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10 septembre 2015 02:36 - Sociologie no 2-2015 vol 6 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 263 / 96 - © PUF -
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KEYWORDS: Cultural transactions, intimacy, North-South relations, gender and sexuality, Africa, dance
MOTS-CLÉS : transactions culturelles, intimité, rapports Nord-Sud, genre et sexualité, Afrique, danse
A B S T R A C T
Focusing on research conducted in West Africa in the contemporary dance world, this paper highlights the role of Western women in the making of African dancers’ careers. In the context of internationalization of African artists’ careers, marked by the imposition of Western aesthetics and formal standards, the rela-tionships that these dancers –mostly men of humble origins and with little education– manage to establish with Western women –from the middle and upper classes, highly educated– can operate as a pathway of cultural accumulation. Beyond the economic asymme-try to which North-South relations are often reduced, this paper emphasizes the role of cultural transactions that operate through intimacy, that is to say, the use of women’s cultural capital for the development of men’s careers. These transactions, which occur on a con-tinuum of intimate social relations –from friendship to marital relationships, or relationships created through the fieldwork– operate on a logic of North-South dom-ination –unequal distribution of cultural capital in the international arena– and gender domination –women are willing to serve men’s careers.
R É S U M É
À partir d’une enquête menée en Afrique de l’Ouest dans le milieu de la danse contemporaine, l’article met en lumière le rôle des femmes occidentales dans la construction des carrières des danseurs africains. Dans un contexte d’internationalisation des carrières d’artistes africains marqué par l’imposition de normes esthétiques et formelles occidentales, les relations que ces derniers – majoritairement des hommes, d’origine très modeste et peu scolarisés – parviennent à nouer avec des femmes occidentales présentes localement – issues des classes favorisées et bien dotées scolairement –, fonctionnent comme une voie intéressante d’accumulation culturelle. Au-delà de l’asymétrie économique à laquelle les rap-ports Nord-Sud sont souvent réduits, il s’agit d’insister sur le rôle des transactions culturelles qui prennent place dans les rapports d’intimité, c’est-à-dire ici sur la mise à disposition du capital culturel des femmes dans la construction des carrières professionnelles des danseurs. Ces transactions, qui s’effectuent dans un continuum de relations sociales marquées par l’intimité – de la relation d’amitié à la relation conjugale, en passant par la relation d’enquête –, fonctionnent selon des logiques de domina-tion Nord-Sud – inégale répartition d’un capital culturel valorisable dans l’espace international – et des logiques de domination de genre – disposition des femmes à se mettre au service de la carrière des hommes.
* Docteure en sociologie, post-doctorante Germaine TillionCentre européen de sociologie et de science politique (CESSP), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 14 rue Cujas, 75005 Paris, France
Et la femme créa l’homme Les transactions culturelles intimes dans la danse contemporaine africaine
And Woman created Man Intimate cultural transaction in contemporary African dance
par Altaïr Despres*
Enquêtes
E t l a f e m m e c r é a l ’ h o m m e264
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La sociologie de la division sexuée1 du travail et de la conju-
galité a de longue date mis en évidence la contribution fémi-
nine à la réussite professionnelle des hommes. En particulier,
les inégalités dans l’accès à l’emploi et la rémunération dont
les femmes sont victimes dans de nombreux contextes natio-
naux, de même que les représentations dominantes assignant
les femmes au travail domestique et reproductif, ont été poin-
tées comme autant de contraintes objectives qui pèsent sur les
femmes (Acker, 1990 ; Delphy, 2009 ; Hirata, 1993 ; Maruani,
2010), et qui concourent, dans le même mouvement, au déve-
loppement des carrières professionnelles de leurs conjoints. La
charge des unes est en effet une décharge pour les autres. Il
s’agissait bien pour ces travaux d’insister sur ce point précis :
la tendance récurrente à la prise en charge par les femmes de
nombreuses tâches socialement dévaluées, par excellence les
tâches domestiques (ménage, cuisine, tâches administratives,
soin, éducation et soutien moral aux enfants et/ou aux adultes
dépendants appartenant à la famille, etc.), fonctionne pour
les hommes comme une sorte d’exonération, leur laissant du
temps pour s’investir dans des domaines quant à eux valorisés,
par excellence le monde professionnel (Kergoat, 2004).
S’il faut reconnaître l’importance évidente de cette perspective
fondatrice – à la fois scientifiquement et politiquement –, il faut
aussi remarquer qu’elle a implicitement défini la contribution
des femmes à la carrière des hommes d’une façon que l’on
peut qualifier de négative. L’accent a en effet été mis sur le fait
que les femmes sont conduites à faire un ensemble de choses que les hommes n’ont plus à faire eux-mêmes, ce qui leur per-
met d’en faire davantage pour leur carrière. Cette approche, en
quelque sorte « en creux », de la contribution des femmes aux
carrières masculines doit sans doute se comprendre en lien
avec le contexte occidental dans lequel la plupart des analyses
évoquées sont ancrées. Dans ce contexte, en effet, l’homoga-
mie – voire l’hypergamie féminine – est modale (Bozon & Héran,
2006 ; Kalmijn, 1998). Une telle situation de relative homoga-
mie implique que, dans la plupart des cas, les femmes sont
autant ou moins diplômées, ont autant ou moins de revenus,
de relations sociales, etc. que leur conjoint. Tendanciellement,
elles n’ont donc pas de ressources spécifiques à proposer à
leurs conjoints que ces derniers ne possèdent déjà, voire qu’ils
ne possèdent davantage qu’elles.
1. À l’instar de Laure Bereni et al. (2008), on parlera de « division sexuée » plutôt que de « division sexuelle » du travail afin de différencier les enjeux
Mais qu’arrive-t-il, justement, lorsqu’on fait varier cette confi-
guration dominante, et lorsqu’on s’attache à des contextes
où ce sont plutôt les femmes qui possèdent les ressources
(matérielles et symboliques) dont les hommes manquent
quant à eux, notamment du point de vue de leur propre inves-
tissement professionnel ? Le renversement de cette configu-
ration permet d’analyser, par une sorte de passage à la limite,
les modalités suivant lesquelles les femmes contribuent aussi
positivement aux carrières des hommes. On se met en mesure
de comprendre, de façon particulièrement claire parce que
radicalisée, comment les femmes font aussi les carrières
des hommes en faisant avec les hommes, voire pour eux, des choses qu’ils ne peuvent pas faire seuls – et ce, y compris
dans la sphère professionnelle.
Cet article se penche en l’espèce sur les carrières de danseurs
contemporains africains, et cherche à mettre en évidence l’im-
portance qu’y prennent les contributions des femmes occiden-
tales – bien qu’elles demeurent souvent invisibles et déniées.
L’enjeu analytique n’est pas principalement de documenter
sociologiquement une forme particulière d’activité artistique.
Le cas de la danse contemporaine en Afrique est avant tout
appréhendé comme un exemple intéressant de ces configu-
rations – relativement rares – dans lesquelles des femmes
occupent régulièrement des positions dominantes relativement
aux hommes qu’elles sont à même de rencontrer. De fait, dans
le monde de la danse contemporaine africaine, comme dans
d’autres sous-univers sociaux des pays du Sud historiquement
construits dans une forte dépendance aux investissements
occidentaux (voir Encadré 1), s’établissent régulièrement des
formes d’intimité entre, d’une part, des femmes occidentales
cultivées, issues de milieux plutôt favorisés et bien dotées sco-
lairement, et, d’autre part, des hommes africains dont beau-
coup sont d’origines sociales bien plus modestes, et sont peu
scolarisés. Dans ces conditions particulières, l’observation des
relations entretenues entre ces hommes et ces femmes est des
plus utiles pour étudier les logiques de mise à disposition et de
mobilisation des capitaux des femmes au service de la carrière
des hommes.
Une précision importante s’impose. D’une part, au vu des
spécificités des carrières artistiques, ce sont les transactions
qui relèvent de la sexualité comme pratique de ceux qui relèvent des rap-ports de genre.
