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Dynamique et résilience d’un champ organisationnel Non publié, draft 1 : avril 2008 Pernin Jean-Louis CRG-IAE Toulouse Université de Toulouse Mail : jean.louis.pernin(at)iut-tarbes.fr Résumé L’analyse de la résilience d’un champ organisationnel est largement sous étudiée. Nous proposons un modèle de la dynamique d’un champ qui conduit à étudier sa capacité à se maintenir tout en intégrant des désordres endogènes et exogènes. Pour cela nous reprenons dans un premier temps l’approche en termes de réalisme critique développée par Leca et Naccache. Nous en tirons des conclusions sur la conceptualisation d’une organisation en tant que hiérarchie de logiques institutionnelles et sur la possibilité d’envisager des changements institutionnels gradués. Dans un second temps nous proposons un modèle de dynamique d’un champ organisationnel. Ce modèle débouche sur la mise en lumière de diverses sources d’incohérences. La dynamique d’un champ est perçue en tant que mise en cohérence entre trois dimensions : une dimension liée aux rapports de pouvoir, une dimension identitaire et une dimension technico-économique. Ces trois dimensions sont dotées d’une relative autonomie et sont en constante interrelations. Associée à la dimension technico-économique nous dégageons une nouvelle forme de légitimité : la légitimité managériale. Mots clés : résilience, dynamique, champ organisationnel, changement institutionnel, entrepreneur institutionnel

Dynamique et résilience d’un champ organisationnel (draft, 2008)

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Dynamique et résilience d’un champ organisationnel

Non publié, draft 1 : avril 2008

Pernin Jean-LouisCRG-IAE ToulouseUniversité de Toulouse

Mail : jean.louis.pernin(at)iut-tarbes.fr

RésuméL’analyse de la résilience d’un champ organisationnel est largement sous étudiée. Nous proposons un modèle de la dynamique d’un champ qui conduit à étudier sa capacité à se maintenir tout en intégrant des désordres endogènes et exogènes. Pour cela nous reprenons dans un premier temps l’approche en termes de réalisme critique développée par Leca et Naccache. Nous en tirons des conclusions sur la conceptualisation d’une organisation en tant que hiérarchie de logiques institutionnelles et sur la possibilité d’envisager des changements institutionnels gradués. Dans un second temps nous proposons un modèle de dynamique d’un champ organisationnel. Ce modèle débouche sur la mise en lumière de diverses sources d’incohérences. La dynamique d’un champ est perçue en tant que mise en cohérence entre trois dimensions : une dimension liée aux rapports de pouvoir, une dimension identitaire et une dimension technico-économique. Ces trois dimensions sont dotées d’une relative autonomie et sont en constante interrelations. Associée à la dimension technico-économique nous dégageons une nouvelle forme de légitimité : la légitimité managériale.

Mots clés : résilience, dynamique, champ organisationnel, changement institutionnel, entrepreneur institutionnel

Le changement institutionnel est au cœur des approches d’un courant récent, connu sous

l’appellation d’ « Institutional Entrepreneurship » (désormais IE). Ce courant très vivace

depuis une quinzaine d’année s’est construit sur la base d’une critique déterministe, voire

holiste, de l’approche institutionnelle classique. L’article de DiMaggio et Powell (1983) qui

interrogea sur le rôle de l’agence dans le courant institutionaliste peut être considéré comme

l’origine de ce courant. Depuis, de nombreuses contributions ont traité des actions entreprises

par des « entrepreneurs institutionnels » en vue de modifier ou de créer de nouveaux

arrangements institutionnels. Ces diverses approches traitant du changement institutionnel

partent de l’hypothèse d’une crise que l’arrangement institutionnel pré-existant ne peut

résoudre. Dans les analyses institutionnelles cette crise fut souvent traitée en tant que « jolt »

(Oliver, 1992, Munir, 2005, Moyon et Lecocq, 2007), choc le plus souvent externe au champ

organisationnel (ou à l’organisation) et qui justifie la mise en marche du changement1. Dans le

modèle dialectique de Seo et Creed (2002) il ne s’agit pas de jolts mais de sources de

contradictions institutionnelles qui conduisent au changement. Cependant leur modèle ne

repose pas sur l’analyse du fonctionnement d’un champ. Les quatre sources en question

restent donc génériques sans lien direct avec l’analyse de la dynamique d’un champ. Comme

le soulignent Suddaby et Greenwood (2005) l’analyse des contradictions internes à un champ

sont peu étudiées : « The conditions that favor institutional entrepreneurship are frequently

linked with exogenous “jolts” (...). A complementary and less explored perspective focuses on

ambiguities or contradictions within field-level institutions” (ibid. p.38).

Or traiter du changement institutionnel nécessite, en amont, de s’interroger sur la capacité

d’un champ organisationnel à intégrer un désordre externe ou interne tout en maintenant sa

forme institutionnelle et les organisations qui la portent. Ceci rejoint la position de Tsoukas et

Chia (2002) pour lesquels bien que l’organisation doive répondre à des causalités exogènes, la

manière dont elles y répondent dépend de conditions endogènes (p 578). Ce faisant, l’analyse

doit porter sur le maintien institutionnel qui selon Lawrence et Suddaby (2006) est largement 1 Le travail de Munir (2005) sur l’apparition du numérique dans l’industrie photographique montre que Kodak sous-estima largement ce jolt, cet événement. Ceci eu pour conséquence un retard de la part de cette entreprise dans les investissements nécessaires afin de prendre ce virage technologique. Cependant, le travail de Munir nous semble devoir être approfondi en traitant des raisons pour lesquelles Kodak sous-estima cet événement. L’identité de cette entreprise, composée depuis son origine par des ingénieurs chimistes, n’est-elle pas un facteur explicatif ? Les « marquages », chocs vécus par Kodak lors de son histoire, notamment le rejet de deux inventeurs qui proposèrent leurs produits et qui, suite à cette fin de non recevoir de la part de Kodak, créèrent respectivement Xerox et Polaroid, ne témoignent-ils pas d’une certaine fermeture de l’entreprise sur elle-même, permettant d’anticiper sa relative myopie à l’égard d’événements externes ? Ces brèves remarques invitent les chercheurs à intégrer l’identité en tant que facteur explicatif (et prospectif) sur l’analyse des capacités d’une organisation à percevoir l’arrivée d’un jolt et renvoi à la nécessité d’un travail de modélisation du fonctionnement d’un champ institutionnel ou d’une organisation.

2

sous étudiée. Il s’agit plus précisément de focaliser l’analyse sur le fonctionnement d’un

champ organisationnel, afin d’en repérer les dynamiques, les cohérences et incohérences en

vu de statuer sur les sources de ruptures ainsi que sur les capacités de maintien. Précisons que

sans analyse des sources endogènes du changement il semble impossible de mener des

analyses prospectives sur ce changement. Or, si la recherche en Sciences de Gestion se doit de

fournir des outils en termes de diagnostic et de prospective, il semble nécessaire non

seulement de fournir des modes d’explication du changement mais aussi des outils de

prévention et d’anticipation de ces changements.

Cette recherche est complémentaire des travaux déjà entrepris dans le cadre de la théorie de

l’IE mais aussi de certains courants hétérodoxes français (économie des conventions et théorie

de la régulation) et, plus généralement d’une approche en termes de systèmes complexes

(Maguire et al., 2006). Nous sommes, du reste, en accord avec Moyon et Lecocq (2007, p.3)

qui soutiennent que l’héroïsation de l’IE «conduit souvent à faire abstraction des autres forces

du champ» aboutissant « à une vision limitée ne reflétant pas la complexité du processus» car

négligeant les interactions entre les deux niveaux d’analyses que sont le champ et l’acteur. Un

modèle de la dynamique d’un champ semble donc être un préalable à une analyse (plus)

complexe du changement institutionnel au sein d’un champ.

