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Blassenat Samantha Texier Solène L’iconographie d’Etienne Marcel au XVIIIème et XIXème siècle Introduction Le XIX ème siècle est souvent considéré comme le siècle de l’Histoire. En effet à partir de cette période il y a un regain d’intérêt pour le passé, tant pour certaines périodes comme le moyen-âge grâce notamment à Chateaubriand (Le génie du Christianisme), que pour certaines figures. Mais c’est surtout sous la III ème république que sont mis en valeur ces hommes, et ces femmes, qui sont présentés comme des héros et autour desquels se créer de véritables mythes et légendes. C’est ainsi le cas d’Etienne Marcel. Mais qui était-il? Né en 1316, c’était un marchand drapier provenant d’une grande famille de la bourgeoisie parisienne, mais il fut également élu prévôt des marchands en 1355. Il est célébré au XIX ème, et surtout sous la III ème république, pour son action lors du 22 février 1358. En effet lors de cette journée il prend la tête d’une troupe de 3000 hommes car il reprochait le non-respect de la Grande Ordonnance, un texte de 1357 mais qui n’avait pas été appliqué. La foule se rend chez le Dauphin Charles, qui dirige la France depuis que son père avait été capturé après la bataille de Poitiers, et ses conseillers sont assassinés. Etienne Marcel sauve le futur roi en le coiffant d’un chaperon bleu et rouge, l’emblème de Paris. Néanmoins il est également connu pour sa mort. Après la journée du 22 février, Charles avait fui Paris et Etienne Marcel en avait profité pour en prendre le contrôle. Pour éviter que le Dauphin ne mette en place un siège il décide de faire entrer dans la ville les troupes du roi de Navarre et celles des anglais, ce que les parisiens n’acceptent pas. Il est alors tué par Jean Maillard, un partisan du régent, près de la porte Saint-Antoine le 31 juillet 1358 alors qu’il se dirigeait vers la porte Saint-Denis pour faire entrer les troupes ennemies. Nous allons ainsi nous demander en quoi l’iconographie d’Etienne Marcel au XVIII ème et XIX ème siècle a-t-elle été influencée par le contexte politique. Tout d’abord mal-aimé, Etienne Marcel est petit à petit devenu une légende. C’est ce que l’on peut constater en comparant deux tableaux, peint à deux époques différentes, qui représentent sa mort: l’un la mort d’un traître, l’autre une mort glorieuse. Enfin la journée du 22 février 1358

Etienne Marcel expose

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Blassenat SamanthaTexier Solène

L’iconographie d’Etienne Marcel au XVIIIème et XIXème siècle

Introduction

Le XIX ème siècle est souvent considéré comme le siècle de l’Histoire. En effet à partir de cette période il y a un regain d’intérêt pour le passé, tant pour certaines périodes comme le moyen-âge grâce notamment à Chateaubriand (Le génie du Christianisme), que pour certaines figures. Mais c’est surtout sous la III ème république que sont mis en valeur ces hommes, et ces femmes, qui sont présentés comme des héros et autour desquels se créer de véritables mythes et légendes.

C’est ainsi le cas d’Etienne Marcel. Mais qui était-il? Né en 1316, c’était un marchand drapier provenant d’une grande famille de la bourgeoisie parisienne, mais il fut également élu prévôt des marchands en 1355. Il est célébré au XIX ème, et surtout sous la III ème république, pour son action lors du 22 février 1358. En effet lors de cette journée il prend la tête d’une troupe de 3000 hommes car il reprochait le non-respect de la Grande Ordonnance, un texte de 1357 mais qui n’avait pas été appliqué. La foule se rend chez le Dauphin Charles, qui dirige la France depuis que son père avait été capturé après la bataille de Poitiers, et ses conseillers sont assassinés. Etienne Marcel sauve le futur roi en le coiffant d’un chaperon bleu et rouge, l’emblème de Paris. Néanmoins il est également connu pour sa mort. Après la journée du 22 février, Charles avait fui Paris et Etienne Marcel en avait profité pour en prendre le contrôle. Pour éviter que le Dauphin ne mette en place un siège il décide de faire entrer dans la ville les troupes du roi de Navarre et celles des anglais, ce que les parisiens n’acceptent pas. Il est alors tué par Jean Maillard, un partisan du régent, près de la porte Saint-Antoine le 31 juillet 1358 alors qu’il se dirigeait vers la porte Saint-Denis pour faire entrer les troupes ennemies.

