 8 Le terme valvulopathie désigne divers dysfonctionnements des valves cardiaques (chargées de retenir le reflux du sang d’une cavité cardiaque vers une autre)

Page 10: Rapport industrie pharmaceutique

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s’inquiéter. Quelque fois c’est extrêmement difficile de conclure. Dans le cas de l’hépatite B finalement il y a eu accumulation d’études qui ont convergé pour dire que non. Dans le cas du Mediator on n’est pas capable de démontrer quoi que ce soit, on savait par exemple qu’il y avait { la base des raisons pharmacologiques objectives de penser qu’il pouvait y avoir des effets secondaires, sauf qu’on ne connaissait pas trop la fréquence de ces effets secondaires… ». Finalement le fait scientifique gagne en légitimité scientifique avec la crédibilité des recherches menées à son sujet, la robustesse de l’expertise et la qualité des experts responsables de la rédiger.

II- Les médias et les crises pharmaceutiques

L’industrie pharmaceutique et les médias 9

Aujourd’hui, les médicaments occupent une place privilégiée dans les médias au travers

des découvertes, des avancés médicales, des crises… Le développement de cette relation, de plus

en plus importante, entre l’industrie pharmaceutiques et les médias a plusieurs causes.

Dans un premier temps, le développement du mass média a conduit à une population

de plus en plus informée en forte demande d’informations. Or le médicament occupe une place

essentielle dans la vie de l’individu. On observe donc une demande très forte d’articles relatifs {

ce sujet. Le sujet est donc très vendeur pour les médias qui désormais lui accordent beaucoup

d’importance.

Ensuite, l’intensification de l’offre pharmaceutique explique également la présence de

plus en plus importante des médicaments dans les médias. Cette présence est avant tout voulue

par les entreprises qui communiquent toujours plus et souhaitent mettre en avant leurs

produits, entretenant de fortes relations avec la presse.

Enfin, les scandales pharmaceutiques de plus en plus fréquents conduisent à une

reprise intensive de ces faits par les médias. Ils ont d’ailleurs un rôle de plus en plus important

dans ces crises et deviennent une partie prenante très difficile à gérer pour les entreprises.

Place des médias dans les crises10, 11, 12

Le rôle des médias lors de ces crises est dans un premier temps l’information de la

population. Il leur revient de relayer les informations données par les différentes parties

prenantes de manière objective. Il est aussi de leur devoir de mettre en avant les enjeux qui

apparaissent lors de ces crises comme le principe de précaution et d’informer la population sur

les conduites à tenir.

9 Médias, médicaments et espace public, Christine Thoër, PUQ, 2009 10 La “bactérie tueuse”, laboratoire du journalisme de communication (http://culturevisuelle.org/icones/1781), consulté le 09 novembre 2011 11 Interview du Professeur Gérard de Pouvourville, Directeur de la chaire Essec Santé 12 Conférence « Le discours scientifique dans sa dimension politique » du Dr Olivier Mariott, le 24 octobre 2011

Page 11: Rapport industrie pharmaceutique

11

Deuxièmement, le médicament est un objet technique faisant l’objet de controverses

scientifiques mais une ressource à gérer par les systèmes de santé publique qui communiquent

principalement dans les médias. Ceux-ci deviennent alors le théâtre des affrontements entre les

différents acteurs de la chaine du médicament. Lors de ces crises, les médias sont utilisés comme

espace de confrontation et souvent pris { parti, ce qui peut conduire { une perte d’objectivité.

Ainsi, parfois, les médias outrepassent leur rôle informationnel objectif et on assiste à

une dérive du traitement de ces crises par les médias. Plusieurs dérives peuvent être observées :

Mauvais traitement des informations et informations partielles

Prise de parti conduisant à favoriser le message de certaines de parties prenantes

Reprise de fausses informations et manque de vérification des sources

Une fois les informations publiées, on observe parfois alors un emballement médiatique.

Tous les médias reprennent l’information puis l’écho médiatique est amplifié par les

commentaires des lecteurs sur les sites internet et les blogs. Cette effervescence médiatique est

incontrôlable et une fois lancée, il est impossible de faire marche arrière. La place de plus en

plus importante d’internet génère la prolifération de commentaires des internautes.

Ceux-ci se placent souvent en tant qu’expert, relayant des rumeurs et des informations peu

vérifiables et peu fiables, mais sont autant écoutés que les vrais experts. On peut alors tomber

dans l’irrationnel ou dans l’application du principe de précaution { l‘extrême sur la base

d’informations fausses ou partielles.

Une fois le processus enclenché, on assiste alors à la création de crises survendues par

les médias, ce qui est facilité par l’expansion ultra-rapide de l’information. Dans ce contexte, le

fait scientifique et la parole des chercheurs arrivent généralement trop tard. Une fois les

informations sorties dans la presse, qu’elles soient justes ou fausses, le principe de précaution

prend le pas sur la parole scientifique qui n’a plus alors que peu de valeur.

On observe donc deux types de comportement des médias comme l’analyse le Professeur

Gérard de Pouvourville, directeur de la chaire Essec Santé:

« Les journaux qui ont des journalistes spécialisés dans ce genre de questions, qui vont

essayer de creuser pour comprendre, de discuter avec des experts et d’essayer de rendre

compte le plus objectivement possible de la nature du débat »

« Les medias qui vont tout de suite rentrer, non pas dans la nature scientifique du

débat, mais qui vont monter le cas et l’histoire. Le fait scientifique et le débat

scientifique vont être noyés. On assiste à une recherche systématique des coupables,

donc on va construire une histoire, les media aime ça mais c’est le publique qui

demande ça en fait. »

Causes possibles des dérives du traitement des crises par les médias 13, 14, 15

En essayant d’analyser les causes de ces dérives, on peut distinguer plusieurs facteurs

conduisant les médias à un mauvais traitement des crises pharmaceutiques.

13 Interview du Docteur Aurengo, Responsable du service de médecine nucléaire à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière 14 Interview d’un médecin spécialiste, rhumatologue 15 La sociologie et l’actualité médiatique : Contribution à une sociologie des transformations du champ journalistique dans les années 80 et 90. A propos “ d’événements sida ” et du “ scandale du sang contaminé ”, Dominique MARCHETTI (Docteur en Sociologie, CSEC-Université de Paris II-IFP)

Page 12: Rapport industrie pharmaceutique

12

On observe d’abord de fortes inégalités dans l’accès { l’information suivant les médias.

Ainsi les grands journaux, qui emploient des journalistes spécialisés, rapportent les informations

de façon beaucoup plus rigoureuse car ils ont beaucoup plus de contacts et ont une formation

médicale leur permettant de croiser les informations. Cependant, dans les petites rédactions, le

manque de formation des pigistes, leur manque de relais et de carnet d’adresse pour pouvoir

vérifier les informations, conduit à la reprise des informations brutes sans vérification dans la

mesure de leurs possibilités. Il s’agit donc avant tout d’un problème de conditions de travail

et d’accès { l’information. On peut donc en déduire un manque d’informations

scientifiques rigoureuses disponibles pour les médias.

Dans un deuxième temps apparait le problème de la validité des informations

disponibles. De nombreuses études mal menées sont présentées aux médias comme des

informations scientifiques solides qui les reprennent en toute bonne fois. Seulement, lorsque la

réaction de la communauté scientifique intervient pour remettre en question ces études, il est

déjà trop tard et le principe de précaution conduit à la prise en compte de ces études dans le

développement de lois et de normes.

On arrive alors au problème de la légitimité de la prise de parole. Les propos de tout un

chacun sont parfois repris par les médias sans que soit vérifiée la légitimé de la présence de la

personne sur la scène médiatique. On laisse alors la porte ouverte à toutes les allégations. Les

différents acteurs de la crise ont ainsi un rôle très important dans l’évolution de la crise. Pour

des raisons d’urgence, ils reprennent parfois des informations non-homologuées par les

institutions consacrées de la science. Enfin, tous les acteurs n’ont pas forcément le même accès

aux médias ce qui conduit { un déséquilibre de l’information.

Enfin, il y a aussi un problème d’offre et de demande. La forte attente des lecteurs pour

des nouvelles médicales conduisent certains médias à utiliser des faits parfois injustifiés pour

vendre plus. De plus en plus, les médias sont soumis à des logiques commerciales et de profits.

La course au scoop et le bouleversement du traitement de l’information conduit {

l’apparition de dérives difficilement contrôlables.

Réponses possibles au problème (experts)

Selon les experts interrogés, il y a peu de solutions à cette dérive. Ce sont les effets

nécessaires de la liberté de la presse. Il n’y a pas de possibilité de contrôler les informations

publiées dans les journaux. Ce serait assimilable à de la censure et la censure ne doit jamais être

appliquée. Se pose, de plus, le problème de la temporalité d’internet. Aujourd’hui, comme

l’explique le Professeur de Pourvourville, « la masse d’informations n’y est pas contrôlable, et le

patient, de manière générale avide de sources d’informations, va de plus en plus sur les forums, se

renseigner par lui-même…. Or l’information sur Internet n’est jamais très fiable, car peu vérifiable,

et les rumeurs et informations erronées vont très, très vite… ». Cependant, quelques pistes sont

proposées :

Meilleure mise { disposition de l’information et création d’outils d’informations

homologuées par la communauté scientifique. Le Dr Aurengo donne l’exemple du site

CanalAcademy qu’il construit actuellement avec d’autres experts et qui propose des

interviews d’académiciens. « Lors de crise, il proposera des analyses scientifiques par

des gens incontestables et qui seront consultables par les journalistes. »

Page 13: Rapport industrie pharmaceutique

13

Mise en place d’un organe interne { la presse, qui aurait pour rôle de créer une

chartre de bonne conduite et de contrôler les dérives.

Meilleure gestion des informations en aval afin que seules des informations validés et

homologuées soit disponibles pour les médias.

Obtenir une communication plus transparente, plus rapide et mieux maitrisée de la

part des entreprises pharmaceutiques.

Ainsi, la balle est peut-être plus dans le camp des entreprises pharmaceutiques qui

doivent travailler leurs communications et la mise { dispositions d’informations valables pour

les médias.

III- Industries pharmaceutiques et gestion de crise

Les Industries pharmaceutiques ont un modèle basé sur du B to B, c'est-à-dire qu’elles

n’ont pas de liens directs avec le patient, ni avec le médecin qui prescrit le médicament.

Néanmoins, sa communication est nécessaire pour attirer la confiance des investisseurs.

En communication, trois réponses peuvent-être envisagées lorsqu’une cellule de crise est

ouverte :

- Ne rien dire (et prendre le risque de manquer de transparence)

- Communiquer en démentant et rejeter la faute sur une autre organisation/personne

- Communiquer en endossant les tords

Dans le cas des crises que nous avons abordées ci-dessus, les enjeux et les publics vont orienter

la communication d’un groupe vers une de ces 3 réponses.

L’importance de la communication

Face à des possibles crises informationnelles, les laboratoires prévoient généralement

des scénarios de crises leur permettant de réagir. Le directeur des affaires institutionnelles du

laboratoire Roche propose un scénario de réaction en prenant comme exemple l’affaire du

Rohypnol.16 Suite { la publication d’une pétition présentant le médicament comme un problème

de santé publique, le laboratoire est amené à réagir et Olivier Hurstel explicite la réaction du

laboratoire. En s’appuyant sur ce document, il est possible de dégager plusieurs clés du

comportement du laboratoire.

