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La céramique islamique à peinture rouge de Volubilis, étude preliminaire et revisions sur l’occupation islamique 533 Actas del VIII Congreso Internacional de Cerámica Medieval. Ciudad Real ( 2009 ) TOMO I / 533-556 Mots clés : céramique islamique, céramique glaçurée, cérami- que à peinture rouge,Volubilis. Résumé : Cette étude fait partie d’un projet axé sur la céra- mique islamique issue des anciennes fouilles et conservée dans les réserves du site de Volubilis. Elle concerne surtout la céra- mique glaçurée et la céramique islamique à peinture rouge. Les travaux menés par A. Akerraz sur Volubilis islamique ont dévoilé l’importance de l’occupation islamique du site et ont montré combien la recherche sur ses niveaux est prometteuse. Les fouilles qu’il a entreprises aux abords de l’enceinte tardive et dans la zone située au nord-ouest de l’arc de triomphe, ont permis de collecter de nouvelles données sur cette phase de l’histoire de la ville. Palabras Clave: cerámica islámica, cerámica vidriada, cerámi- ca pintada en rojo,Volúbilis. ****Resumen: El presente estudio forma parte de un pro- yecto centrado en la cerámica islámica extraída de las anti- guas excavaciones del yacimiento de Volúbilis, en donde se conservan. Concierne sobre todo a la cerámica vidriada y a la cerámica islámica pintada en rojo. Los trabajos realizados por A. Akerraz sobre el Volúbilis islámico han desvelado la impor- tancia de la ocupación islámica del yacimiento y han mostrado todo lo que promete la investigación sobre los niveles de este momento. Las excavaciones que ha realizado en las proximi- dades del recinto tardío y en la zona situada al noreste del arco de triunfo, han permitido recoger nuevos resultados sobre esta fase de la historia de la ciudad. Key words: Islamic ceramics, glazed ceramics, red-painted ceramics,Volubilis. *Abstract: This study forms part of a project focusing on the Islamic ceramics found in the old excavations and conserved in the storerooms on the Volubilis site. It concentrates mainly to the glazed ceramics and the red-painted Islamic ceramics. The work led by A. Akerraz on Islamic Volubilis has revealed the importance of the Islamic occupation of the site and has shown how promising the research on its levels is.The excava- tions he has carried out around the later enclosure and in the area located to the north-west of the victory arch have allowed new data to be collected on that phase of the history of the town. Introduction. Cette étude fait partie d’un projet axé sur la céramique islamique issue des anciennes fouilles et conservée dans les réserves du site de Volubilis. Elle concerne surtout la céramique glaçurée et la céramique que nous avons baptisée la céramique islamique à peinture rouge 1 . Les travaux menés par A. Akerraz sur Volubilis islamique ont dévoilé l’im- portance de l’occupation islamique du site et ont montré combien la recherche sur ses niveaux est prometteuse 2 . Les fouilles qu’il a entreprises aux abords de l’enceinte tardive et dans la zone située au nord-ouest de l’arc de triomphe, ont permis de collecter de nouvelles données sur cette phase de l’histoire de la ville 3 . Le projet maroco-anglais 4 mené au sud-ouest de l’enceinte tardive et aux abords des thermes extra- muros, nous a donné l’occasion de nous interroger * Abdallah Fili, Professeur d’histoire et d’archéologie, Université d’El-Jadida, UMR 5648. [email protected] Rachid Bouzidi, Abdelkader Chergui, Conservateurs du Site Archéologique de Volubilis * Abdallah Fili, Rachid Bouzidi, Abdelkader Chergui 1. L’analyse technique de ce matériel n’aurait pas été rendue possible sans le travail incontournable effectué par M. Alilou, dessinateur à la Conservation du Site Archéologique de Volubilis, qui a minutieusement réalisé 126 dessins pour 109 objets qui constituent presque la totalité du matériel étudié, nous le remercions à cette occasion pour sa collaboration. 2. A Akerraz, La Maurétanie tingitane du sud, de Dioclétien aux Idrisides, Thèse de 3 e cycle dactylographié, Paris-Sorbonne, 1986. 3. A. Akerraz, « Note sur l’enceinte tardive de Volubilis », BCTH, n-s 19, fasc. 8 (Grenoble, 5-9 avril, 1983), Paris, 1985, p. 429- 438. Les travaux de l’auteur sur ces niveaux sont en cours de publication ; un résumé en a été présenté à l’occasion de la table ronde sur : La genèse de la ville islamique en al-Andalus et au Maghreb occidental dont la publication a été préparée par Patrice Cressier et Mercedes García-Arenal, voir Aomar Akerraz, “Recherches sur les niveaux islamiques de Volubilis”, p. 295-395. 4. Ce projet est co-dirigé dans sa partie archéologique par Elisabeth Fentress et Hassan Liman dans le cadre d’une collaboration entre l’Université Collège London et l’INSAP de Rabat.

Céramique à peinture rouge de Volubilis

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la céramique islamique à peinturerouge de volubilis, étude preliminaire

et revisions sur l’occupation islamique

533Actas del VIII Congreso Internacional de Cerámica Medieval. Ciudad Real ( 2009 ) TOMO I / 533-556

Mots clés : céramique islamique, céramique glaçurée, cérami-que à peinture rouge, Volubilis.Résumé : Cette étude fait partie d’un projet axé sur la céra-mique islamique issue des anciennes fouilles et conservée dans les réserves du site de Volubilis. Elle concerne surtout la céra-mique glaçurée et la céramique islamique à peinture rouge. Les travaux menés par A. Akerraz sur Volubilis islamique ont dévoilé l’importance de l’occupation islamique du site et ont montré combien la recherche sur ses niveaux est prometteuse. Les fouilles qu’il a entreprises aux abords de l’enceinte tardive et dans la zone située au nord-ouest de l’arc de triomphe, ont permis de collecter de nouvelles données sur cette phase de l’histoire de la ville.

Palabras Clave: cerámica islámica, cerámica vidriada, cerámi-ca pintada en rojo, Volúbilis.****Resumen: El presente estudio forma parte de un pro-yecto centrado en la cerámica islámica extraída de las anti-guas excavaciones del yacimiento de Volúbilis, en donde se conservan. Concierne sobre todo a la cerámica vidriada y a la cerámica islámica pintada en rojo. Los trabajos realizados por

A. Akerraz sobre el Volúbilis islámico han desvelado la impor-tancia de la ocupación islámica del yacimiento y han mostrado todo lo que promete la investigación sobre los niveles de este momento. Las excavaciones que ha realizado en las proximi-dades del recinto tardío y en la zona situada al noreste del arco de triunfo, han permitido recoger nuevos resultados sobre esta fase de la historia de la ciudad.

Key words: Islamic ceramics, glazed ceramics, red-painted ceramics, Volubilis.*Abstract: This study forms part of a project focusing on the Islamic ceramics found in the old excavations and conserved in the storerooms on the Volubilis site. It concentrates mainly to the glazed ceramics and the red-painted Islamic ceramics. The work led by A. Akerraz on Islamic Volubilis has revealed the importance of the Islamic occupation of the site and has shown how promising the research on its levels is. The excava-tions he has carried out around the later enclosure and in the area located to the north-west of the victory arch have allowed new data to be collected on that phase of the history of the town.