Nous allons ainsi nous demander en quoi l’iconographie d’Etienne Marcel au XVIII ème et XIX ème siècle a-t-elle été influencée par le contexte politique.

Tout d’abord mal-aimé, Etienne Marcel est petit à petit devenu une légende. C’est ce que l’on peut constater en comparant deux tableaux, peint à deux époques différentes, qui représentent sa mort: l’un la mort d’un traître, l’autre une mort glorieuse. Enfin la journée du 22 février 1358

est l’occasion pour les artistes de la III ème république de représenter Etienne Marcel en tant que héros.

I- Du sobriquet à la légende doréeA- Un personnage qui a une image négative jusqu’à

la restaurationL’image d’Etienne Marcel à la fin du XVIIIème et début du XIX siècle

est négative. Pendant cette période les gauchistes (ou révolutionnaires) n’ont pas encore vu d’intérêts dans ce personnage. Or les contre-révolutionnaires eux noircissent son image pour insulter et disqualifier la République. Etienne Marcel est alors vu comme un sobriquet infamant. Les études littéraires de cette époque montrent que les adversaires de 1789 brandissent l’anarchie parisienne de 1358 comme un épouvantail pour mieux stigmatiser la révolution en cours. Cela donne à la Révolution non pas un caractère nouveau mais juste la reproduction d’autre révolutions par les factieux. Naudet reste d’ailleurs très critique à travers sa Conjuration d’Etienne Marcel contre l’autorité royal , il expose le fait que les révolutionnaires ne revendiquent pas devant l’autorité légitime mais ils profitent de situations difficiles pour renverser l’ordre établi, mais quand ils sont à leur tour au pouvoir ils deviennent eux aussi des tyrans et le peuple qui s’était allié à lui devient son ennemi de demain, il se trouve alors lui aussi renverser et le retour à l’ancien est ordre est prôné. Ce texte montre bien la rancœur présente envers les révolutionnaires et particulièrement à Etienne Marcel qui est considéré comme le précurseur de tous ces malheurs. Cela se voit à travers les œuvres de peintres. Tout d’abord le tableau de Berthélemy Maillard tuant Marcel à la porte Saint-Antoine de 1783 en est un exemple. Celui-ci montre qu’avant même la Révolution son image n’était pas appréciée car il est vu comme un traitre. Ce tableau que le roi a lui-même commandé, montre ce passé glorieux du royaume de France, ou après des années difficiles, elle retrouve le calme marqué par le meurtre d’Etienne Marcel qui est la fin d’un chaos et d’un retour paisible à la royauté. Sachant que le roi sort lui-même d’une guerre contre les anglais, il est possible de suggérer qu’il fait de ce meurtre un grand moment national où la royauté mise en péril, en est ressorti plus forte.

Après l’Empire où l’iconographie a été particulièrement dédiée à Napoléon, les moments de périodes révolutionnaires refont surface. L’idée d’une comparaison entre 1358 et 1789 est toujours présente. Effectivement Amédée David maitre des requêtes fait une commande à Ingres  du tableau L’entrée à Paris du futur Charles V, achevé en 1821.

Ingres, Entrée à Paris du futur Charles V, 1821, huile sur toile, Wadsworth Atheneum (Hartford)

Ce tableau fait référence au 2 août 1358 revient dans sa capital pour reprendre en main le royaume face aux émeutes. Ici Charles V l’ennemi d’Etienne Marcel est mis en valeur, il est présenté comme glorieux symbolisé par son cheval blanc avec à ses côtés un homme important Jehan Pastoret président du Parlement de Paris qui figure habillé en rouge.

