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Depuis les années 1950, Notre-Dame de l’Assomption est l’église paroissiale du village de Behzina. Elle est située sur une terrasse agricole en contrebas de ce bourg, dans la partie syrienne de la plaine du Akkar, et relève de l’évêché grec orthodoxe du Hosn. Auparavant, Notre-Dame était une chapelle votive. Cette contrée très peu peuplée ne constituait pas encore une paroisse. La chapelle est aujourd’hui dans un état délabré et risque de s’effondrer. On ne la restaure plus depuis qu’une église moderne, dédiée aussi à Notre-Dame, est en train d’être construite plus haut, sur le versant opposé, pour la remplacer. Notre-Dame est pourtant un monument historique. Elle remonte au Moyen Âge, ayant surgi à l’endroit ou à côté d’un sanctuaire d’âge byzantin dont des blocs de basalte, sculptés de croix typiques de cette période, sont en remploi dans la façade principale. C’est dire que la chapelle a plus de 1000 ans d’âge. Sur la suite de son histoire, on ne sait pas grand chose si ce n’est qu’elle fut incendiée sous le Mamelouks. On n’a retrouvé aucun vestige pour témoigner des phases ultérieures d’éventuelles restaurations ou de reconstructions. Aspect extérieur Comme toutes les vieilles chapelles villageoises de tradition locale, Notre- Dame de Behzina a la forme d’un cube rabaissé qui s’inscrit dans le paysage avec harmonie, soulignant le côté pittoresque des lieux. Vue de loin, cette construction ne suggère pas la présence d’un sanctuaire ; n’était-ce le clocher qui est seul à se détacher de cet ensemble aux façades dégarnies. Celui-ci est récent et entièrement construit de béton. Selon le savoir faire local, sa coupole est de forme ovoïde. NOTRE-DAME DE L’ASSOMPTION DE BEHZINA DU DIOCÈSE DU HOSN MAY DAVIE 1 1 Université de Balamand. CHRONOS Revue d’Histoire de l’Université de Balamand Numéro 24, 2011, ISSN 1608 7526

« Notre-Dame de l’Assomption de Behzina dans le diocèse du Hosn », Chronos 24, 2011

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Depuis les années 1950, Notre-Dame de l’Assomption est l’église paroissiale duvillage de Behzina. Elle est située sur une terrasse agricole en contrebas de ce bourg,dans la partie syrienne de la plaine du Akkar, et relève de l’évêché grec orthodoxedu Hosn.

Auparavant, Notre-Dame était une chapelle votive. Cette contrée très peupeuplée ne constituait pas encore une paroisse. La chapelle est aujourd’hui dans unétat délabré et risque de s’effondrer. On ne la restaure plus depuis qu’une églisemoderne, dédiée aussi à Notre-Dame, est en train d’être construite plus haut, sur leversant opposé, pour la remplacer.

Notre-Dame est pourtant un monument historique. Elle remonte au MoyenÂge, ayant surgi à l’endroit ou à côté d’un sanctuaire d’âge byzantin dont des blocsde basalte, sculptés de croix typiques de cette période, sont en remploi dans la façadeprincipale. C’est dire que la chapelle a plus de 1000 ans d’âge. Sur la suite de sonhistoire, on ne sait pas grand chose si ce n’est qu’elle fut incendiée sous leMamelouks. On n’a retrouvé aucun vestige pour témoigner des phases ultérieuresd’éventuelles restaurations ou de reconstructions.

Aspect extérieur

Comme toutes les vieilles chapelles villageoises de tradition locale, Notre-Dame de Behzina a la forme d’un cube rabaissé qui s’inscrit dans le paysage avecharmonie, soulignant le côté pittoresque des lieux. Vue de loin, cette construction nesuggère pas la présence d’un sanctuaire ; n’était-ce le clocher qui est seul à se détacherde cet ensemble aux façades dégarnies. Celui-ci est récent et entièrement construit debéton. Selon le savoir faire local, sa coupole est de forme ovoïde.

