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Dynamique et résilience d’un champ organisationnel
Non publié, draft 1 : avril 2008
Pernin Jean-LouisCRG-IAE ToulouseUniversité de Toulouse
Mail : jean.louis.pernin(at)iut-tarbes.fr
RésuméL’analyse de la résilience d’un champ organisationnel est largement sous étudiée. Nous proposons un modèle de la dynamique d’un champ qui conduit à étudier sa capacité à se maintenir tout en intégrant des désordres endogènes et exogènes. Pour cela nous reprenons dans un premier temps l’approche en termes de réalisme critique développée par Leca et Naccache. Nous en tirons des conclusions sur la conceptualisation d’une organisation en tant que hiérarchie de logiques institutionnelles et sur la possibilité d’envisager des changements institutionnels gradués. Dans un second temps nous proposons un modèle de dynamique d’un champ organisationnel. Ce modèle débouche sur la mise en lumière de diverses sources d’incohérences. La dynamique d’un champ est perçue en tant que mise en cohérence entre trois dimensions : une dimension liée aux rapports de pouvoir, une dimension identitaire et une dimension technico-économique. Ces trois dimensions sont dotées d’une relative autonomie et sont en constante interrelations. Associée à la dimension technico-économique nous dégageons une nouvelle forme de légitimité : la légitimité managériale.
Mots clés : résilience, dynamique, champ organisationnel, changement institutionnel, entrepreneur institutionnel
Le changement institutionnel est au cœur des approches d’un courant récent, connu sous
l’appellation d’ « Institutional Entrepreneurship » (désormais IE). Ce courant très vivace
depuis une quinzaine d’année s’est construit sur la base d’une critique déterministe, voire
holiste, de l’approche institutionnelle classique. L’article de DiMaggio et Powell (1983) qui
interrogea sur le rôle de l’agence dans le courant institutionaliste peut être considéré comme
l’origine de ce courant. Depuis, de nombreuses contributions ont traité des actions entreprises
par des « entrepreneurs institutionnels » en vue de modifier ou de créer de nouveaux
arrangements institutionnels. Ces diverses approches traitant du changement institutionnel
partent de l’hypothèse d’une crise que l’arrangement institutionnel pré-existant ne peut
résoudre. Dans les analyses institutionnelles cette crise fut souvent traitée en tant que « jolt »
(Oliver, 1992, Munir, 2005, Moyon et Lecocq, 2007), choc le plus souvent externe au champ
organisationnel (ou à l’organisation) et qui justifie la mise en marche du changement1. Dans le
modèle dialectique de Seo et Creed (2002) il ne s’agit pas de jolts mais de sources de
contradictions institutionnelles qui conduisent au changement. Cependant leur modèle ne
repose pas sur l’analyse du fonctionnement d’un champ. Les quatre sources en question
restent donc génériques sans lien direct avec l’analyse de la dynamique d’un champ. Comme
le soulignent Suddaby et Greenwood (2005) l’analyse des contradictions internes à un champ
sont peu étudiées : « The conditions that favor institutional entrepreneurship are frequently
linked with exogenous “jolts” (...). A complementary and less explored perspective focuses on
ambiguities or contradictions within field-level institutions” (ibid. p.38).
Or traiter du changement institutionnel nécessite, en amont, de s’interroger sur la capacité
d’un champ organisationnel à intégrer un désordre externe ou interne tout en maintenant sa
forme institutionnelle et les organisations qui la portent. Ceci rejoint la position de Tsoukas et
Chia (2002) pour lesquels bien que l’organisation doive répondre à des causalités exogènes, la
manière dont elles y répondent dépend de conditions endogènes (p 578). Ce faisant, l’analyse
doit porter sur le maintien institutionnel qui selon Lawrence et Suddaby (2006) est largement 1 Le travail de Munir (2005) sur l’apparition du numérique dans l’industrie photographique montre que Kodak sous-estima largement ce jolt, cet événement. Ceci eu pour conséquence un retard de la part de cette entreprise dans les investissements nécessaires afin de prendre ce virage technologique. Cependant, le travail de Munir nous semble devoir être approfondi en traitant des raisons pour lesquelles Kodak sous-estima cet événement. L’identité de cette entreprise, composée depuis son origine par des ingénieurs chimistes, n’est-elle pas un facteur explicatif ? Les « marquages », chocs vécus par Kodak lors de son histoire, notamment le rejet de deux inventeurs qui proposèrent leurs produits et qui, suite à cette fin de non recevoir de la part de Kodak, créèrent respectivement Xerox et Polaroid, ne témoignent-ils pas d’une certaine fermeture de l’entreprise sur elle-même, permettant d’anticiper sa relative myopie à l’égard d’événements externes ? Ces brèves remarques invitent les chercheurs à intégrer l’identité en tant que facteur explicatif (et prospectif) sur l’analyse des capacités d’une organisation à percevoir l’arrivée d’un jolt et renvoi à la nécessité d’un travail de modélisation du fonctionnement d’un champ institutionnel ou d’une organisation.
2
sous étudiée. Il s’agit plus précisément de focaliser l’analyse sur le fonctionnement d’un
champ organisationnel, afin d’en repérer les dynamiques, les cohérences et incohérences en
vu de statuer sur les sources de ruptures ainsi que sur les capacités de maintien. Précisons que
sans analyse des sources endogènes du changement il semble impossible de mener des
analyses prospectives sur ce changement. Or, si la recherche en Sciences de Gestion se doit de
fournir des outils en termes de diagnostic et de prospective, il semble nécessaire non
seulement de fournir des modes d’explication du changement mais aussi des outils de
prévention et d’anticipation de ces changements.
Cette recherche est complémentaire des travaux déjà entrepris dans le cadre de la théorie de
l’IE mais aussi de certains courants hétérodoxes français (économie des conventions et théorie
de la régulation) et, plus généralement d’une approche en termes de systèmes complexes
(Maguire et al., 2006). Nous sommes, du reste, en accord avec Moyon et Lecocq (2007, p.3)
qui soutiennent que l’héroïsation de l’IE «conduit souvent à faire abstraction des autres forces
du champ» aboutissant « à une vision limitée ne reflétant pas la complexité du processus» car
négligeant les interactions entre les deux niveaux d’analyses que sont le champ et l’acteur. Un
modèle de la dynamique d’un champ semble donc être un préalable à une analyse (plus)
complexe du changement institutionnel au sein d’un champ.