Etienne Marcel est alors absent de cette représentation, on ne porte pas d’intérêt sur lui mais sur son ennemi. La mise en avant du retour à la royauté de 1358 est un parallèle avec le retour de la monarchie par la Seconde Restauration de 1815. On voit donc bien que les contre-révolutionnaires s’ils portent intérêt aux éléments qui ont secoué le royaume de France au XIV, ce n’est pas l’image d’Etienne Marcel qu’ils montrent mais celui du Dauphin qui en ressort glorieux. L’image d’Etienne Marcel n’intéresse pas ou quand elle, son image est dévalorisée le montre comme un mauvais.

B- Le précurseur de 1789

Vers la fin de la Restauration l'image d'Etienne Marcel commence à prendre une valeur positive, et le rapprochement entre 1358 et 1789 devient inévitable après les Trois Glorieuses prôné par les gauchistes. Les personnes de droite, elles ont toujours une image stérile et l'assimile à 1793 à la Terreur en le présentant comme un tyran sanguinaire. C'est Simonde de Sismondi dans son Histoire des français qui réhabilite l'image d'Etienne Marcel en le caractérisant comme le glorieux précurseur du

gouvernement "représentatif" et qui voit dans l'Ordonnance de 1358 la premier "Chartre" arrachée par les bourgeois à l'arbitraire monarchique. Les Trois Glorieuses réactualisent et amplifient les vœux du marchand de Paris : donner un véritable régime constitutionnel à la France et confier le soin de veiller à son respect à une branche cadette réputée plus libérale. Après 1830 l'hommage qui lui est rendu tient au fait que les tentatives de la bourgeoisie pour

réformer la monarchie françaises en 1359 trouvent son aboutissement en 1830, qui est la consécration de plusieurs siècles de luttes acharnées, ce parallèle permet donc de légitimer les Trois Glorieuses. Cette image d'Etienne Marcel culmine est atteint son apogée sous la Troisième République. Il est alors célébré, mis en scène et popularisé. Ses exécutions de maréchaux sont mises en parallèle avec la mise à mort du roi Louis XVI et l'image du Dauphin Charles s'apparente avec celle d'Adolf Thiers. Ces figures mettent en valeur que pour rompre avec la royauté légitime, il y a un besoin de mettre entre elle et les révolutionnaires une barrière de sang. C'est ce qui peut être vu dans le tableau de Lucien Mélingue Le prévôt des marchands Etienne Marcel et le Dauphin Charles de 1879 et exposé au musée d'Orsay à Paris ainsi que la gravure sur bois de Neuville Meurtre des maréchaux par les parisiens en 1358 (photo ci-contre) présent dans l'Histoire de France, de François Pierre Guillaume Guizot de 1873 mais aussi celui de Jean-Paul Laurens Etienne Marcel prévôt des marchand, sauve la vie du régent de 1889 présent à l'hôtel de Ville de Paris. Celui de Neuville présentant la mort d'Etienne Marcel reflète l'idée de Michelet que la justice et la violence étant antinomiques Etienne Marcel après avoir "fait verser le sang devait à son tour périr par le glaive".

Paris sous la Troisième République célèbre l'illustre statue équestre de ce prévôt des marchands (photo en-dessous). Un concours est lancé en 1882, la réalisation est confiée à Jean-Antoine Idrac et à sa mort à Laurens Marquest. Elle est inaugurée le 15 juillet 1888 en grande pompe par le président du Conseil municipal de Paris, Darlot et du préfet de la Seine, Poubelle pendant la vague boulangiste qui touche le pays. La statue est placée dans les jardins de l'Hôtel de Ville, les discours saluent en lui avec un lyrisme un illustre et héroïque précurseur de 1789. Cette statue de bronze met en avant un Etienne Marcel meneur d'homme déterminé. En effet il est droit dans étriers le regard fier, son corps et bien droit d'une main il tient sa lance et de l'autre d'un bras tendu tient la selle du cheval. Le cheval donne l'impression de mouvement par ses deux pattes qui ne touchent pas le sol. Il a le cou bien droit pour regarder en avant, son crin est levé comme volant dans l'air, la musculature du cheval est voyante ce qui laisse penser qu'il est en action. On pourrait penser que c'est un homme qui allait se rendre maitre d'une terre, un vrai conquérant.