Pour élaborer un tel modèle il convient tout d’abord d’en poser les fondements. Ce faisant

nous aborderons une question de fond : le paradoxe structure-agence. En effet, le courant de

l’IE est directement confronté à ce paradoxe (Holm, 1995). Pour cela nous reprendrons

l’approche en termes de réalisme critique développée par Leca et Naccache (2006) et nous

tenterons d’en tirer quelques conclusions sur les notions d’auto-organisation et de résilience

d’un champ (Section I). La section II sera dédiée à un modèle de dynamique d’un champ

organisationnel. Ce modèle débouchera sur la mise en lumière des sources d’incohérences

institutionnelles au sein d’un champ. Le maintien d’un champ sera perçu en tant que

dynamique de mise en cohérence entre trois dimensions : une dimension liée aux rapports de

pouvoir, une dimension psycho-socio-cognitive (ou identitaire) et une dimension technico-

économique. L’hypothèse sous jacente est que toute forme institutionnelle est composée de

ces trois dimensions, dimensions qui sont dotées d’une relative autonomie et qui sont en

constante interrelations. Notons d’ores et déjà que cette conception a un impact sur les

composantes de la légitimité, concept central dans les analyses institutionnelles. En effet, le

concept de légitimité définie par Suchman (1995, 574) comme « a generalized perception or

3

assumption that the actions of an entity are desirable, proper, or appropriate within some

socially constructed systems of norms, values, beliefs, and definitions”, est généralement

perçue comme composée de deux dimensions (Delemarle, 2007, pp.57-58) :

- une dimension cognitive définie comme une connaissance « about the new activity and what

is needed to succes in an industry (Aldrich, Fiol, 1994, p. 648) ». Cette dimension correspond

à une vision compréhensive du monde et de l’institution dans ce monde. Développer cette

légitimité renvoie, par exemple, à intégrer les nouvelles pratiques au sein des systèmes de

normes et valeurs existantes, ou à resituer le problème du changement au sein d’un cadre

idéologique ; et

- une dimension socio-politique qui renvoie à « the value placed on an activity by cultural

norms and political authorities (Aldrich et Fiol, 1994, p. 648). Cette dimension comprend les

éléments de régulation (législations, standards) et les normes sociales. Développer cette

légitimité revient, par exemple, à s’assurer du soutien d’autorités publiques, à développer de

nouvelles coalitions autour de nouvelles identités, ou à créer de nouveaux instruments de

mesure proches de ceux en vigueur dans le champ institutionnel (Déjean et al., 2004).

Notre conception induit une troisième dimension de la légitimité : une dimension technico-

économique davantage associée à la capacité d’améliorer l’efficience de la forme

institutionnelle. Il s’agit donc d’une légitimité « managériale » qui permet à la forme

institutionnelle de se diffuser en exploitant l’ensemble des sources de rendements croissants

d’adoption (Arthur, 1989) que cette forme peut espérer exploiter. Le concept de rendements

croissants d’adoption sera central dans l’étude de la dimension technico-économique d’une

forme institutionnelle. Ceci permettra de « suivre à la trace » la dynamique d’une telle forme.

I LES BASES D’UN MODÉLE SUR LE CHANGEMENT INSTITUTIONNEL

I.1 ELÉMENTS DE LITTÉRATURE SUR LE CHANGEMENT INSTITUTIONNEL

Parmi les dernières tentatives de synthèse sur le changement institutionnel figure celle

d’Hargrave et Van De Ven (2006). Ces auteurs proposent une convergence entre  « the

technology innovation management and social movements literatures ». Le projet théorique

d’Hargrave et de Van de Ven est d’associer ces deux courants afin de permettre une synthèse

sur le changement institutionnel. Ce faisant ils sont en accord avec Dacin, Goodstein et Scott

(2002) lorsque ceux-ci affirment que « The recent confluence of work on organizations and

social movments is a promising development giving rise to the possibility of a general

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framework for examining the dynamics of change that incorporates both etablished and

emergent organizations and power processes » (Dacin et all., 2002, p. 51). L’objectif initial

d’Hargrave et Van de Ven était de produire une « process theory that explain the temporal

order and sequence of events based on a story or historical narrative.  This explanation should

identify the generative mechanisms that cause observed events to happen and the particular

circumstancies behind these causa mechanisms” (p. 866). Pour ce faire, ils juxtaposent quatre

modèles institutionnels tirés de la littérature et sensés représenter, respectivement, les phases

d’émergence, d’implantation et de diffusion d’une institution. Cependant, ces modèles

théoriques ont des présupposés qui semblent parfois éloignés les uns des autres. En effet les

modèles de l’ « institutional design » et de la « collective action » sont constructivistes dans le

sens où les acteurs ont une capacité de structuration de l’environnement. Ils sont créateurs,

entrepreneurs, actifs. Alors que les modèles de l’ « institutional diffusion » et de

l’ « institutional adaptation » ne traitent que d’adaptation et de reproduction. Le saut théorique

entre ces deux types de modèles ne semble pas être uniquement lié aux diverses phases de

développement d’une institution. Il procède aussi d’un saut qualitatif du point de vue de la

conceptualisation des organisations. Comment penser que dans sa phase de développement

une organisation répond seulement à des stimuli de ses environnements alors qu’auparavant

elle était structurante de ces mêmes environnements. Une synthèse ne peut être réalisée sur

cette base. C’est un modèle général de la dynamique organisationnelle qui permettra une

synthèse. Cette dernière doit tout autant intégrer les problématiques d’adaptation que celles

concernant la structuration des environnements, quelque soit les phases étudiées. Selon nous,

un tel modèle doit avant tout reposer sur une théorie de l’acteur. Un tel modèle s’inscrit dans

un paradigme constructiviste et complexe (Morin, 1980, Le Moigne, 1990, Maguire, 2006)

dans lequel l’organisation est dotée d’une mémoire, d’une histoire, d’une identité, d’une

rationalité tant stratégique que sociologique. Concevoir un tel modèle ne peut se faire sans en

poser, initialement, les fondements. Ceci revient à traiter du statut du réel et, indirectement à

aborder le paradoxe de la structure et de l’agence.

I.2 BASES DU MODÈLE

Traiter de front le paradoxe structure-agence fut l’objectif de l’article de Leca et Naccache :

“to overcome the paradox of institutionally embbeded agency” (ibid, p. 635). Il s’agissait,

pour ces auteurs, de produire un modèle qui ne soit pas “conflating » c’est à dire qui ne

réduise pas la structure à l’action et l’action à la structure. Pour cela Leca et Naccache, en

suivant Archer (1982), critiquent, dans un premier temps les approches de l’IE, notamment

5

celles de Barley et Tolbert (1997), de Seo, Creed (2002) et Dorado (2005). La critique porte

sur le fait que les « institutional entrepreneurs » ne peuvent développer des actions qu’en

dehors des cadres de références institutionnels existants. Dans ces modèles il doit y avoir une

crise que les arrangements institutionnels existants ne peuvent résoudre et qui constituent

autant d’occasions d’entreprendre pour les « institutionals entrepreneurs ». Ces derniers sont

conceptualisés comme étant capable de se « disemdeb themselves from existing institutional

arrangements in order to create new institutions or change existing ones » (ibid, p. 628). La

critique porte sur le fait que ces modèles ne permettent pas de considérer, en même temps, les

interrelations entre structure et action. Plus fondamentalement, la critique porte sur l’absence

de fondements ontologiques de l’approche en termes d’IE. Pour pallier cela les auteurs

proposent une approche en termes de réalisme critique. Ce faisant, Leca et Naccache se

rapprochent de l’analyse du courant français de l’économie des conventions en rapprochant

les travaux de Boltsanki, Thévenot (1991) à celle des logiques institutionnelles qui sont, dans

cette approche les  « facteurs causaux finaux » que l’analyse doit mettre à jour. Une telle

« archéologie institutionnelle » doit alors, pour le chercheur, passer outre la simple analyse

des discours des acteurs pour en interpréter le sens et plus précisément, pour en faire ressortir

les justifications finales, les références en termes de bien commun2.

