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106a DIDYME D’ALEXANDRIE CPG 2544-2572 ca 313-398 Exégète, théologien et polémiste chrétien. a. Biographie Les informations biographiques concernant Didyme d’Alexandrie sont trans- mises par trois de ses contemporains : Rufin d’Aquilée (Historia ecclesiastica II 7), qui a vécu en tout huit ans à Alexandrie et fut son disciple (Ruf., Apologia contra Hier. II 15) ; Jérôme (De vir. inl. 109), qui resta auprès de Didyme environ un mois, en 386, afin de le consulter sur des problèmes d’interprétation de l’Écriture (Ruf., Apologia contra Hier. II 15 ; Jér., in Os. prol. ; in Eph. prol.), et Palladius (Historia Lausiaca IV). Leur témoignage peut être complété par celui de Socrate le Scholastique (Historia ecclesiastica IV 25), Sozomène (Historia ecclesiastica III 15) et d’autres sources. On peut fixer la chronologie de Didyme grâce au témoignage de Palladius et de Jérôme : Palladius (Hist. Laus. IV 1) dit avoir rencontré Didyme à quatre reprises sur dix ans et qu’il mourut à l’âge de 85 ans. Si l’on accepte la date de 388 pour le début du séjour de Palladius en Égypte (1 C. Butler, The Lausiac History of Palladius. A Critical Discussion together with Notes on Early Egyptian Mona- chism, coll. « Text and Studies » 6/1, Cambridge 1898, p. 179-183), on peut dater la mort de Didyme de 398. D’après le De vir. inl. 109, Didyme était encore vivant en 392 – date de composition de l’ouvrage de Jérôme – et il avait dépassé les 83 ans (la tradition manuscrite varie cependant sur ce chiffre : 2 G. Bardy, Didyme l’Aveugle, coll. « Études de Théologie Historique » 1, Paris 1910, p. 3-4). Avec une certaine marge d’approximation, on peut donc situer la vie de Didyme entre les premières années qui ont suivi la grande persécution et la fin du IV e siècle. Il a probablement vécu toute sa vie à Alexandrie. On se sait rien de ses origines ; on peut supposer qu’il provenait d’une riche famille chrétienne, capable de lui assurer les moyens nécessaires pour acquérir une éducation de haut niveau ; voir les observations avancées dans le cas d’Origène (O 42) par 3 A. Fürst, « Der junge Origenes im Bildungsmilieu Alexandrias », dans 4 F. R. Prostmeier (édit.), Frühchristentum und Kultur, coll. « Kommentar zu früchristlichen Apologeten. Ergänzungsband » 2, Freiburg/Basel/Wien 2007, p. 249-277, notamment p. 251-255 ; voir également 5 Id., Von Origenes und Hiero- nymus zu Augustinus. Studien zur antiken Theologiegeschichte, coll. « Arbeiten zur Kirchengeschichte » 115, Berlin 2011, p. 47-53. Didyme perdit la vue alors qu’il était tout petit, avant d’avoir appris à lire et à écrire (Pall., Hist. Laus. IV 1). En dépit de sa cécité, sa formation intellectuelle fut approfondie : les sources ne font pas mention de ses maîtres, mais insistent sur l’intense travail qui lui permit d’écouter et de mémoriser les livres qu’on lui lisait. Il devint ainsi l’une des personnalités intellectuelles les plus éminentes de l’Église d’Alexandrie : Jérôme (in Os. prol.) dit qu’il était « l’homme le plus cultivé de son temps » ; Évagre le Pontique (E 187) le présente comme « un garnd maître et un

Didyme l’Aveugle, in Dictionnaire des philosophes antiques, publié sous la diréction de R. GOULET, VI, Paris, CNRS Éditions (in corso di stampa)

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106a DIDYME D’ALEXANDRIE CPG 2544-2572 ca 313-398 Exégète, théologien et polémiste chrétien.

a. Biographie

Les informations biographiques concernant Didyme d’Alexandrie sont trans-mises par trois de ses contemporains : Rufin d’Aquilée (Historia ecclesiastica II 7), qui a vécu en tout huit ans à Alexandrie et fut son disciple (Ruf., Apologia contra Hier. II 15) ; Jérôme (De vir. inl. 109), qui resta auprès de Didyme environ un mois, en 386, afin de le consulter sur des problèmes d’interprétation de l’Écriture (Ruf., Apologia contra Hier. II 15 ; Jér., in Os. prol. ; in Eph. prol.), et Palladius (Historia Lausiaca IV). Leur témoignage peut être complété par celui de Socrate le Scholastique (Historia ecclesiastica IV 25), Sozomène (Historia ecclesiastica III 15) et d’autres sources.

On peut fixer la chronologie de Didyme grâce au témoignage de Palladius et de Jérôme : Palladius (Hist. Laus. IV 1) dit avoir rencontré Didyme à quatre reprises sur dix ans et qu’il mourut à l’âge de 85 ans. Si l’on accepte la date de 388 pour le début du séjour de Palladius en Égypte (1 C. Butler, The Lausiac History of Palladius. A Critical Discussion together with Notes on Early Egyptian Mona-chism, coll. « Text and Studies » 6/1, Cambridge 1898, p. 179-183), on peut dater la mort de Didyme de 398. D’après le De vir. inl. 109, Didyme était encore vivant en 392 – date de composition de l’ouvrage de Jérôme – et il avait dépassé les 83 ans (la tradition manuscrite varie cependant sur ce chiffre : 2 G. Bardy, Didyme l’Aveugle, coll. « Études de Théologie Historique » 1, Paris 1910, p. 3-4). Avec une certaine marge d’approximation, on peut donc situer la vie de Didyme entre les premières années qui ont suivi la grande persécution et la fin du IVe siècle. Il a probablement vécu toute sa vie à Alexandrie.

On se sait rien de ses origines ; on peut supposer qu’il provenait d’une riche famille chrétienne, capable de lui assurer les moyens nécessaires pour acquérir une éducation de haut niveau ; voir les observations avancées dans le cas d’Origène (➳O 42) par 3 A. Fürst, « Der junge Origenes im Bildungsmilieu Alexandrias », dans 4 F. R. Prostmeier (édit.), Frühchristentum und Kultur, coll. « Kommentar zu früchristlichen Apologeten. Ergänzungsband » 2, Freiburg/Basel/Wien 2007, p. 249-277, notamment p. 251-255 ; voir également 5 Id., Von Origenes und Hiero-nymus zu Augustinus. Studien zur antiken Theologiegeschichte, coll. « Arbeiten zur Kirchengeschichte » 115, Berlin 2011, p. 47-53.

Didyme perdit la vue alors qu’il était tout petit, avant d’avoir appris à lire et à écrire (Pall., Hist. Laus. IV 1). En dépit de sa cécité, sa formation intellectuelle fut approfondie : les sources ne font pas mention de ses maîtres, mais insistent sur l’intense travail qui lui permit d’écouter et de mémoriser les livres qu’on lui lisait. Il devint ainsi l’une des personnalités intellectuelles les plus éminentes de l’Église d’Alexandrie : Jérôme (in Os. prol.) dit qu’il était « l’homme le plus cultivé de son temps » ; Évagre le Pontique (➳E 187) le présente comme « un garnd maître et un

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grand gnostique » (Gnost., 48 ; Socr., Hist. eccl. IV 23, 70). Sa célébrité comme enseignant était de nature à attirer auprès de lui des auditeurs venant de régions éloignées (Jér., ad Eph., prol. ; Sozom., Hist. eccl. III 15, 3-4).

Rufin (Hist. eccl. II 7) lui attribue « la connaissance des choses humaines et divines » (une définition de la philosophie que Didyme lui-même utilise : EcclT 29, 25-26 ; 34, 24 ; 226, 7) et dit qu’il était expert « dans la dialectique, la géométrie, l’astronomie et l’arithmétique ». Palladius (Hist. Laus. IV 2) ajoute qu’il interpréta la totalité de l’Ancien et du Nouveau Testament et qu’il exposa la doctrine de la foi avec une compétence de nature à « dépasser en connaissance tous les anciens ». Un curriculum semblable est décrit par Socrate (Hist. eccl. IV 25, 4-5) : grammaire, rhétorique, dialectique, arithmétique, musique, ainsi que les autres disciplines philosophiques, en plus de l’Écriture (cf. Sozom., Hist. eccl. III 15, 1-2 ; Théodoret de Cyr, Hist. eccl. IV 26, 3-4, ajoute que Didyme appris « les syllogismes d’Aristote et l’éloquence de Platon »). On a là des comptes rendus idéalisés, mais ce qui reste de l’œuvre de Didyme confirme sa vaste culture et sa mémoire excep-tionnelle.

Didyme « enseigna dans une école ecclésiastique (scholae ecclesiasticae doctor) » avec l’approbation de l’évêque Athanase et d’autres sages (Ruf., Hist. eccl. II 7). On ne sait pas si cela signifie que Didyme exerçait une activité de maître privé, tout en jouissant de l’assentiment et du soutien d’Athanase, ou s’il a détenu une charge officielle au sein de l’Église d’Alexandrie dans une institution scolaire qui relevait de sa juridiction. Un fragment fort discuté de Philippe de Side (➳P 126) le présente comme douzième scholarque du didaskaleion de l’église d’Alexandrie après Athénagore (➳A 475) : 6 G. C. Hansen (édit.), Theodoros Anagnostes. Kirchengeschichte, coll. GCS 54, Berlin 1995, p. 160 ; 7 K. Heyden, « Die Christliche Geschichte des Philippos von Side. Mit einem kommentierten Katalog der Fragmente », dans 8 M. Wallraff (édit.), Julius Africanus und die christliche Weltchronik, coll. TU 157, Berlin 2006, p. 209-243 ; Sozomène (Hist. eccl. III 15, 1) parle également de lui comme chef du didaskaleion. Ces témoi-gnages sont discutés par 9 E. Prinzivalli, Magister Ecclesiae : il dibattito su Origene fra III e IV secolo, coll. « Studia Ephemeridis Augustinianum » 82, Roma 2002, p. 33-64 ; 10 E. Prinzivalli (édit.), Didimo il Cieco. Lezioni sui Salmi. Il Commento ai Salmi scoperto a Tura, coll. « Letture cristiane del primo millennio », Roma 2005, p. 16-19.

On peut trouver un indice de la familiarité de Didyme avec Athanase dans une anecdote rapportée par Palladius (Hist. Laus. IV 4) où Didyme reçoit la vision d’un cavalier qui lui annonce la mort de l’empereur Julien (➳I 46) et l’invite à communiquer l’information à l’évêque Athanase. Didyme a en outre utilisé dans son De Spiritu sancto les Lettres à Sérapion d’Athanase, sans cependant le citer explicitement : 11 L. Doutreleau (édit.). Didyme l’Aveugle. Traité du Saint Esprit, coll. SC 386, Paris 1992, p. 36-40. Il est certain que Didyme s’engagea comme Athanase dans la défense constante de la doctrine nicéenne de la Trinité contre les

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thèses arienne. Jérôme reconnaissait l’orthodoxie de sa doctrine trinitaire (Apol. adv. Ruf. I 6 ; II 16 ; cf. Socr., Hist. eccl. IV 25, 11).

Non sans quelques variantes les sources font état d’une ou de plusieurs rencon-tres entre Didyme et le moine Antoine : Rufin (Hist. eccl. II 7) écrit qu’Antoine rendit visite à Didyme lors d’un passage à Alexandrie, afin de soutenir la cause d’Athanase contre les ariens (voir aussi Socr., Hist. eccl. IV 25, 9-11 ; Sozom., Hist. eccl. III 15, 5-4) ; Palladius (Hist. Laus. IV 3) mentionne trois visites d’Antoine à Didyme dont ce dernier lui aurait parlé ; Jérôme (Ep. 68, 2) écrit, à l’inverse, que c’est Didyme qui rendit visite à Antoine.

Cet épisode pourrait avoir eu lieu à l’époque du retour d’Athanase de son premier exil, après 337. Les sources relatives à Antoine n’en parlent pas ; 12 R. A. Layton, Didymus the Blind and his Circle in Late Antique Alexandria. Virtue and Narrative in Biblical Scholarship, Urbana/Chicago 2004, p. 23, y voit une invention destinée à légitimer la figure de Didyme en la mettant en rapport avec le père du monachisme égyptien, mais le fait que Rufin et Palladius aient connu person-nellement Didyme donne une certaine crédibilité à leur témoignage (Prinzivalli 10, p. 15-16).

Le fait qu’Antoine, alors âgé, ait rencontré une ou plusieurs fois Didyme encore jeune peut signifier que ce dernier jouissait déjà d’une certaine réputation et qu’il était peut-être en rapport avec les cercles monastiques. Faut-il en déduire qu’il avait épousé la vie monastique et qu’il avait reçu sa formation dans le contexte du monachisme ? 13 L. Doutreleau (édit.), Didyme l’Aveugle. Sur Zacharie, 3 voll., coll. SC 83-85, Paris 1962, t. I, p. 14-15 ; 14 P. Nautin, « Didimo il Cieco », dans 15 A. Di Berardino (édit.), Dizionario patristico e di antichità cristiane, Casale Monferrato 1983, t. I, col. 951.

Didyme, en vertu également de sa fidélité à la tradition origénienne, a certai-nement joui d’une estime auprès des moines (selon Pall., Hist. Laus. XI 4 et Sozom., Hist. eccl. VI 30, 3, il figurait au nombre des auteurs lus par Ammonius, un des Longs-Frères) et parmi ses auditeurs figuraient des moines (Rufin, Jérôme, peut-être également Évagre, le connaissaient).

Palladius a écrit qu’il habitait dans une κέλλα (Hist. Laus. IV 3), un terme technique du vocabulaire monastique. 16 E. A. Judge, « The Earliest Use of monachos for ‘Monk’ (P. Coll. Youtie 77) and the Origins of Monasticism », dans 17 Id., Jerusalem and Athens. Cultural Trans-formation in Late Antiquity, Essays Selected and Edited by A. Nobbs, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 265, Tübingen 2010, p. 156-177, notamment p. 176, voit le passage de la résidence familiale à cella un des signes du statut socialement identifiable du moine. Bardy 2, p. 6-7, et 18 S. Rubenson, « From School to Patriarchate : Aspects on the Christianisation of Alexandria », dans 19 G. Hinge et J. A. Krasilnikoff (édit.), Alexandria. A Cultural and Religious Melting Pot, coll. « Aarhus Studies in Mediterranean Antiquity » 9, Aarhus 2009, p. 144-157, notamment p. 155, supposent que Didyme a alterné des périodes de résidence dans la cité, où il exerçait son enseignement, et de séjours au désert à l’écart d’Alexandrie.

