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XXXVIIT-2012 / ETUDES CEL TIQUES CNRS EDITIONS

Celto-Slavica. Essais de mythologie comparée

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XXXVIIT-2012

/

ETUDES CEL TIQUES

CNRS EDITIONS

SOMMAIRE

Mar·ion SAUREL, Stéphane VERGER, Audrey MORJGONI, Le vase orné de Plichancourt, <<Les Monts >> (Marnt>), el les cér·amiques à décor· d'étain en Champagne à La Tène ancienne ....... ........ .. . . . . . . 7

Venceslas KRUTA, La place et la signification du cheva l dans l'imagerie celtique.. ........ . ............................................. . . 43

Jean-Jacques CHARPY, Le bélier, l'oiseau rapace et leurs rappot·ts avec la Divinité pdncipale....................... . ....... ........................ 61

Anne GEISER, JuHa GENECHESI, Nicola SCOCCJMARRO, Monnaie et écriture au second âge du fer· autour· de l ' arc alpin.

Une nouvelle approche des statères épigraphes attribués naguèœ aux Salasses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77

Er·ic P. HAMP, Gaulish ordinals and theil· history ........ .. . .. ........ ...... 131 Ede P. IIAMP, llampica................................................. . ..... ..... 137

Pierr·e-Yves LAMBERT & David STIFfER, Le plomb gau lois de Rezé... 139 A.J. HUGHES, On substantiating lndo-European *w!k1'os 'wolf'

in Celtie, Continental anrllnsular ......... . ... ............. ... . ....... ... ... . . 165 Bemm·d SERGENT, Sueellus et Visvakarman. ..... ............ . .............. 175 Patrice LAJOYE, Celto-Slavica. Essais de mythologie comparée . . . . . . . . . . 197 Noémie BECK, Les cheveux de la Morrigain....................... . .... . .. . .. . 229 Paul RUSSELL, Culhwch 's weaponry: Penntireg and Enilleg.. . ... ... . . . .. 259 Piel'l'e-Yves LAMBERT, Notes de vieux-breton............................... 271

Nécrolobrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281 Résurnés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369 Abstn1cts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 375 Index des mots du volume XXXVIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 381

ISSN 037:-l-1928 ISBN 978-2-271-07460-7

111111111111111111111111 9 782271 074607 www .cm·seditions. fr· 55 €

CELTO-SLAVICA. ESSAIS DE MYTHOLOGIE COMPARÉE

PAR

Patrice LAJOYE

Les Slaves sont singulièrement ignorés dans les études comparatistes occiden­tales1 . Si l'on fuit exception de quelques mticles et chapitres de jeunesse de Georges Dumézil (et de ses retours sur ces travaux par la suite)2, les chercheurs à avoir clai­rement osé utiliser des matériaux slaves en les considérant comme d'égale valeur aux autres sont peu nombreux. Tout récemment, un important colloque a été publié, mais celui-ci montrait encore une nette prédilection pour la lingu istique3

. Quelques articles sont aussi parus ees dernières années duns le .Journal of lndo-European Stttdies. C'est encore trop peu.

Celle absence sin gu) ière tient essentiellement au fait que les sources anciennes concernant la mythologie slave sont quasiment inexistantes : en dehors de quelques allusions dans des textes médiévaux, aucun mythe, aucun récit ne nous est parvenu. Il faut clone faire appel au folklore, lequel est, quant à lui, particul ièrement abon­dant. Chants épiques, contes, cliclons : la richesse des Slaves à ce sujet est immense, même s'il faut manier ces matériaux avec précaution. Je tenterai donc une première approche, par le biais d'une petite série de sondages qui s'appuieront sur des compa­raisons exclusives avec: la mythologie celtique. Ce caractère exclusif serait d'ailleurs à expliquer par une analyse historique plus poussée'1. Nous verrons en lout cas au passage que ces comparaisons peuvent apporter un éclairage singulier sur quelques points intéressants et depuis longtemps é tudiés de la mythologie celtique.

Yspaddaden Penkawr en Russie

.T'ai déjà eu l'occasion de signaler des personnages du même type que le géant gallois Yspaddaden Penkawr ehe7. les Slaves de l'Est' . J'ai depuis pu en trouver de

l. Cet article a faill'ohjel d'une communication partielle à la journée d'étude de novembre 2007 de la Société Belge J 'Études Ceiliques.

2. On relèvera deux chapitres de D UMÉZIL, 1924, un autre de D UMÉZIL, 1929, les articles DUMÉZIL, 1925 a cl b ; 1969; cl deux esquisses de mythologie : D UMÉZIL, 2003 . On ne peul que conseiller la lecture de ces lruvaux margiuuux dans l'œuv re de Georges Dumézil.

3. MAr. M A'I'llU:'oiA e t Fo~ll:'ol, 2006. 4. J'ai introduit, dans une petite étude sur le type or thodoxe d'icônP. de la Vierge à trois rna in~,

l'idée de la possible persistance locale de mythes celtiques issus des Celtes danubiens ou d' Illyrie : LAJOYE, 2010. D'autres voix ou modes de transmission sont sans cloute possibles.

5. LAJOYE, 2006 , pp. 221-222.

198 PATR ICE LAJOYE

nouveaux. Faisons-en l'inventaire d'Ouest en Est. Notre personnage apparaît au Nouveau-Mexique, dans un conte d'origine espagnole intitulé L'Oiseau vert6

• 11 y est question d'une jeune fille à la recherehe de ses deux frères qui vient à rencontrer un

vieil homme:

«Là, sur un vi~ux lit dans un coin de la pièec, il y avait un vieil, très vieil homme avec

une barbe qu i tombait sur ses genoux, des soun:ils et des cils qui tombaient sur son menton. Il essaya de parler, mais la barbe était si lourde qu'il ne le pouvait pas. Hemarquanl que le vieil

homme essayait de dire quelque chose, Maria prit un~ paire de ciseaux et lui coupa la barbe afin qu'il puisse parler ».

On remarquera que, même si l'histoire est ici très déformée, il est question de coiffer le personnage aux sourcils si imposants, comme dans le conte de Kulhwch et Olwen. Ce conte du Nouveau-Mexique vient comme il a été dit vraisemblablement d'Espagne, où une présence celtique antique est bien connue.

En Irlande, on connaît bien I3alor, qui a été plusieurs fois comparé à Yspaddaden Penkawr, il est inutile J'y revenir ; quant au Pays de Galles, c'est précisément le per­sonnage d'Yspuddaden Penkawr qui nous sert de point de départ.

Passons chez les Slaves, plus exactement les Slaves de l'Est. On les abordera par leur périphérie, grâce à un eon te tsigane, Le prince aux trois étoiles, collecté en Hongrie dans les années 1960, auprès d'un jeune conteur de 15 ans7

• Ce conte nous monh·e son héros trouver, dans une maison éclairée d'une simple bougie, une vieille sorcière. Le héros, en guise de salut, lui envoie des injures, auxquelles la sorcière répond:

« Merci de m'avoir saluée ainsi, autrement, j e l'aurais mangé. Je t'au ro is coupé la tête. Mais

il y a une fourehe dans le coin, sers-toi d'elle pour soulever mes sourcils, que je te voie. Car je ne te vois pas: mes sourcils sont trop grands>>.

Par la suite, la vieille sorcière engage le héros à son service. Un peu plus à l'Est, en Ruthénie subcarpathique, c:hez des Ukrainiens de Slovaquie

donc, le héros d'un c:onte, après avoir tué un dragon, rencontre sa mère, qui n'est autre que la version locale de la baba Jaga. Or elle aussi a besoin de fourches de fer pour soulever ses paupières8

.

En Ukraine, le personnage de Vij créé par Nicolas Gogol, monstre qui réclame qu'on lui soulève ses paupières afin de pouvoir voir un diacre qui se tient dans un cercle magique, réemploie en fail u11 motif associé dans les traditions populaires à

divers personnages : Bunjaka, Buno, Kasjan (sainL Jean Cassien)9• Dans certains cas

(Buno), des fotu·chcs sont nécessaires pour découvrir les yeux, dans d'autres (Kasjan), c'est une !oree maléfique ou un esprit mauvais.

6. CAMPA, 1947, pp. :326-328. 7. VALLIS, 1968, pp. 38.5-387. 8. Pm.fVKA, 1922, pp. 2.57-266. 9. L t:VKif.VSKAYA, 1998; lvA NOV, 1971; LVANOV, 1973; NAz,IREVSKI, 1969. Synthèse dans

BELOVA, 2002.

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CEIJ'O-SLAVICA. I~SSAIS DE MYTHOLOGJ E COMPAH ÉE 199

En Biélorussie, e'est un conte lié à l'équivalent local du héros Il'ja Muromec qui met en œuvre un tsar nommé << Glouton » (Pmfor) :

«E t le tsar é tait très gros; ses yeux é taient bouffis de gra isse e t ses sourcils broussailleux

et il ne voyait rien. Alors, il elit :

'Mes ser viteurs fidèles , soulevez mes sou rcils avec les fourehcs !'

U voulait regarder lll iuska. Et le brave garçon Tlliuska a pris sa massue e t venait déjà vers

lui, même le plancher eraqua il sous lui »10•

Plus à l'Est encore, en dehors du eonte que j'ai déjà abordé dans mon étude de 20061l, j 'ai pu retrouver notre motif dans un conte d'Afanassiev, La fille-roi 2, où l'on dit ceci:

«Alors le lsariévitch Vassili enfourcha son cheval P- l s'en fui , pa r-delà trois fois neuf pays,

dans le trois lois dixième é tal. [ ... ] Il gagna le royaume des l ions. Le roi-lion dit: ' Hola, mes sept

enfants! P renez les fourches de fer pour mc soulever lt::s paupières, afin que je puisse regarder

ce vaillant gaillard! ' Il le vi t, le œ connut e l se réjou it >>12

En revanche, il convient d'éliminer du corpus un personnage bohémien mentionné par Ralston d'après un conte par la suite traduit par Wratislaw13

• Ce personnage, nommé <<Vision Acérée», doit se bander les yeux ear sa vue est si puissante qu'il peul voir normalement il travers le bandeau. Mais s'il l'enlève, il brOle tout ce qu'il regarde. Cependant, le personnage en question n'a aucun problème de paupièœ, de cils ou de sourcils, il n'est pas un vieillard, el enfin, il est particulièrement secourable pour le héros du conte, ee qui tranche complètement avec les autres personnages analysés ici.

Passons de là directement au bouddh isme chinois et à son culte pour le disciple du Bouddha nommé Pindola Bharadvâja 1

'1• Celui-ci est décrit comme ayant des cheveux

blancs, eL des cils blancs si longs qu'ils pendaient et couvraient les pupilles de ses yeux au point qu'il devait s'aider J e ses mains pour y voir.

