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Le bois dans l’architecture et l’aménagement de la tombe : quelles approches ? Tome XXIII des Mémoires publiés par l’AFAM, 2012, p. 341-353 341 Dans une boucle de la Seine, à environ 25 km en amont de Rouen, l’extension d’une sablière sur les communes de Tournedos-sur-Seine, Porte-Joie et Val-de-Reuil (Eure) a provoqué une série d’opé- rations d’archéologie préventive entre 1986 et 1994 (fig. 1). Un ensemble du haut Moyen Âge a fait l’ob- jet de fouilles sous la direction de F. Carré. Il s’agit d’un habitat groupé qui est établi dans la seconde moitié du VII e s. Il entoure un cimetière, doté d’une église entre le milieu du VII e s. et le milieu du VIII e s. (Carré 1996 ; Carré, Guillon 1995 ; Caeddu et al. 2008). L’habitat se déplace au plus tard au X e s., tandis que l’église et le cimetière restent en fonc- tion jusqu’au XIV e s. 1665 sépultures ont été mises au jour. Les études taphonomiques et biologiques ont été menées à l’origine par M. Guillon (Guillon 1990, 1991, 1993, 1997 et 2004 ; Castex et al. 1996). Les réflexions concernant la taphonomie des exemples présentés ont été effectuées conjointement par les auteurs, sans répartition par spécialité. * SRA Haute-Normandie. ** INRAP, UMR 5199 Bordeaux. Florence Carré * ,Mark Guillon ** Mots-clés : Moyen Âge, taphonomie, bois, effondrement, planches, clous, compression latérale. Résumé : Trois sépultures du site médiéval de Tournedos-sur-Seine/Porte-Joie ont été choisies pour discuter des diffé- rentes interprétations possibles de phénomènes taphonomiques presque similaires (compression latérale du squelee), associés ou non à des traces de planches ou des clous. Les auteurs proposent l’analyse de ces processus de compression afin de déterminer s’ils résultent des mêmes causes, en particulier de l’effondrement d’un aménagement en bois com- mun. Key-words : Middle Ages, taphonomical analysis, wood, collapse, boards, nails. Abstract : Three graves of the medieval site of Tournedos-sur-Seine/Porte-Joie were chosen to discuss various possible interpreta- tions of taphonomic phenomena almost similar (side compression of the skeleton), associated or not with tracks of boards or nails. The authors propose the analysis of these processes of compression to determine if they result from the same causes, in particular from the collapse of a common wooden architecture. 0 10 m N S.1592 S.369 S.1064 Fig. 1 - Plan général du site (DAO F. Carré). Effets de l’effondrement de planches sur le squelee. Trois exemples du site de Tournedos-sur-Seine/Porte-Joie (Eure), VII e -XIV e s.

Effets de l'effondrement de planches sur le squelette : Trois exemples du site de Tournedos-sur-Seine/Porte-Joie (Eure, VIIe-XIVe s.). in Le bois dans l’architecture et l’aménagement

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Le bois dans l’architecture et l’aménagement de la tombe : quelles approches ?

Tome XXIII des Mémoires publiés par l’AFAM, 2012, p. 341-353

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Dans une boucle de la Seine, à environ 25 km en amont de Rouen, l’extension d’une sablière sur les communes de Tournedos-sur-Seine, Porte-Joie et Val-de-Reuil (Eure) a provoqué une série d’opé-rations d’archéologie préventive entre 1986 et 1994 (fig. 1). Un ensemble du haut Moyen Âge a fait l’ob-jet de fouilles sous la direction de F. Carré. Il s’agit d’un habitat groupé qui est établi dans la seconde moitié du VIIe s. Il entoure un cimetière, doté d’une église  entre  le  milieu  du  VIIe  s.  et  le  milieu  du VIIIe s.  (Carré 1996 ; Carré, Guillon 1995 ; Catteddu et al. 2008). L’habitat se déplace au plus tard au Xe s., tandis  que  l’église  et  le  cimetière  restent  en  fonc-tion  jusqu’au XIVe  s. 1665 sépultures ont été mises au  jour.  Les  études  taphonomiques  et  biologiques ont été menées à  l’origine par M. Guillon  (Guillon 1990, 1991, 1993, 1997 et 2004 ; Castex et al. 1996). Les réflexions  concernant  la  taphonomie des exemples présentés  ont  été  effectuées  conjointement  par  les auteurs, sans répartition par spécialité.

* SRA Haute-Normandie.** INRAP, UMR 5199 Bordeaux. 

Florence Carré*, Mark Guillon**

Mots-clés : Moyen Âge, taphonomie, bois, effondrement, planches, clous, compression latérale.

Résumé : Trois sépultures du site médiéval de Tournedos-sur-Seine/Porte-Joie ont été choisies pour discuter des diffé-rentes interprétations possibles de phénomènes taphonomiques presque similaires (compression latérale du squelette), associés ou non à des traces de planches ou des clous. Les auteurs proposent l’analyse de ces processus de compression afin de déterminer s’ils résultent des mêmes causes, en particulier de l’effondrement d’un aménagement en bois com-mun.

Key-words : Middle Ages, taphonomical analysis, wood, collapse, boards, nails.

Abstract : Three graves of the medieval site of Tournedos-sur-Seine/Porte-Joie were chosen to discuss various possible interpreta-tions of taphonomic phenomena almost similar (side compression of the skeleton), associated or not with tracks of boards or nails. The authors propose the analysis of these processes of compression to determine if they result from the same causes, in particular from the collapse of a common wooden architecture.