Introduction. Cette étude fait partie d’un projet axé sur la

céramique islamique issue des anciennes fouilles et conservée dans les réserves du site de Volubilis. Elle concerne surtout la céramique glaçurée et la céramique que nous avons baptisée la céramique islamique à peinture rouge1. Les travaux menés par A. Akerraz sur Volubilis islamique ont dévoilé l’im-portance de l’occupation islamique du site et ont montré combien la recherche sur ses niveaux est prometteuse2. Les fouilles qu’il a entreprises aux

abords de l’enceinte tardive et dans la zone située au nord-ouest de l’arc de triomphe, ont permis de collecter de nouvelles données sur cette phase de l’histoire de la ville3.

Le projet maroco-anglais4 mené au sud-ouest de l’enceinte tardive et aux abords des thermes extra-muros, nous a donné l’occasion de nous interroger

*

Abdallah Fili, Professeur d’histoire et d’archéologie, Université d’El-Jadida, UMR 5648. [email protected] Bouzidi, Abdelkader Chergui, Conservateurs du Site Archéologique de Volubilis

*

Abdal lah f i l i , Rachid Bouz id i ,Abdelkader Chergui

1. L’analyse technique de ce matériel n’aurait pas été rendue possible sans le travail incontournable effectué par M. Alilou, dessinateur à la Conservation du Site Archéologique de Volubilis, qui a minutieusement réalisé 126 dessins pour 109 objets qui constituent presque la totalité du matériel étudié, nous le remercions à cette occasion pour sa collaboration.

2. A Akerraz, La Maurétanie tingitane du sud, de Dioclétien aux Idrisides, Thèse de 3e cycle dactylographié, Paris-Sorbonne, 1986.3. A. Akerraz, « Note sur l’enceinte tardive de Volubilis », BCTH, n-s 19, fasc. 8 (Grenoble, 5-9 avril, 1983), Paris, 1985, p. 429-438. Les travaux de l’auteur sur ces niveaux sont en cours de publication ; un résumé en a été présenté à l’occasion de la table ronde sur : La genèse de la ville islamique en al-Andalus et au Maghreb occidental dont la publication a été préparée par Patrice Cressier et Mercedes García-Arenal, voir Aomar Akerraz, “Recherches sur les niveaux islamiques de Volubilis”, p. 295-395. 4. Ce projet est co-dirigé dans sa partie archéologique par Elisabeth Fentress et Hassan Liman dans le cadre d’une collaboration entre l’Université Collège London et l’INSAP de Rabat.

534 A. fili et alii: lA CéRAMIque IslAMIque à peInTuRe ROuge de VOluBIlIs, éTude pRelIMInAIRe...

sur la céramique et son apport à la connaissance de l’évolution chronologique de Volubilis à l’époque islamique. Il nous a permis de mesurer ce que le travail céramologique peut apporter aux probléma-tiques soulevées par ce site et son peuplement à cette époque.

Notre objectif dans cet article est de présenter une production qui n’a fait l’objet d’aucune notice ou publication et qui a dérouté plus d’un chercheur quant à sa chronologie, sa technique et ses formes ; il s’agit de “la céramique islamique à peinture rou-ge”. Même si notre analyse céramologique porte sur cette seule production, nous exploiterions dans notre synthèse, d’autres types de productions, no-tamment la céramique glaçurée, qui feront l’objet d’un travail ultérieur.

1. Considerations generales surle materiel etudie.A. Historique des recherches.Etablir l’historique des recherches archéolo-

giques qui ont livré le matériel islamique qui fait l’objet de cette étude, n’est pas chose facile. Une bonne partie de ces travaux n’ont laissé que très peu de traces documentaires5. Ils sont aussi sou-vent très éloignés des préoccupations qui sont les nôtres aujourd’hui en matière de stratigraphie et de céramologie. En effet, il s’agit de recherches ar-chéologiques qui sont anciennes de plus d’un quart de siècle au minimum. Il est question des fouilles de B. Rosenberger dans les thermes extra-muros en 1964 et aux alentours de la maison au compas, de celles d’Ed. Frézouls dans le palais de Gordien (quartier nord-est), dans le secteur B et dans le sec-teur D8 au quartier bas en 1962, et de celles d’An-dré Jodin dans le quartier ouest pendant les années 1975-1976. Nous ajoutons à ces travaux, les fouilles entreprises par R. Bouzidi dans le quartier du tu-mulus qui ont livré en 1996 un tesson de la céra-mique glaçurée. Nous avons également étudié les tessons provenant de l’Insula 5 située entre le Four Domergue et le temple C et à propos desquels les cahiers d’inventaire ne précisent pas le fouilleur.

Il est important de signaler que hormis le tesson de R. Bouzidi, les autres fragments n’ont pas été enregistrés dans les cahiers d’inventaire par leurs propres collecteurs. Nous n’y avons pas trouvé de

trace des fouilles de Bernard Rosenberger et dont le matériel a été probablement attribué à André Jo-din.

B. Une approche sélective.La plupart des chercheurs que nous avons évo-

qués ont visiblement fait un triage très poussé des céramiques qu’ils ont collectées pendant la fouille. Ils se sont débarrassés de la céramique commune, parce que jugée archaïque et inintéressante, au profit des belles formes et des tessons glaçurés et décorés. Ceci faisait partie de l’esprit de l’époque et des méthodes largement pratiquées au Maroc et ailleurs.

Même si l’on révise la quantité des tessons at-tribuée à A. Jodin, il est de loin celui qui en a col-lecté le plus grand nombre. Même B. Rosenberger qui est médiéviste, par ailleurs sensible à l’impor-tance de la céramique islamique6, s’est contenté de conserver les tessons glaçurés. Il faut également souligner que A. Jodin et Ed. Frézouls ont porté un intérêt particulier à la céramique à peinture rouge. En dehors des céramiques glaçurées, elle constitue une bonne partie de notre échantillon. Il semble que cette céramique présente beaucoup de simili-tudes avec plusieurs productions antiques et, nous pensons même que, parfois, des chercheurs ont rencontré des difficultés à faire la distinction entre les productions antiques et la céramique tournée à peinture rouge de l’époque islamique7. Par contre, ce type de céramique ne figure pas dans le lot du matériel récolté par B. Rosenberger dans le quar-tier des thermes extra-muros.

Outre cette approche sélective qui nous empê-che d’avoir une vision d’ensemble sur le contexte céramologique de Volubilis et donc d’en faire une étude analytique, on ne signale plus le fait que ce matériel est dépourvu de tout rattachement stra-tigraphique. Ceci a considérablement limité notre analyse, qui se limite à une approche stylistique du matériel. Celle-ci nous prive certes des avantages et des précisions de la stratigraphie et du contexte ur-bain, mais nous permet tout de même de compren-

5. Bernard Rosenberger nous a assuré qu’il a encore des documents sur les fouilles de Volubilis mais il nous a précisé également la difficulté d’en tirer des renseignements utilisables.

6. Voir ses remarques sur quelques objets qu’il a collectés à Jebel Aouam, B. Rosenberger, 1964, “Autour d’une grande mine d’argent au Moyen Age marocain, le Jebel Aouam”, Hespéris-Tamuda, V, p. 15-78.7. Nous voulons pour preuve le fait que des fragments de cette céramique qualifiés de céramique lustrée, ont pris un même numéro d’inventaire ; cette identification a été corrigée par une autre personne tout en signalant qu’il s’agit de la céramique à vernis rouge romaine et en leur attribuant un numéro d’inventaire en bis. Malheureusement nous n’avons pas retrouvé ces pièces.

535Actas del VIII Congreso Internacional de Cerámica Medieval. Ciudad Real ( 2009 ) TOMO I

dre les cadrages chronologiques des productions et saisir ses aspects technologiques, morphologiques et décoratifs.