Dans un premier temps, il est important de réagir en établissant un plan d’actions concrètes

pour traiter le problème posé. Par la mise en place d’actions telles que l’information des

médecins, la surveillance des unités de production ou des études scientifiques, le

laboratoire réagit et prouve ainsi son engagement et son intérêt pour la santé du patient.

16 La gestion de crise dans un laboratoire pharmaceutique, Olivier Hurstel, Directeur des Affaires Institutionnelles, Roche, Septembre 2007

Page 14: Rapport industrie pharmaceutique

14

Dans un deuxième temps, le laboratoire doit absolument prendre sa place sur la scène

médiatique. Le laboratoire doit montrer son intérêt pour le problème et communiquer sur

plusieurs points :

La réalité scientifique du problème posé : le laboratoire doit être en mesure de

répondre aux accusations par des données scientifiques précises.

L’historique du médicament : le laboratoire doit pouvoir prouver qu’il suit son

médicament et effectue de la pharmacovigilance.

Les actions qu’il met en place pour répondre au problème posé

Suite { la médiatisation de l’affaire, le laboratoire doit alors prouver la mise en place des actions

et être toujours présent sur le plan médiatique, assurant la transmission de son message.

La communication est donc essentielle pour le laboratoire. Une absence de communication

évoque généralement dans l’esprit du public soit un désintérêt du laboratoire soit une

reconnaissance des faits soit un manque de transparence. L’entreprise a un devoir de

préparation de ce type de crise et doit être prête à réagir afin de défendre son image et ses

intérêts. Elle a également un devoir d’information et d’honnêteté puisque la santé du public est

en jeu.17 Cependant, sa communication doit être assurée et maîtrisée, car une mauvaise

communication peut conduire à des résultats désastreux comme le montre l’exemple de l’affaire

Servier.

Crise du Médiator et communication à double sens

Lorsque l’affaire du Médiator a éclaté, la communication du laboratoire Servier a tout

d’abord été de garder le silence18. Ce n’est que le 16 novembre 2010, après les chiffres diffusés

par l’AFSSaPS annonçant entre 500 et 3 500 hospitalisations que le groupe publiera un

communiqué démentant ces résultats. Un deuxième communiqué diffusé dans la foulée dira

« comprendre l’inquiétude des patients et des médecins ».

Cette communication à double-sens a favorisé un climat d’incompréhension et jeté le discrédit

sur un groupe pharmaceutique incapable d’assumer ses responsabilités.

L’interview du fondateur du groupe accordée au journal Le Monde le 20 novembre dernier

renforcera ce sentiment d’incompréhension ; le Président qualifiant l’affaire de « bruit

médiatique disproportionné » ou de « complot ».

Un porte-parole du laboratoire ira même jusqu’{ minimiser les chiffres « rapporté au nombre de

patients ayant pris le Mediator, le risque est de 0,005% ».

La communication du laboratoire Servier s’est traduite par une succession de maladresses et a

contribué { attiser les foudres des médias et de l’opinion publique.

Malgré des éléments de réflexion, il n’existe pas de formule idéale pour communiquer en cas de

crise, comme l’indique Frédéric Fougerat, vice-président communication du groupe Ethypharm.

Chaque crise et son contexte, engendré particulièrement par les parties prenantes, est

spécifique.

17 La communication de l’industrie pharmaceutique, plus scientifique et collaborative, Interview Frédéric FOUGERAT, Vice-Président Communications Groupe ETHYPHARM, (http://lemag.inouit.fr/billets/avril-2011/la-communication-de-lindustrie-pharmaceutique-plus-scientifique-et-collaborative.html), réalisé en avril 2012 18 http://gestiondecrise.com/spip.php?article78

Page 15: Rapport industrie pharmaceutique

15

IV- Les parties prenantes

Pour comprendre l’ampleur des crises pharmaceutiques et leurs répercussions à la fois

dans le domaine privé et public, nous allons tâcher de définir quelles sont les parties prenantes

et leur rôle dans la gestion de ses crises informationnelles.

Nous pouvons décomposer les parties prenantes en deux catégories :

Les organes publics, responsables de la santé publique (Secrétariat chargée de la

Santé…), les associations de patients, les syndicats…etc.

Les organes privés (AFSSaPS19, HAS20, Haut Conseil de la santé publique (HCSP), …etc),

les clients, les professionnels de santé (médecins, pharmaciens…etc).

Les parties prenantes dans le secteur de l’industrie pharmaceutique21

19 AFSSaPS : Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé 20 HAS : Haute Autorité de Santé 21 http://www.gimra.info/userimages/rse.pdf

Page 16: Rapport industrie pharmaceutique

16

L’Etat garant de la santé publique

En France, un organe s’occupe de la mise en place et du contrôle de la politique de santé nationale. Il s’agit du secrétariat d'État à la Santé22 rattachée au Ministère du Travail, de l’Emploi et de la santé créé 2010. Il exerce un rôle de prévention, de formation des professionnels de santé mais aussi mène la politique de santé publique.

En matière de crise ou de risque de pandémie, une cellule de crise est ouverte sous la houlette du premier ministre et se décompose d’actions { la fois au niveau national, régional puis départemental :

Organisation de la gestion de

crise de Santé23

22 http://www.sante.gouv.fr/la-secretaire-d-etat-chargee-de-la-sante.html 23 http://www.tarn.gouv.fr/Fiche-A-6-Organisation-de-la

Cellule d’aide à la décision composée :

Du haut fonctionnaire de défense du ministère de la

santé

Un représentant des principales agences

sanitaires : InVS, AFSSAPS, AFSSA,

Établissement français du sang

Des représentants des centres nationaux de

référence (CNR), du Conseil supérieur d’hygiène

publique de France, du Comité technique des

vaccinations, d’un hôpital de référence….

Page 17: Rapport industrie pharmaceutique

17

Lorsqu’interviennent des crises liées au secteur pharmaceutique, l’Etat agit en tant que « gestionnaire de la crise » pour réguler les informations tombées dans le domaine public et réformer. Néanmoins, les mécanismes déclenchés par l’Etat sont propres { chaque crise. Il faut, de plus, tenir compte du principe de précaution inscrit dans la Constitution. Un médecin interviewé nous explique : « Je trouve que de manière générale, depuis qu’on a inscrit le principe de précaution dans la Constitution, on est confronté à des problèmes de ce genre. Tout le reste n’est que la résultante de ca. Parce que certaines crises plus anciennes ont été très mal gérées, par exemple l’affaire du sang contaminé, on a maintenant une volonté d’ultra sécuriser la crise avant même qu’elle n’arrive... ». En sus, le secteur pharmaceutique connaît un système de lobbying assez important, qui a un réel impact, comme nous le dit le médecin : « De manière générale toutes les grandes entreprises ont des capacités d’influence sur le processus législatif par le biais du lobbying, au niveau français comme européen, et cela paraît être aussi le cas de l’industrie pharmaceutique… avec des enjeux financiers parfois de taille. Mais ce n’est pas forcément négatif, cela peut aussi apporter une idée concrète du métier…. »

En connaissance de ces quelques éléments, nous tenterons { travers l’observation de 3 crises (l’affaire du Médiator, la crise H1N1, la crise du sang contaminé) de décrypter le rôle et les moyens déployés par l’Etat.

L’affaire du Médiator

Le Mediator a été commercialisé en 1976. Dès 1998, des alertes émanant des médecins et de rapports sont envoyés conjointement { l’AFSSaPS et à la HAS (Haute Autorité de Santé dont les membres sont nommés par décret du Président de la République) pour alerter sur les effets néfastes de ce médicament prescrit en dehors de l’AMM comme coupe-faim. Un rapport de 1998 des médecins de l’assurance-maladie de Bourgogne24 destiné à l’ AFSSaPS s’interrogeait déj{ sur l’efficacité de ce médicament. Seule une note de l’AFSSaPS avertissant les médecins de ne pas prescrire le Mediator en dehors des AMM circulera. Entre temps, le Médiator est retiré progressivement des marchés espagnol (2003) et italien (2004)25.

Ce n’est qu’en 2008, après les alertes d’Irène Frachon et le scandale médiatique que l’on sait que le Mediator est interdit { la commercialisation et que des démarches sont entreprises par l’Etat conjointement avec l’AFSSaPS pour gérer la crise et ordonner le débat public.

Les mesures prises :

Dans un premier temps le Ministre de la Santé, Xavier Bertrand, en cœur avec l’AFSSaPS a encouragé les personnes se trouvant sous traitement médicamenteux du Mediator depuis plus de 3 mois de consulter un médecin. Suite à cela, une inspection générale des affaires sociales (IGAS)26, sous l’égide du gouvernement, est ouverte pour identifier les causes et les choix portant sur ce médicament afin de comprendre et d’identifier les failles du systèmes Un volet social est également ouvert pour que la sécurité sociale prenne en charge les victimes du Médiator.

Suite au scandale de l’affaire médiator, l’Etat a engagé une réforme visant { renforcer la confiance des investisseurs et de l’opinion publique dans la chaîne du médicament. L’AFSSaPS est rebaptisée en ANSM (agence nationale pour la sécurité du médicament). Même si les

24 http://www.liberation.fr/societe/01012310194-un-rapport-de-1998-alertait-deja-sur-le-mediator http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/12/27/mediator-des-1998-un-rapport-denoncait-le-cout-et-l-efficacite_1457951_3224.html 25 http://www.patricklamarque.biz/article-crise-du-mediator-comment-on-passe-de-l-affaire-au-scandale-65026827.html 26 Rapport IGAS sur le Mediator, http://www.patricklamarque.biz/article-crise-du-mediator-comment-on-passe-de-l-affaire-au-scandale-65026827.html

Page 18: Rapport industrie pharmaceutique

18

attributions de la nouvelle entité ne changent pas par rapport à son prédécesseur, son financement, lui, est remanié par l’Etat et sera entièrement soutenu par des dotations gouvernementales pour assurer l’indépendance des organismes vis-à-vis des industries pharmaceutiques. Toutefois, certaines ambigüités sont à souligner dans la gestion de la crise du Médiator par l’Etat ainsi que nous l’explique l’un des médecins interrogés. A notre interrogation sur le fait que l’Etat soit ou non toujours impartial, il nous a répondu : « Il devrait l’être mais il ne l’est pas. Concernant le Mediator, il ya eu de nombreuses ambigüités. On a cru { un moment que l’Etat allait aller dans le sens de Servier, notamment pour sauver 16 000 emplois… Puis quand les politiques se sont rendu compte que le vécu populaire de la crise sanitaire n’allait pas dans le sens de la préservation de Servier, ils ont modifié leur positionnement. Par exemple, on peut s’étonner de la position sévère de Xavier Bertrand alors qu’en tant que ministre de tutelle, il est censé être responsable de la sûreté de la santé publique. Le Ministère de la Santé exerce une tutelle sur la HAS et l’AFSSaPS, organismes officiels en charge des contrôles… »

La crise H1N1

Le caractère pandémique de la crise H1N1 aura déclenché des mécanismes plus étendus que la crise du Mediator mobilisant l’ensemble des ministères comme les ministères des transports ou de l’Education (fermeture d’écoles, distribution de masques dans les transports…etc…)27.

Activation de la crise H1N1

La gestion de la crise a été activée, en premier lieu, { l’échelle mondiale par la mise en application du « guide de la préparation à une pandémie grippale » de l'OMS avant d’être déclinée { l’échelle nationale avec le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Le pilotage de la crise a été confié au Ministère de l’intérieur et a suivi le schéma explicité dans la page précédente « gestion d’une crise de santé ».