Didyme était certainement un laïc et ni le fait qu’il habitait dans la cité ou dans son voisinage immédiat, ni le fait qu’il exerçait une activité d’enseignement n’interdisent de lui attribuer le statut social de moine. 20 M. Sheridan, « Il mondo spirituale e intellettuale del primo mona-chesimo egiziano », dans 21 A. Camplani (édit.), L’Egitto cristiano. Aspetti e problemi in età tardo-antica, coll. « Studia Ephemeridis Augustinianum » 56, Roma 1997, p. 177-216, mentionne les œuvres de Didyme parmi celles qu’il faut étudier pour connaître le premier monachisme égyptien et il cite le cas de Didyme pour montrer qu’un certain niveau culturel était possible au moins dans certains cercles du monachisme égyptien.

798 Les sources ne précisent pas toutefois à quel endroit il vivait et enseignait : dans ses écrits le

terme κέλλα n’apparaît nulle part et celui de μοναχός n’apparaît qu’une seule fois, dans un contexte qui ne présente aucun caractère autobiographique (PsT 266, 19-20 ; le terme est en revanche très fréquent, par exemple, chez Athanase). Prinzivalli 9, p. 38-39 et 62-64, fait remar-quer que le profil intellectuel de Didyme est davantage celui d’un théologien d’école que d’un moine (il connaît le débat théologique contemporain, il connaît Aristote et il jouit d’une excellente formation philosophique ; même si l’on peut objecter que de telles considérations valent égale-ment pour un personnage comme Évagre, qui pourtant était un moine). 22 B. Stefaniw, « Exegetical Curricula in Origen, Didymus, and Evagrius : Pedagogical Agenda and the Case for Neoplatonist Influence », dans 23 J. Baun, A. Cameron, M. Edwards et M. Vinzent (édit.), Studia Patristica, XLIV, Leuven/Paris/Walpole MA 2010, p. 281-294, notamment p. 282, définit de façon opportune Didyme comme le maître d’un groupe d’ascètes urbains (pour des figures de ce type, voir 24 E. Wipszycka, « Le monachisme égyptien et les villes », dans 25 Ead., Études sur le christianisme dans l’Égypte de l’antiquité tardive, coll. « Studia Ephemeridis Augustinianum » 52, Roma 1996, p. 281-336, notamment p. 289).

Didyme se voulait disciple d’Origène et il défendit l’orthodoxie de ses doctrines (Jér., Apol. adv. libros Ruf. II 16). Selon Jérôme il aurait vu en Origène « le second maître de l’Église après l’Apôtre » (Orig. hom. XIV in Ez., praef.). Pour cette raison il fut mêlé aux polémiques concernant Origène aussi bien au cours de la première querelle origéniste à la fin du IVe siècle (Ruf., Apol. c. Hier. II 28), que lors de la seconde à l’époque de Justinien. Avec Origène et Évagre, Didyme fut condamné comme hérétique, juste avant le second Concile de Constantinople en 553 (sur les circonstances de cette contamnation, voir 26 F. R. Diekamp, Die origenistischen Streitigkeiten im 6. Jahrhundert und das fünfte allgemeine Concil, Münster 1899, p. 129-138 ; 27 A. Guillaumont, Les « Kephalaia gnostica » d’Évagre le Pontique et l’histoire de l’Origénisme chez les Grecs et les Syriens, coll. « Patristica Sorbo-nensia », Paris 1962, p. 81-136).

b. Œuvres

Jérôme (De vir. inl. 109) attribue à Didyme de nombreux ouvrages : « réperto-rier toutes ces œuvres exigerait un catalogue à part ». Pour cette raison il ne rap-porte que quelques titres. On peut distinguer les ouvrages consacrés à l’exégèse biblique (Pall., Hist. Laus. IV 2 ; Socr., Hist. eccl. IV 25, 6) et les écrits doctrinaux.

Une partie de ces ouvrages correspond à la transcription de leçons, discussions et réponses faites par Didyme aux questions proposées par ses interlocuteurs (Ruf., Hist. eccl. II 7). Sur les discussions tenues par Didyme avec des philosophes et des hérétiques : PsT 34, 8-35, 5 ; 239, 14-19 ; 28 B. Kramer (édit.), Protokoll eines Dialogs zwischen Didymos dem Blinden und einem Ketzer (PrT), dans 29 B. Kramer et M. Gronewald (édit.), Kleine Texte aus dem Tura-Fund, coll. PTA 34, Bonn 1985, p. 105-117.

D’un point de vue stylistique, Rufin fait remarquer (Hist. eccl. II 7) que les discours prononcés par Didyme de vive voix avaient un charme et une force de persuasion plus grands que les transcriptions qu’en ont faites les auditeurs. Ce jugement confirme une observation faite par Jérôme dans sa traduction latine du De Spir. (praef.) : « imperitus sermone est, sed non scientia ». Aussi bien Socrate (Hist.

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eccl. IV 25, 4) que Théodoret (Hist. eccl. IV 26, 3) attribuent cependant à Didyme une étude la rhétorique, dont il ne semble pas de fait avoir ignoré les procédés : 30 B. Bennett, « The Person Speaking : Prosopopoeia as an Exegetical Device in Didymus the Blind’s Interpretation of Romans 7 », dans 31 J. Baun, A. Cameron, M. Edwards et M. Vinzent (édit.), Studia Patristica, XLVII, Leuven/Paris/Walpole Ma 2010, p. 173-177. L’étude de la rhétorique pourrait être une voie qui a permis à Didyme de se familiariser avec certaines parties du corpus logique d’Aristote : 32 M. Frede, « Les Catégories d’Aristote et les Pères de l’Église grecs », dans 33 O. Bruun et L. Corti (édit.), Les Catégories et leur histoire, coll. « Bibliothèque d’histoire de la philosophie », Paris 2005, p. 135-173, notamment p. 139-141, établit à ce propos un rapprochement avec deux contemporains de Didyme, Augustin (Conf. IV 16, 28-30) et Jérôme (Ep. 50, 1).

A la suite de la condamnation qui le frappa en 553, une grande partie des ouvrages de Didyme fut dispersée. Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle on connaissait son traité De Spiritu sancto, un petit traité Contra Manichaeos et un certain nombre de fragments exégétiques conservés dans les chaînes (ce sont là les matériaux contenus dans 34 ΔΙΔΥΜΟΥ ΤΟΥ ΑΛΕΞΑΝΔΡΕΩΣ ΤΑ ΣΩΖΟΜΕΝΑ ΠΑΝΤΑ. Didymi Alexandrini Opera Omnia, accurante et denuo recognoscente J.-P. Migne, coll. PG 39, Paris 1863, col. 269-1818, qui contient également le De Trinitate. Un répertoire détaillé de l’œuvre de Didyme connue avant les découvertes de 1941 se trouve dans Bardy 2, p. 16-55 ; il faut ajouter Doutreleau 13, t. I, p. 17-21 ; 119-126, et 35 W. Bienert, “Allegoria” und “Anagoge” bei Didymos dem Blinden von Alexandria, Berlin/New York 1972, p. 8-31.

En 1941 dans une carrière de calcaire à Toura, près du Caire, fut trouvé un dépôt de papyri grecs. Sur cette découverte voir 36 L. Doutreleau, « Que savons-nous aujourd’hui des papyrus de Toura ? », RecSR 43, 1955, p. 161-176 ; 37 L. Koenen et L. Doutreleau, « Nouvel inventaire des Papyrus de Toura », RecSR 55, 1967, p. 547-564 ; 38 L. Koenen et W. Müller-Wiener, « Zu den Papyri aus dem Arsenioskloster bei Tura », ZPE 2, 1968, p. 41-63 ; Layton 12, p. 1-4 ; Prinzivalli 10, p. 10-17. Les fascicules retrouvés constituaient dans leur ensemble huit codices, correspondant à environ deux mille pages de texte : deux codex contenaient des écrits d’Origène ; six codex contenaient des écrits exégétiques anépigraphes. Parmi ceux-ci un commentaire sur la Genèse (GenT), un sur Job (HiT) et un sur Zacharie (ZaT) furent attribués à Didyme sur la base de convergences avec les écrits d’autres auteurs qui dépendaient sûrement de Didyme (Procope de Gaza, Jérôme et les chaînes exégétiques).

Un commentaire sur les Psaumes (PsT) et un autre sur l’Ecclésiaste (EcclT) posaient de plus graves problèmes d’attribution du fait que leur style était très différent et assez médiocre par rapport aux fragments caténiques tirés des commen-taires de Didyme. 39 A. Gesché, La christologie du “Commentaire sur les Psaumes” découvert à Toura, Gembloux 1962, p. 331-351 et 409-417, ainsi que 40 A. Kehl, Der Psalmenkommentar von Tura Quaternio 9, Köln/Opladen 1964, p. 39-47, ont formulé l’hypothèse que PsT et EcclT seraient des transcriptions de

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leçons données par Didyme et non des commentaires qu’il aurait rédigés en vue d’une publication. Cette interprétation est aujourd’hui acceptée par la plupart des spécialistes. Voir Bienert 35, p. 23 et 26-28 ; 41 E. Prinzivalli, Didimo il Cieco e l’interpretazione dei Salmi, Roma/L’Aquila 1988, p. 95-103. Elle est refusée par 42 P. Nautin, c.r. de Gesché, La christologie, RHR 166, 1964, p. 232-233 ; Id. 14, col. 952 ; mais voir 43 Id., c.r. E. Mühlenberg, Psalmenkommentare aus der Katenenüberlieferung, RHR 191, 1977, p. 102-103, où le même auteur s’exprime en présupposant l’authenticité de PsT.

Écrits exégétiques conservés entièrement ou en bonne partie

(1) In Genesim (GenT) : 44 P. Nautin et L. Doutreleau (édit.), Didyme l’Aveu-gle. Sur la Genèse. Texte inédit d’après un papyrus de Toura, 2 vol., coll. SC 233 et 244, Paris 1976-1978. On trouve des vestiges de ce commentaire dans les chaînes exégétiques et chez Procope de Gaza, ce qui permet d’en assurer l’authen-ticité. Le commentaire va jusqu’à Gen 17 et il n’est pas sûr qu’il soit allé plus loin, car la tradition indirecte ne conserve que deux fragments provenant des chapitres ultérieurs et il n’est pas dit qu’ils proviennent de Didyme ni de son commentaire à la Genèse. La source principale est l’exégèse origénienne de la Genèse (Jér., Ep. 73, 2), mais Didyme ne cite jamais le nom d’Origène et il introduit ses opinions de façon anonyme (cf. 83, 25 ; 91, 1 ; 93, 23 ; 133, 20).

(2) In Job (HiT) : mentionné par Jér., De vir inl. 109 ; Jean Damascène, Sacra parall., PG 96, col. 541. 45 A. Henrichs (édit.), Didymos der Blinde. Kommentar zu Hiob (Tura-Papyrus), t. I : Kommentar zu Hiob Kap. 1-4, coll. PTA 1, Bonn 1968, p. 12-13 : le commentaire nous est parvenu mutilé et sans nom d’auteur, mais son attribution est sûre, car on trouve des correspondances littérales avec des passages attribués à Didyme dans les chaînes exégétiques : l’attribution peut être confirmée par l’adhésion explicite à la doctrine origénienne de l’âme. Le texte, même s’il ne présente pas une subdivision en livres, a été composé en vue de la publication et, d’un point de vue linguistique et stylistique, plus soignée par rapport à d’autres écrits de Didyme. On n’y trouve pas d’éléments polémiques contre les thèses apollinaristes et eunomienne, ce qui pourrait suggérer une composition de HiT antérieure aux années 370.

46 A. Henrichs (édit.), Didymos der Blinde. Kommentar zu Hiob (Tura-Papyrus), t. II : Kommentar zu Hiob Kap. 5,1-6,29, coll. PTA 2, Bonn 1968 ; 47 U. Hagedorn, D. Hagedorn et L. Koenen (édit.), Didymos der Blinde. Kommentar zu Hiob (Tura-Papyrus), t. III : Kommentar zu Kap. 7, 20c-11, coll. PTA 3, Bonn 1968 ; 48 U. Hagedorn, D. Hagedorn et L. Koenen (édit.), Didymos der Blinde. Kommentar zu Hiob (Tura-Papyrus), t. IV/1 : Kommentar zu Kap. 12, 1-16, 8a, coll. PTA 33/1, Bonn 1985.

(3) In Psalmos : Jér., De vir inl. 109 et Ep. 112, 20, font référence à un commentaire complet sur les Psaumes (in Ps.) qui est également mentionné par Didyme lui-même dans son Commentaire sur Zacharie (ZaT I 303). Les fragments de ce commentaire conservés dans les chaînes ont été édités par 49 E. Mühlenberg

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(édit.), Psalmenkommentare aus der Katenenüberlieferung, 3 vol., coll. PTS 15, 16, 19, Berlin 1975-1978.

On a retrouvé à Toura un codex mutilé contenant un commentaire sur les Psaumes 20-44, 4 (PsT). Il s’agit vraisemblablement d’un commentaire qui était complet à l’origine, ce qui explique pourquoi sont absentes de ce codex toutes les discussions préliminaires typiques d’un commentaire scolaire de l’Antiquité tardive. Il s’agit d’un ouvrage différent du commentaire in Ps. ; selon toute proba-bilité il s’agit de la transcription d’un cycle de leçons données par Didyme sur le Psautier. Les deux textes ne peuvent pas être des témoignages relatifs à un même ouvrage, car le commentaire aux mêmes passages est formulé dans les deux écrits de façon presque toujours différente. Cela n’exclut pas que Didyme soit l’auteur des deux commentaires, du fait qu’en différents passages le contenu des fragment de l’in Ps. correspond substantiellement à celui de PsT et à d’autres passages d’écrits provenant de Toura : Gesché 39, p. 334-343 ; 50 M. Simonetti, « Lettera e allegoria nell’esegesi veterotestamentaria di Didimo », dans 51 Id., Origene esegeta e la sua tradizione, coll. « Letteratura cristiana antica » 2, Brescia 2004, p. 357-392, notamment p. 373-374, n. 71.