0 10 m

N

S.1592

S.369

S.1064

Fig. 1 - Plan général du site (DAO F. Carré).

Effets de l’effondrement de planches sur le squelette.Trois exemples du site de

Tournedos-sur-Seine/Porte-Joie (Eure), VIIe-XIVe s.

Effets de l’effondrement de planches sur le squelette.Trois exemples du site de Tournedos-sur-Seine/Porte-Joie

(Eure, VIIe-XIVe s.)

Florence Carré, Mark Guillon

Tome XXIII des Mémoires publiés par l’AFAM, 2012, p. 341-353

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Nous nous plaçons ici dans la problématique de  la  détection  de  planches  effondrées  dans  un espace vide. Cet effondrement est mis en évidence par  des  effets  de  paroi  observés  dans  le  sédiment ou / et par des positions particulières de certaines pièces osseuses.  Il  s’agit de  confronter  l’hypothèse de l’effondrement d’une planche de l’aménagement en  bois  avec  d’autres  hypothèses  de  phénomènes taphonomiques sur l’origine possible du «compor-tement» des os du squelette, comme la position de dépôt, le passage d’un fouisseur, etc. (Duday 1995 ; Duday et al. 1990 ; Duday, Guillon 2006).Sept  sépultures  entrant  dans  cette  probléma-

tique, quatre attribuables à des adultes et trois à des enfants,  présentent  une  position  particulière  pro-venant d’une compression sur un côté du squelette, compression qui a pu s’exercer sur l’épaule (avec notamment un redressement, voire un retourne-ment de la scapula qui peut être découverte alors en vue postérieure), sur le bras (humérus) et parfois sur l’os coxal.La  sépulture  la  plus  facile  à  interpréter,  S.369, 

associe des traces de planches et 30 clous dont l’orga-nisation indique un dépôt dans un cercueil. Un autre cas, la tombe S.1064, ne comporte que la trace d’une paroi de bois en avant du squelette. Les cinq autres sépultures (S.165, 272, 532, 719 et 1592) ne fournissent ni clou, ni trace de bois et le raisonnement repose donc  à  la  fois  sur  l’étude  taphonomique  et  sur  les comparaisons avec les sépultures 369 et 1064.L’analyse des phénomènes de compression obser-

vés est présentée ici cas par cas, afin de déterminer si elle résulte des mêmes causes et si elle est liée à un phénomène taphonomique spécifique issu d’un aménagement en bois commun à tous ces exemples, ce qui sera l’hypothèse à tester.

La sépulture 369

La sépulture 369 est celle d’une femme, décédée entre 20 et 25 ans1, dont le corps a été déposé dans un  cercueil  cloué,  lui-même  placé  dans  une  vaste fosse  aux  parois  verticales  et  à  fond  presque  plat (fig. 2). Aucun élément de datation n’est disponible, mais ce type de sépulture est attesté sur le site aux XIIIe-XIVe s. (dépôts de vases à encens associés aux cercueils cloués).

1 La diagnose sexuelle des sujets adultes repose sur la morphologie et les dimensions des os coxaux (Bruzek 1991,  1992).  L’estimation  de  l’âge  au  décès  des  sujets immatures  est  fondée  sur  les  dimensions  osseuses (Guillon  1997),  les  calcifications  dentaires  (Moorrees  et al.  1963a  et b)  et  la maturation  osseuse  (Birkner  1980  ; Kamina 1983) ; en fonction de l’âge et de la conservation du squelette, une ou plusieurs de ces méthodes ont pu être appliquées (Guillon 1997).

Le cercueil à travers ses traces (restes de bois et clous)

Les traces de bois permettent de repérer le fond du cercueil et ses limites, ainsi que le petit côté ouest et le flanc nord, tous deux verticaux lors de la décomposition du bois (fig. 2, 3). La ou les planches de pied, bien que leurs vestiges soient moins nets, semblent également s’être décomposées en position verticale. En  revanche,  la paroi  sud s’est  effondrée sur le squelette : sa trace formait un angle aigu avec le fond du contenant et reposait directement sur le bloc crânio-facial, la scapula, l’humérus et l’os coxal droits.  L’emplacement  primitif  et  la  fixation  de  ce flanc sud au fond du cercueil sont matérialisés par l’alignement de clous ABCC’C’’D. Le cercueil, trapé-zoïdal, mesurait 168 cm de long pour 26 cm de large aux pieds et 35 cm à  la tête. La hauteur maximale des traces de bois est de 20 cm, dans l’angle nord-ouest. Les 22 clous restés en place, comportant le plus 

souvent des restes de bois observables, permettent de définir les assemblages et de proposer une resti-tution partielle de l’architecture du cercueil (fig. 3) :-  les  petits  côtés  sont  assemblés  au  fond  par  3 

clous (F, G, H à la tête et Q, R, S aux pieds) ;-  les flancs  sont  joints  au  fond par 5 ou 6  clous 

disposés irrégulièrement (A, B, C, C’, D et la trace C’’ au sud ; K, M, N, O, P au nord) ;- les flancs sont fixés aux petits côtés par au moins 

3 clous, l’angle nord-ouest livre par exemple un clou (U) reposant sur le fond, un autre (J), 7 cm au-des-sus et un troisième (I) à 6 cm au-dessus de J ; le clou T, dans  l’angle  sud-est,  se  rattache probablement à la fixation du flanc sud et de la paroi de pied car il repose à 5 cm du fond ; les clous P’ et P’’, rencontrés au nettoyage final, lient le flanc nord et le pied ; 

