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28/3/2015 Faire tourner Paris : ethnogénétique et logogénétique de Nana de Zola
http://flaubert.revues.org/2114 1/19
FlaubertRevue critique et génétique
10 | 2013 :Ethnogénétique de la littératureEthnogénétique et logogénétique
Faire tourner Paris :ethnogénétique etlogogénétique de Nana de ZolaSOPHIE MÉNARD
Résumés
Français EnglishEn repérant, dans les états préliminaires de Nana, la constitution particulière du cahier descharges culturelles d’une « vie à l’envers », cet article étudie la narrativisation d’une locutionidiomatique reconfigurée par le travail scriptural : « Nana faisant tourner une société, commeune femme fait tourner le lait ». Reprenant une croyance répandue, celle d’une forcedangereuse du sang menstruel, les avant-textes rénovent et narrativisent des imaginairesfolkloriques de la physiologie féminine, et notamment de la « période rousse » de la femme.Nana apparaît, dès sa genèse, physiologiquement et symboliquement, comme un être detravers. Son destin textuel sera de mettre Paris à l’envers en le pourrissant et enl’ensanglantant par l’entremise de son sexe déréglé. Ce récit embryonnaire condense donc unmicrosystème culturel qui engendre et structure un des systèmes symboliques du roman.
By identifying, in the preliminary stages of Nana, the particular composition of the culturalspecifications of an “upside-down life”, this article examines the narrativisation of anidiomatic expression reconfigured by the scriptural work: “Nana turning society around justlike a woman makes milk turn sour”. Picking up a common belief, the dangerous force ofmenstruation, the “avant-textes” renew and integrate in the narration the folkloricimagination of feminine physiology, in particular women’s “red period”. Nana appears, fromher birth, physiologically and symbolically, crooked. Her textual destiny will be to upturn Parisby decaying and bloodying it with her deregulated sex. This embryonic story condenses acultural microsystem which creates and structures one of the novel’s symbolic systems.
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Texte intégral
Afficher l’imageDe la composition symbolique de la physiologie féminine et de l’origine des
puissants pouvoirs de putréfaction de sa célèbre courtisane, Zola ne donne, dans sonroman Nana, qu’une rapide allusion, réfractée par l’article de Fauchery intitulé « LaMouche d’or » : « Elle devenait une force de la nature, un ferment de destruction,sans le vouloir elle-même, corrompant et désorganisant Paris entre ses cuisses deneige, le faisant tourner comme des femmes, chaque fois, font tourner le lait. »1 Nanafait donc tourner Paris à la manière des femmes qui, périodiquement, font tourner lelait au moment de leurs règles. La sémiosis zolienne à l’œuvre dans les avant-textesreprend une croyance répandue, celle d’une force dangereuse du sang menstruel,croyance qu’elle rénove et narrativise pour en faire la matrice métaphorico-culturellede ce récit fondé sur la décomposition sociale. Personnage marqué dès sa conception,Nana est, physiologiquement et symboliquement, un être de travers qui a le pouvoirde transformer les composantes de la matière. Son destin textuel sera de mettre Parisà l’envers en le pourrissant et en l’ensanglantant par l’entremise de son sexe déréglé.On verra que le complexe locutif possède (au moins) deux codages symboliques, quise recoupent tout en se distinguant : faire tourner Paris, par le pouvoir d’une odeur etd’un sexe déréglé, c’est le transformer, c’est opérer un changement d’état(« tourner » dans le sens « d’altérer » et de « passer d’un état à un autre »2) ; enrevanche, faire tourner Paris, au sens de le mettre à l’envers, c’est plutôt le renverser,le retourner, sans nécessairement en changer les composantes et les propriétés, cequi suggère une possibilité de le redresser (« tourner » a alors le sens de « changer »,de « prendre une autre direction »3). Mais d’autres déclinaisons sont possibles :Nana fait tourner Paris, en tournant les têtes et en faisant mal tourner les hommes.Elle le fait aussi tourner à la mort, en précipitant la débâcle du second Empire. Ledossier préparatoire du roman permet d’accéder à la genèse de ce systèmemétaphorique et de comprendre les dimensions symboliques et l’étendue sémantiquede cette locution récurrente (et de ses variations).
1
Une des visées de l’ethnocritique, dans son chantier sur la « logogenèse », est de« comprendre le fonctionnement anthropologique et linguistique des imaginairesculturels de la langue et des discours »4. Faisant l’hypothèse que « les locutionsidiomatiques d’une langue (“chercher une aiguille dans une meule de foin”, “tournersept fois la langue dans sa bouche”, “se jeter dans la gueule du loup”, etc.) sont desidiomatismes culturels – analysables comme tels »5, l’ethnocritique s’inscrit dans lasuite du projet esquissé par Philippe Hamon affirmant qu’« il y aurait toute une“narratologie génétique” à constituer. Le langage porte en effet en lui, dans sesconstituants les plus humbles (lexique, paradigmes grammaticaux, etc.) ou les plusfossilisés par l’usage (la locution, le cliché, la métaphore usée, etc.), les germes detout récit possible, des suggestions implicites pour une articulation discursive dusens […] »6. Il s’agira, donc, de saisir comment cette « culture dans la langue dutexte »7 et des avant-textes peut être condensée dans un idiomatisme culturel.Compris comme un micro-récit synthétisant et syncrétisant « une mémoire longue
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Faire tourner le lait : la physiologieféminine
[Nana] devenant une force de la nature, un ferment de destruction, mais cela
sans le vouloir, par son sexe seul et par sa puissante odeur de femme,
détruisant tout ce qu’elle approche, faisant tourner la société comme les
femmes qui ont leurs règles font tourner le lait. Le cul dans toute sa puissance ;
le cul sur un autel et tous sacrifiant devant. Il faut que le livre soit le poème du
cul, et la moralité sera le cul faisant tout tourner. (fos 192-193).
Nana faisant tourner la société comme les femmes qui ont leurs règles font
tourner le lait, rien qu’en s’approchant. (fo 73).
Nana faisant tourner une société, comme une femme fait tourner le lait. Elle
n’est que la chair (fo 68).
Le ferment d’en bas qui remonte et qui pourrit les hautes classes. Hérédité chez
Nana. Tout cela posé dans une conversation. Nana faisant tourner me Enfin
brusquement : Ta femme fait ça avec un autre, va la retrouver (fo 69).
qu’une femme en ces états s’approche et les vins nouveaux s’aigrissent, les
grains qu’elle touche deviennent stériles, les jeunes greffes périssent, les
plantes du jardin se dessèchent, et les fruits de l’arbre sous lequel elle s’est
assise tombent. Son seul regard ternit l’éclat des miroirs, émousse le tranchant
du fer, efface le brillant de l’ivoire ; les essaims meurent ; l’airain même et le fer
deviennent la proie de la rouille et contractent une odeur repoussante. Les
d’une communauté discursive »8, ce dernier agit comme un programme d’écriture,
ayant un coefficient de potentialités narratives, scénaristiques, métaphoriques élevé.
Quelle valeur (ethno)génétique, partant de là, peut-on accorder à la locution
zolienne ? Quelle est sa rentabilité créatrice ? S’apparentant à ces « embryons
prélittéraires de la littérature (dans la langue et dans le rite) » dont parle Bakhtine9,
elle engendre, au cours de la rédaction, un système sémio-culturel complexe et
polysémique, construit sur une logique du désordre et du monde à l’envers.
Zola note, dans son dossier préparatoire10, cette phrase programmatique
mentionnée à quatre reprises (dans la Fiche personnage de Nana, dans le Premier
plan détaillé, dans le Deuxième plan détaillé, et enfin raturé en cours d’écriture dans
le Deuxième plan détaillé) :
3
La première étape de la lecture logogénétique consiste à décrypter les symboliques
dont cet idiomatisme culturel est porteur pour voir la naissance d’un réseau de
signifiance et ainsi comprendre que l’écriture naturaliste dialogise les croyances (les
manières de dire, de penser et de faire) qui caractérisent une culture. La locution
n’est-elle que la reprise d’une « opinion populaire assez répandue »11 ? Bien au
contraire, elle nous semble s’inscrire dans une complexe configuration culturelle et
sémique qui n’est pas que stéréotype et lieu commun, mais qui sert plutôt à déployer
un ensemble d’images, de figures et de scénarios textuels. Assurément, elle est un des
noyaux principaux de l’invention zolienne.
4
Retraçons brièvement cette conception particulière du corps féminin à laquelle la
locution se réfère. Faisant du sang menstruel un poison dangereux qui contamine,
soit par le toucher, souvent par le regard, diverses matières, végétales, minérales,
humaines ou animales, ce système de créances suppose une continuité cosmologique
et une homologie symbolique entre le corps et le cosmos, où le détraquement du
premier engendre le désordre du second. Comme l’écrit Pline, dans son Histoire
naturelle :
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chiens qui en ont goûté deviennent enragés et le venin de leur morsure est sans
remède12.
on enseignait encore au XIXe siècle que ce sang était impur, qu’il faisait tourner
le vin en vinaigre, aigrir le lait, ternir l’étain. […] La femme qui menstrue n’est
pas un simple tabou comme l’est le porc, la chauve-souris ou le caméléon ; elle
pollue par métonymie. On ne l’approchera pas, on ne touchera rien qui ait pu
être en contact avec son « indisposition »13.