Nautin 42, p. 233, fait remarquer qu’alors que Didyme, dans ZaT et GenT, se montre très discret concernant la doctrine origénienne de la préexistence et de la chute des âmes, celle-ci est ouvertement professée dans PsT, ce qui amène cet auteur à en nier l’authenticité. En réalité, même les traités d’authenticité certaine contiennent des développements sur la doctrine de l’âme qui s’inscrivent dans une perspective explicitement origénienne (HiT 56, 20-58, 16 ; 260, 20 sqq. ; 377, 17-23 ; GenT 153, 30-154, 2 ; ZaT III 288-289) et on peut dire la même chose de la doctrine de l’apocatastase (HiT 89, 13 sqq. ; 266, 20 ; ZaT III 307-308). On peut en outre considérer que dans un contexte scolaire Didyme pouvait user d’une plus grande liberté dans les formulations des thèses discutées (voir également plus loin le cas d’Aristote).

On trouve quelques indices autorisant une datation relative de ces deux écrits : en ZaT qui remonte à la période 386-392 Didyme fait référence à un commentaire sur les Psaumes qu’il a déjà écrit (ZaT I 303). PsT 266, 228-229, de son côté, pourrait faire référence à ZaT. On peut supposer pour cette raison que l’in Ps. serait antérieur, alors que PsT serait postérieur à ZaT. En outre, PsT contient des pointes polémiques dirigées contre Apollinaire [➳A 239] (PsT 73, 12) et Eunome [➳E 122] (PsT 2, 8 ; 51, 5-8 ; 52, 7 etc.) ; c’est là un autre indice invitant à en placer la composition au plus tôt dans les années 380 (le synode d’Alexandrie qui condamna Apollinaire est de 378).

52 L. Doutreleau, A. Gesché et M. Gronewald (édit.), Didymos der Blinde. Psalmenkommentar (Tura-Papyrus), t. I : Kommentar zu Psalm 20-21, coll. PTA 7, Bonn 1969 ; 53 M. Gronewald (édit.), Didymos der Blinde. Psalmenkommentar (Tura-Papyrus), t. II : Kommentar zu Psalm 22-26, 10, coll. PTA 4, Bonn 1968 ; 54 M. Gronewald et A. Gesché (édit.), Didymos der Blinde. Psalmenkommentar (Tura-Papyrus), t. III : Kommentar zu Psalm 29-34, coll. PTA 8, Bonn 1969 ; 55 M. Gronewald (édit.), Didymos der Blinde. Psalmenkommentar (Tura-Papyrus), t. IV : Kommentar zu Psalm 35-39, coll. PTA 6, Bonn 1969 ; 56 M. Gronewald (édit.), Didymos der Blinde. Psalmenkommentar (Tura-Papyrus), t. V : Kommentar zu

802

Psalm 40-44, coll. PTA 12, Bonn 1970 ; 57 M. Gronewald (édit.), Didymos der Blinde. Psalmenkommentar. Nachtrag der Seiten 248/49 des Tura-Papyrus (PsT IV Suppl), dans Kramer et Gronewald 29, p. 119-135 ; 58 Th. W. Mackay, « Didymos the Blind on Psalm 28 (LXX) : Text from Unpublished Leaves of the Tura Commentary », dans Studia Patristica, XX, Leuven 1989, p. 40-49 ; Prinzivalli 10 ; 59 A.-K. Geljon, « Didymus the Blind : “Commentary on Psalm 24 (23 LXX)” : Introduction, Translation and Commentary », VChr 65, 2011, p. 50-73.

(4) In Ecclesiasten (EcclT) : 60 G. Binder et L. Liesenborghs (édit.), Didymos der Blinde. Kommentar zum Ecclesiastes (Tura-Papyrus), t. I/1, Kommentar zu Eccl. Kap. 1, 1-2, 14, coll. PTA 25, Bonn 1979, p. X-XIII : il s’agit de « Vorlesungs- bzw. Kolleg-Nachschriften », probablement rédigés par un sténographe nommé à cette fin. L’amplitude du texte et sa cohérence relative, de même que les redon-dances typiques du langage parlé, font penser que l’écrit que nous possédons est une transcription complète des leçons de Didyme et non un ensemble de notes. On peut supposer qu’il s’agit d’une transcription autorisée et contrôlée par le maître lui-même.

On ne possède aucun élément de datation précise : la polémique contre Apolli-naire de Laodicée (EcclT 154, 1 sqq. ; 221, 19) et Eunome (EcclT 276, 2 ; 302, 14) suggère une datation postérieure aux condamnations infligées aux deux auteurs, à une époque vraisemblablement postérieure au Concile de Constantinople.

61 G. Binder, Didymos der Blinde. Kommentar zum Ecclesiastes (Tura-Papyrus), t. I/2 : Kommentar zu Eccl. Kap. 1, 1-2, 14 (Erläuterungen), coll. PTA 26, Bonn 1983 ; 62 M. Gronewald (édit.), Didymos der Blinde. Kommentar zum Ecclesiastes (Tura-Papyrus), t. II : Kommentar zu Eccl. Kap. 3-4, 12, coll. PTA 22, Bonn 1977 ; 63 J. Kramer et L. Koenen (édit.), Didymos der Blinde. Kommentar zum Ecclesiastes (Tura Papyrus), t. III : Kommentar zu Eccl. Kap. 5 und 6., coll. PTA 13, Bonn 1970 ; 64 J. Kramer et B. Krebber (édit.), Didymos der Blinde. Kommentar zum Ecclesiastes (Tura Papyrus), t. IV : Kommentar zu Eccl. Kap. 7-8, 8, coll. PTA 16, Bonn 1972 ; 65 M. Gronewald et G. Binder (édit.), Didymos der Blinde. Kommentar zum Ecclesiastes (Tura-Papyrus), t. V : Kommentar zu Eccl. Kap. 9, 8-10, 20, coll. PTA 24, Bonn 1979 ; 66 G. Binder et L. Liesenborghs (édit.), Didymos der Blinde. Kommentar zum Ecclesiastes (Tura-Papyrus), t. VI : Kom-mentar zu Eccl. Kap. 11-12, coll. PTA 9, Bonn 1969.

(5) In Zachariam (ZaT) : c’est le seul ouvrage que l’on puisse dater avec une précision relative. Jérôme dit qu’il en a demandé la composition à Didyme alors qu’il se trouvait auprès de lui (Comm. in proph. min., in Osee prol. ; in Zach. prol.) et il en fait mention dans son De vir. inl. 109 ; pour cette raison il doit avoir été composé entre 386 et 392-393. Doutreleau 13, t. I, p. 23-27, le date de 387. L’authenticité du ZaT est assurée par la comparaison avec l’in Zach. de Jérôme qui en dépend. Pour un examen des rapports entre les deux textes, voir Doutreleau 13, t. I p. 129-137. 67 Didymus the Blind, Commentary on Zechariah, Transl. by R. Ch. Hill, coll. « The Fathers of the Church » 111, Washington D. C. 2006.

803

Fragments et témoignages relatifs à d’autres écrits exégétiques

On trouve des renseignements sur des fragments attribués à Didyme dans les chaînes exégétiques dans 68 G. Karo et J. Lietzmann, « Catenarum Graecarum Catalogus », Nachrichten von der königlichen Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen. Philol.-hist. Klasse, 1902, p. 1-66 ; 299-350 ; 599-620.

(6) Les fragments sur la Genèse, l’Exode et 2 Samuel (= PG 39, col.1111-1120) ont été édités par 69 R. Devreesse (édit.), Les anciens commentateurs grecs de l’octateuque et des Rois, coll. « Studi e testi » 201, Città del Vaticano 1959, p. 167-173.

(7) ZaT V 170 fait allusion à Lv 23, 40 et pourrait faire référence à un commentaire sur le Lévitique.

(8) Cassiodore, Institutiones I 5, 1-2, 1, fait référence à un commentaire de Didyme sur les Proverbes.

(9) Jér., Comm. in Is. prol. fait référence à un commentaire en 18 livres sur Isaïe 40-66 (voir aussi De vir. inl. 109). Des renvois à un commentaire sur Isaïe peuvent être trouvés également dans ZaT I 24 ; 303 ; II 171 ; 185 ; IV 289 ; V 83 ; 123. Doutreleau 13, t. I p. 122-123, considère qu’il faut distinguer entre un Commentaire sur Isaïe (attesté par ZaT I 303) et un Commentaire sur la vision finale d’Isaïe, sans que l’on puisse savoir si Didyme a commenté à deux reprises la section Is 40-66.

(10) Il est possible que Didyme ait également composé un commentaire sur Ézéchiel, comme il en manifeste l’intention en ZaT IV 144.

(11) Jér., Comm. in proph. min., in Osee, prol. ; De vir. inl. 109 ; Liber tertius adv. libr. Ruf. 28, mentionnent un commentaire en trois livres sur Osée, dicté à la demande de Jérôme, et que l’on peut par conséquent dater de la période 386-392 (on en trouve une citation chez Jean Damascène, Sacra parall. PG 96, col. 520).

(12) Jér., De vir inl. 109 ; Comm. in evang. Matth. praef., font référence à un commentaire sur l’évangile de Matthieu, également mentionné dans ZaT III 133 ; V 78.

(13) ZaT II 264 pourrait faire référence à un commentaire sur l’évangile de Luc. (14) Jér., De vir inl. 109 mentionne un commentaire sur l’Évangile de Jean (cf. ZaT IV 237),

dont on trouve une brève citation chez Jean Damascène Sacra parall. PG 96, col. 484. Les fragments provenant des chaînes exégétiques sont rassemblés dans 70 J. Reuss (édit.), Johannes-kommentare aus der griechischen Kirche, coll. TU 89, Berlin 1966, p. 177-186 (= PG 39, col. 1645-1653). Le bref passage publié dans 71 B. Kramer (édit.), Didymos der Blinde. Kommentar zum Johannesevangelium (IoT). Kap. 6, 3-33, dans Kramer et Gronewald 29, p. 57-103, est probablement une transcription de leçons données par Didyme (Kramer 71, p. 62-66). Dans la mesure où on relève dans ce passage des critiques contre la doctrine d’Apollinaire selon laquelle le Christ n’aurait pas possédé une âme rationnelle humaine, on peut le dater après le millieu des années 370.

(15) ZaT II 258 pourrait faire référence à un commentaire sur les Actes. (16) ZaT III 73 fait référence à un commentaire sur l’Épître aux Romains. (17) Jér., Ep. 48, 3 mentionne un vaste commenaire de Didyme sur la première lettre aux

Corinthiens (voir aussi Ep. 119, 5). ZaT IV 249 pourrait se rapporter à un commentaire sur la seconde lettre aux Corinthiens. Les fragments sur 2 Co provenant des chaînes exégétiques sont rassemblés dans 72 K. Staab (édit.), Pauluskommentare aus der griechischen Kirche, Münster 1933, p. 1-45 (= PG 39, col. 1679-1732).

(18) Jér., Comm. in IV ep. Paul., ad Gal. prol. et Ep. 112, 4 évoquent un commentariolus sur l’Épître aux Galates. Étant donné que Jérôme a composé son commentaire sur Galates en 387, le commentaire de Didyme doit être antérieur à cette date.

804 (19) Jér., Comm. in IV ep. Paul., ad Eph. prol., et Apol. adv. libr. Ruf. I 16. 21 mentionnent un

commentaire de Didyme sur l’Épître aux Éphésiens. (20) Cassiod., Inst. I 8, 6, mentionne une expositio septem canonicarum epistularum de

Didyme ; voir 73 F. Zoepfl, Didymi Alexandrini in epistolas canonicas brevis enarratio, coll. « Neutestamentliche Abhandlungen » 4/1, Münster 1914 ; 74 K. Staab, « Die griechischen Kate-nenkommentare zu den katholischen Briefen », Biblica 5, 1924, p. 296-353. De sérieux doutes sur l’attribution à Didyme du texte qui a été transmis ont été soulevés par Bardy 2, p. 51-55 ; Bienert 35, p. 30, conclut que le noyau au moins de l’Enarratio est de Didyme.

(21) ZaT III 73 fait référence à un commentaire sur l’Apocalypse.

Ouvrages doctrinaux ou polémiques conservés

(22) De Spiritu sancto : Jérôme qui l’a traduit en latin le mentionne à plusieurs reprises (De vir. inl. 109 ; 135 ; Ep. 36, 4 ; Apol. adv. libr. Ruf. II 16). Doutreleau 11 ; 75 H. J. Sieben (édit.), Didymus der Blinde. De Spiritu Sancto – Über den Heiligen Geist, coll. « Fontes Christiani » 78, Turnhout 2004 ; 76 L. Doutreleau, « Le “De spiritu sancto” de Didyme et ses éditeurs », RecSR 51, 1963, p. 383-406. L’utilisation qu’en fait Ambroise dans son propre De Spiritu sancto (381) fournit un terminus ante quem pour ce traité de Didyme ; les Lettres à Sérapion d’Atha-nase (359) fournissent un terminus post quem. L’ouvrage pourrait être plus ou moins contemporain du De Spiritu sancto de Basile de Césarée (375).

(23) Contra Manichaeos : le texte encore utilisé (PG 39, 1085-1110) est celui qu’a édité au XVIIIe siècle Andrea Gallandi ; mais les deux premiers chapitres ont été interpolés. Une citation d’un traité de Didyme contre les manichéens se lit également dans les Sacra parallela de Jean Damascène (PG 95, col. 1531-1532) : le passage cité par Damascène est absent du texte conservé sous le nom de Didyme, qui est selon toute probabilité un excerptum d’un ouvrage plus ample (malgré le titre et le contenu, les manichéens n’y sont jamais nommés). De nombreuses allu-sions, explicites ou implicites, à la doctrine des manichéens se lisent également dans d’autres écrits exégétiques et doctrinaux de Didyme ou dans des traités qui lui ont été attribués (De Trinitate).

(24) Dialogus Didymi cum haeretico (PrT) : compte rendu partiel, retrouvé à Toura, d’un débat mené par Didyme contre un apollinariste (édition dans Kramer 28). C’est le seul texte de débat doctrinal transmis par l’Antiquité où l’on trouve une véritable confrontation dans laquelle la partie adverse prend également la parole. De la même collection de Toura provient également le Dialogus cum Heraclide d’Origène.

Écrits doctrinaux perdus.

D’autres traités sont attestés mais n’ont pas été conservés. (25) Dans son De Spir. 19 et 93 Didyme mentionne un sectarum volumen ; dans son De Spir.

145 il cite un dogmatum volumen (on trouve également une mention d’un De dogmatibus chez Jér., De vir inl. 109 ; c’est peut-être à cet ouvrage que se rapporte l’expression employée par Théodoret de Cyr, Hist. eccl. IV 26, 1). On ne peut exclure qu’il s’agisse du même ouvrage ; dans tous les cas la composition de ce ou ces écrits doit être antérieure aux années 375.