C. La nomenclature utilisée.Nous nous sommes référés aux cahiers d’inven-

taire pour observer les terminologies adoptées par les chercheurs pour désigner les diverses produc-tions dont celle proposée par E. Lenoir et A. Aker-raz qui ont pris le soin d’enregistrer sur les cahiers d’inventaire les lots du matériel recueilli lors des anciennes fouilles. En tout état de cause, elles nous permettent de prendre connaissance du vocabulaire utilisé pour nommer ces productions et la percep-tion qu’on en avait. Nous avons relevé la présence de trois appellations distinctes : - “la céramique lustrée rouge” ou encore “la céra-

mique lustrée de Moulay Idris”8 pour désigner la céramique islamique à engobe rouge.

- “la céramique islamique” pour désigner la céra-mique glaçurée.

- “la céramique commune” pour désigner la cérami-que non glaçurée.

Naturellement aucune précision chronologique n’accompagne ces désignations.

D. Des productions tardives.A quelques tessons près, la céramique issue des

anciennes fouilles de Volubilis se rattache à une pé-riode s’étalant entre les Xe et XIXe siècle. Notre matériel dépasse donc largement les cadrages chro-nologiques attribués jusqu’à lors aux niveaux ar-chéologiques de Volubilis. En effet, les céramiques que nous avons étudiées s’inscrivent dans une four-chette chronologique assez tardive par rapport aux premières phases de l’occupation islamique du site. Nous n’avons aucun tesson des VIIIe siècle, c’est-à-dire de l’occupation pré-idrisside et début des idrissides, et donc comparable à ceux collectés par Aomar Akerraz et par la mission maroco-anglaise. Il est probable que cette situation est imputable aux conditions dans lesquelles le matériel a été collecté et donc aux choix personnels des archéologues. En effet, il est curieux de voir que même les parties du site dont nous savons aujourd’hui qu’elles ont été occupées au début de la période islamique, n’ont

pas livré de matériel céramique correspondant chronologiquement à cette période.

Néanmoins, considérant l’état actuel de nos connaissances, il peut aussi s’agir d’une réalité ar-chéologique dont il convient de tirer les conclu-sions qui s’imposeraient notamment au niveau de l’occupation des différentes parties de la ville de Volubilis au fil du temps. L’urbanisme islamique a-t-il occupé tout le site de Volubilis ? Ou s’est-il concentré dans une zone restreinte ? A-t-il glissé d’un secteur à un autre de la ville antique ? Ce sont là des questions que l’on peut discuter au gré de l’avancement des recherches. Il est important de si-gnaler que l’occupation islamique a été concentrée sur la partie ouest du site à en juger, d’une part la présence de l’enceinte tardive qui constituait une limite pour la nouvelle agglomération, et d’autre part, la situation des tombes islamiques à l’est de cette enceinte et qui représentaient, elles aussi, une limite urbaine. Le plus important cimetière se situe près de l’arc de triomphe autour de la maison sans nom9 et du tumulus10. Mais, ceci ne nous autorise nullement à l’absence de toute présence islamique dans le côté est. Les recherches anciennes et une partie du matériel ici étudié en plaide en faveur.

2. Ceramique islamique a peinture rouge :chronologie et technologie.A. Identification et localisation.La céramique islamique à peinture rouge de

Volubilis couvre plusieurs types de productions dont le dénominateur commun est le traitement des surfaces des objets qui consiste en un polissage énergique sur l’une ou les deux faces, suivi de l’ap-plication d’une peinture rouge vif à rouge brique d’origine minérale donc très différente du produit végétal utilisé par les potiers actuels de Zerhoun. La cuisson de ces céramiques est de très bonne qua-lité, ce qui rend souvent les parois brillantes. C’est la raison pour laquelle on l’a appelée la cérami-que lustrée rouge. En réalité, la surface brillante de cette céramique est due au polissage pratiqué sur les parois et non pas à la peinture elle même. Il s’agit d’un procédé technique très caractéristique de la céramique de Moulay Idris et du milieu rural

8. Aomar Akerraz a utilisé cette désignation pour la céramique collectée à Fedan Chqouf en 1983, voir cahier d’inventaire 6, numéros 149-159. Nous n’avons pas intégré cet échantillon dans notre travail.

9. A. Akerraz, Note sur l’enceinte tardive, op.cit., p. 434-435.10. R. Bouzidi, Recherches archéologiques sur le quartier du tumulus (Volubilis), Thèse du diplôme de IIIe cycle à l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine, Rabat, 2001, p. 89-90. Cette tombe qui a été mise au jour par l’auteur en 1996, confirme qu’il y a eu une grande nécropole aux alentours de la maison sans nom.

536 A. fili et alii: lA CéRAMIque IslAMIque à peInTuRe ROuge de VOluBIlIs, éTude pRelIMInAIRe...

limitrophe. D’ailleurs, nous avons trouvé un galet permettant de réaliser cette technique de finition des parois. Si le pigment rouge recouvre parfois l’intégralité des parois, il peut aussi servir à dessiner les motifs du décor peint monochrome que l’on retrouve sur certaines formes tournées. Il s’agit là d’une découverte très importante étant donné la rareté manifeste au Maroc de productions peintes à base de pâte calcaire cuite à de très hautes tem-pératures.

Dans l’ensemble, la peinture rouge est utilisée indifféremment à l’intérieur et ou à l’extérieur des poteries. Sur les formes ouvertes, elle est appliquée à l’intérieur et sur le bord externe ; en revanche, sur les formes fermées, elle est utilisée sur les parois externes et sur le bord interne. Il est donc évident que cette peinture ne joue pas un rôle utilitaire mais un rôle esthétique non négligeable. Les parties exposées au regard de l’usager sont traitées avec le plus grand soin.

Cette céramique islamique à peinture rouge a été identifiée à plusieurs endroits du site de Volu-bilis et également sur le site de Fedan Chqouf à Moulay Idris (fig. 1). Ce dernier site a été déjà re-péré par la mission Sebou ; Aomar Akerraz pour sa part y a fait un ramassage11.

Sur le site de Volubilis, quatre lieux ont livré cette production d’après les cahiers d’inventaire (fig. 1) : - Insula 5 entre le four Domergue et le Temple

C. - La maison aux fresques, A. Jodin, 1975-76. - Quartier ouest, A. Jodin, 1975-76. - Quartier bas, secteur 8, à une profondeur de 70

cm, Ed. Frézouls, 1962.

Nous constatons que cette céramique se concen-tre dans la partie ouest et sud-ouest du site et plus précisément au sud d’un axe virtuel reliant l’insula 5 au quartier bas, en passant par la maison aux fres-ques et le quartier ouest. Il semblerait que A. Aker-raz n’en a pas trouvé dans sa fouille au nord-ouest de l’arc de triomphe.

Même si cette céramique peinte en rouge se re-trouve sur une aire relativement étendue de Volubi-lis et malgré le peu de crédit que l’on peut donner, pour le moment, à une étude statistique sur sa ré-

partition sur ce site, il est opportun de préciser que la grande majorité de cet échantillon se concentre dans le quartier ouest qui a connu des travaux ar-chéologiques plus étendus et plus importants. Les autres points du site se présentent sous forme de sondages probablement limités dans l’espace et où cette production se retrouve souvent comme objet résiduel.

