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§2 : L'expression de la volonté après la naissance A) L'accouchement sous le secret Si la naissance d'un enfant est souvent le symbole de la vie et du bonheur, il arrive parfois que des femmes enceintes expriment leur refus de devenir mères pour différentes raisons. Ces dernières vont donc accoucher sous X à la maternité. L’accouchement sous X concerne aujourd'hui environ 700 naissances par an. 1 Accouchement sous le secret, accouchement anonyme, accouchement avec abandon, plusieurs termes différents sont employés pour désigner la pratique de l'accouchement sous X qui existe depuis plusieurs siècles et qui est inscrite dans le code civil depuis janvier 1993. Mais ces termes utilisés renvoient-ils à une définition juridique unique ou ces termes présentent-ils des différences ? D'abord, force est de remarquer que le mot « secret » figure dans les articles du code civil ou dans le code de l'action sociale et des familles. Toutefois, il faut noter une évolution concernant la sémantique du mot « accouchement sous X ». La loi du 8 janvier 1993 a institué un accouchement anonyme en permettant à une femme d'accoucher et d'abandonner son nouveau-né sans révéler son identité à l'Etablissement de soins. La loi du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'Etat a maintenu pour la femme le droit à l'anonymat mais y a ajouté une spécificité en organisant un accouchement sous le secret. En effet, la loi offre la possibilité pour la femme d'inviter cette dernière à confier des secrets sur sa santé, sur les origines de l'enfant, sur les circonstances de la naissance de l'enfant, voire sous pli fermé son identité. Mais il ne s'agit pas d'une obligation pour la femme qui peut très bien ne donner aucune information identifiante ou non identifiante sur elle-même. L'anonymat n'est donc plus absolu pour la femme qui accouche, l'anonymat est désormais relatif. Le législateur français a reconnu à la femme un droit à l'accouchement sous X (1), ce qui a fait naître de nombreuses revendications. En effet, deux intérêts en présence se sont affrontés et s'affrontent toujours à l'heure actuelle: D'une part, celui des femmes qui ne peuvent pas ou qui ne veulent pas assumer un enfant et qui décident de garder secrète leur identité ; d'autre part, celui des enfants qui aimeraient connaître la vérité sur leurs histoires et leurs 1 http://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/memos-demo/focus/accouchements-sous-x-france/

§2 expression de la volonté après la naissance

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§2 : L'expression de la volonté après la naissance

A) L'accouchement sous le secret

Si la naissance d'un enfant est souvent le symbole de la vie et du bonheur, il arrive parfois que des femmes enceintes expriment leur refus de devenir mères pour différentes raisons. Ces dernières vont donc accoucher sous X à la maternité.

L’accouchement sous X concerne aujourd'hui environ 700 naissances par an.1

Accouchement sous le secret, accouchement anonyme, accouchement avec abandon, plusieurs termes différents sont employés pour désigner la pratique de l'accouchement sous X qui existe depuis plusieurs siècles et qui est inscrite dans le code civil depuis janvier 1993.Mais ces termes utilisés renvoient-ils à une définition juridique unique ou ces termes présentent-ils des différences ?

D'abord, force est de remarquer que le mot « secret » figure dans les articles du code civil ou dans le code de l'action sociale et des familles.Toutefois, il faut noter une évolution concernant la sémantique du mot « accouchement sous X ».

La loi du 8 janvier 1993 a institué un accouchement anonyme en permettant à une femme d'accoucher et d'abandonner son nouveau-né sans révéler son identité à l'Etablissement de soins.La loi du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'Etat a maintenu pour la femme le droit à l'anonymat mais y a ajouté une spécificité en organisant un accouchement sous le secret.En effet, la loi offre la possibilité pour la femme d'inviter cette dernière à confier des secrets sur sa santé, sur les origines de l'enfant, sur les circonstances de la naissance de l'enfant, voire sous pli fermé son identité.Mais il ne s'agit pas d'une obligation pour la femme qui peut très bien ne donner aucune information identifiante ou non identifiante sur elle-même.L'anonymat n'est donc plus absolu pour la femme qui accouche, l'anonymat est désormais relatif.

Le législateur français a reconnu à la femme un droit à l'accouchement sous X (1), ce qui a fait naître de nombreuses revendications.

En effet, deux intérêts en présence se sont affrontés et s'affrontent toujours à l'heure actuelle:D'une part, celui des femmes qui ne peuvent pas ou qui ne veulent pas assumer un enfant et qui décident de garder secrète leur identité ; d'autre part, celui des enfants qui aimeraient connaître la vérité sur leurs histoires et leurs 1 http://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/memos-demo/focus/accouchements-sous-x-france/

origines personnelles.

Parallèlement à ce débat éthique, le dispositif de l'accouchement sous X va également créer des dérives et des profondes injustices à l'égard des autres membres de la famille biologique que sont les pères et les grands parents (2).

1) Un droit reconnu à la mère

Après une présentation de la législation relative à l'accouchement sous le secret (a), il conviendra de constater l'effectivité limitée du droit pour l'enfant de connaître ses origines personnelles (b).

a) La réglementation relative à l'accouchement sous le secret

*L'évolution législative en France

La pratique de l'abandon anonyme de nouveaux-nés en France est un dispositif très ancien qui a fait l'objet de nombreuses réglementations au fur et à mesure des siècles.

Sa pratique remonte à l'époque de la création de l'hôpital des Enfants Trouvés en 1670 par Saint Vincent de Paul avec le recours du «Tour». Saint Vincent de Paul ayant mis en place cette mesure en raison de l'augmentation des infanticides et des avortements.Par ce procédé, la mère déposait son enfant dans un tourniquet qui était placé dans le mur d'un hospice et une personne de l'autre coté du mur était avertit par le son d'une clochette, de la présence du nouveau né dans le Tour. 2

Sous la Révolution française, la Convention nationale vota un décret-loi en date du 28 juin 1793 où était consacré l'accouchement secret ainsi que la prise en charge matérielle de la parturiente pendant tout son séjour.

La réglementation sur l'accouchement sous le secret a évolué au fur et à mesure du temps et a aboutit à l'adoption, sous le gouvernement de Vichy, de l'important décret-loi du 2 septembre 1941 sur la protection de la naissance qui a légalisé pour la première fois l'accouchement anonyme. Ce décret-loi a instauré un système au sein duquel était prévu le secret de l'identité des mères et la prise en charge financière par l'établissement hospitalier des frais d'accouchement et des frais d'hébergement un mois avant et un mois après l'accouchement. 3

Mais c'est la loi n°93-22 du 8 janvier 1993 qui a véritablement consacré l'accouchement «sous X» en introduisant un article 341-1 dans le code civil ainsi rédigé «Lors de l'accouchement, la mère peut demander que le secret de

2. F.DEBOVE, R.SALOMON, T.JANVILLE, « Droit de la famille », Vuibert, 20123. M.JUIF, « L'accouchement sous X: les multiples facettes d'un dispositif qui interroge », Université de Strasbourg, 2011-2012.

son admission et de son identité soit préservé». 4

Étant précisé que la réforme de la filiation issue de l'ordonnance du 4 juillet 2005, et entrée en vigueur le 1er juillet 2006, a transféré les dispositions figurant à l'article 341-1 du code civil à l'article 326 du même code. Si l'accouchement sous X constitue un droit au secret 5 reconnu à la femme par le code civil, force est de constater que cette faculté offerte à la femme entraîne des effets radicaux sur le lien de filiation.

L'article 341-1 du code civil a élevé en effet une fin de non-recevoir à l'action en recherche de maternité.

Si la femme choisissait d'accoucher sous X, cette dernière pouvait faire échec de manière définitive à toute recherche de maternité et donc empêcher l'établissement par l'enfant d'un lien de filiation avec sa mère.

Toutefois, cette disposition a été abrogée par la loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009.

Suite à l'adoption de la loi du 8 janvier 1993, de nombreuses critiques ont été formulées par la doctrine et de nombreux auteurs ont regretté que le législateur renforce les droits de la mère au détriment des droits de l'enfant. En effet, le législateur a clairement organisé dans le code civil la prééminence de la mère biologique6 puisque l'institution de l'accouchement sous X se heurte au droit de l'enfant d'accéder à ses origines personnelles consacré notamment par l'article 7-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE).

C'est pourquoi, les enfants nés sous X souhaitent que soit abrogée la pratique de l'accouchement sous X en se fondant sur le principe d'égalité qui devrait exister entre tous les enfants. Principe d'égalité au regard de l'accès à leurs origines mais aussi principe d'égalité par rapport à l'établissement de la filiation à l'égard de leurs parents biologiques.