805 (26) ZaT IV 220 mentionne un traité De virtutibus. (27) ZaT V 99 mentionne un traité De Filio ; on ne sait pas s’il s’agit d’une partie du De

Trinitate en trois livres dont parle Socr., Hist. eccl. IV 25, 6 ou bien d’un ouvrage distinct. (28) Jérôme (Liber tertius adv. libr. Ruf. 28) rapporte que Didyme, à la demande de Rufin,

écrivit un traité sur la question de la mort des enfants. Dans cet ouvrage il expliquait que « [les nouveaux-nés qui meurent] n’ont pas encore commis beaucoup de péchés et que pour cette raison il est suffisant pour eux d’avoir seulement touché la prison corporelle ».

(29) Jean Damasc., Sacra parall. PG 96, col. 524, contient une brève citation d’un traité De incorporeo.

(30) Jean Damasc., Sacra parall. PG 96, col. 1312 et col. 247-248 cite un traité Ad philosophum.

(31) Karo et Lietzmann 68, p. 319, attribuent à Didyme un De anima. (32) L’Expositum in Heptateuchum de Jean le Diacre contient un fragment d’un traité en deux

livres De fide (77 J.-B. Pitra, Spicilegium Solesmense complectens sanctorum patrum scriptorum-que ecclesiasticorum anecdota hactenus opera, I, Paris 1852, p. 284).

(33) Jérôme fait allusion en certains passage de l’Apol. adv. libr. Rufini à un ouvrage de Didyme pour la défense de l’orthodoxie des doctrines exposées par Origène dans son De prin-cipiis (voir également Socr., Hist. eccl. IV 25, 7). Puisqu’il parle de commentarioli (I 6) ou de breves commentarioli (II 16) et de σχόλιον (II 11), il devait s’agir de notes sur des passages particuliers. Selon Jérôme (Ep. 84, 10), Didyme essayait de fournir une interprétation conforme à la foi orthodoxe de la doctrine d’Origène, notamment de sa doctrine trinitaire. Rufin aurait tenu compte des explications de Didyme dans la préparation de sa traduction latine du De principiis, altérant ainsi le sens originaire du texte origénien.

(34) Bardy 2, p. 36-39, attire l’attention sur le fait que la liste des ouvrages de Didyme n’est certainement pas complète : un bon nombre de fragments et de témoignages provenant d’écrits inconnus de Didyme se trouvent dans les Capita theologica de Maxime le Confesseur (➳M 00), dans les Sacra parallela de Jean Damascène et dans la Melissa d’Antoine le moine.

(35) Les sources n’attestent pas chez Didyme une activité de prédicateur, mais le texte d’un sermon sur la théophanie est conservé dans un lectionnaire : 78 M. Bogaert, « Fragment inédit de Didyme l’Aveugle en traduction latine ancienne », RBen 73, 1963, p. 9-16.

Écrits doctrinaux d’attribution incertaine

(36) De Trinitate : Socr., Hist. eccl. IV 25, 6, mentionne un ouvrage en trois livres Sur la Trinité. Il était considéré comme perdu, mais en 1763 Giovanni Luigi Mingarelli attribua à Didyme un De Trinitate, mutilé du début et de la fin, décou-vert dans un manuscrit du XIe siècle et remontant selon toute probabilité à la fin du IVe siècle. En 1769 G. L. Mingarelli et son frère Ferdinando publièrent l’édition du texte avec un commentaire. Édition plus récente (partielle) : 79 J. Hönscheid (édit.), Didymus der Blinde. De Trinitate. Buch I, coll. « Beiträge zur klassischen Philo-logie » 44, Meisenheim 1975 ; 80 I. Seiler (édit.), Didymus der Blinde. De Trinitate. Buch II, Kap. 1-7, coll. « Beiträge zur klassischen Philologie » 52, Meisenheim 1975.

L’attribution proposée pour l’ouvrage fut acceptée et les études ultérieures sur Didyme se fondèrent essentiellement sur ce texte ; cf. 81 J. Leipoldt, Didymos der Blinde, coll. TU, Leipzig 1905 ; Bardy 2.

806

On trouve des objections à cette attribution du traité à Didyme chez 82 L. Doutreleau, « Le “De Trinitate” est-il l’œuvre de Didyme l’Aveugle ? », RecSR 45, 1957, p. 514-557 ; Doutreleau 13, t. I p. 126-128 ; Bienert 35, p. 16-20 ; 83 M. Simonetti, « Didymiana », dans Simonetti 43, p. 393-412, notamment p. 402-405 ; 84 Id., « Ancora sulla paternità didimiana del De Trinitate », Augustinianum 36, 1996, p. 377-387.

Certaines difficultés sont d’ordre exégétiques : Za 3, 8-4, 10 est interprété de façon très différente en De Trin. II 14 et en ZaT p. 54, 9-75, 15 ; par exemple, la montagne de Za 4, 7 est interprétée comme une image du démon en De Trin. et comme une image du Sauveur en ZaT. Étant donné que ZaT peut être daté vers 387 et que l’on peut dater de façon raisonnable le De Trin. des années 382-384, le contraste entre les deux interprétations est manifeste. 85 L. Chavoutier, « Querelle origéniste et controverses trinitaires à propos du Tractatus contra Orige-nem de Visione Isaiae », VChr 14, 1960, p. 9-14, avait reconnu dans la démonstration de la divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, au moyen de la série de passages bibliques Is 6, Jn 12, 40-41 et Actes 28, 25-27 (que l’on trouve aussi bien dans le De Spir. que dans le De Trin.) un trait caractéristique de la théologie de Didyme, mais 86 M. Tetz, « Zur Theologie des Markell I », ZKG 75, 1964, p. 217-270, a montré que la même combinaison de ces trois textes se trouvait également chez Marcel d’Ancyre.

En deux passages le De Trin. renvoie à une discussion antérieure sur l’Esprit-Saint (III 16. 31) : 87 L. Béranger, « Sur deux énigmes du De Trinitate de Didyme l’Aveugle », RecSR 51, 1963, p. 255-267, a montré que ces références peuvent s’expliquer comme des renvois internes au même De Trin. En De Trin. II 27 est citée une série de témoignages païens en faveur de la doctrine de la Trinité (Orphée, Hermès Trismégiste, Pindare, etc.), alors que dans le De Spir. 3 Didyme dit de façon explicite que la divinité de l’Esprit-Saint n’était pas connue par les philo-sophes, mais uniquement par les dépositaires de la révélation biblique (voir aussi De princ. I 3, 1).

D’autres arguments contre l’authenticité du De Trin. concernent la christologie, qui n’est pas identique à celle qui est attestée par ailleurs pour Didyme : 88 L. Béranger, « L’âme humaine de Jésus dans la christologie du De Trinitate attribué à Didyme l’Aveugle », RSR 36, 1962, p. 1-47.

A la suite de la thèse de 89 A. I. C. Heron, Studies in the Trinitarian Writings of Didymus the Blind. His Authorship of the Adversus Eunomium IV-V and the De Trinitate, Tübingen 1972, p. 196-226, Doutreleau 11, p. 41-43, est cependant revenu à l’attribution du De Trinitate à Didyme, considérant que les arguments avancés contre elle n’étaient pas décisifs.

(37) Jér., De vir inl. 109, cite, après le De dogmatibus, « deux livres contre les ariens » (Leipoldt 81, p. 11, envisage qu’il s’agisse du même ouvrage). De vir. inl. 120 ajoute qu’« à Eunome répondirent Apollinaire, Didyme, Basile de Césarée, Grégoire de Naziance et (Grégoire) de Nysse ». La formulation reste générale et ne permet pas de savoir si la réponse de Didyme à Eunome est identique ou non aux deux livres mentionnés auparavant contre les ariens.

C’est à la fin du XIXe siècle que remonte l’hypothèse selon laquelle l’ouvrage de Didyme contre les ariens serait à identifier avec les deux derniers livres du Contra Eunomium de Basile de Césarée, lesquels ne sont certainement pas authentiques. Une synthèse des arguments avancés par les premiers spécialistes qui ont proposé cette attribution en se fondant sur des parallèles avec le De Trinitate, considéré comme un ouvrage authentique de Didyme (90 A. Spasskij, Apollinaire de Laodi-cée. La destinée historique des ouvrages d’Apollinaire, avec une courte notice sur sa vie [Istoričeskaja sud’ba sočinenij Apollinarija Laodikijskogo, s kratkim

807

predvaritel’nym očerkom ego žizni], Sergiev Posad 1895 [cité par Bardy 2, p. 24] et 91 F. X. Funk, « Die zwei letzten Bücher der Schrift Basilius’ des Grossen gegen Eunomius », dans 92 Id., Kirchengeschichtlichen Abhandlungen und Untersuchun-gen, II, Paderborn 1899, p. 291-329), est présentée par Bardy 2, p. 23-27, qui en accepte les conclusions. L’attribution à Didyme a été confirmée par 93 J. Lebon, « Le Pseudo-Basile (Adv. Eunom. IV-V) est bien Didyme d’Alexandrie », Museon 50, 1937, p. 61-83, à partir d’un témoignage syriaque qui cite un passage de l’Adversus Eunomium en l’attribuant à Didyme. Se sont prononcés en faveur de cette attribution Doutreleau 13, t. I p. 126-128 ; Heron 89, p. 177-189, qui cite une série de parallèles tirés d’autres textes de Didyme et énumère les raisons pour lesquelles il faut accepter le témoignage syriaque cité par Lebon 93 ; 94 W. Hayes, « Didymus the Blind is the Author of Adversus Eunomium IV-V », dans 95 E. A. Livingstone (édit.), Studia Patristica, XVII/3, Oxford 1982, p. 1108-1114.

Des objections sont avancées par Leipoldt 81, p. 30 ; Bienert 35, p. 10-12 et 16-20 : entre autres arguments ces savants considèrent décisif le contraste entre un fragment caténique sur Jn 14, 28 – à propos de l’ἀγέννητος – (fr. 17 Reuss), qui contient une doctrine qui remonte de façon certaine à Didyme (τῶν οὐσιῶν οἱ τρόποι οὐ τῶν ὑπάρξεων), et ce qu’on peut lire dans l’Adv. Eun. IV, PG 29, col. 681 A (ὑπάρξεως οὖν τρόπος τὸ ἀγέννητος καὶ οὐκ οὐσίας ὄνομα). Pour un état de la question voir 96 B. Sesboüe, G.-M. de Durand et L. Doutreleau (édit.), Basile de Cesarée. Contre Eunome suivi de Eunome Apologie, 2 vol., coll. SC 299/305, Paris 1982-1983, t. I p. 61-64 ; 97 F. X. Risch (édit.), Pseudo-Basilius. Adversus Eunomium IV-V, coll. « Supplements to Vigiliae Christianae » 16, Leiden 1992, p. 3-12, conclut qu’il n’est pas possible d’attribuer l’ouvrage à Didyme de façon certaine, même si le profil culturel et théologique de l’auteur correspond sur plusieurs points à la figure d’Apollinaire de Laodicée.

c. Doctrine

L’Écriture

Didyme a consacré son activité d’enseignement principalement à l’interpréta-tion systématique du texte biblique. L’autorité de l’Écriture repose sur le fait qu’elle est une œuvre du Saint-Esprit (τὸ συγγραφικὸν Πνεῦμα : GenT 151, 8 ; 163, 7 ; 248, 23 ; HiT 50, 34-35 ; 98, 24 ; 251, 13 ; PsT 49, 16 ; θεόπνευστος : EcclT 7, 9 ; 12, 16 ; 342, 4 ; PsT 39, 23 ; in Ps. fr. 407 Mühlenberg ; ZaT I 44 ; II 122 ; III 66. 310 ; IV 15) et que c’est un seul et même Dieu, juste et bon, qui se révèle dans les deux Testaments (De Spir. 203).

Didyme cite comme appuis pour ses thèses propres des textes qui sont parfois extérieurs au canon des Écritures (Apoc. Eliae ; Asc. Jes. ; Ev. Hebr. ; Past. Herm., Ep. Barn., Did., 1 Clem.). Il est avec Athanase (Ep. 39), le témoin d’une conception du canon qui, en plus des livres inspirés et des livres qui doivent être rejetés comme falsifiés (ἀπόκρυφα : EcclT 7, 33-8, 11), admet l’utilisation de textes qui ne font pas partie du canon, mais font autorité et sont utiles dans l’enseignement (κατήχη-σις) de la tradition de la foi ; cf. PsT 227, 26-27 ; EcclT II 78, 21-22 ; ZaT I 384 ; 98 D. Lührmann, « Das Bruchstück aus dem Hebräerevangelium bei Didymos von Alexandrien », NT 29, 1987, p. 265-279, notamment p. 274-278 ; 99 Id., « Alttesta-mentliche Pseudepigraphen bei Didymos von Alexandrien », ZAW 104, 1992,

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p. 231-249. 100 B. D. Ehrman, « The New Testament Canon of Didymus the Blind », VChr 37, 1983, p. 1-21, voit au contraire en Didyme le témoin d’une situation dans laquelle le canon des Écritures reste encore ouvert.

Au moment d’aborder l’étude d’un texte (que ce soit un livre biblique ou un psaume en particulier) Didyme traite, de façon non systématique, un certain nom-bre de questions préliminaires : le titre, l’emplacement du texte dans le cadre du corpus plus vaste dont il fait partie, l’auteur, l’authenticité du texte et son skopos. Ces points sont traités longuement au début de EcclT, alors qu’ils sont absents de PsT, mais le texte nous est parvenu dans un état mutilé ; en HiT 1, 1-8, 10 il traite des thèmes principaux du livre, de la nature et de la condition du diable, du titre et de l’auteur de l’ouvrage ; voir également ZaT I 6 (l’auteur) ; PsT 106, 18-109, 4 (les raisons de la disposition non chronologique des psaumes).