- le couvercle était sans doute cloué, car le clou L était placé à 18 cm du fond du cercueil, contre le flanc nord ; il comportait les traces de deux planches aux fibres perpendiculaires entre elles, ce qui  indi-querait soit la présence d’une traverse nord-sud, soit la transversalité des planches du couvercle par rapport à celles des flancs, ce qui semble peu fonc-tionnel. Plusieurs autres clous ont été enregistrés en cours de fouilles, avec une moins grande précision, et  pourraient  également  se  rattacher  au  couvercle (W, X, Y et Z, fig. 2) ; W se trouve environ à 22 cm du fond de fosse, X à 18 cm, Y à 10 cm et Z à 15 cm ; la position de deux de ces clous, W et X,  sur  l’axe central, suggère la présence d’une traverse est-ouest, qui serait compatible avec des planches transver-sales. Un couvercle en bâtière est également possible, les planches longitudinales seraient clouées entre elles au centre et seraient maintenues au moins par une traverse nord-sud au niveau du clou L. L’usage de planches de récupération comportant des clous

Effets de l’effondrement de planches sur le squelette. Trois exemples du site de Tournedos-sur-Seine…

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D

HGFE

B

C

P

O

N

M

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K

A

T S R Q

I, J, U

C'

0 50 cm

N

S.369

Clous localisés précisémentTraces de boisParoi supposée du cercueil

Clous localisés sur un croquisOs localisés sur un croquis

C'’

X

Y

Z

W

P', P''

Os d’un autre individu

Bord

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Fig. 2 - Sépulture S.369 : relevé, vue générale et vue latérale en perspective du déplacement osseux (DAO F. Carré, d’après F. Henrion, clichés F. Carré).

Florence Carré, Mark Guillon

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qui ne seraient pas liés au cercueil est aussi une éventualité.Les  traces  de  bois  sur  les  clous  permettent  de 

repérer le sens des planches et leur épaisseur (Hunot 1996). Ainsi, les grands côtés et le fond sont constitués de planches aux fibres longitudinales, à la différence des petits côtés (fibres verticales). Au sud, il existe une planche d’une épaisseur d’envi-ron  1,8  cm  (clou T)  ;  à  l’ouest,  les  clous  F, G  et H 

témoignent d’une planche épaisse d’environ 1,9 cm ; au nord une planche a laissé sur les clous I et J une trace de 1,7 à 2 cm d’épaisseur et à l’est, une autre a marqué le clou Q d’une empreinte d’environ 1,9 cm de  large.  Il  s’agit  donc  d’un  cercueil  constitué  de planches n’excédant pas 2 cm d’épaisseur.Les altitudes des clous du flanc sud présentent 

une petite anomalie  :  les  têtes de A, B, C, C’ et D sont  quasiment  au  même  niveau  (1  cm  de  diffé-

Nombre total de clous : 30 Nombre de clous non situés : 11

UJ

I

F G HU J I

K

L Assemblage couvercle-flanc nord ?

M

N

O

P

D

C’

T

A

B

C

0 50 cmQRS

Fond Flanc sud

T

Flanc nord

Paroide tête

(vue interne)

DC’CA

KP

L?

Paroide pieds

(vue interne)

Clou en vue transversale

Clou vu de côté

Fibres de bois transversales

Fibres de bois longitudinales

Tournedos/Porte-JoieS.369

Fig. 3 - Sépulture S.369 : position des clous et restitution de l’architecture du cercueil(DAO F. Carré, M. Guillon, selon Hunot 1996).

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rence maximum) et leurs pointes sont respective-ment 0,5  cm plus bas. Les cotes prises au centre de la fosse montrent que les os reposent 3 à 4 cm plus bas que  les  têtes de  clous. Cette  altitude  est  aussi celle  du  bas  du  flanc  nord  du  cercueil.  Ces  diffé-rences pourraient témoigner d’un léger pendage sud-nord du fond de fosse ou refléter les effets de l’effondrement de la paroi sud : il a pu provoquer le soulèvement d’une planche de fond. L’observation du sédiment sous la tête des clous, l’encaissant en place ou la terre de remplissage de la fosse, aurait probablement permis de trancher, mais elle n’a pas été effectuée. Un pendage éventuel du fond de fosse, se  répercutant  sur  le  fond du  contenant,  pourrait avoir favorisé le basculement latéral du corps vers le nord.

La position du squelette

La  préservation  des  relations  anatomiques indique un dépôt primaire (fig. 2). Le corps n’est pas au centre du cercueil mais contre la paroi latérale nord. Il peut s’agir de la position de dépôt ou d’un glissement du cadavre au cours du transport. Mal-gré tout, l’espace libre au sud ne devait pas excéder 5 cm. Le cercueil n’est donc pas véritablement étroit mais plutôt ajusté. Le  bloc  crânio-facial  se  présente  par  sa  face 