La « nature » de la femme s’énonce ici dans ce jeu de conversion négative des
propriétés de la matière ; nature non domestiquée et non réglée qui, précisément,
dénature l’ordre du monde. Ces croyances n’appartiennent pas à un temps jadis ;
elles sont bien vivantes dans la culture de ce siècle positiviste puisque, comme le
rappelle Thérèse Moreau :
6
L’articulation interdiscursive des avant-textes sur un tel adage populaire
reconfiguré par le travail scriptural dessine une focalisation polyphonique autour des
imaginaires folkloriques de la physiologie féminine : la locution faire tourner unesociété, comme une femme fait tourner le lait suppose une apériodicité du cycle
menstruel et évoque le « pouvoir putréfiant » des femmes lors de leurs
menstruations14. Indice programmatique renvoyant à un réseau de croyances et de
représentations « populaires » relatif à ce que les ethnologues appellent la « période
rousse » de la femme, période où cette dernière est travaillée par un sang dangereux,
« force de séduction tout autant que force d’infection »15, ce schème culturel de la
femme indisposée par un sang ambivalent traverse le dossier préparatoire où Zola
insiste sur la « puissante odeur de femme » que dégage Nana16. Rappelons que,
« dans bien des sociétés du monde, le sang menstruel est considéré comme porteur
de la mauvaise odeur »17. En effet, le sang catéminal se répand non seulement par
contact, mais surtout par son odeur particulière : « On prétendait autrefois, dans le
Midi de la France, que l’odeur exhalée par certaines femmes pendant leurs règles
faisait mourir les vers à soie et tourner le lait »18. Ainsi, on pourrait dire, suivant les
travaux d’Yvonne Verdier, que Nana est symboliquement marquée par « une
infirmité de la périodicité »19 : ayant perdu son « balancier interne » qui organise la
bonne régulation des humeurs et des odeurs, la courtisane zolienne est présentée
dans les avant-textes comme un être constamment déréglé. De surcroît, recouverte
d’un « duvet roux » (p. 1271) et dotée d’une « peau vermeille de rousse » (p. 1434),
elle possède toutes les caractéristiques « maléfiques » des rousses, qui, du point de
vue de la culture, sont symboliquement des hémorroïsses ayant la capacité de vicier
leur entourage par leur puanteur : « si le pouvoir de corrompre provient d’une
haleine marquée, plus violente et plus chaude durant les règles, les rousses, dont on
dit “qu’elles sentent fort”, qu’elles sont dotées d’une mauvaise odeur et d’une haleine
puissante, et cela en permanence, sont spécialement virulentes. »20 Ainsi, le « cul
dans toute sa puissance » prendra l’aspect, dès l’Ébauche, d’une putréfaction et, dès
la Fiche personnage de Nana, d’une odeur. Le ferment de destruction et la
dissolution (fos 211-212) des fortunes et des mœurs apparaissent graduellement dans
le processus d’écriture comme les effets et les conséquences d’une conversion
aromatique des humeurs du corps féminin : Nana « sentant la femme, très femme. »
(fo 191), écrit Zola. Cette dernière apparaît comme une femme dépourvue de son
« balancier olfactif : rousse, toujours odorante, à la fois putride et fascinante, comme
si un cycle détraqué [la] faisait évacuer des règles perpétuelles […]. »21 N’est-ce pas
ce que le roman actualise en faisant du pouvoir de corrompre la société la matrice
principale de la narration : « en trois mois, elle avait corrompu sa vie, il se sentait
déjà gâté jusqu’aux moelles par des ordures qu’il n’aurait pas soupçonnées. Tout
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Il songeait à son ancienne horreur de la femme, au monstre de l’Écriture,lubrique, sentant le fauve. Nana était toute velue, un duvet de rousse faisait deson corps un velours ; tandis que, dans sa croupe et ses cuisses de cavale, dansles renflements charnus creusés de plis profonds, qui donnaient au sexe le voiletroublant de leur ombre, il y avait la bête. C’était la bête d’or, inconsciente de saforce, et dont l’odeur seule gâtait le monde. (p. 1271)
Un moment, craignant de défaillir dans cette odeur de femme qu’il retrouvait,chauffée, décuplée sous le plafond bas, il s’assit au bord du divan capitonné,entre les deux fenêtres. Mais il se releva tout de suite […] songeant à unbouquet de tubéreuses, qui s’était fané dans sa chambre autrefois, et dont ilavait failli mourir. Quand les tubéreuses se décomposent, elles ont une odeurhumaine. (p. 1208)
allait pourrir en lui, à cette heure. » (p. 1270) ? Il insiste, davantage que le dossierpréparatoire, sur l’odeur du sexe et de la rousse :
Sous l’emprise de cet effluve enivrant et vénéneux, Muffat associe d’ailleurs lacourtisane à une exhalaison florale de pourriture humaine :
8
En outre, leur rencontre initiale se faisant sous le signe du langage des fleurssurdétermine l’odeur et la flétrissure : « les bouquets, des roses, des lilas, desjacinthes, mettaient comme un écroulement de fleurs, d’un parfum pénétrant et fort[...]. Il faisait trop chaud dans ce cabinet, une chaleur lourde et enfermée de serre.Les roses se fanaient, une griserie montait du patchouli de la coupe. » (p. 1138. Noussoulignons.) Au contact de la femme mal réglée, les composantes de la matièrechangent, comme si sa présence opérait « un changement qualitatif, un changementde nature »22 et d’état, faisant, littéralement, étioler les fleurs et, symboliquement,altérer les mœurs et pourrir Paris. Cette fétidité toxique de la féminité, associée ici ausexe de Nana par l’entremise des fleurs fanées – « elle cassait tout, ça se fanait, ça sesalissait entre ses petits doigts blancs ; une jonchée de débris sans nom, de lambeauxtordus, de loques boueuses la suivait et marquait son passage » (p. 1433) –, redoublel’idée d’une accélération des processus de décomposition, attribuée à la femmeindisposée, qui, comme l’explique Yvonne Verdier, « précipite une échéancenaturelle, la putréfaction »23. La courtisane a non seulement une aptitude à la muemultiple, mais une capacité prodigieuse à changer les propriétés de la matière, desêtres et des végétaux. À ce titre, elle est un être de la transitivité ; elle génère lepassage d’un ordre à l’autre : faisant tourner le lait et faner les fleurs, ellemétamorphose également les hommes en « meute de chiens ».
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En effet, le romancier écrit, dans son Ébauche, que le sujet de l’œuvre est « touteune société se ruant sur le cul. Une meute derrière une chienne, qui n’est pas enchaleur et qui se moque des chiens qui la suivent. Le poème des désirs du mâle, legrand levier qui remue le monde » (fos 207-208). De cette meute, de « cette pousséedes mâles sur les femelles » (verso du fo 263), retenons, tout d’abord, une conceptionparticulière du désir masculin : « Le modèle du rut animal obsède ; les médecins [duXIXe siècle] ne peuvent s’en dégager ; ils demeurent convaincus que la séduction doitbeaucoup à l’odeur des règles. »24 Ainsi, cet imaginaire de l’élan et du rut participed’une épistémè d’époque voyant dans la menstrue un effluve séducteur, voire unphiltre de désir. Précédant, dans le dossier préparatoire, la première inscription de lalocution idiomatique désignant le pouvoir de gâter le monde, cette imageriecynégétique la suscite-t-elle ? Car la meute en rut fonctionne, à notre avis, en relationavec l’imaginaire culturel faisant du sang cataménial « un agent susceptible dedéclencher des fureurs »25. Cette variation sur la même matrice du dérèglementrappelle que les hommes qui s’avisent de toucher, de sentir ou de goûter cet être
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toxique et tabou risquent de sombrer dans la rage (« le coup de rage chez cechambellan », fo 67), la folie (« Muffat en passe de faire toutes les folies […]. », fo 67)ou la fièvre (« crises de fièvre chaude », fo 100, fo 130). Cependant, ici, la proiepourchassée est certes dotée d’un flux empoisonné, mais son indifférence et safroideur l’immunisent contre l’assaut des mâles en rut. Poursuivie et poursuivantsévoluent de ce fait dans deux états différents, incompatibles. Si l’image de la chienneévoque déjà, à l’instar du « faire tourner », une périodicité à rebours et déréglée, undécalage et une discordance entre le rut masculin et celui féminin, force est tout demême de constater la coexistence ambivalente de deux modèles divergents de lasexualité : celle animale (les chiennes se reproduisent durant leur périodemenstruelle) et celle féminine (la femme qui fait tourner est menstruée) montrantque ce qui importe, pour Zola, c’est que le « baisage » ait lieu en dehors du cyclereproductif, dans des périodes où la procréation est impossible. De plus, lamétaphore de la fécondité canine sert à dire l’embêtement de l’acte sexuel :« l’horreur du baisage chez la fille » (fo 20)26, « elle couche, mais sans plaisir »(fo 62), comme l’écrit le romancier dans ses Plans, ou encore dans le roman où « elleemballait ça, et rondement » (p. 1133). L’absence de chaleur programme l’aversion defaire « ça ». Dans le fond, on s’aperçoit que Zola rejette le cliché de la prostituéecomme être de plaisir et de débauche, il l’a construit plutôt comme n’ayant aucundésir et aucune force procréatrice : elle est l’envers, voire la négation, de lapériodicité génésique. Son pouvoir de faire tourner le lait semble lui provenir de cetteabsence de chaleurs, comme si le sang de la reproduction inutilisé se déplaçait et setransformait pour devenir celui de la destruction. Nana possède dès lors les pouvoirsmaléfiques liés à la puissance des menstrues (le mauvais œil, la putréfaction) tout enétant mithridatisée contre les appels de la nature (l’assaut des mâles, la périodicité dela chaleur).