Ce type de céramique fut également identifié sur le site de Fedan Chekof à Moulay Idris. Nous avons effectué plusieurs examens sur ce site12, nous y avons recueilli des fragments de la céramique à peinture rouge, de la céramique glaçurée surtout verte, quelques ratés de cuisson ainsi qu’un polis-soir en basalte. Le site offre sur la route une belle coupe où se trouvent plusieurs jonchées de céra-mique, des ratées de cuisson, des éléments de four et des traces de feu. Ces données nous invitent à croire en la présence, sur ce site ou dans ses alen-tours immédiats, d’un atelier de potier. Cette idée est corroborée par le nom que les habitants de la ville lui ont attribué13. La toponymie locale garde encore un autre nom identique à Fedan Chqouf, il s’agit du site de Haft chqouf qui abritait, d’après les souvenirs des habitants les plus vieux, des ateliers de potier de la ville de Moulay Idris14.

B. Des productions chronologiquementhomogènes.L’examen attentif de la céramique islamique à

peinture rouge de Volubilis nous a permis de pro-poser un premier cadrage chronologique de cette production en nous basant à la fois sur l’analyse de l’échantillon issu de Volubilis et celui que nous avons ramassé sur le dépotoir de Fedan Chqouf à Moulay Idris15. Nous avons porté une attention particulière aux différentes productions qui accom-pagnent la céramique qui nous occupe ici. En ef-fet, ces productions sont constituées de céramiques

11. Nous avons trouvé dans les réserves de Volubilis une trentainede tessons ramassés sur place par Aomar Akerraz mais ils nefigurent pas dans cette étude.

12. Ce site se trouve dans un terrain argileux sur la bordure gauche de l’entrée principale de la ville de Moulay Idris Zerhoun du côté ouest. Il s’étend sur une aire de 70m environ vers le nord et 200m environ vers l’ouest. Le site fut entaillé par la route menant à la ville, et il est fort probable qu’il se prolongeait vers le sud.13. Fedan Chekof est un nom arabe qui signifie,champs des tessons de céramique.14. Haft chekof signifie le versant des tessons de céramique. Ce site se situe sur le versant est de la montagne de Kheiber qui domine oued Khoumane. Les constructions récentes ont envahit ce site. 15. Il s’agit d’un ramassage de surface aléatoire pendant lequel nousavons ramassé une vingtaine de pièces très variées technologiquement. Une deuxième visite a été effectuée dans ce site visant essentiellementle ramassage des céramiques glaçurée ; c’est durant cette dernière visite que nous avons trouvé le polissoire.

537Actas del VIII Congreso Internacional de Cerámica Medieval. Ciudad Real ( 2009 ) TOMO I

Fig. 1.

Carte de la mission maroco-anglaise

538 A. fili et alii: lA CéRAMIque IslAMIque à peInTuRe ROuge de VOluBIlIs, éTude pRelIMInAIRe...

glaçurées, dont une partie est importée, et aussi de céramiques non glaçurées produite à Moulay Idris. Au niveau chronologique, toutes ces productions sont homogènes. Elles sont rattachées au XIVe siècle. Elles sont comparables aux productions de Fès et plus précisément à celles de la Madrasa al-Bû’Inâniyya et de Boujloud associées au tout début de la deuxième moitié du XIVe siècle. Cette data-tion est d’ailleurs confirmée par les récentes fouilles de la mission maroco-anglaise. En effet, la fouille du secteur D a permet de découvrir un bâtiment de l’époque mérinide. Ce qui a permis d’associer, pour la première fois cette production peinte à un niveau stratigraphique16.

Si nous savons aujourd’hui que la datation du XIVe convient parfaitement aux productions issues des fouilles anciennes de Volubilis et à celles collec-tées à Fedan Chqouf, nous ne sommes pas sûr que cette datation soit valable pour toutes les cérami-ques à peinture rouge. Il serait nécessaire d’affiner cette chronologie en fonction des trouvailles et des contextes stratigraphique.

Au vu de la quantité de ratés de cuisson et de cendres et même si nous n’avons pas encore loca-lisé de four de potier, il est incontestable que nous avons à FedanChqouf l’un des ateliers médiévaux de Zarhoun. Il est donc très probable que la céra-mique tournée à engobe rouge provienne de ce site, justifiant, en partie, l’appellation de céramique de Moulay Idris. Mais nous sommes convaincus, d’une part que cette production n’est pas l’apanage de cet atelier, et d’autre part qu’elle n’est pas sa seule pro-duction.

Si la présence de céramique glaçurée de l’épo-que mérinide provenant à coup sûr de Fès ou des ateliers urbains environnants est attestée en nombre dans la ville de Volubilis, la céramique à peinture rouge, elle, n’a pas été retrouvée dans l’échantillon que nous avons étudié à la madrasa al-Bû’Inâniyya de Fès. Nous n’en avons pas non plus trouvé de trace dans les divers sites de Jbala-Ghomara, ni dans les travaux concernant Belyounech et Ksar al-Se-ghir. Si cette constatation est avérée, il est évident que nous nous trouvons devant une production localisée dans cette partie du massif de Zarhoun. Il convient néanmoins de préciser sa répartition géographique en nous appuyant notamment sur les

travaux et les ramassages de surfaces réalisés dans le cadre de la Mission maroco-française de Sebou.

C. Argiles et dégraissants.Etant donné que nous n’avons pas effectué

d’analyses des pâtes, nous nous contenterons des observations empiriques pratiquées sur le terrain. Nous avons distingué deux types de préparations argileuses utilisées dans le façonnage de la cérami-que islamique à peinture rouge de Volubilis. D’une part, une argile à texture fine, très homogène et riche en inclusions naturelles attestant qu’elle n’a pas subi de lavage. D’autre part, une argile à texture grossière avec un dégraissant volumineux, abon-dant mais très bien réparti dans les parois des objets en question. Les dégraissants de ce dernier type de pâte sont soit minéraux comme la calcite, le mica et le quartz, soit sous forme de chamotte ajoutée dé-libérément par le potier pour diminuer la plasticité des argiles et changer leur granulométrie. Ces di-vers dégraissants répondent certes à une contrainte technologique, mais correspondent plus souvent à des traditions potières ancestrales qui avaient une justification technologique par le passé mais leur utilisation n’est plus qu’un marqueur culturel. La raison de cette précision est que ces céramiques dont les pâtes sont pourvues de dégraissants, ne sont pas pour autant utilisées comme des cérami-ques culinaires qui justifie normalement l’ajout de ces matériaux non plastiques.

Ainsi, le dégraissant ou son absence est porteur d’une marque culturelle entre deux espaces diffé-rents, le premier est rural, le second imprégné par la tradition urbaine.

D. Tournage et modelage : (PL. I et II).En dehors du fait que les deux types d’argiles

que nous avons définis correspondent à deux es-paces différents, ils renvoient à deux techniques de façonnage différentes. Le premier type d’argile cor-respond à la céramique tournée et le second à la céramique modelée.

La coexistence de productions modelées et tournées est un trait fondamental de la céramique médiévale marocaine. La technique du tournage n’est pas l’exclusivité du milieu urbain. En revan-che, la « révolution » technologique à laquelle on a assisté progressivement au Maghreb et en al-An-dalus depuis le Xe siècle a réduit, voire refoulé, la technique du modelage à des espaces de produc-

16. La publication des résultats de la mission maroco-anglaise est en cour de préparation.

539Actas del VIII Congreso Internacional de Cerámica Medieval. Ciudad Real ( 2009 ) TOMO I

PL. I : Les productions modelées produites dans les environs de My Idris avec les mêmes caractéris-tiques que les productions des ateliers de ladite ville.

PL. II : Les productions tournées produites dans l’atelier médiéval de Fedan Chqouf à My Idris.