L’Écriture est, comme le Baptiste, la voix à travers laquelle le Logos se communique (GenT 142, 21-27 ; EcclT 38, 20-26) ; il faut comprendre la voix pour accéder au contenu qu’elle communique. Didyme consacre pour cette raison un examen attentif à la lettre des textes bibliques : il prend éventuellement en consi-dération des variantes dans le texte grec du passage (cf. PsT 64, 20-23 ; 110, 23-111, 9 ; EcclT 311, 22-24 ; il ne connaissait pas l’hébreu : PsT 10, 9-17 ; 295, 29-30 ; 101 B. Kramer et J. Kramer, « Les éléments linguistiques hébreux chez Didyme l’Aveugle », dans 102 Ἀλεξανδρῖνα. Hellénisme, judaïsme et christia-nisme à Alexandrie. Mélanges offerts à Claude Mondésert, coll. « Patrimoines », Paris 1987, p. 313-323) ; il examine la ponctuation du texte (PsT 18, 14-17 ; 35, 17-36, 14 ; 134, 19-22 ; 138, 29-139, 1 ; 231, 15-20 ; EcclT 172, 5-15) et d’autres phénomènes grammaticaux (Doutreleau 13, t. I p. 109-112). A la différence d’Origène, ce n’est qu’occasionnellement qu’il aborde des questions de type philologique et confronte la version des Septante avec les autres : 103 Ch. Köckert, « Didymus the Blind and Origen as Commentators on Genesis : A Comparison », dans 104 S. Kaczmarek, H. Pietras et A. Dziadowiec (édit.), Origeniana Decima. Origen as Writer. Papers of the 10th International Origen Congress. University School of Philosophy and Education “Ignatianum”. Kraków, Poland, 31 August - 4 September 2009, coll. « Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium » 244, Leuven/Paris/Walpole MA 2011, p. 407-417, notamment p. 410-412.

Le sens littéral est tellement important, du point de vue de Didyme, que l’exé-gète doit tenter de le reconstruire quitte à forcer la lecture d’un texte difficile (EcclT 14, 3-24), cela parce que le sens littéral offre l’enseignement qui est le plus accessible et utile aux simpliciores : GenT 168, 10-169, 2 ; 105 E. Prinzivalli, « A Rediscovered Author and Origen’s Heritage : Didymus the Blind », dans Kaczmarek et alii 104, p. 779-789, notamment p. 784-785.

Ce travail doit être suivi par l’explication du sens spirituel du texte. Ce ne sont pas tous les textes bibliques qui possèdent, selon Didyme, un sens littéral ; mais ils ont toujours un sens spirituel, qui peut être atteint par le moyen d’une exégèse allégorique. Sur les critères qui en guident la recherche, voir 106 B. Stefaniw,

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Mind, Text, and Commentary : Noetic Exegesis in Origen of Alexandria, Didymus the Blind and Evagrius Ponticus, coll. « Early Christianity in the Context of Antiquity » 6, Frankfurt am Main 2010, p. 59-147. Didyme met toutefois en garde contre une utilisation de l’allégorie pratiquée sans discernement : GenT 104, 28-105, 5 ; PsT 187, 5 ; 285, 19-22. Sur sa pratique de l’exégèse allégorique voir 107 J. Tigcheler, Didyme l’Aveugle et l’exégèse allégorique. Étude sémantique de quel-ques termes exégétique importants de son commentaire sur Zacharie, coll. « Grae-citas Christianorum primaeva » 6, Nijmegen 1977 ; Simonetti 50.

L’interprétation allégorique peut s’appliquer aux noms des personnes ou des lieux, à toute une série de réalités (métaux, plantes, parties du corps, professions, etc.), ainsi qu’aux nombres (cf. Jér., Ep. 49, 19 ; 108 M. Zambon, « “A servizio della verità” : Didimo il Cieco ‘lettore’ di Aristotele », SGA 2, 2012, p. 129-200, notamment p. 133-135).

La confrontation avec les hérétiques

Outre le Contra Manichaeos, le Dialogus cum haeretico et les deux livres perdus Contra Arianos, de nombreux passages dans les œuvres de Didyme témoi-gnent de son engagement dans la polémique contre les hérétiques. Elle portait en particulier contre les ariens : HiT 92, 25-93, 5 ; EcclT 6, 14-16 ; 169, 21-26 ; 275, 25-276, 28 ; 302, 12-16 ; 313, 26 ; PsT 7, 26-28 ; 39, 19-40, 4 ; 298, 11 ; In Ps. fr. 908 Mühlenberg ; contre Aétius : PsT 86, 18 ; 221, 16-17 ; contre Eunome : PsT 2, 8 ; 51, 3-18 ; 52, 3-13 ; 336, 1 ; EcclT 215, 24-26 ; 276, 2 ; 302, 12-16 ; (Zambon 108, p. 145-150) ; contre les apollinaristes : PsT 73, 9-74, 8 ; 92, 18-20 ; 185, 22-29 ; 246, 15-18 ; ZaT IV 235 ; EcclT 154, 1-3 ; Bienert 35, p. 123-126 ; et contre les Manichéens : HiT 64, 13 ; 134, 22 ; 288, 35 ; ZaT IV 125 ; GenT 167, 19 ; PsT 54, 17-18 ; 77, 19-27 ; 232, 16-22 ; 276, 15-16 ; 286, 22-23 ; EcclT 88, 10 ; 274, 17-275, 6 ; 302, 12-16 ; 109 B. Bennett, « Didymus the Blind’s Knowledge of Mani-chaeism », dans 110 P. Mirecki et J. Beduhn (édit.), The Light and the Darkness. Studies in Manichaeism and Its World, coll. « Nag Hammadi and Manichaean Studies » 50, Leiden 2001, p. 38-67.

Didyme compare les hérétiques aux sophistes et aux mauvais dialecticiens : comme eux, ils ne cherchent pas la vérité, mais seulement à l’emporter sur leurs adversaires (De Spir. 172 ; EcclT 122, 8-9 ; 228, 1-2 ; PsT 63, 20-24 ; 248, 11-15 ; 289, 29-34 ; GenT 127, 21-23 ; in Ps. fr. 529 Mühlenberg). Dès lors qu’ils utilisent les mêmes Écritures qu’elle les hérétiques sont pour l’Église de pires adversaires que les philosophes païens (in Ps. fr. 817 Mühlenberg). L’hérésie est une inter-prétation coupablement erronée de l’Écriture (EcclT 214, 26-215, 2) ; elle procède de prémisses fausses et parvient à des conclusions contradictoires (HiT 92, 19-25 ; 213, 26-29). Son résultat est la séparation du sens littéral de l’Écriture de son sens spirituel (PsT 39, 19-40, 4), la séparation de l’Ancien Testament du Nouveau (PsT 3, 16-24), la séparation du Fils ou du Saint-Esprit par rapport au Père (ZaT IV 86-89).

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La confrontation avec la philosophie grecque

Dans les écoles de philosophie à Alexandrie professeurs et étudiants étaient pour la plupart païens jusqu’à la fin du Ve siècle (111 E. Wipszycka, « La christia-nisation de l’Égypte aux IVe-VIe siècles : aspects sociaux et ethniques », dans Ead. 25, p. 63-105, notamment p. 70-71) ; la formation et la méthode de travail de Didyme étaient pour l’essentiel les mêmes que les leurs (Stefaniw 106, p. 299-364).

La philosophie que Didyme enseignait n’était cependant pas la « philosophie humaine » (in 2 Cor., p. 25 Staab), celle des Hellènes (EcclT 117, 20 ; 158, 8 ; PsT 151, 19), de ceux « qui pratiquaient la philosophie de ce monde et les hérésies », mais bien celle de « celui qui aime la sagesse et la vérité de Dieu » (in Ps. fr. 1109a Mühlenberg), la philosophie pratiquée par Job (in Job, PG 39, col. 1128 ; HiT 91, 29-92, 7) et par l’Apôtre (in Ps. fr. 1111 ; 1213 Mühlenberg ; ZaT II 51 ; II 62. 241 ; V 179 ; PsT 206, 24 ; EcclT 83, 24).

La supériorité de la philosophie chrétienne par rapport à la Loi judaïque et à la sagesse hellénique vient du fait, selon Didyme, qu’elle est plus ancienne : avant que ne fussent séparés circoncis et non circoncis, l’humanité était unie et suivait une conduite fondée sur les notions communes (κοιναὶ ἔννοιαι : EcclT 88, 25-29 ; GenT 71, 13-24 ; 125, 11-13). Cette première πολιτεία des hommes était identique à celle pratiquée par les chrétiens ; le christianisme a rétabli l’unité originaire de l’humanité que le péché avait brisée en séparant celui qui possédait la Loi de celui qui ne la possédait pas (PsT 159, 19-30 ; GenT 182, 18-183, 14).

Didyme admettait que les philosophes grecs ont connu d’importantes vérités : à partir de la création ils ont su reconnaître le Créateur (EcclT 210, 24-211, 8), sa providence et sa bonté, la différence entre la réalité visible et l’invisible, l’incor-poralité et l’immortalité de l’âme (HiT 119, 27-120, 2 ; 288, 12-34 ; GenT 130, 19-22). Leur connaissance restait cependant partielle, psychique (PsT 279, 3-14) et non spirituelle. Seul celui qui a la connaissance de l’Esprit, révélée par l’Écriture, est en mesure d’accéder à la connaissance totale, c’est-à-dire la connaissance de la vérité (De Spir. 3 ; PsT 332, 4-8 ; EcclT 229, 22-230, 3). La supériorité des chré-tiens sur le plan de la connaissance se reflète également dans l’engagement moral supérieur qui est requis d’eux (PsT 77, 7-12 ; 246, 2-5).

Il est fort improbable que Didyme ait eu une connaissance directe des dialogues de Platon : les citations ou les allusions qui se trouvent dans ses écrits sont rares et très brèves ; en EcclT 86, 9-14 il attribue à Socrate, de façon erronée, la composi-tion d’écrits concernant l’amour. Malgré cela, son cadre de pensée est platonicien (probablement à travers la médiation des auteurs dont il dépendait) ; par exemple, il attribue à Dieu la bonté, l’unité et l’être (De Spir. 17 ; HiT 279, 27-280, 1 ; in Ps. frr. 60. 997 Mühlenberg ; ZaT II 187. 304 ; V 96-99 ; PsT 19, 9-10 ; 109, 16-20 ; GenT 90, 9) ; il distingue le monde sensible et le monde noétique (EcclT 208, 22-25 ; 333, 18-23 ; in Ps. fr. 395 Mühlenberg ; PsT 276, 7-10) ; il conçoit le Fils comme un intellect qui contient les formes des créatures (GenT 2A, 7-2B, 11 ; PsT 140, 7-25) ; il accepte la doctrine platonicienne de la participation (in Ps. fr. 838.

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1038. 1251 Mühlenberg ; HiT 224, 2-27 ; GenT 171, 2 ; PsT 2, 7-13 ; 53, 15-16), celle du caractère naturel des noms (GenT 146, 4-9 ; PsT 60, 7-17), ainsi que la doctrine platonicienne de l’âme (in Rom., p. 4, 35-36 Staab ; GenT 42, 10-15 ; 57, 22-58, 2 ; HiT 105, 29 ; PsT 15, 8-11 ; 45, 5-12 ; 53, 20-54, 1 ; 142, 22-30 ; EcclT 225, 13-21 ; 337, 8-24).

Une place importante dans la culture philosophique de Didyme est tenue par Aristote et en particulier par ses écrits logiques (EcclT 94, 12-16 et PsT 42, 7-28 font peut-être allusion à leur étude) et son éthique (Didyme est l’auteur d’un traité perdu De virtutibus). Il est le premier auteur chrétien dont on peut établir une connaissance directe des écrits de l’Organon ; il en connaissait probablement d’autres : 112 D. T. Runia, « Festugière Revisited : Aristotle in the Greek Patres », VChr 43, 1989, p. 1-34, qui p. 10 ; Frede 32, p. 145.

Le nom d’Aristote est mentionné en EcclT 69, 10-23 ; 90, 22-91, 2 ; 116, 14-21 ; PsT 77, 7-12 ; dans d’autres passages on trouve des périphrases plus ou moins explicites : EcclT 226, 23-24 (« le philosophe païen ») ; 232, 21-26 (« ce fameux philosophe ») ; ZaT II 139 (« un des Anciens ») ; HiT 260, 18-19 (« un tel ») ou des renvois encore plus vagues. Les titres d’écrits aristotéliciens sont mentionnés en PsT 276, 7-10 (Cat.), EcclT 69, 10-23 (Anal.) et 80, 1-14 (De int.). En plus d’une utilisation diffuse de certaines doctrines aristotéliciennes, on trouve des citations ad verbum dans EcclT 116, 14-21 (Cat. 7 b 27-35) ; 232, 21-26 (Cat. 3 a 29 ; De int. 16 b 21) ; 226, 23-24 (De int. 17 a 37) ; 236, 21-26 (De int. 16 a 9-11 ; 16 b 6) ; PsT 77, 7-12 (Top. 116 a 36-39) ; 276, 7-10 (Cat. 5 b 22) ; 303, 19-21 (De int. 16 a 9-11) ; 335, 16-17 (De int. 16 a 3-4) ; ZaT II 139 e EcclT 309, 13-18 (EN 1132 a 20-22) : pour un examen de ces passages, voir Zambon 108, p. 150-174.

Dans certains cas, la façon dont Didyme présente la doctrine aristotélicienne démontre une remarquable similitude avec la façon dont elle est présentée par les commentateurs néoplatoniciens. C’est le cas de PsT 19, 22-20, 1, qui paraphrase Aristote, An. post. II 1, 89b 23-35, dans des termes qui ressemblent à ceux qu’em-ploie Thémistius (in An. post. paraphr., p. 42, 2-14 Wallies, CAG V) ; c’est aussi le cas de PsT 2, 7-13, où la doctrine aristotélicienne de la paronymie est associée à la doctrine platonicienne de la participation (comme chez Porph., in Cat., p. 69, 20-70, 24 Busse, CAG IV ; Simpl., in Cat., p. 37, 7-33 Kalbfleisch, CAG VIII). Ce pourrait être un indice de sa familiarité avec l’environnement des écoles de philosophie de son époque : cf. Zambon 108, p. 167-170 et 175-176.

Il faut noter que les citations directes et les renvois explicites à Aristote se concentrent dans PsT et EcclT, qui rapportent l’enseignement oral de Didyme, tandis que dans les autres écrits la doctrine aristotélicienne est utilisée de façon anonyme. On peut en déduire que les auditeurs de Didyme possédaient eux aussi une réelle familiarité avec certains écrits aristotéliciens.