L’approche du réalisme critique considère trois niveaux de « réalité » dotées chacune de

propriétés émergentes et d’une relative autonomie : le niveau de l’empirique perçu comme

celui de l’expérimentation d’événements par les acteurs (sensation, impressions, perception de

la réalité), celui du présent conçu comme celui des évènements perçus ou non par les acteurs

(Bhashar, 1978) et celui du réel correspondant aux logiques institutionnelles qui « consists of

the structures and causals powers that generate events » (ibid, p. 630). Cette architecture du

réel permet à Leca et Naccache d’accorder un statut ontologique différent aux institutions par

rapport aux logiques institutionnelles : les logiques institutionnelles sont de l’ordre du réel

alors que les institutions sont de l’ordre du présent et les expériences de l’ordre de

l’empirique.

Tableau 1 : Un modèle hiérarchisé de l’analyse institutionnelle

Domaine du réel Domaine du présent Domaine de

2 Notons que les analyses de Boltanski et Thévenot se limitent à un seul type de relations entre acteurs  : celles dans lesquelles les relations de pouvoir sont assez faibles pour nécessiter une justification de l’action. Autrement dit, il manque une analyse déductive qui permette de dresser un tableau de ces logiques institutionnelles, structures du social, quelque soit les formes de pouvoir qui s’exercent entre les acteurs.

6

l’empiriqueLogiques institutionnelles

V

Institutions V VExpériences V V VSource : Leca, Naccache, 2006

Une telle conception du réel a un impact sur le statut ontologique des organisations ainsi que

sur le changement institutionnel. Une organisation doit alors être perçue comme composée de

logiques institutionnelles et des institutions qui les « équipent ». Ces logiques et institutions

n’existent, du reste, que dans leur actualisation lors de situations ou à l’état virtuel dans la

mémoire des acteurs (individuels ou collectifs). Il convient cependant d’aller plus loin dans la

conceptualisation. Les travaux portant sur les logiques institutionnelles en reste souvent à

l’analyse de la compétition entre deux logiques. Lounsbury (2007) identifie deux logiques

dans l’histoire des fonds de pension, une logique fondée sur la confiance et une autre fondée

sur la performance, et examine la diffusion de la seconde au détriment de la première.

Thornton (2002), de son côté, analyse l’évolution des logiques au sein de l’activité éditoriale

avec le développement d’une logique de marché au détriment d’une logique professionnelle

fondée sur les relations entre éditeurs et auteurs. A chaque logique est rattachée une norme

d’évaluation spécifique. Ainsi dans le travail de Lounsbury (2007) deux normes d’évaluation

peuvent être repérées : à la logique fondée sur la confiance est associée une norme fondée sur

la minimisation des coûts de gestion alors que la logique de performance est fondée sur les

retours sur investissement à court terme (p. 290-291). Malgré l’intérêt de ces travaux le

changement institutionnel réside dans l’éviction d’une logique par une autre sans concevoir de

changements plus progressifs. Ainsi selon Rao, Monin et Durand (2003) « le changement

institutionnel peut résider dans a) la formation d’une nouvelle institution ou l’émergence

d’une nouvelle logique ou structure de gouvernance b) la désinstitutionalisation ou la

dissolution d’une logique existante ou structure de gouvernance et c) le reinstitutionalisation

où une logique existante ou une structure de gouvernance existante est remplacée par une

nouvelle logique ou une nouvelle structure de gouvernance (Scott, 2001) » (p796).

Il nous semble que l’analyse mériterait d’être approfondie afin d’en tirer toutes les

conséquences en ce qui concerne le changement institutionnel. Le premier point de cet

approfondissement réside dans l’analyse de l’articulation entre les niveaux d’organisation. Si

une organisation est composée de logiques institutionnelles elle ne peut qu’intégrer les

logiques institutionnelles des niveaux organisationnels supérieurs dont elle fait partie. Une

7

analyse se doit, en référence aux approches en termes de système complexe, de considérer le

système étudié en lien avec le système englobant et les systèmes englobés. Si le réel est

composé de logiques institutionnelles alors ces niveaux organisationnels s’articulent autour de

leurs logiques avec une hiérarchisation entre elles. Une organisation de niveau N doit intégrer

les logiques de l’organisation englobante et impose ses logiques à ses propres sous parties

(Friedland et Alford, 1991). Par ailleurs, une organisation ou un champ peuvent être

composés de plusieurs logiques institutionnelles qui correspondent chacune à des finalités

hiérarchisées. Dans l’approche de Boltanski et Thévenot (1991) les mondes idéaux-typiques

sont des structures élémentaires du social, des logiques institutionnelles, dont l’agencement

permet la réalisation d’un compromis en vue de stabiliser une forme sociale. L’accord est un

construit basé sur une association de plusieurs logiques institutionnelles. A cela nous

rajoutons un postulat sur la hiérarchie entre ces logiques3. Nous concevons donc une

organisation comme une succession de situations dans lesquelles s’actualise, s’interprète, se

modifie, une hiérarchie de logiques institutionnelles. La première de ces logiques est celle qui

correspond au niveau organisationnel supérieur (Pernin, 1998). Un changement institutionnel

ne conduit donc pas forcement « l’institutional entrepreneur » à se désencaster d’un contexte

institutionnel. Il peut simplement résider dans le rajout d’une logique institutionnelle au sein

d’un ordre institutionnel donné (intégrer une logique en termes de développement durable par

exemple) ou bien il peut résider dans la modification de l’ordre des logiques institutionnelles

de l’organisation. Ceci permet d’envisager la possibilité de changements institutionnels

gradués. Un changement plus radical au sein d’une organisation provient de la modification

de la logique institutionnelle de premier ordre, celle qui joue le rôle d’attracteur de

l’organisation.

Le deuxième approfondissement réside dans le postulat selon lequel il existe un stock de

logiques institutionnelles. Ce stock réside dans la mémoire individuelle et collective et peut

être modifié du fait de la créativité des acteurs, notamment dans la constitution de nouvelles

combinaisons hiérarchisées de logiques. Traiter d’un tel stock renvoi à son identification et

donc à une théorie générale de l’action d’un point de vue synchronique. Il s’agit en effet de

dresser un tableau des structures élémentaires du social en caractérisant chaque situation

idéal-typique à laquelle une logique institutionnelle peut être associée et ceci en fonction des

divers niveaux d’analyse. 3 Rappelons qu’en se positionnant sur une démarche constructiviste nous ne faisons que modéliser la modélisation des « profanes ». La réfutabilité, le pouvoir explicatif et la généralité sont les critères d’évaluation de cette modélisation.