Allons toujours plus à l'Est et franchissons le Pacifique. En Colombie-Britannique, on a collecté à Fort Frazer un conte intitulé La femme qui se maria avec u.n grizzl)', qui n'esl pas, contrairement à ce que le titre pourrait fai re croire, une version de Jean de l'Ours. Ici, un des nombreux héros d e ce conte foisonnant, nommé Ahlnuk, rencontre un vieillard qui coupe un tronc d'arbre. Il va le voir et lui demande:

<< 'Grand-p ère, que fais -tu ?' 'Je fabrique une massue pour tuer Ahlnuk', répondit le vieil

homme, se r e tournant et soulevant ses paupiè res avec ses doigts pour voir qui le questionnait ».

10. Texte dans Gu:RKI el G UTAHAVA, 1959, pp. 51-56; mentionné aussi par l VMOV, 197;3. ll. LAJOYf., 2006, Af 137/77 : cj: infra. 12. Af 2.'3:~/l28b, recueilli dans la région de Perm. J'utilise ici le classerllf~nt élaboré par les

chercheurs soviél.iques sur les d iverses éditions du recueil d'Alexandre Afanassiev. 13. R ALS'f'ON, 1873, p. 8<~ ; WBATISJ.AW, 1890, pp. 5-16. 14. STROI\C, 1979, pp. 83-85.

-

200 1-'i\TRICE LAJOYE

EL aussiLôL Ahlnuk tue le vieil homme15•

Plus à l'Est, chez les Iroquois Scncca, le héros d'un conte, à la recherche de tabac, entre dans une maison où il trouve un vieillard nommé «Longs-Sourcils"· Trois fois, ille questionne pour savoir s'il en a, et le vieillard ne répond pas. Le héros le frappe et seulement alors le vieillard soulève ses cils pour voir qui s'adresse à hti16•

Plus au Sud, chez les Hopi, il est qm~sti on dans un conte d'un homme nommé Hasohkata, qui avait des paupières qui tombaient sur sa poitrine et qu'il devait sou­lever pour voüJ7•

Enfin, en Amérique du Sud, chez les Warau, on elit d'un esprit des bois qu'il doit s'allonger par terre, sur le dos, pour voir à travers se;;. lourds sourcils18•

La boucle est ainsi bouclée. On notera d'emblée que dans la plupart des cas, le personnage esl un vieil homme,

souvent «découvert>> dans une maison où il esl assis ou allongé. Il est généralement oisif cl semble attendre le héros. Le motif, un le voit bien maintenant, n'est même pas indo-européen, mais proprement eurasiatique avec une extension américaine prévi­sible. 11 esl donc vraisemblablement très ancien.

Cependant, si l'on rentre dans le dé tail, il est deux éléments qui ne sont propres qu'aux Celtes et aux Slaves : le caractère maléfique de l'œil (ou du regard) et la néces­silé de fourches ou .d'aide extérieure pour le dévoiler.

On notera au passage que la phrase mentionnant en même temps les fourches et la paupière elu géant comporte de fortes convergences lexicales dans les versions irlan­daises, galloises, biélorusses et russes. Faisons-en la synthèse19•

Nous avons donc quatre phrases : - en gallois : Drycheuu;ch y fyrch )' dan uyn deu runrant hyt pan welw)j' defil!yt

tqn daw20•

-en irlandais : T6caib mo malaig, a gille,' al Balor, 'co ndoécius an fer rescachfil ocom acalütim.

- en russe : Voz'mite-ka vil y zeleznyja, podymite moi lmmi i resnicy éornyja, ja pogljaiu, cto on za ptica, Cto ubil mo ix synove/1•

- en biélorusse : Slugi mae vernyja, padymicja mne vilkwni brouy! Xaceu en pagljadzec' na lttjusku22.

L'ensemble de ces données replacées dans un tableau esl éclairant:

15. } t::NNESS, 1934, p. 136. 16. CUHTIN, 1922, pp. 327-350. 17. Vo·nt, 1905, p. 164. 18. KtRCIIOFF, 1948, p. 880. 19. Je tiens à remercier chaudement ici Gaël Hily qui m'a particulièrement aidé sur la question

du lex ique celtique. 20. BnoMWICH et EVANS, 1992, p. 19. 21. Conte d'Ivan Bykovic, voir infra. 22. Cf. supra.

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Texte galloi~

Traduction

Commentaires

lexicaux

Texte irlan -

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Commentaires

lexicaux

Texte biélomsse

Traduction

Commentaires lexicaux

Texte russe

Traduction

Restitution générale

CET:I'O-SLAV ICA. ESSA IS DE MYTHOLOGIE COM PAH i!E 201

Mrw uy gweis- /Jrxchewvch y dun ttyn hyt pan welwyf dejityt uyn son dnuc a'm )' fyrch umrant duw direidyeit ? Heb ynteu

Où sont mes Levez les sous mes deux que je puisse la fu ture appa-serv ileurs, ces fourches paupiè1·es VOir renee de mon manants, ces gendre gens de r ien?

Gweisson: pl. de Dry chafo.el : Arnrant: « pau- Cwelet: <<voir>> gwas = i rl. joss «lever >> piè re>> <*weZ-(valet), = fran- < *to-ro-us~-

çais valet kab-Fyrch: pl. de f"orch

A gille, T6caib mo mo.laig 'co !Uloécius an fer rescach

lfil ocom acal-luirn

Mes «garçons,, Levez mes paupières que je pu isse Je bavard qu i = serviteurs voir d iscute avec

11101

Giolla: cf Do:fiagaib : Malaig: « pau- Do-écai: anglo-saxun « il lève » pière>> « VOl l")>

cild: « enfant». < *to-ro-uss-

<*gel-!: gab-

« entourer, encercler >>

Slugi mac ver- padymicja bmvy! Xaceu en 1 w Illjulku

nna mne vilkami pagljadzec'

Mes ser viteurs soulevez mes sourcils ! Il voulait voir llljuska

fidèles avec les

fou rches

Slugi: <<set~ Dymac : Hrovy: « sou r- gljadzec' :

vi leurs », cf. « lever » cil s>> (( regarder,

gaul. slougo, vilkwni : VOll' »

id. sluag: 1 itté ralement cf irl. glé ; <<troupe ». « petites gauL gliso-

fourches >>

V oz- Moi brovi i res- ]a pogljaiL~ éto on zu ptica mite-ku vily nicy éom yja. Cto nbil moi.-r

zeleznyjc~. SJ'IWVCJ

po<lymite

Pœnezles Mes sou re ils et .le jetterai un Quel est cel

fou rches de mes ci ls noirs coup d'œil oiseau qui a

fer, soulevez (épais). (regardera i) lué mes fi ls

Mes serviteurs, leve7. avee mes sourci ls 1 Je veux voir .. ... les fourches paupières.

202 PATHICE L AJOYE

Les différences lexicales entre ces versions montrent bien qu'on a ici non pas des traductions, mais une seule et même phrase héritée. Chez les Slaves, il est question de <<sourcils » ; chez les Celtes, de << paupières ». Dans tous les cas, on emploie un mot ayant le sens de <<serviteur >>, mais dans tous les cas aussi, ce mol a vraisemblablement eu un autre sens. Le biélorusse et russe slugi est bien apparent6 au celtique slougo : << troupe (année) >>. L'irlandais giolla désignait assez vraisemblablement <<ceux qui entourent >>, alors que le gallois gwas vient du gaulois vasso-, lequel a donné en fran­çais <<vassal >>. Le sens de serviteur est donc toujours secondaire : primitivement, il est possible que nous ayons iei une forme de Miinnerlnmd entourant le c:hef des démons. Enfin , on notera que dans tous les cas (sauf le biélorusse), l'objet de l'action, la per­sonne que le géant veut voir, est désigné par un sarcasme : << matériau de gendre » en gallois (sous-entendu <<celui qui ne parviendra jamais à le devenir»), << bavard» en irlandais, << oiseau » en russe.

Mais il me faut 'revenir sur le plus important des contes russes qui mention ne ce genre de personnage, Ivan Bykovié23

Alors que lui et ses frères viennent de vivre plusieurs aventures (il vient de tuer trois dragons), Ivan fil s de Taureau est trompé par la mère de ces monstres, qui l'em­mène dans l'antre de son mari, un souterrain.

<< La sorcière, elle, avait entraîné Ivan fils de Taureau dans un souterrain et elle l 'avai t conduit à son mari, un vieux toul déerépit : 'Tiens, lui dit-elle, voilà celui qui nous a tous perdus!' Allongé sur un liL de fer, le vieux ne voyait rien: de longs cils et des sourcils épais lui bouchaient entièrement les yeux. Il appela douze serviteurs géants à qui il ordonna: 'Prenez les fourc:hes de fer pour soulever mes sourcils et mes cils, afin que je voie celui qui a Lué mes fils!' Avec des fourches, les douze costauds lui soulevèrent eils et sourcils. Le vieux put alors regarder>>.

Contre toute attente, Ivan se met au service du vieux, qui lui demande d'aller lui chercher la <<tsarine aux boudes d'or », dans le << royaume que nul n'a vu>>, afin de

remplacer la vieille. Pour cela, Ivan monte sur un navire enchanté, suivi d'une multi­tude d'autres chargés de personnes. Il embarque avec lui divers eompagnons qui ont tous une et une seule spécialité: un qui sait manger du pain, un qui sai t boire bière et vodka, un qui sait prendre un bain de vapeur, etc.

Chacun de ses compagnons servira à accomplir une épreuve dif1<5rente imposée par le tsar du royaume en question, ou bien sa fille la tsarine, qu'Ivan finit par emme­ner avec lui.

Lorsqu'il revient auprès du père des dragons, il refuse de lui laisser l a fille. Le vieux lui lance alors un défi : chacun doit passer sur une perche posée au dessus d'un fossé. Ivan passe, mais le vieux non: il tombe et meurt. Ivan peut alors épouser la fille.

Tout cela n'est donc pas sans rappeler le conte gallois bien connu de Kulhwch et Olwen2

'1

• Kulhwch et la troupe du mi Arthur arrivent che7. le géant Yspaddaden Penkawr, car Kulhwch doi t conquérir sa fille. Aussitôt arrivé, le g6ant dit, on l'a vu:

23. •< Tvan fils de Taureau », Af 137/77. 24 . Traduction dans LAMBERT, 1993, pp. 121-164 .

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CI•: I.TO-SLAVICA . 1\SSAIS DE MYTHOLOGIE COMPARÉE 203

« Oll sont mes serviteurs, ces manants, ces gens de rien ? T .evez les fourches sous mes deux sourcils pour que je puisse voir mon futur gendre ».