Au patrimoine des idées empruntées à Aristote, outre la logique, appartiennent la doctrine des différents types de changement (PsT 1, 1-8 ; 326, 7-14), la distinc-tion entre l’acte et la puissance (GenT 59, 14-19 ; 222, 19-25 ; EcclT 80, 1-14 ; 225,

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20-21), celle entre puissances actives et puissances passives (HiT 280, 1-281, 2 ; 113 R. Goulet, « Porphyre et Macaire de Magnésie sur la toute-puissance de Dieu », dans 114 S. Morlet [édit.], Le traité de Porphyre contre les chrétiens. Un siècle de recherches, nouvelles questions, « Collection des Études Augustiniennes. Série Antiquité » 190, Paris 2011, p. 205-230, notamment p. 223-225) et quelques thèses éthiques (Zambon 108, p. 183-189) : la conception de la vertu comme médiété (EcclT 151, 8-9 ; 215, 3-7. 13-15 ; PsT 233, 8 ; ZaT V 16), la distinction entre vertu éthique et vertu dianoétique (HiT 5, 35-6, 4 ; EcclT 70, 23-29), la distinction des trois genres de biens (HiT 42, 8-15 ; EcclT 150, 2-9 ; 335, 20-26).

Les emprunts lexicaux à la tradition stoïcienne sont nombreux. L’état des sources stoïciennes ne permet pas d’établir facilement si Didyme avait une connais-sance directe des œuvres des auteurs stoïciens ou si, comme c’est le cas pour Platon, il avait eu connaissance de ce matériel à travers la médiation d’autres auteurs comme Philon (➳P 150), Clément (➳C 154) et Origène : 115 R. A. Layton, « Propatheia : Origen and Didymus on the Origin of the Passions », VChr 54, 2000, p. 262-282, notamment p. 271-272.

Sont d’origine stoïcienne par exemple les notions de « réalité individuelle » (ἰδίως ποιόν : EcclT 148, 14 ; 228, 18 ; ZaT I 333 ; PsT 197, 26), de notions communes » (κοιναὶ ἔννοιαι : PsT 1, 1 ; EcclT 88, 25-29 ; GenT 182, 18-183, 14), de « mélange » (κρᾶσις : CIohT 8, 23-25 ; EcclT 41, 22-24 ; 42, 17-21), la distinc-tion entre langage intérieur et langage proféré (GenT 2A, 5-7 ; 17, 2-4 ; De Spir. 155), la distinction entre vrais biens et ἀδιάφορα (HiT 42, 8-15 ; EcclT 150, 2-9 ; 167, 12 ; GenT 98, 4), la doctrine de la προπάθεια (GenT 165, 23 ; EcclT 206, 22-23 ; 221, 2-21 ; PsT 43, 15-25 ; 76, 16-17 ; 222, 7-14 ; 282, 1-7 ; 293, 3-4), et celle de l’implication réciproque (ἀκολουθία) des vertus (HiT 5, 16-23 ; 148, 32-149, 4 ; GenT 26, 14-21 ; PsT 10, 28-11, 10 ; 186, 21-25 ; EcclT 151, 4-5 ; ZaT II 30).

Didyme mentionne, dans le cadre de ses leçons, différents philosophes ou sages grecs, sans donner le nom d’aucun de ses contemporains : 116 G. Binder, « Heid-nische Autoritäten im Ecclesiastes-Kommentar des Didymos von Alexandrien », RBPH 57, 1979, p. 51-56. Nous rencontrons Zénon d’Élée [➳Z 00] (PsT 217, 33-218, 3 raconte une anecdote le concernant, mais sans citer son nom expressément), les pythagoriciens (EcclT 79, 24-80, 1), Leucippe [➳L 51] et Prodicos [➳P 296] (EcclT 15, 26-16, 2. 11 ; 117 G. Binder et L. Liesenborghs, « Eine Zuweisung der Sentenz οὐκ ἔστιν ἀντιλέγειν an Prodikos von Keos », MH 23, 1966, p. 37-43), Protagoras [➳P 302] (PsT 222, 18-29 ; 118 M. Gronewald, « Ein neues Protagoras-fragment », ZPE 1, 1967, p. 1-2 ; 119 P. Woodruff, « Didymus on Protagoras and the Protagoreans », JHPh 23, 1985, p. 483-513), Socrate [➳S 00] (EcclT 37, 11-14 ; 86, 9-14), Isocrate [➳I 38] (EcclT 42, 23-29 ; 148, 3-11), Épicure [➳E 36] et Démocrite [➳D 70] (EcclT 24, 7-8 ; 209, 25-210, 22 : 120 G. Binder, L. Koenen et L. Liesenborghs, « Ein neues Epikurfragment bei Didymos dem Blinden », ZPE 1, 1967, p. 38-44), Musonios [➳M 198] (EcclT 128, 12-14), les textes hermétiques [➳H 79] (EcclT 167, 14-23 ; PsT 88, 8-18 ; 121 A. Camplani, « Momenti di inter-azione religiosa ad Alessandria e la nascita dell’élite egiziana cristiana », dans

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122 L. Perrone [édit.], Origeniana Octava. Origen and the Alexandrian Tradition. Origene e la tradizione alessandrina. Papers of the 8th International Origen Congress. Pisa, 27-31 August 2001, I, Leuven 2003, p. 31-42, notamment p. 32-35).

Une attention particulière a été portée par les savants à un certain nombre de témoignages relatifs à Porphyre (PsT 308, 10-14 ; HiT 280, 1-281, 5 ; EcclT 281, 2-24) : 123 D. Hagedorn et R. Merkelbach, « Ein neues Fragment aus Porphyrios “Gegen die Christen” », VChr 20, 1966, p. 86-90 ; 124 G. Binder, « Eine Polemik des Porphyrios gegen die allegorische Auslegung des Alten Testaments durch die Christen », ZPE 3, 1968, p. 81-95 ; 125 M. Gronewald, « Porphyrios’ Kritik an den Gleichnissen des Evangeliums », ZPE 3, 1968, p. 96 ; 126 Ph. Sellew, « Achilles or Christ ? Porphyry and Didymus in debate over allegorical Interpretation », HThR 82, 1989, p. 79-100 ; 127 P. F. Beatrice, « Didyme l’Aveugle et la tradition de l’allegorie », dans 128 G. Dorival, A. Le Boulluec et al. (édit.), Origeniana Sexta. Origène et la Bible. Actes du Colloquium Origenianum Sextum (Chantilly, 30 août-3 septembre 1993), coll. « Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovanien-sium » 118, Leuven 1995, p. 579-590 ; 129 A. Carlini, « La polemica di Porfirio contro l’esegesi ‘tipologica’ dei cristiani », SCO 46, 1996, p. 385-394.

Les étapes de la formation philosophique

La finalité de l’enseignement de Didyme est la réalisation de l’unification de l’individu en soi-même et avec les autres (il la définit – dans des termes empruntés au Ps 67, 7 – μονοτροπία : EcclT 232, 14-22 ; PsT 154, 5) ; elle est obtenue en dépassant le multiplicité et la division produites par le péché (EcclT 230, 24-25). La recherche de cette unification coïncide avec la vie philosophique, c’est-à-dire avec la recherche de la vertu et de la « contemplation divine » (HiT 91, 29 - 92, 7 ; EcclT 82, 21-26 ; 165, 17-23).

Les étapes qui scandent le progrès en direction de cette fin sont décrites par Didyme dans le commentaire sur le premier verset de l’Ecclésiaste (Bienert 35, p. 133-138). A la suite d’Origène il interprète les trois livres sapientiels attribués à Salomon (Proverbes, Qohélet et Cantique) et les différents titres utilisés par l’auteur pour se présenter au commencement de chaque livre, comme des images des trois parties principales de la philosophie et des degrés du développement spirituel d’un disciple.

Le début est assuré par l’instruction éthique donnée par Salomon en tant que roi d’Israël dans le livre des Proverbes (EcclT 15, 26-16, 2). Vient ensuite la connaissance de l’instabilité des choses terrestres que donne Salomon dans l’Ecclésiaste en tant que prédicateur devant l’assem-blée. Enfin on accède à la connaissance du monde intelligible à laquelle introduit Salomon dans le Cantique ; là Salomon se présente sous son propre nom et sans autre titre, parce que la doctrine proposée dans ce livre n’a plus aucun rapport avec les réalités de ce monde (EcclT 5, 22-6, 15 ; cf. Orig., CCt 76, 4-15 ; 77, 30-78, 9 ; 83, 20-86, 29 Baehrens). Sur le rôle joué par les auteurs chrétiens et en particulier par Origène dans la définition du schéma pédagogique éthique-physique-époptique, voir 130 M. Rizzi, « La scuola di Origene tra le scuole di Cesarea e del mondo tardoantico », dans 131 Caesarea maritima e la scuola origeniana. Atti dell’XI convegno

814 del Gruppo italiano di ricerca su Origene e la tradizione alessandrina, Arezzo 22-23 settembre 2011 (en cours de publication).

Sous une forme plus simple cet itinéraire est décrit comme un passage de la vertu éthique à la vertu dianoétique, c’est-à-dire de la vie pratique à la vie contem-plative. Ce passage est symbolisé dans l’Écriture par le changement de nom du fils d’Isaac : Jacob – qui, au moyen de l’ascèse, lutte contre le démon – devient Israël, c’est-à-dire l’« intellect qui contemple Dieu » (EcclT 70, 23-29 ; PsT 311, 5-7 ; GenT 114, 6-12 ; in Ps. fr. 1060 Mühlenberg). Dans des termes encore plus platoniciens Didyme parle du passage au-delà de la masse des réalités sensibles qui se trouvent entre notre pensée et Dieu, pour se retrouver seul et adhérer à Dieu en devenant une seule chose avec lui (in Ps. fr. 133 ; 1233 Mühlenberg).

Didyme propose cet idéal d’une vie philosophique dans une activité scolaire rigoureuse : enseigner, pour lui, veut dire démontrer les vérités qui peuvent se communiquer (HiT 217, 23-29). Il s’agit d’une fonction vitale pour l’Église, dès lors que Didyme concevait le maître, à l’instar de l’évêque, comme un pasteur investi de la tâche de transmettre la vérité (132 M. Rizzi, « Il διδάσκαλος nella tradizione alessandrina : da Clemente all’Oratio Panegyrica in Origenem », dans 133 G. Firpo et G. Zecchini (édit.), Magister. Aspetti culturali e istituzionali. Atti del Convegno. Chieti, 13-14 novembre 1997, coll. « Collana del Dipartimento di scienze dell’antichità » 2, Alessandria 1999, p. 177-198). Dans les pages de Didyme le détenteur de l’autorité dans l’Église est presque toujours le sage et l’homme vertueux, non l’évêque (134 M. Zambon, « Chiesa, comunità filosofica e comunità ascetica nella scuola di Didimo il Cieco », AnnSE 29, 2012, p. 73-109, notamment p. 76-82 ; Prinzivalli 105, p. 783-784 ; 135 P. D. Steiger, « Peter and Paul in the Commentaries of Didymus the Blind », dans Baun et alii 23, p. 167-172).

L’activité d’enseignement de Didyme avait un rythme régulier, ou bien en ce sens qu’il assurait, lemme par lemme, le commentaire intégral ou de vastes portions des textes abordés (GenT commente Gn 1, 1-16, 16 ; HiT commente Jb 1, 1 - 16, 2 ; PsT commente Ps 20-44, 4 et s’étendait probablement jusqu’au Ps 50 ; ZaT et EcclT commentaient intégralement ces livres respectifs), ou bien en ce sens qu’il devait avoir une cadence quotidienne (PsT 104, 14 ; 143, 9 ; 151, 28 ; 235, 3-4 ; EcclT 328, 3 ; selon Stefaniw 22, p. 284-288, PsT et EcclT sont des transcriptions sténographiques de leçons qui étaient données deux fois par jour).

PsT et EcclT contiennent également de nombreux problèmes soulevés par les auditeurs qui demandaient au maître de clarifier certains termes, de donner l’inter-prétation allégorique d’un passage, de résoudre des difficultés de compréhension. Ces demandes sont rapportées sous une forme très compactée, mais leur examen peut fournir des indices pour comprendre quelque chose de la culture et des intérêts des auditeurs de Didyme ; voir les remarques de Simonetti 50, p. 387-389, sur le contraste entre le caractère littéraliste que Didyme voulait donner à l’exégèse de l’Ecclésiaste et la volonté, parfois insistante, de la part des auditeurs d’en recevoir l’interprétation allégorique.

815

Théologie

Dieu est simple et, bien que s’y appliquent de nombreux prédicats, il n’y a en lui aucune composition de parties (HiT 279, 25-280, 1 ; 324, 25-30 ; PsT 1, 8-12 ; De Spir. 35). L’insistance de Didyme sur ce point était probablement motivée par son inquiétude devant des représentations anthropomorphiques de Dieu qui circu-laient entre autres, mais pas uniquement, dans des cercles monastiques (PsT 1, 12-15 ; 199, 34-200, 1). Ces représentations étaient fondées sur une lecture littéraliste de l’Écriture, par exemple en rapport avec le fait que l’homme est « à l’image » de Dieu (Gn 1, 26-27). De là vient l’insistance de Didyme sur la nécessité d’inter-préter le langage biblique d’une façon qui « convient à Dieu » (θεοπρεπῶς : PsT 1, 1-12 ; 247, 11 ; GenT 7A, 6 ; 88, 17-89, 3 ; ZaT V 34. 39), reconnaissant l’incor-poréité (ZaT I 198 ; V 32. 35), la transcendance par rapport aux créatures soumises au devenir (PsT 276, 7-10 ; EcclT 333, 18-23), son indépendance par rapport à l’espace et au temps (GenT 135, 14-18 ; 145, 20-28 ; PsT 74, 17-20) ; 136 R. M. Pancerz, « Didimo il Cieco e gli antropomorfismi biblici », dans Kaczmarek et alii 104, p. 751-763 ; 137 D. L. Paulsen, « Early Christian Belief in a Corporeal Deity : Origen and Augustine as Reluctant Witnesses », HThR 83, 1990, p. 105-116.

Dans la mesure où tous les prédicats qui lui reviennent (créateur, bon, juste, sage, etc.) lui appartiennent non comme quelque chose qui s’adjoindrait de l’extérieur, mais par essence, dire de Dieu qu’il est sage revient à dire qu’il est la sagesse, puisqu’il ne participe pas d’une propriété, mais qu’il est ce qui rend participable une propriété pour les créatures (PsT 53, 9-16 ; De Spir. 17-18). Dieu est bon et il est même la bonté subsistante, par conséquent tout ce qui est, parce qu’il participe de Dieu, est bon ; le mal n’a pas de substance (ἀνυπόστατος : HiT 115, 10 ; 220, 34 ; in Ps. fr. 1160 Mühlenberg ; μὴ ὄν : HiT 281, 19-28) et subsiste seulement comme une propriété accidentelle d’un sujet agissant.