Le schème culturel d’une physiologie féminine désordonnée et anachronique, telqu’institué dans le dossier préparatoire, est donc fait d’oppositions binaires : n’étantpas en chaleur, mais odorisée d’un souffle ensorceleur, ayant une force faste etnéfaste, Nana est construite par rapport au cycle du sang, qui précisément est lecontrepoint du cycle du lait, qu’elle fait tourner. N’est-ce pas Fauchery qui, après lapremière représentation de La Blonde Vénus, a « un arrière-goût gâté, comme du laittourné à l’aigre » (p. 1114) préfigurant le caillage final27 ? Le sang, les chaleurs, lesodeurs, le lait sont des symboles des étapes biologiques du destin féminin, allant dela procréation à la lactation ; or, la femme menstruée ou qui n’est pas dans unepériode de « rut » s’oppose à la femme enceinte, qui allaite et qui est temporairementprivée d’effluves menstruels. En effet, la femme bien réglée est épouse et mère, elledont le sang, par coction, se transforme en lait28. Au pôle inverse et symétrique, lamal réglée, en marge de la vie conjugale, empoisonne le lait. Ainsi, suivant Lévi-Strauss, « la puanteur est la manifestation naturelle, sous forme incomestible, de laféminité dont l’autre manifestation naturelle – le lait – offre l’aspect comestible.L’odeur vaginale est donc la contrepartie de la fonction nourricière »29. Et, comme ill’explique, « quand [une femme] ne fait qu’accéder à la vie sexuelle, elle sentsimplement mauvais. […] [R]etirez la maternité, reste la puanteur. »30 C’est déjà ceque Jean-Baptiste Silva affirmait en 1744 dans sa « Dissertation où l’on examine lamanière dont l’esprit séminal est porté à l’ovaire » : « Celles qui gagnent leur vie ense prostituant exhalent une mauvaise odeur de toutes les parties du corps ; marquecertaine que toute la masse de leur sang est corrompue. »31 Le code physiologique(pourriture, puanteur) connote donc l’activité sexuelle déréglée de la courtisane et sapratique répétitive du coït qui ne mène pas à la maternité : Nana est incompatibleavec le cycle du lait, qui renvoie à la procréation et à la reproduction32. Donc, faire
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tourner le lait, c’est, en somme, user des corps de jouissance sans s’exposer à la
filiation. Le topos de la prostituée refusant la parturition est réinvesti de façon
originale dans une locution, qui actualise un feuilleté de croyances et de sens révélant
d’autres pouvoirs corporels féminins : aux fonctions génésiques suppléent une odeur
et un sang qui, vecteurs d’une négativité, ensauvagent et décomposent. « L’inconnu
du sexe », s’il ouvre sur un vide33, dégage néanmoins une émanation et une force
mortifères.
Véhiculant un système de créances, savantes, populaires, doxiques, le sang est le fil
rouge de la fabrique du personnage. Retraçons rapidement l’ordre génétique de son
apparition. L’image de la chienne qui n’est pas en chaleur est inaugurale : elle émane
des conversations que Zola a eues avec son informateur Laporte : « Tous menés par
la queue, et la femme recevant ça, indifférente. Une meute derrière une chienne, qui
n’est pas en chaleur. » (fos 268-269). Elle devient centrale dès la première page de
l’Ébauche, car elle est « le sujet philosophique » du roman à venir (fos 207-208).
Ainsi, dans cette première étape de l’écriture, Nana est caractérisée par un manque,
celui des chaleurs ; manque qu’elle gardera tout au long du dossier préparatoire34,
mais qui disparaîtra dans la version achevée du roman. Ensuite, apparaît – toujours
dans l’Ébauche – la métaphore de la décomposition associée au « cul » : « Elle
dissout tout ce qu’elle touche, elle est le ferment, la nudité, le cul, qui amène la
décomposition de notre société » (fo 212). Et, finalement dans la troisième phase
rédactionnelle, celle de la composition des personnages, se met en place
progressivement une sexualité plus clairement définie par son odeur (fos 191-192) et
par son cycle menstruel déréglé. Notons que la locution du « faire tourner » arrive
donc assez tardivement dans le parcours scripturaire (dans la Fiche des personnages
avant de réapparaître dans les Plans). On le voit, la déviation du circuit du sang (de
son absence à sa toute-puissance) suit en fin de compte le processus génétique de
caractérisation du personnage : au fur et à mesure que Nana acquiert une
consistance textuelle et que le scénario du roman prend une cohésion structurelle, le
mystère du sexe sanglant s’épaissit.
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Bien que le texte achevé ne mentionne jamais directement l’énergie menstruelle, la
genèse de Nana tire les fils d’un imaginaire culturel d’une sexualité et d’un cycle
apériodiques – formé d’un réseau de motifs comme la rousseur, l’effluve pestilentiel,
l’excès érotique et la faculté de « faire tourner » – réélaborés, voire euphémisés, par
le roman. Le système symbolique du dossier préparatoire suggère explicitement que
le « cul » est, pour Zola, indissociable de la menstrue déréglée : que Nana fasse
tourner le lait donne la mesure de sa puissance sexuelle et de son pouvoir d’attiser le
désir masculin35. L’entrelacement de ces modalités, culturellement reconnues, du
dérèglement du sang tisse, dans un jeu de renvois et d’inventivités, une configuration
culturelle signifiante, dont les valences sémantiques et narratives modélisent la
matrice métaphorique du récit. Ce sont, en effet, les croyances sur le sang féminin
mal réglé synthétisées dans l’avant-texte et narrativisées par la topique discursive du
caillage du lait qui engendrent la métaphore filée de la putréfaction et qui,
ultimement, activent l’image de la « Mouche d’or ». Ne dit-on pas être « noir comme
une mouche dans un pot de lait »36 pour signifier que la mouche sur le lait est
visiblement en train de l’altérer et de le rendre impropre à la consommation ?
Rappelons également l’expression proverbiale « connaître mouches en lait »
désignant le pouvoir de discerner le blanc du noir37. Ainsi, la Mouche n’est pas
l’image métaphorique qui « déclench[e] l’acte créatif » et qui sert « tout au long de la
genèse à donner sa cohérence (descriptive, thématique, symbolique) au roman
programmé »38, elle est plutôt un variant d’un système symbolique plus général qui
structure la poétique zolienne39. Sans doute faut-il penser que le choix (arrêté dès
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Faire tourner la société : le monde àl’envers
La désorganisation d’en haut par Nana, Sabine et Muffat, comme L’Assommoirest la désorganisation d’en bas. Nana centrale, écrasant tout. Nana, c’est lapourriture d’en bas, L’Assommoir, se redressant et pourrissant les classes d’enhaut, Vous laissez naître ce ferment, il remonte et vous désorganise ensuite. Lamouche d’or. (fo 1)
le circulus social est identique au circulus vital : dans la société comme dans lecorps humain, il existe une solidarité qui lie les différents membres, lesdifférents organes entre eux, de telle sorte que, si un organe se pourrit,
l’Ébauche, fo 214) de la petite vérole pour la mort de l’héroïne s’explique, en partie,par cette logique menstruelle puisqu’une vieille explication médicale, qu’on retrouveencore dans les milieux populaires du XIXe siècle, fait de la variole la « manifestationde l’effort que fait la nature pour purger le corps du sang menstruel retenu dans lesmembres poreux lors de la gestation. »40 Qui contamine qui ? Louiset, le fils, ouNana, la mère ? Le texte est silencieux sur l’origine de la maladie. Soulignonségalement qu’Adam Raciborski, qui a écrit un Traité de la menstruation en 1868,mentionne un lien de causalité entre les deux phénomènes de la menstruation et dela fièvre variolique41. Que Nana, la rousse, la déréglée et la corrompue, meure d’undésordre du sang-poison mal purgé42, qu’elle succombe d’une mauvaise circulationsanguine qui la pourrit, est la conséquence de la symbolique menstruelle qui irrigueles avant-textes. La symptomatologie de la variole considérée par Barthélemy, dansson ouvrage Recherches sur la variole consulté par Zola, comme « une intoxicationaiguë par un poison organique »43 nous semble être réinvestie par le texte zolien :Nana s’empoisonne littéralement de son sang. Ainsi, les règles déviées trouvent-ellesune nouvelle voie de sortie, passant du bas vers le haut : « il semblait que […] ceferment dont elle avait empoisonné un peuple, venait de lui remonter au visage etl’avait pourri. » (p. 1485). Rappelons que, dans le dossier préparatoire, le « fermentd’en bas qui remonte » est associé à la « puissante odeur de femme […] faisanttourner la société » à l’instar des femmes qui ont leurs règles44.
La narrativisation de l’« énoncé de la croyance »45 sur le sang menstruel supposeune remotivation et un travail d’invention qu’on remarque notamment à travers lastructure binaire de la locution idiomatique telle que Zola la construit. Le doublemotif du « retournement » – faire tourner la société, comme les femmes fonttourner le lait – marque une refonte du système de croyances : par un procédéd’amplification métaphorique, Nana fait tourner Paris en le putréfiant. Un premierdegré de codification fait de la locution un programme et une forme modalisés de ladécomposition sociale, ce qui rejoint la trame narrative principale du roman énoncépar Zola sur la première page de son Plan :
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Notons que l’idiomatisme du « faire tourner », à chaque apparition dans le dossierpréparatoire, s’épure de détails comme si l’explicite de la croyance populaire relativeau sang toxique devait graduellement céder sa place à un système métaphorique filéde façon diffuse qui se réfère à une conception scientifique et esthétique de lapourriture sociale. Dans l’œuvre zolienne, la société est en effet pensée comme unorganisme. Comme l’écrit Zola, dans son Roman expérimental qu’il rédige en mêmetemps que Nana :
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beaucoup d’autres sont atteints, et qu’une maladie très complexe se déclare46.