Les ressemblances entre les deux textes ne sont. pas fortui tes car, comme l'a bien noté Pierre-Yves Lambert, le cœur du conte gallois c:orrespond au eonte-type AT 513A, <<Six compagnons vont par le monde entier>>, ce qui est aussi le classement de la fi n du conte Ivan-fils de Taureau. On peul a lors fai re une c:omparaison point par point entre les deux textes:

Kulbwch a une origine humble: il est né! 1 van a une origine humble: il est né dans une dans une porcherie, bien que son père soit étable, d'une vache, mais son père putatif est

noble rot

Kulhwch est contraint par sa belle mère d'aimer Olwen, fille d'Yspadcladen

Kulhwcl1 part à l'aventure avec les eompa- Ivan part à l'aventure avee ses deux frères

gnons d'Arthur

En route, il s maîtrisent un géant castré, sa Ivan tue trois d ragons, fi ls du vieux aux gros femme (une véritable ogresse), et leur chien sourcils. J .eur mère l'introduit dans la maison dont on dit. que <<tout ce qu'il y avait de bois elu vieux. mort et de broussailles dans le champ, son souffle l'avait brûlé». Puis ils tuent les neuf portiers et neuf chiens de garde cl'Yspadda-

den.

Kulhweh sc présente à Yspaddaclen Ivan se présente au vieux

<< Leve7. les fourches sous mes deux soureils << Prenez les iourehcs de fer pour soulever mes pour que je puisse voir mon futur gend re » soun:ils et mes cils, afin que je voie celui qu i a

tué mes fils ! >>

Yspaddaden impose à Kulhwch une série de Le Vieux envoie Ivan en quête d'une fille

quêtes dont la réussite lui fera accepter de clonuer sa fille

Pour eette quête, une série d'associés spéeia- Pour cette quête, une série d'associés spéeiali-lisés est néeessaire. sés est néc:essaire.

La quête réussit La quête réussit

Un compagnon de Kulhweh tue Yspaddaclen Le vieux meurt suite à un défi lancé à Ivan

Il œste cependant que le texte gallois est isolé, tandis que le conte russe n'est qu'une variante par mi d'autres, parfois h·ès divergentes, ne serait que dans le seul corpus de contes d'Alexandre A fanassiev. Serait-ce le seul hasard qui aurait conduit à ces ressemblances entre le texte gallois et le texte russe?

204 PATRICE LA JOYE

L'Histoire de Taliesin

Un autre conte russe intéressant notre uomaine est Le savoir magique 225• Une

vieille très pauvre avait un fils et elle Jésirait lu i faire apprendre << une science telle que lous deux n'aient plus à h·imer sans cesse pour se nourrir ou sc vêtir ». Étant sans argent, elle vcnuit son isba et par tit avec son fi ls à l'aventure. A lors qu'ils se œposeot sur une tombe, un vieillard surgit et propose d'enseigner toutes les sciences au fi ls, pendant sept ans. La mère pourra alors le reprendre si elle arrive à le reconnaître. Au bout de ce délai, la mère essaie de reconnaître son fi ls, mais le vieillard lui montre des oiseaux. Lu mère est incapable de reconnaître son garçon parmi eux el repart pour trois ans. Elle tente à nouveau sa chance et le vieillard lui présente des chevaux. Mais l'un d'eux parle et se présente comme son fi ls. La vieille peut alors repartir avec lui.

Plus tard, le garçon plein de science essaie de monter une combine pour gagner de l'argent: il va se transformer en cheval cl se laisser vendre au marché, avant de s'échapper.

Mais l'acheteur dupé n'est autre que le vieillard magicien. Quand le fi ls s'échappe, il se Lransfùnm~ en lévrier; le vieillard en loup gris; puis il se transforme en ours elle vieillard en lion. Le garçon se transforme alors en cygne et s'envole, mais le vieillard le poursuit sous forme de faueon. Le cygne devient grémille, c l le faucon brochet ; la grémille devient anneau d'or au pied de la princesse qui lave du linge : eelle-ci le ramasse et le met à son doigt.

Le vieillard reprend alors son apparence el vient se plaindre au roi que sa fille a pr is son anneau. La princesse le jelle alors à terre et l'anneau se transforme en menus grains de millet, dont un roule dans la chaussure de la jeune fille. Le vieillard se transforme en coq et se mel à manger tous les grains. Mais celui qui est caehé dans la chaussure se transforme en faucon qui lue le coq.

S'il y a un texte avec lequel il y a une comparaison à faire, c'est avec l'Histoire de Taliesin26

Keridwen a un fils si laid que pour favoriser Une vieille est si pauvre qu'elle veut faire son inser tion pa rmi les nobles, elle veut lui acquérir à son fils toutes les sciences. faire acquérir le don de prescienœ.

Keridwen prépare ria ns un chaudron une mixture dont seules les trois premières gouttes sont magiques.

Pour touil ler, Keridwen emploie un aveugle La vieille place son fil s comme apprenti chez qui lui-même est gu idé par un garçon nommé un mag1c1en. Gwion Hach.

Gwion Koch prend pour lui le savoir destiné au Le fils apprend pendant dix ans auprès de fils Je Keridwen. son maître.

25. A f 25l/140c. 26. Traduction dans LAMRF.RT, 1993, pp. 331-352.

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CELTO-SI.i\V LCA. ESSAIS DE MYTHOLOGIE COMPARÉE 205

Jl s'enfuit. Il s'0nfuit, avec l'aide de sa mère.

·e faisant Il rlé0irle de duper son maîtn~, en s

passer pour un clwva l à vendre.

Keridwen, fur ieuse, se lance à sa poursuite. I.e maître, fu ri0ux, se lance à sa p oursuite.

Diverses métamorphoses. Diverses métamorphoses.

Gwion Bach se chauge en grain de blé et se cache parmi d'autres grains dans une grange.

Le fils se change en grain de mille t parmi d'autres grains .

Keridwen se change en poule el mange tout, y compris Gwion llac:h.

1ange tout, I.e magicien se change en c:oq et n sauf le héros qu i, au dern ier morne change en faucon el mange le mag

nt, se .. ICJen.

ncore d'un La trame est donc très semblable, et pour cause, puisqu'il s'agit là e

conte-type bien connu, le AT 325, « Le magicien el son élève »27• Le conte

très fidèle au conte-type, ce que n'est pas l'Ilistoire de Taliesin, qui oubli

sages e L des motifs, pour en ajouter d'autres (le chaudron). Mais ce q ui es

aux deux versions, r usse et galloise, et a priori à elles seules, est la volot

d'une mère de donner lu << seience » à son fils, volonté a bsente des autre

européennes. On ne peut que s'interroger sur ce point commun fort.

russe est

e des pas-

t commun

llé initiale

s versions

Danilo, le chevalier au lion

ylines, les Pour changer de genre, a bandonnons les contes pour jeter un œ il aux b

chants épiques russes. L'u ne d'entre elles, Danilo Lovéanin et safemrne, nOLIS conte

une aven ture assez surprenante.

ibataire. Il Lors d 'un banquet, Vladimir, prince de Kiev, se plaint d 'être le seul cél

demande à ceux qui sont là de bien vouloir lui indiquer: « une bonne fianc

el belle, pour qu'elle a it un heau visage el soit intelligente comme moi, p

sache l ire e t écrire en russe et chanter le plain-chant, pour que vous puissie

ée, bonne

our qu'elle

z l'appeler

'Chère Mère' et la nommer souveraine>> .

femme de

mais celui

, dans les

d'attraper

La seule femme qui remplit ces conditions est Vasilisa Nikuli~na, la

Danilo Lovcanin. Le prince refuse d'abord de prendre l a femme d'un autre,

qui a lancé l'idée lui conseille alors d 'envoyer Danilo << en rase campagne

prés de Levanid. Nous l'enverrons à la SOLuce tonnante, et lui ordonnerons

Lm oiseau à col blanc, et de le rapporter pour le dîner du prince. Qu' il Lue en plus Lill

lion féroce, e t le rapporte pour le dîner du prinee ».

en pnson.

lque chose

ll'ja Muromec essaie de dissuader le prinee, mais il est alors expédié

On envoie des lettres à Danilo e l sa lemme, laquelle se doute bien de que

puisqu'elle lui conseille d 'emporter une flèche de plus, « pour Lon frère

Danilo va dans les prés de Levanid, près de la source tonnante, il observe

une longue vue e t voie a lors toute l'armée sortir de la ville. Vla dimir a env

bogatyr».

K iev avec

oyé contre

27. DELAIWE et TtNF.zv., 2002, pp. 279-292.

1

206 PATRICE LAJOYE

lLti son propre frère, Nikita, ainsi que le bogatyr Dobrynja Nikitinic. À cette vue,

Da nilo refuse le combat contre son frère : il plante sa lance dans le sol, pointe en haut,

el se suicide en se je tant dessus .

Vladimir fa it alors chercher Vasil isa, q ui fait semblant de se préparer pour le mariage.

Elle emporte discrètement un couleau et demande à voir le corps de Da nilo. Une fois a rri­

vée là, elle se suicide à son tour. Vladimir avoue alors ses torts en faisant sortir ll'ja de

prison el en plongeant son mauvais conseiller dans un chaudron J e goudron28.

Cette byline, rare, n'a été que très peu étud iée29• Pour tant à la vue des éléments qu'elle

présente , un para llèle s'impose avec le conte cl'Owein ou de la Dame à la Fontaine. Dans

ce conte, un chevalier arrive à la cour d'Arthur et décrit ses mésaventures : il a été battu

près d 'une fontaine bouillonnante, pa1· un chevalier inconnu. E n dépit Jes dénégations

de Kei, Owein se sent capable de relever le défi. Il part dont;, croise en route divers

personnages qui lui indiquent le chemin. n arrive à la fontaine el verse de l'eau sm son

perron: aussitôt un orage éclate et ravage la forê t. Surgit un cheval ier, qui le défie. Owein

gagne. Par la suite, il arrive au ehâteau du chevalier, et, avec l'aide d 'une ser vante,

épouse la veuve. Owein prend alors le rôle de gardien de la fontaine .

Comme l'a bien montré Gaël H ily en 200630, il s'agit bien là d'une quête de sou­

veraineté, incarnée par la Dame à la Fontaine, quête marquée par l'épreuve d'une

fontaine tonnante, épreuve du feu dans l'eau .

Comparons alors les deux récits :

Un roi (Arthu1) lient un banquet Un prince (Vladimir) tient uu banquet

Le prince se plaint qu' il n'a pas d'épouse (n'esl pas souverain)

Un mauvais conseiller pense qu'Owein est Un mauvais conseiller lui dit tic prendre ln incapable tle vaincre le cheval ier femme de Danilo

Danilo part vers les prés de Levanid quérir un oiseau au col blanc (eygne) el un lion

Owcin trouve la fontaine tonnante Sur ces prés, il y a une fontaine tonnante

Un chevalier surgit Vladimir envoie une armée contre Da nilo

Owein eombat et gagne Suivant les versions: - Danilo combat et gagne - Danilo refuse le combat, même s'il peut gagner

Owein épouse la Dame à la Fontaine Danilo se suicide, suivi par sa femme

Divers dé ta ils montrent que la byline n'est qu'une relique très déformée d'un récit

plus a ncien sans doute encore plus proche du récit d'Owein. Ainsi , on envoie Danilo

28. J'ai suivi ici la version de K Favorski; Kireevski, 2• éd iLion, 1878, p. 32-38. La version utilisée par Propp cl Put ilov, 1958, est sensiblement diffé rente puisqu'elle montre D<milo triompher des troupes de:: Vladimir avant de se suicider.