La communication gouvernementale pendant la crise « a été exclusivement confiée au ministère de la santé qui a mis l'accent sur l'information de la population, pour sensibiliser les catégories à risques (femmes enceintes, nourrissons, personnes fragiles, professionnels de santé) tout en indiquant que des personnes sans facteurs de risque pouvaient aussi développer une forme grave de la grippe28. »

Une campagne télévisée et radio a été lancée pendant 1 mois (du 25 août au 25 septembre) pour rappeler les bons gestes sanitaires à adopter pour éviter la propagation du virus et les risques de transmission (lavage des mains, ports du masques…etc).

Une vaste campagne de vaccination a également été entreprise à partir du 12 novembre. Celle-ci a été déclinée en milieux scolaires et professionnels.

27 http://www.liberation.fr/societe/0101584996-h1n1-l-etat-tente-d-eviter-que-la-machine-se-grippe. 28 Rapport d'information n° 270 (2010-2011) de M. Alain MILON fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 1er février 2011, http://www.senat.fr/rap/r10-270/r10-2701.pdf

Page 19: Rapport industrie pharmaceutique

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Organisation de la campagne de vaccination 10 :

L’Etat a donné { charge aux préfets de trouver les lieux pour les vaccinations ainsi que de recruter le personnel pour vacciner.

la Cnam s’est chargée d’envoyer 65 millions de bons de vaccination. Ces coupons ont été envoyés tout d’abord aux personnes prioritaires. Seulement 6 millions de coupons ont été renvoyés pour un coût total estimé { 54 millions d’euros.

Au final, seulement 6 millions de personnes ont été vaccinées et seulement 1/10 de la population s’est déplacée dans les centres (contre une prévision de 75% ). Le peu de fréquentation des centres a permis d’accueillir des personnes considérées non prioritaires (personnes âgées).

Selon le Rapport d'information n° 270 (2010-2011) de M. Alain MILON, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 1er février 2011 sur la gestion de la crise H1N1 : la communication vers la base (les médecins libéraux) a été jugée « satisfaisante ».

Propos de Jean-yves Guyénot, Secrétaire régional de l’ordre des médecins de Bourgogne

« L’ AFSSaPS nous a envoyé des documents qui allaient tous dans le même sens : attention panique,

panique il faut se faire vacciner. Le préfet, lui, cherchait des médecins pour vacciner. L’ordre des

médecins n’a pas été consulté, on a reçu les mêmes fax qui avaient été envoyés en parallèle aux

cabinets des médecins généralistes ».

« Ca s’est passé totalement { l’envers de ce qui aurait dû être entrepris. L’Etat a commandé

94 000 000 de doses de vaccins pour une population de 64 000 000. On a créé des locaux pour les

centres de vaccination, ça a coûté très cher { la municipalité parce que c’était en hiver et qu’il

fallait chauffer. Quand on a trouvé les locaux on a recherché des médecins et on leur proposé la

moitié du tarif horaire. On a fait un grand tapage dans un premier temps. La première vague a été

alarmiste et progouvernemental. Le mot d’ordre était : il faut se vacciner. La deuxième vague

émanait de scientifiques qui ont réagi, et qui on dit que c’était pas inévitable, qu’il n’y avait peut

être pas de garantie totale à se faire vacciner et que ça servait à rien de paniquer les gens pour ça.

La troisième vague a été de donner les vaccins aux médecins généralistes pour qu’ils puissent

vacciner dans leurs locaux. Alors pour être sûre que les médecins soient de bons gestionnaires de

santé on leur a confié des boîtes de 10 vaccins. Et comme on n’avait pas 10 patients { vacciner dans

la journée, la boîte entamée était automatiquement jetée : c’était du gâchis ».

L’affaire du sang contaminé

Parcours d’une Directive du Ministère de la Santé aux centres de transfusion sanguine

Directive du Ministère de la santé Etablissements français du sang Etablissements de santé (échelon régional) signature de la directive par le personnel

Page 20: Rapport industrie pharmaceutique

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Propos du Dr. Catherine Guyénot, médecin à la transfusion sanguine depuis 1996 sur l’affaire du sang contaminé

« La crise a été entièrement gérée et canalisée par l’Etat ». Suite à cette affaire, les mesures prises

par le gouvernement ont été « draconiennes ».

« Les lieux de collecte ont été supprimés notamment dans les prisons, on a interdit à des catégories

de population de se faire prélever comme les homosexuels hommes, les personnes ayant déjà subi

une transfusion ou s’étant déj{ dogué par voix injectable ». Tout s’est déroulé par la voix du

Ministère de la santé qui a donné ses directives { l’établissement français du sang. Celui-ci s’est

chargé de les décliner { l’échelon régional pour être enfin signées par le personnel concerné.

Ensuite des inspecteurs de l’AFSSaPS se déplacent sur le terrain pour vérifier que les mesures

sont bien appliquées.

Suite { l’affaire du sang contaminé, l’Etat a opéré un remaniement du système sanitaire. Le

Ministère en charge de l’évaluation, du contrôle et de la décision déléguera une partie de ses

compétences { un nouvel organe indépendant appelé l’agence du médicament (créée en 1993 et

qui, renommée en 1998, deviendra l’ AFSSaPS)29. Une loi d’indemnisation est également adoptée

en 1991.

Le paradoxe étatique

Entre industries pharmaceutiques et opinion publique, l’Etat a deux responsabilités : l’une de veiller { la prévention et la gestion des risques de santé dans le domaine public, l’autre d’assurer la prospérité économique de ses industries.

Le poids économique des industries pharmaceutiques

Avec un chiffre d’affaires estimé { 40 milliards30 d’euros en 2008 (dont Servier représente 1/3), le secteur de l’industrie pharmaceutique français est un secteur de poids pour l’économie française. En effet, en 2005 l’industrie du médicament représentait 1.8% du PIB français. Et concentre aujourd’hui 5 acteurs nationaux : Sanofi-Aventis, Servier, Ipsen, Pierre Fabre et le LFB. Ces derniers concentrent 45% des emplois du secteur, 60% des investissements en R&D et plus de la moitié des effectifs de recherche de l’industrie.

La France est le premier producteur européen et exportateur depuis 1995 (3ème mondial après les Etats Unis et le Japon). En termes de production elle concentre 35 000 emplois directs. L’industrie pharmaceutique représente donc des enjeux économiques et financiers importants qui dépassent le cadre purement social dans lequel l’Etat est économiquement imbriqué. D’autant plus que la perte progressive des brevets et la part croissante des pays émergents notamment la Chine et le Brésil qui se sont positionnés sur les génériques et les biotechnologies31 rendent le marché mondial de l’industrie pharmaceutique particulièrement lucratif.

29 http://www.sante.gouv.fr/remise-du-rapport-de-l-igas-conference-de-presse-sur-le-mediator-intervention-de-xavier-bertrand.html 30 http://www.leem.org/les-chiffres-cles-de-lindustrie-pharmaceutique-en-france 31http://www.novethic.fr/novethic/entreprise/impact_local/sante/industrie_pharmaceutique_pays_emergents_attirent_convoitises/130409.jsp

Page 21: Rapport industrie pharmaceutique

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L’Etat et les industries pharmaceutiques : des regards croisés

L’Etat doit veiller { la bonne conduite et assurer le contrôle des organismes qui délivrent les autorisations sur le marché, qui conduisent les rapports et autorisent les essais cliniques.

Pour assurer la pérennité du système, ces deux blocs doivent être indépendant l’un de l’autre. Tout comme doit l’être l’industrie pharmaceutique de l’AFSSaPS ou d’une autre organisation de santé. Nous allons voir que ce n’est pas toujours le cas. Lorsque l’industrie pharmaceutique finance des parties politiques, des organisations mondiales (OMS, Unicef), il est important de se poser la question de l’indépendance de ces organismes vis-à-vis d’une politique de santé publique saine et cohérente. Prenons par exemple le cas de la grippe H1N1. Six des experts composant le comité de lutte contre la grippe (créé par Roselyne Bachelot) ont été financés par des industries pharmaceutiques. Roselyne Bachelot a également travaillé pour des laboratoires pharmaceutiques.

L’ AFSSaPS

« L’AFSSaPS a été créée par la loi du 1er juillet 1998 instituant un dispositif de veille et de sécurité

sanitaire. Elle a pour mission essentielle d’évaluer les bénéfices et les risques liés { l’utilisation des

produits de santé ». L’AFSSaPS est composée de 1 000 salariés et de 2000 experts réguliers ou

occasionnels.

Domaine d’intervention de l’AFSSaPS

Du développement en laboratoire à la mise sur le marché, un médicament peut

nécessiter 10 { 15 de recherche. L’AFSSaPS est un acteur clé puisque c’est elle qui autorise les

essais cliniques. Une fois les tests passés, les industries pharmaceutiques doivent demander une

autorisation de mise sur le marché (AMM) afin de commercialiser un médicament. Les AMM sont

délivrées soit { l’échelon européen par l’EMEA (l’agence européenne d’évaluation des

médicaments ou { l’échelle nationale) soit par l’AFSSaPS sur le plan national.

L’AFSSaPS est donc une plaque tournante dans la mise sur le marché d’un médicament

sur le territoire français. La HAS (haute autorité de santé) intervient après l’AFSSaPS et formule

des avis sur la prise en charge ou non du médicament par la sécurité sociale. Vient ensuite l’Etat

qui tranche. Après l’AMM et une fois que le médicament est commercialisé il reste sous

surveillance. Si un problème survient, le médicament peut faire l’objet d’un retrait sur le marché.

L’AFSSaPS et la gestion des crises

L’organisation interne de l’AFSSaPS a été mis à rude épreuve suite au scandale du Médiator tant

sur :

Son financement (provenant 80% des taxes, droits et redevances versées par les

groupes pharmaceutiques)

Sa composition. En 2010, 99% des experts de l’AFSSaPS ont déclaré des liens avec

l’industrie pharmaceutique

Son fonctionnement (le département de pharmacovigilance se trouvait être au sein de la

du département qui délivrait les AMM).

Page 22: Rapport industrie pharmaceutique

22

L’affaire récente du médiator a été un véritable révélateur de certains

dysfonctionnements de cet organisme. Dans un contexte de scandale majeur, avec un grand

public déjà très choqué par la situation, abreuvé d’informations contradictoires et troublantes au

travers des médias ; certaines révélations sont venues jeter encore plus le trouble. Par exemple,

on a soudainement entendu parler d’experts de l’AFSSaPS qui seraient les mêmes que ceux qui

interviennent au sein des laboratoires pharmaceutiques, relançant immédiatement le débat sur

les conflits d’intérêts.

Un deuxième point qui a été soulevé concerne les problèmes apparents d’articulation des

responsabilités entre l’AFSSaPS, et une autre instance majeure, la Haute Autorité de Santé. Il

semble en effet que ceci a eu un impact réel dans l’affaire du médiator, mais de manière plus

générale aussi. En effet, il semblerait que le partage des responsabilités et des rôles dans le suivi

des effets indésirables des médicaments et autres produits de santé, et donc à fortiori dans la

gestion des crises de ce type ne soit pas parfaitement défini, loin de l{… Il est compréhensible

que les patients soient déstabilisés en apprenant ce type d’informations, qui remettent en doute

la sûreté et l’efficacité de leur système de santé, entraînant jusqu’{ des psychoses difficiles elles-

aussi { gérer. Il s’agit donc d’un réel cercle vicieux.