8

I.3 LA RÉSILIENCE D’UN CHAMP

Concevoir l’organisation en tant que hiérarchie de logiques conduit à certaines réflexions sur

le concept de résilience. La définition du concept de résilience fut l’objet de nombreux débats

(Klein et al., 2002) et varie selon les disciplines et les niveaux d’analyse (Sutcliffe et Vogus,

2003). La résilience est généralement perçue comme la capacité d’une organisation à « se

remettre » d’un événement créateur de vulnérabilité et qui nécessite une réponse inhabituelle

(Lengnick-Hall et Beck, 2003, p2). L’organisation résiliente est apte à absorber un choc tout

en conservant sa morphologie (la structure de ses sous niveaux organisationnels) et sa

hiérarchie de logiques institutionnelles. La question qui se pose est alors de différencier les

degrés de changement. Le concept de résilience interroge celui d’auto-organisation largement

développée dans les approches complexes. L’auto-organisation est définie comme la

possibilité pour un système d’acquérir des propriétés nouvelles en modifiant lui-même son

organisation (Lesourne, 1985). Ce processus peut concerner soit la hiérarchie des logiques

institutionnelles d’une organisation, soit la structure des sous niveaux organisationnels de

cette organisation.

Tableau 2 : Résilience et auto-organisation

Maintien de la hiérarchie des

logiques institutionnelles

Changement de la hiérarchie

des logiques institutionnelles

Maintien de la structure des

sous niveaux organisationnels

Résilience Auto-organisation

Changement de la structure

des sous niveaux

organisationnels

Auto-organisation Rupture

Dans le cas de la rupture, l’organisation change radicalement que ce soit sur ses finalités

(hiérarchies de logiques) ou sur sa morphologie.

Un exemple de résilience versus auto-organisation dans le champ de l’agriculture biologique

permettra d’illustrer cette différence. Avant cela définissons le concept de champ

organisationnel. Un champ organisationnel est un espace régulé, un espace où se crée des

institutions, où des significations sont partagées entre les membres qui y participent en

9

fonction d’une finalité productive. La nature des organisations participantes est variable selon

leurs statuts, place et rôle dans le système. « By Organizational Field, we mean those

organizations that, in the aggregate, constitute a recognized area of institutional life : key

suppliers, resource and product consumers, regulatory agencies, and other organizations that

produce similar services or products » (DiMaggio, Powell, 1983, p. 148). « The notion of

field connotes the existence of a community of organizations that partakes of a common

meaning system and whose participants interact more frequently and fatefully with one

another than with actors outside of the field » (Scott, 2001, p. 95). Font partie du champ

organisationnel tous les actants qui participent à sa diffusion, sa reproduction et sa

transformation (Hoffman, 1999).

Le cas de l’agriculture biologique est très intéressant pour illustrer les différences entre les

concepts de résilience et d’auto-organisation. En effet, suite à l’introduction d’une

réglementation européenne en 1991, l’agriculture biologique en France a connu une complète

réorganisation de son champ alors qu’en Allemagne cette réglementation n’a eu aucun impact

sur la morphologie du champ (Pernin, 1994, 1998). Plus précisément, les organisations

dominantes en France furent évincées et remplacées par d’autres. C’est notamment le cas de

Nature et Progrès qui était l’organisation dominante du champ jusqu’en 1991. En Allemagne

les organisations dominantes ont naturellement intégré la réglementation européenne et ont

conservé leur rôle et place dans le champ. La résilience du champ Allemand (et de ses

organisations dominantes) a pu être interprétée comme issue d’une cohérence entre ses

dimensions identitaire et technico-économique, cette cohérence permettant un haut niveau de

légitimité des organisations dominantes (ibid.). A l’inverse, l’incohérence entre ces deux

dimensions en France a généré un faible niveau de légitimité des organisations telles que

Nature et Progrès aux yeux des agriculteurs. La réglementation de 1991 fut le « jolt » qui mit

en relief ces incohérences et qui conduisit au processus de dé-re organisation du champ.

La résilience comme l’auto-organisation d’un champ organisationnel font partie d’une

problématique plus globale sur la dynamique d’un champ. C’est la raison pour laquelle il est

nécessaire de modéliser cette dynamique afin de pouvoir statuer sur les sources de

changement et sur les capacités de résilience.

2 DYNAMIQUE D’UN CHAMP ET SOURCES DU CHANGEMENT

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Selon Scott (2001) une logique institutionnelle admet trois dimensions : une dimension

régulative qui renvoie aux sanctions légales qui contraignent les comportements des acteurs,

une dimension normative associée à la pression sociale et une dimension culturo-cognitif

perçue comme un ensemble d'habitudes de pensée et de raisonnement qui conditionnent un

certain type de comportement. Ces trois dimensions se retrouvent dans les deux dimensions

de la légitimité telles qu’elles ont été présentées plus haut : la dimension cognitive et la

dimension socio-politique. Cette dernière comprend à la fois une composante régulative

(législations, normes, standards) et normative.

Cette approche est caractéristique de préoccupations sociologiques dans lesquelles les

mécanismes technico-économiques sont absents. Traiter de la dynamique d’un champ

nécessite pourtant d’intégrer de tels processus. Le modèle que nous souhaitons développer se

base sur trois dimensions d’un champ organisationnel : les rapports de pouvoir, la dimension

identitaire et la dimension technico-économique. Cette dernière agira comme un moteur du

développement de l’organisation ; un moteur qui fait l’objet de stratégies d’acteurs et qui

détermine, en partie, la localisation des ressources rares (Pfeiffer et Salancik, 1978) dans le

champ. Cette partie examinera tour à tour les trois dimensions évoquées et leurs relations.

Chaque dimension sera dotée de ses propres dynamiques dans la mesure où elle dispose d’un

caractère auto-renforçant. Ce caractère fait référence aux mécanismes récursifs qui sont au

cœur d’une approche par la complexité.

2.1 RAPPORT DE POUVOIR

Hargrave et Van De Ven (2006), dans leur panorama des modèles institutionnels, insistent sur

la sous théorisation des concepts de conflit et de pouvoir : « these concepts continue to be

under-theorized by institutionalists and deserve a central place on the institutional research

agenda » (p879). “In sum, theories of institutional change would benefit from a recognition

that conflict, power, and politics both shape and are shaped by institutions” (p. 880). Ils

rejoignent ainsi la position de Fligstein (1997) et de bien d’autres. Intégrer pleinement le

pouvoir dans la théorie signifie reconnaître avant tout sa place en tant que facteur structurant

du réel. Les diverses situations d’actions doivent pouvoir être caractérisées en fonction des

rapports de pouvoir qui les sous-tendent. Le pouvoir, selon Friedberg (1997, p. 134),

correspond à la capacité d’un acteur à restreindre l’univers des comportements probables de

l’autre. Cette « capacité des uns et des autres à définir les termes de l’échange est limitée par

11

la nécessité de maintenir les partenaires dans le jeu, donc de proposer des règles qui soient

acceptables pour eux » (Friedberg, 2003, p.260) ou qu’ils ne peuvent pas refuser, pourrions

nous compléter. La probabilité qu’un acteur entre ou sorte d’une relation (ou d’une

institution) dépend d’un calcul en termes de coût/bénéfice, coût/bénéfice de l’entrée ou d’exit

(Hirschman 1970). Notons que le bénéfice de l’entrée peut, dans certains cas, être associé au

souhait de ne pas subir un coût de non entrée. Ces coûts/bénéfices peuvent être de diverses

natures (physiologique, psychologique, sociologique ou économique) et ces dernières ne sont

pas exclusives les unes des autres.