29. Voü· pur exemple ITARKJ~S, 1977. ~0. Communication aux Journées belges d'éturles celtiques, 2006.

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CELTO-SLAV ICA . ESSAIS DE MYTHOLOGH: COM PARI~E 207

chasser un « mseau au col blanc», c'est-à-dire un cygne. Or le cygne est, dans le folklore russe, ct surtout dans les chansons de mariage, un symbole de la mariée3'· Pourtant, Danilo ne peut pas aller chercher une épouse puisqu'il est déjà marié. On sent que la quête n'était primitivement pas destinée à donner une épouse à Vladimir, mais à Da nilo lui-même. Reste le motif du lion. Dans le conte de la Dame à la Fontaine, Owein, de retour à la cour d'Arthur, oublie sa femme. Il en éprouve de la culpabilité, devient Jou, errant, et ne retrouvera la souveraineté qu'en se liant d'amitié avec un lion, symbole royal s'il en est. Dans la byline, il n'est question que d'une chasse au lion, dont on n'entendra d'ailleurs plus parler, dans les prés de Levanid. Le nom Levanid, courant dans les bylines, vient sans cloute de celui du Liban, mais son assonance avec Je mol russe pour lion, lev, lui donne ici une importance particulière.

Là eneore, il est difficile de voir dans cette byline une adaptation du conte gallois, en dépit du fai t que celui-ci est surtout connu uu Moyen Âge par le biais de la version française de Chrétien de Troyes, qui elle-même a été traduite en allemand dès 1205 par Hartmann von Aue et en norois dans le courant du Xtll• siède.

Volx Monganovic

Le héros Volx ou Volga Yseslaevic:12 est bien connu des quelques mythologues russes, malgré le fait que les chants épiques qui le mentionnent sont particulièrement rares. Volx est en effet l'archétype du héros à la fois magicien et guerrier, dont la nuis­sance elle-même tient du prodige: sa mère, Marfa Vsesluevna, serait tombée enceinte après avoir été au contact d'un serpent. Lorsqu'elle vint à accoucher:

«Ln bogatyr puissant naquit à Kiev,

Le jeune Volx Vseslavevic.

La terre humide trembla,

Le royaume glorieux d'lnde trembla,

Et la mer bleue s'agita

En raison de la naissance du bogatyr,

Le jeune Volx Vseslavevic.

Le poisson descendit au fond de la mer,

L'oiseau vola très haul dans le ciel,

Les aurochs elles cerfs partirent au delà des montagnes,

Les lapins, les renards, dans les four rés,

Et les loups, elles ours, dans les sapinières,

Les zibelines, les mal"tres, sur les îles »"".

31. Harkins, 1977, p. 312. :32. Ce patronyme connaît lu i-même de multiples variantes, mais toutes sc rapportent à Vscslav,

un autl1entique prince de la Russie kiéviennc, dont le Dit d'Igor, texte du xli" sièele, raeonte qu' il était capable de se changer en loup, la nuit: .TAKOASON et SzEFTEL, 191·9 (article très détaillé, impor­tant).

33. Texte de Kirsa Da nilov, 1818, n° 6.

208 PATKICE LAJOY I~

Tout se passe comme si la nature se mellait en place: chaque animal rejoint son biotope3<1

• Mais cela ne suffit pas au jeune Volx. Tl est à peine né qu'il réclame une cuirasse d'acier, un heaume d'or et une massue de plomb-~5• Il entame alors une brève éducation qui lui apprendra l'art de la métamorphose animale:

«Le premier des a rtifices était

De se métamorphoser en faucon elair;

Le d euxième artifice était

De se métamorphoser en loup gris ;

1 ,e troisième artifice,

De se méta morphoser en auroch à eornes d'or>>.

Enfin, à douze ans, il réunit autour de lui une dru,zina, c'est-à-dire le strict équiva­lent de l'irlandaise Fianna, une troupe de jeunes guerriers entièrement dévoués à son service. Mais il faut les entretenir, ces guerriers, et c'est a insi que :

« La drulina dort, mais Volx ne dor t pas:

Il se métamorphose en loup gris,

Cour t, saute dans les forêts sombres et les bosq uets,

Tue des bêtes à cornes.

Il tient la bride haute aux loups e t aux ours.

Les 1.ibel ines et les panthères, sa viande préfé rée,

Les lapins e t les renards ne le dégoûtent pas.

Volx donna à boire et nourrit sa brave drulina ,

Chaussa e t habilla ses braves garçons :

Tls portaient des pelisses en zibeline

Et les échangèrent contre des pelisses de panthère.

La drulina dort, mais Vol x ne dort pas.

Il sc métamorphose en faucon clair,

Vole loin, vers la mer bleue.

Il chasse des oies et des cygnes blancs,

Il tient la bride haute à des petits canards gris.

Il donna à boire et nourrit sa brave dmlina ».

Volx fait ainsi appel à de multiples reprises à ce qui ressemble plus à un don qu'à une science, au point qu'on a écrit qu'il était une forme de chaman russe·~h . Cependant, l a comparaison avec l'Irlande invite à y voir toul autre chose3ï . Le chef (ici roi) par

34. Certaines variantes précisent que ce fut « lorsque la Lune se leva» ou hien «lorsque le Soleil se coucha »: JA KOBSON el Szr.FTEL, 1949, p. 22-23.

35. Cc qui n'est pas sans rappeler le dieu grec Apollon. 36. Son prototype historique, le prince Vseslav, est né coiffé d'après la Chronique de Nestor. Il es!

en tout très clairement désigné, on l'a elit, comme étanl un loup-garou duns les textes mécliévaux: JAKonsoN et SzEFTEn, 1949, pp. 56-70.

37. Je ne ferai ici qu'effleurer le dossier, qu i mérite un ar ticle à par t entière, avec examen des variantes de la bylinc.

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CELTO-SLAVICA. ESSA TS m: MYTHOLOGIE COM Pi\ RÉE 209

excellence de la Fianna est Fionn mac Cumhaill, héros bien connu. Mais Fionn serait doté, selon un texte , d'une réinearnation en un autre héros moins connu, MonganJa. De ce Mongan, la tradition irlanda ise a surtout retenu ses déboires conjugaux. Mais on sait qu'il est, comme Volx, le fil s d'un être de l'Autre Monde, ici Manannan, le dieu de la mer. Or voici justement ce que dit de lui Manannan dans la Navigation de Bra.n:

«Au monde, sans cra inte,

Il prendra la lorme de tous les an imaux

Dans la mer verte e t su r la te rre .

Il sera un d ragon devant les troupes de la nuit.

JI sera un loup dans toutes les forêts.

Il sera cerf aux bois d'argent

Dans la campagne 4 ui se parcourt en ehar.

Il sera saumon tacheté dans un lac plein.

J1 sera phoque, il sera beau cygne blanc.

Il tiendra pendant un long sièd e,

Cent ans, la haute royauté.

JI eourra les chemins. La pierre de sa tombe [scral lointaine.

Il labourera les plaines, roue sur la men>.

Les parallèles entre les deux légendes sont ainsi évidents. Que penser de Mongan qui <<sera loup dans toutes les forêts>> quand on sait que Volx <<se métamorphose en loup gris>>. Est-il possible aussi de dire que si Mongan <<sera cerf aux bois d'argent >> alors que Volx <<se métamorphose en auroch bai, aux cornes d'or >>, ce n'est que par simple hasard ? De même quand Mongan devient saumon tacheté alors que Volga peut << nager comme un brochet dans les mers profondes ,,:w '?

Volx devient roi , tout comme Mongan. Même la phrase finale de la prophétie de Manannan, << il labourera les plaines, roue sur la mer >> trouve un parallèle quand on sait qu'une autre byline, Volga et Mikula, fa it le récit de la rencontre entre Volga et sa druzina, d'une part, et Mikula, le prodigieux laboureur, d'autre part. Et ce dernier, juché sur sa jument de labom, se joindra à la troupe <<en rase campagne >> 40•

On a J onc bien l'impression que ni Mongan/Fionn en Irlande, ni Volx en Russie ne sont de simples évolutions poé tiques de personnages authentiquement historiques : l'un et l'autre sont des variantes locales d'un même archétype d'être protéiforme, prince et magicien en même Lemps .

38. STr.ncKX, 2005, p. 211·-28. Je suivrai ici sa traduction. 39. Volga t?t Miknla, version de Trofim Hjabinin, Rybnikov, 1861-1867, t. 1, n° .'l . Saumon el

brochet sont par ailleurs de la mGme famille biologique, les salmonidés. 40. Ibid. Ccci montrerait bien CJUe la byl ine Volga et Mi kula n'est pas aussi récente qu'on a

voulu l'écrire. Ainsi, M AZON, 1931, suivi par }AKOASON et Szr.FTF.R, 1949, p. 18, pense qu'elle daterait seulement du xvt• siècle.

210 PATR ICE LAJOYE

L'oiseau noir emporte l'âme du guerrier

Passons à un autre type de chant épique, avec les dumy d'Ukraine. Les dwny sont des chants plus courts que les bylines, célébrant les exploits des Cosaques face

aux Turcs et aux Tata rs de Crimée. Leur fond est donc pa r ticulièrement historique

et réeent (XVI0 -XVIll" siècle), el on est en droit, a priori, de s'attendre à ne pas y trou­

ver grand chose de mythologique. Et pourtant, on peut découvrir dans l'une d'elles

un motif qu'on pensait n'appartenir qu'à la légende de Tris tan et Jseult ou celle de

Diarmaid e t Grainne. Alors que ceux-ci communiq uent à l'aide de copeaux lancés

au fi l de l'eau, une jeune fille cosaque, emmenée captive par les Tatars, communique

avec son père en lançant des feuilles mortes sur u n fleuve'11• Dans une a utre cha nson,

ce q ui arriva à un Cosaque mortellement blessé est tout aussi intéressant. Alors qu'il

est allongé dans un f(md de vallée, près de deux peupliers,

«Les aigles aux ailes noires,

Gardiens des Cosaques,

Arrivent en volant.

Ils guellent l'âme du Cosaque ,>12•

Mais le Cosaque n'a pas l'intention de se laisser fa ire. Il par vient à envoyer trois

balles de plomb de son arquebuse vers les a igles. Enfin, d'autres Cosaques a rrivent

alors qu'il est déjà mort, e t le mellent en terre.

L'intervention des aigles pourrait être considérée comme une s imple action de

charognage si nous n'avions pas ici la phrase : « ils guettent l'âme du Cosaque ».

De fa it, on retrouve le motif de l'aigle, en plus développé et riche en détails, dans

une autre duma, Les Trois frères d 'Ozov'1·1

• Là encore, un Cosaque est mourant. Il se

couche au pied d'un mont ou plus vraisem blablement d 'un tumulus funéraire'14 :

« n se penche où le vent souffle,

Il s'ineline où l'herbe s'incline,

Voilà que des a igles aux ailes noi res arrivent en volant,

Se posent au chevet du Cosaque,

S'approchent de ses boucles noires».