Enfin, au sortir de cette expérience, des décisions semblaient avoir été prises, mais ont rapidement été dénoncées par les médias comme étant plus des gesticulations (politiques) qu’autre chose. On se souvient notamment des réactions soulevées par les « replacements » de personnes ayant été impliquées de près ou de loin dans le scandale du médiator. Ainsi l’un des médecins interviewé nous explique qu’ « il est tout de même étrange que nombre d’anciens employés de Servier qui étaient en poste { la HAS ou { l’AFSSaPS aient été plus que bien replacés… Notons encore cette polémique à propos de cette femme en charge de la pharmacovigilance { l’AFSSaPS, à qui on avait promis un poste important dans la prévention des risques médicamenteux au sein d’une Agence Régionale de Santé... Cet état de fait a fort justement été dénoncé par les médias. »

Il semblerait donc que les organismes tels que l’AFSSaPS, mais aussi la HAS aient encore fort à

faire en terme de répartition des responsabilités, gestion des risques, communication sur les

risques, et gestion des crises de manière plus efficiente, rapide, transparente.

Les professionnels de santé et les patients

Finalement, dans un système de santé Français assez complexe, quelle est la place des

professionnels de santé (notamment des médecins), et celle des patients ?

Les médecins sont prescripteurs des produits développés par les différents laboratoires

et industriels de santé. En ce sens, ils sont étroitement concernés par l’usage au quotidien de ces

produits. De plus, ce sont les interlocuteurs directs des industriels, qui n’entrent pas en contact

avec les patients directement, mais s’adressent par de nombreuses voies aux médecins. Les

médecins sont donc aussi un levier de transmission de l’information aux patients, pour les

entreprises. Celles-ci se doivent donc de communiquer étroitement avec les prescripteurs, et ce

aussi en situation de crise. Comment les patients ressentent-ils les messages dispensés par les

laboratoires, au travers de la parole de leur médecin, ou de manière plus directe, via la presse

notamment. L’un des médecins que nous avons interviewé nous a apporté quelques éléments de

réponse { ce sujet. Prenons l’exemple de la crise du médiator, comment a-t-elle été ressentie par

les médecins ? Comment les Laboratoires Servier a t–il communiqué auprès de ces derniers ?

Page 23: Rapport industrie pharmaceutique

23

« Ne prescrivant pas de Mediator, je n’ai pas vraiment ressenti le fait que les Laboratoires Servier aient rejeté la faute sur les médecins. A mon avis, ils ont surtout essayé de minimiser les choses, et de communiquer sur l’influence néfaste des médias et des différents intervenants dans les médias. Mais il est certain qu’{ l’endroit des patients, leur communication a été catastrophique, mais peut-être n’ont-ils pas trouvé de levier de communication… En tout cas, ils sont en permanence restés sur la défensive. Leurs lignes de défense n’étaient pas tenables sur le long terme. Ils ont successivement nié le problème, puis l’ont minimisé, puis circonscrit { certains cas. Enfin, ils ont cherché { montrer { tout prix des cas de comorbidités… Ils avaient en fait toujours un cran de retard dans leur discours, et finalement oui, ils ont commencé à parler des prescripteurs, ce qui était catastrophique dans une vision au long terme des choses. »

Mais de manière générale, ce médecin a une opinion plutôt positive de la communication effectués par les laboratoires, puisqu’il explique que selon lui, « lorsque les données scientifiques s’imposent { tous, les laboratoires réagissent de manière très professionnelle », { savoir qu’ils agissent sans dissimulation aucune auprès des médecins. Selon lui les laboratoires auraient une communication assez transparente. Mais il explique aussi que les situations peuvent basculer, quand la crise prend une telle ampleur, et qu’on est obligés de s’adresser { des populations entières, et plus seulement à des professionnels de santé. Alors disparaît le schéma habituel de transmission de l’information de manière descendante : depuis les laboratoires, en direction des médecins, qui eux-mêmes retranscrivent aux patients dans leur pratique quotidienne… C’est donc bien ici que réside la complexité des choses. Tant que les industriels utilisent un discours scientifique, adressé à des scientifiques, le message semble se transmettre sans trop de problèmes de manière générale. Mais dans le cas de certaines crises, les médias s’emparent des affaires, et communiquent directement auprès du grand public. La transmission des informations se fait alors au travers de la presse généralisée. Et c’est alors que les messages peuvent se brouiller, et que les choses se compliquent parfois. L’expert que nous avons interrogé sur ce sujet a rapidement mis en exergue les effets pervers d’une mauvaise gestion de crise. Selon lui, la colonne verticale de cet effet négatif est le problème de temporalité de la réponse aux interrogations. Il nous explique que « ce qui est certain, c’est que le temps scientifique ne va pas avec le temps médiatique, et c’est pareil pour le discours scientifique, qui n’est pas adapté { la communication médiatique grand public ». Manifestement, cet état de fait se traduit quotidiennement dans la pratique de la médecine. Il semble en effet difficile d’expliquer les choses d’un point de vue purement scientifique aux patients. Le problème est que ceux-ci ont souvent beaucoup de mal à se détacher de la valorisation extrême qu’ils ont de la parole médiatique, et de leurs propres expériences. Aujourd’hui les patients recherchent de plus en plus de l’information par leurs propres moyens, au travers des forums internet par exemple. Interrogé sur cet aspect dans le cadre de l’épidémie H1N1, le Dr. Guyénot nous répond : « La clientèle ne m’a pas demandé d’avis. Elle s’était forgée son propre avis avant de venir me voir, sur la base de ce qui se disait dans les médias et internet ». Aussi, comment est-il possible de gérer cette communication auprès des patients et de maîtriser l’opinion publique ? Quels canaux de communication se doivent d’être utilisés, et de quelle manière ? Le médecin interviewé estime que le plus efficace serait de délivrer un discours général, avec de grandes données explicatives, sans qu’elles ne soient trop scientifiques. Il semble en effet qu’un discours trop complexe, et d’un niveau scientifique quelque peu élevé, ne serait pas réellement audible par les patients, et ne permettrait pas de les sensibiliser efficacement. Cependant, cette communication ne peut se faire que par des médias généralistes, l’Etat, ou alors des médecins totalement insoupçonnables de conflits d’intérêts.

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Il va sans dire que si cette communication était faite directement par les laboratoires, cela serait un échec, puisqu’aujourd’hui leur image est assez mise { mal, et le grand public n’a que peu confiance en ce type de discours. Enfin, divers autres protagonistes interviennent quotidiennement dans la prise en charge sanitaire des populations. Il convient donc d’en décrire les rôles, même brièvement. Ce groupe d’acteurs comprends notamment les pharmaciens, les associations de patients, les infirmiers, les aides { domicile… Ils jouent un rôle déterminant dans le système de santé, et notamment en cas de crise, puisqu’en plus d’être partie intégrante de ce système, ce sont eux qui détiennent le pouvoir d’être en contact très rapproché avec les patients. Force est de constater que les laboratoires pharmaceutiques communiquent de plus en plus étroitement avec ces professionnels, principalement les pharmaciens (au travers de formations, visites, brochures…). La preuve en est que le nombre de visiteurs non pas médicaux mais pharmaceutiques qui sillonnent la France augmente sensiblement chaque année. Stratégiquement parlant, c’est très intelligent puisqu’il est de notoriété publique qu’un patient a plus de facilité à exprimer ses doutes et questionnements à son pharmacien, dont il se sent plus proche, qu’{ son médecin. Peut-être donc que le pharmacien en France aurait finalement encore un peu de ce rôle de conseil, dont il défend avec orgueil et vivacité la réalité et l’utilité ? Bien entendu, dans un contexte de remise en question globale de la visite médicale en France, on est en droit de se demander ce qu’il adviendra de la visite pharmaceutique. Mais pour l’instant en tout cas, elle semble s’être ancrée dans les habitudes commerciales des industriels de santé. Ce qui est, il faut bien le dire, très bien accueilli par la profession, qui se sent ainsi réellement valorisée et considérée comme un maillon majeur de la chaîne de prise en charge du patient. Cela permet en outre un renforcement de leur formation continue, ce qui est indéniablement quelque chose de très positif. Les associations de patients, quand à elles, jouent réellement un rôle de proximité, en informant les patients d’une part, mais aussi en les défendant, notamment lors de ces crises sanitaires. En qualité de relai d’information et de protection des intérêts des patients, ce sont des entités à considérer intelligemment, en effet, il serait mal venu de se les mettre à dos. Tous ces acteurs impactent l’opinion publique, en étant considérés comme proches et dignes de confiance, car n’ayant pas de parti pris, ni de conflit d’intérêt en général. Aussi ils participent { leur niveau, tantôt { la maîtrise, tantôt { la propagation d’un scandale sanitaire. Il s’agit de tenir compte de leur force d’action.

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Conclusion

Au vu de cette analyse, il nous semble réellement pertinent et salvateur pour les

entreprises - et cela doit s’appliquer au cas des industries pharmaceutiques - de développer, et

de mettre en place un système intégré de gestion des crises. Il apparaît que la crise se doit d ’être

gérée au moment même où elle a lieu, mais également, et surtout, en amont et en aval. Cet effet

est renforcé dans l’industrie pharmaceutique, dès lors que l’on sait que la parole et le temps

scientifiques ont constamment un retard significatif sur ceux du grand public, au travers des

médias généralistes notamment. Ce phénomène est passablement potentialisé dans un monde

en mouvance constante et de plus en plus prononcée. Toutefois, force est de constater que la

mise en place de ce type de systèmes de gestion est laborieuse, et contraignante. D’autant plus

que l’industrie pharmaceutique a cela de particulier qu’il est souvent bien difficile de prévoir les

risques potentiels, comparativement { d’autres secteurs. En effet, bien qu’avec un système rodé

de tests pré-cliniques et cliniques au long terme, les médicaments présentent et présenteront

toujours des effets indésirables dont la gravité, et l’occurence potentielles sont bien difficiles à

définir. Cependant, il est possible d’imaginer toute une batterie d’outils permettant ce contrôle

du risque. Ils seraient par exemple des outils de prévention et d’anticipation du risque (réseaux

structurés, cartographies et recensement des risques, usage de l’intelligence économique…), de

suivi du risque (carnets de bords, cellules de crise (intranets, numéros verts…), argumentaires

de communication…), ou encore des outils “post-crise”(audit, retour d’expérience…).

In fine, il faudrait que les industries prennent réellement conscience de l’importance de

considérer la gestion de crise comme activité inhérente { l’entreprise. C’est surtout le cas des

industries de santé, dans un environnement anxiogène généré par des crises antérieures,

souvent mal gérées justement, et des retentissements médiatiques exacerbés qui ont peu à peu

installé une réelle psychose au sein de la population. En ce sens, la crise doit absolument être

vécue au quotidien par toutes les parties prenantes.

Cependant, la mise en place de ce type de systèmes de gestion des crises

informationnelles dans l’industrie pharmaceutique se doit d’être soutenue par tous les acteurs

du système de santé. En ce sens, instances publiques et privées doivent être remaniées en

profondeur. Nous avons vu dans ce dossier en quelles proportions et de quelles manières

interviennent successivement l’Etat, l’AFSSAPS, les médias spécialisés et généralistes, et les

professionnels de santé. Il est urgent que cette chaîne de transmission de l’information et de

maîtrise des contextes de crise s’organise de manière plus fluide, donc mieux contrôlée. En bout

de chaîne, cela doit permettre au grand public, et à fortiori aux patients de mieux comprendre

l’articulation des choses, leurs raisons d’être, et l”ensemble des actions de gestion mises en

application .