540 A. fili et alii: lA CéRAMIque IslAMIque à peInTuRe ROuge de VOluBIlIs, éTude pRelIMInAIRe...

tions dispersées ou familiales. Ces espaces devien-nent de plus en plus limités à des créneaux que les ateliers urbains, qui se veulent à la pointe du pro-grès et qui sont destinés à une production lourde et concentrée, n’ont pas pu conquérir. Il ne faut donc pas uniquement voir dans la coexistence de ces deux types de production la différence entre deux milieux géographiques, mais un des aspects fondamentaux du cadre socio-économique de la production céramique. En effet, le fait que les productions rurales soient dispersées et à structure familiale, pèse fortement sur le choix des outils et des techniques de production17. Il est clair que le modelage est la solution adaptée à ce genre de pro-duction d’une part, et d’autre part au type de pâte utilisé, riche en dégraissant, et souvent difficile à tourner18.

Par contre, la technique de finition qui consiste en un polissage énergique suivi de l’application d’une peinture rouge, peut-être utilisée invaria-blement sur des céramiques façonnées sur un tour lent, rapide ou par modelage. Nous supposons donc que le tournage est utilisé dans le milieu que l’on peut qualifier d’urbain ou pseudo-urbain dont les aspects socio-économiques justifient cette techni-que comme l’atelier de Fedan Chqouf19. En revan-che, le modelage est refoulé dans des zones où la production céramique est une activité seconde et beaucoup plus dispersée comme dans le milieu ru-ral environnant.

Statistiquement nous constatons une légère prépondérance des formes modelées au dépend des formes tournées. Même si ces proportions ne cor-respondent pas à la réalité archéologique car nous renseignant uniquement sur les céramiques conser-vées. Elles attestent néanmoins l’importance des importations céramiques de Volubilis. Elles témoi-gnent aussi des relations étroites entre cette ville, ou ce qu’il en reste au XIVe siècle, et son arrière pays.

Ce dernier, plate forme des productions modelées, y diffuse ses productions.

Pour conclure cette partie technologique, nous dirons qu’il ressort de l’examen attentif des pâtes de la céramique à peinture rouge de Volubilis, l’existen-ce probable de plusieurs ateliers produisant ce type d’objets. En effet, d’après les céramiques étudiées, aussi bien tournées que modelées, nous constatons la présente d’argiles différentes. Cette situation se confirme également dans l’ajout volontaire ou non des divers dégraissants dépendant de l’usage et la fonction des poteries et justifiant des choix propres à chaque atelier et peut-être à chaque potier.

3. Formes et fonction.Dès le début, l’une des caractéristiques mor-

phologiques qui a attiré notre attention en exami-nant les formes des céramiques tournées à peinture rouge de Volubilis et de Moulay Idris est la simili-tude frappante qu’elles présentent avec les formes antiques. D’ailleurs, ceux qui ont fait l’inventaire de cette céramique l’ont confondue avec la céramique la céramique sigillée claire romaine20.

Ce type de céramique a subi un traitement des surfaces avancé, la peinture rouge est bien adhérée, le polissage est très poussé, ce qui laisse à première vue une impression qu’on est devant des objets brillants de la sigillée claire antique. Nous avons même au départ éprouvé des difficultés à identifier certains objets de la céramique à peinture rouge en ayant cru qu’il s’agit de spécimens romains. Cette affinité n’est pas relatée seulement par le traitement des surfaces, mais aussi par la forme de certaines pièces. Ainsi nous avons distingué des plats, des go-belets et des bols et des petites jarres qui ressem-blent à la forme Hayes 14 de la céramique à vernis rouge21, trois plats comparables à Hayes 15/1722, quatre plats qui ressemblent à Hayes 2723, un plat si-milaire à Hayes 1824, un autre semblable à Hayes23 4a125, une petite jarre comparable à Hayes 8B26, ainsi que deux petites jarres et un pichet rapprochés des variantes de Hayes 50 qui est une forme de la céramique sigillée claire C27.

17. Voir à ce sujet M. Picon, 1995, “Pour une relecture de la céramiquemarocaine, caractéristiques des argiles et des produits, techniques de fabrication, facteurs économiques et sociaux”, Ethno-archéologie méditerranéenne, Madrid, Collection de la Casa de Velázquez, 54, p. 141-158.18. A. Fili, 2001, Des textes aux tessons, la céramique médiévale de l’Occident musulman à travers le corpus mérinide de Fès (Maroc, XIVe siècle), Thèse de Doctorat, Université Lyon II, p. 481.19. Voir les travaux de M. Picon, 1992, “Ethnoarchéologie et recherches en laboratoire, le cas des techniques céramiques”, Ethnoarchéologie, justification, problèmes, limites, p. 115-126 ; 1995, “Pour une relecture de la céramique marocaine, caractéristiques des argiles et des produits, techniques de fabrication, facteurs économiques et sociaux”, Ethno-archéologie méditerranéenne, Madrid, Collection de la Casa de Velázquez, 54, p. 141-158.

20. La céramique sigillée claire romaine est une production africaine qui était faite principalement dans les ateliers de la Tunisie (Africa Nova). 21. Vol 12 564-8, 12 564-38, 12 564-39, 12 564-42, 12 564-43, 12 564-47, 12 564-48, 12 564-49, 12 564-50, 04-16 et 04-25. 22. Vol 04-14, 04-21 et 04-23.23. Vol 12 564-37, 12 564-41, 12 564-53 et 12 598-1.24. Vol 04-17.25. Vol 04-26.26. Vol 12 564-6.

541Actas del VIII Congreso Internacional de Cerámica Medieval. Ciudad Real ( 2009 ) TOMO I

Fig. 2.

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Certains objets présentent des affinités avec la sigillée claire D qui est une production tardive par rapport à l’occupation romaine de Volubilis surtout au niveau de la teinte de la peinture, des dégrais-sants et de leur allure grossière.

Comment peut-on expliquer ce phénomène, les potiers se sont-ils inspirés des objets qui circulaient avant eux à Volubilis et dans son arrière pays ? Y avait-il une continuité dans la production de la céramique dans la région qui a fait que certaines formes et caractères antiques ont été conservés par les potiers ? Il est difficile de répondre avec précision à ces interrogations faute de données tangibles.

Cette parenté avec la céramique antique qui est remarquable aussi bien dans les formes que dans le traitement des surfaces est exclusivement relatif aux céramiques tournées. Les formes modelées ap-partiennent quant à elles à un autre registre mor-phologique et culturel ancré dans la tradition de la céramique berbère. Nous sommes donc devant un phénomène culturel et technologique fondamen-tal qu’il convient d’appréhender à travers notre échantillon.

La technique de façonnage a agi d’une manière ou d’une autre sur les formes des productions à peinture rouge de Volubilis. En effet, le tournage est utilisé pour la totalité des formes fermées (pe-tites jarres, pichets…) et pour les formes ouvertes. Les formes modelées ou faites à l’aide d’une tour-nette sont exclusivement ouvertes et nous n’avons constaté l’existence d’aucune forme fermée dans cette catégorie. La classification de notre matériel est fondée sur cette séparation entre vaisselles mo-delées et vaisselles tournées. D’ailleurs, même si cette séparation n’a fait l’objet d’aucune mention dans les textes arabes médiévaux faisant que même le vocabulaire désignant ces deux opérations nous est inconnu, et même si les études archéométriques développées par M. Picon et R. El Hraiki consi-dèrent qu’en matière de technologie céramique, la valeur de cette distinction est marginale28, nous estimons que sur le terrain de fouille, elle constitue la première caractéristique à laquelle l’archéolo-gue est confrontée et s’impose comme fondement pour ses premières classifications.