Parallèlement aux revendications des enfants nés sous X, de nombreuses associations se sont constituées, pour lutter contre le dispositif de l'accouchement sous X, au sein de la CADCO, la coordination des actions pour le droit à la connaissance des origines, créée le 1er octobre 1996, à l'initiative de Pierre Verdier. 7

4. F.TERRE, D.FENOUILLET, « Droit civil, la famille », Dalloz, 2011, p.5395. C.CHABUT, « Parents et enfants face à l'accouchement sous X », L'Harmattan, 2008, p.496. B. MALLET-BRICOURT, « Réforme de l'accouchement sous X, quel équilibre entre les droits de l'enfant et les droits de la mère biologique ? », Semaine juridique édition générale, 13 mars 2002.7. C.CHABUT, « Parents et enfants face à l'accouchement sous X », L'Harmattan, 2008, p.109

Le législateur français est donc intervenu en prenant en compte les nombreuses controverses nées de la pratique de l'accouchement sous X.

Ainsi, la loi n°2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État a été adoptée et a été présentée comme une loi qui permet un juste équilibre entre les droits de la mère de conserver le secret sur son identité et les droits de l'enfant d'avoir accès à ses origines sans pour autant établir un lien de filiation avec la mère.

Équilibre puisque ladite loi a crée le CNAOP, le Conseil National pour l'Accès aux Origines Personnelles, qui a pour fonction de récolter, dans certains cas, des informations identifiantes ou non identifiantes que veut bien laisser la mère lorsqu'elle accouche sous X ; de recueillir les demandes des enfants qui veulent accéder à leurs origines mais également les déclarations des mères biologiques qui lèvent le secret sur leur identité.

Mais quelles sont les mesures relative à l'accouchement sous le secret qui ont été mises en place par la loi du 22 janvier 2002 ?

Tout d'abord, lorsque une femme enceinte envisage d'abandonner son enfant à la naissance, le code de l'action sociale et des familles, notamment en son article L.222-6, prévoit l'obligation d'informer la future mère sur les conséquences juridiques de l'accouchement sous le secret mais également de la nécessité pour tout enfant de connaître son histoire et ses origines personnelles.Le choix de la future mère d'accoucher sous X est donc éclairé.

Si la jeune femme décide d'accoucher dans le secret, cette dernière est « invitée » à laisser des informations sur sa santé et celle du père, les origines de l'enfant et les circonstances de la naissance, ainsi que sous pli fermé, son identité 8, et ceci, dans une volonté d'équilibre entre le droit au secret et le droit de connaître les origines personnelles.

Lorsque la femme accouche sous X, l'enfant va être remis au service de l'Aide Sociale à l'Enfance pour que ce dernier puisse être placé en vue de son adoption. A partir de cette remise de l'enfant, la mère dispose d'un délai de deux mois durant lequel elle peut rétracter son consentement à l'abandon de son enfant et ainsi le récupérer.Dans le cas contraire, si le délai légal de huit semaines est écoulé, l'enfant acquiert définitivement la qualité de pupille de l'Etat et sera placé aux fins d'adoption.9

Par ailleurs, la mère de naissance a le choix, à tout moment, de lever ou non le secret de son identité. 10

Le secret n'est donc pas irréversible et cette levée du secret ne pourra intervenir que si elle accepte de répondre positivement à la demande d'accès à ses origines formulée par l'enfant au Conseil national pour l'accès aux origines

8. article L.222-6 du Code de l'action sociale et des familles9. article 348-3 du code civil10. article L.222-6 du Code de l'action sociale et des familles

personnelles ou au président du Conseil général,11 ou que si elle-même a pris l'initiative de dévoiler son identité et de rechercher son enfant.12

Dès lors, au vu de la procédure relative à l'accouchement sous X inscrite essentiellement dans la loi du 22 janvier 2002, il apparaît clairement qu'aucun équilibre, qu'aucune conciliation n'a été trouvée entre les deux droits antinomiques, comme le Gouvernement a tenté de le faire admettre.

Pour quelles raisons ?

Parce que la mère biologique a simplement la faculté de laisser, lors de l'accouchement, des informations identifiantes ou non sur elle. La loi n'oblige en aucun cas la femme à laisser des informations de quelle que nature que ce soit. Elle oblige seulement l'établissement de santé à «inviter» la mère à consigner son identité et/ou à communiquer des informations non identifiantes sur elle-même.

Par conséquent, la mère peut décider de laisser aucune information sur elle ou alors cette dernière peut décider de consigner son identité sous pli fermé ou tout renseignement non identifiant.

La même remarque est valable également lorsque le CNAOP est saisi d'une demande d'accès aux origines personnelles par l'enfant majeur ou par ses représentants s'il est mineur.Dans ce cas, la mère peut refuser ou accepter la levée du secret.

Même si l'institution du CNAOP élevée au rang national constitue une avancée majeure, force est de constater que l'accès aux origines par l'enfant dépend toujours et encore du bon vouloir de la mère biologique.

Le débat semblait clos en 2002 mais on le verra par la suite, l'accouchement sous X continuera de faire l'objet de vives passions entre les partisans et les détracteurs de cette pratique, ce qui engendra de nombreuses réformes.

La pratique de l'accouchement sous X est souvent comparée aux réglementations en vigueur dans les pays européens et il faut souligner, à ce titre, que l'accouchement sous X est une singularité du droit français.

* Un droit de regard sur la réglementation en vigueur dans les pays européens

Seuls trois pays européens à savoir la France, le Luxembourg, l'Italie autorisent les femmes à accoucher dans le secret. 13

11. article L 147-3 du code de l'action sociale et des familles12. article L 147-6 du code de l'action sociale et des familles13. J. RUBELLIN-DEVICHI, « Droits de la mère et droits de l'enfant : réflexions sur les formes de l'abandon », RTD Civ 1991, p.695

Si le droit français consacre un droit au secret reconnu à la femme, le droit luxembourgeois et le droit italien autorisent implicitement l'accouchement anonyme.

Le droit luxembourgeois, et notamment l'article 57 de la loi du 16 mai 1975, fait référence implicitement à l'accouchement anonyme et admet la possibilité que si le nom des pères et mères de l'enfant n'est pas communiqué à l'officier d'état civil, il ne sera fait aucune mention à ce sujet sur les registres.Le droit luxembourgeois ne reconnaît donc pas expressément l'accouchement sous X. 14

Le droit italien, et notamment l'article 250 du code civil, accorde à la femme la possibilité de ne pas reconnaître son enfant.Dans la pratique, la mère, lorsqu'elle accouche, doit demander à l'hôpital la préservation de son anonymat. Toutefois, l'accouchement anonyme n'empêche pas ultérieurement l'établissement de la filiation de l'enfant envers sa mère.15

En droit italien, l'accouchement anonyme ne constitue pas une fin de non recevoir à l'action en recherche de maternité, ce qui est également le cas en droit français depuis la loi du n°2009-61 du 16 janvier 2009. Nous reviendrons ultérieurement sur ce point.

Par ailleurs, notons que depuis une décision en date du 21 septembre 1999, le Tribunal suprême d'Espagne a supprimé la faculté offerte à la mère de ne pas déclarer son identité au moment de l'accouchement.16

Le Danemark a également supprimé, par une loi de 1938, la possibilité d'accoucher sous X. 17

Quant aux autres pays européens, c'est à dire à titre d'exemple, l'Allemagne, la Belgique, le Royaume-Uni ou encore le Portugal, l'accouchement anonyme n'est pas reconnu.En Allemagne, le lien entre la naissance et la filiation maternelle est automatique.En Belgique, la femme qui accouche doit obligatoirement décliner son identité, son nom ainsi que son adresse, lesquels doivent être mentionnés dans l'acte de naissance.Ladite procédure est valable également pour le Royaume-Uni. 18

14. Avis n°22 sur la législation relative aux adoptions et à la problématique de l'accouchement anonyme par la Commission Nationale d'Ethique rendu en 2009

Disponible sur http://www.cne.public.lu/publications/avis/Avis_22.pdf15. disponible sur le site http://www.senat.fr, rubrique « le droit à la connaissance de ses origines génétiques »16. disponible sur le site http://www.senat.fr, rubrique « le droit à la connaissance de ses origines génétiques »17. C.CHABUT, « Parents et enfants face à l'accouchement sous X », L'Harmattan, 2008, p. 2118. disponible sur le site http://www.senat.fr, rubrique « le droit à la connaissance de ses origines génétiques »

Au Portugal, lorsque la mère et le père n'indiquent pas leur nom dans l'acte de naissance, cette absence de mention donne lieu à une action en justice et le tribunal sera en charge d'établir la filiation après vérification.19

Pour éviter les abandons d'enfant sans soins ou les abandons d'enfants dans des conditions inhumaines, beaucoup de pays européens ont permis aux femmes d'abandonner leur enfant anonymement dans des structures spéciales, appelées « les boîtes à bébé » ou « les trappes à bébé », lesquelles sont une copie du modèle de la pratique du « Tour » issue du Moyen-Age.