Aussi, il est indéniable que rien ne pourra se faire sans qu’une communication efficace

adressée au grand public ne soit effectuée. Les gens ont besoin de prendre conscience de la

réalité des choses, d’accepter ce rapport bénéfice/ risque unique en son genre, et surtout

d’accepter le manque de visibilité dans ce secteur. Il faut rompre à tout prix avec cette peur du

médicament et des produits de santé en général. Il faut réorganiser un système de santé

Français, qui bien qu’étant l’un des meilleurs au monde, présente des écueils flagrants, et ne

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“rassure” plus. Il faut { tout prix que la parole scientifique, et les agissements des industries de

santé récupèrent de leur crédibilité.

Source: Catherine FAUCHOUX – Thèse : Gestion de crise : Internet contre Internet – MISTE ESIEE 2005

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Annexes

Annexe 1

Source : INHESJ – LIREC n°25- Juin 2011

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Retranscriptions Interviews

Interview de Monsieur Gérard de Pouvourville, Directeur de la Chaire Santé { l’ESSEC

Business School et conseiller scientifique du Ministère de la Santé, Direction des

Hôpitaux depuis 1982

Interview du Professeur André Aurengo, ancien Président du Conseil supérieur

d’hygiène publique de France et médecin nucléaire français

Interview d’un médecin Rhumatologue, exerçant en province, et disposant d’un poste {

responsabilité au sein de la Fédération Française de Rhumatologie

Interview du Docteur Jean-yves Guyénot, Secrétaire général { l’Ordre des médecins de

Bourgogne et docteur en médecine

Interview du Docteur Catherine Guyénot, Médecin au centre de transfusion sanguine à

Auxerre

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Interview de G. de Pouvourville

Professeur dans le département de management de la

santé et directeur de la chaire ESSEC santé

Selon vous, à partir de quel stade pouvons-nous qualifier un fait scientifique ou un événement scientifique de scandale de santé publique ? En général ce qui déclenche un scandale c’est l’observation ou la découverte fortuite. C’est la différence entre la découverte fortuite et la découverte liée au travail normal de la pharmacovigilance. Quelque chose qui apparaît au travers du fonctionnement de la Pharmacovigilance. La diffusion de cette information se fait en général normalement parce que ça fait justement partie du fonctionnement de la pharmacovigilance, donc les pouvoir publics réagissent tout de suite, le labo également réagit tout de suite, ça ne veut pas dire que derrière il n y aura pas de scandale, ça peut être derrière récupéré et devenir un scandale…mais disons qu’il y a une meilleure maîtrise de l’annonce. Ce qui est embêtant c’est quand il y a une découverte fortuite qui est faite a l’extérieure du système sanitaire, ça c’est beaucoup plus enquiquinant, ça veut dire que le système de vigilance sanitaire n’a pas marché, donc du coup les pouvoirs publics sont mal à l’aise car leur responsabilité est incriminée en tant que manque de vigilance sur la sécurité du produit et éventuellement le laboratoire peut l’être… mais bon après il faut examiner l’ensemble du cas pour voir effectivement ce qui s’est passé. Un exemple où le laboratoire n’a jamais été mis en cause, c’était il y a quelques année au sujet de la vaccination pour l’hépatite B avec la revendication chez un certain nombre de patients que la vaccination avait causé une sclérose en plaque et le laboratoire était en seconde ligne par rapport à la responsabilité des pouvoirs publics qui avaient commandé de faire la vaccination généralisée Donc c’est plus grave quand c’est fortuit, et quand le tireur de sonnette d’alarme est en dehors du système, et c’est aussi une question d’ampleur ; par exemple l’Agence européenne du médicament fait souvent des alertes en disant « attention, il y a eu sous tel traitement deux morts, on est pas sûr que ce soit dû à ça mais bon c’est peut être lié { ce produit là, on vous demande de faire attention … » mais bon deux morts par rapport a la population traitée.., mais le seuil psychologique ne veut rien dire, et c’est d’autant plus grave quand ça arrive quand il s’agit d’un traitement d’une maladie pas très grave car on s’attend à ce qu’un médicament qui traite du rhume ne tue pas les gens, à la limite quand on dit qu’il y a eu deux mort avec un traitement du cancer avancé du poumon à petites cellules, les gens disent « oui, on meurt de ce cancer l{… !! » donc il y a aussi cet aspect là, donc le scandale vient aussi du fait qu’on tue en proposant à des gens une intervention qui n’est pas majeure d’une part, où le problème traité par le médicament n’est pas un problème très grave…c’est l{ ou il y a scandale. Quels sont les scandales sanitaires qui vous ont le plus marqués durant ces 30 dernières années ? Je crois que le scandale qui a le plus secoué la France c’est le scandale de la contamination du sang, parce que l{ on s’attendait pas du tout { ce que les Autorités publiques ne prennent pas des précautions pour s’assurer que quand ils font des prélèvements sur des donneurs ces derniers ne soient pas contaminés par le VIH ou autre virus, quand on apprend par la suite qu’effectivement on est aller cherché du sang dans les prisons et qu’on a mélangé du sang etc. ..on se dit mince mais il y a quelque chose qui ne va vraiment pas, et puis avec une ampleur énorme, avec des gens qui n’étaient pas malades avant enfin qui étaient hémophiles mais qui n’avait pas le VIH et qui se retrouvent avec le virus dans le sang. Ah ça c’est une catastrophe, c’est vrai que ça été quelque chose qui a beaucoup choqué tout le monde. Mais après les autres c’est discutable…la question de la vaccination pour l’hépatite B chez les jeunes ça questionne beaucoup, pour un scientifique c’est vraiment un problème, moi je suis quand même

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un scientifique de formation , j’ai travaillé avec des épidémiologistes très sérieux ; que d’une part la justice a estimé qu’il pouvait y avoir un lien de causalité pour la SEP, à la fois ni d’un point de vue on va dire physiologique au sens de l’analyse du mécanisme cellulaire, ni au niveau statistique, on était incapable d’établir des relations entre les deux , c’était un phénomène de parfaite concomitances entre les séries que de ce point de vue là, on ait retiré une vaccination qui était extrêmement importante et qui sauvait des vie..L{ ça m’a choqué personnellement mais dans l’autre sens… Sur un plan strictement scientifique, quels sont les critères qui nous permettent de dire que cette crise sanitaire (la crise du sang contaminé) mérite d’avoir plus d’intérêt qu’une autre ? Et mérite une couverture médiatique plus qu’une autre ? Le problème de la couverture médiatique d’une crise c’est que ça échappe complètement aux scientifiques. Ce qui est choquant c’est quand il y a vraiment soupçon de tromperie délibérée, Quand on découvre qu’il y a eu quelque part une défaillance majeure dans la chaine de sécurité sanitaire, ça été le cas pour les hormones de croissance qui étaient fabriquées dans l’arrière boutique du charcutier dans des conditions déplorables...c’était moyen quoi..(Sourire) et avec un mec qui s’en ait mis plein les poches qui par ailleurs s’est comporté avec une arrogance absolue. Ce que je dis ce n’est pas d’un point de vue scientifique, mais d’un point de vue de la science. Il y a des techniques statistiques qui existent, on essaye avec les données qu’on a de regarder si on pourrait établir un lien de causalité avec une robustesse suffisante et voir si il y a vraiment matière {...et quelque fois c’est extrêmement difficile de conclure, je veux dire dans le cas de l’hépatite B finalement il y a eu accumulation d’études qui ont convergé pour dire que non. On n’est pas capable de démontrer quoi que ce soit, dans le cas du médiator, on savait par exemple qu’il y avait à la base des raisons pharmacologiques objective de penser qui pouvait y avoir des effets secondaires, sauf que quand on développe un médicament au début on ne sait pas trop la fréquence de ces effets secondaires, car on a pas un grand échantillon etc..C’est pour ça qu’on fait de la pharmacovigilance. Mais dans ce genre de débat ça devient très rapidement passionnel, donc la science on ne l’entend plus dans ce genre de débat… il faut beaucoup de sang froid à un décideur public pour dire il y a doute...il y a doute donc je ne fait rien. Passons maintenant au traitement de ces événements justement. Selon vous, les medias traitent ils bien ces faits de santé ? Existerait-il des déviances et des partis-pris ? C’est très variable en fait, selon les medias, si vous rapportez dans un journal par exemple « la CNAM a fait une étude qui montre que le Médiator a tué 2000 personnes… » là on donne juste une information, sans commentaire sans rien, que vous soyez un bon journal ou pas, de toute façon c’est pareil, l’info passe et après ce n’est plus contrôlable…mais après il y a toute la partie commentaires, il y a des journaux qui ont des journaliste spécialisés dans ce genre de questions et qui vont essayer de creuser pour comprendre, discuter avec des experts , essayer de rendre compte le plus objectivement possible de la nature du débat... et puis y a des medias qui vont tout de suite rentrer non pas dans la nature scientifique du débat, mais dans.. « ah wé, Servier légion d’honneur, raquette Sarkozy..Etc. Etc.. » qui vont déj{ monter le cas et l’histoire et le fait scientifique va être noyé, le débat scientifique autrement dit va être noyé, on va vouloir tout de suite chercher des coupables, donc on va construire une histoire, les medias aiment ça mais c’est le public qui demande ça en fait. C’est un effet d’offre et de demande qui est compliqué, c’est la poule et l’œuf comme d’habitude, par exemple les pouvoirs publics disent nous menons une enquête on vous préviendra le temps voulu etc..on se dit on se met en attente, il y a une inspection contrôlée…mais les medias ne vont pas attendre, il vont commencer à gratter de leur coté, ils vont interviewer le professeur « truc » qui a bossé avec Servier qui va raconter…il vont aller interviewer des gens qui ont été virés de chez Servier..C’est une boîte horrible...ils vont forcement construire une histoire. De mon point de vue c’est extrêmement difficile { contrôler.