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culturelles depuis les femmes vers les hommes qui s’avèrent
constituer un enjeu central de ces relations, même si ces tran-
sactions n’excluent pas des échanges économiques2. D’autre
part, les relations hommes/femmes qu’il importe de prendre
en compte dans ce type d’analyse ne se limitent pas au seul
cadre conjugal, sur lequel les travaux sur la division sexuée du
travail ont traditionnellement insisté. En effet, au moins sur le
terrain investi, les transferts de ressources culturelles féminines
au bénéfice des carrières des hommes se déploient dans une
variété de relations d’intimité entre les deux sexes, depuis la
relation amicale plus ou moins longue jusqu’à la relation conju-
gale instituée, officielle, en passant par la relation d’enquête
– en tant que relation avec une femme occidentale cultivée
parmi d’autres. Une hypothèse de travail essentielle se trouve
donc posée ici. Ce n’est pas seulement la conjugalité, mais
plus largement l’intimité entre hommes et femmes qui, en tant
que relation interpersonnelle relativement durable, et/ou mora-
lement investie, reposant sur « une confiance importante »
(Zelizer, 2001, p. 126), constitue un cadre pertinent pour
l’analyse de la transmission sexuée de capital culturel – capital
conçu aussi bien comme un ensemble d’informations, de tech-
niques, de savoir-faire, d’objets culturels3. De façon générale,
la division sexuée du travail, telle qu’observée dans le cadre des
relations conjugales, n’a aucune raison de ne pas s’effectuer
aussi dans le cadre d’autres relations d’intimité entre les sexes,
dès l’instant que ces relations d’intimité correspondent à un
souci partagé de réaliser en commun certaines pratiques, de
faire en commun certains investissements.
Pour analyser ce que l’on peut dès lors désigner comme des
transactions culturelles intimes entre femmes et hommes, il
nous faudra revenir dans un premier temps sur les logiques
propres au développement de la danse contemporaine en
Afrique, marquées par l’imposition de normes artistiques pro-
duites au Nord et par la dépendance d’un certain nombre de
danseurs à des interlocuteurs occidentaux présents sur place
– en l’occurrence, il s’agit la plupart du temps d’interlocutrices.
2. La dimension économique des transactions qui s’effectuent dans ce type de relations d’intimité très hétérogames a été particulièrement bien docu-mentée par la littérature sur le « tourisme sexuel féminin » dans les pays du Sud (Brown, 1992 ; Herold et al., 2001 ; Jacobs, 2010 ; Kampadoo, 2001 ; Meiu, 2011 ; Nyanzi et al., 2005 ; Pruitt & Lafont, 1995 ; Salomon, 2012, 2009a, 2009b).
3. La notion de « capital culturel » telle que formalisée par Pierre Bourdieu (1979) est notamment utile pour penser les transactions culturelles intimes dans leur diversité. Alors que le capital culturel « institutionnalisé » (le
Il s’agira de montrer comment une variété de rapports d’intimité
entre les sexes peuvent, dans ce contexte, fonctionner comme
une stratégie efficace de mise à disposition des ressources
culturelles des femmes pour la carrière des danseurs. Dans un
second temps, j’examinerai plus spécialement la manière dont
l’intimité conjugale, en tant que relation a priori plus régulière,
et de surcroît dynamisée par l’intérêt réciproque des conjoints
à faire circuler leurs capitaux au bénéfice du couple et de ses
réalisations communes, constitue un cadre décisif de transmis-
sions culturelles durables.
Des danseurs contemporains africains bien entourés
L’enjeu des transactions culturelles intimes observées pendant
l’enquête est à resituer dans le contexte particulier de l’éco-
nomie artistique contemporaine propre au terrain africain. Ce
terrain singulier est marqué par le fait que certaines ressources
culturelles sont décisives pour accéder au marché du travail
chorégraphique international, ce qui est l’objectif récurrent des
enquêtés rencontrés. De fait, bien que l’institutionnalisation de
la danse contemporaine en Afrique ait reposé sur certains ajus-
tements aux contextes locaux, cette pratique reste fondamen-
talement tributaire des institutions et des acteurs occidentaux
qui en demeurent les premiers financeurs, promoteurs et dif-
fuseurs. L’investissement des opérateurs culturels occidentaux
dans le développement de ce secteur chorégraphique sur le
continent africain a, en particulier, correspondu à l’imposition
d’un modèle institutionnel de production artistique souvent en
décalage avec les moyens dont disposent individuellement les
danseurs pour s’y conformer.
D e s d é c a l a g e s c u l t u r e l s à r é s o u d r e
Ceux-ci se heurtent, en particulier, aux règles formelles qui
régissent le champ de la danse contemporaine et qui reposent
sur un usage généralisé de la forme écrite. De fait, pour prétendre
diplôme, le titre scolaire) est régulièrement placé au centre des études sociologiques (comme un indicateur du volume global de capital culturel), il importe ici de considérer le capital culturel « incorporé » (compétences culturelles qui ne sont pas nécessairement certifiées) ou « objectivé » (des livres, du matériel qu’on peut prêter ou donner, par exemple). Les relations d’intimité dont il est question ici s’établissant à une certaine distance de l’ins-titution scolaire – parce qu’elles sont intimes, et parce qu’elles concernent un espace social où la scolarisation de la culture est moins généralisée –, c’est moins le titre scolaire en lui-même qu’un ensemble plus diffus de com-pétences et d’objets culturels qui sont en jeu.
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à la carrière artistique, les danseurs doivent être en mesure de
repérer certaines institutions et de se mettre en contact avec
elles, puis de leur fournir un minimum de documents justifiant
de leur expérience dans le domaine chorégraphique. Ainsi, qu’il
s’agisse d’une candidature à un concours chorégraphique ou
de l’obtention d’une bourse de formation, il est ordinairement
demandé aux candidats de fournir un curriculum vitae (CV)
et parfois une notice biographique de l’artiste ou de sa com-
pagnie. Plus encore, du point de vue de la production artis-
tique, la trajectoire des danseurs africains a ceci de particulier
4. L’organisation du travail chorégraphique en Afrique constitue en elle-même une incitation très forte à la création. De fait, la multiplica-tion rapide de concours chorégraphiques, de festivals et de programmes
qu’elle les confronte, dans des délais qui peuvent sembler
très courts au regard de la trajectoire d’artistes occidentaux,
à l’exercice de création. En effet, la plupart des danseurs afri-
cains que j’ai rencontrés ne sont pas seulement les interprètes
des pièces dans lesquelles ils dansent, ils en sont très souvent
les premiers auteurs. Il n’est alors pas rare qu’un danseur se
lance dans un projet de création après seulement quelques
années de formation à la danse contemporaine – le plus sou-
vent il s’agit, pour ces premières expériences, de solos4. Pour
mener à bien ce type de projets, il est nécessaire de rédiger
institutionnels de soutien à la création, sont autant de dispositifs incitatifs à la création pour les plus jeunes danseurs.