Pour élaborer un tel modèle il convient tout d’abord d’en poser les fondements. Ce faisant
nous aborderons une question de fond : le paradoxe structure-agence. En effet, le courant de
l’IE est directement confronté à ce paradoxe (Holm, 1995). Pour cela nous reprendrons
l’approche en termes de réalisme critique développée par Leca et Naccache (2006) et nous
tenterons d’en tirer quelques conclusions sur les notions d’auto-organisation et de résilience
d’un champ (Section I). La section II sera dédiée à un modèle de dynamique d’un champ
organisationnel. Ce modèle débouchera sur la mise en lumière des sources d’incohérences
institutionnelles au sein d’un champ. Le maintien d’un champ sera perçu en tant que
dynamique de mise en cohérence entre trois dimensions : une dimension liée aux rapports de
pouvoir, une dimension psycho-socio-cognitive (ou identitaire) et une dimension technico-
économique. L’hypothèse sous jacente est que toute forme institutionnelle est composée de
ces trois dimensions, dimensions qui sont dotées d’une relative autonomie et qui sont en
constante interrelations. Notons d’ores et déjà que cette conception a un impact sur les
composantes de la légitimité, concept central dans les analyses institutionnelles. En effet, le
concept de légitimité définie par Suchman (1995, 574) comme « a generalized perception or
3
assumption that the actions of an entity are desirable, proper, or appropriate within some
socially constructed systems of norms, values, beliefs, and definitions”, est généralement
perçue comme composée de deux dimensions (Delemarle, 2007, pp.57-58) :
- une dimension cognitive définie comme une connaissance « about the new activity and what
is needed to succes in an industry (Aldrich, Fiol, 1994, p. 648) ». Cette dimension correspond
à une vision compréhensive du monde et de l’institution dans ce monde. Développer cette
légitimité renvoie, par exemple, à intégrer les nouvelles pratiques au sein des systèmes de
normes et valeurs existantes, ou à resituer le problème du changement au sein d’un cadre
idéologique ; et
- une dimension socio-politique qui renvoie à « the value placed on an activity by cultural
norms and political authorities (Aldrich et Fiol, 1994, p. 648). Cette dimension comprend les
éléments de régulation (législations, standards) et les normes sociales. Développer cette
légitimité revient, par exemple, à s’assurer du soutien d’autorités publiques, à développer de
nouvelles coalitions autour de nouvelles identités, ou à créer de nouveaux instruments de
mesure proches de ceux en vigueur dans le champ institutionnel (Déjean et al., 2004).
Notre conception induit une troisième dimension de la légitimité : une dimension technico-
économique davantage associée à la capacité d’améliorer l’efficience de la forme
institutionnelle. Il s’agit donc d’une légitimité « managériale » qui permet à la forme
institutionnelle de se diffuser en exploitant l’ensemble des sources de rendements croissants
d’adoption (Arthur, 1989) que cette forme peut espérer exploiter. Le concept de rendements
croissants d’adoption sera central dans l’étude de la dimension technico-économique d’une
forme institutionnelle. Ceci permettra de « suivre à la trace » la dynamique d’une telle forme.
I LES BASES D’UN MODÉLE SUR LE CHANGEMENT INSTITUTIONNEL
I.1 ELÉMENTS DE LITTÉRATURE SUR LE CHANGEMENT INSTITUTIONNEL
Parmi les dernières tentatives de synthèse sur le changement institutionnel figure celle
d’Hargrave et Van De Ven (2006). Ces auteurs proposent une convergence entre « the
technology innovation management and social movements literatures ». Le projet théorique
d’Hargrave et de Van de Ven est d’associer ces deux courants afin de permettre une synthèse
sur le changement institutionnel. Ce faisant ils sont en accord avec Dacin, Goodstein et Scott
(2002) lorsque ceux-ci affirment que « The recent confluence of work on organizations and
social movments is a promising development giving rise to the possibility of a general
4
framework for examining the dynamics of change that incorporates both etablished and
emergent organizations and power processes » (Dacin et all., 2002, p. 51). L’objectif initial
d’Hargrave et Van de Ven était de produire une « process theory that explain the temporal
order and sequence of events based on a story or historical narrative. This explanation should
identify the generative mechanisms that cause observed events to happen and the particular
circumstancies behind these causa mechanisms” (p. 866). Pour ce faire, ils juxtaposent quatre
modèles institutionnels tirés de la littérature et sensés représenter, respectivement, les phases
d’émergence, d’implantation et de diffusion d’une institution. Cependant, ces modèles
théoriques ont des présupposés qui semblent parfois éloignés les uns des autres. En effet les
modèles de l’ « institutional design » et de la « collective action » sont constructivistes dans le
sens où les acteurs ont une capacité de structuration de l’environnement. Ils sont créateurs,
entrepreneurs, actifs. Alors que les modèles de l’ « institutional diffusion » et de
l’ « institutional adaptation » ne traitent que d’adaptation et de reproduction. Le saut théorique
entre ces deux types de modèles ne semble pas être uniquement lié aux diverses phases de
développement d’une institution. Il procède aussi d’un saut qualitatif du point de vue de la
conceptualisation des organisations. Comment penser que dans sa phase de développement
une organisation répond seulement à des stimuli de ses environnements alors qu’auparavant
elle était structurante de ces mêmes environnements. Une synthèse ne peut être réalisée sur
cette base. C’est un modèle général de la dynamique organisationnelle qui permettra une
synthèse. Cette dernière doit tout autant intégrer les problématiques d’adaptation que celles
concernant la structuration des environnements, quelque soit les phases étudiées. Selon nous,
un tel modèle doit avant tout reposer sur une théorie de l’acteur. Un tel modèle s’inscrit dans
un paradigme constructiviste et complexe (Morin, 1980, Le Moigne, 1990, Maguire, 2006)
dans lequel l’organisation est dotée d’une mémoire, d’une histoire, d’une identité, d’une
rationalité tant stratégique que sociologique. Concevoir un tel modèle ne peut se faire sans en
poser, initialement, les fondements. Ceci revient à traiter du statut du réel et, indirectement à
aborder le paradoxe de la structure et de l’agence.
I.2 BASES DU MODÈLE
Traiter de front le paradoxe structure-agence fut l’objectif de l’article de Leca et Naccache :
“to overcome the paradox of institutionally embbeded agency” (ibid, p. 635). Il s’agissait,
pour ces auteurs, de produire un modèle qui ne soit pas “conflating » c’est à dire qui ne
réduise pas la structure à l’action et l’action à la structure. Pour cela Leca et Naccache, en
suivant Archer (1982), critiquent, dans un premier temps les approches de l’IE, notamment
5
celles de Barley et Tolbert (1997), de Seo, Creed (2002) et Dorado (2005). La critique porte
sur le fait que les « institutional entrepreneurs » ne peuvent développer des actions qu’en
dehors des cadres de références institutionnels existants. Dans ces modèles il doit y avoir une
crise que les arrangements institutionnels existants ne peuvent résoudre et qui constituent
autant d’occasions d’entreprendre pour les « institutionals entrepreneurs ». Ces derniers sont
conceptualisés comme étant capable de se « disemdeb themselves from existing institutional
arrangements in order to create new institutions or change existing ones » (ibid, p. 628). La
critique porte sur le fait que ces modèles ne permettent pas de considérer, en même temps, les
interrelations entre structure et action. Plus fondamentalement, la critique porte sur l’absence
de fondements ontologiques de l’approche en termes d’IE. Pour pallier cela les auteurs
proposent une approche en termes de réalisme critique. Ce faisant, Leca et Naccache se
rapprochent de l’analyse du courant français de l’économie des conventions en rapprochant
les travaux de Boltsanki, Thévenot (1991) à celle des logiques institutionnelles qui sont, dans
cette approche les « facteurs causaux finaux » que l’analyse doit mettre à jour. Une telle
« archéologie institutionnelle » doit alors, pour le chercheur, passer outre la simple analyse
des discours des acteurs pour en interpréter le sens et plus précisément, pour en faire ressortir
les justifications finales, les références en termes de bien commun2.