L'Allemagne a notamment été le premier pays a créer des « Babyklappen » dans les principales villes, à la suite de la découverte d'un nourrisson qui a été retrouvé mort dans une benne à ordures à Hambourg 20

Il existe aujourd'hui une centaine de Babyklappen sur tout le territoire. 21

Les autres pays européens ont suivi également le pas et ont imité le procédé des « Babyklappen ».En Italie, par exemple des « culla per la vita » autrement dit des berceaux de vie ont été mis en place. 22

En Autriche, aux Pays-Bas, en Pologne, en Hongrie, en Slovaquie, en République tchèque, en Lettonie ou encore en Belgique, des boîtes à bébé ont été également installées.Suivant le principe d'une boîte aux lettres, ces boîtes à bébé permettent aux mères de déposer leur enfant anonymement et en toute sécurité.

Depuis la réapparition de ces boîtes à bébé, plus de quatre cents bébés y ont été déposés dans toute l'Europe 23

Précisons que ce phénomène est mondial, le Japon a ainsi crée une « boîte à bébé », calqué sur le modèle allemand des « Babyklappen », à l'hôpital de Kumamoto.

En Allemagne, le principe est de déposer l'enfant sur un lit chauffant, dont la porte se referme automatiquement. Cette boîte à bébé est installée dans un bâtiment généralement celui d'un hôpital. La maman qui a déposé l'enfant

19. C.CHABUT, « Parents et enfants face à l'accouchement sous X », L'Harmattan, 2008, p. 2120. J. RUBELLIN-DEVICHI, « La recherche des origines personnelles et le droit à l'accouchement sous X dans la loi du 22 janvier 2002 », Droit de la famille, mai 2002.21. Article « Allemagne : l'accouchement confidentiel sonne le glas des « boîtes à bébés » » paru dans « La Croix » du 14 juin 201322. disponible sur le site www.crin.org, article « l'abandon des enfants et ses préventions »23. article « Allemagne : contre l'infanticide, les boites à bébé » disponible sur le site http://www.lejournalinternational.fr

dispose de quelques minutes pour s'éloigner et le personnel médical, averti par une alarme, va recueillir l'enfant et lui prodiguer les premiers soins.L'enfant est donc abandonné par sa mère « sans nom, sans question, sans sanction » (Ohne Name, Ohne Fragen, Ohne Strafe). 24

Après le dépôt, le nourrisson est pris en charge pendant 8 semaines, délai au cours duquel la mère peut récupérer son enfant.A défaut, l'enfant pourra être adopté.

Toutefois, le système allemand a été critiqué parce qu'il ne permet pas à l'enfant de connaître ses origines personnelles et plusieurs articles de la loi fondamentale pour la République fédérale d'Allemagne ne sont donc pas respectés comme l'article 6 alinéa 2.Par voie de conséquence, une loi allemande, qui a été adoptée par le Bundestag et le Bundesrat est entrée en vigueur le 1er mai 2014 et autorise « l'accouchement confidentiel ».25

Cette loi fournit un cadre légal à l'accouchement confidentiel et désormais, une femme pourra accoucher « anonymement », mais ses données personnelles seront conservées par l'Administration pendant 16 ans. Passé ce délai, l'enfant pourra avoir accès à l'identité de sa génitrice.Si elle refuse, le dossier sera confié à un juge.Concernant le sort des boîtes à bébés, une étude sera faite pendant 3 ans pour savoir si les « Babyklappen » seront encore indispensable ou pas en Allemagne.26

On le voit bien, la connaissance des origines personnelles, même Outre Rhin, est une revendication des enfants nés sous X.

Cependant, il faut admettre que le droit pour l'enfant de connaître ses origines personnelles, reconnu par les textes internationaux, n'est pas un droit absolu et a une effectivité limitée en France (b).

b) L'effectivité limitée du droit pour l'enfant de connaître ses origines

La Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989 et signée par la France le 26 janvier 1990 prévoit, en son article 7.1, que « l'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit

24. article «  Accouchement confidentiel ( Projet de loi en Allemagne) : Entre accouchement anonyme et accouchement secret, le législateur allemand se saisit de la question de l'accouchement confidentiel », écrit le 14/11/2013 par Laurie Marguet et disponible sur le site http://revdh.org/25. article «  Accouchement confidentiel (Projet de loi en Allemagne) : Entre accouchement anonyme et accouchement secret, le législateur allemand se saisit de la question de l'accouchement confidentiel », écrit le 14/11/2013 par Laurie Marguet et disponible sur le site http://revdh.org/26. Article « Allemagne : l'accouchement confidentiel sonne le glas des « boîtes à bébés » » paru dans « La Croix » du 14 juin 2013

d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux. » 27

Cet article de la CIDE a crée pour l'enfant un « droit de connaître ses parents », interprété comme un droit de connaître ses origines personnelles.

L'article 7.1 a été renforcé par l'article 30 de la Convention de la Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale du 29 mai 1993 et ratifiée par la France le 30 juin 1998.

Cet article prévoit que « 1. les autorités compétentes d'un État contractant veillent à conserver les informations qu'elles détiennent sur les origines de l'enfant, notamment celles relatives à l'identité de sa mère et de son père, ainsi que les données sur le passé médical de l'enfant et de sa famille.2. Elles assurent l'accès de l'enfant ou de son représentant à ces informations, avec les conseils appropriés, dans la mesure permise par la loi de leur État. » 28

En outre, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté le 26 janvier 2000 une recommandation n°1443, relative au respect des droits de l'enfant dans l'adoption internationale, aux termes de laquelle les États membres dont la France doivent « assurer le droit de l'enfant adopté de connaître ses origines au plus tard à sa majorité et à éliminer de leurs législations nationales toute disposition contraire ». 29

Ces textes internationaux relatifs aux droits des enfants, ne posent pas un droit impératif à la connaissance des origines pour l'enfant, droit qui s'imposerait aux 192 pays ayant ratifié la Convention. 30

Ces textes internationaux ne fixent que des objectifs que les États parties à la Convention doivent atteindre. 31

En effet, les États se sont engagés à garantir, à respecter et à faire respecter tous les droits des enfants que notamment la CIDE consacre.Pour ce faire, les États parties à la Convention ont pour objectif d'harmoniser leur législation afin d'assurer le respect des droits des enfants et de mettre en œuvre des politiques qui ne bafouent pas ces droits dont le droit de connaître ses origines pour l'enfant.Mais, aucune sanction n'est prévue en cas de non-respect des dispositions de la CIDE.

Par ailleurs, la formule « dans la mesure du possible » de l'article 7-1 de la CIDE a un caractère relativement flou pouvant donner lieu à de nombreuses interprétations les plus diverses par les États parties à la Convention.

Par exemple, en France, cet article n'a pas connu le succès escompté puisque si la loi du 8 janvier 1993 a reconnu, par le biais de son article 341-1 du code

27. http://www.unicef.fr, la convention internationale des droits de l'enfant.28. disponible sur http://www.adoption.gouv.fr/IMG/pdf/doc.pdf29. http://assembly.coe.int/Mainf.asp?link=/Documents/AdoptedText/ta00/FREC1443.htm30. http://www.unicef.org/french/crc/index_30229.html31. http://www.unicef.fr/userfiles/50154.pdf cf article 42 à 45

civil, un droit pour la femme d'accoucher sous X, le législateur s'est bien gardé d'inscrire dans le code civil l'existence d'un quelconque droit de l'enfant né sous X d'accéder à ses origines personnelles.

Avec la loi du 22 janvier 2002, le législateur a voulu respecter les intérêts de l'enfant, sans remettre en cause l'accouchement sous X. Mais ce dernier n'a toujours pas eu le courage de reconnaître un droit de l'enfant de connaître ses origines personnelles. Tout au moins, la loi du 22 janvier 2002 a simplement reconnu « l'importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire ».32

On peut l'affirmer, la connaissance des origines personnelles est subordonnée à la volonté de la mère de lever ou non le secret de son identité, dans le cas ou des éléments identifiants ont été transmis par la mère lors de l'accouchement, ou lorsque la mère est décédée et n'a pas exprimé de volonté contraire de son vivant. 33

L'enfant n'est donc pas libre d'exercer son droit comme il l'entend, et le droit de connaître ses parents reconnu par le droit international n'en est pas véritablement un puisque la mère a toujours le dernier mot.