A. Catégories de vaisselles. La céramique islamique à engobe rouge de Vo-

lubilis peut être divisée en deux grandes catégories selon sa technique de façonnage.

1. Céramique modelée : Comme nous l’avions déjà montré que les for-

mes modelées sont exclusivement ouvertes. Elles appartiennent à la catégorie des jattes et bassines dont les diamètres dépassent souvent les 30 centi-mètres et dont l’usage et très varié. Il s’agit en effet de pièce céramique de type tagra (ou kasriyya des milieux arabisés ou urbains) dont les usages multi-ples sont connus.

Dans notre matériel, il est difficile de distinguer des types dont la morphologie est clairement dif-férentiée, mais afin de faciliter la compréhension, nous avons tout de même défini trois types majeurs. Le premier est une bassine à fond plat, des parois lé-gèrement concaves divergentes et une lèvre droite à extrémité arrondie (fig. 2). Le second est aussi une bassine de taille plus petite [30-37 cm], les parois sont rectilignes divergentes et une lèvre droite (fig. 3). Le dernier type est avec des parois rectilignes divergentes et une lèvre biseautée ou à inflexion externe (fig. 4). Ce type semble reprendre la forme d’une kasriyya tournée. Tous les types ont été traités intérieurement et / ou extérieurement à l’aide de la peinture rouge. Seul un tesson porte un décor peint monochrome.

Dans l’ensemble, les formes modelées présente une continuité avec les formes de la céramique de tradition berbère et notamment celle collectée à la Madrasa al-Bu’Inâniyya de Fès et dans divers sites de la région Jbala-Ghomara rattachées à la même période. Nous remarquons, en revanche, l’absence presque totale de décor peint monochrome sur les formes de Volubilis.

2. Céramique tournée : La céramique tournée présente des formes plus

variées. Elle est constituée essentiellement d’une série de bols (diamètre inférieur à 22 cm), de plats (diamètre supérieur à 24 cm) et de petites jarres. Ainsi, nous avons identifié deux types de bols : le premier, de petite taille, a des parois convexes convergentes avec une lèvre droite légèrement amincie (fig. 5, a). Le second, plus profond est de grande taille, ses parois sont rectilignes divergentes terminées par une lèvre droite (fig. 5, b).

27. Vol 12 564-4, 04-24 et 04-27.28. Voir entres autres M. Picon ; R. El Hraiki, 1995, “Quels objectifs pour une étude ethnoarchéologique des céramiques ? “, Ethno-archéologie méditerranéenne, Madrid, Collection de la Casa de Velázquez, 54, p 138.

543Actas del VIII Congreso Internacional de Cerámica Medieval. Ciudad Real ( 2009 ) TOMO I

Fig. 3.

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Fig. 4.

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Fig. 5.

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A l’image des sites de la même époque (XIVe siècle), la série des plats est la plus représentée dans notre échantillon. La variété des usages de cette sé-rie justifie son importance. Le premier type a des parois convexes légèrement convergentes et une lèvre droite (fig. 5, c). Le second a une forme plus ouverte avec des parois convexes divergentes et une lèvre à double inflexion recevant à l’extérieur un décor digité (fig. 5, d). Le troisième type de plat reprend une forme très connue dans les céramiques glaçurées de l’époque et présente des parois rectili-gnes avec un rebord différencié et une lèvre droite (fig. 6, a et b) ou à inflexion externe précédée par une rainure (fig. 6, c et d). Le dernier type est carac-téristique également de la céramique glaçurée de cette période. Ses parois sont rectilignes divergentes avec un rebord différencié à profil droit ou légère-ment évasé et la liaison entre le bas et le haut de la panse est en ressaut. La lèvre est à épaississement interne et externe avec une extrémité arrondie (fig. 7). Cette forme reçoit un décor peint monochrome sur sa face externe ou interne.

Les petites jarres sont les seules formes fermées représentées cette production ; mais il s’agit proba-blement d’un hasard de la fouille et du triage. Cette série fonctionnelle se limite donc à deux formes différentes : la première appartient à la petite jarre à proprement parlé caractérisée par un long col à profil cylindrique ou légèrement évasé, et une lèvre droite (fig. 8, a et b). La seconde fait partie quant à elle de ce que l’on peut appeler la petite jarre de conservation destinée essentiellement au stockage et à la conservation des solides…Elle se distingue par un petit col à parois rectilignes divergentes et une lèvre à épaississement externe (fig. 8, c).

Les formes des petites jarres de la céramique is-lamique à peinture rouge de Volubilis appartiennent aux formes classiques du XIIIe et XIVe siècle qui ont été collectées à Fès et dans les sites du Nord du Maroc et notamment à Belyounech et Ksar Seghir. Si les similitudes morphologiques sont évidentes et prouvent que les potiers de Moulay Idris ne se sont pas isolés des courants artisanaux de l’époque, force est de constater la distinction des productions loca-les des productions de Fès et du Nord du Maroc au niveau du traitement des surfaces.

B. Céramique culinaire et non culinaire.D’après nos examens, la céramique à peinture

rouge de Volubilis n’est pas utilisée comme objet

culinaire. La céramique modelée est fidèle à une tra-dition très ancienne dans la région, n’opérant de dis-tinction entre céramique culinaire et non culinaire. Mais jamais les objets modelés que nous avons étudiés n’ont été utilisés comme céramique culinaire bien qu’ils soient tous pourvus d’un dégraissant abondant et volumineux. Il n’y a donc pas de différence dans le cadre de cette catégorie de céramique entre la pâte modelée culinaire et la pâte modelée non culinaire. L’ajout de dégraissants ne répond donc pas ici à une contrainte technologique mais à une tradition an-cestrale que les potiers ont perpétuée, parfois même sans pouvoir en expliquer l’utilité.

Nous avons donc l’impression que les cérami-ques modelées qui nous viennent de l’arrière pays de Volubilis ne répondent pas aux besoins de la vil-le en céramique culinaire mais représentent des té-moins de relations commerciales entre Volubilis et Zarhoun et leur milieu rural. Dans l’état actuel de la documentation, nous ne savons pas si les habi-tants des deux villes les choisissent du fait qu’elles sont moins chères que les céramiques tournées ou tout simplement parce qu’elles détiennent, pour eux, une quelconque valeur symbolique ou sociale. En tout état de cause, ceci représente une conti-nuité avec ce que l’on a déjà constaté dans la ville de Fès au XIVe siècle où la grande majorité des cé-ramiques modelées importées de l’arrière pays ne sont pas utilisées comme céramiques culinaires29. La différence que nous avions constatée à Fès est que cet usage se justifie en partie par des raisons économiques, dans ce sens où les prix des cérami-ques tournées et glaçurées sont sensiblement plus importants que les prix de la céramique modelée et sans glaçure. Nous constatons quand même que dans le cas de Volubilis et de Moulay Idris, nous n’avons pas de céramique glaçurée et la différence de prix entre les céramiques modelées et les céra-miques tournées n’est donc pas aussi importante. Il en résulte que les raisons sociales justifient en grande partie cette mixité des productions. Les relations de proximité qui unissent les habitants des deux villes avec ceux des régions rurales envi-ronnantes en plus de la facilité notoire d’acquérir ces céramiques dans les marchés des chefs lieu de Zerhoun, sont tant de raisons qui expliquent cette situation.

29. Voir Fili, 2001, Des textes aux tessons, la céramique médiévale de l’Occident musulman à travers le corpus mérinide de Fès (Maroc, XIVe siècle), p. 481 passim.

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Fig. 6.