L’approche du réalisme critique considère trois niveaux de « réalité » dotées chacune de
propriétés émergentes et d’une relative autonomie : le niveau de l’empirique perçu comme
celui de l’expérimentation d’événements par les acteurs (sensation, impressions, perception de
la réalité), celui du présent conçu comme celui des évènements perçus ou non par les acteurs
(Bhashar, 1978) et celui du réel correspondant aux logiques institutionnelles qui « consists of
the structures and causals powers that generate events » (ibid, p. 630). Cette architecture du
réel permet à Leca et Naccache d’accorder un statut ontologique différent aux institutions par
rapport aux logiques institutionnelles : les logiques institutionnelles sont de l’ordre du réel
alors que les institutions sont de l’ordre du présent et les expériences de l’ordre de
l’empirique.
Tableau 1 : Un modèle hiérarchisé de l’analyse institutionnelle
Domaine du réel Domaine du présent Domaine de
2 Notons que les analyses de Boltanski et Thévenot se limitent à un seul type de relations entre acteurs : celles dans lesquelles les relations de pouvoir sont assez faibles pour nécessiter une justification de l’action. Autrement dit, il manque une analyse déductive qui permette de dresser un tableau de ces logiques institutionnelles, structures du social, quelque soit les formes de pouvoir qui s’exercent entre les acteurs.
6
l’empiriqueLogiques institutionnelles
V
Institutions V VExpériences V V VSource : Leca, Naccache, 2006
Une telle conception du réel a un impact sur le statut ontologique des organisations ainsi que
sur le changement institutionnel. Une organisation doit alors être perçue comme composée de
logiques institutionnelles et des institutions qui les « équipent ». Ces logiques et institutions
n’existent, du reste, que dans leur actualisation lors de situations ou à l’état virtuel dans la
mémoire des acteurs (individuels ou collectifs). Il convient cependant d’aller plus loin dans la
conceptualisation. Les travaux portant sur les logiques institutionnelles en reste souvent à
l’analyse de la compétition entre deux logiques. Lounsbury (2007) identifie deux logiques
dans l’histoire des fonds de pension, une logique fondée sur la confiance et une autre fondée
sur la performance, et examine la diffusion de la seconde au détriment de la première.
Thornton (2002), de son côté, analyse l’évolution des logiques au sein de l’activité éditoriale
avec le développement d’une logique de marché au détriment d’une logique professionnelle
fondée sur les relations entre éditeurs et auteurs. A chaque logique est rattachée une norme
d’évaluation spécifique. Ainsi dans le travail de Lounsbury (2007) deux normes d’évaluation
peuvent être repérées : à la logique fondée sur la confiance est associée une norme fondée sur
la minimisation des coûts de gestion alors que la logique de performance est fondée sur les
retours sur investissement à court terme (p. 290-291). Malgré l’intérêt de ces travaux le
changement institutionnel réside dans l’éviction d’une logique par une autre sans concevoir de
changements plus progressifs. Ainsi selon Rao, Monin et Durand (2003) « le changement
institutionnel peut résider dans a) la formation d’une nouvelle institution ou l’émergence
d’une nouvelle logique ou structure de gouvernance b) la désinstitutionalisation ou la
dissolution d’une logique existante ou structure de gouvernance et c) le reinstitutionalisation
où une logique existante ou une structure de gouvernance existante est remplacée par une
nouvelle logique ou une nouvelle structure de gouvernance (Scott, 2001) » (p796).
Il nous semble que l’analyse mériterait d’être approfondie afin d’en tirer toutes les
conséquences en ce qui concerne le changement institutionnel. Le premier point de cet
approfondissement réside dans l’analyse de l’articulation entre les niveaux d’organisation. Si
une organisation est composée de logiques institutionnelles elle ne peut qu’intégrer les
logiques institutionnelles des niveaux organisationnels supérieurs dont elle fait partie. Une
7
analyse se doit, en référence aux approches en termes de système complexe, de considérer le
système étudié en lien avec le système englobant et les systèmes englobés. Si le réel est
composé de logiques institutionnelles alors ces niveaux organisationnels s’articulent autour de
leurs logiques avec une hiérarchisation entre elles. Une organisation de niveau N doit intégrer
les logiques de l’organisation englobante et impose ses logiques à ses propres sous parties
(Friedland et Alford, 1991). Par ailleurs, une organisation ou un champ peuvent être
composés de plusieurs logiques institutionnelles qui correspondent chacune à des finalités
hiérarchisées. Dans l’approche de Boltanski et Thévenot (1991) les mondes idéaux-typiques
sont des structures élémentaires du social, des logiques institutionnelles, dont l’agencement
permet la réalisation d’un compromis en vue de stabiliser une forme sociale. L’accord est un
construit basé sur une association de plusieurs logiques institutionnelles. A cela nous
rajoutons un postulat sur la hiérarchie entre ces logiques3. Nous concevons donc une
organisation comme une succession de situations dans lesquelles s’actualise, s’interprète, se
modifie, une hiérarchie de logiques institutionnelles. La première de ces logiques est celle qui
correspond au niveau organisationnel supérieur (Pernin, 1998). Un changement institutionnel
ne conduit donc pas forcement « l’institutional entrepreneur » à se désencaster d’un contexte
institutionnel. Il peut simplement résider dans le rajout d’une logique institutionnelle au sein
d’un ordre institutionnel donné (intégrer une logique en termes de développement durable par
exemple) ou bien il peut résider dans la modification de l’ordre des logiques institutionnelles
de l’organisation. Ceci permet d’envisager la possibilité de changements institutionnels
gradués. Un changement plus radical au sein d’une organisation provient de la modification
de la logique institutionnelle de premier ordre, celle qui joue le rôle d’attracteur de
l’organisation.
Le deuxième approfondissement réside dans le postulat selon lequel il existe un stock de
logiques institutionnelles. Ce stock réside dans la mémoire individuelle et collective et peut
être modifié du fait de la créativité des acteurs, notamment dans la constitution de nouvelles
combinaisons hiérarchisées de logiques. Traiter d’un tel stock renvoi à son identification et
donc à une théorie générale de l’action d’un point de vue synchronique. Il s’agit en effet de
dresser un tableau des structures élémentaires du social en caractérisant chaque situation
idéal-typique à laquelle une logique institutionnelle peut être associée et ceci en fonction des
divers niveaux d’analyse. 3 Rappelons qu’en se positionnant sur une démarche constructiviste nous ne faisons que modéliser la modélisation des « profanes ». La réfutabilité, le pouvoir explicatif et la généralité sont les critères d’évaluation de cette modélisation.
8
I.3 LA RÉSILIENCE D’UN CHAMP
Concevoir l’organisation en tant que hiérarchie de logiques conduit à certaines réflexions sur
le concept de résilience. La définition du concept de résilience fut l’objet de nombreux débats
(Klein et al., 2002) et varie selon les disciplines et les niveaux d’analyse (Sutcliffe et Vogus,
2003). La résilience est généralement perçue comme la capacité d’une organisation à « se
remettre » d’un événement créateur de vulnérabilité et qui nécessite une réponse inhabituelle
(Lengnick-Hall et Beck, 2003, p2). L’organisation résiliente est apte à absorber un choc tout
en conservant sa morphologie (la structure de ses sous niveaux organisationnels) et sa
hiérarchie de logiques institutionnelles. La question qui se pose est alors de différencier les
degrés de changement. Le concept de résilience interroge celui d’auto-organisation largement
développée dans les approches complexes. L’auto-organisation est définie comme la
possibilité pour un système d’acquérir des propriétés nouvelles en modifiant lui-même son
organisation (Lesourne, 1985). Ce processus peut concerner soit la hiérarchie des logiques
institutionnelles d’une organisation, soit la structure des sous niveaux organisationnels de
cette organisation.