NOTRE-DAME DE L’ASSOMPTION DE BEHZINA DU DIOCÈSE DU HOSN

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1 Université de Balamand.

CHRONOSRevue d’Histoire de l’Université de BalamandNuméro 24, 2011, ISSN 1608 7526

La chapelle est entièrement construite de pierres de basalte, de taille irrégulièreet nues. Parmi celles-ci, on distingue des linteaux et quelques gros blocs antiques enbasalte qui sont appareillés dans le mur de la façade occidentale et aux angles del’édifice. L’un d’eux, à l’angle sud-ouest, est de calcaire blanc. Le bloc en remploidans le montant de la fenêtre est d’une taille impressionnante. Au milieu du bloc quisert de montant à la porte, on note la présence d’un creux peu large et profond dequelques centimètres. Il s’agirait d’une crapaudine, ce bloc ayant probablement servide seuil à une porte antérieure ayant appartenu à la chapelle ou au sanctuaire qui l’aprécédée. En arabe, les maçons appellent ce type de bloc « hajar an-noqta », noqtasignifiant ici « point d’impact ». On trouve une trace similaire sur un autre bloc, detaille plus petite et appareillé à l’angle sud-ouest.

Le plan de la chapelle est carré. Mais le chevet est semi-polygonal. Les mursont plus d’un mètre d’épaisseur et sont aveugles, hormis sur la façade occidentalequi est percée d’une porte basse et de deux fenêtres rectangulaires latérales. Cesdernières ont tout l’air de portes dont le bas a été obturé pour former des baies.

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Fig. 1 : Vue générale de Notre-Dame l’ancienne de Behzina (Cliché M. F. Davie 2008)

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Fig. 2 : Linteau en basalte sculpté de deux croixbyzantines inscrites dans un cercle (Cliché M. F. Davie 2008)

Fig. 3 : Au-dessus de la porte, une croix grecqueinscrite dans un rectangle (Cliché M. F. Davie 2008)

Fig. 4 : Autre croix byzantine incisée dans le montant de la fenêtre(Cliché M. F. Davie 2008)

Fig. 6 : La chapelle méridionale (Cliché M. F. Davie 2008)

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Structure

L’originalité de Notre-Damel’ancienne de Behzina réside dans sastructure, s’agissant d’une chapelledouble, composée de deux nefs prolongéespar deux absides abritant chacune un auteldédié à un saint. Les deux absides sontsaillantes et inscrites dans un même chevetde volume polygonal.

Il ne s’agit pas de deux églisesaccolées l’une à l’autre. Les deux nefsfont partie d’un même programmearchitectural, étant séparées par un murépais percé d’une arcade basse et brisée

Fig. 5 : Le plan et l’emplacement des pierres à croix(relevé par Raffi Gergian 2008)

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Fig. 7 : La chapelle septentrionale (Cliché M. F. Davie 2008)

et d’un autre passage, cintré et étroit. Deux voûtes en berceau brisé servent d’ossatureà cet ensemble qui est couvert d’une terrasse de terre aujourd’hui protégée par unechape en ciment. Ce type d’église est plutôt rare tant en Syrie qu’au Proche-Orient demanière générale.

Fonction

Cette structure laisse supposer que le monument, avant d’être transformé enparoisse au milieu du siècle dernier, possédait deux fonctions : une votive et une autrefunéraire ou baptismale, à comparer avec des monuments similaires. Mais nousn’avons trouvé aucune trace de reliquaire, de cuve baptismale, ou d’autres vestiges,pour corroborer l’une ou l’autre hypothèse. Nous savons seulement que la cour devantet au sud de l’édifice servait autrefois de cimetière.

Dans ce genre de monument, la chapelle méridionale est la principale. Sadédicace donne son nom au site. La chapelle septentrionale est annexe, dans ce sens

que sa fonction est auxiliaire. Aujourd’hui, les deux autels sont consacrés à la Vierge.Il se pourrait que la nef annexe ait servi de gynécée quand la chapelle votive futtransformée en paroisse.