L'image d'Etienne Marcel évolue donc entre la fin du XVII et tout au long du XIX siècle, son côté glorieux prend le dessus sur la figuration négative que les contre-révolutionnaires portaient sur lui.

II- De la mort d’un traître à une mort glorieuseLa mort d’Etienne Marcel est tout d’abord représentée comme la

victoire de la monarchie sur les traîtres mais au fil du temps elle devient plus glorieuse.

A-Le tableau de Berthélemy: une vision négative du prévôt

Le tableau s’intitule Maillard tuant Marcel à la porte Saint-Antoine. Il représente donc le moment où Etienne Marcel, qui allait faire entrer les ennemis dans Paris, est stoppé par Jean Maillard qui l’attaque pour le tuer. C’est une huile sur toile qui a été commandée pour 3000 livre à Jean Simon Berthélemy par le roi en 1783, puis reproduite en tapisserie par la manufacture des gobelins et qui, avec 9 autre sujets, fait partie de la tenture de l’histoire de France. Cependant le roi ne va pas apprécier le tableau. Malgré cela les critiques sont globalement bonnes et le tableau est même comparé au Mars vaincu par Minerve de Doyen. Néanmoins on reproche au peintre des couleurs trop vives, des figures trop théâtrales et un manque de noblesse aux personnages. En effet Berthélemy a pris des modèles pour peindre mais c’était des personnes qui appartenaient, comme le disent les critiques, “à la classe inférieure” (critique paru dans le Journal de littérature, des sciences et des arts). En outre, à l’origine, la commande avait été faite à un autre artiste, Jean-Baptiste Le prince qui devait exposer un tableau sur ce thème intitulé Pierre Maillard tue Marcel prévôt des marchands, auteur de la révolte sous Charles VI au salon de 1779 mais il n’est pas présenté. L’artiste meurt deux ans après en laissant son œuvre inachevée ainsi Berthélemy hérite du sujet.

Dans ce tableau on retrouve le souci de précision historique du peintre qui indique scrupuleusement le lieu de l’action, là où s’est déroulé le vrai meurtre, c’est-à-dire la porte Saint-Antoine, ainsi que le souci d’exactitude dans la représentation des costumes. Un peintre qui a choisi de mettre en valeur Jean Maillard, qui se trouve au centre du tableau, incarnant le sauveur de Paris, l’homme qui triomphe contre le traître qui s’est opposé à l’autorité du Dauphin

et allait livrer la ville aux ennemis. Il est fier, déterminé et a le regard sinistre. Dans sa main droite il tient une hache et de l’autre il retient Etienne Marcel pour pouvoir lui porter le coup fatal. D’ailleurs le geste de son bras droit rappelle Zeus qui brandit le foudre. Ainsi Maillard est en quelque sorte le justicier qui puni un homme ayant trahi le Dauphin.

Comme le tableau est peint sous Louis XVI, cela montre que ceux qui s’opposent au pouvoir royal, qui le trahissent, sont au final punis et que donc il ne faut pas s’opposer au roi.

Le prévôt tient les clés de la ville qui sont très grandes et même symboliques car elles rappellent sa trahison et l’acte qu’il allait commettre. Il a été déséquilibré par Maillard, comme le montre sa posture, la terreur se lit sur son visage et sa cape couleur rouge donne l’impression qu’il est déjà mort et que son corps repose dans une mare de sang.La scène est cependant non sanglante, l’instant représenté est celui avant le meurtre. Cependant le tableau n’en reste pas le moins dramatique grâce aux expressions des personnages mais également aussi grâce à une mise en scène de l’action très théâtrale avec les flambeaux qui répandent l’horreur de la scène, la foule qui se précipite sur le prévôt, le héros debout, imperturbable, l’arme à la main, et le traître en position de faiblesse. On peut ainsi qualifier cette œuvre de baroque. Baroque aussi grâce aux nombreux drapés, à l’impression de mouvement, aux couleurs chaudes, aux jeux de regards et aux diagonales dont la principale part de la hache de Maillard et va jusqu'à sa main gauche posée sur le cœur du prévôt.