Tableau 2 : Résilience et auto-organisation
Maintien de la hiérarchie des
logiques institutionnelles
Changement de la hiérarchie
des logiques institutionnelles
Maintien de la structure des
sous niveaux organisationnels
Résilience Auto-organisation
Changement de la structure
des sous niveaux
organisationnels
Auto-organisation Rupture
Dans le cas de la rupture, l’organisation change radicalement que ce soit sur ses finalités
(hiérarchies de logiques) ou sur sa morphologie.
Un exemple de résilience versus auto-organisation dans le champ de l’agriculture biologique
permettra d’illustrer cette différence. Avant cela définissons le concept de champ
organisationnel. Un champ organisationnel est un espace régulé, un espace où se crée des
institutions, où des significations sont partagées entre les membres qui y participent en
9
fonction d’une finalité productive. La nature des organisations participantes est variable selon
leurs statuts, place et rôle dans le système. « By Organizational Field, we mean those
organizations that, in the aggregate, constitute a recognized area of institutional life : key
suppliers, resource and product consumers, regulatory agencies, and other organizations that
produce similar services or products » (DiMaggio, Powell, 1983, p. 148). « The notion of
field connotes the existence of a community of organizations that partakes of a common
meaning system and whose participants interact more frequently and fatefully with one
another than with actors outside of the field » (Scott, 2001, p. 95). Font partie du champ
organisationnel tous les actants qui participent à sa diffusion, sa reproduction et sa
transformation (Hoffman, 1999).
Le cas de l’agriculture biologique est très intéressant pour illustrer les différences entre les
concepts de résilience et d’auto-organisation. En effet, suite à l’introduction d’une
réglementation européenne en 1991, l’agriculture biologique en France a connu une complète
réorganisation de son champ alors qu’en Allemagne cette réglementation n’a eu aucun impact
sur la morphologie du champ (Pernin, 1994, 1998). Plus précisément, les organisations
dominantes en France furent évincées et remplacées par d’autres. C’est notamment le cas de
Nature et Progrès qui était l’organisation dominante du champ jusqu’en 1991. En Allemagne
les organisations dominantes ont naturellement intégré la réglementation européenne et ont
conservé leur rôle et place dans le champ. La résilience du champ Allemand (et de ses
organisations dominantes) a pu être interprétée comme issue d’une cohérence entre ses
dimensions identitaire et technico-économique, cette cohérence permettant un haut niveau de
légitimité des organisations dominantes (ibid.). A l’inverse, l’incohérence entre ces deux
dimensions en France a généré un faible niveau de légitimité des organisations telles que
Nature et Progrès aux yeux des agriculteurs. La réglementation de 1991 fut le « jolt » qui mit
en relief ces incohérences et qui conduisit au processus de dé-re organisation du champ.
La résilience comme l’auto-organisation d’un champ organisationnel font partie d’une
problématique plus globale sur la dynamique d’un champ. C’est la raison pour laquelle il est
nécessaire de modéliser cette dynamique afin de pouvoir statuer sur les sources de
changement et sur les capacités de résilience.
2 DYNAMIQUE D’UN CHAMP ET SOURCES DU CHANGEMENT
10
Selon Scott (2001) une logique institutionnelle admet trois dimensions : une dimension
régulative qui renvoie aux sanctions légales qui contraignent les comportements des acteurs,
une dimension normative associée à la pression sociale et une dimension culturo-cognitif
perçue comme un ensemble d'habitudes de pensée et de raisonnement qui conditionnent un
certain type de comportement. Ces trois dimensions se retrouvent dans les deux dimensions
de la légitimité telles qu’elles ont été présentées plus haut : la dimension cognitive et la
dimension socio-politique. Cette dernière comprend à la fois une composante régulative
(législations, normes, standards) et normative.
Cette approche est caractéristique de préoccupations sociologiques dans lesquelles les
mécanismes technico-économiques sont absents. Traiter de la dynamique d’un champ
nécessite pourtant d’intégrer de tels processus. Le modèle que nous souhaitons développer se
base sur trois dimensions d’un champ organisationnel : les rapports de pouvoir, la dimension
identitaire et la dimension technico-économique. Cette dernière agira comme un moteur du
développement de l’organisation ; un moteur qui fait l’objet de stratégies d’acteurs et qui
détermine, en partie, la localisation des ressources rares (Pfeiffer et Salancik, 1978) dans le
champ. Cette partie examinera tour à tour les trois dimensions évoquées et leurs relations.
Chaque dimension sera dotée de ses propres dynamiques dans la mesure où elle dispose d’un
caractère auto-renforçant. Ce caractère fait référence aux mécanismes récursifs qui sont au
cœur d’une approche par la complexité.
2.1 RAPPORT DE POUVOIR
Hargrave et Van De Ven (2006), dans leur panorama des modèles institutionnels, insistent sur
la sous théorisation des concepts de conflit et de pouvoir : « these concepts continue to be
under-theorized by institutionalists and deserve a central place on the institutional research
agenda » (p879). “In sum, theories of institutional change would benefit from a recognition
that conflict, power, and politics both shape and are shaped by institutions” (p. 880). Ils
rejoignent ainsi la position de Fligstein (1997) et de bien d’autres. Intégrer pleinement le
pouvoir dans la théorie signifie reconnaître avant tout sa place en tant que facteur structurant
du réel. Les diverses situations d’actions doivent pouvoir être caractérisées en fonction des
rapports de pouvoir qui les sous-tendent. Le pouvoir, selon Friedberg (1997, p. 134),
correspond à la capacité d’un acteur à restreindre l’univers des comportements probables de
l’autre. Cette « capacité des uns et des autres à définir les termes de l’échange est limitée par
11
la nécessité de maintenir les partenaires dans le jeu, donc de proposer des règles qui soient
acceptables pour eux » (Friedberg, 2003, p.260) ou qu’ils ne peuvent pas refuser, pourrions
nous compléter. La probabilité qu’un acteur entre ou sorte d’une relation (ou d’une
institution) dépend d’un calcul en termes de coût/bénéfice, coût/bénéfice de l’entrée ou d’exit
(Hirschman 1970). Notons que le bénéfice de l’entrée peut, dans certains cas, être associé au
souhait de ne pas subir un coût de non entrée. Ces coûts/bénéfices peuvent être de diverses
natures (physiologique, psychologique, sociologique ou économique) et ces dernières ne sont
pas exclusives les unes des autres.
Une catégorisation des rapports de pouvoir fut produite par F. Perroux (1973) et plus
récemment par Turner (2005). Quatre rapports de pouvoir peuvent être identifiés renvoyant à
des formes de l’action et à un découpage du réel en concepts.
1 L’action d’influence (Perroux, 1973) ou de persuation (Turner, 2005) : « l’acteur A modifie,
sans l’y obliger, le comportement de l’acteur B ; il suscite l’adhésion à ses propres valeurs, il
provoque l’imitation de ses attitudes et de ses comportements » (Perroux, op. cit., p.31). Le
coût d’exit de la relation est très faible. Ceci correspond au concept de marché.