Une catégorisation des rapports de pouvoir fut produite par F. Perroux (1973) et plus

récemment par Turner (2005). Quatre rapports de pouvoir peuvent être identifiés renvoyant à

des formes de l’action et à un découpage du réel en concepts.

1 L’action d’influence (Perroux, 1973) ou de persuation (Turner, 2005) : « l’acteur A modifie,

sans l’y obliger, le comportement de l’acteur B ; il suscite l’adhésion à ses propres valeurs, il

provoque l’imitation de ses attitudes et de ses comportements » (Perroux, op. cit., p.31). Le

coût d’exit de la relation est très faible. Ceci correspond au concept de marché.

2 L’action d’organisation (Pernin, 1994) : A propose les règles du jeu dans lesquelles B peut

agir mais B peut également agir pour modifier ces règles du jeu. B peut négocier son entrée

ou son maintien dans le jeu. Le pouvoir provient de la capacité à représenter l’intérêt collectif

au sein de l’organisation ; les contre-pouvoirs sont importants car les acteurs dominés peuvent

sortir de l’organisation sans remettre en cause leur existence. Le concept de réseau est

généralement associé à ce niveau de rapport de pouvoir.

3 L’action d’imposition (Perroux, 1973) ou d’authority (Turner, op. cit.) : « A contraint B à

agir ou à s’abstenir par l’usage de la force ou de la violence ou par une menace de l’une ou de

l’autre » (Perroux, op. cit. p. 31). Les acteurs dominés peuvent difficilement sortir de la

relation. Ceci correspond au concept de quasi-intégration ou de firme-réseau. Les

coopératives agricoles en sont un exemple, le rapport salarial dans certaines entreprises ou le

degré de capture des consommateurs dans certains secteurs.

4 L’action de subordination (Perroux, 1973) ou de « coercion » (Turner, 2005, p. 7) : « par

convention, subordination implique la durée de l’action coercitive ou de la possibilité de cette

12

action, de A sur B. C’est le domaine de l’emprise de structure » (Perroux, op. cit., p. 32). Le

pouvoir provient de l’appartenance de l’entité par une autre. Cela conduit au concept de

groupe d’entreprises, publique ou privée, ou d’esclavage dans le cadre du rapport salarial ….

Le concept de champ organisationnel n’intègre pas, dans sa définition, les rapports de

pouvoir. Il concerne avant tout l’identification d’un niveau d’analyse, le niveau méso-

économique. Caractériser un champ en fonction des rapports de pouvoir revient à identifier

les types d’organisations qui le composent et leurs relations, donc à traiter de la morphologie

du champ. Le champ est-il principalement composé de groupes d’entreprises, de formes en

quasi-intégration, de réseaux ? Quels sont les acteurs qui exercent des influences dominantes

dans la dynamique du champ ?

Une théorie du pouvoir doit également participer à l’analyse des dynamiques d’un champ. A ce

niveau ce sont les sources du pouvoir et leur évolution qui sont mobilisées. Les sources du

pouvoir renvoient aux ressources rares détenues par chacun dans un contexte d’action (Pfeiffer,

Salancik, 1978). Bien sûr, ces ressources ne tirent leur pertinence que par rapport aux objectifs

de l’action collective. Il faut noter la différence entre la légitimité dont dispose un acteur

dominant, légitimité provenant de la détention de ressources rares, et l’exercice effectif du

pouvoir. Une forte légitimité ne conduit pas forcément à un exercice du pouvoir au même

niveau. Ceci peut rejoindre les analyses sur les formes douces de la domination dans les

entreprises (Courpasson, 2000). Inversement, un exercice du pouvoir peut être réalisé de façon

plus forte que ne l’y autorise sa légitimité. Ce peut être le cas lorsque les dirigeants d’une

entreprise n’ont pas conscience des contre-pouvoirs de certains de leurs subordonnés ou de

certains de leurs sous-traitants. Cette déconnexion est une première source de changement

institutionnel. Les nombreuses scissions au sein d’une organisation de l’agriculture biologique

en France (l’entreprise Lemaire Boucher) ont pu être interprétées à l’aide de cette déconnexion

(Pernin, 1998).

La dimension rapports de pouvoir dispose de ses propres dynamiques dans la mesure où elle

intègre un mécanisme d’auto-renforcement. Le contrôle des ressources rares légitime l’exercice

d’un pouvoir qui permet de renforcer la maîtrise de ces ressources rares (maîtrise des canaux

informationnels par exemple). La reproduction du pouvoir raconte comment la détention des

ressources rares permet à celui qui les détient de s’assurer la reproduction de cette détention.

Bien sûr, un changement de position dominante peut toujours s’opérer dans un champ,

13

notamment lors d’un changement concernant la nature des ressources rares et en admettant que

l’acteur dominant n’a pas correctement anticipé cette évolution.

2.2 L’IDENTITÉ

D’UN CHAMP ORGANISATIONNEL

Les courants sociologiques ont largement développés le thème de la culture et du sens attaché

à une institution4. Les travaux sur la thèse de l’ultimatum (Henrich et all., 2001) ont montré

clairement la défaillance de l’homo economicus et la nécessité de la prise en compte de la

culture, du sens de justice, d’équité, dans les décisions des acteurs économiques. L’école

française de l’économie des conventions a également repris à son compte cette thématique qui

a fait l’objet de nombreux travaux chez les gestionnaires depuis longtemps5 (Larcon, Reitter,

1979, Ramanantsoa, Hoffsteter, 1981).

Traitant de la dimension identitaire d’un champ, nous reprendrons la modélisation identitaire

d’une organisation élaborée par Moingeon et Soenen (2002) et nous en tirerons quelques

conclusions à la fois sur les sources de changement que génère cette dimension ainsi que sur le

degré de complexité identitaire d’un champ.

L’identité d’une organisation est définie par S. Albert et D.A. Whetten (1985) « as what is

central, distinctive and enduring about an organization ». Il s’agit donc de traiter de ce qui

différencie une organisation d’une autre. En quoi est-elle unique ? Quelles sont les structures

cognitives partagées durablement entre ses membres, les représentations que les membres de

l’organisation ont de cette dernière et leur construit historique ? Sur quoi se fonde le sentiment

d’appartenance des membres d’une organisation ? L’approche identitaire renvoie à la prise en

compte de la dimension psycho-socio-cognitive d’une organisation. Les traits caractéristiques

retenus dans l’approche identitaire des organisations sont les finalités, les croyances, les

origines, les évènements clés, les référents psychosociaux (affiliation, références sociales)

(Moingeon, Soenen, 2002, p. 25, Mucchielli, 2003, pp.44-45). L’approche identitaire va donc

au-delà d’une seule analyse cognitive ou sociologique. Elle vise à intégrer les modes de

construction des cadres cognitifs. Sa dimension historique ouvre la voie pour analyser

l’impact d’un choix ou d’un événement ou d’une dispute sur la trajectoire phycho-socio-4 Une large présentation en est faite par Ven Der Berg et Stagl (2003) ainsi que par Hargrave et Van de Ven (2006).5 Pour une synthèse des débats voir Ravasi et Van Rekom, 2003.

14

cognitive d’une organisation, sur les modes de comportements et donc sur les représentations

du monde qui sont activées dans une organisation. Cette dimension identitaire renvoie à la

hiérarchie des logiques institutionnelles activées dans le champ mais également à son

construit socio-historique.