L’idée d’une désorganisation sociale par un élément de la totalité est un principe
organisateur des Rougon-Macquart, où le corps et la société sont toujours en
interrelation. Ainsi, il s’agit bien d’un système symbolique complexe, perceptible
sous la forme d’un continuum où chaque code (social, biologique, économique)
s’emboîte l’un dans l’autre et reliant, dans une homologie structurelle, la
contamination sociale à un désordre du corps. Ou pour le dire autrement, l’écart de
la femme à l’observance d’une périodicité, par un processus de transmission,
engendre une entropie sociale, ce qui est déjà un des codages sémantiques des
croyances véhiculées par la locution.
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Un deuxième degré de codification de l’énoncé renvoie à un sens plus diffus, mais
global. Assurément, il faut entendre dans le « faire tourner » une autre texture
symbolique qui provient du haut coefficient de transposabilité de la locution : fairetourner Paris, c’est mettre le monde à l’envers et le révolutionner par toute une série
de dérèglements et d’inversions de rôles, de sexes, de fortunes. Le récit commence
précisément par un « carnaval des dieux » qui descendent sur terre (passage du haut
au bas, mélange des dieux et des humains) et se termine par l’annonce de la guerre,
deux formes de mondes à l’envers, qui redoublent l’intrigue principale de la
désorganisation sociale et le renversement du bas et du haut (fo 1) qui caractérise le
roman. On le voit, le topos du mundus inversus47 est inscrit dès la genèse et dans
l’idiomatisme culturel. Certainement parce que Nana est une « allégorie de
l’Empire »48, elle qui naît en 1851 et meurt en 1870, le texte narrativise ce jeu du
« monde renversé » dont parle Zola dans sa critique de ce second Empire assoiffé de
« mascarades », où les hommes « deviennent des femmes », s’« habille[nt] en
courtisane » et se font « fouetter en place publique »49. Programmer l’action
symbolique de « faire tourner la société », c’est établir le socle du roman à venir sur
une esthétique carnavalesque, qui est, suivant Bakhtine, un « spectacle sans la rampe
et sans la séparation en acteurs et spectateurs », un renversement de l’ordre
hiérarchique, une abolition des distances sociales et des barrières symboliques qui
déterminent la vie en dehors du temps de Carnaval50 ; en somme, un monde à
l’envers, comme l’écrit Zola dans sa genèse : « l’envers de ce monde » (fo 31). Et, « à
cheval » sur ces deux « intérieurs » (fo 71), Nana, « centrale », est le pivot de ces
mondes instables : à l’exemple d’une Fortune, elle fait tourner la roue de l’Empire.
Trônant temporairement sur ce « monde singulièrement mêlé » (p. 1103), elle
apparaît, à l’instar de sa mère, Gervaise, qui a été reine de Mi-Carême, comme une
reine de carnaval qui sera in-détronisée51, elle dont le « c. » est ambivalent, tout à la
fois « générateur et destructeur » (fo 106, fo 150) au même titre que le carnaval est
fondé sur un « temps destructeur et régénérateur »52. Dès lors, il n’est pas étonnant
que, enfiévré d’« images chaudes [qui] le poursuivaient » dans lesquelles « Nana nue,
brusquement, évoqua Sabine nue », Muffat trébuche, déséquilibré par cette « vision,
qui les rapprochait dans une parenté d’impudeur » (p. 1277-1278). Ce schème de
l’inversion sexuelle, hiérarchique, sociale, dont l’image de Muffat le chambellan en
chien constitue l’apothéose53, ne révèle pas pour les réaffirmer, comme dans les rites
et les carnavals, les structures sociales en en montrant la forme inversée, mais offre
plutôt une dramatisation d’un désordre généralisé et permanent. Espace-temps de
l’interstice et du « rapprochement », qui permet le passage d’un monde à l’autre,
« l’échappée continuelle sur Nana » (fo 25), programmée dans les Plans, dévoile
l’abolition du monde à l’endroit ; l’envers, comme chronotope du bouleversement des
valeurs, de la réunion des contraires, du déplacement des rôles, de l’« engrenage
inattendu » qui altère ou précipite « le cours des phénomènes naturels […] en
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Faire tourner le mythe : la forge deVénus
Elle grandit encore à l’horizon du vice, elle domina la ville de l’insolence
affichée de son luxe, de son mépris de l’argent, qui lui faisait fondre
publiquement les fortunes. Dans son hôtel, il y avait comme un éclat de forge.
Ses continuels désirs y flambaient, un petit souffle de ses lèvres changeait l’or
en une cendre fine que le vent balayait à chaque heure. (p. 1432)
faussant les lois qui règlent la succession des causes et des effets »54, a pris le dessus.
D’ailleurs, l’écriture programmatique du dossier préparatoire suggère la confusion
généralisée. On y retrouve une signalétique du parallélisme qui crée des effets de
symétrie : « La cocotte et la cocodette. Poser le parallèle » (fo 31), « Parallèle
continuel » (fo 37) entre les deux mondes, les « deux musiques du chapitre » (fo 25),
évoquant les deux soupers de la comtesse et de Nana. À ces balises paramétriques
distinguant et comparant les opposés fusionnent celles de la rencontre – « Mes deux
mondes pourraient se rencontrer dans un chemin » (fo 64) – et d’une contamination
entre les règnes humain, animal, divin : Nana étant tout à la fois « la Mouche d’or »,
« la chienne », « l’idole », « le diable ». Et enfin surgissent ponctuellement les
marqueurs d’un mélange entre les romans, car « les Muffat sont les Coupeau.
désorganis. d’une famille par la luxure » (fo 25) : la désorganisation d’en haut est
bien la même que celle d’en bas. On a véritablement affaire à la genèse d’une
esthétique de la confusion carnavalesque, qui caractérise également, on s’en doute, le
roman. Rappelons que l’incipit s’ouvre sur la pièce de théâtre La Blonde Vénus dont
l’intrigue a lieu « en plein mardi gras » (p. 1111)55. Orchestré par une macrostructure
du « retournement » des limites organisant les espaces (porosité entre le foyer des
Muffat et celui de Nana, ou encore « le monde du théâtre [qui] prolongeait le monde
réel dans une farce grave », p. 1210), les temps (le récit se déroule entre le temps du
carnaval et celui de la guerre), les trajectoires et les destinées des personnages
(interversion des rôles sexués, permutation des places, dédoublements et déviations
des destins familiaux, etc.), les romans (l’écroulement des Muffat est une variation de
« la fin des Coupeau », fo 135), l’économie textuelle est structurée par une logique
carnavalesque du désordre, dont le corps de Nana est la matrice métaphorique. Ce
dérèglement physiologique et cette suspension de la temporalité des règles sont une
manière de dire le désordre du second Empire, cette « fête impériale » et ce
« carnaval permanent », qui est une période « trouble » et déréglée d’inversions et de
renversements56.
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Certaines images n’apparaissent pas dans le dossier préparatoire, et, pourtant,
elles sont tributaires du travail de bricolage et de combinaison, d’essais et de ratures,
à l’œuvre dans la genèse du récit. Ainsi, à l’image du sexe putrescible mettant le
monde à l’envers, qui traverse l’avant-texte, s’ajoute, dans la version achevée du
roman, une mythologie de la forge qui opère sur le rapprochement d’opposés et la
conjonction des contraires. Dans tous les cas, on retrouve toujours le même
processus de transformation (négative) du monde et des êtres. Le roman fait donc de
l’hôtel de Nana une « forge » destinée à « fondre publiquement les fortunes » :
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Le motif de la forge fusionne la symbolique de la physiologie féminine et du monde
à l’envers : il est indissociable de cette capacité du sexe de Nana à faire tourner les
matières pour en modifier les composantes et pour désorganiser la société : « Elle
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De cette forge merveilleuse, / Voyez les effets surprenants : / Intempérance,
humeur fougueuse, / S’envolent en quelques instants. / D’une amitié
constante, / Docile influence, / L’homme, chose étonnante, / Est un être
charmant ! / Cette forge, en vérité, / Merveille / Sans pareille, / Rend, par sa
propriété / L’esprit et la bonté59.
nettoie, elle liquéfie tout. […] Elle dissout tout ce qu’elle touche […]. » (fo 212)
Putréfaction, caillage, nettoyage, liquéfaction, dissolution (des substances, mais aussi
des mœurs), les multiples opérations réalisées par ce sexe-« outil » (p. 1467)
polyfonctionnel transmuent non seulement les éléments constituants, les faisant
passer d’un état à un autre, mais également les hommes en ruines de chair. Sur le
modèle inversé de Midas, elle change, avec son sexe-enclume57, l’or en cendre ; et,
régissant la destinée de ses amants, elle s’apparente à la Dame Fortune, qui fait
tourner sur sa roue les fortunes.