Mais le Cosaque ne se sent pas encore prêt à mourir: il leur réclame un déla i d'une

heure. Une fois le délai écoulé:

41. ANToNovrë ct DRAGOMA'IOV, 1874, p. 35 ; trad. in CrrouzKo, 1879, pp. 74-75. 42. La Mort du Cosaque dans la uallée de Koclyma, texte ct trad. in SCHERRF.R, 1947, pp. 99-100. 43. MAKSIMOVlC, 1824; texte ct trad. in ScHF.RRER, 1947, pp. 90-96. <14. Le terme ukrainien employé est précisément mohiln, régulièrement employé comme syno­

nyme de kwga11 . Le russe moderne mogila a d'ailleurs conservé le seus de «fosse, sépulture, tom­beau ». Le mont ici en question peut donc très bien être un tumulus.

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CE I:I'O-SLAV ICA. ESSAIS DE MYTHOLOGIE COMPARf:E

« Quand les nuages noirs se furent approchés,

L'lime Ùu Cosaque prit congé de son corps hlanc.

Les aigles aux ailes noires arrivèrent en volant,

Se posèrent au ehevct du Cosaque,

Se rapprochèrent de ses boucles noires,

Se mi rent à becqueter ses yeux bruns,

Arrachèrent la chair de ses os jaunes .

Les lclllpS au pelage gris aecoururent,

Emportèrent les os du Cosaque,

Daos les val lP.es, dans les ravins,

Sur les traces des Cosaques.

Seule sa tête resta sur le Mont Savur>>.

2 ]1

Dans les deux cas, le guerrier est moura nt, mais choisit malgré tout l'heure de sa mort: il peut la re tarder, en chassant les aigles noirs qui accourent lorsque l'âme quille le corps.

Ce sont autant J 'éléments qu'on retrouve en Irlande, da ns la version la plus

ancienne de la mort de Cuchulainn4 5• Vaincu et blessé à mort, Cuehulainn retarde tou­

tefois le moment fatidique en s'attachant à un pilier de pierre. Lorsque ses adversai res s'approchent de lui, son ehevalle J éfend encore. Enfin : << Ensuite les oiseaux vinrent sur son épaule. 'Ce pilier-là n'était pas habitué à être sous des oiseaux', elit Erc, fils de

Coirpre . Lugaid arrangea ensuite sa chevelure et lui coupa la têle >>.

Les oiseaux sont ici vraisemblablement la triple Morrigan, la Corneille, autrement elit des oiseaux noirs46

• Leur présence à l'instant ml\me où le guerrier meurt constitue un point de convergtmee maj~ur av~c le texte des dwn:y. Des oiseaux noirs ont ici, dans les deux cas, soit un caractère psychopompe, soit simplement un rôle dans l'échappe­

ment de l'âme. De plus , tout comme Cuchulainn est déeapilé contre un mégalithe, elu

Cosaque il ne resle plus que la tête, au somm~t du tumulus.

Vitiazko Corvinus

Mais le corbeau ou la corneille, dans le monde cel tique, n'est pas seulement celui qui désigne le mort : il désigne aussi le vainqueur d'un eombat. Cela était connu dès l'Antiq uité, durant laquelle ce motif a été accaparé par l'annalistique romaine, et inté­

gré à l' histoire de la gens Valeria. Citons ici la version de Tite Live: << Comme les Roma ins passaient des heures tranquilles de garde, un Gaulois, remarquable de Laille el n'a rmes, s'avança devant eux. Il happe son bouelier de la lance et, ayant obtenu le s ilence, il défie par interprète, l'un quelconque des Romains à en décider avec lui par le fer. JI y avait un jeune tribun milita ire, Marcus Valeüus, qui ne s'estima pas moins d igne de cet honneur que Titus Manlius. Il s'assura d'abord du vouloir du

15. Brislech Mor Maige Murthemne, trad. in GU YONI'AKC'II, 1994, pp. 280-292. 4·6. La deuxièult'! ver~ iou de ce récit confirme directement celle identification.

212 PATI{ICE LAJOYE

consul, puis s'avança en armes entre les deux lignes. Mais l'intervention de la puis­sance divine enleva de son écla t au combat des deux hommes. Car, au moment où le Romain engageait déjà la lutte, soudain un corbeau vint se poser sur son casque, faisant face à l'ennemi. Toul joyeux, le tribun commença par accepter celte apparition comme un heureux présage envoyé par le ciel; puis il pria 'la divinité, dieu ou déesse, qui lui avait envoyé cet oiseau favorable, de l'assis ter d'un bienveillant vouloir'. Chose merveilleuse ù dire! L'oiseau ne se eontenta pas de garder la place qu'il avait prise d'abon1 ; mais, à chaque reprise du combat, il se redresse sur ses ailes, attaque tlu bec et des serres la face et les yeux du Gaulois, jusqu'au moment où, terrifié par l'aspect d'un pareil prodige et l'esprit aussi troublé que la vue, celui-ci est égorgé par Valerius. Le corbeau disparut, dirigeant son vol vers l'orient47

• >>

L'origine gauloise de ce récit est connue par le travail d'Henri Hubert, suivi et complété par Raymond Rloch4

R. Mais alors que les parallèles invoqués dans ce cas ne sont jamais tout à fait exacts (on ne connaît pas de récit strictement équivalent), on peul être surpris d'en troLtver de presque parfaits chez les Slaves d'Europe centrale et leurs voisins. Ainsi rencontre-L-on dans un conte slovaque un jeune héros, Vitiazko, un colosse, qui doit se battre contre un dragon:

<< Toul d 'abord le dragon réussit à déplacer Vit iazko, mais celui-ei l'enfonça dans la terre

jusqu'aux chevilles. Alors au-dessus d'eux des ailes sifflèrent dans l'air, un eorbeau noir des­

cendit, on ne sail d'où, vers eux el dit:

-Qui dois-je aider ? Toi, le dragon, ou toi, Vitiazko?

- Aide-moi ! Je te donnerai tout l'or que tu désireras, eria le dragon.

- Aiue-moi! eria Viliazko, el je tuerai pour toi tous les chevaux, qui là-bas paissent dans

la prairie.

-Alors je veux bien t'aider, mais comment? demanda le corbeau.

- Rafraîchis-moi ! eria Viliazko.

ll avait très chaud, parce que le dragon soufflait sur lui son haleine de fe u. Et de nouveau

le dragon empoigna Vitia1.ko et l'enfonça dans la terre jusqu'aux chevilles. [ ... ) Cependant, le

corbeau se trempa les ailes dans la fontaine, puis il se posa sur la tê te de Vitiazko, de sor te que

les gouttes froides tombèrent sur le front du jeune homme4'1• >>

Peu de temps après, le héros arrive enfin ù tuer le ch·agon. Plus à l'Est, on retrouve quelque chose de s imilaire dans un conte moldaves0

• Là

encore, un héros et un dragon se battent:

<< En voyant qu'aucun d'eux ne pouvait sortir vainq ueur, le dragon se changea en une

flamme verte, e t Vissan en une flamme rouge, et ils sc ballirent j usqu'au coucher d u soleil tant

47. Tite Live, Histoire rwnaine, V II, 26. La même anecdote se retrouve clans les Annale~ des pontifes, 26, cl eltez Deuys d'Halicarnasse, Histoire romaine, XV, 1. Voir aussi les résumés d'Eu­trope, Almfgé de L'histoire romaine, ITI, et d'Orosc, Histoire.~, l Ll , 6, 5.

48. En premier lieu: HuuERT, 1974, p. 39; en dernier lieu: Lv. Roux el CUYONVARC'H, 1983, pp.69-73. 49. M!LEC t:l d 'AH MENTlÈHES, 1926, pp. 61-62. 50. Les Moldaves sont bien sOr de langue latine, ma is ils sont culturellement particulièrement

slavisés .

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CELTO-SLAV ICA . I·:SSA!S DE MYTHOLOGI~: COMPARÉE 213

et tant qu'ils tombèren t morts de fatigue par terre, l'un d'un côté, le deuxième de l'autre côté.

Comme ils restaient étendus par terre, fourbus, ils virent voler un corbeau au-dessus d'eux. Le d ragon eria:

-Corbeau, corbeau, descends vers ce palais-là et apporte-moi une tra nche de pain et un

verre J e vin pour mc rétablir les forces el je te donnerai Vissan à manger. 1\ lors Vissan fit une prière aussi :

-Corbeau, corbeau, deseends auprès de cet étang-là, trempe tes ai les dans l'eau et arrose

la flamme verte, pour que le maudit dragon perde ses !orees, et je l<l donnerai à manger neuf

tas de chair de c!t·agon.

Le eorbeau trempa ses ailes dans l'eau, arrosa la flam me verte et l'éteignit. Alors Vissan

saisit le dragon, et lorsqu'il le flanqua contre terre il l'y enlonça jusqu'au cou, et de sa massue vlan! vlan! Il fit de lui trois Las de ehaü·5 1• >>

Une autre version remplace le corbeau par un faucon, un rapace clone, comme J'aigle des dumJ' :

«Ils commencèrent par s'assener des coups de massue, celles-ci se brisèrent. Alors ils engagèrent un corps à corps, la lutte loyale, la lulle des braves où le plus fort gagne. Les rochers s'abattaient, les collines s'abfmaient, au ciel les nuages tonnaient et toul cela s'ensuivait de la lulle de ee ehien de dragon contre Kréméné-le-Vaillanl. Ils luttèrent ainsi jusqu'à l'épuisement eomplet et tombèrent à terre. La grande ardeur, causée par la lutte , faisait sortir une flamme grise de la gueule du dragon et une flamme verte de la bouche de Kréméné. Couc:hés par terre et hors d'haleine, ils virent dans le bleu du ciel un faucon décrire des c:erdes.

Le dragon quand ille viL, hurla de toutes ses forces : Faucon , faucon,

va au bord du Dmwbe

apporte dans lon bec

un rot d'eau fratche

jpourj apa iser ma soif

sinon c'en est fa it de loi

et non seulement de toi

mais aussi de toute ta gent

ct de celle de tous les oiseaux.

Le faucon faisait la sourde oreille et planait toujours. Kréméné-le-Vaillanl adressa aussi sa prière au faucon:

Faucon, fauconneau,

prends un pol

va à la source

apporte de l'eau

pom apaiser ma tioif

arrose-moi

51. llOT€ZATOU, 1986, p. 108.

214

pour rafraîehir mon âme

moi , je le servirai

[de la) chair de dragon tu en auras

pour toute la journée

toi et ta gent

et cel le de Lous les oiseaux.

PATRICE LA.IOYE

Le faucon sc posa e t d isparut à la recherche de l'eau, l'attente ne fut pas longue,

le voilà qui revint apportant dans s es griffes un broc d'eau de source, donna à boire

à Kréméné, ensuite l'arrosa et lu i rafraîchit l'âme. Kréméné reprit vite ses forces,

empoigna le hideux dragon, l'écrasa contre la terre el en fit un las de goudron. Telle

fut la fin du hideux dragon.