ENCADRÉ 1 : UNE ENQUÊTE SUR LA DANSE CONTEMPORAINE EN AFRIQUE DE L’OUEST
La danse contemporaine s’est développée en Afrique à partir des années 1990 sous l’effet d’investissements politiques et artistiques convergents (Despres, 2012). D’une part, le secteur artistique en Afrique a constitué, au lendemain des indépendances, un enjeu de légitimation du maintien de la présence française sur le continent. Les politiques de coopération culturelle ont, depuis lors, multiplié les formes de soutien aux pratiques culturelles – en particulier dans le domaine des arts contemporains –, notamment via le développement de programmes de formation et l’organisation de festivals à l’échelle locale. D’autre part, après l’effervescence des années 1980 en Europe, des chorégraphes français ont trouvé en Afrique et auprès des danseurs africains des moyens de renouveler les codes esthétiques de la danse contemporaine. Se saisissant des dispositifs de la coopération, ces chorégraphes ont initié des collaborations artistiques autour desquelles s’est progressivement structurée la pratique de la danse contemporaine en Afrique.Cet article s’appuie sur une enquête multi-située réalisée entre 2008 et 2012 auprès d’institutions et de danseurs investis dans la danse contempo-raine sur le continent. J’ai effectué huit mois d’enquête par observation participante dans un centre de formation chorégraphique à Bamako (Mali), où j’ai assumé des fonctions d’administratrice. J’ai suivi les danseurs dans leurs activités de formation, de diffusion et/ou de création, en Tunisie (Tunis) puis au Burkina Faso (Ouagadougou, Bobo Dioulasso). J’ai également mené en France, plus ponctuellement mais régulièrement pendant les cinq années d’enquête, des observations directes auprès d’enquêtés qui y séjournaient dans le cadre de leurs activités professionnelles. Ces ter-rains ont donné lieu à une soixantaine d’entretiens formels enregistrés avec des danseurs africains – maliens principalement, mais aussi burkinabè, ivoiriens, kenyans, malgaches, etc. – et des professionnels français de la culture. L’enquête a par ailleurs bénéficié d’un travail complémentaire de contextualisation socio-historique grâce à l’exploitation de plusieurs sources d’archives. Il s’agit principalement de celles des ministères de la Coopération, de la Culture et des Affaires étrangères relatives aux échanges culturels avec l’Afrique ; de celles du Centre culturel français de Bamako (CCF) ; et enfin de celles de CulturesFrance – opérateur délégué des ministères des Affaires étrangères et de la Culture pour la mise en œuvre de projets culturels à l’étranger (aujourd’hui rebaptisé Institut français) – relatives à l’organisation d’un important festival de danse contemporaine en Afrique, les Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien.Contrairement au profil social des danseurs contemporains en France (Rannou & Roharik, 2006 ; Sorignet, 2010), les danseurs africains saisis dans cette recherche sont le plus souvent des hommes, issus de milieu modeste. Peu scolarisés – seul un faible nombre d’entre eux sont allés au-delà de l’école primaire –, ils ont parfois appris à lire et à écrire au cours de leur formation en danse, dont certaines comportaient des cours spécifiques d’alphabétisation. Les motivations qui ont conduit à l’investissement dans la carrière artistique tranchent là aussi avec l’engagement vocationnel dont témoignent les discours des danseurs occidentaux (Sorignet, 2010). Pour les danseurs africains, l’intérêt pour la danse contemporaine – c’est-à-dire aussi la mise à distance de la stigmatisation qu’occasionne la pratique d’une telle discipline en Afrique – n’a pu se constituer localement qu’en relation étroite avec les rétributions économiques et symboliques liées à la perspective de la mobilité vers l’Europe (Despres, 2015). C’est dans ce cadre que la proximité avec les femmes occidentales constitue un enjeu majeur pour la construction de leurs carrières professionnelles. Précisons enfin que les développements proposés dans cet article s’appuient à la fois sur les interactions observées au cours de l’enquête, sur les témoignages recueillis en entretiens formels ou informels, et sur les situations que j’ai moi-même directement vécues, comme enquêtrice. De fait, mon implication forte auprès des enquêtés, liée à la centralité de la méthode par observation participante dans cette recherche, a contribué à faire de moi une interlocutrice cruciale dans les processus de transactions culturelles intimes dont il est question ici.
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des dossiers de demande de subvention auprès d’organismes
bailleurs du Nord, lesquels comprennent, en général, l’en-
semble des documents déjà mentionnés ainsi qu’une « note
d’intention » du spectacle.
Or, la seule production de ces documents suppose la maîtrise
d’un ensemble de compétences scolaires : il faut savoir lire et
écrire en français ou en anglais ; il faut ensuite savoir restituer
son parcours biographique – c’est-à-dire aussi savoir discrimi-
ner les événements de sa trajectoire professionnelle pertinents
pour l’institution – ; il faut enfin être capable de traduire le fruit
d’un travail qui est bien souvent d’abord de nature corporelle
– des séances d’improvisation dansée – dans un format écrit.
En l’absence d’une scolarité longue et suivie ou d’une sociali-
sation précoce aux pratiques artistiques contemporaines, les
danseurs rencontrent souvent des difficultés face à ces réqui-
sits – difficultés que résume bien Hassan5, danseur malien
de 36 ans, lorsque, parlant au nom des danseurs africains, il
me confie : « Nous on n’est pas très forts avec les papiers, on
connaît pas. »
La lecture des archives des Rencontres chorégraphiques de
l’Afrique et de l’océan Indien, et plus exactement des dossiers
de candidature envoyés par des danseurs africains souhaitant
participer à des éditions récentes de cet important festival de
danse contemporaine initié par la France sur le continent (voir
Encadré 1), permet de mesurer la distance qui sépare certains
danseurs africains des standards européens, sur lesquels sont
calqués les formulaires à remplir pour participer. D’un point de
vue formel, le niveau de langue qui transparaît dans les notices
biographiques constitue un élément particulièrement discrimi-
nant. Si l’on s’en tient aux dossiers présentés par les danseurs
francophones, on constate que les décalages se donnent à voir
aussi bien sur le fond que sur la forme, comme le montrent ces
quelques extraits6 :
« La compagnie X fondée en 1999 par Y est une Compagnie de danse contemporaine qui réside à Z. Souhaiter toujours d’accéder dans le réseau culturel de la création d’œuvre et d’une valeur potentielle » (Chorégraphe malgache, candidat à l’édition 2008).
5. Sauf mention contraire, tous les noms ont été anonymisés.
6. Tous les extraits sont issus des archives de CulturesFrance relatives aux différentes éditions des Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien (archives non classées). L’orthographe, la syntaxe, la ponctua-tion et la casse sont reproduites à l’identique.
« X se donne toujours le devoir et le courage de promouvoir la culture africaine et particulièrement celle du Tchad. Pour cela il entend : œuvrer pour la dévalorisation de la culture tchadienne » (Compagnie tchadienne, candidate à l’édition 2008, je souligne).« J’ai Commandé la danse depuis l’enfantce du bord de la plage […]. J’ai fait plusieurs tournées avec les ballais africains » (Chorégraphe guinéen, candidat à l’édition 2008).« [La chorégraphe] a acquit l’expérience variée de la danse AFRICAINE, CONTEMPORAINE et ASIATIQUE dans les bras de plusieurs chorégraphes Camerounais et Etrangers .Avec lesquels elle a fait plusieurs tournées en Afrique et en EUROPE » (Chorégraphe camerounaise, candidate à l’édition 2008, je souligne).« C’est ainsi que le don familial me fut apparût en 1989 à l’age de 12 ans. Ceci dit j’ai commencé par danser au claire de la lune au village ou j’ai été initié pour porter les masque sacré de la famille » (Chorégraphe guinéen, candidat à l’édition 2006).« Née le X. X. 1977 à Kouibly département de Man en Côte d’Ivoire, d’une famille issus des masques sacrés ancestrales tel que : “le gba, le gégbégnon, et le sacré Koui ”en suite de la danse traditionnelle folklorique Tématé. Cette danse dont ma mère fut la première danseuse dans le village est aujourd’hui ma 1ère spécialité » (Chorégraphe guinéen, candidat à l’édition 2006).« Né d’une famille de danseurs, la danse est une activité naturelle chez moi » (Chorégraphe ivoirien, candidat à l’édition 2008).
Au-delà des difficultés orthographiques, syntaxiques et séman-
tiques liées à la maîtrise de la langue française, ce sont sur-
tout, sur le fond, les manquements aux exigences propres
à l’écriture légitime dans le champ chorégraphique qui sont
susceptibles de tenir les danseurs à l’écart de la profession-
nalisation en danse contemporaine7. La faible maîtrise des
codes, largement implicites, de mise en récit de sa trajectoire
ou de sa production artistique, produit des décalages impor-
tants. Là où il est attendu des candidats qu’ils fassent valoir
dans leur CV les expériences symboliquement valorisées par
l’institution chorégraphique – par exemple, leur participation à
des stages ou des créations avec des chorégraphes renommés
dans le champ de la danse contemporaine, des initiatives cho-
régraphiques qu’ils auraient prises dans leur pays (organisation
d’un festival, mise en place d’ateliers de formation et de sensi-
bilisation chorégraphique en direction de publics spécifiques,
etc.), la diffusion de leurs œuvres dans des lieux prestigieux –,
nombreux sont les chorégraphes qui fournissent des biogra-
phies décalées. Certaines d’entre elles mettent par exemple
7. Sur les codes esthétiques de la danse contemporaine, voir : Bernard, 1990 ; Crémézi, 2002 ; Faure, 2001 ; Guigou, 2004.
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l’accent sur l’ascendance des chorégraphes pour exprimer le
caractère naturel de leur engagement dans la danse, d’autres
promeuvent leur expérience en danse traditionnelle au détri-
ment d’une valorisation de l’expérience artistique créative. Or,
si l’expérience au sein de troupes ou de ballets traditionnels
n’est pas en soi stigmatisante – de fait, les promoteurs français
du festival savent bien que la plupart des danseurs africains
ont débuté dans ces troupes –, les attentes chorégraphiques
dominantes veulent que celles-ci n’occupent pas, quoi qu’il en
soit, une place trop centrale dans le discours des danseurs8.