Ainsi le peintre a voulu mettre en valeur Jean Maillard qui a sauvé la monarchie en tuant Etienne Marcel, un traître qui allait livrer la ville aux ennemis. C’est par contre une œuvre très différente, représentant le même sujet, qu’a par la suite fait Alphonse de Neuville.

B-Neuville ou une mort plus glorieuse du prévôt

Ce n’est pas un tableau mais une gravure sur bois intitulée Mort de Marcel, réalisée donc par Alphonse de Neuville pour illustrer le tome deux de L’histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789 raconté à mes petits enfants de François Guizot, paru en 1873. Dans ce livre on retrouve aussi d’autres gravures d’Etienne Marcel dont un portrait (intitulé Portrait de Marcel dont la photo est ci-contre). Sur ce dernier on voit bien l’évolution de la vision du personnage car il est représenté presque comme les rois. En effet il porte

une épée, une sorte de cape avec de l’hermine ainsi qu’un habit avec des fleurs de lys.

Une évolution qui se voit aussi dans le sujet qui traite de la mort du prévôt. Car cette fois il n’est plus dans une position flagrante d’échec, de faiblesse. Il le reste toujours un peu car l’on se rend bien compte qu’il n’a aucune issue à part la mort. En effet une foule d’hommes armés se précipite sur lui et l’empêche d’avancer, de s’échapper. Cependant il n’est plus renversé par Maillart mais est droit et fier sur un cheval, l’air surpris de se faire attaquer mais en même temps il semble regarder avec un certain dédain ses ennemis. Figure centrale de l’œuvre, en hauteur par rapport aux autres personnages, il reste ainsi digne et noble jusqu'à la fin contrairement au tableau de

Berthélemy où le prévôt perd son sang-froid et la peur se lit sur son visage.

Par ailleurs on retrouve le même lieu d’action, la porte Saint-Antoine sauf que cette fois le prévôt ne tient pas les clés de la ville mais serre dans ses mains les rennes de son cheval pour l'arrêter. De plus même s’il y a aussi la présence de flambeaux on se rend mieux compte que dans le tableau de Berthélemy, qui est plutôt lumineux, qu’il fait nuit et que la scène se passe donc tard le soir ou tôt le matin car l’artiste a beaucoup joué sur les ombres et lumière. Ces contrastes rendent d’autant mieux que la gravure est en noir et blanc. Ainsi une partie des assaillants est dans l’ombre ainsi qu’une majorité du visage du prévôt tandis le flambeau au sol éclaire son cheval. Ce jeu de lumière participe à la dramatisation de la scène. Une autre différence avec le tableau précédant est que l’on ne voit pas l’assassin, Maillard, car en effet celui-ci est de dos mais on le reconnaît grâce à sa hache. D’ailleurs une grande partie des visages des attaquants est dans l’ombre ou alors n’est pas montrée ce qui montre bien la volonté de Neuville de se concentrer sur le prévôt, qui est le personnage le plus important ici, et non pas sur son assassin. Cependant on ne peut presque pas parler d’assassinat car si le titre est “Maillard tuant Marcel” ici ce n’est pas le meurtre qui est montré mais plutôt le prévôt qui est surprit par les partisans du régent.

Finalement l’artiste a choisi de mettre en avant Etienne Marcel, au contraire de Berthélemy, en représentant non pas sa mort mais un moment peu avant ce qui fait qu’il garde toute sa gloire.

III- L’héroïsation d’Etienne Marcel par les peintres de la III ème république

Le 22 février 1358 une foule furieuse de 3 000 personnes à la tête d’Etienne Marcel fait irruption dans la chambre du dauphin Charles, cet épisode est alors repris par les peintres. Moment très important dans la révolte de 1358 mais aussi qui forme un vrai lien avec les événements de 1789.