antéro-supérieure légèrement latérale droite, la mandibule  également ;  ils  sont  disloqués mais  en proximité  anatomique.  La  connexion  entre  l’hu-mérus  et  la  scapula  gauches  est  lâche,  le  coude gauche est disjoint et le radius et l’ulna ont glissé vers l’est. La main est dispersée à l’extrémité de ces deux os sous lesquels certains de ses éléments ont glissé. La scapula droite se présente en face posté-ro-latérale et la clavicule droite en vue supérieure. Scapula et humérus droits (ce dernier en face anté-rieure légèrement latérale) sont disloqués, l’extré-mité proximale de l’humérus a chu vers le centre du corps, l’articulation du coude n’est pas main-tenue, la main est relativement dispersée dans les côtes et sur l’humérus gauches. Le rachis présente une courbure importante vers le nord-ouest, les vertèbres  sont en  face antérieure à  l’exception des trois premières lombaires qui sont légèrement en vue latérale droite. Les côtes gauches sont ouvertes tandis  que  les  droites  sont  fermées  en  avant  du rachis thoracique. L’os coxal gauche, maintenu par la paroi du cercueil, est en vue antérieure légère-ment médiale,  et  le  sacrum est  en  face  antérieure. L’os coxal droit a basculé en dedans du corps et pré-sente sa face latérale. Fémur et tibia gauches sont en face antérieure ;  tibia et fibula droits aussi,  tandis que  le  fémur  a  légèrement  pivoté  vers  l’extérieur et présente sa face antéro-latérale. Les os des pieds sont en connexion anatomique jusqu’aux métatar-

siens inclus. Talus et calcanéus gauches sont en vue médiale et l’ensemble du pied droit présente une composante dorsale. L’extrémité distale du premier métatarsien droit est à 4 cm du fond de fosse, posée sur l’empilement des os du pied gauche.

L’interprétation

Les déplacements de la partie droite du squelette peuvent-ils être attribués totalement ou partiellement à la position du corps après dépôt du cercueil dans la fosse ? La première hypothèse est que le défunt reposait 

légèrement sur le côté gauche, en raison de la posi-tion de  la  tête osseuse, des  côtes gauches et de  la courbure vers la droite du rachis, ce qui avait favo-risé les déplacements observés à droite du squelette. Cela signifierait que l’os coxal gauche aurait pu se mettre à plat et que le membre inférieur droit aurait eu une composante latérale qui aurait ensuite disparu,  fémur  et  tibia/fibula  pivotant  à  nouveau ensemble, pour se mettre en équilibre en face anté-rieure au moment de la décomposition des liens de contention  coxo-fémoraux.  Cependant,  une  telle position, semi latérale, en appui contre une paroi, dans un espace vide, semble être un équilibre ins-table qui tendrait à évoluer vers un rétablissement en  décubitus  dorsal.  De  plus,  le  pied  droit  aurait alors été latéral et non dorsal et les cotes gauches plus fermées. Il est donc plus probable que le dépôt primitif ait été un décubitus dorsal classique.Quoiqu’il en soit, la composante postérieure de 

l’os coxal et de la scapula droits ne peut s’expliquer par une telle position de dépôt, qui ne peut avoir eu pour effet que de favoriser ce basculement vers l’axe du corps, tout comme le pendage éventuel du fond de fosse. La seule explication plausible à ce bascu-lement est donc la pression exercée par la paroi sud du cercueil lors de sa chute, dont témoignent les traces de bois.

À quel moment de la décomposition les déplacements osseux se sont-ils produits et ont-ils été simultanés ? Les mouvements subis par la scapula et l’os coxal 

droits nécessitent une forte pression mais aussi un état de décomposition avancé des articulations glé-no-humérale  et  sacro-iliaque.  La  rupture  de  cette dernière,  considérée  comme  persistante  (Duday 1995  ; Duday, Guillon  2006),  indique que  la  chute des planches ne s’est pas produite immédiatement après l’ensevelissement. La mobilisation de  la scapula droite a entraîné 

celle de l’humérus qui est pratiquement resté en connexion avec la scapula ; il est néanmoins en vue antérieure, ce qui prouve la décomposition des liens articulaires avec la scapula avant le choc, liens qui sont labiles : s’ils avaient disparus moins tôt dans le processus de décomposition, l’humérus aurait suivi

Florence Carré, Mark Guillon

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la scapula en face postérieure. Un retournement de celui-ci dans un second temps n’est guère logique. La  position  des  côtes  droites  semble  montrer qu’elles ont été refermées en bloc lors de la pression. Elles  ont  alors  pu  entraîner  les  deux  ensembles radius ulna, déjà affaissés par  la perte du volume thoracique, provoquant la disjonction des coudes dont  les éléments de contention avaient déjà  cédé. L’ampleur du déplacement du côté droit est indiqué par la position primitive de la main, déductible de l’emplacement des métacarpiens.Le  redressement de  l’os  coxal  semble  avoir  été 

modérément  suivi par  le membre  inférieur droit  : seul  le  fémur  présente  une  composante  latérale. L’articulation  coxo-fémorale,  labile,  avait  probable-ment  lâché  avant  l’effondrement  de  la  planche.  À moins que le fémur ait effectué une rotation, puis se soit replacé par la suite en équilibre en face anté-rieure,  dans  l’espace  préservé  sous  la  paroi  effon-drée ; l’articulation du genou pouvait avoir lâché à ce moment, à moins que le tibia n’ait été solidaire du fémur dans ce mouvement.