L a p r é s e n c e u t i l e d e f e m m e s o c c i d e n t a l e s d o t é e s
Une manière d’éviter le discrédit auquel peuvent conduire
ces maladresses objectives (par rapport à la norme imposée)
consiste, on le comprend, à faire appel à des tiers qui pos-
sèdent quant à eux les compétences nécessaires pour fournir
l’effort de formalisation scripturale du parcours biographique
du danseur, voire la restitution littéraire de leur travail cho-
régraphique. Or, compte tenu de la sociologie des profes-
sions de l’administration culturelle (Dubois, 2013) – a fortiori lorsque l’exercice de ces professions concerne un espace
socialement dominé comme le continent africain9 – les inter-
locuteurs privilégiés des danseurs sont très majoritairement
des femmes. Il s’agit notamment de femmes expatriées ou en
séjour prolongé en Afrique. Certaines sont en mission dans
des organisations non gouvernementales (ONG), des asso-
ciations, en poste auprès des services de Coopération cultu-
relle étrangère, etc. D’autres sont des professionnelles de la
culture qui séjournent temporairement en Afrique à l’occasion
d’événements artistiques comme les Rencontres chorégra-
phiques de l’Afrique et de l’océan Indien. D’autres, encore,
sont des danseuses qui participent à des stages de formation
ou à des créations auprès de collègues africains. D’autres,
enfin, sont des chercheuses en sciences humaines et sociales
qui réalisent en Afrique leur travail de terrain (voir infra). Quoi
qu’il en soit, il s’agit presque toujours de femmes intéressées
aux questions culturelles et à l’Afrique où elles ont choisi de
séjourner, de femmes plutôt issues des classes moyennes et
8. Ce dont témoigne, par exemple, cette note manuscrite d’un agent de la Coopération culturelle, apposée sur un dossier de candidature d’une troupe congolaise à l’édition 2001, qui stipule : « Ne pas enregistrer. Trop folklorique » ; ou encore ce commentaire écrit, dans les notes d’appréciation jointes aux archives, par un membre du jury de présélection à propos de la proposition d’une compagnie malienne la même année : « Sont très englués dans la tradition » (je souligne).
supérieures – ne serait-ce que parce que la mobilité interna-
tionale est socialement située (Wagner, 2007) – particulière-
ment dotées, et plus spécifiquement en ressources utiles pour
la menée à bien de projets artistiques.
Lorsque les danseurs appartiennent à une compagnie de
danse suffisamment structurée localement pour disposer, en
interne, des services d’une administratrice, c’est à elle qu’il
est fait appel pour mettre les dossiers des artistes en forme.
Ainsi, les premiers CV des danseurs qui fréquentaient le centre
de formation où j’ai réalisé mon enquête ont été entièrement
rédigés par une administratrice française vivant à Bamako. De
même, lorsque Salah, danseur malien de 23 ans, envisage de
soumettre un solo à candidature pour ce même concours des
Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien,
il a recours aux services de Maëlle, une Française qui effectue
alors son service de Volontariat international auprès de l’admi-
nistration du centre :
« Aujourd’hui Maëlle s’isole quelques temps avec Salah afin de recueillir auprès de lui des informations concernant sa création pour pouvoir en rédiger un petit texte de présentation. C’est Merline [la chorégraphe qui dirige le centre de formation] qui lui a demandé de le faire. Salah sait écrire – bien qu’avec difficulté – mais c’est surtout pour normaliser le propos sur la pièce que Merline a recours à cette intermédiaire. En effet, celle-ci me confiait quelques jours auparavant ses doutes quant aux capacités de Salah à produire un discours adéquat. “Je ne veux pas, me disait-elle l’air las, qu’il commence à parler des Dogons et des Bobos et de son cousin du village qui a fait un enfant à une Bobo alors qu’il est Dogon et que c’est la honte pour lui, donc il se suicide, etc. J’aimerais qu’il parle du fond. Qu’il parle aussi de sa danse, du mouvement”. Après cette séance au cours de laquelle Salah a livré à Maëlle un ensemble d’informations sur sa pièce – le sujet du solo, la manière dont il a procédé pour le travailler, etc. –, le texte doit encore être relu par Merline avant d’être envoyé aux organisateurs du festival » (Notes ethnographiques, Bamako, avril 2008).
Comme on le voit dans ce cas, ce type de pratiques de
« coproduction » observables dans un cadre institutionnel
– c’est-à-dire où des compétences administratives sont mobili-
sables –, doit permettre de pallier diverses difficultés formelles,
mais aussi d’intervenir sur le fond, sur le choix du thème traité,
9. L’association entre domination internationale et hiérarchie sexuelle mériterait d’être davantage documentée, sachant que, comme le notait P. Bourdieu (1998) à propos de la sexuation des flux internationaux d’étu-diants, des pays internationalement puissants, comme la France, peuvent s’avérer « féminins » – en l’occurrence, en tant que pays de la culture, de la littérature, des humanités, etc.
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sur le degré de mise en valeur de la dimension proprement
chorégraphique par rapport à la dimension narrative – qui est
aussi, dans ce cas, traditionnelle.
Par contraste, les danseurs qui ne sont pas liés à un centre de
formation – que l’on nomme parfois les « danseurs isolés » –
sont contraints de trouver eux-mêmes, en externe, des inter-
locuteurs à même d’effectuer ce type de tâche. Dans certains
cas, le personnel de la Coopération sur place, typiquement les
agents féminins du Centre culturel français (CCF) local, peut
être mis à contribution. En 2009, lorsque je retourne sur le
terrain bamakois, plusieurs danseurs m’informent qu’ils ont
répondu à un appel d’offre de CulturesFrance (voir Encadré 1)
pour une bourse de création. Erwan, l’un des chargés de mis-
sion du CCF m’explique la manière dont les candidatures ont
été rédigées :
« Quand les danseurs ont appris qu’il y avait cette bourse, ils sont passés voir ma femme au CCF [où elle est aussi chargée de mission]. Ils lui ont dit deux-trois choses et elle a bricolé des dossiers à partir de là » (Notes ethnographiques, Bamako, février 2009).
Les agents du CCF, souvent des femmes – et il est significatif,
dans cet exemple, que les danseurs se soient tournés non pas
vers Erwan (qui travaille pourtant lui aussi au CCF), mais vers
sa femme – constituent une ressource intéressante pour les
danseurs qui ne peuvent pas compter sur l’aide d’une admi-
nistratrice. Ces professionnelles ont en particulier l’expérience
du montage de dossiers tels que ceux que demandent les opé-
rateurs culturels comme CulturesFrance, avec lesquels elles
ont l’habitude de travailler. Mais les danseurs ne se limitent
pas au seul CCF. Ils multiplient au contraire les sollicitations
auprès d’autres interlocutrices françaises, ou internationales,
présentes localement, dont le niveau de scolarité est en géné-
ral élevé. Emma, danseuse franco-américaine qui vit au Mali
depuis quelques années où elle a créé une compagnie de
danse avec son compagnon malien10, est ainsi régulièrement
sollicitée par les autres danseurs :
« Emma : Récemment on m’a demandé de faire un petit dossier pour des jeunes, deux [danseurs] qui sont venus me voir pour que je les aide à monter un dossier pour leur duo. Donc moi je leur ai dit : “Écoute y a pas de problème, moi je peux t’aider à taper sur la machine un truc déjà écrit, y a pas de problème.” Donc je leur ai fait une liste, je leur ai dit : “Tu me dis le titre, tu me dis ça, tu me fais une
10. Le cas d’Emma et de son conjoint est développé plus loin.
bio [graphie] avec ces informations dedans et tu me dis de quoi parle la pièce.” Et je lui avais dit : “Tu me fais au moins une demie page où tu me parles de pourquoi ce projet, comment, où vous voulez en venir et comment vous allez travailler.” Et je leur ai… rapidement tu vois, je leur ai fait un petit guideline de ce qu’il fallait faire pour le dossier. Je lui ai dit : “Si tu m’amènes ça, je vous tape ce que vous m’avez donné mais je ferai pas à ta place.” Et ils l’ont fait, ils l’ont très bien fait. Ils ont fait un petit truc, bon après j’ai un peu arrangé…AD : T’as mis en forme…Emma : J’ai mis en forme, j’ai rectifié quelques phrases mais voilà, du coup ça m’a pas pris de temps et maintenant du coup ils savent ce qu’il faut mettre dans le dossier tu vois. […]. Ouais voilà donc j’ai donné encore quelques pistes et ils sont revenus avec deux doubles pages que j’ai tapées sur l’ordinateur et que je leur ai rendues le lendemain et donc du coup voilà, ça… ça pose pas de problèmes particuliers quoi. […] Après s’il s’agit de relire un truc c’est pas… J’essaie de le faire sans faire tout à leur place. Je le fais en corrigeant mais je vais corriger avec la personne à côté. Voilà, pas faire à la place des gens » (Entretien avec Emma, août 2013).