Ainsi, sur quel fondement le législateur français se base t-il pour ne pas reconnaître à l'enfant né sous X un droit à la connaissance de ses origines personnelles ?

Le droit de connaître ses origines pour l'enfant pourrait se heurter au fondement de l'intérêt supérieur de l'enfant.Selon les pouvoirs publics, si la pratique de l'accouchement sous X n'existait pas, la vie de l'enfant serait probablement en danger.C'est pourquoi, la légalisation de l'accouchement sous X a permis de lutter contre l'infanticide et l'abandon clandestin des nouveaux-nés.

L'infanticide est le fait, pour une mère, de tuer son nouveau-né et ce crime est puni de la réclusion criminelle à perpétuité selon l'article 221-4 du code pénal. 34

Les jeunes femmes peuvent par exemple étranglés, asphyxiés voir noyés leurs nourrissons qui se retrouvent dans des congélateurs, dans des poubelles voir dans des lieux publics.

Notons que le nombre d'infanticides est impossible à connaître car il est compris dans les statistiques des meurtres de mineurs de moins de quinze ans. 35

32. article L222-6 du CASF33. article L.147-6 du CASF34. article 221- 4 du code pénal : Le meurtre est puni de la réclusion criminelle a perpétuité lorsqu'il est commis sur un mineur de quinze ans (…)35. http://www.academie-medecine.fr/publication100036301/

L'abandon clandestin consiste à abandonner son nourrisson vivant dans des lieux variés et dans des conditions précaires. Faute de premiers soins, l'enfant peut mourir.

La reconnaissance de l'institution de l'accouchement sous X aboutirait in fine à la protection physique de l'enfant.

Comme le législateur français n'a pas reconnu un droit pour l'enfant de connaître ses origines personnelles, la question qu'il faut dès lors se poser est de savoir si les justiciables peuvent-ils invoquer l'article 7-1 de la CIDE devant les juridictions françaises?

L'article 7-1 de la CIDE ne pouvait pas de prime abord être invoqué par les justiciables puisque la première chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 10 mars 1993, refusait l'applicabilité directe des dispositions de cette convention en droit interne. 36

Toutefois, un revirement de jurisprudence est intervenu, avec l'arrêt en date du 18 mai 2005, où la première chambre civile de la Cour de cassation admet enfin l'applicabilité directe de la CIDE dans l'ordre interne. 37

La première chambre civile confirme sa position en faisant référence pour la première fois à l'article 7-1 de la CIDE pour admettre l'efficacité de la reconnaissance prénatale d'un enfant né sous X faite par le père. 38

Sur ce point, il faudrait, que de manière idéale, les États parties à la Convention interprètent de manière identique l'expression « dans la mesure du possible » en se référant à un système de valeurs et aux mœurs de manière plus générale afin que les législations soient identiques d'un pays à un autre.

Le défi peut paraître immense et utopique, dans la mesure où 192 pays ont ratifié cette Convention et chaque pays ayant une culture, des traditions, des aspects économiques différents.

Mais le défi est nécessaire car cela permettrait d'éviter les dégâts psychologiques et émotionnels que subissent des enfants qui ne connaissent pas la vérité sur eux-mêmes.

Victor HUGO écrivait à ce propos que : « Le passé est une partie de nous-même, la plus essentielle peut-être. Qu'est ce qu'un arbre sans racine ? Qu'est

Communiqué de l'Académie nationale de médecine à propos de l'accouchement dans le secret lors de sa séance du 8 mars 2011.36. Cass, 1er civ, 10 mars 1993, pourvoi n°91-1131037.Civ. 1ere, 18 mai 2005, n° 02-20.61338. Civ. 1ere, 7 avril 2006, n°05-11.285

ce qu'un fleuve sans sa source ? Qu'est ce qu'un peuple sans son passé ». 39

Pour HUGO, la quête des origines est une étape nécessaire dans le processus de construction de l'identité, de la personnalité de l'enfant.

De nombreux psychiatres et psychanalystes se sont aussi intéressés à ces enfants qui sont abandonnés à la naissance.

Pour la psychanalyste Myriam SZEJER, formée auprès de Françoise DOLTO, « un enfant, pour se construire, doit savoir d'où il vient, sinon ces derniers garderont des séquelles à vie ». 40

Mais le premier défi qu'il faudrait relever serait déjà de mettre en place une structure centralisée chargée de faire respecter par les États signataires de la Convention les dispositions du texte international.L'absence de sanction laisse toute latitude aux États pour respecter ou non la Convention.

L'institution de l'accouchement sous X a été contrôlée par les juges au point de vue de sa conformité à la Convention européenne des droits de l'homme et du citoyen et à la Constitution française.

Tout d’abord, la Cour européenne des droits de l'homme et du citoyen a du se prononcer sur le dispositif français de l'accouchement sous X puis sur le système italien.

Le droit à connaître ses origines est protégé par l'article 8 de la CEDH qui prévoit que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».

L'arrêt Gaskin contre Royaume-Uni rendu le 7 juillet 1989 par la Cour indiquait que « le droit au respect de la vie privée exigeait que chacun puisse établir les détails de son identité d'être humain ». 41

Au vu de cet arrêt, on aurait pu penser que la France allait se faire condamner par la Cour européenne des droits de l'homme et du citoyen (CEDH).

Mais tel ne fut pas le cas.

Dans un arrêt Odièvre contre France en date du 13 février 2003, les juges de Strasbourg ont eu à apprécier la conformité de la loi du 22 janvier 2002 à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui proclame le

39. C.CHABUT, « Parents et enfants face à l'accouchement sous X », L'Harmattan, 2008, p. 9940. Entretien de Madame Myriam SZEJER réalisé pour le magazine ELLE par Dorothée WERNER et publiée la semaine du 16 mai 2014. Page 154 à 156.

41. Arrêt Gaskin c/ RU, 7 juillet 1989, requête n° 27533/95

droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale.

La Cour indique que l'article 8 protège le droit de l'enfant à connaître son histoire mais également le droit au secret de la femme qui choisit si oui ou non son identité sera divulguée.Or, avec la loi du 22 janvier 2002, le législateur français a assuré un équilibre entre les intérêts en présence. 42 43

Le système français de l'accouchement sous X, tel qu'il résulte de la loi du 22 janvier 2002, n'a donc pas été condamné par la Cour européenne des droits de l'homme et du citoyen qui admet sa conformité à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Toutefois, cet arrêt n'a semble-t-il pas convaincu dans la mesure où la décision n'a pas été prise à une grande majorité; la Cour a en effet rendu sa décision à 10 voix contre 7. De plus, la motivation a été jugée insuffisante par une bonne partie de la doctrine. 44

Cette analyse a conduit la Cour, a condamné l’Italie le 25 septembre 2012, dans un arrêt Godelli contre Italie, pour avoir violé l'article 8 de la CEDH, dans la mesure où le désir d'anonymat de la femme italienne lors de la naissance était définitif et le système italien ne prévoyait pas la réversibilité du secret.Pour la Cour, il y a donc une absence d'équilibre entre les intérêts en présence. 45

Mais qu'en est-il de sa conformité à la Constitution française ?

La loi du 22 janvier 2002 a été soumise au contrôle de constitutionnalité et dans une décision en date du 16 mai 2012, les juges de la rue Montpensier ont déclaré que le système de l'accouchement sous X issu de la loi du 22 janvier 2002 était conforme à la Constitution. 46 47

42. CEDH Odièvre contre France, 13 février 2003, requête n°42326/98« Dans la mesure où une personne née sous X peut solliciter la

réversibilité du secret de l'identité de sa mère, sous réserve de l'accord de celle-ci, la France n'a pas excédé la marge d'appréciation qui doit lui être reconnue en raison du caractère complexe et délicat de la question que soulève le secret des origines au regard du droit de chacun à son histoire, du choix des parents biologiques, du lien familial existant et des parents adoptifs et, partant, n'a pas violé l'article 8 de la Convention. »

43. P.MURAT, « L'accouchement sous X n'est pas contraire à la Convention européenne des droits de l'homme », Droit de la famille, mai 2003, comm.5844. cf propos 3945. Cour EDH, 25 septembre 2012, Godelli contre Italie, n° 33783/0946. CC, n° 2012-248 QPC, 16 mai 2012, Mathieu E47. C. NEIRINCK, « Le Conseil constitutionnel, l'accouchement secret et l'accès aux origines personnelles de l'enfant», Droit de la famille n°7, juillet 2012, comm.120

Ainsi, le dispositif de l'accouchement sous X inscrit dans la loi du 22 janvier 2002 a été déclaré conforme aux textes supra-législatifs à savoir la CEDH et la Constitution française.Malgré cet état de fait, force est de constater la prééminence de la mère biologique par rapport à l'enfant né sous X.La mère a un véritable droit au secret alors que l'enfant a simplement un « droit » éventuel, voir une simple possibilité d'accéder à ses origines.