2 L’action d’organisation (Pernin, 1994) : A propose les règles du jeu dans lesquelles B peut
agir mais B peut également agir pour modifier ces règles du jeu. B peut négocier son entrée
ou son maintien dans le jeu. Le pouvoir provient de la capacité à représenter l’intérêt collectif
au sein de l’organisation ; les contre-pouvoirs sont importants car les acteurs dominés peuvent
sortir de l’organisation sans remettre en cause leur existence. Le concept de réseau est
généralement associé à ce niveau de rapport de pouvoir.
3 L’action d’imposition (Perroux, 1973) ou d’authority (Turner, op. cit.) : « A contraint B à
agir ou à s’abstenir par l’usage de la force ou de la violence ou par une menace de l’une ou de
l’autre » (Perroux, op. cit. p. 31). Les acteurs dominés peuvent difficilement sortir de la
relation. Ceci correspond au concept de quasi-intégration ou de firme-réseau. Les
coopératives agricoles en sont un exemple, le rapport salarial dans certaines entreprises ou le
degré de capture des consommateurs dans certains secteurs.
4 L’action de subordination (Perroux, 1973) ou de « coercion » (Turner, 2005, p. 7) : « par
convention, subordination implique la durée de l’action coercitive ou de la possibilité de cette
12
action, de A sur B. C’est le domaine de l’emprise de structure » (Perroux, op. cit., p. 32). Le
pouvoir provient de l’appartenance de l’entité par une autre. Cela conduit au concept de
groupe d’entreprises, publique ou privée, ou d’esclavage dans le cadre du rapport salarial ….
Le concept de champ organisationnel n’intègre pas, dans sa définition, les rapports de
pouvoir. Il concerne avant tout l’identification d’un niveau d’analyse, le niveau méso-
économique. Caractériser un champ en fonction des rapports de pouvoir revient à identifier
les types d’organisations qui le composent et leurs relations, donc à traiter de la morphologie
du champ. Le champ est-il principalement composé de groupes d’entreprises, de formes en
quasi-intégration, de réseaux ? Quels sont les acteurs qui exercent des influences dominantes
dans la dynamique du champ ?
Une théorie du pouvoir doit également participer à l’analyse des dynamiques d’un champ. A ce
niveau ce sont les sources du pouvoir et leur évolution qui sont mobilisées. Les sources du
pouvoir renvoient aux ressources rares détenues par chacun dans un contexte d’action (Pfeiffer,
Salancik, 1978). Bien sûr, ces ressources ne tirent leur pertinence que par rapport aux objectifs
de l’action collective. Il faut noter la différence entre la légitimité dont dispose un acteur
dominant, légitimité provenant de la détention de ressources rares, et l’exercice effectif du
pouvoir. Une forte légitimité ne conduit pas forcément à un exercice du pouvoir au même
niveau. Ceci peut rejoindre les analyses sur les formes douces de la domination dans les
entreprises (Courpasson, 2000). Inversement, un exercice du pouvoir peut être réalisé de façon
plus forte que ne l’y autorise sa légitimité. Ce peut être le cas lorsque les dirigeants d’une
entreprise n’ont pas conscience des contre-pouvoirs de certains de leurs subordonnés ou de
certains de leurs sous-traitants. Cette déconnexion est une première source de changement
institutionnel. Les nombreuses scissions au sein d’une organisation de l’agriculture biologique
en France (l’entreprise Lemaire Boucher) ont pu être interprétées à l’aide de cette déconnexion
(Pernin, 1998).
La dimension rapports de pouvoir dispose de ses propres dynamiques dans la mesure où elle
intègre un mécanisme d’auto-renforcement. Le contrôle des ressources rares légitime l’exercice
d’un pouvoir qui permet de renforcer la maîtrise de ces ressources rares (maîtrise des canaux
informationnels par exemple). La reproduction du pouvoir raconte comment la détention des
ressources rares permet à celui qui les détient de s’assurer la reproduction de cette détention.
Bien sûr, un changement de position dominante peut toujours s’opérer dans un champ,
13
notamment lors d’un changement concernant la nature des ressources rares et en admettant que
l’acteur dominant n’a pas correctement anticipé cette évolution.
2.2 L’IDENTITÉ
D’UN CHAMP ORGANISATIONNEL
Les courants sociologiques ont largement développés le thème de la culture et du sens attaché
à une institution4. Les travaux sur la thèse de l’ultimatum (Henrich et all., 2001) ont montré
clairement la défaillance de l’homo economicus et la nécessité de la prise en compte de la
culture, du sens de justice, d’équité, dans les décisions des acteurs économiques. L’école
française de l’économie des conventions a également repris à son compte cette thématique qui
a fait l’objet de nombreux travaux chez les gestionnaires depuis longtemps5 (Larcon, Reitter,
1979, Ramanantsoa, Hoffsteter, 1981).
Traitant de la dimension identitaire d’un champ, nous reprendrons la modélisation identitaire
d’une organisation élaborée par Moingeon et Soenen (2002) et nous en tirerons quelques
conclusions à la fois sur les sources de changement que génère cette dimension ainsi que sur le
degré de complexité identitaire d’un champ.
L’identité d’une organisation est définie par S. Albert et D.A. Whetten (1985) « as what is
central, distinctive and enduring about an organization ». Il s’agit donc de traiter de ce qui
différencie une organisation d’une autre. En quoi est-elle unique ? Quelles sont les structures
cognitives partagées durablement entre ses membres, les représentations que les membres de
l’organisation ont de cette dernière et leur construit historique ? Sur quoi se fonde le sentiment
d’appartenance des membres d’une organisation ? L’approche identitaire renvoie à la prise en
compte de la dimension psycho-socio-cognitive d’une organisation. Les traits caractéristiques
retenus dans l’approche identitaire des organisations sont les finalités, les croyances, les
origines, les évènements clés, les référents psychosociaux (affiliation, références sociales)
(Moingeon, Soenen, 2002, p. 25, Mucchielli, 2003, pp.44-45). L’approche identitaire va donc
au-delà d’une seule analyse cognitive ou sociologique. Elle vise à intégrer les modes de
construction des cadres cognitifs. Sa dimension historique ouvre la voie pour analyser
l’impact d’un choix ou d’un événement ou d’une dispute sur la trajectoire phycho-socio-4 Une large présentation en est faite par Ven Der Berg et Stagl (2003) ainsi que par Hargrave et Van de Ven (2006).5 Pour une synthèse des débats voir Ravasi et Van Rekom, 2003.
14
cognitive d’une organisation, sur les modes de comportements et donc sur les représentations
du monde qui sont activées dans une organisation. Cette dimension identitaire renvoie à la
hiérarchie des logiques institutionnelles activées dans le champ mais également à son
construit socio-historique.
Afin d’opérationaliser cette dimension identitaire nous reprenons la modélisation de B.