Contre Eunome Didyme insiste sur les limites de la connaissance que les créa-tures rationnelles peuvent avoir de Dieu : celle-ci ne coïncide jamais avec la connaissance que Dieu a de lui-même. Les créatures connaissent Dieu selon le mode dont il se manifeste et non pas en lui-même (GenT 1B, 3-4 ; 31, 14-22 ; HiT 106, 23-26) et nous pouvons parler de lui seulement dans un sens impropre (κατα-χρηστικῶς : De Spir. 167). Les prédicats négatifs qui sont appliqués à Dieu, de plus, ne permettent pas une véritable connaissance, car il n’est pas possible d’obte-nir une connaissance positive en partant de prémisses négatives (PsT 51, 3-53, 16 ; HiT 105, 23-32).

Dans sa doctrine trinitaire Didyme défend la doctrine nicéenne de la consub-stantialité des trois personnes (HiT 14, 13 ; 266, 3-8 ; ZaT I 153 ; III 261 ; PsT 148, 5) : leur substance est identique, dès lors qu’est identique leur activité (De Spir. 81), par conséquent toute propriété qui se prédique de Dieu est prédiquée de façon synonymique des trois personnes divines (De Spir. 237 ; 253 ; PsT 53, 9-16). Didyme considère la notion d’οὐσία comme équivalente à celle d’ὑπόστασις (PsT 275, 22-24 ; 277, 14 = in Ps. fr. 393. 396. 939 Mühlenberg), mais – à la différence

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du monarchianisme – il nie que l’unité de substance produise en Dieu également une unité numérique (PsT 135, 13-16).

Sur la christologie de Didyme voir 138 M. Ghattas, Die Christologie Didymos’ des Blinden von Alexandria in den Schriften von Tura. Zur Entwicklung der alexandrinischen Theologie des 4. Jahrhunderts, coll. « Studien zur orientalischen Kirchengeschichte » 7, Münster 2002. Le Fils est volonté et sagesse du Père (GenT 21, 21-27), cosmos intelligible qui englobe les formes de la création (GenT 2A, 7-2B, 11 ; PsT 140, 7-25) et auquel se rapporte une multiplicité de dénominations (ἐπίνοιαι), en raisons des différents modes à travers lesquels il se manifeste aux créatures (GenT 221, 12-18 ; EcclT 233, 25-27 ; HiT 324, 25-30 ; PsT 298, 3-6) : 139 M. Ghattas, « Die ΕΠΙΝΟΙΑ-Lehre bei Origenes und Didymos dem Blinden von Alexandria », dans 140 W. A. Bienert et U. Kühneweg (édit.), Origeniana Septima. Origenes in den Auseinandersetzungen des 4. Jahrhunderts, coll. « Biblio-theca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium » 137, Leuven 1999, p. 525-530.

Didyme a élaboré sa propre christologie principalement dans une confrontation avec les thèses ariennes et apollinaristes : 141 A. Gesché, « L’âme humaine de Jésus dans la christologie du IVe s. Le témoignage du commentaire sur les “Psaumes” découvert à Toura », RHE 54, 1959, p. 385-425, notamment p. 403-406. Pour cette raison il évite d’employer la notion de « participation » pour décrire la relation du Fils avec le Père (PsT 2, 7-13 ; 298, 11-14 ; 305, 12-14) et il insiste sur l’entière humanité du Christ (il préfère parler de l’ἐνανθρώπησις du Fils plutôt que de son ἐνσάρκωσις : HiT 63, 30 ; ZaT I 21 ; EcclT 362, 19 ; PsT 24, 20 ; 45, 4) : Prinzivalli 105, p. 785-787 ; 142 P. C. Bouteneff, « Placing the Christology of Didymus the Blind », dans 143 M. F. Wiles, E. J. Yarnold et P. M. Parvis (édit.), Studia Patristica, XXXVII, Leuven 2001, p. 389-395, notamment p. 390-392 ; Gesché 141, p. 391-393. Dans le Christ la divinité du Fils et son humanité font l’objet d’une mixtion (κρᾶσις cf. Pr 9, 1-2) ; celle-ci produit un sujet unique dans lequel les propriétés des deux natures unifiées sont préservées (CIohT 8, 23-25 ; EcclT 41, 22-24 ; 42, 17-21 ; PsT 11, 24-27 ; 63, 12-19).

Affirmer la pleine humanité du Christ implique-t-il qu’il faut lui attribuer également la mutabilité et la passibilité (Gesché 39, p. 118-221 ; 141, p. 393-395) ? Didyme affronte ce problème en ayant recours à la doctrine stoïcienne de la προ-πάθεια : les passions au sens propre n’appartiennent pas à l’âme humaine du Christ, mais seulement les mouvements préliminaires qui peuvent conduire à la passion. Le mouvement préliminaire appartient intrinsèquement à la nature humaine et il est la réponse immédiate de l’âme à un stimulus qui l’atteint ; en tant que telle il ne comporte pas d’importance éthique, car il ne résulte pas d’un choix (Layton 115, p. 262-265). Le Christ aurait pu pécher (PsT 37, 18-21), mais il n’a jamais consenti à transformer un mouvement préliminaire en une passion (EcclT 221, 2-21 ; PsT 43, 15-25 ; 222, 7-14 ; 282, 1-7) ; pour cette raison, si les Évangiles lui attribuent des passions (peur, colère, désir …), celles-ci doivent être comprises au sens propre comme des stades préliminaires des passions correspondantes et, par

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conséquent, elles ne contredisent pas l’affirmation que le Christ ne connaissait pas le péché (Layton 12, p. 114-134 ; 115, p. 276-281).

Didyme enseignait également la pleine divinité du Saint-Esprit et retenait qu’on ne pouvait en avoir connaissance que grâce à la révélation biblique (De Spir. 3 ; 197). La nature et les propriétés del’Esprit sont identiques à celles du Père et du Fils : il est infini (De Spir. 21), indivisible et impassible (De Spir. 36), éternel et immuable (De Spir. 56). L’Esprit est bien et sanctification non par participation, mais par essence et c’est par participation à Lui que tout autre être est bon et saint (De Spir. 13) : mais tandis que la créature est seulement capable de participer à une propriété déterminée (capax), l’Esprit ne participe à aucune réalité externe à lui-même et il est seulement participable (capabilis : De Spir. 17-19 ; 265-268).

Cosmologie et anthropologie

Le monde a été créé par Dieu par l’intermédiaire du Fils (GenT 2A, 1-7) à partir du non être (PsT 1, 23-2, 2 ; 179, 4-6 ; 282, 24-25) ; il n’y a pas de substrat matériel originaire sur lequel Dieu aurait opéré (GenT 2B, 15-3B, 15 ; 165, 18-27). Ayant Dieu comme cause unique, le monde est beau et ordonné, même dans les parties qui semblent laides (GenT 23, 1-10 ; 50, 5-23 ; 68, 18-22 ; EcclT 87, 10-16) ; pour cette raison il est possible de remonter de la beauté du cosmos à la connaissance du Créateur (cf. Sg 13, 5 ; GenT 91, 28-92, 7 EcclT 88, 29-89, 9 ; 145, 4-12 ; 208, 16-20 ; HiT 241, 15-242, 3 ; 316, 10-317, 1). Si le monde sensible est défini comme « vanité » (ματαιότης) par l’Écriture (Qo 1, 1), c’est seulement par rapport à la beauté supérieure du monde intelligible (EcclT 6, 24-7, 1 ; 8, 17-9, 3 ; 87, 5-10 ; 154, 7-17).

Didyme rejète le fatalisme (GenT 75, 1-25 ; cf. Orig., Philoc. 23), le détermi-nisme astral, l’astrologie et la divination. A la suite d’Origène, il soutenait que les étoiles ne sont pas causes, mais uniquement signes de ce qui arrive dans le cosmos, des signes que l’intellect humain n’est cependant pas en mesure de déchiffrer (GenT 36, 21-37, 6 ; 74, 17-75, 1 ; EcclT 88, 16-21 ; 194, 14-19 ; 213, 8-12). Il s’oppose à ceux qui – comme Épicure et Démocrite – nient la providence (EcclT 201, 16-22), ainsi qu’à la thèse manichéenne selon laquelle les maux dans le monde se produisent non pas avec la permission de Dieu en vue d’une fin bonne, mais par l’action d’une puissance malveillante qui s’oppose à Lui (HiT 23, 18-32 ; 81, 7-16 ; 134, 18-31).

Dans EcclT 90, 18-91, 2 Didyme décrit l’ordre des sept cieux aussi bien d’après le modèle qui place le soleil dans le quatrième ciel, que d’après celui – attribué à Aristote – décrit dans le De mundo (392 a 23-31), qui plaçait le soleil immé-diatement après le ciel de la lune. Au centre du cosmos sensible se trouve la terre et sur la terre la créature la plus importante est l’homme, vu que les plantes et les animaux ont été créés à son service (GenT 42, 4-10 ; 66, 3-13 ; 157, 29-158, 2).

L’âme rationnelle de l’homme a été créée avant le corps ; elle est immortelle et subsiste également sans le corps (HiT 34, 8-18 ; 56, 30-57, 2 ; 70, 15-30 ; 288, 12-

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34), tandis que l’âme des animaux irrationnels subsiste seulement tant que dure son lien avec le corps (GenT 42, 10-15 ; 48, 11-49, 6 ; EcclT 91, 10-16 ; HiT 377, 17-23). La possession de l’âme rationnelle qui permet de distinguer le bien et le mal confère à l’homme le libre arbitre (GenT 20, 7-21, 10) et le rend « conforme à l’image » de Dieu (Gn 1, 26-27 ; 144 G.-H. Baudry, Le péché dit originel, coll. « Théologie historique » 113, Paris 2000, p. 141-142), c’est-à-dire au Fils qui est « l’image du Père » (Col 1, 15).

Dans sa condition présente l’homme est composé d’une âme et d’un corps (GenT 54, 22-24 ; 102, 4-8 ; CIohT 11, 1-5 ; HiT 276, 14-27 ; 346, 26 ; PsT 67, 22-23) : Baudry 144, p. 139-141 ; Gesché 141, p. 400-402. Le fait de posséder un corps lui fait partager la condition des autres animaux, le fait de posséder une âme rationnelle lui fait partager la condition des anges (EcclT 99, 1-4 ; 213, 13-14 ; PsT 143, 19). Didyme utilise tantôt le schéma anthropologique paulinien qui distingue esprit, âme et corps (1 Th 5, 23 ; EcclT 124, 21-28 ; 225, 21-24 ; 357, 27-358, 8), tantôt la distinction platonicienne entre intellect, âme et corps (PsT 15, 8-11 ; 53, 20-54, 1), de même que celle des trois facultés de l’âme : rationnelle, irascible et concupiscible (EcclT 128, 6-10 ; 337, 8-24 ; PsT 142, 22-30).

Fidèle à son hérédité origénienne Didyme a enseigné, en plus de la doctrine de la préexistence de l’âme (qu’il expose amplement en HiT 56, 20-58, 16), celle d’une double création : une première création intelligible et intemporelle (lors du « jour un » : Gn 1, 1-2) est suivie par une création sensible dans le temps (GenT 76, 15-19 ; PsT 234, 18-24).

Au commencement Dieu a créé de purs intellects faits à son image et pour cette raison libres, bons et appelés à progresser vers la similitude parfaite (GenT 58, 16-59, 14). A cause de leur propre faute, ils sont tombés dans la condition d’âmes incorporées et de démons (GenT 45, 3-15 ; 94, 19-95, 1 ; 109, 2-7 ; HiT 2, 5-18). Didyme n’explique pas de façon exacte en quoi a consisté ce péché. A propos du démon (Baudry 144, p. 151-153), il dit que ce dernier a voulu devenir dieu et que cela a causé sa perte (PsT 234, 24-235, 3), même si sa nature est restée bonne (HiT 64, 5-14). De l’âme humaine il affirme qu’elle est unie au corps « par sa propre inclinaison et son propre désir d’union avec les corps » (κατὰ ῥοπὴν ἰδίαν καὶ πόθον), à cause de « sa méchanceté » (δι’ ἰδίαν κακίαν) et à cause de « ses propres erreurs » (δι’ οἰκεῖα σφάλματα ; HiT 56, 24-27 ; 57, 14 ; 58, 2).

A la suite du péché, l’âme subit un affaiblissement dans sa capacité de connaître la vérité (EcclT 33, 22-23 ; 287, 7-11 ; 341, 3-7 ; ZaT II 167-168. 172) et ce n’est qu’à grand peine que cette connaissance peut être retrouvée (GenT 59, 19-24). L’autre conséquence est l’entrée de l’âme dans la sphère de la corporalité (GenT 90, 14-91, 9) : elle reçoit de Dieu un corps qui lui sert d’embarcation pour traverser la mer de la vie (CIohT 10, 38-11, 1 ; EcclT 14, 30-15, 7). Après le péché l’âme vit un exil d’où il lui faut retourner dans sa patrie d’origine (EcclT 72, 10-17 ; PsT 321, 6-7), passant ainsi de la condition d’âme à celle d’intellect (EcclT 78, 5-8).

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A côté des âmes déchues entrent également dans la sphère corporelle des esprits qui n’ont commis aucun péché (les saints et les anges) et partagent la condition cosmique avec la mission de soutenir et de secourir ceux qui sont tombés. Même pour les saints la corporalité est cause de souffrance, mais elle n’est pas une punition (GenT 100, 4-12 ; HiT 58, 1-16 ; PsT 31, 10-12 ; 55, 18-27 ; 194, 9-14 ; 282, 8-17).

La condition de toutes les créatures rationnelles dans le monde est marquée par le péché, mais en deux sens différents : il y a un péché individuel qui est contraire à la vertu, dépend d’un libre choix et est suivi d’une punition ; il y a aussi la condi-tion du péché que tous les hommes héritent de leurs parents et à cause de laquelle « tous sont pécheurs » (Rm 2, 23 ; 5, 12). Didyme compare cette dernière condition à celle d’une contamination involontaire (ῥύπος : HiT 260, 30 ; 261, 16. 23) qui est purifiée par le baptême (HiT 283, 19-25) : 145 B. Bennett, « The Soiling of Sinful Flesh : Primordial Sin, Inherited Corruption and Moral Responsibility in Didymus the Blind and Origen », Adamantius 11, 2005, p. 77-92, notamment p. 87.