Plusieurs rapports ont évoqué le désir de rechercher une solution équilibrée entre les droits de la mère et ceux de l'enfant.Toutefois, on va le voir, une parfaite conciliation entre ces protagonistes semble utopique.

En octobre 2013, la ministre délégué chargé de la Famille, Dominique Bertinotti, avait fait appel à 4 groupes de réflexion qui ont chacun rendu un rapport en vue de préparer le projet de loi « Famille/Enfance » qui a été abandonné avant les élections municipales en mars 2014.

Ces rapports ont divergé sur la question de l'accouchement sous X et notamment sur la question de l'accès aux origines des personnes nées sous X.

Parmi les rapports, il semble primordial d'évoquer le rapport d'Irène Théry 48 et le rapport d'Adeline Gouttenoire. 49

Ces deux groupes de travail semblent s'être mis d'accord sur un point, celui du recueil systématique de l'identité de la mère de naissance par le représentant du CNAOP dans le département concerné.Ainsi, les deux groupes proposent de transformer l'accouchement anonyme en accouchement secret. 50

Désormais, la faculté offerte à la mère de laisser des informations lors de l'accouchement s'est transformée en une réelle obligation.

Toutefois, c'est sur la levée du secret que les groupes de travail ont exprimé le plus de divergences.

En effet, le rapport Théry préconise l'institution d'un véritable droit d'accès aux origines à partir de l'âge de la majorité si la personne majeure en fait la demande. 51

48. http://www.justice.gouv.fr/include_htm/etat_des_savoirs/eds_thery-rapport-filiation-origines-parentalite-2014.pdf49. http://www.conseil-national-adoptes.fr/adoption/rapport-gouttenoire/50. A GOUTTENOIRE, « Interview d'Adeline Gouttenoire, Présidente du groupe de travail », AJ Famille, 2014, p.297

51. THERY, « Filiation,origines, parentalité : le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle », Droit de la famille n°9, septembre 2014,

Ce rapport reprend la même mesure qu'avait proposé la députée UMP Brigitte Barèges dans son rapport sur l'accouchement sous le secret qui a été rendu le 12 novembre 2010 mais qui est resté lettre morte.Selon la députée, la mère de naissance devait obligatoirement laisser son identité lors de son admission et l'enfant ayant atteint la majorité aurait pu accéder de plein droit à l'identité de sa mère.52

Toutefois, le rapport Théry précise que le droit à la connaissance de l'identité de la mère n'emporte pas un droit à la rencontre pour l'enfant né sous le secret. Tout contact ou rencontre devra être soumis à l'accord préalable de la mère de naissance.53

Gilles Séraphin indique à ce titre que, si l'enfant arrive à obtenir l'adresse de la mère une fois l'identité de cette dernière divulguée, aucune disposition n'est prévue dans le rapport pour que la mère puisse s'opposer à cette rencontre. 54

Parmi les mesures encore prévues dans ce rapport, il est prévu la possibilité pour l'enfant, accompagné de ses représentants légaux, d'avoir accès, dès sa minorité aux renseignements non identifiants sur sa mère. 55

Autre mesure phare du projet c'est celle de réinstaurer une fin de non recevoir à l'action en recherche de maternité.Ainsi, l'enfant qui recueille l'identité de la mère ne pourra pas mener à bien une action en recherche de maternité. 56

Le rapport Théry peut être critiqué dans la mesure où l'identité de la mère pourra être tout le temps divulguée si l'enfant majeur en fait la demande.La mesure proposée par le rapport constitue clairement une mise à mort, à terme, de l'accouchement sous X.

Le second rapport présidé par Adeline Gouttenoire propose, quant à lui, d'imposer à la mère de laisser son identité lors de l'accouchement, mais la connaissance de l'identité de la mère par l'enfant à sa majorité ne serait pas un droit comme cela est prévu dans le rapport Théry.Le groupe de travail souhaite mettre en place une garantie pour la mère car si tel n'était pas le cas, il y aurait un risque que les mères n'accouchent pas à l'hôpital et abandonnent sauvagement l'enfant. La santé de la mère ainsi que

dossier 252. B. BAREGES, « Rapport de la mission parlementaire sur l'accouchement sous le secret », 12 novembre 2010, Spéc. p.6553. http://www.justice.gouv.fr/include_htm/etat_des_savoirs/eds_thery-rapport-filiation-origines-parentalite-2014.pdf, p.26854. G. SERAPHIN, « Protéger un enfant en accompagnant la construction de son parcours de vie. Les récents rapports « Enfance/Famille » en perspective », Journal du droit des jeunes, 2014/8 N°338-339, p. 5755. http://www.justice.gouv.fr/include_htm/etat_des_savoirs/eds_thery-rapport-filiation-origines-parentalite-2014.pdf, p. 26656. op cité 51, p.268

celle de l'enfant pourrait être mise en danger. 57

Si l'enfant âgé de 18 ans fait la demande, la mère sera informée par le CNAOP et pourra refuser ou accepter la révélation de son identité. 58

Le secret de l'identité de la mère ne sera dévoilé que si elle lève spontanément le secret sur son identité ou si elle lève le secret à la suite de la demande de l'enfant, ou lors de son décès si elle ne s'y est pas opposée de son vivant. 59

Par ailleurs, les membres du groupe de travail souhaitent également renforcer les prérogatives du CNAOP et améliorer l'accompagnement des mères de naissance. 60

Enfin, le dispositif actuel mis en place en cas de décès de la mère biologique n'est pas modifié par les membres du groupe de travail. 61

Contrairement au rapport Théry, le rapport Gouttenoire tente de mettre en place un début d'équilibre entre les droits de la mère et les droits de l'enfant. Début d'équilibre car l'enfant aura la possibilité de connaître le nom de sa mère par le recueil systématique de l'identité de cette dernière lors de l'accouchement, mais néanmoins avec l'accord de la mère. Comme le rapport Gouttenoire envisage uniquement une obligation d'information identifiante qui pèserait sur la femme qui accouche secrètement, information qui serait détenue par le CNAOP, il serait judicieux de mettre en place également une obligation d'information non identifiante à la charge de la mère pour que l'enfant puisse accéder à ces informations quel que soit son âge.

Cette mesure doit être mise en place dans le but d'instituer une symétrie quasi-parfaite entre les droits de la mère et les droits de l'enfant.

Pourquoi quasi-parfaite ?

Car si la mère refuse de donner son accord pour la divulgation de son identité à l'enfant âgé de 18 ans, ce dernier pourra au moins accéder à des renseignements sur sa santé, sur celle de son père et de sa mère et sur les circonstances de sa naissance.

Cette proposition atténuerait très fortement la suprématie de la mère et

57. G. SERAPHIN, « Protéger un enfant en accompagnant la construction de son parcours de vie. Les récents rapports « Enfance/Famille » en perspective », Journal du droit des jeunes, 2014/8 N°338-339, p. 5758. A GOUTTENOIRE, « Interview d'Adeline Gouttenoire, Présidente du groupe de travail », AJ Famille, 2014, p. 29759. http://www.conseil-national-adoptes.fr/adoption/rapport-gouttenoire/60. F. EUDIER, «40 propositions pour adapter la protection de l'enfance et l'adoption aux réalités d'aujourd'hui » AJ Famille 2014, p. 295

61. http://www.conseil-national-adoptes.fr/adoption/rapport-gouttenoire/ p.98

améliorait le droit de l'enfant né sous X à accéder à ses origines.

De plus, il serait loisible également de réinstaurer une fin de non-recevoir à l'action en recherche de maternité en cas de recueil de l'identité de la mère mais tout dépendra de l'adoption ou non de l'enfant qui a été abandonné à sa naissance.