Moingeon et G. Soenen. Ceux-ci distinguent cinq facettes de l’identité au sein d’une
organisation :
- l’identité professée, qui renvoie à ce qu’un groupe ou une organisation professe d’elle-même,
éléments que les membres de l’organisation utilisent pour définir leur identité collective. Il
s’agit donc des finalités affichées par le système de pilotage de l’organisation ;
- l’identité projetée qui correspond aux modalités (communications, comportements,
symboles) qu’une organisation utilise pour se présenter auprès de ses environnements ;
- l’identité expérimentée renvoie à la représentation collective des membres de l’organisation
concernant l’identité de cette dernière ;
- l’identité manifestée renvoie à un ensemble d’éléments plus ou moins associés qui ont
caractérisé une organisation sur une période de temps. Elle peut être conçue comme l’identité
historique de l’organisation. Elle renvoie aux diverses périodes des autres types d’identité.
Elle intègre les expériences collectives marquantes qui ont pu modifier, lors du couplage
structurel de l’organisation avec ses environnements, les représentations au sein du collectif ;
- l’identité attribuée renvoie aux finalités conférées à l’organisation par ses divers
environnements. Elle diffère de l’identité expérimentée qui, elle, est auto-attribuée par les
membres de l’organisation.
Cette modélisation permet quelques réflexions sur les dynamiques identitaires dans un champ.
Un champ admet un variété de types d’acteur : des producteurs, des distributeurs, des
consommateurs, des agences de régulation, des entreprises de service (conseil, étude,
recherche, certification). La cohésion identitaire d’un champ est donc plus que précaire.
L’identité expérimentée par chacun de ces types d’acteur dans le champ peut être différente.
Même au sein d’une catégorie d’acteur l’identité peut être différente.
Prenons l’exemple de l’agriculture biologique et de ses producteurs. Deux types de
producteurs y sont identifiés (Padel, 2001). Les premiers sont des producteurs ayant intégré
l’agriculture biologique dans les années 1960-1990. Leurs motivations (logiques) étaient
15
d’ordre philosophiques (anthroposophie, lien avec le milieu naturel) et politiques (autonomie
des producteurs, importance des circuits de commercialisation courts). Les seconds sont des
producteurs ayant intégrés le bio depuis dans les années 90. Ils sont décrits comme des
producteurs « normaux » ayant une approche pragmatique du bio, plus proche de motivations
financières (Flaten et al., 2004, Engel et al., 2005). En France, l’étude de Morel et all. (2003)
confirme cette tendance. Ceci conduit certains auteurs à avertir du danger, pour l’agriculture
biologique, d’une perte d’identité (Tovey, 1997). Cette déconnexion de l’identité
expérimentée au sein de la catégorie « producteur » peut fragiliser le système, créant une
scission identitaire en son sein. Les « anciens » peuvent y voir se profiler la mise en place de
formes en quasi-intégration alors que l’agriculture biologique s’est construite, en partie,
comme une alternative à ce type de rapport économique (Pernin, 2006). Les fractures
identitaires peuvent également concerner les différences entre catégories d’acteurs. Par
exemple un grand nombre de consommateurs de produits bios pensent que ces produits
doivent être absolument exempts de résidus de pesticides (donc qu’il y a une obligation de
résultat pour les producteurs) alors que la définition du bio est fondée sur une obligation de
moyens et que le zéro résidu ne peut pas être toujours garanti.
L’analyse identitaire d’un champ doit donc conduire à faire le bilan des distorsions entre les
facettes identitaires en son sein, distorsions entre les 5 facettes identifiées par Moingeon et G.
Soenen mais également distorsions au sein de chacun de ces facettes et pour chaque type
d’acteur. La tâche peut s’avérer lourde et finalement peu pertinente s’il s’agit de faire un tel
recensement. Heureusement, les fractures au sein d’un champ sont souvent canalisées autour
de grandes « zones de faille », autour de débats qui donnent lieu à des prises de position
publiques, à des justifications. Ces grands ensembles identitaires correspondent à des
hiérarchies de logiques institutionnelles, hiérarchies qui structurent le champ.
En termes de dynamique d’un champ, chaque distorsion identitaire est potentiellement une
source de changement institutionnel. Le degré de tension identitaire d’un champ peut se
mesurer au nombre de déconnexions en cours par rapport au nombre théorique de
déconnexions des facettes de son identité. Il peut servir à la mesure de son degré de
complexité, sa tension ou son désordre identitaire. Sachant qu’il y a cinq facettes dans
l’identité d’un champ, il y a donc, au minimum, la ∑ de i = 1 à 5, des A 5/i x 1 i déconnexions
théoriques possibles qui renvoient à la création de situations d’incertitude identitaire.
16
Notons que cette dimension identitaire dispose de ses propres dynamiques. L’identité est une
représentation du monde et dispose, à ce titre, d’un caractère auto-renforçant. La construction
identitaire de l’organisation est aussi celle du sens, des choix éthico-politiques, contenu dans
les décisions des acteurs du projet. Ces décisions ne peuvent être perçues que dans leur
trajectoire historique, avec, à certains moments, des décisions qui génèrent des restrictions
importantes des choix possibles au temps suivant.
Avant de passer au dernier pilier de notre modèle, voyons les liens entre les dimensions
rapports de pouvoir et identité. Pour cela nous nous appuierons sur les jeux de l’ultimatum
(Henrich et al., 2001). Cette porte d’entrée est d’autant plus intéressante que ces thèses sont
principalement utilisées pour montrer la nécessité de la prise en compte de la culture, du sens
de justice, des valeurs, bref de l’identité, dans l’analyse économique. Le jeu est simple : on
confie à un offreur une somme x (généralement 100 euros). L’offreur doit proposer à un
répondeur une partie de cette somme, nommée x(b). L’offre est unique et définitive. Il n’y a pas
de seconde chance et les deux acteurs agissent de façon anonyme. Si le répondeur accepte
l’offre, l’offreur gagne x-x(b) et le répondeur gagne x(b). Le répondeur connaît la somme que
peut gagner l’offreur. Si le répondeur refuse l’offre, personne ne gagne rien. L’offreur est le
maître du jeu puisque c’est lui qui fixe la règle du jeu mais le répondeur peut ou non accepter
cette règle. L’offreur doit anticiper un coût de non entrée pour le dominé et ajuster son offre en
fonction de cette anticipation. La seule question qui se pose est la suivante : à quelle condition
le répondeur va t-il accepter la règle que je lui soumets ? Quelles sont les conditions de
validation de l’institution ? Un collectif d’anthropologues a fait jouer au jeu de l’ultimatum 15
petits groupes humains n’appartenant pas à nos sociétés industrielles (Henrich et al., 2001). La
réponse perçue dans les expériences montre qu’elle varie en fonction de la culture, et cette
culture fixe une norme sur le partage économique, sur l’acceptabilité du rapport de pouvoir
instauré par le dominant. Ce rapport correspond à la somme proposée par le dominant. Les
répondeurs, en fonction de leur culture, sont prêts à refuser un gain pour sanctionner un certain
niveau d’opportunisme chez l’autre. Les jeux de l’ultimatum permettent de voir l’association
entre les dimensions identitaires et de pouvoir au sein d’une institution. Celle-ci n’est valide
que si ces deux dimensions entrent dans une zone de cohérence relative. Au-delà de cette zone,
la distorsion entre ces deux dimensions la condamne à l’échec.