Comment s’articule cette chronologie des déplacements osseux avec celle de l’effondrement du contenant ? Il  est  clair  que  le  couvercle  avait maintenu un 

espace vide lorsque la paroi sud du cercueil s’est effondrée  :  son basculement  interne n’est possible que  pour  cette  raison.  Les  déplacements  osseux aussi nécessitent un espace vide, même si, pour la plupart, ils ont lieu dans le volume des chairs. Ain-si, les déplacements de l’os coxal et de la scapula droits présentent une ampleur incompatible avec un  contexte  de  colmatage  en  cours.  Des  mouve-ments se sont peut-être également produits sous la planche tombée, comme éventuellement celui du membre inférieur droit.Le  basculement  de  la  paroi  nord  indique  le 

pourrissement des angles du cercueil, puisque les longs  côtés  enserraient  les petits  côtés  (fig.  3),  qui, en bon état, les auraient retenus. L’effondrement n’a pas forcément produit une pénétration massive de sédiment : le couvercle, qui était préservé, comme le prouve l’existence de l’espace vide, a pu suivre le mouvement en prenant un pendage nord-sud et continuer  à  recouvrir  étroitement  l’espace  interne. Ces  éléments  sont  corroborés  par  la morphologie des  traces  de  bois  à  la  tête  du  cercueil  :  leur  alti-tude supérieure décroît de 15 cm du nord au sud, ce qui indique probablement une conservation dif-férentielle  (au-dessous  et  au-dessus  du  couvercle basculé ?).

Le maintien de certains os en équilibre démontre-t-il un colmatage rapide après l’évènement ?En  fait,  ces  équilibres  peuvent  tous  recevoir 

d’autres explications que le colmatage immédiat

et  massif  du  contenant  après  l’effondrement  :  la scapula droite  repose sur  les côtes qui  l’ont empê-chée  de  se  placer  totalement  à  plat  en  face  posté-rieure ; l’os coxal droit a été retenu dans sa « chute » vers l’intérieur du bassin par le sacrum, lui-même calé par l’os coxal gauche ; plusieurs os des mains semblent en équilibre instable mais sont en réalité calés par d’autres pièces osseuses ; les os des pieds en équilibre ou en bonne connexion (tarse et cer-tains métatarsiens droits) s’expliquent cependant par les infiltrations de sédiment liées au pourrisse-ment de l’angle de la planche de pied.

Conclusion

La position particulière de ce squelette s’explique bien par l’évolution taphonomique des éléments de l’aménagement, en l’occurrence un cercueil de bois, dont la planche latérale cède au moment où la décomposition du corps est largement avancée. En revanche, la chronologie des déplacements osseux peut s’avérer plus complexe qu’un simple effet d’ef-fondrement avec comblement immédiat, des vides pouvant subsister sous les planches et permettre de nouvelles mises « à plat » des os.

La sépulture 1064 

Le corps, attribuable à une jeune femme (décès estimé entre 20 et 25 ans) a été placé dans une vaste fosse de 70 cm de profondeur conservée, aux parois presque  verticales  et  au  fond plat  remontant  légè-rement aux pieds (on enregistre 4 cm de différence avec l’altitude du fond de la fosse, par ailleurs régu-lière  du  crâne  aux  tibias). Des  traces  de  planches témoignent d’un aménagement qui n’est pas immé-diatement  identifiable  (fig.  4,  5).  Le  sédiment  de comblement renferme 38 tessons attribués au XIe s.

Les traces de l’aménagement en bois

Aucun effet de paroi n’a été observé dans le sédi-ment de comblement  lors du nettoyage en surface. Le mode de fouille ne permet pas de savoir s’il en existait à un autre niveau du comblement et aucune coupe n’a été réalisée pour en permettre l’observa-tion. 

Des traces de planche de 16,4 cm de largeur sont apparues (et ont été relevées) en avant du squelette, du milieu de l’humérus droit à l’extrémité distale du tibia droit (A, fig. 4) ; elles présentent une pente nord-sud de 10 cm (70 % environ) et un léger pen-dage est-ouest (4 % environ). Ces traces ligneuses ne se trouvent pas en contact avec les os, sauf peut-être dans  le  secteur de  l’humérus droit :  leur partie  la plus profonde est à 2 cm au-dessus de la tête de cet humérus, mais 6 cm au-dessus de l’ischium gauche

Effets de l’effondrement de planches sur le squelette. Trois exemples du site de Tournedos-sur-Seine…

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S.1064

0 50 cm

N

A

B

Os localisés sur clichés

Traces de bois

Position initiale de l'humérus droit

Contrainte ?

Poussée

Perturbation du bord de fosse :passage d'un fouisseur ?

?

Pous

sée

Fig. 4 - Relevé et vues de la sépulture S.1064 (DAO F. Carré, d’après L. Loiselier, clichés M. Guillon).

Florence Carré, Mark Guillon

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et environ 13 cm au-dessus du genou gauche (d’après les altitudes supérieures des os). La poursuite de la fouille a montré  l’existence d’autres  traces à droite du squelette, qui apparaissent au niveau du coude et se poursuivent au-delà des pieds (B, fig. 4). Elles ont été enregistrées par photographies ; leur altitude et leur pendage n’ont malheureusement pas été notés ; leur continuité avec les traces précédentes, quoique probable,  n’est  pas  assurée.  Elles  ne  semblent  pas au contact direct avec l’os, au moins 1 cm de terre les sépare du point  le plus haut de  la crête  iliaque droite  (l’épine  iliaque  antéro-supérieure).  De  l’os coxal à l’extrémité est de la fosse, elles délimitent et séparent deux sédiments de comblement différents, l’un plus clair, proche du terrain encaissant au sud, l’autre plus foncé au nord, en avant du corps (fig. 5).La lecture de ces traces ne permet pas une inter-

prétation immédiate : il peut difficilement s’agir de la planche latérale d’un contenant, dans la mesure où la trace apparaît très en avant des os ; si ce sont les vestiges du couvercle d’un contenant, les différences de comblement  illustrent  l’effet de paroi marquant la  séparation  entre  comblement  interne  et  externe. Néanmoins,  ces  témoins  peuvent  aussi  être  ceux d’une couverture horizontale ou en bâtière, aména-gement  indépendant  reposant  sur  des  banquettes de sédiment dont la trace serait visible sur la photo-graphie (sédiment plus clair) mais qui auraient été enlevées par le fouilleur. 