Soit l'enfant n'a pas été adopté et ce dernier pourra établir un lien de filiation avec la mère.Soit l'enfant a été adopté et ce dernier ne pourra pas mener à bien une action en recherche de maternité dans la mesure ou un lien de droit irréversible a été crée entre les parents adoptifs et l'enfant.En effet, le système de l'adoption est essentiel et ne peut être remis en cause car il offre à un enfant des parents qui lui donneront tout l'amour qu'il n'a pas pu avoir avec sa mère biologique, ainsi qu'une stabilité qu'il n'avait pas lorsqu'il a été abandonné à sa naissance.

Les familles adoptives doivent être protégées et ne doivent pas craindre de pouvoir perdre un enfant.

Toutefois, l'accouchement sous le secret reste un acte qui entraîne de graves conséquences. (2)

2) Les conséquences de l'accouchement sous le secret

L’institution de l'accouchement sous X produit également des effets importants à l'égard des autres membres de la famille biologique et notamment des pères (a) et des grands parents biologiques (b).

a) Les conséquences à l'égard du père biologique

Les médias évoquaient peu cette troisième catégorie de personnes dans la mesure où le débat sur l'accouchement sous X était véritablement centré sur la mère et l'enfant. Toutefois, au début du XXI ème siècle, les juridictions françaises ont été saisies pour la première fois par les pères qui réclamaient l'établissement de leur filiation à l'égard de leur enfant, indépendamment du choix de la mère qui a accouché sous X.Plusieurs décisions de justice privilégiaient clairement la mère en déboutant les pères de leurs demandes mais un arrêt récent, très largement médiatisé, a fait droit pour la première fois à la demande du père en reconnaissant la validité de sa reconnaissance ante-natale.

*L'établissement normal de la filiation paternelle en France

En droit, les modes d'établissement de la filiation paternelle sont nombreux et dépendent du statut du couple.

L'article 310-1 alinéa 1 du code civil précise que « la filiation est légalement établie, (…), par l'effet de la loi, par la reconnaissance volontaire ou par la

possession d'état constatée par un acte de notoriété ».

-En présence d'un couple marié, la filiation est établie par l'effet de la loi.La filiation maternelle est établie lorsque le nom de la mère est indiqué dans l'acte de naissance de l'enfant. 62

Si le lien de filiation est établi à l'égard de la mère de l'enfant et que ce lien est issu du mariage, la filiation paternelle va s'établir automatiquement par un mécanisme légal qui est la présomption de paternité du père : le mari est présumé être le père de l'enfant. 63

Par conséquent, il n'aura aucune démarche à accomplir pour établir sa filiation à savoir de procéder à un acte de reconnaissance de l'enfant, son nom sera tout de suite inscrit dans l'acte de naissance de l'enfant.

La filiation établie par l'effet de la loi apparaît donc indivisible.

-En présence d'un couple non marié, la filiation s'établit différemment à l'égard de la mère et du père et est donc divisible.

L'ordonnance du 4 juillet 2005, entrée en vigueur le 1er juillet 2006, 64 a modernisé et simplifié le droit de la filiation issu de la loi du 3 janvier 1972. Une des innovations majeures de l'ordonnance a été de faire disparaître la distinction filiation légitime et filiation naturelle et d'avoir généralisé le mode d'établissement de la filiation maternelle à la mère non mariée. Toutefois, la présomption pater is est uniquement applicable au couple marié.

Ainsi, concernant la mère, il suffit que le nom de la mère soit inscrit dans l'acte de naissance de l'enfant pour que la maternité soit établie.65

La filiation maternelle est automatique et la mère n'a aucune démarche à accomplir.

Par contre, s'agissant du père, ce dernier doit avoir fait une reconnaissance de l'enfant, soit avant la naissance, soit après la naissance de ce dernier. 66

Toutefois, force est de constater qu'en présence d'un accouchement sous X, de

62. article 311-25 du code civil : « La filiation est établie, à l'égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l'acte de naissance de l'enfant. »63. article 312 du code civil : «L'enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari».64. cf ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 200565. op cit 311-25 du code civil.66. article 316 alinéa 1 du code civil : « Lorsque la filiation n'est pas établie dans les conditions prévues à la section I du présent chapitre, elle peut l'être par une reconnaissance de paternité ou de maternité, faite avant ou après la naissance ».

profondes inégalités se dessinent entre la filiation maternelle et la filiation paternelle.

* Les difficultés d'établissement de la filiation paternelle dans le cadre d'un accouchement sous X

Dans le cadre d'un accouchement sous X, la mère de naissance a demandé à ce que son admission à l'hôpital et son identité soient tenues secrètes. 67

Par conséquent, le nom de la mère, mariée ou non mariée, n'est pas inscrit dans l'acte de naissance de l'enfant et de ce fait aucune filiation maternelle n'est établie à l'égard de l'enfant.

Dans le cadre d'un couple marié, comme la maternité n'a pas été établie, le jeu de la présomption de paternité ne pourra pas se déclencher.En droit, aucune disposition légale n'interdit au prétendu père d'établir sa paternité. Par conséquent, le père marié va avoir les mêmes droits que le père non marié et pourra effectuer une reconnaissance avant la naissance ou dans un délai de 2 mois suivant la naissance de l'enfant né d'une mère ayant accouché sous X. 68

Toutefois, en fait, l'accouchement sous X prive, dans de nombreux cas, l'efficacité de la reconnaissance paternelle de l'enfant né sous X.

Dans le cadre de la reconnaissance pré-natale 69 70 visée à l'article 316 alinéa 1 du code civil, la reconnaissance porte sur l'enfant dont telle femme doit accoucher.

Dans le cadre d'un accouchement sous X, la reconnaissance souscrite avant la naissance concerne  « l'enfant d'une femme, qui selon la loi, n'a jamais accouché, et de ce fait est privée d'effet ». 71

Dans cet arrêt, la Cour d'appel de Riom considère que comme l'enfant est né d'une mère juridiquement inconnue, il est donc impossible de tenir compte de

67. op cit article 326 du code civil, article L222-6 du Code de l'action sociale et des familles68. article 351 alinéa 2 du code civil : « Lorsque la filiation de l'enfant n'est pas établie, il ne peut y avoir de placement en vue de l'adoption pendant un délai de deux mois à compter du recueil de l'enfant. »69. Pour effectuer une reconnaissance pré natale, l’intéressé se rend dans n'importe quelle mairie en présence d'une pièce d'identité. L'acte de reconnaissance est établi par l'officier d'état civil et signé par le parent concerné. L'officier d'état civil remet une copie de l'acte que l’intéressé devra présenter lors de la déclaration de naissance.70. Cf http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/F887.xhtml

70. article 316 alinéa 3 du code civil : « Elle est faite dans l'acte de naissance, par acte reçu par l'officier de l'état civil ou par tout autre acte authentique »71. CA Riom, 7 décembre 1997

la reconnaissance pré-natale de paternité.

La Cour d'appel de Nancy confirme la position de la CA de Riom, dans un arrêt du 23 février 2004, où les juges avaient considéré que la reconnaissance pré-natale faite par le père était tout simplement privée de toute efficacité du fait de la décision de la femme d'accoucher sous X, soulignant qu' « admettre le contraire reviendrait à violer le droit à l'anonymat reconnu par la loi à la mère ». 72

L'analyse faite par les deux Cours d'appels constitue clairement une fiction juridique car il y a bien un enfant qui est né.De plus, si on reprend les termes exactes des articles du code civil ou du code de l'action sociale et des familles, aucune disposition ne précise que lors d'un accouchement sous X, la femme n'a pas accouché. L'article 316 du code civil et l'article L222-6 du Code de l'action sociale et des familles précisent juste que l'admission et l'identité de la femme seront préservés.Il s'agit d'un obstacle de fait qui est posé par les juges, lesquels défendent indiscutablement la thèse de l'accouchement sous X. Dans l'hypothèse où les juges reconnaîtraient l'efficacité d'une reconnaissance pré-natale effectuée par le père, cela aurait pour conséquence de remettre en cause l'accouchement sous le secret.

Indépendamment de cet obstacle de fait, demeure un obstacle de droit.La reconnaissance prénatale est quasi impossible à être transcrite en marge de l'acte de naissance de l'enfant dans la mesure où le prétendu père ne connaît pas le lieu et la date de la naissance de l'enfant; la femme qui accouche sous X cachant le plus souvent ces éléments au père. La reconnaissance ne peut donc pas être automatiquement inscrite.