Le ciel s'éclaircit, le soleil parut, la brise apporta l'odeur des champs52• »

Ces versions moldaves permettent rie revenir à une aulre version slovaque, où le

héros se bat non plus conb·e un tlragon, mais contre un mauvais roi, et dans laquelle

il n'est plus question d'oiseau, mais d 'un vieillard:

«À proximité du pont, ils se transformèrent en flammes el se mirent à se brûler mutuelle­

ment, impitoyablement. Ils se brûlèrent longtemps, mais sans arriver à un résu ltat. C'est alors

que passa, personne ne savait d'où il venait, un vieux mendiant ries chemins.

'Vénérable vieillard', s'écria la flamme blanche, 'puise de l'eau et a rrose la flamme rouge,

je le don nerai un kreutzer'.

Le vieil homme acqu iesça et revint bientôt avec de l'eau. A lors la flamme rouge cria

très vite : 'Vénérable vieillard, je tc donne un denier, si tu verses celle eau sur la flamme

blanche'.

Le vieillard le fit , car pourlui un denier représentait plus qu'un kreutzer. Le roi était rnort501• »

Notons enfin que le motif a pénétré en Ukraine, mais d 'une façon très déformée:

<<Soudain, voilà qu'à cheval s'avanec le dragon à trois têtes. Tout à coup, son cheval tré­

buehe, son chien hurle, son faucon gémit. Le dragon demallfle :

'Pourquoi t rébuehes-lu, cheval ? Et pourquoi k chien hu rle-t-i l e t le faucon gémit ?

- Et peut-on ne pas trébucher, répond le cheval , quand dans le sous-sol est caché Ivan­Cendron ?'

Alors le dragon appela: 'Montre-toi un peu, lvanuska, et mesurons nos forces !' lvan sortit

et le combat s'engagea. lvan tua le dragon et retourna à sa cachette.

Voilà qu'à cheval s'avance un deuxième dragon, à six têtes. Il le tua aussi. Puis survint un

troisième dragon, à douze têtes. Ils luttèrent et Ivan lui trancha neuf têtes. Le dragon perdait

ses forces. Tout à coup, ils aperçurent un corbeau qui volait au-dessus d'eux en criant : 'krov'! 'krov' !:;..1

52. BOTÉZATOU, 1986, pp. 55-56. 53. DoR~II'<SKY, 1967, p. 39. 54. Celle onomatopée désigne à la fois le r:ri du corbeau el le sang.

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CIO:: I: I'O-SLAV ICA. ESSAIS DE MYTHOLOGI ~2 COMPARÉE 215

Le dragon héla le corbeau : 'Va chercher ma femme, qu'elle dévore lva n-Cenrhon !' Ivan­

Cendron le héla à son tour : 'Va chcreher mes frères! Quand ils seront là, nous tuerons le dragon

et te la isserons la charogne!'

C'est Ivan q ue le corbeau écouta: il vola jusq u'aux frères et se mit à tourner au-dessus rie

leurs têtes. Aux croassements du corbeau, les frères s'éveillèrent et coururent aider leur benja­

min. Ensemble, ils tuèrent le dragon, prirent sa têt0 0t la cassèrent en a tteignan t la chaumine.

Aussitôt, la lumière du jour se répandit à nouveau pa r Loul le roynume55. »

Il est clair ici que ce type de récit interfère largement avec la sauroctonie clas­sique que l'on trouve dans nombre de contes, et où le héros est directement aidé par une princesse, ou par un serviteur, qui lui apporte soit un onguent, soit de l'<< eau de vie» ou toul simplement du vin. Mais dans ces versions plus classiques, l'aide est humaine, et surtout ne choisit pas : elle s'adresse directement au héros. Il semble donc que le choix n'apparaisse que lorsque l'aide est un oiseau, plus précisément un cor­beau. Comparons donc nos versions folkloriques avec les textes antiques :

Tite Li·ve Comme les Romains passaient des heures tranquilles de garde, un Gaulois, remarquable de Laille et d'armes, s'avança devant eux. Il frappe son bouclier de la lance et, ayant obtenu le silence, il défie par interprète, l'un quelconque des Romains à en décider avec lui par le fer.

Denys Dans une expédition des Celtes contre Rome, un de leurs rois provoqua à un combat singulier celui des Romains, quel qu'il fOt, qui serail un homme lde cœur]

Conte slo·vaque 1 Un dragon Conte slovaque 2 Un mauvais roi Conte moldave 1 Un dragon Conte moldave 2 Un dragon

Tite Live Il y avait un jeune tribun militaire, Marcus Valerius, qui ne s'estima pas moins digne Je cel honneur que Titus Manlius. Il s'assura d'abord du vouloir du consul, puis s'avança en armes entre les deux lignes.

Denys alors M. Valérius, un des chil iarques, qui descendait de ce Valérius Poplicola par qui la ville avait été délivrée des rois, s'avança pour combattre avec le Celte.

Conte slovaque 1 Viliazko Conte slovaque 2 Un héros Conte moldave 1 Vissan Conte moldave 2 Kréméné-le-Vaillant

1'ite U ·ve ­Denys -Conte slovaque 1 mai~ [le dragon] l'enfonça dans la terre jusqu'aux chevilles. Conte slovaque 2 À proximité du pont, ils se transformèrent en flammes el se

mirent à se brOler mutuellement, impitoyablement. Ils se brûlèrent longtemps, mais sans arriver à un résultat.

55. Conte collecté en Ukraine par Afanassicv, Af. 135175, trad. (ici mo<.lifiée) in Gnun-APF.HT, 2003. pp. 65-68.

2]6 PATRI CE Li\JOn:

Conte moldave 1 En voyant qu'aucun d'eux ne pouvait sortir vainqueur, le dra­gon se changea en une flamme verte, et Vissan en une flamme rouge, e l ils se battirent jusqu'au coucher du soleil tant et tant qu'ils tombèrent morts de fa tigue par terre, l'un d'un côté, le deuxième de l'a utre côté.

Conte moldave 2 fls commencèrent par s'assener des coups de massue, celles­ci se brisèrent. Alors ih; engagèrent un corps à corps, la lutte loyale, la lutte des braves où le plus fort gagne. Les rochers s'abattaient, les collines s'abfmaienl, au eiel les nuages tonnaient et tout cela s'ensuivaiL de la lutte de ce chien de dragon contre Kréméné-le-Vaillant. Ils lutt~rent ainsi jusqu'à l'épuisement complet et tombèrent à

terre. La grande ardeur, causée par la lutte, fa isait sortir une flamme grise de la gueule du dragon ct une flamme verte de la bouche de Kréménl\ .

Tite l-'ive Mais l'intervention de la puissance divine enleva de son /\clat au combat des deux hommes. Car, au moment où le Homain engageait déjà la lutte, soudain un corbeau vint se poser sur son casque, faisant face à l'ennemi.

Denys Quand ils en furent venus aux mains, un corbeau, posé sur le casque de Valérius,

Conte slovaque 1 Alors au-dessus d'eux des ailes sifflèrent dans l'air, un cor­beau noir descendit, on ne sait d'où, vers eux et dit

Conte slovaque 2 C'est alors que passa, personne ne savait d'où il venait, un vieux mendiant des chemins.

Conte moldave 1 Comme ils resta ient étendus par terre, fourbus, ils vi rent voler un corbeau au-dessus d'eux.

Conte moldave 2 Couchés par terre et hors d'haleine, ils virent dans le bleu du ciel un faucon di\crire des cercles.

Tite Live Tout joyeux, le tribun commença par accepter cette apparition comme un he ureux présage envoyé par le ciel ; puis il pria «la divinité, die u ou déesse, qui lui avait envoyi\ cet oiseau favorable, de l'assister J'un bienveillant vouloir ».

De nys -Conte slovaqu e 1 - Qui dois-je aider? Toi, le ch-agon, ou toi, Vitiazko '? - Aide-moi ! je te donnera i tout l'or que tu désireras, cr ia le dragon. -Aide-moi ! cria Vitiazko, et je tuerai pour toi tous les cheva ux, qui là-bas paissent

dans la prairie. - Alors je veux bien t'aider, mais comment ? demanda le corbeau. - Rafraîchis-moi! cria Vitiazko. Conte slovaque 2 'V6nérable vieillard', s'écria la flamme blanche , 'puise de

l'eau et arrose la flamme rouge, je te donnerai un kreutzer'. Le vieil homme acquiesça et revint bientôt avec de l'cau. Alors la flamme rouge

cria très vite : 'Vénérable vieillard, je le donne un denier, si lLt verses cette eau sur la flamme blanche'.

Conte moldave 1 Le dragon cria: -Corbeau, corbeau, descends vers ce pala is-là el apporte-moi une tranche de pain

et un verre de vin pour me r i\tablir les lin·ces et je te donnerai Vissan à manger. Alors Vissan fil une prière aussi:

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C~: I.TO-S I.AV ICA . ~~SSAIS DE MYTIIOLOGIE COMPARÉE 217

-Corbeau, corbeau, descends auprès de cet étang-là, trempe tes ailes dans l'eau et arrose la flamme verte, pour que le maudit dragon perde ses forces, et je te dotmerai à manger neuf tas de chair de dTagon.

Conte moldave 2 Le dragon quand ille vit, hurla de toutes ses forces : Faucon, faucon,/ vu au bord du Danube/ apporte dans ton bec/ un fût d'eau fraîche/

[pourJ apaiser ma soif/ sinon c'en est fait de toi/ et non seulement de toi/ mais aussi de toute la gent/ e l de celle de tous les oiseaux. Le faucon faisait la sourde oreille el planait toujours.

Kréméné-le-Vaillant adressa aussi sa prière au faucon: Faucon, fauconneau,/ prends un pot/ va à la source/ apporte de l'eau/ pour apaiser

ma soif/ arrose-moi/ pour rafraîchir mon âme/ moi , je Le servirai/ [de la] chair de dragon/ lu en auras/ pour toute la journée/ toi et ta gent/ et celle de tous les oiseaux.

Tite /Jive Chose merveilleuse à dire ! L'oiseau ne sc contenta pas de garder la plac:e CJU'il avait prise d'abord; mais, à chaque reprise du combat, il se redresse sur ses ailes, attafJue du bec et des serres la face elles yeux du Gaulois,

Denys [le corbeau] poussait des cris terribles en regardant le barbare, el, toutes les fois que ce dernier vOLÙait porter un coup, s'élançait sur lui , e t tantôt avec ses ongles lu i déchirait les joues, tantôt uvee son bec lui piquait les yeux, et le Celte était hors de lui-même, ne pouvant combattre ni de façon à se défendre de l'homme, ni de manière à se mettre en garde contre le corbeau.