17
2.3 RENDEMENTS CROISSANTS D’ADOPTION : UNE APPROCHE EN TERMES DE
PATH-CREATION
Les analyses en termes de « path-dependence » dominent actuellement la littérature d’analyse
comparative historique au sein des Sciences Politiques (Pierson, 2000, Thelen, 2003,
Mahoney, 2004). Les principales critiques adressées à ces modèles sont : i) qu’ils ne
produisent que des explications en termes de rupture institutionnelle suite à des chocs
exogènes (Thelen, 2003, p. 14) ii) qu’ils négligent les rapports de pouvoir et les stratégies
d’acteurs (ibid, p.35, Boyer, 2003, p.181) et iii) finalement qu’ils restent principalement
déterministe (ibid, p. 179). La dimension technico-économique de notre approche se base sur
les divers processus qui composent le concept de rendements croissants d’adoption
(désormais RCA) (Arthur, 1989). Le concept de RCA fut développé lors de l’étude des
processus de compétition entre technologies. Il s’agit d’étudier les processus par lesquels une
technologie devient supérieure aux autres. Dans cette problématique, les performances (les
rendements techniques et économiques) des diverses technologies en présence ne sont pas
données mais construites. Ce sont ces processus de construction que le concept de RCA se
propose de décrire. Le point de départ de l’analyse consiste à supposer que, ce n’est pas parce
qu’elle est plus performante qu’une autre qu’une technologie (ou une institution) est adoptée
mais, au contraire, qu’une technologie devient plus performante qu’une autre parce qu’elle est
adoptée. Cette perception correspond à la description d’un mécanisme récursif auto-renforçant
(adoption ® performance ® adoption). Il s’agit d’un cercle vertueux qui explique les
modalités de développement d’une technique.
En se basant sur le concept de RCA, la dimension technico-économique de notre approche est
fondamentalement dotée de ses propres dynamiques puisque, par nature, il s’agit d’étudier des
récursivités, des mécanismes d’auto-renforcement. Le coté constructiviste de l’approche se
percevra par la capacité des acteurs à façonner les trajectoires d’exploitation des RCA. Les
sources de RCA sont au nombre de six (cf. Foray, 1989) :
- l’apprentissage par l’usage (Rosenberg, 1962 ; Stiglitz, 1990) la productivité dépendant de
l’expérience cumulée dans la production ;
- les externalités de réseau (Katz, Shapiro, 1985) : l’augmentation du nombre d’utilisateurs
génère des effets de réseau, chaque utilisateur voyant sa satisfaction augmenter directement
avec le nombre d’utilisateurs du même bien ou service ou indirectement par l’augmentation et
la performance des biens et services offerts aux utilisateurs ;
18
- les économies d’échelle en production, la productivité étant liée aux volumes produits et
distribués.
- les rendements croissants d’information : plus la technologie est adoptée et plus elle est
connue, ce qui diminue l’aversion au risque des producteurs comme des consommateurs. Ces
risques peuvent être d’ordre technique, économiques ou sociaux ;
- les interrelations technologiques : plus une technologie est adoptée et plus elle structure ses
environnements scientifiques et technologiques ;
- les normes d’évaluation économique (Foray, 1989) : plus une technologie est adoptée et plus
elle sera capable de créer et de diffuser ses propres critères d’évaluation économique.
Ces six sources de RCA ne semblent pas épuiser l’ensemble des mécanismes récursifs par
lesquels un champ organisationnel structure son environnement interne et/ou externe en vue de
son développement. Nous pouvons en proposer deux autres :
- l’implication des sphères politiques : plus une technologie est adoptée et plus elle est
reconnue par les autorités politiques. Ceci lui ouvre les portes de la protection juridique
(appellation bio protégée), des subventions publiques diverses et des structures publiques de
formation (mise en place de formations qualifiantes offrant au système une ressource en main
d’œuvre qualifiée) ;
- la création d’actants spécifiques : plus une technologie est adoptée et plus elle peut créer ses
propres outils techniques et intrants. Ainsi la filière photovoltaïque développe actuellement
une filière d’approvisionnement en silicium adaptée à ses besoins techniques, au lieu d’utiliser
les rebuts de silicium de l’industrie électronique qui sont à la fois trop performants et coûteux.
Notons que l’exploitation de ces sources de RCA provient majoritairement d’actions
stratégiques misent en place par les acteurs du champ. A part les externalités de réseau et,
éventuellement, les rendements croissants d’information (bien que les stratégies de
communication portent sur ce domaine), les autres sources de RCA nécessitent la mise en place
d’action collectives, de stratégies de structuration de l’environnement tant interne qu’externe
du champ.
L’utilisation du concept de RCA, en tant qu’outil d’analyse de la dynamique d’un champ
organisationnel réside dans l’étude de l’exploitation de ces RCA. Trois hypothèses peuvent être
posées à ce niveau. Pour chaque technologie nous pouvons supposer :
19
- qu’il existe une typologie particulière des sources de RCA dans laquelle l’importance de
chaque source est spécifique ;
- que l’exploitation de ces sources de RCA est un processus temporel spécifique. L’exploitation
des sources de RCA se fait par phases successives ; chaque phase étant caractérisée par
l’exploitation d’une ou deux sources principales. L’importance de chaque source de RCA varie
au fur et à mesure que le champ se développe. On pourrait alors établir un modèle de
développement d’un champ en fonction des diverses phases temporelles d’exploitation des
sources de RCA ; associant à chaque étape du développement l’exploitation d’une source de
RCA déterminée.
- que les diverses sources de RCA ne sont pas toutes localisées sur le même type d’activité
dans le champ. Cette hypothèse d’asymétrie de la localisation des diverses sources de RCA
implique, qu’à un instant t donné du développement du champ organisationnel, il existe une
activité sur laquelle est localisée la source principale de RCA. Dès lors le développement de
cette activité, que l’on peut nommer activité-clé, est primordial à ce moment donné du
développement du champ. Elle permet ainsi de déterminer quelle est la ressource rare dans le
champ, à un moment donné. Il s’agit de la ressource dont l’activité clé a besoin pour se
développer. Celui qui la détient dispose d’une source de pouvoir dans le champ. De cette
hypothèse nous pouvons déduire qu’au fur et à mesure que le champ organisationnel se
développe, par l’exploitation des sources de RCA, la localisation de la source dominante des
RCA peut évoluer. Cette potentielle dé/re-localisation de la source principale de RCA dans le
champ peut générer une dé/re-localisation des ressources rares et donc des rapports de forces
entre les activités au sein de ce champ.
Ce jeu d’hypothèses permet de relier l’exploitation des RCA et les sources du pouvoir dans un
champ organisationnel. L’exploitation des RCA est l’objet de stratégies d’acteurs et son
évolution peut générer une modification des rapports de force au sein du champ. Nous nous
situons donc dans une approche en termes de path-creation. « Path-creationists argues that
path-dependancy does not leave room for an entrepreneur to « mindfully » play a role in
shaping their environment. Path-creation looks at the circumstances under which actors can
have an effect on a lock-in real time, not just past-hoc.” (Gartland, 2005, p. 696). “Entrepreneur
are embedded in the structures they joinly create” (Garud, Karnoe, 2001, p.9). Notre analyse se
situe en termes de path-creation dans la mesure où les acteurs y sont dotés de capacités à
structurer leurs environnements.