Le père, qui effectue une reconnaissance pré-natale ou une reconnaissance après la naissance, va donc se trouver confronté à une difficulté à savoir l'identification de l'enfant.C'est pour cette raison que la loi du 22 janvier 2002 a introduit l'article 62-1 dans le Code civil en permettant aux pères de saisir le Procureur de la République, lequel procédera à la recherche des date et lieu d'établissement de l'acte de naissance de l'enfant. 73

Dans l'hypothèse où le père arrive à surmonter l'étape de l'identification de l'enfant, ce qui est très rare en pratique, faut-il encore que la demande en restitution de l'enfant intervienne dans un délai de 2 mois, à compter de la remise de l'enfant à l'ASE. 74

72. CA de Nancy, 23 février 200473. article 62-1 du code civil : « Si la transcription de la reconnaissance paternelle s'avère impossible, du fait de secret de son identité opposé par la mère, le père peut en informer le procureur de la République. Celui-ci procède à la recherche des date et lieu d'établissement de l'acte de naissance de l'enfant. »74. article 351 alinéa 2, op cité

Passé ce délai, l'enfant sera admis en qualité de pupille de l’État et sera placé en vue d'une adoption.75

Un recours pourra toujours être formé contre l'admission de l'enfant comme pupille de l’État dans un délai de 30 jours, mais en pratique, dans de nombreux cas, le père identifie trop tard l'enfant.76

On le constate, l'acte de reconnaissance risque de ne produire aucun effet lors d'un accouchement sous X en raison de la difficulté rencontrée par le père d'identifier son enfant dans le délai de 2 mois.

C'est pourquoi, il serait judicieux de créer dans un premier temps un fichier départemental qui répertorierait tous les accouchements sous X qui ont eu lieu dans chaque département.

Lorsque une femme a accouché sous X à l'hôpital, le personnel hospitalier qui s'est occupé de la mère aura une obligation de signalement de l'accouchement sous X auprès du CNAOP. Le personnel soignant aura l'obligation de communiquer le jour de l'accouchement sous X ainsi que le lieu de naissance de l'enfant mais aura l'interdiction formelle de divulguer l'identité de la mère de naissance afin de préserver le secret de son identité.

Parallèlement, un autre fichier départemental devra être crée afin de regrouper dans chaque département toutes les reconnaissances qui ont été établies avant et après la naissance d'un enfant.Ce travail s'effectuera par la mairie du département en question qui transmettra le fichier au CNAOP.

Les reconnaissances postnatales d'un enfant « né de personne » devront forcément contenir des informations à savoir le nom, le prénom du père, la ville natale du père et de la mère, ainsi que l'hôpital le plus proche du domicile de la mère; informations que le père divulguera.

Pour les reconnaissances prénatales, si le père est informé qu'un abandon de son enfant aura lieu à la naissance, ce dernier devra également transmettre les mêmes informations obligatoires contenues dans les reconnaissances post-natales.A l'inverse, si le père n'est pas informé qu'un accouchement sous X aura lieu, ce dernier devra préciser les informations sus mentionnées au Procureur de la République.

Le Procureur de la République pourra consulter ces fichiers afin d'identifier le plus rapidement possible l'enfant issu de tel père dans le délai de deux mois et permettre ainsi que l'acte de reconnaissance du père produise ses effets.L'objectif de ces fichiers sera ainsi de faciliter le travail de recherche du Procureur de la République.Notons que le Procureur de la République ne pourra jamais accéder aux

75. article L224-4 du Code de l'action sociale et des familles

76. article L224-8 du Code de l'action sociale et des familles

informations détenues par le CNAOP concernant l'identité de la mère de l'enfant.

Si le Procureur de la République n'a pas réussi à trouver la trace de l'enfant dans le délai de deux mois, un délai supplémentaire de 1 mois lui sera accordé pour retrouver l'enfant né sous X.

Dans le cas où le Procureur de la République arrive à identifier l'enfant dans le délai imparti, l'acte de reconnaissance produira ses effets et le père pourra établir sa filiation paternelle à l'égard de son enfant, avec effet rétroactif au jour de la naissance de ce dernier.Toutefois, ce dernier aura une obligation de confidentialité sur l'identité de la mère vis à vis de son enfant, sous peine de sanctions.Si l'enfant veut connaître l'identité de sa mère, il devra attendre sa majorité pour faire la demande auprès du CNAOP, à charge pour la mère d'accepter ou de refuser de dévoiler son identité.

Dans l'hypothèse où le Procureur de la République n'arrive pas à retrouver la trace de l'enfant dans le délai de trois mois, l'enfant sera admis en qualité de pupille de l’État et sera placé en vue de son adoption.

Que se passe -t-il si le père arrive à retrouver la trace de l'enfant alors que ce dernier a été placé en vue d'une adoption ?L'article 352 alinéa 1 du code civil est très clair et prévoit que « le placement en vue de l'adoption met obstacle à toute restitution de l'enfant à sa famille d'origine. Il fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance ».

Le Code civil interdit donc la restitution de l'enfant et fait échec à toute reconnaissance de l'enfant, mais non à une reconnaissance ante-natale.

En effet, dans une célèbre décision Benjamin rendue le 7 avril 2006, la première chambre civile de la Cour de cassation décide pour la première fois que la reconnaissance pré-natale de l'enfant établit la filiation paternelle de l'enfant avec effet au jour de la naissance lorsque l'enfant a été identifié par son père avant que le conseil de famille, informé de cette reconnaissance, ne consente à l'adoption de l'enfant, même si le délai légal de 2 mois est écoulé et que l'enfant a été placé en vue de son adoption.Si bien que le conseil de famille des pupilles de l’État ne pouvait plus consentir valablement à l'adoption de l'enfant, seul le père naturel ayant ce pouvoir. 77

Ainsi, on l'aura compris, la date à laquelle le Conseil de famille donne son accord pour l'adoption de l'enfant et la date à laquelle ce dernier prend connaissance de l'existence d'une reconnaissance pré natale sont importantes.Si le Conseil de famille n'est pas informé d'une quelconque reconnaissance au moment où il donne son accord pour l'adoption, la procédure d'adoption sera jugé régulière.Par contre si le Conseil de famille est informé d'une reconnaissance et donne

77. Civ 1ère 7 avril 2006, pourvoi n° 05-11285

quand même son accord pour l'adoption de l'enfant, la procédure d'adoption sera jugé irrégulière.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation ouvre une brèche dans la pratique de l'accouchement sous X puisque la Haute juridiction admet pour la première fois que l'accouchement sous X ne fasse pas obstacle aux droits du père, lorsque ce dernier a reconnu, avant la naissance, son enfant.78

Si on admet que la reconnaissance pré-natale puisse prendre effet lorsque le père identifie l'enfant avant que le Conseil de famille, qui en a eu connaissance, consente à l'adoption, cela aurait probablement pour conséquence qu'a posteriori, le père pourrait dévoiler l'identité de la mère à son enfant. 79

Cet arrêt est donc en quelque sorte un revirement de Jurisprudence.

Toutefois, il faut noter que cette solution peut nuire à la stabilité de l'enfant, d'autant qu'en l'espèce, l'enfant était âgé de 6 ans.C'est pourquoi, la Cour d'appel de renvoi dans son arrêt du 12 décembre 2006 a prononcé d'une part l'adoption simple de l'enfant à l'égard du couple adoptif pour l'intérêt de l'enfant et d'autre part le fait que le père de sang continuerait à voir et à connaître peu à peu son enfant. 80

Le débat sur les droits du père lors d'un accouchement sous X a été relancé récemment avec l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Rennes le 25 novembre 2014.La Juridiction du second degré a refusé la restitution de l'enfant né sous X à son père biologique.(attente du commentaire sur cet article en février)

Le rapport Théry que nous avons évoqué précédemment s'est également intéressé au sort des pères de naissance.Il évoque deux situations :En premier lieu, soit la mère divulgue, lors de l'accouchement, l'identité du père de naissance ainsi que des renseignements non identifiants sur ce dernier et dans ce cas, le CNAOP ne pourra communiquer l'identité du père à l'enfant en raison d'une atteinte à sa vie privée.Toutefois, le CNAOP pourra communiquer à l'enfant des renseignements non identifiants sur son père.En second lieu, soit le père communique son identité au CNAOP, laquelle pourra être divulguée à l'enfant peut importe son âge, mais en pratique, il 78. B. MALLET-BRICOURT, « Droits du père et accouchement sous X : La Cour de cassation prend position », Dalloz, 2006, p. 117779. J.REVEL, « Une nouvelle famille unilinéaire : l'enfant né sous X et son père », Dalloz, 2006, p.170780. Cour d'appel de Reims, 12 décembre 2006, Défrénois, 2007, page 795, obs J. MASSIP

s'agit d'un cas extrêmement rare. 81

Le rapport Théry peut être critiqué car il prévoit uniquement des mesures permettant à l'enfant d'accéder à l'identité ou à des informations non identifiants sur son père.Aucune disposition n'est prévue pour l'amélioration du dispositif s'agissant du père biologique.