« J ’ a i d e u x é c r i v a i n e s à l a m a i s o n »
À l’instar d’Emma, les chercheuses en sciences humaines et
sociales, parfois nombreuses sur le terrain africain – pour la
seule Biennale de danse de Bamako en 2010, nous n’étions
pas moins de quatre chercheuses à y réaliser une enquête –,
sont régulièrement mises à contribution. Comme d’autres expa-
triées, ces femmes résident souvent de longs mois sur place,
et bien que le statut d’universitaire ne soit pas toujours bien
compris par les danseurs11, les compétences culturelles qui y
sont attachées sont, elles, clairement perçues. Pour donner à
voir plus précisément les formes et l’importance que peuvent
prendre ces transactions culturelles intimes dans le cadre d’une
relation d’enquête, on peut revenir en détail sur la manière
dont j’ai moi-même été sollicitée en 2009 par Djiri, un danseur
malien de 24 ans, alors qu’il projetait de créer un solo. J’avais
rencontré Djiri l’année précédente lors d’un premier séjour à
Bamako, alors qu’il fréquentait le centre de formation au sein
duquel je réalisais mon enquête. Il était à ce moment là en
couple avec Lena, une française de 38 ans qui avait été durant
quelques mois l’administratrice du centre, et qui vivait désor-
mais en France où elle attendait leur premier enfant. L’année
suivante, lors de mon retour sur le terrain malien, je partage
durant deux mois une maison avec Djiri, ainsi qu’avec Lena et
leur fils, venus rejoindre le danseur qui n’était pas parvenu à
obtenir de visa pour la France pour assister à l’accouchement.
11. L’un d’entre eux me dira : « Ton travail là, ça ressemble à des congés ».
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Dès mon arrivée dans la maison, Djiri me parle d’un projet de
solo et me demande de l’aider à le formaliser. En particulier, il
a besoin d’écrire la « note d’intention du spectacle » afin de
constituer un dossier de demande de subvention. Dans un pre-
mier temps, il me parle du thème qu’il a choisi de traiter :
« Djiri : Je vais faire un spectacle sur le réchauffement climatique, la pollution, tout ça. Je vais trouver un moyen de construire des éoliennes sur scène et puis je vais faire une voiture en carton et je vais peut-être venir aussi avec un tuyau d’échappement, et puis j’aurai aussi un masque de protection [masque de chirurgien que les citadins maliens portent lorsqu’ils sont en moto pour traverser Bamako aux heures de pointe]. Et puis je vais mettre de la poussière sur le plateau avec des ventilations pour faire comme s’il y avait la tempête et le vent, tu vois. Je voudrais aussi trouver un moyen pour mettre de l’eau qui tombe d’en haut et qui fait s’écrouler une petite maison en carton qui serait sur la scène aussi. Souvent je danse, souvent je joue. Y aura même peut-être des textes là-dedans. Et puis je pourrais aussi utiliser... comment on dit, l’“autographe” ? Les trucs d’écriture là... “calligraphe” ou quoi ?AD : Ah ! “Calligraphie”, oui. Djiri : Voilà, je pourrais aussi utiliser la calligraphie. Je crois que c’est bien. Tu vois, je pourrais dire : “Au secours – mais au secours à qui ? Et l’Afrique là-dedans ? Quelle est la place de l’Afrique là-dedans ?” Nous qui voulons rattraper les trucs des Blancs tu vois, construire des machines, on envoie nos enfants pour qu’ils aillent étudier en France comme ça ils peuvent revenir au pays pour développer tu vois... Et je pourrais parler aussi des maladies, comme le cancer n’est-ce pas, à cause de la pollution.AD : Mais si je peux me permettre un conseil, je pense qu’il faut aussi que tu réfléchisses, maintenant que tu as défini le sujet du spectacle, il faut que tu réfléchisses à comment tu vas traduire ça dans la chorégraphie et pas seulement dans les accessoires et la mise en scène.Djiri : Oui, pourquoi tu crois que je te demande des conseils avant de démarrer ? C’est pour pas faire du n’importe quoi. Je suis d’accord qu’il faut que je trouve dans mon corps... par exemple si c’est quelqu’un qui a du mal à respirer, comment peut être le mouvement ? [Il tousse, fait une vague avec son buste puis il rit, premier test chorégraphique à partir de ses réflexions]. Maintenant il faut que j’aie le projet bien rédigé comme ça je pourrai bien commencer à travailler. [Pause] Bon comme tu ne sors pas ce soir on pourrait...AD : Oui mais si je sors pas ce soir c’est justement pour travailler... sur mon projet [j’ai alors une communication à écrire pour un colloque], tu vois non ?Djiri : [faisant référence à Lena, sa compagne française et à moi-même] Ouais ben de toute façon j’ai deux écrivaines à la maison alors... [rires] !Le lendemain je passe une partie de l’après-midi avec Djiri pour rédiger la note d’intention du spectacle. Il arrive avec une dizaine de feuilles imprimées depuis internet, toutes concernent la thématique de son solo. J’essaie de faire de mon mieux pour respecter les
12. De façon éloquente, les conseils que je donne à Djiri sont du même ordre que ceux que Maëlle et Merline donnaient à Salah (cf. supra) :
indications qu’il m’a données la veille, tout en rédigeant quelque chose qui corresponde à ce que je sais être la norme des dossiers de présentation des spectacles de danse » (Notes ethnographiques, Bamako, février-mars 2009).
L’exemple développé ici donne à voir les formes que peuvent
prendre les transactions culturelles dans un contexte d’intimité.
Alors que nous n’étions pas particulièrement proches lors de
mon séjour précédent, une situation conjoncturelle de coha-
bitation en 2009 intensifie de fait la fréquence des interactions
que j’ai avec Djiri et rend possible le suivi de son projet dans la
durée. Djiri sait qu’en tant qu’universitaire et connaisseuse de
la danse contemporaine son projet de solo est susceptible de
m’intéresser. Comme je suis à la fois potentiellement sensible
à cette initiative et que je n’ai pas de projet de sortie le soir
où a lieu cette conversation, Djiri en déduit que je suis dispo-
nible immédiatement (« Bon, comme tu ne sors pas ce soir on
pourrait… »). Face à ma résistance, c’est une autre femme,
Lena – l’autre « écrivaine » de la maison – qui est envisagée
pour accomplir les tâches qu’il avait prévu de me confier. Outre
la rédaction de la note d’intention du spectacle qui est l’en-
jeu principal de nos conversations, Djiri sollicitera à plusieurs
reprises mes compétences scolaires pour l’aider à élaborer
son projet. Ces sollicitations portent à un niveau mineur sur
des problèmes de syntaxe ou d’orthographe, mais de manière
plus décisive il trouvera auprès de moi des conseils pour éla-
borer son projet sur le fond : où trouver de la documentation,
comment procéder pour ne pas s’en tenir à la mise en récit
explicite de cette thématique, etc. Par ailleurs, nos échanges
fonctionnent clairement comme une stratégie de réassurance
(« Oui, pourquoi tu crois que je te demande des conseils avant
de démarrer ? C’est pour pas faire du n’importe quoi »). De
mon côté, je me prends manifestement au jeu, et j’essaie d’atti-
rer son attention sur les enjeux proprement esthétiques de la
création – c’est-à-dire non matériels et non narratifs –, ceux qui
concentrent de fait la légitimité dans la danse contemporaine
(Guigou, 2004 ; Faure, 2001). Autrement dit, je mets autant
que possible le capital culturel dont je dispose au service de
son projet artistique12.