A- Etienne Marcel selon Mélingue : le maître de Paris

L’œuvre de Lucien Mélingue, présentée au salon de 1879, Le Prévôt des marchands Etienne Marcel et le dauphin Charles illustre cette journée du 22 février 1358 et place la scène lors de l’irruption de l’émeute dans la

chambre du Dauphin.Deux événements continu de cette journée sont présents ce qui donne deux scènes au tableau. Pour commencer le décor montre bien que la scène se passe dans la chambre du roi par les fleurs de lys sur les murs, les rideaux somptueux et le lit aux décors très fins. Puis dans le côté gauche, Mélingue montre bien cet effet de

foule qui surgit dans la chambre, il en vient par la porte où de nombreuses armes, des lances des haches entremêlées les unes aux autres se font voir mais les visages ne sont pas tous découverts de plus des personnages entre les rideaux se distinguent et ce qui laisser penser que la foule passe par toutes les ouvertures pour s’immiscer dans la chambre. Ces personnes sont identifiables aux émeutiers du fait que certains portent le bonnet rouge et bleu mais aussi une sorte d’étendard aux couleurs de Paris se voit au-dessus de toutes les têtes. On voit qu’ils sont menés par Etienne Marcel par leur regard qui se porte sur ce personnage au centre de la composition. Le premier événement qui se passe dans cette pièce est la mort des maréchaux qui voulaient protéger

le Dauphin, Robert de Clermont, maréchal de Normandie, et Jean de Conflans, maréchal de Champagne, gisent sur le sol de la chambre. Les bras levés de l’un d’eux et l’épée dans la direction de son corps tenu par un émeutier donnent l’impression que l’action vient de se faire comme s’il était pris dans sa chute tandis que celui vu au premier plan est abattu. Le regard des révoltés vers Etienne Marcel donne l’image aussi que l’acte a été commandé par lui et exécuté par ses émeutiers qui pointe encore l’épée sur le corps. Puis notre regard se pose sur la droite où nous voyons l’action qui s’en suit : Etienne Marcel protège le Dauphin, par un acte des importants celui de l’échange des bonnets qu’ils portent ; Etienne revêt celui du Dauphin avec l’inscription de la fleur de lys ce qui donne l’image

qu’il est maintenant maitre de Paris tandis que le régent, reconnu par sa robe portant des lys, lui est revêtu du bonnet des révolutionnaires aux couleurs de Paris. Cela donne un parallèle avec l’acte des révolutionnaires qui mirent sur la tête de Louis XVI le bonnet phrygien. On voit que l’acte a été fait par Etienne, la bande du bonnet mis sur Charles possède une partie sur le bras d’Etienne comme s’ils étaient liés de plus de sa main gauche Etienne pose le bonnet sur la tête du Dauphin et de son autre main pose le chapeau sur la tête. Pourquoi un tel geste ? Il épargne le régent Charles car il le sous-

estime et pense pouvoir le contrôler aisément de plus son but était de l’impressionner pour pouvoir mieux le contrôler. D’ailleurs nous voyons ce côté juvénile du Dauphin et sa frayeur. Tout d’abord contrairement à Etienne il ne porte pas de barbe de plus le visage du prévôt est plus rude avec des sourcils épais, des traits du visage qui montrent un homme d’expérience, chose que le Dauphin n’a pas. Sa frayeur est remarquable dans sa posture il n’est ni assis ni debout mais entre deux comme si son pied sortant de sa robe le retenait. Le fait que le maréchal soit au milieu de la composition relie les deux scènes et le porte comme le héros de cela. Sa posture bien droite et sa tête qui domine tous les autres personnages l’élève au-dessus de tous les autres cela est renforcé par la posture du Dauphin qui apparait vraiment soumis, il se trouve d’ailleurs tête à moitié baissée au-dessous de la main du prévôt. Etienne Marcel apparait vraiment comme le commanditaire de tous ses actes du fait qu’il soit placé de part et d’autres des scènes.

Cette composition est beaucoup plus calme que celle de la gravure de Neuville (ci-contre) où les deux corps des maréchaux gisent sur le sol l’un sur l’autre, les émeutiers se trouvent partout même sur le lit du roi et Etienne Marcel, lui, pointe du doigt ces morts en regardant le

dauphin effrayé qui se revêtu du bonnet aux couleurs de Paris. Le geste d’Etienne est menaçant indiquant au dauphin le risque qu’il encoure s’il ne rallie pas à la cause des révolutionnaires. La peinture de Mélingue peut être alors vu plus théâtralisée.