Afin d’opérationaliser cette dimension identitaire nous reprenons la modélisation de B.

Moingeon et G. Soenen. Ceux-ci distinguent cinq facettes de l’identité au sein d’une

organisation :

- l’identité professée, qui renvoie à ce qu’un groupe ou une organisation professe d’elle-même,

éléments que les membres de l’organisation utilisent pour définir leur identité collective. Il

s’agit donc des finalités affichées par le système de pilotage de l’organisation ;

- l’identité projetée qui correspond aux modalités (communications, comportements,

symboles) qu’une organisation utilise pour se présenter auprès de ses environnements ;

- l’identité expérimentée renvoie à la représentation collective des membres de l’organisation

concernant l’identité de cette dernière ;

- l’identité manifestée renvoie à un ensemble d’éléments plus ou moins associés qui ont

caractérisé une organisation sur une période de temps. Elle peut être conçue comme l’identité

historique de l’organisation. Elle renvoie aux diverses périodes des autres types d’identité.

Elle intègre les expériences collectives marquantes qui ont pu modifier, lors du couplage

structurel de l’organisation avec ses environnements, les représentations au sein du collectif ;

- l’identité attribuée renvoie aux finalités conférées à l’organisation par ses divers

environnements. Elle diffère de l’identité expérimentée qui, elle, est auto-attribuée par les

membres de l’organisation.

Cette modélisation permet quelques réflexions sur les dynamiques identitaires dans un champ.

Un champ admet un variété de types d’acteur : des producteurs, des distributeurs, des

consommateurs, des agences de régulation, des entreprises de service (conseil, étude,

recherche, certification). La cohésion identitaire d’un champ est donc plus que précaire.

L’identité expérimentée par chacun de ces types d’acteur dans le champ peut être différente.

Même au sein d’une catégorie d’acteur l’identité peut être différente.

Prenons l’exemple de l’agriculture biologique et de ses producteurs. Deux types de

producteurs y sont identifiés (Padel, 2001). Les premiers sont des producteurs ayant intégré

l’agriculture biologique dans les années 1960-1990. Leurs motivations (logiques) étaient

15

d’ordre philosophiques (anthroposophie, lien avec le milieu naturel) et politiques (autonomie

des producteurs, importance des circuits de commercialisation courts). Les seconds sont des

producteurs ayant intégrés le bio depuis dans les années 90. Ils sont décrits comme des

producteurs « normaux » ayant une approche pragmatique du bio, plus proche de motivations

financières (Flaten et al., 2004, Engel et al., 2005). En France, l’étude de Morel et all. (2003)

confirme cette tendance. Ceci conduit certains auteurs à avertir du danger, pour l’agriculture

biologique, d’une perte d’identité (Tovey, 1997). Cette déconnexion de l’identité

expérimentée au sein de la catégorie « producteur » peut fragiliser le système, créant une

scission identitaire en son sein. Les « anciens » peuvent y voir se profiler la mise en place de

formes en quasi-intégration alors que l’agriculture biologique s’est construite, en partie,

comme une alternative à ce type de rapport économique (Pernin, 2006). Les fractures

identitaires peuvent également concerner les différences entre catégories d’acteurs. Par

exemple un grand nombre de consommateurs de produits bios pensent que ces produits

doivent être absolument exempts de résidus de pesticides (donc qu’il y a une obligation de

résultat pour les producteurs) alors que la définition du bio est fondée sur une obligation de

moyens et que le zéro résidu ne peut pas être toujours garanti.

L’analyse identitaire d’un champ doit donc conduire à faire le bilan des distorsions entre les

facettes identitaires en son sein, distorsions entre les 5 facettes identifiées par Moingeon et G.

Soenen mais également distorsions au sein de chacun de ces facettes et pour chaque type

d’acteur. La tâche peut s’avérer lourde et finalement peu pertinente s’il s’agit de faire un tel

recensement. Heureusement, les fractures au sein d’un champ sont souvent canalisées autour

de grandes « zones de faille », autour de débats qui donnent lieu à des prises de position

publiques, à des justifications. Ces grands ensembles identitaires correspondent à des

hiérarchies de logiques institutionnelles, hiérarchies qui structurent le champ.

En termes de dynamique d’un champ, chaque distorsion identitaire est potentiellement une

source de changement institutionnel. Le degré de tension identitaire d’un champ peut se

mesurer au nombre de déconnexions en cours par rapport au nombre théorique de

déconnexions des facettes de son identité. Il peut servir à la mesure de son degré de

complexité, sa tension ou son désordre identitaire. Sachant qu’il y a cinq facettes dans

l’identité d’un champ, il y a donc, au minimum, la ∑ de i = 1 à 5, des A 5/i x 1 i déconnexions

théoriques possibles qui renvoient à la création de situations d’incertitude identitaire.

16

Notons que cette dimension identitaire dispose de ses propres dynamiques. L’identité est une

représentation du monde et dispose, à ce titre, d’un caractère auto-renforçant. La construction

identitaire de l’organisation est aussi celle du sens, des choix éthico-politiques, contenu dans

les décisions des acteurs du projet. Ces décisions ne peuvent être perçues que dans leur

trajectoire historique, avec, à certains moments, des décisions qui génèrent des restrictions

importantes des choix possibles au temps suivant.

Avant de passer au dernier pilier de notre modèle, voyons les liens entre les dimensions

rapports de pouvoir et identité. Pour cela nous nous appuierons sur les jeux de l’ultimatum

(Henrich et al., 2001). Cette porte d’entrée est d’autant plus intéressante que ces thèses sont

principalement utilisées pour montrer la nécessité de la prise en compte de la culture, du sens

de justice, des valeurs, bref de l’identité, dans l’analyse économique. Le jeu est simple : on

confie à un offreur une somme x (généralement 100 euros). L’offreur doit proposer à un

répondeur une partie de cette somme, nommée x(b). L’offre est unique et définitive. Il n’y a pas

de seconde chance et les deux acteurs agissent de façon anonyme. Si le répondeur accepte

l’offre, l’offreur gagne x-x(b) et le répondeur gagne x(b). Le répondeur connaît la somme que

peut gagner l’offreur. Si le répondeur refuse l’offre, personne ne gagne rien. L’offreur est le

maître du jeu puisque c’est lui qui fixe la règle du jeu mais le répondeur peut ou non accepter

cette règle. L’offreur doit anticiper un coût de non entrée pour le dominé et ajuster son offre en

fonction de cette anticipation. La seule question qui se pose est la suivante : à quelle condition

le répondeur va t-il accepter la règle que je lui soumets ? Quelles sont les conditions de

validation de l’institution ? Un collectif d’anthropologues a fait jouer au jeu de l’ultimatum 15

petits groupes humains n’appartenant pas à nos sociétés industrielles (Henrich et al., 2001). La

réponse perçue dans les expériences montre qu’elle varie en fonction de la culture, et cette

culture fixe une norme sur le partage économique, sur l’acceptabilité du rapport de pouvoir

instauré par le dominant. Ce rapport correspond à la somme proposée par le dominant. Les

répondeurs, en fonction de leur culture, sont prêts à refuser un gain pour sanctionner un certain

niveau d’opportunisme chez l’autre. Les jeux de l’ultimatum permettent de voir l’association

entre les dimensions identitaires et de pouvoir au sein d’une institution. Celle-ci n’est valide

que si ces deux dimensions entrent dans une zone de cohérence relative. Au-delà de cette zone,

la distorsion entre ces deux dimensions la condamne à l’échec.