Cette forge féminine rappelle l’imagerie populaire de La Forge merveilleuse, éditée
chez Dembour (Metz) vers 1840, où une maîtresse de forge rend aux épouses leurs
maris guéris de leurs défauts, après les avoir passés par le feu réformateur et par
l’enclume féminine58. Elle s’adresse à la foule :
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Version inversée et féminine du forgeron Lustucru qui reforge et repolit les têtes
de femmes acariâtres, fantasques, enragées, etc.60, l’iconographie populaire de la
forge merveilleuse montre un monde aux frontières bien délimitées : on retrouve
d’un côté un univers désorganisé d’hommes « mauvais » (le brutal, le paresseux,
l’ivrogne, le jaloux, le joueur, le libertin ou le volage, l’avare, le gourmand) et, de
l’autre, un univers où les « maris forgés à neuf », « rendus excellents »,
reconquièrent leurs épouses. La forge est une initiation restaurant et scellant les liens
du mariage. Or, l’histoire que raconte La Blonde Vénus lors de la scène d’ouverture
du roman nous semble être une rénovation de ce thème du façonnage des époux et
des épouses. En effet, l’intrigue est déclenchée par « une plainte des cocus qui se
plaignent du trop d’ardeur de leur femme. C’est la faute à Vénus. » (fo 4). Vénus
(jouée par Nana) a, en effet, enflammé les épouses, et les dieux décident de
descendre de l’Olympe pour « procéder à une enquête sur la Terre, avant de satisfaire
les maris trompés » (p. 1108). Après ce passage carnavalesque sur terre des dieux61,
le chœur des cocus revient « pour dire qu’ils sont bien plus malheureux depuis que
leurs femmes restent au logis. » (fo 5). La Blonde Vénus remanie les schèmes
narratifs des légendes et des contes des époux reforgés : les cocus demandent aux
dieux – ils implorent plus précisément Vulcain, le forgeron, mari de Vénus et « dieu
des cocus » (p. 1107) – de refondre leurs femmes, c’est-à-dire de renverser leur
nature ardente et de les remettre à l’endroit. Redevenues de « bonnes » épouses,
elles ne trompent plus leurs maris et sont désormais des femmes au foyer. Or, la
moralité de la pièce est que le monde à l’endroit (l’univers matrimonial) n’est pas
toujours mieux que le monde à l’envers (l’univers de la débauche). Elle suggère
également une possibilité de passage entre ces deux univers qu’une forge sépare.
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Sur un plan plus général, le roman, à son tour, remotive ce schème du façonnage
matrimonial, social et sexué. Il fait tourner le mythe et l’imagerie populaire. En effet,
comme Vénus qui souffle une ardeur aux épouses, Nana, s’appropriant le savoir du
feu de Vulcain, reforge les hommes : elle initie tout autant les jeunes garçons
(Georges, Daguenet, Philippe) que le mari mûr (Muffat) aux plaisirs de la chair.
N’est-elle pas la cause directe du retour d’âge de Muffat, ou comme l’écrit Zola dans
ses Plans, de « sa jeunesse qui remonte » (fo 50 et fo 53) ? Précisément, la forge
merveilleuse est, selon les légendes, un lieu où les vieux maris, rajeunis par le feu qui
leur insuffle une nouvelle vitalité, retrouvent une deuxième jeunesse62. La
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symbolique de la forge « conjoint les contraires complémentaires et refond, pourmieux les refaire, les principes masculins et féminins »63. Ainsi ressortent des marisou des épouses remis à neuf, car « la cuisson de la forge fusionne, agglomère, en unmot colmate les béances qu’on peut bien qualifier d’ontologiques et que seul lemythe, qu’il soit récit ou rite, rend pensables. »64 Toutefois, dans le roman de Zola, labéance est celle du sexe ; dans ces conditions, au lieu de rénover les caractères et derefaçonner, pour les améliorer, les partenaires, la forge de Nana favorise unecorruption, une fêlure qui fait mal tourner les hommes : « Mais Nana l’empoigne[Philippe] et le voilà qui tourne mal pour elle » (fo 211) ; « La fille mariée par Nana àun de ses amants de cœur (amant de cœur au moment où a lieu la scène du théâtre.)Et ce ménage aussi tournant mal. » (fo 213). L’initiation sexuelle, métaphorisée par letransit à la forge, est dévoyée : à défaut de faire de bons maris, la courtisane pervertitet détraque le système matrimonial, qui tourne précisément à l’envers. Ainsi, commele suggère É. Reverzy, « le corps de la courtisane est le produit réactif qui modifie latrajectoire des personnages qui entrent en contact avec lui. »65 En effet, le pouvoirmal maîtrisé de la fille transforme et déforme les corps, les êtres et la société, car soncorps « fait tourner » les destins. D’où l’éventail des générations masculines qui vontpasser à la forge et dont les trajectoires biochronologiques seront déviées : un jeunegarçon (Georges Hugon), des jeunes hommes (Daguenet, Fauchery, Hector de laFaloise, Philippe Hugon), des hommes mûrs (Muffat, Steiner) et un vieillard(Chouard). Tous sont, à plus ou moins d’égards, à des tournants de leur vie, à desmoments charnières et dangereux que constituent les passages d’un âge, d’un état,d’un statut à un autre (adolescence, jeunesse, fiançailles, retour d’âge, vieillesse). Àl’instar du forgeron, « maître des liens et “faiseur” du corps », qui refaçonne les corpset les mœurs et qui possède par conséquent un « savoir d’initié, [une] science desseuils ayant trait aux forces régissant la destinée du monde et de l’homme »66, Nana,sans distinction d’âge, fait (mal) « passer » les hommes, qui devraient, suivant leschème populaire, retourner vers leurs femmes. Mais, c’est précisément l’inverse quise produit : « tout le monde offre à Nana de l’épouser. Georges surtout (c’est ce quimène à son suicide.) Mais elle bonne fille refuse. Elle n’a pas besoin de ça. » (fo 107)« Tous veulent l’épouser. Le refrain. Toute une société se ruant elle pas en chaleur. »(fo 142) On comprend que Nana ne veuille (et ne puisse) pas se marier : celle qui sedonne à tous ne peut se donner à un seul. Dans cet univers bordelisé du secondEmpire qui a perdu tous ses repères, le monde légitime « d’en haut » rêve demésalliance, voulant faire de la courtisane, qui appartient au monde « d’en bas », unefille bonne à marier. Aspirant à lui fonder un foyer (le texte mentionne troispendaisons de crémaillère), les hommes cherchent à reforger son statut symboliqueen tentant de domestiquer et de régler la sauvagerie du sang / sexe par le mariage etla procréation. Immunisée contre la « chaleur » (du foyer, du rut et de la forge),Nana est immariable. Ainsi, aux deux mondes séparés (l’un masculin perturbé,l’autre conjugal rénové) par le passage à la forge, représentés dans l’estampe de 1840,s’oppose, dans le roman zolien, une désorganisation généralisée, comme dans LaBlonde Vénus où l’univers d’en haut et celui d’en bas sont tous deux caractérisés pardes détraquements familiaux. Sans doute, Nana, par son contact permanent avec lesforces du désordre, est-elle appelée à dérégler, davantage, les rapports sociaux et leslois de l’échange matrimonial, car, comme le dit le proverbe en son savoir archaïque,« l’enclume de femme rompt tous marteaux ».
La trame narrative principale du roman, celle de la décomposition du foyer desMuffat, passe donc par l’abolition des frontières entre les espaces sociaux (celle de lacocotte et de la cocodette, écrit Zola dans le dossier préparatoire), entre les âges (levieux Chouard, Muffat, Georges qui incarnent, en somme, les trois âges de la vie
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masculine), entre les lieux (le bas et le haut), entre les sexes (les hommes féminisés),entre les espèces (l’animalisation des personnages). Nana, la forgeronne, réunit leséparé, remanie les identités, ensauvage le domestique, rapproche ce qui devraitrester éloigné (par exemple, elle a des relations avec les deux frères Hugon, ce qui estconsidéré pour Georges comme un « inceste », p. 1437), abolit les distinctions et lesidentités, fait mouvoir les opposés. Associé aux opérations de refonte et deretournement des propriétés de la matière, le sexe, polymorphique, a une fonctionmédiatrice dans les processus de transformations et de transferts (putréfier, forger,dissoudre, mais aussi initier, etc.) qui jouent sur le mariage des contraires67, sur laconjonction du discordant et, ultimement sur la destruction : il est bien un mythe,coalisant les incompatibilités et les ambivalences.