En outre, on regrette que le rapport Gouttenoire ne prévoit ni mesure permettant à l'enfant d'accéder à des informations sur son père, ni mesure qui permette au père d'établir plus facilement sa paternité dans le cadre d'un accouchement sous X.

Si les deux rapports ont amélioré sensiblement l'accès aux origines personnelles de l'enfant, lesdits rapports ne résolvent malheureusement pas la question des droits du père sur l'enfant né sous X.

Suite à l'arrêt « Benjamin », il serait intéressant d'insérer un alinéa après l'alinéa 1 de l'article 352 du code civil qui pourrait être rédigé de la façon suivante :

« Toutefois, même si l'enfant a été placé dans une famille d'accueil, la reconnaissance pré-natale de l'enfant produira son effet lorsque ce dernier a été identifié par son père avant que le conseil de famille, informé de cette reconnaissance, ne consente à l'adoption de l'enfant.La reconnaissance pre-natale ne pourra produire effet que si elle se trouve dans l'intérêt de l'enfant. »

Si la reconnaissance pre-natale produit effet, le lien de filiation sera établit entre le père de naissance et l'enfant. Le père aura une obligation de confidentialité vis a vis de l'enfant sur l'identité de sa mère, sous peine de sanctions.

L'accouchement sous X produit également des effets à l'égard de la famille de la mère et du père biologique et notamment des grands-parents biologiques (b).

b) Les conséquences à l'égard des grands-parents biologiques

La volonté de la mère de garder le secret sur son identité et sur son admission à l'hôpital empêche indirectement la famille de chacun des parents biologiques et notamment les grands-parents maternels et les grands-parents paternels à établir un lien de filiation avec l'enfant.

81. http://www.justice.gouv.fr/include_htm/etat_des_savoirs/eds_thery-rapport-filiation-origines-parentalite-2014.pdf, p. 269

C'est pourquoi, les grands parents ont également agi en justice afin que des droits sur l'enfant, né sous X, leur soit reconnu.

Les juges français ont refusé pendant longtemps d'accorder des droits aux grands-parents, tant lorsque ces derniers intervenaient volontairement dans la procédure d'adoption pour s'y opposer, que lorsque ces derniers contestaient l'arrêté d'admission de l'enfant en qualité de pupille de l’État.

Concernant l'intervention des grands-parents à la procédure d'adoption de l'enfant né sous le secret, une décision de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en date du 8 juillet 2009 mérite d'être mentionnée. 82

Dans cette affaire, les grands-parents sont intervenus volontairement dans la procédure d’adoption de l'enfant né sous X et la Cour de cassation a déclaré que comme leur intervention est principale, l'intérêt et la qualité pour agir sont nécessaires pour que l'intervention soit jugée recevable.Or, aucune filiation n'est établie entre la mère et l'enfant né sous X, par conséquent aucun lien ne peut être établi entre l'enfant et les grands-parents et ces derniers étaient dépourvus de toute qualité pour intervenir à l'instance en adoption. Leur intervention a dès lors été jugée irrecevable. 83 84

S'agissant de la contestation de l'arrêté d'admission d'un enfant en qualité de pupille de l’État par les grands-parents, une décision de la Cour d'appel d'Angers en date du 26 janvier 2011 est venue remettre en cause ce qui était acquis jusqu'à présent. 85

Des grands-parents ont saisi la justice pour obtenir l'annulation de l'arrêté portant admission définitive de l'enfant de leur fille en qualité de pupille de l’État.Pour être recevable à agir, ces derniers devaient établir un lien avec l'enfant. Pour ce faire, ils ont sollicité une expertise par examen comparé des sangs afin de démontrer la parenté biologique qui les unissait à l'enfant, ce qui a été autorisé par le juge des référés d'Angers le 8 octobre 2009. 86

82. Cour cass 1ère. 8 juillet 2009, n°08-20.15383. op cit Cour cass 1ère 8 juillet 2009

« Mais attendu que l'intervention des époux X..., qui, en s'opposant à l'adoption plénière et en prétendant assurer la charge de l'enfant ou, au moins, créer des liens avec lui, forment des demandes propres, est une intervention principale ; qu'elle suppose la réunion d'un intérêt et d'une qualité pour agir ; que l'arrêt retient , d'abord, par motifs propres et adoptés, que, pour leur conférer qualité pour agir, doivent être établis le lien de filiation qui les unit à D … X …, et celui allégué entre celle ci et C …, ; »

« qu'en l'absence de filiation établie entre leur fille et C …, les époux X …, n'avaient pas qualité pour intervenir à l'instance en adoption ; »84. J. MASSIP, « Les droits de la famille biologique en cas d'accouchement anonyme », La semaine juridique n°22, 31 mai 2010, 59885. Cour d'appel Angers, 26 janvier 2011, n° 10-0133986. TGI Angers 8 octobre 2009

Néanmoins, le TGI d'Angers, le 26 avril 2010, a rejeté la demande des grands-parents et a fait primer la volonté de la mère biologique qui a choisi d'abandonner sa fille à la naissance. Pour les juges de première instance, les résultats de l'expertise, qui établissaient un lien biologique entre les grands-parents et l'enfant, n'étaient pas suffisant pour démontrer un lien pouvant conférer qualité à agir contre l'arrêté d'admission de l'enfant comme pupille de l’État. 87

Les grands-parents ont fait appel de la décision et ont obtenu gain de cause auprès de la Cour d'appel d'Angers.Les juges du second degré considèrent que les grands-parents ont qualité à agir dès lors qu'ils justifient « d'un lien avec l'enfant, tel que visé par l'article L.224-8 du CASF » et que «  par ses visites régulières dès la naissance de l'enfant, parfois deux fois par jour, par ses démarches auprès des services du Développement social et solidarité du Conseil général où elle a manifesté sa volonté d'accueillir et d'élever H, tant personnellement que par l'intermédiaire de son avocat, Mme O. démontre qu'au delà des difficultés rencontrées pour le construire, elle justifie de l'existence d'un lien affectif de fait avec l'enfant, répondant aux conditions posées par l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles (…). » 88 89

Par conséquent, la cour d'appel d'Angers a confié la petite fille à ses grands-parents maternels et a annulé son statut de pupille de l’État, au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant, et ce malgré l'opposition de la mère.

Cette décision de justice est pour le moins inédite car elle confère pour la première fois des droits aux grands-parents, qui jusque là en étaient dépourvus.Suite à cette affaire, on a pu lire, dans les médias, que cette décision allait remettre en cause le principe de l'accouchement sous le secret.Pour autant, il faut être prudent et noter que l'affaire était très spécifique au niveau des circonstances dans la mesure où les parents de la mère étaient au courant de l'existence de cette grossesse et ont vu l'enfant à la maternité avec l'autorisation de la mère.Dans cette décision, la Cour d'appel d'Angers choisit de faire prévaloir la volonté des grands-parents biologiques sur la volonté de la mère en se fondant sur l'intérêt supérieur de l'enfant et le choix des grands-parents d'établir une vie familiale avec l'enfant. 90

Toutefois, il faut observer que le Conseil constitutionnel a prononcé dans une décision QPC en date du 27 juillet 2012 l'inconstitutionnalité de l'alinéa 1 de l'article L224-8 du CASF.91

87. TGI Angers, 26 avril 201088. Cour d'appel Angers, 26 janvier 2011, n° 10-01339 89. Claire NEIRINCK, « Le recours de l'article L.224-8 du Code de l'action sociale et des familles et les grands-parents biologiques »90. Adeline GOUTTENOIRE, « La victoire à la Pyrrhus des grands-parents biologiques... », La Semaine juridique n°7, 14 février 2011, 161

91. http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2012/2012-268-qpc/decision-n-

La déclaration d'inconstitutionnalité a pris effet à compter du 1er janvier 2014.

Il en résulte que dès lors, les grands-parents n'auront plus à établir la preuve d'un lien de fait avec l'enfant, leur qualité pour agir sera présumée. 92

2012-268-qpc-du-27-juillet-2012.115372.html92. Claire NEIRINCK, « Accouchement anonyme et secret, grand-parent et article L.224-8 du Code de l'action sociale et des familles », Droit de la famille n°4, Avril 2013, comm. 54