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Globalement, comment percevez-vous la réaction des laboratoires incriminés dans ces affaires face à ces scandales ? Par exemple, en gros Servier a merdé complètement… (Sourire) parce qu’il a nié les faits en bloc, la bonne attitude dans ces cas là c’est de dire : « nous nous mettons à la disposition des pouvoirs publics pour explorer cette question, nous somme surpris nous n’avons pas les mêmes signaux et nous mettons tous nos dossiers à la disposions des pouvoirs publics… » Les laboratoires maintenant ont appris à prendre leur responsabilité mais ça ne leur garantit pas que ça ne leur retombe pas sur la gueule ; mais ils savent que, quelque part, quand il y a une affaire come ça, il y a quand même des gens qui font de la communication de crise, alors, ils ne réussissent pas à tous les coups, mais ils savent très bien aujourd’hui que s’ils ne jouent pas l’ouverture totale et la transparence, ils sont foutus. Ça ne veut pas dire que s’il joue la transparence, ça ne va pas leur retomber sur la gueule, Vioxx c’est MSD qui a pris l’initiative de le retirer, mais c’est après qu’on ait regardé et qu’on se soit dit « MSD mène des essais clinique bidons.. » Il faut se dire toujours que ça existe et qu’on est prêt { gérer la situation quand ça apparaît. Il faut être le plus Open possible et attendre que la vague médiatique passe pour arriver au juridique où il y aura une situation plus construite. Et l’Etat et les Autorités de santé type Affsaps dans tout ça ? Trouvez-vous qu’ils fassent vraiment leur travail de contrôle et de sanction ? Je pensais que l’Affsaps faisait un bon boulot, je pense que majoritairement elle pas mal, il s’avère qu’il y a des choses qui passent au travers des mailles. Le problème de l’Affsaps sur le médiator c’est qu’il y a eu un certain nombre de signaux qui sont venus de l’extérieur et qui n’ont jamais été entendus, mais sur le point de vue pharmacologique, il n y avait pas grand-chose sur le dossier du médiator, on l’a retiré du marché en Espagne 5 ans avant, interdit aux Etats-Unis, c’est vrai qu’on a eu l’impression qu’il y avait une certaine forme d’aveuglement en ce qui concerne ce produit en France. L’Etat c’est compliqué, il y a les politiques et l’administration, ce n’est pas pareil. Les politiques, quand vous êtes Ministre de la santé, vous n’êtes pas compétent en pharmacologie ni en pharmacovigilance, d’un coté on pourrait se dire que le politique fait confiance à ses conseillers, donc le fait qu’il signe, sa responsabilité est de fait de droit est engagée, sa culpabilité c’est plus compliquée. Le fait qu’il ait fait une faute, vis-à-vis de sa compétence, mais bon on pourrait se dire que votre responsabilité est de vérifier que vos services fonctionnent bien, mais à ce moment la ça devient obsessionnelle et on ne s’en sort plus. Donc le politique c’est un peu compliquée.

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Interview du Docteur André Aurengo

Ancien Président du Conseil supérieur d’hygiène

publique de France et médecin nucléaire français

Remarque : Seuls les passages exploitables ont été retranscrits

Dans les écrits que vous nous aviez fournis, vous sembliez indiqué que les institutions de santé avait un discours plutôt prudent ? Lors de l’affaire médiator, l’AFSSaPS a été accusé de ne pas avoir fait son travail. Alors, il est

possible que l’AFSSaPS n’ait pas très bien fait son travail. Il est certain et plus que possible que la

pharmacovigilance au niveau européen n’est pas bien organisé et que la structure réglementaire

des AMM n’est pas optimal. Il n’est pas normal que le fait qu’il y est une AMM dans un pays facilite

les obtentions d’AMM et que réciproquement, le retrait d’un médicament dans un pays ne fasse pas

se poser des questions dans les autres pays. On passe donc à côté de vrais problèmes. L’AFSSaPS

s’est trouvé emberlificoté dans cette histoire et du coup, ils en ont trop fait, comme le fait de publier

une liste de médicaments sous surveillance. Ils n’ont cependant pas expliqué la cause de cette mise

sous surveillance et le degré de risques. Du coup, ça a affolé des tas de gens sans raisons. C’est une

attitude qui est totalement anti-scientifique et c’est une réponse de nature politique { un problème

organisationnel et scientifique.

On peut donc parler d’une mauvaise réaction mais peut-on également parler d’un retard de réaction ? L’absence de réaction a surtout été dans la réaction qu’il aurait fallu avoir quand le médicament a

été interdit dans d’autres pays. Le problème est celui du bénéfice-risque. Il s’agit d’évaluer quel est

l’équilibre entre les deux et de savoir si le bénéfice est suffisant. Cependant, des fois, on a interdit

des médicaments sur des fantasmes. Comme pour l’affaire du diantalvic, qui a été interdit parce que

des gens se suicidaient avec. C’est ridicule. Ca ne va pas supprimer les suicides et pourtant, le

diantalvic est un médicament très efficace et qui était très utile pour certaines personnes.

Il y a deux risques réels { ce sujet. D’abord, que des laboratoires pharmaceutiques découvrant un

produit très efficace ne demandent pas l’AMM en France car ils ont peur d’avoir des emmerdes {

perte de vu ou il vont de dire ‘on va nous reprocher de pas avoir prévu quelque chose au nom du

principe de précaution. Et la deuxième crainte et plus générale. Elle est que si cette attitude devait

se généraliser dans les pays occidentaux, qui font 95 % de la recherche pharmaceutique, qu’il y ait

une perte de capitaux, que les investisseurs ne veulent plus placer de l’argent dans la recherche de

crainte que les produits soient interdit pour de mauvaises raisons. Et que du coup, la recherche

pharmaceutique soit purement et simplement freinée.

Que pensez-vous de la gestion de ces crises par les entreprises et par exemple de la réaction de Servier dans l’affaire du Médiator qui n’a pas communiqué au début ? Je ne saurais pas forcément vous répondre mais c’est que la réaction de servier a été assez

maladroite. Je crois qu’il y a beaucoup de structures, de l’état, institutionnel, etc…qui ont du mal {

comprendre qu’on est dans un siècle de communication. Quand il y a quelque chose comme se qui se

passe sur le médiator, il faut réagir tout de suite, même quand vous n’avez pas les informations, ils

faut dire qu’on y travaille.

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Quel est le rôle de l’état dans la gestion de ces crises ? Il aurait, dans un contexte comme celui du rapport d’Irene Frachon, du rôle de l’AFSSaPS de dire que le problème était connu et qu’ils y travaillé et donner un rendez-vous dans quelques jours. On peut pas exiger des gens qu’ils prennent une décision sur un coin de table comme ça. Ce serait même inquiétant. Mais, surtout, il ne faut pas que ce soit quelques jours pour communiquer, il faut communiquer tout de suite. Et c’est peut-être le problème dans les crises, c’est que les médias arrivent { communiquer avant ? Si vous communiquer pas dès le début, vous laissez la porte ouverte à toutes les allégations. Non pas que vous arriverez forcément { les calmer mais au moins, vous avez… Vous savez, c’est comme au échec, il vaut toujours mieux avoir un coup d’avance. Le fait d’être présent dur la scène médiatique vous donne à priori une légitimité pour parler. Vous êtes le laboratoire, vous êtes quand même le premier intéressé. Il est quand même normal que vous exprimiez sur le sujet. Il faut ensuite revoir toute la pharmacovigilance, l’historique des alertes, comprendre pourquoi l’AFSSaPS n’a pas réagi plus tôt…Est-ce que c’est parce que les gens éraient débordé et qu’il n’avait pas le temps ? ça peut arriver ou est-ce qu’il y a eu manifestement tromperie et que des gens ont essayé de retarder le mouvement. Stratégie à la fois absurde et dangereuse mais ça pourrait exister. Demander aussi l’avis d’épidémiologiques totalement indépendants sur les études. Tout ça, ça fait partie des choses qu’une institution peut annoncer comme étant les pistes sur lesquelles elle travaille. Et à ce moment-l{, le public, il est loin d’être idiot, il comprend bien que ça prend du temps ; Ce que les gens ne supportent pas, c’est la désinvolture. Ça, ça vous sera jamais pardonné. Si vous ne vous occupez pas d’un problème comme celui-là, vous êtes cuit. Et si on parle un peu des médias, comment définiriez-vous le rôle des médias dans ces crises ? Si vous voulez, vous avez deux types de médias, vous avez les grands journaux dans lesquels les choses sont rapportées d’une façon rigoureuse car vous avez des spécialistes, des médecins, qui croiseront leur information, qui vérifieront, le monde par exemple, ils vont se renseigner, ils ne seront pas tenter par le catastrophisme à tout prix. Vous aurez une information de qualité. Puis, vous aurez les petits journaux qui vont reprendre ce que dit l’agence France Presse ; Alors, l’agence France, suivant sur qui ça tombe, ça va être plus ou moins rigoureux comme analyse et ça va être repris par tout le monde, dans les petites rédactions, ils n’ont ni le temps ni la formations pour écrire des articles de fond. Ils n’ont pas le background scientifique mais ils n’ont pas les relais non plus. Ils n’ont pas un carnet d’adresse où ils peuvent consulter x, y, z pour les aider et ça, c’est quand mêle terrible. Et, on peut voir une espèce d’emballement des informations, amplifier par les commentaires des lecteurs qui peuvent y aller de leur analyse entre guillemet parce que souvent, ça ne vole pas très haut. Et tout ça, ça crée une sorte d’effervescence médiatique et { partir du moment où ont dans l’irrationnel, c’est très difficile d’en sortir. Si votre femme a eu un problème de ce genre là, tout ce que vous pouvez dire pour mettre le discours dans un cadre rationnel, ça marchera pas. C’est parfaitement compréhensible. Le problème est donc peut-être un problème d’incompétence de certains médias ? C’est plus un problème de conditions de travail qui sont difficiles. Parce que { 10 heures, il va falloir qu’ils s’occupent du médiator et { 10h30, du chien de la reine d’Angleterre. Il s’en suit que c’est très difficile pour eux. Ils n(ont pas le temps de suivre des formations complémentaires, ils sont harcelés. Souvent, c’est des emplois un peu précaires, je parles des petits journaux et donc, ils travaillent dans des conditions extrêmement difficiles. Je ne leur jette pas la pierre. C’est plutôt l’organisation au niveau de l’Agence France Presse qui a les moyens de le faire ; Donc, il devrait être possible de disposer d’une information plus rigoureuse. C’est le but aussi de ce qu’on est en train de faire dans le cadre de Canal Academy, un site sur lequel, il ya des interviews d’académiciens, de n’importe quel académie d’ailleurs. Sur ce site d’avoir un sous-site qui va s’appeler Argusanté dans lequel on essaiera dans des cas comme celui-là, de faire des analyses par des gens incontestables pour que n’importe quel journaliste puisse aller voir. Par exemple, un truc sur le médiator avec voila les

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études épidémiologiques, qu’elles sont leurs forces, leurs faiblesses, les preuves qu’elles apportent. C’est pas { nous de commenter les actualités mais que les bases essentielles soient données. Comment arriver à obtenir des médias plus de clarté, un peu déontologie ? Je pense d’abord que tout atteinte { la liberté de la presse aurait des effets pervers comparativement plus grave que les dérives dont on parle l{. Et que si il y avait n’importe quel système de vérification, de censure, etc.. serait dramatique pour la démocratie. Il faut pas oubliez, vous savez, que la démocratie repose essentiellement sur la presse et c’est la première chose. La deuxième chose est que ce serait à la presse elle-même de faire son ménage, comme il y a un conseil de l’ordre des médecins qui fait que quand un médecin dérive un peu, on le remet dans le droit chemin et c’est les médecins qui s’en occupent eux-mêmes. Donc, on pourrait imaginer quelque chose comme ça pour la presse, qu’il y ait une espèce de comité de déontologie avec une chartre qui serait à faire par eux-mêmes, le fait de vérifier ces informations, de croiser les sources…C’est au conseil d’essayer de faire en sorte que les gens suivent la chartre. Mais, un intervention qui serait extérieur aux médias me paraitrait très dangereuse. Alors, on peut avoir des sites d’informations qui sont validés par les institutions et après, c’est au gens d’aller chercher l’information.

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Interview d’un Médecin spécialiste

Rhumatologue, exerçant en province, et disposant d’un

poste à responsabilité au sein de la Fédération française

de rhumatologie.

La personne interrogée a exprimé le souhait de garder l’anonymat au cours de cette interview.