S’attacher ainsi les services d’une personne compétente pour
répondre aux normes formelles et symboliques de l’activité
s’éloigner de la description d’un thème ou de la narration d’une histoire et préférer l’explicitation d’enjeux proprement chorégraphiques.
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chorégraphique contemporaine peut en réalité s’avérer déci-
sif pour la carrière des danseurs les moins familiarisés avec
ces normes. Cela posé, comme le suggèrent les exemples pré-
cédents, les « coups de main » apportés par les unes ou les
autres aux danseurs qui les sollicitent ne sont jamais aussi effi-
caces que lorsqu’ils consistent, non pas à « faire à la place »,
mais à transmettre les compétences et les connaissances
nécessaires à une autonomisation de la prise en charge de
ce type de tâche – autonomisation dont les danseurs sont, du
reste, demandeurs. Or, cette possibilité de satisfaire idéalement
les nécessités culturelles des danseurs, surtout ceux d’entre
eux qui sont les plus désireux d’apprendre à faire eux-mêmes,
repose à la fois sur la disponibilité et la bonne volonté de leurs
interlocutrices, qui ne peuvent être toujours garanties. De fait,
ces dernières ont souvent des obligations liées à leur activité
professionnelle – parfois aussi leur activité domestique – qui
limitent l’investissement qu’elles sont en mesure de consacrer
à ceux qui les sollicitent. A contrario des échanges ponctuels
entre des danseurs et telles amies occidentales soucieuses
de leur carrière, telles professionnelles acceptant à l’occasion
d’« en faire plus » – relations qui peuvent s’apparenter à des
interactions « de guichet », mise à part la dimension nettement
personnalisée du face-à-face – l’entretien de relations d’intimité
plus durables, structurées par des investissements affectifs
et/ou moraux forts avec des femmes occidentales, réunit les
conditions favorables d’une mise à disposition plus volontaire
de leurs ressources culturelles.
Joindre l’utile à l’agréable : l’intimité conjugale comme voie d’accumulation culturelle
Sur le terrain, les danseurs en couple avec des femmes occi-
dentales étaient systématiquement perçus comme ayant
« réussi ». « Ah, Djiri il s’est bien débrouillé, m’explique ainsi
Hassan. Il a une femme blanche, maintenant un bébé, il vit
en France… » « Mais Dadis c’est celui qui a le plus réussi,
me confiait Salah. Il a trop réussi lui. Il a marié une Blanche,
hein ! ». En réalité, la mise en couple avec une Occidentale
représente davantage qu’une fin socialement valorisée : elle
peut constituer un moyen efficace pour les danseurs dans la
recherche du succès, en particulier du succès artistique qu’ils
visent a priori. Autrement dit, les femmes blanches que ren-
contrent les danseurs dans les divers lieux de leur activité, ne
correspondent pas uniquement à la possibilité, souvent évo-
quée, d’obtenir, entre autres par le mariage, « a White ticket to Babylon » (cité par Salomon, 2009a, p. 227) : elles sont aussi,
de façon plus subtile, des agents sociaux qui, du fait de leurs
ressources relativement importantes, peuvent supporter de
façon décisive la carrière des danseurs.
ENCADRÉ 2 : LA MIXITÉ CONJUGALE DANS LA DANSE CONTEMPORAINE AFRICAINE
Compte tenu de la distribution genrée des métiers artistiques en Afrique, d’une part, et de l’importance, d’autre part, de la norme hétérosexuelle (Broqua, 2012), les couples mixtes que j’ai rencontrés sur le terrain sont majoritairement constitués d’un homme africain et d’une femme occi-dentale. De fait, la carrière chorégraphique est bien souvent hors de portée des jeunes filles africaines sur lesquelles pèsent – bien davantage que sur leurs homologues masculins – les responsabilités domestiques au sein de la famille. Outre ces charges domestiques, l’absence des femmes dans les centres de formation à la danse contemporaine tient par ailleurs aux plus fortes accusations de dépravation qui pèsent sur celles qui font le choix d’une carrière artistique. Ceci dit, la configuration homme africain/femme occidentale sur laquelle je me focalise dans cet article n’épuise pas les configurations sociales au gré desquelles se réalisent des transactions culturelles intimes. J’ai, de fait, rencontré des couples formés par une danseuse africaine et un homme occidental, ainsi que des couples mixtes homosexuels, gays ou lesbiens. Cependant, pour les raisons indiquées plus haut, ces configurations sont infiniment plus rares pour les premières, et, sinon plus rares, au moins plus dissimulées pour les secondes. Les festivals artistiques qui ne cessent de se développer en Afrique depuis une quinzaine d’années sont des lieux de rencontre privilégiés pour ces couples mixtes. Ils constituent en effet des espaces de sociabilité transnationaux où se côtoient les danseurs africains et les Occidentaux, en mission (programmateurs, journalistes, coopérants culturels), ou assistant en amateurs à l’événement. Au-delà des temps de diffusion des spec-tacles, ces festivals proposent une variété d’animations qui offrent autant d’opportunités de rencontres et de discussions : débats, expositions, remises de prix, etc. Surtout, les retrouvailles quotidiennes entre artistes et festivaliers dans les maquis (bars-restaurants/boîtes de nuit typiques de l’Afrique de l’Ouest) au sortir des spectacles le soir constituent un temps stratégique de ces rencontres intimes.
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C o u p l e s m i x t e s e t t r a n s a c t i o n s c u l t u r e l l e s i n t i m e s
Merline, la chorégraphe déjà citée qui dirige le centre de for-
mation chorégraphique bamakois dans lequel j’ai enquêté, sait
bien tout ce que la réussite professionnelle de certains dan-
seurs qu’elle a formés, aujourd’hui renommés, doit à leur union
durable avec une Occidentale :
« Des fois je me dis que tout ça [son activité de formation chorégraphique] est vain et qu’il ne restera rien de tout ce que j’ai mis en place ici. Sauf si [les danseurs] trouvent une femme qui pourra les emmener ailleurs. Comme la femme de X [chorégraphe africain installé en France], c’est elle qui fait qu’aujourd’hui X, il s’en sort. Parce qu’elle est derrière lui pour tout. C’est elle qui a monté son école à Paris, c’est elle qui fait toute l’administration, c’est même elle qui était à l’accueil pour vendre les tickets des cours ! Y [autre chorégraphe africain], c’est pareil. Z, c’est pareil » (Notes ethnographiques, Bamako, mai 2008).
L’énumération que fait Merline de ces couples formés par des
danseurs africains et des femmes occidentales – en l’occurrence
ici, des Françaises – ne constitue qu’une infime part d’une liste
bien plus longue de couples bi-nationaux que la fréquentation
du milieu de la danse contemporaine en Afrique de l’Ouest suf-
fit à rendre flagrante (voir Encadré 2). Comme dans d’autres
configurations de couples mixtes, les aventures amoureuses
avec des partenaires du Nord, dans un contexte local de crise
économique – ici renforcé, du reste, par la précarité de l’emploi
artistique – fonctionnent comme un moyen d’acquérir une posi-
tion sociale respectable, d’autant plus si elles s’accompagnent
d’une possibilité de s’installer en Europe13 (Alber, 2000 ; Bottero,
2013 ; Cole, 2008, 2014 ; Fresnoza-Flot & Ricordeau, 2013 ;
Ricordeau, 2011, 2012 ; Salcedo Robledo, 2011 ; Salomon,
2009a, 2009b, 2012 ; Schuft, 2010 ; Streiff-Fénart, 1989).
Cependant, bien que les normes de l’« amour égalitaire »
qui dominent les représentations contemporaines du couple
(Singly, 1987) constituent un frein à l’examen des transactions
– souvent inégalitaires – qui s’y déroulent, il est également
possible de montrer, a contrario, que ces conjugalités mixtes
gagnent à être analysées comme des espaces particulière-
ment propices aux transactions culturelles intimes. Pour s’en
13. Sur les enjeux migratoires liés à la pratique de la danse contemporaine en Afrique, voir : Despres, 2011.
14. Cette expression désigne un courant de danse contemporaine né en France dans les années 1970-1980, sous l’impulsion de jeunes
convaincre, on peut revenir d’abord sur le cas d’Emma – en
s’attardant cette fois, non plus sur ses relations d’aide ponc-
tuelle avec certains danseurs, mais sur sa relation par défi-
nition plus longue et plus intensive avec son conjoint Baba.