La position du squelette

La  préservation  des  relations  anatomiques indique  un  dépôt  primaire.  Le  bloc  crânio-facial apparaît  en  vue  antérieure ;  il  repose  à  la  même profondeur que l’extrémité proximale de l’humérus gauche ; la mandibule, disloquée, a migré entre les humérus, en avant du tiers proximal du tronc. Les faces  d’apparition  des  humérus  sont  latéro-pos-térieure à droite et antérieure légèrement latérale à  gauche.  Ces  deux  os  sont  en  connexion  lâche avec leur scapula respective, la gauche est en vue antérieure mais la droite se présente latéralement, de  chant.  Les  clavicules  sont  parallèles  à  l’axe  du corps (« verticalisées ») et la gauche a pivoté avec un  léger déplacement distal. Radius et ulna droits sont en connexion entre eux et avec l’humérus, la main droite passait probablement en arrière du coude gauche. Le radius gauche a pivoté de 90°. Le rachis est disloqué de l’atlas à la quatrième vertèbre cervicale (C1 et C2 sont en vue inférieure), puis en connexion plus ou moins étroite jusqu’au sacrum, à l’exception de la douzième vertèbre thoracique qui a subi un déplacement. L’ensemble de la colonne est en vue antérieure avec une légère composante laté-rale droite pour les vertèbres cervicales et certaines thoraciques.  Les  coudes  sont  restés  articulés.  Le 

bassin est pratiquement fermé alors que le fond de fosse est bien plat. Les membres inférieurs sont en face antérieure, le tarse droit est en connexion ana-tomique, en vue dorso-distale, ainsi que le gauche qui présente en revanche une composante  latérale. Les métatarsiens et les phalanges sont disloqués et les métatarsiens 4 et 5 gauches sont sortis du volume des chairs et reposent, avec un pendage de 5 cm, à la même profondeur que d’autres éléments du pied droit.

L’interprétation

La position des os apporte-t-elle des précisions sur l’amé-nagement en bois ?Présence d’un couvercle

Des déplacements osseux sont constatés au niveau du thorax et des pieds. Dans la partie haute du corps, ils se sont produits principalement à l’in-térieur du volume des chairs, mais sont cependant incompatibles  avec  un  colmatage  progressif :  ils sont amples et de grands os sont concernés (notam-ment le radius gauche et la mandibule). Ces déplace-ments suggèrent donc la présence d’un espace vide lié à un couvercle. 

Fig. 5 - Sépulture S.1064 : vue de la trace de planches B et de l’effet de paroi dans le sédiment (cliché F. Carré).

Effets de l’effondrement de planches sur le squelette. Trois exemples du site de Tournedos-sur-Seine…

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Néanmoins, ce n’est sans doute pas aussi simple  : les enregistrements de terrain mentionnent la diffi-culté de  lecture de  la  fosse au nord-ouest  ; or elle n’est pas recoupée par une autre tombe et l’on peut se  demander  si  ces  perturbations  pourraient  être liées à un fouisseur. Son cheminement passerait à gauche  du  bloc  crânio-facial  (en  le  poussant  vers le sud ?), serait perceptible entre les deux humérus (rachis et mandibule bousculés), puis entre l’hu-mérus gauche et les côtes, dont la position semble cohérente mais dont la mobilisation est démontrée par le glissement de la dernière côte en avant du radius droit. Dans la région du coude gauche, l’ani-mal aurait provoqué la rotation de l’extrémité dis-tale du radius vers le bassin tout en déplaçant, hors du volume des chairs, deux phalanges de la main droite vers  l’extérieur du  coude gauche. L’absence de sédiment entre les os déplacés et les autres, qui indiquerait l’existence d’un espace vide lors de la perturbation, semble toutefois difficilement compa-tible avec les aléas d’une circulation animale. Une hypothèse toute différente, qui ne tiendrait 

pas compte de la perturbation du bord nord-ouest de la fosse, serait celle de la rupture de l’assemblage longitudinal d’un couvercle en bâtière dans l’espace vide d’un contenant ; le point de contact entre le cou-vercle et le squelette se serait trouvé dans la région axiale, expliquant notamment les déplacements de la mandibule et du radius gauche.

Une action animale, peut-être la suite de la pré-cédente, est aussi proposée pour expliquer la sor-tie du volume des chairs des deux métatarsiens gauches et le déplacement vers le nord de l’extré-mité  distale  du  troisième métatarsien  gauche.  En effet,  ils  peuvent  difficilement  avoir  été mobilisés par un éboulement de paroi, qui les aurait plutôt rapprochés qu’éloignés du squelette. Leur position est de surcroît en contradiction avec le maintien en connexion et en équilibre instable de la plus grande partie des os des pieds. 

La  position  de  l’épaule  droite  peut  également être  considérée  comme une mobilisation :  la mise sur chant de la scapula résulte d’une poussée pos-térieure à la décomposition des liens de la ceinture du membre supérieur. Cette poussée a aussi proba-blement déclenché l’ouverture en éventail des côtes à droite ; l’humérus a suivi la scapula avec laquelle il conserve une connexion lâche. Ces mouvements, également importants, suggèrent un vide en avant des côtes, et ne peuvent cette  fois être rapprochés d’une action exogène. 