Bonjour Monsieur, nous vous remercions de bien vouloir nous recevoir aujourd’hui. Comme nous en avions discuté au téléphone, nous souhaitons recueillir votre expertise concernant le traitement des crises informationnelles dans l’industrie pharmaceutiques. En ce sens, nous tâcherons d’aborder avec vous plusieurs problématiques en tentant de mettre en exergue vos réactions en tant que partie prenante à part entière du système de santé Français. Nous vous proposons de discuter { partir d’une série de questions que nous avons préparées, mais libre à vous de vous exprimer sur tout sujet qui serait susceptible de nous intéresser dans la cadre de cette problématique. Maintenant, si vous le voulez bien, nous allons pouvoir commencer. Très bien, allons-y !

Peux-t-on vraiment parler de crises informationnelles dans l'industrie pharmaceutique ? Oui, certainement. Nous nous intéressons à la manière dont les crises informationnelles sont traitées dans le domaine de l’industrie pharmaceutique. Pouvez-vous nous parler par exemple de l’affaire du Mediator, l’une des dernières crises majeures dans ce secteur ? Quelles ont été, selon vous, les leviers de communication dans cette affaire, et que pensez-vous de l’ultime stratégie qui a consisté à rejeter la faute pour partie sur les prescripteurs ? Ne prescrivant pas de Mediator, je n’ai pas vraiment ressenti le fait que les Laboratoires Servier aient rejeté la faute sur les médecins. A mon avis, ils ont surtout essayé de minimiser les choses, et de communiquer sur l’influence néfaste des médias et des différents intervenants dans les médias. Mais il est certain qu’{ l’endroit des patients, leur communication a été catastrophique, mais peut-être n’ont-ils pas trouvé de leviers de communication… En tout cas, ils sont en permanence restés sur la défensive. Leurs lignes de défense n’étaient pas tenables sur le long terme. Ils ont successivement nié le problème, puis l’ont minimisé, puis circonscrit à certains cas. Enfin, ils ont cherché { montrer { tout prix des cas de comorbidités… Ils avaient en fait toujours un cran de retard dans leur discours, et finalement oui, ils ont commencé à parler des prescripteurs, ce qui était catastrophique dans une vision au long terme des choses. Et de manière générale, au-delà de cette crise spécifique ? Je pense que de manière générale, lorsque les données scientifiques s’imposent { tous, les laboratoires réagissent de manière très professionnelle.

A savoir ? Ils ont en général une communication transparente, par exemple sur la découverte d’effets secondaires potentiels, y compris dans les cas où l’on va jusqu’au retrait du médicament. Vis-à-vis des médecins, ils agissent en général sans dissimulation aucune. Pour le Mediator, tout est allé beaucoup plus loin…. Si on prend l’exemple de certains anti inflammatoires, comme le Nexen, ou encore dans le cas du Celebrex. On a découvert des effets indésirables qui n’étaient pas prévus, on a

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alors pris des mesures de restriction de prescription, en accord avec les professionnels de santé. Mais bien qu’étant des médicaments très prescrits, cela n’a pas pris l’ampleur du Mediator, cela n’a pas suscité de réactions dans les médias généralistes. En conséquence c’était beaucoup plus simple. A l’inverse, dans le cas du Mediator, tout s’est emballé parce qu’on s’est adressé à des populations entières, et non plus principalement à des professionnels de la santé.

Oui mais justement, pourquoi est-ce que dans certains cas, le débat passe dans la sphère généraliste ? C’est cela la grande question. Il y a clairement des effets pervers de mauvaise gestion de la crise, en particulier des problèmes de temporalité de la réponse aux interrogations.

Mais est- ce que vous pensez que c’est parce que de manière générale, la parole scientifique a toujours un temps de retard par rapport à la parole des journalistes ? Pensez-vous que cela ait un rapport avec la crédibilité de la parole scientifique ? Ce qui est certain, c’est que le temps scientifique ne va pas avec le temps médiatique, et c’est pareil pour le discours scientifique, qui n’est pas adapté à la communication médiatique grand public. L’illustration de cela, je l’ai quotidiennement dans ma pratique courante de la médecine. Quand j’essaie d’expliquer les choses de manière scientifique { mes patients, ils n’arrivent pas { se détacher de la valorisation extrême qu’ils ont de la parole médiatique, et de leurs propres expériences.

Nous savons que les industries pharmaceutiques sont soumises à une très forte concurrence venant des pays émergents et notamment de l'Inde qui développe de plus en plus de génériques. Les brevets des industries pharmaceutiques en France tombent dans le domaine public.... Quels sont à vos yeux les réels enjeux ? Y-a-t-il un risque réel pour que les industries cherchent à prospérer, y compris en occultant certains risques sanitaires potentiels de leurs produits ? Oui pour partie sans doute… Mais il ne faut pas noircir le tableau, l’industrie pharmaceutique est une très belle industrie, avec des recherches remarquables. Et il faut essayer de se mettre à la place des industriels. Je vais prendre l’exemple du Protelos, que je connais bien, et qui est un médicament efficace qui a fait ses preuves. Il faut comprendre que les Laboratoires Servier réalisent de très bons chiffres avec ce médicament très efficace. Et soudainement, on trouve des cas de patients présentant des effets indésirables, faibles en nombre, certes, mais qui existent bel et bien. On peut comprendre que le laboratoire essaie de communiquer sur ce sujet de manière positive, du moins que ce soit leur première réaction. Mais de toute façon il ne faut pas oublier que tout médicament, pour être efficace, a forcément des effets indésirables, et cela les gens ont du mal à l’entendre… Et les médias généralistes, ne les aident pas toujours à faire la part des choses.

A propos de ces effets indésirables, pensez-vous que les médecins et l’industrie pharmaceutique puissent communiquer sur ce sujet, ou bien la presse grand public n’est pas adaptée à cette démarche ? Cela pourra t-il permettre de dédramatiser les situations, de gérer les crises potentielles en amont, en utilisant la transparence, et à la faveur des explications, rassurer le grand public… ? Effectivement on pourrait imaginer un discours général, qui consisterait à donner des grands chiffres, sans entrer dans les détails. Par exemple, on pourrait communiquer sur l’amélioration impressionnante de l’espérance et de la qualité de vie au cours des dernières décennies. Après tout, cela a été permis pour partie par l’Industrie pharmaceutique, il serait souhaitable que les gens puissent en prendre conscience. Donc vous pensez que ce type de discours générique pourrait être bénéfique ? Et selon vous qui devrait le tenir ? Surtout pas l’industrie pharmaceutique ! Cela doit être des médias généralistes, des médecins

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détachés de l’industrie pharmaceutique, l’Etat… Mais surtout pas l’industrie ou des médecins qui y sont rattachés, car on les soupçonnerait trop de conflits d’intérêts….

Mais justement comment peut on être sûrs de l’absence de conflits d’intérêts ? Une première étape serait d’exiger que tous les intervenants à tous les niveaux, à commencer par ceux qui communiquent dans les médias, spécialisés ou non, publient la liste de leurs conflits d’intérêts.

Mais ceci est déj{ obligatoire, fixé par la loi…. Oui mais les gens ne le font pas en pratique. Ou alors très rarement. Ceci dit, les mentalités commencent à changer. Pour la communication auprès du grand public, toute personne interviewée se doit de déclarer ses conflits d’intérêts. La restauration de la crédibilité doit passer par une exigence de transparence.

Très bien, je vais poursuivre avec quelques questions sur le traitement des crises par les médias.

Existe-t-il selon vous une déviance des médias dans le traitement de ces crises ? Il est évident que si l’industrie pharma cache des effets indésirables, { l’inverse les médias, eux, se « jettent » sur des fais parfois injustifiés pour vendre plus… A titre d’exemple, les numéros du Point et de l’Express qui se vendent le plus dans l’année sont ceux présentant les classements des hôpitaux… Les gens sont avides de ce genre d’informations…

Quelles seraient vos préconisations pour lutter contre cet effet ? Il n’y a aucune solution, c’est un effet nécessaire de la liberté de la presse, et c’est donc difficilement contrôlable en aval. Il faut donc essayer de le gérer en amont...

Et comment en amont ? En étant plus transparent, en communiquant plus vite et mieux… Très légitimement, dans ce type d’affaires, la tendance humaine est de dire « on fait le gros dos, cela va passer », mais ce n’est pas toujours le cas. De plus il y a aujourd’hui { mon avis le problème d’internet, la temporalité y est vraiment réduite. La masse d’informations n’y est pas contrôlable, et le patient, de manière générale avide de sources d’informations, va de plus en plus sur les forums, se renseigner par lui-même…. Or l’information sur Internet n’est jamais très fiable, car peu vérifiable, et les rumeurs et informations erronées vont très, très vite… Passons maintenant au rôle des autres parties prenantes. Quel est le rôle de l'Etat ? Est-il totalement impartial dans la gestion de ces crises? Il devrait l’être mais il ne l’est pas. Concernant le Mediator, il ya eu de nombreuses ambigüités. On a cru à un moment que l’Etat allait aller dans le sens de Servier, notamment pour sauver 16000 emplois… Puis quand les politiques se sont rendus compte que le vécu populaire de la crise sanitaire n’allait pas dans le sens de la préservation de Servier, ils ont modifié leur positionnement. Par exemple, on peut s’étonner de la position sévère de Xavier Bertrand alors qu’en tant que ministre de tutelle, il est censé être responsable de la sûreté de la santé publique. Le Ministère de la Santé exerce une tutelle sur la HAS et l’AFSSaPS, organismes officiels en charge des contrôles… Il est tout de même étrange que nombre d’anciens employés de Servier qui étaient en poste à la HAS ou à l’AFSSaPS aient été plus que bien replacés… Notons encore cette polémique { propos de cette femme en charge de la pharmacovigilance { l’AFSSAPS, à qui on avait promis un poste important dans la prévention des risques médicamenteux au sein d’une Agence Régionale de Santé... Cet état de fait a fort justement été dénoncé par les médias.

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Au-delà du Mediator, revenons sur la crise du H1N1. N’y a-t-il pas de dimension plus politique que sanitaire dans la gestion de ce type de crises ? Je trouve que de manière générale, depuis qu’on a inscrit le principe de précaution dans la Constitution, on est confronté à des problèmes de ce genre. Tout le reste n’est que la résultante de ça. Parce que certaines crises plus anciennes ont été très mal gérées, par exemple l’affaire du sang contaminé, on a maintenant une volonté d’ultra sécuriser la crise avant même qu’elle n’arrive...

Pensez-vous que les industries pharmaceutiques ont de réels pouvoirs sur les législations européennes et donc françaises (lobbying pharmaceutique) ? De manière générale toutes les grandes entreprises ont des capacités d’influence sur le processus législatif par le biais du lobbying, au niveau français comme européen, et cela pourrait être aussi le cas de l’industrie pharmaceutique… avec des enjeux financiers parfois de taille. Mais ce n’est pas forcément négatif, cela peut aussi apporter une idée concrète du métier….

En prise avec l’actualité récente, pouvez-vous nous parler de la crise concernant les prothèses PIP ? Il s’agit d’un tout autre problème ; probablement une mise { disposition d’un dispositif médical non conforme au cahier des charges. Il me paraît légitime que la presse généraliste s’en empare ; il faut prévoir des actions en justice. Excellent exemple de mise en application du principe de précaution aujourd’hui constitutionnel !