Emma a 23 ans lorsqu’elle rencontre Baba, danseur contem-
porain malien du même âge qu’elle. La mère d’Emma est
américaine et fait partie des figures pionnières de la « nouvelle
danse française14 » des années 1980 ; au moment où sa fille
se met en couple, elle dirige une fondation de promotion des
échanges artistiques, qui subventionne de nombreux projets
dans le domaine de la danse contemporaine en Afrique. Le
père d’Emma, d’origine juive tunisienne, dirige quant à lui un
Centre dramatique national en France et est l’un des fonda-
teurs d’un festival renommé de musique africaine. Emma a fait
des études supérieures d’art aux États-Unis avant de s’installer
au Mali. Elle rencontre Baba lors d’un stage de danse organisé
par la fondation de sa mère. Baba, de son côté, a fréquenté
l’école jusqu’au lycée. Les affaires de son père, qui ont un
temps prospéré en Guinée, ont périclité, obligeant la famille à
rentrer au Mali sans le sou. Baba, à l’instar de nombreux dan-
seurs maliens, s’est engagé dans la danse contemporaine par
opportunisme, alors qu’il était sans occupation et sans véri-
table perspective d’emploi (Despres, 2015). Il a fréquenté le
centre de formation auprès duquel j’ai réalisé mes recherches
à Bamako, et qui lui a, plusieurs années durant, assuré un
revenu – les formations étant rémunérées. Presque deux
ans après leur rencontre, Emma et Baba créent une compa-
gnie de danse, dans le cadre de laquelle ils mettent en place
des activités de formation et de création au Mali. Au même
moment, ils emménagent ensemble dans une villa à Bamako,
qu’ils partagent temporairement avec la famille de Baba. Le
couple projette de se marier aux États-Unis afin de permettre
à Baba d’obtenir la nationalité américaine. Comme leur acti-
vité professionnelle commune n’en est qu’à ses débuts, les
revenus que le couple en tire ne représentent, au moment de
l’entretien avec Emma, que de l’« argent de poche ». Le paie-
ment du loyer de la villa est entièrement assuré par l’argent
qu’Emma reçoit mensuellement de ses parents. D’importants
travaux sont réalisés dans la maison afin d’aménager, sur le
toit, un espace professionnel. Le dernier étage de la villa se voit
chorégraphes français et étrangers, en double rupture avec les codes esthé-tiques de la danse moderne américaine et de la danse académique de l’Opéra de Paris (Guigou, 2004).
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équipé d’un plancher de danse – co-financé par la fondation
de la mère d’Emma et par un héritage personnel – ainsi que
d’appartements autonomes pouvant accueillir des artistes en
résidence. Par ailleurs, Baba et Emma bénéficient des ser-
vices d’un membre du personnel de la fondation de la mère
de cette dernière qui assure, au Mali, une partie de la gestion
administrative de leur compagnie. Le reste incombe exclusive-
ment à Emma, comme elle l’explique en entretien :
« Emma : Après sur le plan administratif pour la compagnie effectivement c’est moi qui fait beaucoup de choses. […] Je peux pas par exemple compter sur Baba pour faire les dossiers ou les trucs comme ça parce qu’il serait pas aussi efficace quoi. […] Et si c’est lui qui le fait bah ça va prendre plus de temps et puis après faudra corriger donc... Et puis ça le fait chier. Déjà que moi ça me fait chier, alors, autant le faire » (Entretien avec Emma, Montpellier, août 2013).
On voit bien avec ce cas comment des flux économiques évi-
dents se trouvent doublés de flux culturels, quant à eux plus
ou moins faciles à objectiver. En devenant le conjoint d’Emma,
Baba se voit, d’une part, naturellement inscrit dans un
espace artistique transnational, celui qu’investit, sinon produit
sa belle-famille. Cela ne peut qu’avoir des conséquences sur sa
connaissance de cet espace, sur sa capacité à saisir telle ou
telle opportunité artistique, etc. D’autre part, le transfert de capi-
tal culturel s’incarne dans la production d’un cadre de travail
artistique nouveau, celui de la compagnie que le couple crée
rapidement. Ce cadre signifie une plus grande autonomie artis-
tique pour Baba (il n’est plus dépendant du centre où il a été
formé). Il est par ailleurs un lieu où s’actualise durablement le
soutien culturel d’Emma, en particulier autour de la production
des divers écrits et autres documents administratifs nécessaires
à toute entreprise artistique.
U n e c o n t r i b u t i o n f é m i n i n e a u c œ u r m ê m e d e l a c r é a t i o n ?
En entretien, Emma évoque seulement des transactions cultu-
relles en quelque sorte extérieures à l’activité artistique propre-
ment dite : en dépit de relances sur ce point précis, elle ne
parlera pas de conseils qu’elle aurait pu prodiguer, par exemple,
en matière de choix de tel ou tel thème pour une création, ou
encore, d’options chorégraphiques. Cela tient peut-être au fait
que Baba, comparé à la plupart des danseurs enquêtés, a plu-
tôt des ressources culturelles importantes – il est allé jusqu’à
la fin du secondaire –, qui lui assurent une autonomie artis-
tique minimale – au niveau, en quelque sorte, du « cœur du
métier ». Mais cela peut également renvoyer à une forme de
censure de la part d’Emma, étant entendu qu’admettre une
aide culturelle « sur le fond » revient forcément à minorer son
rôle créateur, son authenticité d’artiste.
Un autre cas, celui de Norah, semble montrer que les deux
effets peuvent être simultanément à l’œuvre. Évoquant, d’une
part, sa relation amoureuse avec un danseur moins doté cultu-
rellement, avec lequel elle n’est, d’autre part, plus en couple
– ce qui revient à lever relativement les enjeux de lèse-majesté
artistique – Norah n’hésitera pas quant à elle à dire qu’elle a mis
sa culture au service direct du travail de création de son ancien
conjoint. Cette enquêtée est une danseuse américaine d’une
vingtaine d’années lorsque je la rencontre à Ouagadougou
– elle a donc un profil social proche de celui d’Emma. Fille d’un
universitaire historien de l’art et d’une enseignante en arts plas-
tiques dans une école Steiner, elle grandit dans un « milieu hip-
pie » – selon les termes qu’elle emploie en entretien – et étudie
la danse et les sciences humaines dans une grande université
américaine. Dans le cadre de son cursus scolaire, elle se rend
un an à Paris où elle suit des cours à l’Institut d’études poli-
tiques et où elle participe aux formations du Centre national de
la danse. L’année suivante, elle obtient une bourse pour suivre
la formation professionnelle organisée au Burkina Faso par le
Centre de développement chorégraphique de Ouagadougou.
C’est là qu’elle rencontre Roméo, un jeune danseur de son âge
qui participe lui aussi à la formation. Le jeune homme, né en
Côte d’Ivoire, a grandi dans un petit village du Burkina Faso où
ses parents vivent du travail de la terre. Il n’a jamais fréquenté
l’école, a été un temps apprenti mécanicien dans un garage
avant de participer à un premier stage de danse contemporaine
à Bobo Dioulasso (deuxième ville du pays). Remarqué par un
chorégraphe burkinabè renommé, il suit plusieurs formations,
au Burkina Faso ainsi que dans d’autres capitales africaines,
et participe à plusieurs projets de création qui le conduiront
à séjourner en France. Comme beaucoup d’autres danseurs
issus de milieu modeste, c’est au travers de sa formation à la
danse que Roméo apprend le français. Norah et Roméo, qui
travaillent ensemble sur un projet de trio avec un autre dan-
seur, vont entretenir une relation amoureuse pendant quelques
mois, alors que Roméo est pourtant déjà en couple avec une
jeune Finlandaise, danseuse elle aussi, et rencontrée quelques
mois auparavant alors qu’elle séjournait à Ouagadougou.