En somme, l’énoncé de croyance, remotivé par la prose zolienne, sert de tremplinvers un système global de tropes alliant le corps et la putréfaction qui réoriente lesémantisme culturel de la topique discursive vers un sens généralisé : le sang desrègles que l’on voit couler, signe d’une force sexuelle véhiculée par un puissanteffluve, empoisonne les hommes, et est également l’agent du sang que l’on fait couler.Ce que dit en creux la locution, c’est que la sexualité mal réglée ne fait que« précipiter une échéance », un désordre déjà là, une confusion déjà latente. Lachienne qui n’est pas chaleur, le « cul » qui fait tourner le lait, la forge-utérus quidissout les fortunes et corrompt les mariages68 font partie du même système decréances signalant une « insubordination physiologique » qui renvoie à une« insubordination sociale » d’une femme qui n’est pas soumise à des règles69. Lemotif de la mauvaise circulation du flux féminin, qui apparaît dans les avant-textes,rend prédictif la perturbation des autres formes de circulation structurant le roman :flots de paroles, notamment dans l’incipit où « on n’entend que [l]e nom [de Nana] »(fo 6) ou encore au chapitre III où « la conversation continuera, coupée par les aparte sur le dîner de Nana » (fo 26) ; afflux des « chiens », au chapitre II, qui fontchez Nana « une queue dans l’escalier » (fo 18) ; flux monétaire (la dissolution desfortunes) ; circulation matrimoniale, etc. Comme l’écrit F. Héritier, « la circulationdes flux doit donc être correctement réglée »70, sinon la société encourt de gravesdangers. Ainsi, la locution et les images que le dossier préparatoire met en œuvrepour préciser la nature de ce sexe putrescible favorisent des rapports homologiqueset des transferts symboliques entre le corps et la société : le cycle sanglant de Nanareproduit celui du second Empire, et le dérèglement du premier est le substrat surlequel se développe la matrice métaphorique du roman. Ou pour le dire autrementavec Lévi-Strauss, l’idiomatisme culturel sert « à définir une loi d’équivalence entredes contrastes significatifs qui se situent sur plusieurs plans »71 : physiologique (fairetourner le lait : menstruation), social (faire tourner la société : putréfaction etinversion), économique (faire tourner les fortunes : dissolution), humaines (faire maltourner les hommes : déviation), historique (carnaval, guerre, le Second Empire :monde à l’envers), temporel (temps à rebours, roue de fortune, périodicité de lafemme)72.
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Au bout du compte, c’est la poétique zolienne qui établit ces permutations etcombinaisons symboliques. On comprend pourquoi Nana est un personnage« central » de l’œuvre de Zola : en effet, son pouvoir d’altérer la matière et les destinsne l’apparente-t-elle pas, comme un double inversé, à l’écrivain qui – les dossierspréparatoires en sont la preuve – travaille sur la matière brute pour la convertir enfiction. Le travail de l’écriture tel qu’on le voit à l’œuvre dans les avant-textes montrele processus de transformation des valences sémantiques de la croyance et del’image, il fait, lui aussi, tourner les propriétés du matériau culturel, littéraire,symbolique, en emboîtant les règnes animal et humain, en créant une confusion
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l’écriture [zolienne est] hantée par les changements d’états de la matière, lesdéplacements de frontières et de limites entre les grandes catégoriesculturelles : elle interroge souvent les mouvements, les passages transitoires del’une à l’autre, qui signalent à la fois l’irréductible pouvoir de la vie mais aussi lebrouillage, inquiétant, des classifications qui fondent toute civilisation (enparticulier, pour Zola, celle du XIXe siècle européen finissant), et de leurvalorisation (en termes de pureté / impureté par exemple)73.
Notes
1 É. Zola, Nana, Les Rougon-Macquart, t. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade »,1961, p. 1269-1270. Désormais les références à ce roman renvoient à cette édition et serontinscrites directement dans le corps du texte.
2 Article « tourner », Dictionnaire de l’Académie française, 6e édition, 1835. En ligne,Dictionnaire d’autrefois, The ARTFL Project, Université de Chicago :<artflsrv01.uchicago.edu/cgi-bin/dicos/pubdico1look.pl?strippedhw=tourner>3 É. Littré, article « tourner », Dictionnaire de la langue française, 1872-1877. En ligne, ibid.
4 Sur le chantier ethnocritique de la logogenèse, on consultera le programme de recherchedisponible en ligne sur le site suivant : www.univ-metz.fr/recherche/labos/celted/axes/litterature/litterature-axe3.html. Pour un premierexemple de lecture logogénétique, voir J.-M. Privat, « Parler d’abondance. Logogenèses de lalittérature », Romantisme, no 145, 2009, p. 79-95.
5 J.-M. Privat, « Logogenèses », www.univ-metz.fr/recherche/labos/celted/axes/litterature/litterature-axe3.html6 Ph. Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », Littérature, vol. 6, no 6, 1972,p. 106 [en note].
7 J.-M. Privat et M. Scarpa, « Présentation. La culture à l’œuvre », Romantisme, no 145, 2009,p. 3.
8 Ibid.
entre les statuts de la femme (la prostituée et l’épouse, la cocotte et la cocodette), enrenversant l’ordre des valeurs et des relations sociales, en remotivant les scénariosmythiques. Et, comme le rappelle M. Scarpa :
La puissance de retournement, d’inversion, de transformation de Nana n’est-ellepas à l’image de cette écriture zolienne qui rend poreuses et qui fait fluctuer lesfrontières entre les grandes catégories anthropologiques (mort / vivant,féminin / masculin, vieillesse / jeunesse, animal / végétal / humain, etc.) ? Dès lors,est-il étonnant de retrouver dans le « monde à part » la prostituée dans un côte-à-côte avec l’artiste ? N’ont-ils pas tous deux la capacité de convertir les codes quistructurent la société et de réinventer le réel ? Or, contrairement à l’écrivain quiproduit une œuvre, Nana ne génère que des ruines, de la cendre et des morts. Etpourtant à la toute fin du dossier préparatoire, le sexe, curieusement, subit uneétrange transfiguration : « Là, faire encore monter le sexe. Le C. transformé en soleil,rayonnant. » (fo 143). Le cul devenu « autel » et « soleil » n’est plus associé au cyclelunaire des menstrues ni à une force putrescible du bas-corporel, mais bien à uncorps céleste et stellaire : c’est que, dans le dernier feuillet de ses Plans, Zola prévoitde conclure son roman sur une autre métamorphose : « Le poème du c. qui a servi auplaisir, et qui redevient générateur. » (fo 162), à l’image de la roue de Fortune qui afait un tour sur elle-même, d’un cycle féminin qui passe d’un registre de la puanteuret de la putréfaction à celui de la maternité, ou encore d’un régime, le second Empire,qui se termine dans la décomposition. Sur ces ruines et sur ce sang, peut-être, gît unespoir de germination.
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9 T. Todorov, Mikhaïl Bakhtine. Le principe dialogique suivi de Écrits du Cercle de Bakhtine,Paris, Seuil, « Poétique », 1981, p. 126.
10 Dossier préparatoire de Nana, BnF, NAF 10313, 344 feuillets, reproduits et éditésintégralement par C. Becker (avec la collaboration de V. Lavielle), La Fabrique des Rougon-Macquart, t. II, Paris, Honoré Champion, 2006, p. 159-598. Désormais le numéro des foliossera inscrit dans le corps du texte.11 Note de M.-F. Azéma dans l’édition du Livre de Poche de Nana (2003, p. 235).
12 Pline, Histoire naturelle, cité par Cl. Humeau, Procréer : histoire et représentations, Paris,Odile Jacob, coll. « Médecine », 1999, p. 270. De même, comme l’explique D. Jodelet, « laphysiologie basée sur la théorie des humeurs donne matière à toute une série de croyances surla puissance néfaste de la femme. Les sécrétions et superfluités qui, accumulées dans la“sentine” d’un corps trop froid et humide pour les brûler, deviennent poison et font du sangmenstruel un vecteur du mal conférant à la femme une nature meurtrière. Cette puissancemortifère trouve son expression la plus forte dans les risques que fait courir le regard : l’œilimprégné par le flux menstruel dégage des “humeurs venimeuses” qui atteignent le cœur ettuent, faisant surgir l’image d’animaux inquiétants avec lesquels la femme a des affinités : lebasilic et la méduse dont la seule vue foudroie. » (« Imaginaires érotiques de l’hygièneféminine intime. Approche anthropologique », Connexions, vol. 1, no 87, 2007, p. 122. Voirhttp://classiques.uqac.ca/contemporains/jodelet_denise/imaginaires_erotiques_hygiene/imaginaires_erotiques.html
13 T. Moreau, « Sang sur : Michelet et le sang féminin », Romantisme, no 31, vol. 11, 1981,p. 152.14 Y. Verdier, Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la couturière, la cuisinière, Paris,Gallimard-NFR, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1979, p. 20.
15 Ibid., p. 46.
16 Par exemple, à propos de la scène derrière le rideau au chapitre V, Zola écrit : « le souffle debordel, l’éclat, l’odeur, la chaleur » (fo 49).17 F. Héritier, « La Mauvaise odeur l’a saisi. De l’influence du sperme et du sang sur le laitnourricier », Masculin / Féminin. La Pensée de la différence, 1996, p. 156.
18 A. Pecker, Hygiène et maladies des femmes au cours des siècles, Paris, Dacosta, 1972,p. 108.
19 Y. Verdier, op. cit., p. 47.20 Ibid., p. 46. Ne dit-on pas de la femme poilue qu’elle est « toujours menstruée », car sa« puissance virile qu’elle acquiert [par le poil] lui sert en quelque sorte à renforcer son pouvoir,qui est essentiellement d’ordre sexué : “plus poilue, plus désirée” […] » (F. Loux et R. Richard,Sagesses du corps. La santé et la maladie dans les proverbes français, Paris, G.-P.Maisonneuve et Larose, 1978, p. 38.). Ainsi, « inversée ou renforcée, la sexualité apparaît doncà travers certaines caractéristiques du corps considérées comme déviantes. Redoutée etdénigrée, elle est toujours présente et son côté féminin est profondément marqué. » (Ibid.,p. 38). De même, la rousseur de Nana redouble, voire surdétermine, précisément son pouvoirde faire tourner la matière, car, dans l’imaginaire culturel, la rousse est une femme rougemarquée par le sang féminin : « Les femmes rousses sont rouges, rouges de la couleur du sang.La croyance populaire rapporte que l’enfant roux est un enfant qui a été conçu durant lesrègles de sa mère. Aussi, tout se passe comme si les rousses étaient affligées de l’odeur, del’haleine et de la réceptivité qui seraient la manifestation d’un état de règles permanentes. »(Y. Verdier, op. cit., p. 47.) Nana est, en quelque sorte, marquée par une double imprégnation :l’une masculine et biologique (la théorie de l’imprégnation faisant qu’elle ressemble davantageau premier amant de sa mère, Auguste Lantier, qu’à son père, Coupeau) ; l’autre féminine etsymbolique (sa rousseur qui renvoie à une transmission par le sang menstruel maternel).Notons, de plus, que la rousse partage avec la boiteuse, dans l’imaginaire populaire, une« réputation amoureuse » (Ibid.). La claudication de Gervaise, la mère de Nana, marque lecorps d’un déséquilibre, mais aussi d’un pouvoir de séduction aiguisé : Mme Lerat, « toujourspleine d’allusions polissonnes » à l’égard de Gervaise, appelle « la jambe de la petite une quilled’amour ; et elle ajoutait que beaucoup d’hommes aimaient ça, sans vouloir s’expliquerdavantage. » (Pl., t. II, p. 442.) Si la boiteuse est déséquilibrée sur le plan physique, la roussel’est sur le plan menstruel.