17

2.3 RENDEMENTS CROISSANTS D’ADOPTION : UNE APPROCHE EN TERMES DE

PATH-CREATION

Les analyses en termes de « path-dependence » dominent actuellement la littérature d’analyse

comparative historique au sein des Sciences Politiques (Pierson, 2000, Thelen, 2003,

Mahoney, 2004). Les principales critiques adressées à ces modèles sont : i) qu’ils ne

produisent que des explications en termes de rupture institutionnelle suite à des chocs

exogènes (Thelen, 2003, p. 14) ii) qu’ils négligent les rapports de pouvoir et les stratégies

d’acteurs (ibid, p.35, Boyer, 2003, p.181) et iii) finalement qu’ils restent principalement

déterministe (ibid, p. 179). La dimension technico-économique de notre approche se base sur

les divers processus qui composent le concept de rendements croissants d’adoption

(désormais RCA) (Arthur, 1989). Le concept de RCA fut développé lors de l’étude des

processus de compétition entre technologies. Il s’agit d’étudier les processus par lesquels une

technologie devient supérieure aux autres. Dans cette problématique, les performances (les

rendements techniques et économiques) des diverses technologies en présence ne sont pas

données mais construites. Ce sont ces processus de construction que le concept de RCA se

propose de décrire. Le point de départ de l’analyse consiste à supposer que, ce n’est pas parce

qu’elle est plus performante qu’une autre qu’une technologie (ou une institution) est adoptée

mais, au contraire, qu’une technologie devient plus performante qu’une autre parce qu’elle est

adoptée. Cette perception correspond à la description d’un mécanisme récursif auto-renforçant

(adoption ® performance ® adoption). Il s’agit d’un cercle vertueux qui explique les

modalités de développement d’une technique.

En se basant sur le concept de RCA, la dimension technico-économique de notre approche est

fondamentalement dotée de ses propres dynamiques puisque, par nature, il s’agit d’étudier des

récursivités, des mécanismes d’auto-renforcement. Le coté constructiviste de l’approche se

percevra par la capacité des acteurs à façonner les trajectoires d’exploitation des RCA. Les

sources de RCA sont au nombre de six (cf. Foray, 1989) :

- l’apprentissage par l’usage (Rosenberg, 1962 ; Stiglitz, 1990) la productivité dépendant de

l’expérience cumulée dans la production ;

- les externalités de réseau (Katz, Shapiro, 1985) : l’augmentation du nombre d’utilisateurs

génère des effets de réseau, chaque utilisateur voyant sa satisfaction augmenter directement

avec le nombre d’utilisateurs du même bien ou service ou indirectement par l’augmentation et

la performance des biens et services offerts aux utilisateurs ;

18

- les économies d’échelle en production, la productivité étant liée aux volumes produits et

distribués.

- les rendements croissants d’information : plus la technologie est adoptée et plus elle est

connue, ce qui diminue l’aversion au risque des producteurs comme des consommateurs. Ces

risques peuvent être d’ordre technique, économiques ou sociaux ;

- les interrelations technologiques : plus une technologie est adoptée et plus elle structure ses

environnements scientifiques et technologiques ;

- les normes d’évaluation économique (Foray, 1989) : plus une technologie est adoptée et plus

elle sera capable de créer et de diffuser ses propres critères d’évaluation économique.

Ces six sources de RCA ne semblent pas épuiser l’ensemble des mécanismes récursifs par

lesquels un champ organisationnel structure son environnement interne et/ou externe en vue de

son développement. Nous pouvons en proposer deux autres :

- l’implication des sphères politiques : plus une technologie est adoptée et plus elle est

reconnue par les autorités politiques. Ceci lui ouvre les portes de la protection juridique

(appellation bio protégée), des subventions publiques diverses et des structures publiques de

formation (mise en place de formations qualifiantes offrant au système une ressource en main

d’œuvre qualifiée) ;

- la création d’actants spécifiques : plus une technologie est adoptée et plus elle peut créer ses

propres outils techniques et intrants. Ainsi la filière photovoltaïque développe actuellement

une filière d’approvisionnement en silicium adaptée à ses besoins techniques, au lieu d’utiliser

les rebuts de silicium de l’industrie électronique qui sont à la fois trop performants et coûteux.

Notons que l’exploitation de ces sources de RCA provient majoritairement d’actions

stratégiques misent en place par les acteurs du champ. A part les externalités de réseau et,

éventuellement, les rendements croissants d’information (bien que les stratégies de

communication portent sur ce domaine), les autres sources de RCA nécessitent la mise en place

d’action collectives, de stratégies de structuration de l’environnement tant interne qu’externe

du champ.

L’utilisation du concept de RCA, en tant qu’outil d’analyse de la dynamique d’un champ

organisationnel réside dans l’étude de l’exploitation de ces RCA. Trois hypothèses peuvent être

posées à ce niveau. Pour chaque technologie nous pouvons supposer :

19

- qu’il existe une typologie particulière des sources de RCA dans laquelle l’importance de

chaque source est spécifique ;

- que l’exploitation de ces sources de RCA est un processus temporel spécifique. L’exploitation

des sources de RCA se fait par phases successives ; chaque phase étant caractérisée par

l’exploitation d’une ou deux sources principales. L’importance de chaque source de RCA varie

au fur et à mesure que le champ se développe. On pourrait alors établir un modèle de

développement d’un champ en fonction des diverses phases temporelles d’exploitation des

sources de RCA ; associant à chaque étape du développement l’exploitation d’une source de

RCA déterminée.

- que les diverses sources de RCA ne sont pas toutes localisées sur le même type d’activité

dans le champ. Cette hypothèse d’asymétrie de la localisation des diverses sources de RCA

implique, qu’à un instant t donné du développement du champ organisationnel, il existe une

activité sur laquelle est localisée la source principale de RCA. Dès lors le développement de

cette activité, que l’on peut nommer activité-clé, est primordial à ce moment donné du

développement du champ. Elle permet ainsi de déterminer quelle est la ressource rare dans le

champ, à un moment donné. Il s’agit de la ressource dont l’activité clé a besoin pour se

développer. Celui qui la détient dispose d’une source de pouvoir dans le champ. De cette

hypothèse nous pouvons déduire qu’au fur et à mesure que le champ organisationnel se

développe, par l’exploitation des sources de RCA, la localisation de la source dominante des

RCA peut évoluer. Cette potentielle dé/re-localisation de la source principale de RCA dans le

champ peut générer une dé/re-localisation des ressources rares et donc des rapports de forces

entre les activités au sein de ce champ.

Ce jeu d’hypothèses permet de relier l’exploitation des RCA et les sources du pouvoir dans un

champ organisationnel. L’exploitation des RCA est l’objet de stratégies d’acteurs et son

évolution peut générer une modification des rapports de force au sein du champ. Nous nous

situons donc dans une approche en termes de path-creation. « Path-creationists argues that

path-dependancy does not leave room for an entrepreneur to « mindfully » play a role in

shaping their environment. Path-creation looks at the circumstances under which actors can

have an effect on a lock-in real time, not just past-hoc.” (Gartland, 2005, p. 696). “Entrepreneur

are embedded in the structures they joinly create” (Garud, Karnoe, 2001, p.9). Notre analyse se

situe en termes de path-creation dans la mesure où les acteurs y sont dotés de capacités à

structurer leurs environnements.