Pendant la création, Norah met son matériel à disposition – elle
possède une caméra, un ordinateur portable et une moto – et
prend en charge la majorité des dépenses effectuées pour la
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pièce. Mais surtout, à la demande de Roméo, elle accepte de
consigner par écrit certains des questionnements nés de leur
travail d’improvisation :
« Norah : On répétait, il donnait des idées, de la matière. C’est lui
qui a proposé qu’on écrive ça, qu’on s’assoie pour écrire ce qu’on
pensait à propos de la pièce, ce qu’on essayait de faire, de dire. Je
me souviens qu’un matin on était tous assis ensemble au CCF et moi
je tapais [sur l’ordinateur] » (Entretien avec Norah, Paris, juin 2013).
Norah ne s’en tient pas à suggérer que ses compétences cultu-
relles ont été mobilisées par Roméo dans le travail de créa-
tion. Non sans lien, comme en témoigne la suite de l’entretien,
avec le regard rétrospectif qu’elle porte sur une relation amou-
reuse finalement décevante – elle n’aura été que sa maîtresse
l’espace de quelque mois –, elle n’hésite pas à dévoiler des
transmissions culturelles explicitement recherchées pour la
production des œuvres elles-mêmes :
« Norah : Il voulait que moi je fasse quelque chose avec, que j’écrive
le projet, que je fasse un petit résumé du projet comme… [elle passe
à l’anglais] to make the thing current, conceptually current. C’est là
que j’étais moins prête à… Je disais “non, c’est à toi de me dire
exactement ce que tu veux que ça soit”. […] Il voulait utiliser je
pense mes capacités d’écrire, de parler, de présenter. Mais il l’a pas
trop fait. Et c’est peut-être parce qu’il allait se marier avec une autre
Blanche ! […] Je crois qu’elle fait beaucoup pour lui dans ce sens
là. Mais un peu dans un autre créneau, donner des cours de danse
africaine. C’est toujours elle qui écrit sur Facebook, c’est elle qui le
pousse plus à apprendre le français, à apprendre à écrire et tout ça »
(Entretien avec Norah, Paris, juin 2013).
Dans l’année qui a suivi notre rencontre, Roméo s’est marié
avec sa compagne finlandaise. Il vit désormais en Finlande des
cours de danse traditionnelle que sa femme organise pour lui
en mobilisant ses réseaux professionnels locaux.
Si les transactions culturelles peuvent s’effectuer dans d’autres
relations intimes entre les sexes comme celles que j’ai analy-
sées dans la partie précédente, l’intimité conjugale constitue
sans aucun doute un cadre spécialement propice pour ce
type de transaction. D’une part, la conjugalité suppose géné-
ralement une co-présence longue et suivie des conjoints, ce
qui est une condition nécessaire à la transmission véritable,
durable, de certaines compétences culturelles à la fois très
générales et très décisives – qu’on songe à l’apprentissage des
« bonnes » façons de parler, qui permettent, ne serait-ce qu’à
l’oral, de présenter efficacement son travail ou sa carrière artis-
tique. D’autre part, la conjugalité implique a priori un intérêt
particulièrement marqué pour la réalisation professionnelle de
son/sa partenaire – doublé du reste d’une obligation morale
forte de partager ses ressources avec lui/elle. Cette situation
rend par définition intéressantes, pour les deux partenaires,
les transactions culturelles intimes : la mise à disposition des
compétences d’un des conjoints pour favoriser la carrière de
l’autre est immédiatement au service de l’ascension sociale du
couple dans son ensemble, le destin social des conjoints étant
par définition lié.
Conclusion
Loin de n’exiger que leur seul « talent » (Schotté, 2013), la
participation des danseurs africains à l’activité chorégraphique
contemporaine, fût-elle sur le continent africain, repose de
manière décisive sur leur capacité à se plier à la fois aux règles
du jeu institutionnel et aux normes esthétiques d’un monde de
l’art qui s’est structuré au Nord. À ce titre, compte tenu du type
de culture dont la plupart des danseurs sont eux-mêmes por-
teurs – une culture construite à distance de l’école, et notam-
ment de l’écrit –, pouvoir mobiliser les compétences culturelles
d’un ou d’une proche peut s’avérer crucial. Les relations intimes
que nouent les danseurs avec des femmes occidentales fonc-
tionnent, en dépit de l’hétérogamie qui caractérise ces rela-
tions – dans lesquelles les femmes occupent clairement une
position dominante, à la fois au plan économique et culturel –,
comme un moyen d’accumulation culturelle et, in fine, comme
un soutien à leur carrière professionnelle. Au travers des diffé-
rents exemples développés dans cet article, on comprend que
c’est du côté de l’asymétrie des investissements genrés dans
la relation d’intimité qu’entretiennent hommes et femmes, que
se situe l’efficacité des transactions culturelles intimes. La mise
à disposition du capital culturel des femmes, peut, on l’a vu,
s’effectuer dans un panel élargi de situations d’intimité, de l’ami-
tié à la conjugalité, dès lors qu’elles correspondent à une relation
interpersonnelle marquée par un investissement moral fort, et
que s’y exerce une division sexuée du travail qui fait reposer sur
les femmes la réalisation de certaines tâches, en l’occurrence
ici d’ordre culturel. Les stratégies d’accumulation culturelle ont
en effet d’autant plus de chances d’aboutir qu’elles rencontrent
les dispositions féminines à la disponibilité, la compassion, et la
prise en charge de ce qui peut être considéré comme des opéra-
tions de soutien à la carrière des hommes.
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Ce qui est échangé et la manière exacte dont se déroule
l’échange varie bien sûr suivant le type d’intimité considéré.
En particulier, le temps, c’est-à-dire la récurrence et la lon-
gueur des relations d’intimité, est sans doute un aspect tout à
fait distinctif et crucial en matière de transactions culturelles
intimes. C’est que, par contraste avec une transaction écono-
mique, la transmission d’un savoir, d’un savoir-faire, et même
d’un objet culturel, qu’il faut de toute façon apprendre à uti-
liser, est rarement instantanée. On peut même dire que ce
n’est qu’avec la durée que les transactions culturelles intimes
prennent une véritable importance : avec le temps, l’accumu-
lation culturelle peut se faire acculturation, c’est-à-dire donner
lieu non plus à un usage régulier des compétences culturelles
de l’autre, mais se faire exercice relativement autonome d’une
compétence culturelle apprise. Concrètement, par exemple,
les danseurs africains en couple avec des Occidentales parlent
de mieux en mieux le français ou l’anglais, ce qui représente
un atout pour leur carrière. Point important – qui contraste là
encore avec le cas des transactions économiques – ce capital
acquis l’est en quelque sorte « une fois pour toute » : les com-
pétences linguistiques ne cessent pas si la relation d’intimité
transnationale cesse, parce que, pour le dire de façon lapi-
daire, la culture transmise ne se dépense pas comme l’argent
donné. Cela suggère du reste que les transactions culturelles
intimes peuvent donner lieu à des modifications plus fonda-
mentales que ces changements d’environnement de travail
et de ressources disponibles qui nous ont essentiellement
retenus dans cette étude du cas particulier des danseurs
contemporains africains.
Le dernier type de processus mentionné, à savoir l’acculturation
qui se réalise dans les formes poussées de transactions cultu-
relles intimes, mériterait des enquêtes spécifiques, menées sur
des terrains diversifiées (pour permettre la comparaison). Du
point de vue particulier de l’étude des relations Nord-Sud, il
y aurait sans doute là l’occasion de mettre en évidence des
aspects peu aperçus de la mondialisation culturelle, à savoir
le fait qu’elle ne se résume pas à des métissages, à la circula-
tion de représentations et d’idées, mais qu’elle implique, qu’elle
impose souvent – compte tenu du fait que les différences cultu-
relles sont globalement hiérarchisées, avec des cultures domi-
nantes à acquérir –, la socialisation transnationale d’un certain
nombre d’individus et de groupes. Le rôle social des transac-
tions culturelles intimes gagnerait, en outre, à être envisagé sur
des terrains et des objets bien différents. On songe par exemple
à leur place dans les dynamiques d’ascension sociale : dans
quelle mesure ces dernières reposent-elles sur des transac-
tions culturelles au sein des couples ? Il faudrait sans doute,
plus généralement, considérer les transactions culturelles
intimes comme une voie possible d’accumulation culturelle et
d’acculturation, qui peu certes paraître moins importante que
des voies plus classiques et plus visibles – par excellence, la
voie scolaire – mais qui, au moins dans certains conditions,
peut s’avérer tout à fait décisive.
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