21 A. Corbin, Le Miasme et la jonquille. L’odorat et l’imaginaire social aux XVIIIe-XIXe siècles, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1986, p. 52. Voir aussi Y. Verdier, op. cit.,p. 19-74.
22 Y. Verdier, op. cit., p. 37. « Pendant leurs règles, elles-mêmes n’étant pas fertiles, les
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femmes entraveraient tout processus de transformation rappelant une fécondation […]. Leur
présence ferait avorter toutes ces lentes gestations […]. Leur effet est de dissociation, elles
rompent les chaînes des éléments qui doivent, en se combinant par fusion, engendrer un
nouvel état, amener un changement qualitatif, un changement de nature à l’image de la
procréation. Cet effet de dislocation sur le plan chimique renvoie à un effet de rupture sur le
plan socio-économique. » (Ibid.)
23 Ibid., p. 21-22.
24 A. Corbin, op. cit., p. 52.
25 B. Hell, Le Sang noir. Chasse et mythe du Sauvage en Europe, Paris, Flammarion,
« Champs », 1994, p. 137.
26 Au f° 18, Zola écrit : « l’horreur du b. »
27 Rappelons que c’est lui qui écrit le texte de la Mouche d’or où apparaît l’expression
idiomatique.
28 Voir M. Caisson, « Le Four et l’araignée », Ethnologie française, vol. 6, 1976, p. 374.
29 Cl. Lévi-Strauss, Mythologiques, t. I, Le Cru et cuit, Paris, Plon, 1964, p. 276.
30 Ibid., p. 276-277.
31 J.-B. Silva, « Dissertation où l’on examine la manière dont l’esprit séminal est porté à
l’ovaire », dans Dissertations et consultations médicinales par Chirac et Silva, t. I, Paris,
Durand, 1744, p. 189.
32 Cependant, Nana, comme tout mythe, est ambivalente : ainsi, à la fin du chapitre IV, elle va
au bois de Boulogne pour « boi[re] du lait » (p. 1195), ou encore à propos de l’idylle de vierge
avec Zizi à la campagne, Zola note « Une chaumière, du lait » (fo 59) associant clairement le
lait à la pureté de l’enfance. De même, elle « couv[e] [Fontan] d’un regard de femme enceinte,
qui a envie de manger quelque chose de malpropre » (p. 1210). Cette phrase se rapporte,
encore une fois, à une symbolique du dérèglement du corps féminin. De même, l’image du lait
caillé est ambivalente, car sa fonction est, selon Nicole Belmont, « de représenter le passage de
l’état liquide des semences et du sang à l’état solide du corps de l’enfant ». Ainsi, suivant cette
logique mythique et symbolique, faire cailler le lait évoque le processus de conception : « Cette
métaphore, image ou analogie, compare l’action de la semence masculine sur le sang de la
femme (ou sa semence, si on lui en accorde) à celle de la présure sur le lait, qui le caille, le
coagule et permet de le transformer en fromage. » (« L’enfant et le fromage », L’Homme,
no 105, t. 29, 1988, p. 13-14).
33 Voir à ce sujet : P. Brooks, « Le Corps-récit, ou Nana enfin dévoilée », Romantisme, no 63,
1989, p. 67-86 ; P. Krumm, « Nana maternelle : oxymore ? », The French review, vol. 69, no 2,
décembre 1995, p. 217-228.
34 À propos du chapitre I, Zola note : « La salle en rut » (fo 10), « Un grand rut dans la salle »
(fo 12) répète-t-il ensuite, toujours à propos de l’effet que Nana a sur son public. En haut sur la
page commençant le plan du chapitre II, il écrit, de travers, « continuation du rut, avec Nana
ennuyée de faire ça. » (fo 14). Et plus loin, « c’est la suite du rut de la veille, les chiens ont suivi
l’odeur de la chienne et sont venus. […] Il y a une queue dans l’escalier. » (fo 18) De même,
pour son chapitre VI, qui se déroule à la campagne : « Quand Nana est à la campagne, tous les
hommes vont là, comme s’il y avait là une chienne en chaleur. » (fo 64). En note pour le
chapitre XIII : « Toute une société se ruant, la chienne en folie. Elle n’est pas en chaleur et se
moquant des chiens qui la suivent. » (fo 104). Et, enfin, au chapitre XIII : « Toute une société
se ruant, la chienne en chaleur Elle n’est pas en chaleur et se moque des chiens qui la suivent »
(fo 150).
35 « Tout se passe comme si faire tourner un saloir donnait la mesure de l’ardeur amoureuse.
Les règles jouent le rôle d’affichage de la sexualité. La forte odeur qui est associée au sang
menstruel et qui passe dans le souffle devient ainsi manifestation de la force du désir de la
femme et, en retour, attise le désir de l’homme. » (Y. Verdier, op. cit., p. 45-46).
36 P. Sébillot, Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne, t. II, Paris, Maisonneuve et
cie, 1882, p. 296.
37 Fr. Noël et M. L. J. Carpentier, Dictionnaire étymologique, critique, historique,
anecdotique et littéraire, t. II, Paris, Librairie le Normant, 1859, p. 375. L’expression apparaît
dans deux poèmes de Villon : « Rien ne connois. – Si fais. – Quoi ? – Mouche en lait ; / L’un
est blanc, l’autre est noir, c’est la distance » (Le Débat du cœur et du corps de Villon) et « Je
connois bien mouches en lait » (Ballade des menus propos).
38 Comme l’explique Hamon, « on peut trouver, avec une fonction incitative et générative, un
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certain nombre d’images qui semblent bien, dès l’Ébauche, avoir servi à assister et guiderl’écrivain dans sa mise en place des scénarios. On peut parler de logogenèse. Ces métaphoresdéclenchent l’acte créatif, mais aussi seront en quelque sorte “filée” et serviront tout au long dela genèse à donner sa cohérence (descriptive, thématique, symbolique) au roman programmé :la métaphore de la “mouche d’or”, issue de la “Goutte-d’or”, pour Nana […] ». (Le Signe et laconsigne. Essai sur la genèse de l’œuvre en régime naturaliste. Zola, sous la dir. de P. Hamon,Genève, Droz, 2009, p. 161.) Or, force est de constater que l’image de la « mouche » arriveplutôt tardivement dans le processus rédactionnel des avant-textes. La première mentionfigure sur le premier folio des Plans (qui viennent après l’Ébauche et les Fiches personnages).Zola mentionne également l’article de Fauchery, qui apparaîtra au premier plan duchapitre VII : « La première fois où il est posé que le ferment, laissé en bas, pourrit les hautesclasses ensuite. La mouche d’or (voir chap. XIII) La mouche d’or. Un article de Juillerat. »(fo 73). Ensuite dans le deuxième plan du chapitre VII : « Là poser aussi l’article de Fauchery,la Mouche d’or, qui vient d’en bas, qui se pose sur la m. et qui pourrit en haut. » (fo 68) Aureste, Hamon reconnaît qu’il est difficile « de savoir si cette métaphore a bien été à l’origineabsolue, première et inaugurale, de l’œuvre […] ou si elle s’est imposée en cours de route, plusou moins tôt ou plus ou moins tardivement dans le dossier préparatoire, et n’a été découvertequ’en milieu, ou qu’en fin d’Ébauche. » (Ibid., p. 162).39 Comme l’avait déjà remarqué É. Reverzy, « la Mouche d’Or aux “cuisses de neige”, quidésorganise Paris sans le vouloir, est une transposition de la “chienne qui n’est pas en chaleur”du Dossier préparatoire », image matrice qui est, on vient de le voir, symboliquement liée à lalocution idiomatique du lait caillé. (Nana d’Émile Zola, Gallimard, « Foliothèque », 2008,p. 139).40 C. Thomasset et D. Jacquart, Sexualité et savoir médical au Moyen Âge, Paris, PUF, 1985,p. 102.
41 En effet, A. Raciborski remarque « la coïncidence fréquente de la fièvre d’invasion [de lavariole] ou du début de l’éruption variolique avec les règles. » Devant cette simultanéité desmenstrues et de la fièvre, le médecin établit « quelques rapports entre [l]es phénomènes. »Ainsi, explique-t-il, « la fièvre variolique [a] la faculté de favoriser l’hémorragie menstruelle »(Traité de la menstruation, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1868, p. 450-455).