20

Elle est également reliée à la dimension identitaire. En effet, l’identité est structurante des

stratégies d’acteurs et des dynamiques relationnelles qui en résultent. Ces stratégies et

dynamiques relationnelles conditionnent la structuration économique d’un champ et

l’exploitation des RCA. Aussi la justification identitaire peut-elle aller contre la nécessité

économique représentée par l’exploitation des RCA. Cette déconnexion potentielle entre les

dimensions identitaire et technico-économique est une source de transformation d’un champ

organisationnel. La profonde transformation au sein de l’agriculture biologique en France suite

à la mise en place d’une réglementation européenne en 1991 fut interprétée comme le résultat

d’une telle déconnexion (cf. supra). D’un autre côté, l’exploitation des RCA implique l’entrée

de nouveaux acteurs ce qui peut correspondre à l’entrée de nouvelles représentations et

logiques institutionnelles et générer ainsi une modification de l’identité au sein du champ

(Bourdieu, 2000, Boyer, 2003). Par ailleurs, la modification du rapport de pouvoir peut entrer

en contradiction avec l’identité de certains acteurs du champ et ces derniers peuvent s’engager

dans des processus de changement institutionnel afin de compenser cette évolution. Dans

l’agriculture biologique l’arrivée d’acteurs conventionnels entre en contradiction avec l’un des

objectifs de certains acteurs de ce champ : le souhait d’autonomie des producteurs. Cette

contradiction a donné lieu à la création de nouvelles actions collectives (Pernin, 2006).

Plus globalement nous posons comme hypothèse que les inter-relations entre identité,

dimension technico-économique et rapports de pouvoir sont productrices de la cohérence d’un

champ organisationnel et de sa dynamique. Un champ disposant d’une forte cohérence est un

champ dans lequel ces trois dimensions n’entrent pas en contradiction les unes avec les autres.

Dans ce cas la légitimité des acteurs dominants du champ est forte et l’on peut penser que le

champ dispose d’une forte capacité de résilience face à un choc environnemental. Le champ

de l’agriculture biologique en Allemagne a pu intégrer la réglementation européenne de 1991

sans modification de son organisation du fait d’une forte cohérence entre sa dimension

identitaire et l’exploitation des RCA (cf. supra). Par ailleurs nous supposons qu’un champ

dispose d’une variété de cohérences potentielles et que cette variété correspond à sa capacité

auto-organisationnelle, à la variété dans son arbre de bifurcations possibles (Varela, 1989).

Cette variété correspond au nombre de cohérences qu’un champ peut mettre en place sans

entrer dans une phase de rupture (modification à la fois de sa hiérarchie de logiques

institutionnelles et de morphologie). Cette variété est tout aussi importante que la capacité de

résilience dans la mesure où elle évoque la plasticité du champ et pas seulement sa capacité de

maintien à l’identique. On pourrait alors faire l’hypothèse que plus la diversité des hiérarchies

21

de logiques et de modèles d’organisation dans un champ est forte et plus ce champ dispose de

capacités auto-organisationnelles. Cette diversité se heurte par contre au principe d’efficacité

technico-économique véhiculé par le concept de RCA.

Schéma 1 : Dynamique globale d’un champ organisationnel

L’apparition de zones d’incohérence entre ces trois dimensions prises deux à deux est la

source de changements institutionnels et organisationnels. Elle entraîne des stratégies de

compensation, d’émergence de nouvelles actions collectives qui soit orientent le champ vers

de nouvelles cohérences, soit induisent des changements institutionnels et organisationnels

plus ou moins radicaux. Le tableau suivant récapitule les diverses sources de changement

institutionnel dans un champ.

Impact surRapport de pouvoir Identité Exploitation des

RCA

22

Rendements croissants d’adoptionAdoption

Performance

Rapport de pouvoir

Identité

Structuration du champ, stratégies d’exploitation des

RCA

Evolution des ressources rares. Entrée de nouveaux acteurs

Entrée de nouveaux acteurs.

Modification de

Rapport de pouvoir

1 Déconnexion entre la légitimité et l’exercice du pouvoir

2 Modification des rapports de pouvoir qui entre en conflit avec les représentations des acteurs, avec certaines logiques institutionnelles

3 Le rapport de pouvoir correspond à une structuration du champ et à la mise en place de stratégies d’exploitation des RCA.Les acteurs dominants peuvent bloquer l’exploitation des RCA afin d’éviter que les ressources rares se délocalisent suite à cette exploitation

Identité 4 L’évolution identitaire peut entraîner la contestation des rapports de pouvoir en place

5 Dissonances identitaires au sein du champ

6 L’identité peut entrer en contradiction avec l’exploitation des RCA et conduire à l’inefficacité technico-économique

Exploitation des RCA

7 L’entrée de nouveaux adopteurs et l’évolution des ressources rares entraînent des modifications des rapports de pouvoir

8 L’entrée de nouveaux adopteurs conduit potentiellement à l’entrée de nouvelles représentations, de nouvelles logiques et à une modification identitaire dans le champ

Dynamique adoption-performance du champ

.Tableau 3 : Les sources de changement institutionnel dans un champ

Parmi les sources de changement identifiées dans le tableau ci-dessus, certaines coïncident

avec les sources de contradictions institutionnelles retenues par Seo et Creed (2002, pp.226-

229). Ces derniers retiennent quatre sources de contradictions qui fondent leur modèle

dialectique du changement :

- la contradiction entre la recherche de légitimité et l’efficience technique. Cette source

correspond aux cases 3 et 6 du tableau ;

23

- la contradiction entre l’institutionalisation qui correspond à la rigidification d’une pratique

alors qu’une organisation doit développer une adaptabilité à son environnement. Nous avons

fait l’hypothèse que la capacité de résilience et d’auto-organisation d’un champ dépend de sa

cohérence et de la variété de ses cohérences.

- la recherche de conformité intra-institutionnelle qui créé des incompatibilités inter-

institutionnelles. Dans ce cas la contradiction provient de la relation d’un champ avec ses

environnements ce qui ne rentre pas dans le cadre de notre analyse.

- la contradiction avec les arrangements institutionnels existants et les intérêts des acteurs les

moins dominants. Ceci peut conduire à la contestation politique et correspond à la case 4 du

tableau 2.

CONCLUSION

Selon nous le principal enjeu actuel de l’analyse institutionaliste réside dans la réalisation

d’une synthèse qui reprenne les principaux courants théoriques qui se sont développés parfois

de façon isolée dans diverses disciplines afin de produire un modèle global de la dynamique

d’un champ organisationnel et du changement institutionnel.

L’approche que nous avons développé a permis de saisir un nombre plus important de sources

de contradiction institutionnelles que celle retenue par Seo et Creed (2002) dans un champ

mais l’intérêt principal réside, à nos yeux, dans l’origine de ces sources. Elles ne sont pas

génériques mais sont issues de l’analyse de la dynamique d’un champ. Cette analyse peut

permettre d’anticiper la formation d’incohérences et peut se révéler utile en tant qu’outil de

management d’un champ notamment dans l’objectif de développer une capacité de résilience

et d’auto-organisation. Par ailleurs en développant une conception de l’organisation en tant

que combinaisons hiérarchisée de logiques institutionnelles l’analyse permet de répondre au

paradoxe structure-agence et d’envisager une graduation dans les changements institutionnels.

Cette conception doit pouvoir ouvrir la perspective d’un modèle global en utilisant l’approche

dialectique de Seo et Creed (2002) sous l’angle du réalisme critique et en y joignant un

modèle de dynamique d’un champ.

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