La pratique de la vertu, comme celle de tout art, se réalise au moyen d’un apprentissage progressif (EcclT 220, 5-221, 1 ; HiT 73, 8-19 ; 260, 23-262, 2 ; 282, 19-283, 10 ; 365, 2-366, 13) et elle est accessible à toutes les créatures rationnelles, du fait que même dans la condition de l’incorporation elles conservent le libre arbitre. La finalité de ce processus est la réintégration définitive de toutes les créatures en Dieu (PsT 54, 10-20 ; 136, 10-12 reprend la doctrine origénienne de l’apocatastase). Et comme le démon lui aussi est un être raisonnable, il faut au moins considérer la possibilité que lui aussi puisse se convertir au bien et revenir à sa condition originelle (HiT 18, 24-19, 4 ; 404, 20-30 ; GenT 109, 2-7).

Il est difficile de savoir chez Didyme – comme déjà chez Origène – de quelle façon il reliait la création survenue le premier jour (Gn 1, 1) aux deux récits de la création de l’homme (Gn 1, 26-27 et 2, 7) et par conséquent comment il comprenait exactement la condition originelle des créatures et la relation entre la chute qui marque le passage du premier au second jour de la création à celle qui est décrite dans le récit du péché d’Adam et Ève (Gn 3) : Simonetti 83, p. 393-402 ; 146 H. S. Schibli, « Origen, Didymus and the Vehicle of the Soul », dans 147 R. Daly (édit.), Origeniana Quinta. Historica, Text and Method, Biblica, Philosophica, Theolo-gica, Origenism and Later Developments. Papers of the 5th International Origen Congress (Boston College, 14-18 August 1989), coll. « Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium » 105, Leuven 1992, p. 381-391.

Les créatures sont-elles dotées depuis le commencement d’une certaine corpo-ralité qui sera pour cette raison conservée même dans la condition eschatologique – puisqu’elle est le signe de la différence ontologique de la créature par rapport au Créateur (Baudry 144, p. 147-148) – ou doit-on considérer la corporalité comme une conséquence de la condition déchue qui sera totalement supprimée lorsque se produira la réintegration des créatures dans leur état originaire ?

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Selon Henrichs 45, p. 311-314 – dans l’interprétation de Gn 1, 26-27 ; 2, 7 et 3, 21 – Didyme décrirait un processus en trois étapes (GenT 107, 4-8 ; cf. Proc. Gaz., in Gen., PG 87, col. 221) : l’homme créé à l’image (Gn 1, 26-27) correspond aux intellects créés le premier jour ; il est une substance intelligible (νοερὰ οὐσία) et immatérielle (ἄυλον). Après le péché des origines, la créature descend dans « une condition différente » qui rend nécessaire pour elle de posséder un corps comme instrument (GenT 107, 6-7 ; 220, 27). L’Écriture désigne ce corps comme « terrestre » (Gn 2, 7 ; cf. Sg 9, 15) ; il s’agit d’un corps subtil, lumineux. De son côté ce corps agit comme intermédiaire entre la substance intelligible et le corps corruptible fait de chair représenté par les tuniques de peau (Gn 3, 21 ; cf. Jb 10, 11) qu’Adam et Ève ont reçues de Dieu après leur péché (GenT 106, 10-107, 20 ; 118, 12-16 ; HiT 273, 3-33 ; 277, 26-278, 21).

Nautin 44, t. I p. 250-251 et 276-277, et Simonetti 83, p. 394-395, comprennent le passage de façon différente : l’homme à l’image est l’âme rationnelle dont la création survient en même temps que celle du corps subtil, adapté à la vie dans le Paradis, telle que décrite en Gn 2, 7. Il n’y aurait ainsi que deux passages : la création originelle de l’homme, doté d’une âme rationnelle et d’une forme de corporalité subtile (Gn 1, 26-27 ; 2, 7) ; puis l’alourdissement du corps en consé-quence du péché (le péché d’Adam et Ève est le symbole de la chute originaire des créatures) et sa mutation en un corps charnel corruptible (Gn 3, 21).

Didyme distingue parfois entre la création de l’homme intérieur, fait à l’image de Dieu, et la création de l’homme extérieur, doté d’un corps. En pareil cas, le corps formé à partir de la terre de Gn. 2, 7 semble coïncider avec le corps charnel représenté par les tuniques de peau de Gn 3, 21 (p.e. PsT 177, 24-27 ; 282, 17-21 ; cf. Prinzivalli 10, p. 705). Selon ce schéma il est difficile de savoir comment il faut distinguer (s’il faut le distinguer) le péché des origines du péché transmis par voie héréditaire aux descendants d’Adam et d’Ève.

Comment comprendre l’immatérialité (ἄυλον) de l’homme à l’image ? Fait-elle référence à l’âme, incorporelle en elle-même, bien qu’unie dès l’origine à un corps ? Ou bien l’homme créé à l’image possédait-il un corps (vu que même les anges en possèdent un : GenT 153, 19-23), mais de qualité différente aussi bien par rapport au corps terrestre que par rapport au corps charnel, acquis à la suite d’une double chute ? Ou bien encore le terme ἄυλον est-il l’équivalent du terme ἀσώματον et indique-t-il l’état originel de l’homme dans sa parfaite incorporalité ?

Le problème de la condition originelle des créatures rationnelles est liée à la doctrine de la résurrection (cf. PsT 129, 4-15 ; 259, 3-31 ; 328, 23-330, 18), formu-lée par Didyme dans le sillage d’Origène, tout en tenant compte des objections qu’avait soulevée contre elle Méthode d’Olympe (Prinzivalli 9, p. 124-128). Le corps ressuscité serait le même corps de chair que chacun possédait, bien que transformé d’un état corruptible à un état incorruptible, d’un état psychique à un état spirituel (PsT 259, 3-16 ; cf. 1 Co 15, 42-44). Cette transformation n’est ni le passage d’une substance à une autre (γένεσις/φθορά), ni un simple changement

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qualitatif (ἀλλοίωσις) de la même substance corporelle, qui resterait autrement corruptible.

Didyme préfère employer le terme paulinien de « transformation » (ἀλλαγή : 1 Co 15, 51-52 ; PsT 328, 33 - 330, 18). Grâce à quelques exemples (la transfor-mation en verre de la soude et du sable, celle du bambin en homme adulte), il tente de montrer que les propriétés du corps charnel n’appartiennent plus au corps glori-fié, bien qu’il s’agisse toujours du même corps (PsT 71, 11-72, 2).

Dans PsT 129, 4-6 il affirme encore que le corps ressuscitera puisque son modelage (πλάσις) fut antérieur à la chute. Simonetti 83, p. 394-395 e Prinzivalli 10, p. 363 n. 3, suggèrent que le corps qui ressuscitera après la mort du corps charnel (les tuniques de peau de Gn 3, 21) sera le corps terrestre (c’est-à-dire le corps subtil : Gn 2, 7). On ne sait pas toutefois comment cette affirmation s’accorde avec le fait qu’ailleurs Didyme déclare que l’union avec le corps est toujours pénible pour l’âme (HiT 58, 1-16), ce qui pourrait plutôt faire penser que même le corps subtil serait lié à la condition cosmique et qu’il serait le résultat d’une chute.

Dans l’ontologie de Didyme, le positif précède toujours le négatif ; c’est pour-quoi l’âme, avant le péché, devait se trouver dans un état de perfection vers lequel elle est appelée à retourner (PsT 129, 6-9 ; 259, 18-28). Si toutes les créatures commencent leur « vie dans la matière » (ἔνυλον ζωήν) dans une condition de péché, il faut se demander si le statut antérieur de vertu ne devrait pas coïncider avec une « vie incorporelle » (ἀσώματος ζωή), qui serait également la condition finale des créatures sauvées (PsT 129, 9-15 ; 259, 16-31). Il est difficile de savoir si par l’expression « vie incorporelle » Didyme se réfère à la libération du corps charnel – sans pour cela exclure qu’après sa mort l’âme reste liée à un corps plus léger (Prinzivalli 10, p. 633 n. 15) – ou si la formule fait référence à une condition absolument incorporelle.

En PsT 186, 6-12 – dans l’interprétation de 1 Co 15, 3 – Didyme précise que dans la résurrection il y aura des différences entre les bienheureux en raison de leur progrès dans la vertu. Encore une fois, il faut se demander si dans ce passage Didyme décrit la condition finale des créatures ou un état intermédiaire dans lequel celles-ci sont encore en mouvement, en attendant de parvenir à la réintégration finale, dans laquelle « Dieu sera tout en tous » (1 Co 15, 28). Certains passages (PsT 236, 27-28 ; EcclT 349, 11-12) montrent de façon suffisamment claire qu’en réalité il soutenait la doctrine origénienne de l’apocatastase conçue comme le terme d’un long processus qui nécessitait plusieurs cycles cosmiques. On pourrait alors formuler l’hypothèse – mais aucun texte ne soutient de façon explicite cette interprétation – que le corps subtil accompagne l’âme dans son passage d’un éon à un autre et que ce n’est que dans la consumation finale que, redevenue un intellect bienheureux, elle retourne à la condition précosmique de liberté à l’égard du corps.

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Éthique

Encore davantage que dans d’autres domaines, on constate dans la formulation de la doctrine éthique chez Didyme une combinaison de notions platoniciennes, aristotéliciennes et stoïciennes mises au service de l’interprétation de l’Écriture.

La doctrine éthique de Didyme a pour centre le thème du progrès : le cosmos est le lieu d’une éducation (GenT 29, 10-17 ; 39, 12-22 ; 52, 25 - 53, 2), dans laquelle chaque homme est appelé à faire de son mieux, selon ses propres forces et sa propre maturité spirituelle (EcclT 278, 21-279, 1). La pratique de la vertu est en réalité pénible et difficile, du fait qu’à la suite du péché les hommes ont une propension au mal (GenT 104, 5-17 ; ZaT IV 266). Même pour un juste qui possède toutes les vertus il est en réalité possible de retomber dans le vice (GenT 222, 19-25 ; HiT 150, 13-28). C’est là une des raisons pour lesquelles Didyme contestait la doctrine gnostique d’une diversités de natures (GenT 143, 14-144, 7 ; EcclT 343, 9-14 ; PsT 77, 27-78, 6).

La fin à rechercher est l’unification de l’homme en lui-même, avec les autres et avec Dieu (HiT 224, 2-27 ; GenT 28, 11-22 ; EcclT 232, 14-22 ; PsT 43, 4-9), de façon à réaliser le retour vers « la ressemblance avec Dieu » (Gn 1, 26-27 ; PsT 197, 21-25). Didyme décrit cet objectif également dans les termes platonicienss d’une « assimilation à Dieu dans le mesure du possible » (HiT 288, 21-22 ; Plat., Theaet. 176 B) ou bien d’une vie dirigée vers l’intériorité, à l’imitation du mouvement circulaire de l’intellect qui tourne sur lui-même (EcclT 225,13-21 ; In Ps. fr. 963 Mühlenberg).

Interprétant de façon allégorique les trois fils de Noé (GenT p. 165, 7-23), Didyme fait remarquer que ceux-si sont des images d’une conduite conforme à la raison et à la rectitude et par conséquent digne de louange. L’action vertueuse se déroule en vérité en trois étapes principales : tout d’abord il se produit dans l’âme une affection (πάθος... ἐκτύπωσιν) ; dans un deuxième temps se produit une disposition particulière (διάθεσις) ; enfin de là survient l’impulsion à agir de façon vertueuse (ὁρμῆσαι). Didyme ajoute que pour être précis il faudrait distinguer du πάθος une étape préliminaire, celle de la προπάθεια.

Même le juste en réalité (l’exemple parfait est, selon Didyme, Job : HiT 4, 30-5, 16 ; PsT 222, 15-226, 17) est sujet, sous l’action des événements extérieurs, à une réaction involontaire qui donne lieu à un mouvement préludant à une passion. Dès lors cependant qu’il ne consent pas à des passions répréhensibles, il reste libre à l’égard du péché, car la προπάθεια reste en soi moralement sans conséquence (EcclT 206, 21-207, 5 ; 294, 8-22 ; HiT 50, 7-51, 12 ; PsT 33, 23-29 ; 91, 10-17 ; 252, 31-35). Malgré ce fait Didyme parle du mouvement préliminaire des passions toujours en rapport avec des passions dignes de blâme, de sorte que la προπάθεια – même si elle n’est pas répréhensible en elle-même – est à tout le moins le signe de la situation désordonnée dans laquelle l’homme se trouve dans son état actuel (Layton 115, p. 272-273).

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Didyme emprunte à Aristote la définition de la vertu comme une médiété entre deux vices extrêmes (ZaT IV 220 ; V 16 ; EcclT 215, 3-7 ; GenT 234, 18-25) et est d’accord avec lui sur le fait que vertu et vice résultent d’un choix, de sorte que ni les bambins ni les êtres irrationnels ne sont capables d’exercer la vertu (PsT 30, 13-18 ; 93, 21-26 ; EcclT 338, 25-339, 4 ; GenT 1, 25-2, 5 ; HiT 5, 1-7 ; ZaT II 347). En revanche, il soutenait, contre Aristote, que la vertu est l’unique bien véritable de l’homme, alors que les autres choses doivent être considérées comme dépourvues de valeur morale (ἀδιάφορα : EcclT 34, 27 ; 150, 2-9 ; 335, 20-26 ; PsT 248, 6-9).

Même si on utilise de multiples noms pour désigner les vertus (ces noms sont variés comme les vêtements de l’épouse dans le Ps 44, 10 : ZaT III 304 ; V 137), ces vertus sont liées l’une à l’autre et il est légitime de les rassembler dans les deux notions de la vertu éthique et de la vertu dianoétique (EcclT 70, 23-29), qui coïncident avec ce qui est appelé dans l’Écriture « justice » et « vérité » (ZaT I 409 ; II 302 ; PsT 311, 5-7). Cela signifie que la vertu est, en dernière analyse, la connaissance et la pratique du bien : 148 R. A. Layton, « Didymus and Evagrius on Ps. 118 : Bible Study in Fourth-Century Origenism », Adamantius 7, 2001, p. 44-53, notamment p. 50-51.

Chez l’homme réellement vertueux les vertus sont présentes toutes ensemble, tandis que chez l’homme vicieux tous les vices ne peuvent pas se retrouver, du fait qu’ils s’opposent l’un à l’autre (GenT 26, 14-21 ; 169, 22-170, 4 ; HiT 149, 4-22 ; PsT 10, 28-11, 10 ; 89, 22-27 ; 197, 16-19). Pour cette raison si on attribue à un homme vertueux une vertu déterminée, cela ne signifie pas qu’il ne possède que celle-là, mais qu’en lui cette vertu est prédominante par rapport aux autres (GenT 26, 21-26 ; HiT 5, 17-23 ; PsT 186, 21-25).

MARCO ZAMBON.