C. Céramique décorée et non décorée.Une des caractéristiques majeures de la céra-

mique étudiée est la quasi-absence du décor. En effet, d’après l’échantillon en notre possession, la céramique islamique de Volubilis n’est pas déco-rée30. Nous n’avons recueilli que deux tessons de

céramique peinte sous glaçure. Sur la céramique à peinture rouge, seuls quelques tessons portent une peinture monochrome (PL. III). Même les cérami-ques glaçurées importées n’ont pas reçu de décor. Ceci tranche avec les céramiques de Fès à la même époque, où près de 25% du matériel de la Madrasa al-Bu’inâniyya en est pourvu. Nous serions ainsi tentés de dire que ces céramiques importées ont, peut-être, été sélectionnées et choisies pour l’ab-

30. L’étude de la céramique issue de la mission maroco-anglaise est une bonne opportunité pour vérifier cette question, sur des bases plus solides.

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sence de décoration. Volubilis devenant une râbita31 se serait-elle versée dans la rigueur et la sobriété ? Ces chiffres reflètent en effet la réalité des produc-tions mérinides en général, puisque l’on retrouve les mêmes fréquences à Belyounech où M. de Car-denal recense 25% du matériel portant un décor32. Sans référence fiable dans ce domaine, nous esti-mons tout de même que ces quantités sont rela-tivement faibles en comparaison avec les produc-tions andalouses et pour une époque aussi avancée de l’histoire de l’Occident musulman. Ne sachant pas si ces chiffres ont un quelconque rapport avec le rigorisme des pouvoirs politiques successifs, ou plutôt avec une tradition antérieure à l’islam, la question demeure entière en attendant des synthè-ses plus sensibles à ce genre de problèmes.

D’une manière générale, force est de consta-ter que le décor de la céramique de Volubilis au XIVe siècle est peu important quantitativement et qualitativement. Les motifs se distinguent par leur simplicité et leur sobriété. Ils reflètent en somme la rigueur d’un espace encore marqué par un siècle de règne almohade, même si nous pensons qu’il s’agit là d’une des caractéristiques fondamentales de la céramique médiévale marocaine.

4. Essai de synthese.A. Précisions céramologiques sur l’occupationislamique de Volubilis.La répartition géographique des céramiques is-

lamiques dans le tissu urbain de Volubilis nous ren-seigne sur l’étendue de son urbanisme. Bien enten-du, il ne s’agit pas de dire que chaque tesson est un indice de l’occupation islamique de l’espace, mais il garde, tout de même, sa valeur pour la question qui nous occupe ici. Notre marge de manœuvre est très mince, car les tessons que nous présentons ici en partie, ne sont associés à aucune structure archéo-logique. En effet, les chercheurs n’ont gardé aucune documentation sur les niveaux dans lesquels ils les ont collectés. A ce niveau, l’hypothèse relaie donc à la certitude archéologique. Il nous paraît important de mettre en place un projet archéologique d’en-

semble qui vise l’étude du peuplement de Volubilis en relation avec ses environs à l’époque islamique. Car même si les céramiques sont intéressantes elles sont encore trop peu nombreuses pour être exploi-tées dans le domaine du peuplement de la ville et de ses environs immédiats.

Les deux lampes à bec glaçurées en vert et qui se rattachent au IXe siècle (fig. 8 ; PL. V), sont issues du sondage effectué par Ed. Frézouls dans le palais de Gordien. Elles représentent les plus anciennes pièces de notre corpus. Dans la continuité chrono-logique, nous situons la petite jarre de Fertasa33 au alentours du XIIe siècle (fig. 10 ; PL. V).

Ces découvertes, même disparates, nous pous-sent à nous poser les questions suivantes : est-ce que les fouilles anciennes dans le quartier nord-ouest et nord-est ont effacé à jamais la phase islamique de cette partie de la ville ? S’agit-il uniquement d’ob-jets résiduels ? La question reste entière, mais nous avons l’impression que nous avons un habitat éclaté dont il est difficile de saisir les spécificités. Il s’agit là d’un phénomène très répandu dans le monde musulman d’Occident34.

Du côté des textes de cette époque nous avons deux mentions importantes. La première est cel-le d’al-Bakri (mort en 1094 mais dont le masâlik est achevé en 1067) qui rapporte que les Raba-dîs fondateurs de la ville (madîna) d’Ighîghî ont été contrains par les Berbères d’évacuer cette dernière pour s’installer à Volubilis (Walîlâ). (wa kâna al-qawm al-ladîn banawhâ [la ville d’Ighîghî] wa sakanûhâ min rabadiyat al-Andalus aydan, adjlâhum al-barbar ‘anhâ ilâ Walîlâ fahum bihâ bakiyya)35.

La seconde mention est celle rapportée par les deux anonymes du Kitâb al-Istibsâr qui précisent qu’à la fin du XIIe siècle, la ville portait le nom de Tisra : [fa nazala bihî fî madînat Walîlî, wa kânat ma-dîna rûmiyya bi tarafay djabal Zarhûn fî al-gharb minh, wa tusammâ al-’ân Tisra]36.

Les deux auteurs ont une très bonne connais-sance des environs de Walîlî et l’ont même proba-blement visitée37. Nous avons donc là un troisième toponyme de la ville à l’époque islamique. Nous

31. Ibn Abî Zar’, 1973, Al-Anîs al-mutrib bi rawd al-kirtâs fî akhbâr mulûk al-Maghrib wa târîkh madînat Fâs, Rabat, p. 28.32. On ne sait pas quel crédit accorder à ce chiffre qui reste douteux si l’on considère les circonstances dans lesquelles son travail sur ce site a été interrompu. Etait-elle déjà assez avancée dans son étude quand elle présentait ces chiffres au premier colloque sur la céramique médiévale en Méditerranée occidentale à Valbonne ? Voir, M. de Cardenal, 1980, “Recherches sur la céramique médiévale marocaine”, CMMO1, Paris, CNRS, p. 227-249.

33. Séparer entre les deux sites nous paraît illogique et non fondée. Seul un travail archéologique peut nous en dire plus quant aux aspects chronologiques du peuplement de cette bourgade. 34. C’est le cas de villes comme Sijilmasa et de Fès à l’époque médiévale. Voir les travaux de Ronald Messier, 1995 ; R. Messier et A. Fili, 2002. 35. al-Bakrî, Kitâb al mughrib fì dhikr bilâd Ifrikiya wa al-Maghrib, éd. Le Caire, sd, p. 155.36. Inconnus, Kitab al-Isstibsâr, éd. Casablanca, 1981, p. 194.37. Ibid, op. cit., introduction.

549Actas del VIII Congreso Internacional de Cerámica Medieval. Ciudad Real ( 2009 ) TOMO I

n’avons cependant pas pu en comprendre l’origine ni la signification. Plus claire est l’importance du site de Moulay Idris au XIVe siècle et surtout l’intense relation qu’il entretient avec Volubilis. Les quantités considérables de céramique à peinture rouge pro-duite dans son atelier, ou l’un de ses ateliers (Fedan Chqouf) en sont la preuve irréfutable. Le fait que

cette ville abrite un tel atelier avec des productions aussi variées, atteste que le peuplement de la vil-le a connu une recrudescence importante. Au vu de l’intérêt que les Mérinides ont porté au culte des Idrissides pour légitimer leur pouvoir, nous ne sommes pas surpris de voir le berceau de leur mou-vement jouer un rôle croissant dans leur stratégie

Fig. 7.

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PL. III : Les céramiques islamiques à peinture rouge de Volubilis se distinguent par des décors sobres et très peu nombreux.