Conte slovaque l ll avait très chaud, parce que le dragon soufflait sur lui son haleine de feu. Et de nouveau le dragon empoigna Vit.iazko et l'enfonça dans la terre jusqu'aux chevilles. l ... ] Cependant, le corbeau se trempa les ailes dans la fontaine, puis il se posa sur la tête de Vitiazko, de sorte que les gouttes froides tombèrent sur le front du jeune homme

Conte slovaque 2 Le vieillard le fit, car pour lui un denier représentait plus qu'un kreutzer.

C onl,e moldave l 1 .e corbeau trempa ses ailes duns l'eau, arrosa la flamme verte et l'éteignit.

Conte moldave 2 Le faucon se posa et disparut à la recherche de l'eau, l'attente ne fut pas longue, le voilà qui revint apportant dans ses griffes un broc d'eau de source, donna à boire à Kréméné, ensuite l'arrosa e t lui rafraîchit l'âme.

1'ite Live-Denys Le combat durait déjà depuis longtemps, Conte slovaque 1 -Conte slovaque 2 -Conte moldave 1 -Conte moldave 2-

Tite Live jusqu'au moment où, terrifié par l'aspect d'un pareil prodige et l'esprit aussi troublé que la vue, celui-ci est égorgé par Valerius.

Denys le Celte tournait son sabre contre Valerius, comme le lui ayant déjà, en parant les coups, plongé dans les flancs ; le corbeau ensuite volant au-dessus de lui

218 PATRICE LAJOYE

et lui crevant les yeux, il élevait son bouclier comme pour écarter l'oiseau. Le Romain, tandis qu'il tenait en l'air son anne, suivant ses mouvements, lui porte en dessous un coup d'épée et le tue.

Conte slovaque l Vit iazko Lue le dragon Conte slovnque 2 Le roi était mort Conte moldave 1 Alors Vissan saisit le dragon, et lorsqu'il le flanqua contre

terre il l'y enfonça jusqu'au cou, et de sa massue vlan! vlan! il fit de lui trois tas de eh air

Conte moldave 2 K réméné reprit vite ses forces, empoigna le hideux dragon, l'écrasa contre la terre e l en fit un las de goudron. Telle fut la fin du hideux dragon.

Tite Live Le corbeau disparut, dirigeant son vol vers l'orient. D en ys -Conte slovaque 1 -Conte slovaque 2 -Conte moldave 1 -Conte moldave 2 Le ciel s'éclaircit, le soleil parut, la brise apporta l'odeur des

champs

On le voit, nos versions danubiennes entretiennent un rappmt étroit avec celle de Tite Live, ce qui n'existe pas avec le parallèle irlandais qui avait été fait auparavant: comme l'avaient bien noté Françoise Le Roux et Christian Guyonvarc'h, jamais la Morrigan n'apparaît à Cuchulainn sous la iùrme d'un corbeau, même si elle l'attaque bien pour tenter de donner la vic toire à son adversuire56. De même, seul Tite Live men­tionne, par exemple, cette prière de Valerius au corbeau. En revanche, les versions danubiennes précisent toutes que les deux parties prient l'oiseau, mais qu'il accorde la victoire au héros parce que celui-ci lui promet une somme plus importante pour le conte slovaque 2 (qui est le plus aberrant), ou sinon de la viande, et pas n'importe laquelle: de la viande de cheval (donc à connotation guerrière for te) ou bien direc­tement celle du dragon. Le héros s'est donc bien rendu propice une entité guerrière symbole de la victoire.

Les a rbres combattant à la bataille de Poltava

La bataille de Poltava est quand à elle un événement bien historique. Elle opposa, en 1709, les troupes de Charles X Il de Suède, aidées de celles du hetman Ivan Mazepa, qui voulait soustraire l'Ukraine ù l'emprise de la Moscovie, à celles de Pierre Irr de Russie, a idé de son côté par le Cosaque Semen Palej. Pourtant, la mémoire populaire de cet événement majeur s'est très rapidement imprégnée de motifs légendaires, voire mythologiques, et c'est a insi que l'ethnographe et historien ukrainien Pantelejmon

56. Lr. I{OLX et G UYOI\VARC'II, 1983, p. 72 .

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CELTO-SI.AVICA. ESSAIS DE MYTHOLOGIE COMPARÉE 219

Kuhs a pu recueillir dans la région de Poltava quelques légendes concernant le eom­bat entre Mazepa e l Palej57

Selon l'une Je ces légendes, Mazepa, craignant d'ê tre vaincu par Pa lej, l'enferma

dans une colonne dotée d 'une ouverture qui permettait de lu i passer de La nourriture.

Lorsque le he tman voulut guerroyer contre le tsar, ce dernier fi L chercher Palej. Il

détruisit la colonne et lihéra le Cosaque. Pa lej passa douze jours à se remetll:e, puis se

mit au ser vice du tsm.:;H_ 11 monta à cheval, fit le lourde l'armée de Mazepa en laissant

pendre sa lance comme un fil à plomb. Il sembla aux soldats de Mazepa qu'ils éta ient

entourés d'une lorêl dont ils ne pouvaient ~ortir qu'en baissant la tê te . Les Cosaques

de Palej saisissaient ce moment pour leur couper le eou. Mazepa fi t alors battre en

retraite.

On reconnaît bien là le célèbre motif celtique des arbres combattants, connu par

un texte gallois, le Kat Goddeu, mais aussi dans les récits irlandais s ur la mort de

Cuchulainn59. Cependa nt, le récit ukrainien semble beaucoup plus proche de celui

que fait Tite Live de la mort du consul romain Postumius:

«Au milieu de tou les ces missives, on appril une nouvelle défaite.[ ... ] L. Postumius, consul

désigné, avait péri en Gaule lcisalpine] avee toute son armée. Il y ava it une vaste forêt, que

les Gaulois appela ient Litana, et oi:t il a llait fai re passer toute son armée. À droite et à gauche

de la route, les Gaulois avaient coupé les arbres rie telle sorle que, tout P.n restant debout, ils

puissent tomber à la plus légère impulsion. f ... lDès que l'armée romaine fut engagée dans cet

étroit passage, ils poussèrent les plus éloignés de ces arhres qu'ils avaient eoupés par le pied.

Les premiers tombant sur les plus proches, si peu stables eux mêmes et si faciles à renverser,

tout fut écrasé par leu r chute confuse, armes, hommes, d1twaux; il y eul à peine dix soldats qui

échappèrent. La plupart avaient péri éloulTés sous les troncs el sous l<~s branches brisées des

arbres. Quant aux autres, troublés par ce eoup inattendu, ils fumnt massacrés par les Gaulois,

qui cernaient en armes toute l'étendue elu défilé. [ ... ] Les dépouilles el la tête fele Poslumius],

séparée de son corps, furent portées en triomphe par les Boïens dans le temple le plus respecté

de celle nation »60•

Là encore, un tableau comparatif permet de s'assurer que nous sommes hien en

présence du mê me motif mythique :

57. Ku uS, l 856-lflS7. R AMRAUD, 1876, pp. 4H4-487, donne un hon résumé, que je suivrai ici, de ces légendes. On peut aussi voir, pour comparer, les chants sur ce sujet collectés par Nicolas Gogol et donnés à l'ethnographe russe Kireevski : Pesni, .wbrannye pisateljami .. . , 1968, pp. 254-257.

58. C'est le motif du héros prisonnier, libéré par son roi pour aller à la guerre, motif bien connu des bylines qui l'attribuent à Tl'ja Muromee.

59. LE Roux, 19!>9. 60. Tite Live, Histoire romaine, X X Ill.

220 PATRIΠLAJOYE

Mazepa c t. Palcj Postumin.~ ct les G(l.ulois Cuchul(l.irlll et. les enfants de Calatin

Les troupes de Mazepa Poslumius mènP. une campagne Les troupes d'Irlande al.laq uent

attaquent le tsar contre les Gaulois les U lates

Le ts!lr fait !!ppel à Palej Le roi Conehobar n~fuse de

faire appe l à Cuchulain n

Palej génère une forêt fac tice Les Gau lois eoupent des arbres Les filles de Calalfn invoquent

au tour de l'a rmée de Mazepa a utour de l'armée de Poslu- des a rbres combattants, qui

mi us, les mai nteuan t debout fon t croire à Cuc hulainn que

a rtificiellement les Ulates sont en d iffieulté

1 .'arml\e de Pa lej (et Palej L'a rmée des Ga ulois entoure

lui-même) e n loure celle de celle de Postumius

Mazepa

Les hommes de Ma7.epa ten- Postumius lente de fuir cette Cuc hulainn est contraint magi-

tcnl d e fu ir cette « Ü>rêt » forê t que menl d'a ller au combat

Les hom mes de Mazepa sont Postumius est dl\capité Cuehulainn est dl\capité

décapités

Ainsi, un motif qu'on pensait typiquement celtique se retrouve dans une légende de formation pourtant 1·écente en plein cœur de l'Ukraine61 .

Un début de piste: Mokos en Irlande ou Macha la Rus'?

Mokos est la seule divinité féminine des Slaves réellement mentionnée dans les sources ant:iennes, et notamment dans le panthl\on du sanctuaire de Perun à Kiev. Elle est bien attestée dans la toponymie62• On l'a quasiment depuis toujours identifiée à la Terre Mère Humide des Slaves de l'Est, du fait que son nom a été rapproché de divers mots indu-européens en rapport avec l'humidité, dérivés de *rnok- : « humidité >>6~ .

Cependant, un travail tout récent a proposé une étymologie plus satisfaisante, à

la fois du point de vue linguistique et du point de vue mythologique. Toul est parti de l'étymologie de la déesse irlandais Macha, d6esse-mère par excellence. On l'a fait dériver d'un plus ancien *Makisia64 , après spiran tisation du k, ce que Vaclav Blazck a alors aisément rapproché de la déesse slave Mokos6;;. Cela placerait alors le nom slave dans un ensemble bien concret de déesses-mères :

61. Notons que dans un conte serbe, il est question d'une urmée déguisée en forêt: KA RADJTTCH,

1987, pp. 162-163. Mais dans ce conte, il n'est pus question d'enccrc:lemcnt d'adversaires par celle fa usse forêt, ni de décapitation finale de ces adversaires. ll ne s'agit que d 'un camouflage visant à prendre par ruse une ville ennemie.

62. WITKOWSKl, 1971 ; ! VA NOV et Toronov, 1983. 63. l VANOV c l T OPOHOV, 1983, p. 194, avec bibliographie antérieure. 64. AlrrHURS, 1952-1953, suivi par L~ Roux et GUYONVAHC'H, 1983, pp. 135-1 43, a proposé

*Magosia. 65. Bl.A:li!:K, 2006.

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CI-: 1:1'0-SLAVICA. ESSAIS DE MYTHOLOGIE COMPAH I~E 221

hlanclais Macha < *Makisia Gaulois Mugiseniae (divinités fe minines plurielles a ttes tées à

Strasbourg)66.

Slave commun Mokas Latin Maial Maiia (mère de Mercure après assimilation à la Maïa grecque).