42 L’éruption de pustules est « le moyen choisi par l’organisme pour se purger, se délivrer detout le poison qu’il renferme. » (M.-P. Toussaint Barthélemy, Recherches sur la variole, Paris,A. Delahaye et E. Lecrosnier, 1880, p. 11).43 Ibid., p. 18.
44 Voir fo 69 et fos 192-193.
45 M. Jeay, « Les Évangiles des Quenouilles. De la croyance populaire à la locution », dans LaLocution, sous la dir. de G. Di Stefano et R. G. McGillivray, Montréal, Éditions CERES, 1984,p. 284.46 Zola, Le Roman expérimental, Œuvres complètes, t. X, édition établie sous la directiond’H. Mitterand, Cercle du livre précieux, 1968, p. 1189.
47 Sur ce sujet, dans son versant historique, voir les très belles pages d’Éléonore Reverzy,« Nana allégorie du régime », Nana d’Émile Zola, op. cit., p. 112-116.
48 Ibid.49 É. Zola, « La fin de l’orgie », La Cloche, 13 février 1870 ; Œuvres complètes, t. XIII, éditionétablie sous la direction d’H. Mitterand, Cercle du livre précieux, 1969, p. 261.
51 Pour Bakhtine, l’in-détronisation est un « rite ambivalent, “deux en un”, qui exprime lecaractère inévitable et en même temps la fécondité du changement-renouveau […].L’intronisation contient déjà l’idée d’une détronisation future : elle est ambivalente dès ledépart. D’ailleurs, on intronise le contraire d’un vrai roi, un esclave ou un bouffon [ou dansnotre cas, une prostituée], et ce fait éclaire en quelque sorte le monde à l’envers carnavalesque,en donne la clef. » (Ibid., p. 182).52 Ibid.
53 « Puis le chambellan déshabillé, l’habit étalé par terre, elle lui cria de sauter, et il sauta ; ellelui cria de cracher, et il cracha ; elle lui cria de marcher sur l’or, sur les aigles, sur les
50 M. Bakhtine, La Poétique de Dostoïevski, Paris, Seuil, coll. « Points/Essais », 1970,p. 180-181. Sur l’esthétique carnavalesque en régime zolien, on consultera l’ouvrage deM. Scarpa, Le Carnaval des Halles. Une ethnocritique du « Ventre de Paris » de Zola, Paris,CNRS éditions, coll. « CNRS Littérature », 2000, 304 p.
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décorations, et il marcha. Patatras ! il n’y avait plus rien, tout s’effondrait. Elle cassait un
chambellan comme elle cassait un flacon ou un drageoir, et elle en faisait une ordure, un tas de
boue au coin d’une borne. » (p. 1461). Remarquons qu’entre la phrase elle cassait unchambellan comme elle cassait un flacon et la locution faire tourner la société comme lesfemmes font tourner le lait s’établit une analogie de structure : reprenant le modèle
comparatif et la répétition du verbe, les deux phrases, construites sur une structure binaire,
offrent une similitude symbolique sur le plan de la destructivité du personnage. Ce
retournement carnavalesque faisant d’un chambellan un chien est également une reprise
grotesque de l’imagerie canine du dossier préparatoire, où la meute est réduite à un chien de
cirque domestiqué.
54 Ariane de Félice, « À propos de contes de mensonges », Arts et traditions populaires, nos 3-
4, juillet-décembre 1964, p. 240. Suivant l’auteure, les récits mettant en scène un monde à
l’envers sont caractérisés par une série de procédés narratifs qu’on retrouve également dans la
poétique de Nana : exagération et renversement des valeurs ; interversion des termes d’un
rapport ; alliance des contraires ; transpositions ; et, enfin, déformations et métamorphoses.
55 En d’autres termes, A. Dezalay, dans sa remarquable étude de ce roman, parle des
« structures de la répétition » (p. 105) qui caractérisent ce roman. Ainsi, l’effacement des
distinctions sociales, des différences de générations, des écarts hiérarchiques, « la réduction
des différences corporelles ou des particularités vestimentaires » (p. 105) a pour effet, selon
lui, de créer une variation sur le même, un « vertige de la répétition » (p. 110) : « le roman, de
ce point de vue, est fondé sur le jeu et l’alliance de la différence et de la répétition, de la
différence dans la répétition, de la répétition dans la différence. » (L’Opéra des Rougon-
Macquart. Essai de rythmologie romanesque, Paris, Klincksieck, 1983, p. 115) Nous préférons
parler de logique carnavalesque suivant les travaux de Bakhtine qui rappelle que le carnaval
« rapproche, réunit, marie, amalgame le sacré et le profane, le haut et le bas, le sublime et
l’insignifiant, la sagesse et la sottise, etc. » (La Poétique de Dostoïevski, op. cit., p. 181) et
suivant les travaux de M. Scarpa qui a déjà souligné que « la métaphore carnavalesque est
utilisée explicitement [dès l’incipit de Nana], et pour désigner […] le régime tout entier. » (LeCarnaval des Halles, op. cit., p. 243).
56 « Le moment est trouble. C’est le trouble du moment que je peins », écrit Zola dans ses
notes programmatiques aux Rougon-Macquart (Notes générales sur la marche de l’œuvre,
Pl., t. V, p. 1739.) Comme le fait remarquer V. Cnockaert, « le carnaval permanent du second
Empire s’écrit dans Les Rougon-Macquart à partir de la destinée biologique des
personnages. » (« Renée Saccard ou la Vieille de la Mi-Carême », Cahiers électroniques del’imaginaire, no 3, « Rite et littérature », sous la dir. de M. Watthee-Delmotte et D. Martens,
automne 2005, p. 50).
57 Faut-il rappeler l’équivalence symbolique entre la forge et l’utérus ? Voir, sur ce sujet,
S. Mougin, « La Forge des sexes. Forgerons magiciens et forges merveilleuses dans le conte, le
théâtre et l’imagerie populaire », dans Les Arts du feu, sous la dir. de Cl. Brévot-Dromzée,
Presses Universitaires de Reims, 2004, p. 53-74.
58 Voir P. Sébillot, « Forgeron », Légendes et curiosités des métiers, Paris, E. Flammarion,
1895, p. 25-26.
59 Ibid., p. 26.
60 Voir Champfleury, « Lustucru », Histoire de l’imagerie populaire, Paris, Dentu, 1869,
p. 248-255.
61 « un carnaval des dieux – Les dieux sont dans un bastringue à la Boule Noire – Leurs
déguisements. » (fo 4).
62 P. Sébillot, « Forgeron », op. cit., p. 26.
63 S. Mougin, op.cit.64 Ibid.
65 É. Reverzy, op. cit., p. 146.
66 K. Ueltschi, Le Pied qui cloche ou le lignage des boiteux, Paris, Honoré Champion, 2011,
p. 105.
67 Comme l’explique Y. Verdier, « tout se passe comme si, ayant perdu leur principe
d’alternance, les femmes [indisposées] se mettaient à marier les contraires ou à se fixer sur les
extrêmes. » (op. cit., p. 53).
68 À ces images, nous aurions pu ajouter celle de la « mangeuse d’or » (fo 193) et d’hommes,
qui joue sur la contiguïté sémantique de l’appétit alimentaire et de l’appétit sexuel et qui fait
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partie du même système de créances.
69 Comme l’écrit Cl. Lévi-Strauss, « le passage de la nature à la culture exige que l’organismeféminin devienne périodique, car l’ordre social ainsi que l’ordre cosmique seraient compromispar un régime anarchique sous l’empire duquel l’alternance régulière du jour et de la nuit, lesphases de la lune, les indispositions féminines, la durée fixe de la grossesse et le cours dessaisons ne s’épauleraient pas mutuellement. […] Leur insubordination sociale, souventévoquée par les mythes, offre l’image anticipée, sous la forme du “règne des femmes”, d’unpéril qui serait infiniment plus grave : celui de leur insubordination physiologique. Aussi faut-il que les femmes soient soumises à des règles. » (Mythologiques, t. III, L’Origine desmanières de table, Paris, Plon, 1968, p. 182.)70 F. Héritier, « L’Identique et le différent », Les Deux sœurs et leur mère. Anthropologie del’inceste, Paris, Odile Jacob, 1994, p. 240.
71 Cl. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, « Agora », 1962, p. 115. Les plans dontparle Lévi-Strauss dans le cadre du mythe qu’il étudie sont : « géographique, météorologique,zoologique, botanique, technique, économique, social, rituel, religieux et philosophique »(Ibid.).
72 C’est le propre pour Lévi-Strauss de la métaphore que d’établir un « transfert de sens[qui] n’a pas lieu de terme à terme, mais de code à code, c’est-à-dire d’une catégorie ou classede termes à une autre classe ou catégorie. On aurait surtout tort de croire que l’une de cesclasses ou catégories relève par nature du sens propre, l’autre par nature du sens figuré. Cesfonctions sont interchangeables, relatives l’une par rapport à l’autre. » (La Potière jalouse,Paris, Gallimard-NRF, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 1220.)73 M. Scarpa, op. cit., p. 238.
Pour citer cet article
Référence électronique
Sophie Ménard, « Faire tourner Paris : ethnogénétique et logogénétique de Nana de Zola »,Flaubert [En ligne], 10 | 2013, mis en ligne le 19 septembre 2013, consulté le 28 mars 2015.URL : http://flaubert.revues.org/2114
Auteur
Sophie MénardUniversité de Lorraine (CREM)
Droits d’auteur
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