551Actas del VIII Congreso Internacional de Cerámica Medieval. Ciudad Real ( 2009 ) TOMO I

PL. IV : Un raté de cuisson collecté sur le site de l’atelier médiéval de Fedan Chqouf à My Idris.

Une des lampes à bec mises au jour par Ed. Frézouls dans le palais de Gordien.

PL. V : La petite jarre de Fertasa (XIIe siècle) mise au jour par un particulier confirmant que le peuplement de cette bourgade est ancien et concomitant à celui de la ville de Walîlî.

552 A. fili et alii: lA CéRAMIque IslAMIque à peInTuRe ROuge de VOluBIlIs, éTude pRelIMInAIRe...

Fig. 8.

553Actas del VIII Congreso Internacional de Cerámica Medieval. Ciudad Real ( 2009 ) TOMO I

de pouvoir38. Il est d’ailleurs important de consta-ter que l’idrissisme des Mérinides ne se cantonne pas uniquement dans la ville de Fès. Il semble que la première capitale idrisside ait joué un rôle im-portant dans la construction idéologique du pou-voir des Mérinides. L’axe Fès-Walîlî est redevenu un axe actif, et cette dernière se trouve réintégrée dans les circuits commerciaux et religieux de l’épo-que. Nous en voulons pour preuve les proportions considérables de céramiques mérinides glaçurées collectées grâce aux anciennes fouilles et qui feront prochainement l’objet d’une étude.

Ces liaisons commerciales dépassent le cadre lo-cal et régional. Nous avons en effet constaté la pré-sence de plusieurs tessons de céramique culinaire de bonne qualité, les mêmes que nous avions déjà identifiés à la madrasa al-Bu’Inâniyya de Fès, pro-bablement venus de l’extrême nord du Maroc (Se-bta)39. Il en ressort que Fès et Volubilis sont touchées par les mêmes courants commerciaux au XIVe siè-cle. La situation géographique et stratégique de la ville, comme passage obligé secondaire, y est pour quelque chose ; mais l’intervention et l’implication du pouvoir y a certainement contribué. C’est ce dynamisme qui a aussi relancer le peuplement de la région et notamment à Zerhoun qui jouit d’une position stratégique fortifiée.

Après les Mérinides, nous sommes convaincus que la ville de Volubilis est restée occupée mais les évi-dences archéologiques sont trop maigres pour en dire plus. Seuls deux tessons glaçurés clairement du XVIe siècle ont été collectés dans le site à l’occasion d’un ramassage de surface aléatoire. Ces deux tessons attes-tent d’une perte de vitesse après la décadence méri-nide et donnent raison au texte de Léon l’Africain40.

A la même période le Rawd al-hatûn d’Ibn Ghâzî (1437-1513)41. nous parle de Walîlî en ruine42, ajou-tant que dans un endroit nommé Tazga, situé sur le territoire de Kheiber, se tenait un marché tous les mercredis43.

D’après les dernières excavations de la mission maroco-anglaise les indices rattachés à l’époque alaouite sont plus convaincants. Dans notre échan-tillon, seule une petite coupe, produite à Fès ou Meknès, a été attestée (fig. 11). Collectée par A. Jodin dans le quartier ouest et portant la date de

1219 H correspondant à 1804 J.C. Cette belle pièce n’est en fait que le maillon d’une longue chaîne d’indices sur les relations que les Alaouites ont entretenues avec la première capitale idrisside. La tradition a gardé en souvenir la destruction des monuments antiques par Moulay Ismâ’îl en vue de récupérer leurs matériaux de construction ; elle nous apprend également la construction du mau-solée de Moulay Idris à Zarhoun sous les auspices de ce Sultan.

Même si les traces de la persistance de l’occupa-tion de Volubilis jusqu’au XIXe siècle sont convain-cantes, nous pensons que celle-ci était très faible et probablement cantonnée dans une partie très limi-tée du site. La mission maroco-anglaise a localisé une pièce dans le secteur D et collecté des cérami-ques et plusieurs monnaies alaouites.

B. La continuité, le renouveau. Si l’on observe les productions actuelles de

Moulay Idris, nous remarquons des similitudes avec les céramiques antiques et islamiques de ses ateliers. Toutefois, elles se distinguent par l’absence de pein-ture rouge mais gardent le polissage énergique des parois à l’aide d’un galet comme trait caractéris-tique du traitement des surfaces. Cependant nous constatons que, d’après les données archéologiques disponibles, il y a interruption de cette continuité entre le début de l’islam et le XIVe siècle, date à laquelle nous situons le retour de la céramique à peinture rouge collectée à Volubilis et à Moulay Idris. La limite inférieure demeure incertaine et se fonde uniquement sur l’absence de cette pro-duction dans le matériel collecté par A. Akerraz et la mission maroco-anglaise dans les niveaux de la première occupation islamique. Est-ce une réaction normale à l’avènement de l’islam et donc à une re-mise en cause d’une organisation et d’une culture matérielle particulière ? Ou est-ce simplement un problème archéologique lié à l’état actuel des re-cherches ?

Plusieurs éléments sont ici à prendre en consi-dération. L’avènement de l’islam dans ces parties re-culées de l’Afrique du Nord n’a pas bouleversé les structures locales au point où la culture matérielle

38. Voir M. García-Arenal, E. Manzano Moreno, 1995, “Idrisisme et villes Idrisides”, Studia Islamica, 82, p. 5-33.39. A. Fili, “La céramique culinaire de Fès à l’époque mérinide”, dans ce congrès.40. Léon l’Africain, Descripton de l’Afrique, traduction en Arabe de M. Hajji & M. Lakhdar, 1983, 295.41. Roudh El Hatoun cité par Ibn El Ghazi, Monographies de Mequinez, trad. Houdas, p. 8 et 25. sur l’importance de cette source, voir Bensalem Hammich, “fî al-târîkh al munûghrâfî, namûdadj al-Rawd al hatûn fî akhbâr miknâsata al-zaytûn”, Actes de colloques sur le grand Meknès, Faculté des lettres et sciences humaines, Meknès, 1988, p. 207-211. 42. Ibid, p. 11, 25-26.43. Ibid, p. 26. Kheiber et Tazga sont les deux rochers sur lesquels fut construites la ville actuelle de Moulay Idris. Il est à signaler que c’est sur le versant est de Kheiber où se trouvaient jadis les ateliers de potiers de Haft Chqouf.

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Fig. 9.

555Actas del VIII Congreso Internacional de Cerámica Medieval. Ciudad Real ( 2009 ) TOMO I

Fig. 10.

s’en trouverait révolutionnée, mais il représente tout de même un changement culturel important qui pourrait justifier l’éclipse de quelques produc-tions céramiques. En revanche nous ne savons pas si la population locale avant l’islam serait dispersée dans les régions environnantes de Volubilis en gar-dant les mêmes gestes techniques. Car l’un des pro-blèmes qu’il faudrait étudier ultérieurement est de savoir si l’adoption de cette technique de finition à la fois par les ateliers de tradition urbaine à Moulay Idris et les ateliers ruraux (régions limitrophes) est due à des influences étrangères ou à l’influence de

l’urbain sur le rural ou vis versa ? En somme, pour quelles raisons des ateliers urbains et ruraux de la région adoptent-ils la même esthétique ? S’agit-il d’un même peuplement ? De l’atmosphère close de la région ? Ou s’agit-il simplement d’un phéno-mène de convergence stylistique ?

L’absence de ces productions au début de l’épo-que islamique peut incontestablement aussi être liée à un changement des goûts de la population islamisée de cette ville qui aurait alors délaissé cette technique au profit du d’autres techniques de fini-tion ?

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