Ce nom viendrait d'un pri m itif *Mltgia, el la variante Maiesta (= *Magiesta) e s t

attestéé7.

Sanskrit mahi (<< l a grande », << l 'éminen te »)68

Les celLis anls opteront pour le sens << Pl aine>>, les latinistes pour << Grande >>69 , les

slavistes pour<< Humide>>, mais tous se rapportent sans J oute primitivement à l a Terre.

Mach a est une déesse triple , el surtout lrifonctionnelle70 ; prophétesse ou voyante,

reine e l guerrière, elle est surtout garante de la prospérité . De la prophétesse el de

la g uerrière, nous n'avons qu'une seule alleslalion, un seul texte garant à chaque

fois 71• Ce son t donc des rôles qui ne sont sans doute pas primord ia ux, bien que solide­

ment é ta blis. En revanche , l'aspect de troisième (onction csl alleslé par les multiples

variantes d'un même récit el a donc da être le plus populaire. R eprenons deux des

vers ions lraduilcs pa r Chris tian Guyonvarc'h :

« Il y avait un riche paysan des Ulates sur le sommet tles montagnes l!t dans le déser t. Son

nom était Crunnchu, fil s d'Agnoman. En tant qu'hahitant du désert, il augmenta beaucoup sa

richesse. Il é tait entouré de nombreux fil s. La femme qui était avec lui mourut, à savoir la mère

de ses enfants. Il fut longtemps sans femme. Un jour qu'il était sur sa couche, seul dans sa mai­

son, il vil une belle jeune femme dans la grande maison, venant vers lui avec une excellence

de fcn·m<:, de vl\tcment et d'aspect. La femme s'assit sur une chaise p1·ès du foyer et elle altisa

le feu. ll s furent là jusqu'à la fin du jour sans se parlr.r. El le prit alors un plat de cuisine et un

tamis et dle prépara la nourriture dans la maison. Quand vint la fin tlu jour elle prit des vases

et elle se mit à traire les vaches sans demander la permission.

Après être entrée tians la maison, elle fit un tour vers la droite el elle entra dans la cuisine.

Elle donna des ordres aux gens, elle s'assit sur une chaise à <:ôté de Crunnchu. Chacun alla

alors à son lit. Elle resta a près toul le monde, d lc couvrit (?) le feu et elle fit un tour à droite.

Elle vi nt à lui sous sa eouvcrture et elle lui mit la ma in au côté. Ils furent ensemble jusqu'à ce

qu'elle fut enceinte de lui. Sa r ichesse augmenta par son union avec elle. Elle se plaisait à sa

prospérité et à son équipement" . ,

66. AE 1980, 653a. l'eut-être à mettre en relation avec les Matres Mageiae de Anduze (France): AE 1963, 116.

67. EnNOUT cl M EILLH , 19:32, s:v. Mnin. 68. l'our l'ensemble des éléments de comparaison indu-européens, voir DE V.~AN, 2008, pp.

358-:159, s.v. << magnus>>. 69. Po KORNY, 1958-59, s:v. Meg(h). 70. DuMF.zn., 1954 ; suivi par LE Houx ct GLYONVAnc'n, 19fl3, pp. 4:>-60. 71. Le tnilnus~:ri t d'Édimbourg du Oindshenchas pour la propMtcssc; un recueil intitulé Incipit

de Fhlathiusaib Hercnd 7 rlùt lw.msemib v ré Mac Miled co hamsir Tuathail Techtmair (Des souve­rainetés d'Irlande depuis les temps des.fils de Milejusqn'cm temps de Tuathal Techtm.ar) dans le Li11re de Leinster : LE Houx ct G uYONVAHc'!l, 198.~ , pp. 45-47.

72. Ces Vlad, trad . in LE Houx et G UYONVAnc'u, 19fl3, pp. 4fl-49.

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222 PATH.ICE LAJOYE

" Crunniuc, fils ri'A gnoman, des Ulates, était un aubergiste riche. Il éta it dans les déserts

et d ans les montagnes et il avait des fils. Sa femme mourut alors. Un jour qu'il était seul dans

sa maison, il vit une ft:mme entrer chez lui. La femme lui parut distinguée. La femme se mit

tout de suite, quand elle s'assit, à préparer la nourriture, comme si elle avait é té auparavant

dans la maison. Quand la nuit vint, elle s'oecupa des gens sans r ien demander. Elle dormit avec

Cru inniuc cette nuit-là. E lle fut longtemps avec lui après cda et, par elle, il ne manquait ni

fruit ni nourriture, ni équipement , ni vêtement73• ''

Ainsi, Macha s'avère donc être une véritable fée du logis, et la suite de l'histoire sera typiquement mélusinienne : incapable de résister à la transgression d'un interdit, le << mari » de Mucha voit celle-ci partir avec la fortune, et l'ensemble des hommes du peuple est condamné à souffrir, durant cinq jours et quatre nuits e t pendant neuf générations, des douleurs de l'accouchement.

Chez les Slaves, il ne subsiste de traces de Mokos, en dehors de la toponymie, qu'en Russie, sous le nom de Mokosa ou Mokusa. Cette dernière n'est jamais guer­rière. Elle a pu ê tre prophétesse. En tout cas, à partir du XVI" siècle, et sans doute avant, son nom sert à désigner des sorcières, des guérisseuses : << Es-tu allée chez Mokusa ? >> est une des questions que doivent poser les confesseurs aux femmes dans un recueil de règles religieuses du xvt• siècle 74 •

Autrement, Mokosa est elle aussi une véritable fée du logis. Pour les habitants de Vologoclcina, elle est une femme avec une grande tête et de longs bras. Elle apparaît la nuit, dans des maisons, et file la filasse laissée sans bénédiction. Des légendes de la région d'Oloneck donnent une image plus détaillée de Mokosa:

« Quand le lainage tombe beaucoup on dit: 'Oh, c'est Mokutia qui a tondu un mouton'.

Quand on entend la nuit le bruit de la q uenouille on d it que Mokusa file, qu'elle va d'une mai­

son à l'autre et file la filasse pendant les nuits, et aussi tond des moulons; si, en sortant d'une

maison elle frappe avec une quenouille contre la soupente, cela signifie q u'elle est m6conlente

e t peut même couper un peu de cheveux des maîtres de la ma ison75• »

Ainsi, même si Mokosa semble particulièrement liée à la laine et au filage, elle n'en reste pas moins un esprit domestique76

• Selon Barsov, qui a bien étudié les croyances qui lui sont liées dans la région d'Oloneck, Mokosa est la << protectrice de l'élevage des moutons, du filage et de toul ee que concerne des af1aires des femmes», c'est-à-dire le ménage. On retrouve là les principales caractéristiques de la Maeha de Crunnchu.

Macha et Mokos disposent ainsi de quelques points communs forts, à commencer par lew·s noms. Mais c'est encore insufTisant pour conclure à une identité des deux personnages : il manque un mythe du côté slave, où nous n'avons plus que des tradi­tions.

73. Livre de Leinster, f" 125b-l26a; trad. in LE Roux ct CUYONVA RC'll, 1983, p. 50. 74. C AJ..'KOVSKIJ , 1916, t. 1. 75. B ARSOV, 1894. 76. Le filage ou le tres~agc, notamment des cheveux ou des crinières de chevaux, reste une des

activités favorites ries esprits du Ülyer, comme le dornovoj en Russie ou le gobelin en France.

CELTO-SLAVICA. ESSAIS DE MYTHOLOGIE COMPAR(.:E 223

Une fausse piste: comment le Dagda a obtenu son bâton

Claude Sterckx a à plusieurs reprises travaillé sur une légende irlandaise qui explique comment le Dagda s'est procuré sa massue. Le Dagda rencontre trois frères qui voyagent en emportant avec eux leur héritage commun, à savoir une massue dont un bout tue et l'autre rend la vie, un sa yon qui métamorphose son porteur selon l'appa­rence qu'il veut et, enfin , une tunique qui préserve son porteur de tout chagrin et de toute maladie. Le Dagda par duperie leur demande de lui montrer leur massue et il en profite pour les tuer. Il profite aussi de l'autre bout de la massue pour ressusciter son fils, qui lui fait aussitôt la morale. Le Dagda rend alors la vic aux trois frères et ne leur laisse que la tunique et le sayon77

Claude Sterckx avait ensuite repéré divers contes bretons qui sembl aient garder le souvenir de eette légende78.

En fai t, le même type de réeit se retrouve comme moti f dans les contes russes. Par exemple, duns Le songe prophétique ] : Ivan voyage avec plusieurs compagnons, quand ils croisent trois vieux qui se chamaillent:

«Bonjour, les vieux! Qu'avez-vous à vous baltre? - Ah jeune homme, si tu savais! Toul

cela, c'est à cause de l'héritage que nous a laissé notre père : tu vois celle chapka qui rend

invisible, ce tapis volant et ces bulles rapides? ~h bien, nous ne savons pas comment nous

les partager et il y a soixante-dix ans bien sonnés que nous sommes là à nous les disputer ! -

Voulez-vous que j(~ vous aide'? - S'ille plaît >>.

Tvan-fils de marehand Lendit son arc solide et tira trois flèches, puis il dépêcha chacun des vieux à la recherche d'une des flèches, le premier qui reviendrait aurait la chapka, le deuxième le tapis, et le troisième les bottes. Les vieux s'en vont et Ivan récupère le touf 9

.

On retrouve le même récit dans La princesse ensorcelée 2:

<< Il approche de la montagne, voit trois diables en train de se baltre; le sang leur eoule de

partout, les touffes de poil leur volent en tous sens: A rrête7., maudits que vous êtes! Pourquoi

vous ballez-vous·~ - Eh bien, vois-tu, cela fait deux jours que notre père est mort en nous

laissant en héritage ees trois merveilles: un tapis volant, des bottes rapides el une chapka

magique. Or, nous ne savons pas comment nous les partager».

Le héros leur ordonne d'aller recueillir une tonne et demie de résine chacun, de la faire chauffer, puis de la porter en haut d'une montagne ct de l'y déverser ; enfin, de fa ire rouler une pierre du haut de celle montagne: celui qui lu rattrapera pourra choisir ce qu'il voudra. Évidemment, les diables s'engluent et le héros emporte toutfl11•

77. STF.RCK X, 2005, p. 71. 78. Ibid., pp. 194-200. 79. Af 240/133. 80. Af 2721152b.

224· PATRICE LAJOYE

En fai t, il s'agit-là du conte-type AT 518, absent de France en tant que tel, mais utilisé comme simple motif dans d'autres contes, comme le AT 3028 1• Il n'a rien d'ex­clusivement celtique ou slave, ni même d'indo-européen. La seule chose, en fin de compte, qu'il conviendrait ici de résoudre est : pourquoi a-L-on associé le Dagda à ce type de récit folklorique? Mais ceci esl une autre histoire.

81. DELA RUE cl Tr::NÈZE, 2002, z· parti e, p . 308.

Patrice LAJOYE MRSH-Université de Caen

14032 Caen CEDEX [email protected]

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