Précisions sur la morphologie d’un contenantPresque en contradiction avec les déplacements,

certains  maintiens  d’os  sont  constatés.  Ainsi,  de 

nombreux os des pieds sont en équilibre instable, plus ou moins en connexion anatomique, comme le premier métatarsien droit qui surplombe de 8 cm le  fond de la fosse. Ces équilibres témoignent pro-bablement d’un colmatage relativement rapide de cette  région du corps mais  surtout de  la présence de parois au nord, à l’est et au sud, qui délimitent l’effondrement  des métatarsiens  et  des  phalanges. Des indices de parois disparues au nord et à l’ouest sont également fournis par la position d’os en équi-libre  instable  :  ainsi,  l’humérus  gauche  présente une composante latérale et le crâne est resté en vue antérieure. L’ensemble de ces éléments suggère un contenant hexagonal. Peut-être est-il possible d’aller plus loin dans le 

raisonnement  grâce  à  la  mobilisation  de  l’épaule droite :  si  elle  a  été  provoquée,  comme  dans  la sépulture S.369, par le basculement du flanc latéral d’un contenant, il est très étonnant que cela n’ait pas entraîné et basculé des os en fort relief, comme l’os coxal et le crâne. La pénétration rapide de sédiment après la poussée a été démontrée, ils n’ont donc pas pu  retomber  ensuite.  Le  crâne  a  éventuellement pu être repoussé au sud par un animal. Une autre explication serait que la paroi latérale du contenant soit  constituée  de  plusieurs  planches.  L’effondre-ment serait alors ponctuel et produirait les mêmes effets que celui d’une partie de paroi de fosse à ban-quettes couverte, comme dans la sépulture 5242 de Vilarnau (Passarrius et al. 2008, p. 222). 

Perméabilité du couvercle et/ou du contenantLe bassin ne s’est pas mis totalement à plat alors 

que le fond de fosse semblait le permettre, et, après leur déplacement, humérus et scapula droits sont restés  latéraux.  La  pénétration  de  sédiment  suit donc de peu la pression à droite et la précède peut-être au niveau des pieds. 

À quels éléments de l’aménagement se rattacheraient les traces de bois ?La trace B ne paraît compatible qu’avec un cou-

vercle, car elle déborde des limites supposées aux pieds.  Elle  n’aurait  donc  aucun  rapport  avec  la poussée  exercée  sur  le  squelette au  sud. Elle peut appartenir à la partie sud d’un couvercle en bâtière dont la planche A formerait la partie nord. La rup-ture axiale de  la bâtière serait  illustrée par  le pen-dage nord-sud de la planche A.Quoiqu’il  en  soit,  le  couvercle  ne  serait  pas 

ajusté  au  contenant.  Ce  dernier  pourrait  jouer  le même  rôle  qu’une  fosse  anthropomorphe  et  être constitué de petites planches calant le sédiment pour former des banquettes supportant le couvercle. L’effondrement latéral serait dû à celui d’une petite planche  localisée  au  niveau  de  l’humérus.  Cette hypothèse  s’accorderait  avec  la  nature  perméable 

Florence Carré, Mark Guillon

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de l’aménagement et la remontée progressive du fond de  fosse  aux  pieds  (11,03 m  sous  les  genoux, 11,07  m  Ngf  sous  les  tibias,  11,11  m  Ngf  sous  les naviculaires, 11,14 m sous les métatarsiens et en pied de paroi  est,  soit  un dénivelé de  11  cm).  Elle permettrait  d’aménager,  dans  un  sédiment  qui s’éboule en permanence (la grave), une architecture funéraire  très  fréquente  durant  cette  période  du Moyen Âge central, une fosse à banquettes couverte (cf. dans cet ouvrage Donat et al.  ;  Blanchard, Poitevin). En revanche la forme, hexagonale et non anthropomorphe, serait originale.

Conclusion

À l’issue de cette discussion, on voit bien  la dif-ficulté de l’interprétation, même dans le cas où une architecture  de  bois  est  attestée  par  les  vestiges ligneux. La similitude avec  la sépulture S.369 n’ap-paraît pas évidente et d’autres types d’aménagement qu’un cercueil sont envisagés. En revanche, le stade des hypothèses peut difficilement être dépassé. 

La sépulture S.1592 

Le sujet, adulte, de sexe féminin, est déposé dans une large fosse à fond plat et aux parois presque ver-ticales, ayant conservé entre 17 à 60 cm de hauteur (fig. 6). Les os sont datés par 14C calibré entre 663 et 803 (Ly-13838). 

Des traces ténues d’aménagement en bois

Aucun effet de paroi n’a été observé en surface dans  le  sédiment  et  aucune  coupe n’a  été  réalisée. Quelques traces de charbon sont observées en fond de fosse, autour de la tête ainsi que dans le secteur du  bassin,  entre  les  fémurs  et  au  nord  du  fémur gauche.  Il  pourrait  s’agir  des  restes  ténus  d’une planche de fond.