Nous ne savons pas si ce sanctuaire a toujours été consacré à la Vierge et, sice fut le cas, à quel saint était dédié l’autel septentrional. Il s’agit habituellementd’un saint protecteur, un saint militaire comme saint Georges, ou de l’archangeMichel, ou encore d’un saint intercesseur, tel que saint Jean-Baptiste. Mais cettedernière supposition est à exclure. Sur les hauteurs du village, il existait uneancienne chapelle dont il ne reste que quelques traces au sol entourées de vieillestombes dans un état détérioré, et dédiée à ce dernier saint. Dans les villages, leschapelles votives sont le plus souvent dédiées chacune à un saint différent. C’est ceque démontre l’inventaire effectué par l’Université de Balamand entre 2004 et 2011(www.balamand.edu.lb/ARPOA).

État de conservation

Quoi qu’il en fut, le monument est dans un état considérablement dégradé. Lestravaux sont effectués dans l’urgence et avec les moyens de bord, utilisant desmoellons de basalte ou de calcaire et du ciment pour colmater les trous ou relever lesparties effondrées. Ainsi fut rapidement restaurée la partie sud du chevet. En outre,pour porter la charge de la chape de béton qui recouvre le toit, deux vilains piliers debéton armé ont été dressés de chaque côté du mur de ce chevet.

À l’intérieur, les parois ont perdu leur enduit à la chaux d’origine. La couchequi les recouvre à présent est en béton grossièrement étalé et badigeonné. La surface

de ces parois est irrégulière,ainsi que l’épaisseur des murs etla forme de l’ébrasement desfenêtres et de la porte.Et l’arcade et le passage entre lesdeux nefs sont difformes. Latable d’autel a été reconstruite enparpaings et la corniche del’abside quasiment écorchée. Lemur occidental souffre deproblèmes d’étanchéité.

Il n’y a pas longtemps, lesol de la chapelle fut revêtu d’undallage moderne. Mais onretrouve encore les anciennes et

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Fig. 8 : La paroi occidentale de la chapelle septentrionale(Cliché M. F. Davie 2008)

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belles dalles de basalte éparpillées à l’extérieur, sur le côté sud de la cour, ainsi qu’unepierre plate ayant apparemment servi de marche devant l’entrée ou peut-être de soleaau pied de la porte centrale de l’iconostase. Des travaux de restauration pour rendreà ce monument historique un tant soit peu de son aspect original sont urgents.

L’enquête menée par l’Université de Balamand a démontré la rareté des églisesdoubles dans la région. Notre-Dame l’ancienne de Behzina est donc un cas original.Elle mérite d’être préservée à ce titre. D’autant plus qu’elle remonte au Moyen Âgeet qu’il est possible que sous l’enduit des conques des deux absides l’on retrouve destraces de fresques comme c’est habituellement le cas partout dans ce type d’églises.

Les vieilles chapelles sont des lieux de pèlerinage et de dévotion tout-à-faitparticuliers. Elles attirent des fidèles de dizaines de kilomètres à la ronde. Lesrestaurer est considéré comme un acte de foi par les populations locales, c’est aussiun moyen par lequel celles-ci expriment leur ancrage dans leurs lieux de vie. Larestauration de Notre-Dame est d’autant plus urgente pour le village de Behzina quele débordement du barrage nouvellement construit à proximité est susceptible demettre cette église en péril après les fortes saisons de pluie.

Juin 2009

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Croix grecque bifide inscrite dans un cercle (Croquis Raffi Gergian 2008)

Annexe 1

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Croix grecque aux branches évasées(Croquis Raffi Gergian 2008)

Annexe 2

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Croix grecque simple inscrite dans un rectangle(Croquis Raffi Gergian 2008)

Annexe 3

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Croix byzantine pattée inscrite dans un triple cercle gemmé(Croquis Raffi Gergian 2008)

Annexe 4