20
Elle est également reliée à la dimension identitaire. En effet, l’identité est structurante des
stratégies d’acteurs et des dynamiques relationnelles qui en résultent. Ces stratégies et
dynamiques relationnelles conditionnent la structuration économique d’un champ et
l’exploitation des RCA. Aussi la justification identitaire peut-elle aller contre la nécessité
économique représentée par l’exploitation des RCA. Cette déconnexion potentielle entre les
dimensions identitaire et technico-économique est une source de transformation d’un champ
organisationnel. La profonde transformation au sein de l’agriculture biologique en France suite
à la mise en place d’une réglementation européenne en 1991 fut interprétée comme le résultat
d’une telle déconnexion (cf. supra). D’un autre côté, l’exploitation des RCA implique l’entrée
de nouveaux acteurs ce qui peut correspondre à l’entrée de nouvelles représentations et
logiques institutionnelles et générer ainsi une modification de l’identité au sein du champ
(Bourdieu, 2000, Boyer, 2003). Par ailleurs, la modification du rapport de pouvoir peut entrer
en contradiction avec l’identité de certains acteurs du champ et ces derniers peuvent s’engager
dans des processus de changement institutionnel afin de compenser cette évolution. Dans
l’agriculture biologique l’arrivée d’acteurs conventionnels entre en contradiction avec l’un des
objectifs de certains acteurs de ce champ : le souhait d’autonomie des producteurs. Cette
contradiction a donné lieu à la création de nouvelles actions collectives (Pernin, 2006).
Plus globalement nous posons comme hypothèse que les inter-relations entre identité,
dimension technico-économique et rapports de pouvoir sont productrices de la cohérence d’un
champ organisationnel et de sa dynamique. Un champ disposant d’une forte cohérence est un
champ dans lequel ces trois dimensions n’entrent pas en contradiction les unes avec les autres.
Dans ce cas la légitimité des acteurs dominants du champ est forte et l’on peut penser que le
champ dispose d’une forte capacité de résilience face à un choc environnemental. Le champ
de l’agriculture biologique en Allemagne a pu intégrer la réglementation européenne de 1991
sans modification de son organisation du fait d’une forte cohérence entre sa dimension
identitaire et l’exploitation des RCA (cf. supra). Par ailleurs nous supposons qu’un champ
dispose d’une variété de cohérences potentielles et que cette variété correspond à sa capacité
auto-organisationnelle, à la variété dans son arbre de bifurcations possibles (Varela, 1989).
Cette variété correspond au nombre de cohérences qu’un champ peut mettre en place sans
entrer dans une phase de rupture (modification à la fois de sa hiérarchie de logiques
institutionnelles et de morphologie). Cette variété est tout aussi importante que la capacité de
résilience dans la mesure où elle évoque la plasticité du champ et pas seulement sa capacité de
maintien à l’identique. On pourrait alors faire l’hypothèse que plus la diversité des hiérarchies
21
de logiques et de modèles d’organisation dans un champ est forte et plus ce champ dispose de
capacités auto-organisationnelles. Cette diversité se heurte par contre au principe d’efficacité
technico-économique véhiculé par le concept de RCA.
Schéma 1 : Dynamique globale d’un champ organisationnel
L’apparition de zones d’incohérence entre ces trois dimensions prises deux à deux est la
source de changements institutionnels et organisationnels. Elle entraîne des stratégies de
compensation, d’émergence de nouvelles actions collectives qui soit orientent le champ vers
de nouvelles cohérences, soit induisent des changements institutionnels et organisationnels
plus ou moins radicaux. Le tableau suivant récapitule les diverses sources de changement
institutionnel dans un champ.
Impact surRapport de pouvoir Identité Exploitation des
RCA
22
Rendements croissants d’adoptionAdoption
Performance
Rapport de pouvoir
Identité
Structuration du champ, stratégies d’exploitation des
RCA
Evolution des ressources rares. Entrée de nouveaux acteurs
Entrée de nouveaux acteurs.
Modification de
Rapport de pouvoir
1 Déconnexion entre la légitimité et l’exercice du pouvoir
2 Modification des rapports de pouvoir qui entre en conflit avec les représentations des acteurs, avec certaines logiques institutionnelles
3 Le rapport de pouvoir correspond à une structuration du champ et à la mise en place de stratégies d’exploitation des RCA.Les acteurs dominants peuvent bloquer l’exploitation des RCA afin d’éviter que les ressources rares se délocalisent suite à cette exploitation
Identité 4 L’évolution identitaire peut entraîner la contestation des rapports de pouvoir en place
5 Dissonances identitaires au sein du champ
6 L’identité peut entrer en contradiction avec l’exploitation des RCA et conduire à l’inefficacité technico-économique
Exploitation des RCA
7 L’entrée de nouveaux adopteurs et l’évolution des ressources rares entraînent des modifications des rapports de pouvoir
8 L’entrée de nouveaux adopteurs conduit potentiellement à l’entrée de nouvelles représentations, de nouvelles logiques et à une modification identitaire dans le champ
Dynamique adoption-performance du champ
.Tableau 3 : Les sources de changement institutionnel dans un champ
Parmi les sources de changement identifiées dans le tableau ci-dessus, certaines coïncident
avec les sources de contradictions institutionnelles retenues par Seo et Creed (2002, pp.226-
229). Ces derniers retiennent quatre sources de contradictions qui fondent leur modèle
dialectique du changement :
- la contradiction entre la recherche de légitimité et l’efficience technique. Cette source
correspond aux cases 3 et 6 du tableau ;
23
- la contradiction entre l’institutionalisation qui correspond à la rigidification d’une pratique
alors qu’une organisation doit développer une adaptabilité à son environnement. Nous avons
fait l’hypothèse que la capacité de résilience et d’auto-organisation d’un champ dépend de sa
cohérence et de la variété de ses cohérences.
- la recherche de conformité intra-institutionnelle qui créé des incompatibilités inter-
institutionnelles. Dans ce cas la contradiction provient de la relation d’un champ avec ses
environnements ce qui ne rentre pas dans le cadre de notre analyse.
- la contradiction avec les arrangements institutionnels existants et les intérêts des acteurs les
moins dominants. Ceci peut conduire à la contestation politique et correspond à la case 4 du
tableau 2.
CONCLUSION
Selon nous le principal enjeu actuel de l’analyse institutionaliste réside dans la réalisation
d’une synthèse qui reprenne les principaux courants théoriques qui se sont développés parfois
de façon isolée dans diverses disciplines afin de produire un modèle global de la dynamique
d’un champ organisationnel et du changement institutionnel.
L’approche que nous avons développé a permis de saisir un nombre plus important de sources
de contradiction institutionnelles que celle retenue par Seo et Creed (2002) dans un champ
mais l’intérêt principal réside, à nos yeux, dans l’origine de ces sources. Elles ne sont pas
génériques mais sont issues de l’analyse de la dynamique d’un champ. Cette analyse peut
permettre d’anticiper la formation d’incohérences et peut se révéler utile en tant qu’outil de
management d’un champ notamment dans l’objectif de développer une capacité de résilience
et d’auto-organisation. Par ailleurs en développant une conception de l’organisation en tant
que combinaisons hiérarchisée de logiques institutionnelles l’analyse permet de répondre au
paradoxe structure-agence et d’envisager une graduation dans les changements institutionnels.
Cette conception doit pouvoir ouvrir la perspective d’un modèle global en utilisant l’approche
dialectique de Seo et Creed (2002) sous l’angle du réalisme critique et en y joignant un
modèle de dynamique d’un champ.
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