La position du squelette

La  préservation  des  relations  anatomiques indique  un  dépôt  primaire.  Le  bloc  crânio-facial apparaît  antéro-supéro-latéral  gauche.  La  man-dibule  est  en  connexion  lâche  avec  lui.  Les  deux humérus sont en connexion lâche avec leur scapula, la droite est en vue latérale et la gauche en vue posté-rieure. L’humérus droit présente une légère compo-sante postérieure tandis que le gauche apparaît tout à fait postérieur. La clavicule gauche s’est retournée en  vue  inférieure.  Le  rachis  est  disloqué  des  ver-tèbres cervicales jusque vers la 12e vertèbre thora-cique, puis apparaît en face antéro-latérale gauche et antérieure à l’étage lombaire. Les côtes gauches sont en vue latérale. L’os coxal droit est en vue antérieure 

et le gauche antéro-latérale. Les membres inférieurs sont  en  face antérieure à  l’exception du  tibia droit qui a pivoté en dehors et présente sa face médiale. Tibia et fibula gauches sont disjoints. Les pieds sont disloqués,  sauf  le  tarse  et  le  premier  métatarsien gauches qui sont en connexion lâche avec des com-posantes latérales.

Interprétation

La position des os permet-elle d’émettre l’hypothèse d’un contenant en bois ?

Des mouvements importants se sont produits dans  le  volume  des  chairs ;  Ainsi,  une  compres-sion sur l’épaule gauche a probablement provoqué le redressement de la scapula et la rotation interne de  l’humérus  ;  l’os  coxal  gauche  a  également  subi une pression, il est redressé et s’est déplacé vers le sud,  le  membre  inférieur  gauche  peut-être  aussi, tandis  que  la  fibula  restait  en  position  initiale.  Le tibia droit a pivoté en face médiale. Les pieds sont disjoints, le tarse gauche semble avoir chuté vers le sud. Les déplacements,  amples, ne peuvent  s’expli-quer que par la présence d’espaces vides. De plus, le cinquième métatarsien droit a migré entre les tibias.

Des contraintes sont perceptibles de part et d’autre du corps. Un effet de délimitation linéaire est marqué au  sud par  l’alignement du crâne, de  l’hu-mérus, de l’os coxal, du genou et des os des pieds ; le crâne, qui n’est pas en position stabilisée sur son côté droit, ainsi que l’humérus, resté en position latérale, sont maintenus en équilibre instable. L’épaule droite est probablement comprimée, comme l’indique son décalage en hauteur et la « verticalisation » de la clavicule. Au nord, côtes, coude, grand trochanter et talus sont alignés ; le coxal gauche est maintenu en vue antérieure. Les os du pied droit sont contraints : ils sont empilés en équilibre dans un espace limité.Ces  effets  de  paroi  et  de  contrainte  ainsi  que 

ces déplacements osseux qui indiquent la présence d’espaces vides au cours de la décomposition, sug-gèrent l’hypothèse d’un contenant en bois étroit de plan trapézoïdal, large de 32 cm à la tête et de 20 cm aux pieds (fig. 6). 

Quelles sont les raisons de la compression observée à gauche ?Elle  pourrait  être  due  à  l’effondrement  de  la 

paroi latérale nord. En effet, le squelette présente les mêmes  « symptômes »  que  la  sépulture  S.369,  un peu  accentués.  L’humérus  contraint  n’a  pas  glissé mais a suivi le basculement de la scapula, le coxal gauche a aussi été repoussé et il est possible que fémur et tibia gauches aient été légèrement déplacés vers le centre du corps. Comme dans le cas de S.369, un dépôt du corps légèrement latéral contre la paroi nord a pu favoriser la mobilisation.

Effets de l’effondrement de planches sur le squelette. Trois exemples du site de Tournedos-sur-Seine…

Tome XXIII des Mémoires publiés par l’AFAM, 2012, p. 341-353

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Quelle est la chronologie des évènements ?Les mouvements se sont produits vers l’intérieur 

d’un contenant nécessairement vide, alors que les éléments de contention des articulations labiles

(ceintures  des  membres  supérieurs  et  inférieurs, colonne  vertébrale)  avaient  lâché  ou  étaient  sur  le point de le faire. Comme pour S.369, radius et ulna sont restés articulés. 

Fig. 6 - Relevé et vue de la sépulture S.1592 (DAO F. Carré, d’après G. Léon, cliché F. Carré).

0 50 cm

N

S.1592

Empr

ise

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du

cont

enan

t en

bois

Florence Carré, Mark Guillon

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Conclusion

Les  effets  observés  dans  cette  sépulture  sont comparables à ceux qui ont été décrits pour S.369 : la présence d’un contenant en bois est pratiquement certaine. L’étroitesse de ce dernier pourrait être  la cause de l’accentuation des effets de l’effondrement sur les os.

Perspectives

L’analyse poussée de ces trois exemples montre la difficulté d’interprétation des phénomènes tapho-nomiques au moyen de l’analyse de la position des os. Ainsi, des effets à première vue comparables ne 

sont pas forcément produits par des aménagements en  bois  similaires.  À  l’issue  de  l’étude,  plusieurs hypothèses peuvent aussi rester envisageables. Ces cas documentent également des aspects de 

la décomposition du corps, en particulier la chro-nologie des dislocations en espace vide, éclairée par la mobilisation des pièces osseuses au moment de l’effondrement de planches de l’aménagement.Ces  études  montrent  que  l’analyse  taphono-

mique d’une sépulture doit utiliser des référentiels dans la littérature en même temps que sur le gise-ment  lui-même. C’est  essentiellement  dans  cette deuxième perspective que nous avons souhaité présenter ces exemples, à la fois à titre de comparai-son et d’incitation à la prudence.

Effets de l’effondrement de planches sur le squelette. Trois exemples du site de Tournedos-sur-Seine…

Tome XXIII des Mémoires publiés par l’AFAM, 2012, p. 341-353

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