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Interview du Docteur Catherine Guyénot

Médecin à la transfusion sanguine depuis 1996

Remarque : Seuls les passages exploitables ont été retranscrits

Quelles ont été les mesures prises suite au scandale du sang contaminé ? On a rigoureusement restreint les conditions de prélèvements, les examens sur le sang et la distribution

ont été modifiés. Les lieux de collecte ont été supprimés notamment dans les prisons, on a interdit à des

catégories de population de se faire prélever comme les homosexuels hommes, les personnes ayant déjà

subi une transfusion ou s’étant déj{ dogué par voix injectable. De même le protocole de collecte du

sang a été renforcé.

Dans quel sens ? Quand on prélève du sang, on doit suivre un protocole bien précis, par exemple à une personne qui vient donner son sang on lui demande à 3 reprises son nom, sa date de naissance, pour être sûr que l’on ne se trompe pas. Et c’est étroitement contrôlé. Un jour, par exemple, un inspecteur de l’AFSSaPS est venu assister un médecin. Celui-ci n’a pas demandé 3 fois le nom du patient….et bien il a reçu un blâme. Les mesures sont de plus en plus draconiennes et le protocole change tout le temps.

Qui vous donne les instructions en termes de protocole ? C’est le Ministère de la santé qui donne ses directives { l’établissement français du sang. Ce dernier se

charge ensuite de les décliner { l’échelon régional.

Et comment vérifier que le personnel a bien lu la directive et l’applique ? On a l’obligation de signer les papiers, les directives pour prouver qu’on les a lues. De plus, il y a des inspections périodiques de l’AFSSAPS pour vérifier que tout se déroule bien comme prévu. De toute façon dès qu’il y a un incident, il y une répercussion immédiate. Et les inspecteurs de l’AFSSaPS, ce sont des experts ? Non, ce sont des auditeurs, ce sont pas des experts. Concernant la communication, elle est surtout très descendante, c’est l’Etat qui vous indique la marche { suivre. N’y a-t-il pas de remontées d’information par la base ? La Communication reste très descendante, du Ministère vers la base. Ce qui remonte ce sont les résultats des analyses et en fonction des résultats, en fonction du pourcentage de personnes contaminées on dresse des statistiques que l’on remonte { l’Etat. Et pour la maladie de Creutzfeld Jakob, comment ça s’est passé ? La maladie de Creutzfeld Jakob est apparue chez des enfants traités avec des extraits d’hypophysaires, qu’on faisait venir de l’étranger et notamment des pays de l’est. On les prélevait sur des cadavres et il se trouve que certains cadavres avaient la maladie de Creutzfeld JaKob. On traitait les gens qui avaient un trouble de la croissance (c’est une hormone de croissance). Devant le

nombre de décès, les médecins ont tiré la sonnette d’alarme. Les gens traités par cette hormone de

croissance pouvaient mourir dans les 6 mois qui suivaient le traitement. Maintenant les hormones de

croissance sont synthétiques depuis 1989.

Comment a réagi l’Etat ? Les enfants traités devaient se faire connaître, les enfants ont été suivis, examinés. Suite à ça le ministère de la santé a décrété l’interdiction de prélèvement de sang chez des greffés.

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Et pour les Di-Antalviques ? Le Di-antalvique ? C’est un antalgique très prescrit et retiré récemment car les Etats du Nord s’en servaient pour se suicider. C’est une directive européenne qui l’a supprimée mais la France n’était pas d’accord.

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Interview du Docteur Jean-yves Guyénot

Secrétaire au conseil régional de l’Ordre des médecins de

Bourgogne

Remarque : Seuls les passages exploitables ont été retranscrits

Que penser du remaniement de l’AFSSaPS par l’Etat ? C’est blanc bonnet et bonnet blanc. Car tous les chercheurs sont tous en situation de conflits d’intérêts, l’Etat y compris. Il est presque impossible actuellement en France de trouver un patron ou un homme d’Etat qui n’ait pas d’implications et d’intérêts croisés avec l’industrie pharmaceutique de près ou de loin.

Comment ça se passe lorsqu’un visiteur médical te rend visite ? Il y a une mise au point sur les effets du médicament, les effets secondaires mais on parle surtout de l’effet positif du médicament. Le médicament doit apporter un plus par rapport à son prédécesseur.

Quelle fréquence pour les visiteurs médicaux ? Une dizaine par semaine. Quel laboratoire est le plus présenté ? Lunbeck et Menarini.

Que dire de l’affaire du médiator ? Comment cela c’est-il passé ? Les alertes sur le médiator étaient réduites d’autant plus que les endocrinologues en ont utilisés largement. Ce médiator a été mis en au point en connaissant les dangers. De plus, tous les médicaments ont des effets pervers. Alors que penser de l’écho médiatique fait au médiator ? C’était disproportionné. Parce que l’on avait rien { se mettre sous la dent. C’était artificiel et médiatico-politique.

Pourquoi ? Car lorsque l’on délivre une information, on ne dit pas qu’il y a entre 200 et 2 000 décès. On dit soit 200 soit 2000. Il y a une grande différence entre le fait scientifique et le fait médiatique. Quelle est la position de l’Etat ? Le laboratoire Servier dérange. C’est un héritage qui échappe { l’Etat car c’est une fondation. Et puis parce que c’est { Neuilly et l’on connaît l’implication de Nicolas Sarkozy vis-à-vis du laboratoire Servier. Pourquoi ? Car Sarkozy était l’ancien avocat de Servier. Le laboratoire Biogarant l’organisme de Servier fabriquant uniquement des génériques est également étroitement impliqué politiquement. Donc c’est avant tout une affaire politique avant d’être une affaire de santé. Il a fallu dresser les tords donc on a confié à un groupe média les soins de combler les traces, de faire un dossier faux pour quelque chose de relativement simple, il suffisait de dépister quelles étaient les valvulopathies entraînées par le médiator. Quels sont les effets pervers du Mediator ? Les effets pervers ce sont ceux qui sont entrainés lorsque l’on prescrit ce médicament en dehors des

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AMM.

C’est-à-dire ? Le fait d’en avoir fait un traitement amaigrissant. Concernant la crise H1N1, comment avez-vous été sensibilisé en tant que médecin? Ca s’est passé totalement { l’envers de ce qui aurait dû être entrepris. On a commandé 94 000 000 de doses de vaccins. On a créé des locaux pour les centres de vaccination, ça a coûté très cher { la municipalité parce que c’était en hiver et qu’il fallait chauffer. Quand on a créé les locaux on a recherché des médecins et on a proposé aux médecins retraités, plus disponibles, la moitié du tarif horaire. On a fait un grand tapage dans un premier temps. La première vague a été alarmiste et progouvernementale. Une deuxième vague de scientifiques a réagi en disant que le fait de se faire vacciner n’avait pas de garantie totale et que ça servait à rien de paniquer les gens pour ça. La troisième vague a été de donner les vaccins aux médecins généralistes pour qu’ils vaccinent dans leurs locaux. Alors pour être sûre que les médecins soient de bons gestionnaires de santé on leur a confié des boîtes de 10 vaccins. Et comme on n’avait pas 10 patients { vacciner dans la journée, la boîte entamée était automatiquement jetée : c’était du gâchis. Total il n’y a eu que 6 millions de vaccinés et il n’y a pas eu de pandémie. Comment cela s’est-il matérialisé au niveau du gouvernement ?

L’AFSSAPS nous a envoyé des documents qui allaient tous dans le même sens : attention panique, il faut se faire vacciner. Le préfet, lui, cherchait des médecins pour vacciner. Les médecins se sont étonnés d’avoir été squizzés en tant que médecins libéraux pour nous confier une vaccination pseudo nationaliste. Ca avait toutes les chances d’être un échec et ça l’a été. En plus il a fallu bidouiller les vaccins pour qu’ils soient administrés aux femmes enceintes et aux enfants. On a rien oublié pour que ce soit un échec. Au niveau de vos patients? Ont-ils demandé conseils ? La clientèle ne m’a pas demandé d’avis. Elle s’était forgée son propre avis avant de venir me voir, sur la base de ce qui se disait dans les médias et sur internet. Et l’avis général des médecins ? Les médecins libéraux ont eu le même mode de réaction, plutôt négatif. Sauf les administratifs qui suivaient les directives de l’Etat. Il y a eu un vœu évident d’écarter les médecins et de leur enlever toute participation dans cette prévention. Et en ce qui concerne l’AFSSaPS ? Il n’y a pas eu contact direct. Il y a eu des faxs, des courriers qui ont été envoyés { l’ordre au même titre qu’aux médecins généralistes. L’ordre n’a pas du tout été utilisé comme relais de la campagne de prévention. En ce qui concerne le terme de crise de l’industrie pharmaceutique ? Je pense qu’il n’y a pas de crise en tant que telle. La pharmacologie et la médecine ne sont pas des sciences exactes et des aléas peuvent surgir. Mais l’industrie pharmaceutique n’est pas un organisme humanitaire mais capitaliste. Pourriez_vous me parler de l’affaire du sang contaminé ? Alors ça été complètement géré et canalisé par l’Etat. Tout n’a été qu’informations sur le nombre de lots contaminés, sur le mode de non traitement des lots contaminés. C’est-à-dire qu’on a réellement transfusé des gens dont on savait que les lots étaient dangereux parce que l’on ne savait pas, { l’époque,

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comment décontaminer ces lots. Il y avait aussi d’énormes intérêts financiers en jeu. Le politique a géré ce que les industries pharmaceutiques n’a pas été capable de prévoir. Comment ça ? Il fallait que les indemnisations puissent être prélevées sur le dos des laboratoires, des organismes de collectes qui ne devaient pas être trop sévèrement puni de façon { pouvoir payer ce qu’on leur demanderait. Comment l’affaire s’est fait connaître ? Ce sont des associations de patients qui ont tiré la sonnette d’alarme qui ont dit qu’il y avait un souci. Après c’est tombé dans le domaine public. Les médias se sont emparés du phénomène, ont amplifié l’information et l’Etat a récupéré la patate chaude. Il y a eu une négation première de l’Etat. Il y a eu un temps mort énorme entre la certitude du danger et l’affirmation du danger. Ca a été surtout une manière de faire endosser les responsabilités d’un problème de santé publique grave à un lampiste qui était capable de payer. Au niveau de l’ordre des médecins, que s’est-il passé, avez-vous été sensibilisés ? Il n’y a pas eu de relais.

Si on revient aux visiteurs médicaux, en France 90% des consultations se terminent par une ordonnance, y-a-t-il une influence des visiteurs médicaux sur les médecins à prescrire des médicaments ? C’est tout d’abord culturel. Pour le patient français, la consultation doit se terminer par un acte de prescription. Je pense que les visiteurs médicaux ont une influence sur le marché dans le cadre d’une pathologie. La visite médicale par rapport { l’industrie pharmaceutique ne fait que déplacer le marché d’un traitement d’une façon temporaire par rapport aux équivalents mais n’est pas un facteur de prescription sans raison du produit donné. Si nous parlons de la façon dont sont gérées les crises par les industries pharmaceutiques ? Dans le cas du Médiator, l’attitude de Servier a été tout d’abord de ne rien dire puis de jeter la faute sur les médecins, qu’en pensez-vous? Je pense qu’on ne peut pas raisonner tant que l’on ne sait pas quel est le nombre de morts réellement suite { l’affaire du médiator. Servier a eu une réaction attentiste, d’observation de l’information. Lorsque Servier a réagi il était trop tard, tout type de discours était objectivement impossible quel qu’il soit. Le fait d’attendre est scientifiquement logique. Comment cette crise aurait pu être mieux gérée ? H1N1 ? Mediator ? Sang contaminé ? Le mieux pour arriver { un résultat c’est de consulter la base.