B- Etienne Marcel vu par Laurens: un protecteur mais également un homme d’autorité

Un autre tableau qui représente la journée du 22 février 1358 est celui du peintre Jean-Paul Laurens et qui est intitulé Etienne Marcel prévôt des marchand, sauve la vie du régent. C’est une peinture d’histoire qui représente précisément le moment où le prévôt sauve le Dauphin. C’est une huile sur toile peinte entre 1892 et 1895 qui se trouve à l'hôtel de ville de Paris. L’hôtel de ville avait été anéanti par le feu lors de la commune de 1871 et la reconstruction fut achevée en 1882. Une commission avait été constituée à partir de 1889 dans le but de répartir les commandes d’œuvres pour décorer le nouveau bâtiment. C’est ainsi qu’est attribué à Laurens la décoration du salon Lobau qui devait mettre en valeur le rôle historique des représentants de Paris.

Le choix d’Etienne Marcel s’imposa dès le début puisque dans les années 1880 le prévôt était l’une des figures symboliques de l’indépendance de Paris. Néanmoins la façon de le représenter varia, comme on peut le constater sur les études préparatoires (un exemple ci-dessous). Toutes les esquisses/études ont été approuvées par la commission mais le peintre préféra écarter sa première pensée qui était de représenter seulement les deux protagonistes face à face avec les révoltés moins présents et qui s’en vont en traînant les corps sans vie des conseillers. Cette scène était plus dramatique, sanglante et l’on voyait beaucoup plus le conflit qui opposait le Dauphin au prévôt. Un prévôt plus accusateur, dominateur.Ainsi Laurens préféra représenter un Etienne Marcel plus protecteur, ce qu'auparavant avait fait un autre artiste, Auguste Laguillermie, dans une série de Lavis sur la vie du prévôt demandée par la commission.

Laurens est un peintre scrupuleux dans son travail, il a fait plusieurs études de ses personnages ainsi que des recherches. C’est également un républicain et un des peintres officiel de la III ème république. Ainsi il aime exalter les vertus républicaines dans ses œuvres ce que nous pouvons constater dans le tableau. En effet Etienne Marcel, le précurseur des révolutionnaires, se trouve au centre et attire le regard. Il est droit,

presque rigide, d’ailleurs c’est le seul personnage qui n’est pas, même un peu, courbé. On voit bien la différence avec la posture de Charles. Il est également plein de prestance, noble, a le regard féroce et d’un seul geste il stoppe la foule assoiffée de sang qui veut s’en prendre au régent. D’ailleurs de son bras gauche il retient un assaillant muni d’une hache maculée de sang, sûrement celui du corps sans vie du conseiller au sol à droite. Ainsi le prévôt s’impose en tant que protecteur, meneur des révoltés et en même temps il prend en quelque sorte l’autorité qui est sensé appartenir à Charles, comme si c’était lui qui avait le pouvoir. D’ailleurs il force ce dernier à porter le chapeau aux couleurs de Paris.

Le Dauphin courbe le dos en guise de soumission et semble accablé alors que son regard se porte sur le sang à ses pieds qui est de la même couleur que son chapeau. Son habit de fleur de lys nous indique qu’il est de sang royal pourtant il n’a aucune prestance, n’a pas le comportement d’un futur roi, sa posture et son vêtement trop grand le rendent même ridicule. Il semble se rendre compte de ce qu’il aurait pu lui arriver. Ainsi de nombreux éléments renvoient Charles à son conseiller, le survivant à la victime. C’est le cas de la mare de sang qui part du Dauphin et qui va jusqu’au corps à droite, ce qui indique que le cadavre a été traîné sur un sol qui, d’ailleurs, porte des fleurs de lys. Mais c’est aussi le cas des bras d’Etienne Marcel qui vont du chapeau jusqu'au corps si on prolonge la ligne faite par le bras gauche du prévôt.

Ainsi Laurens a peint une scène dramatique où l’horreur et la violence sont présentes, violence rappelée par la grande présence du rouge synonyme du sang. Une utilisation de plusieurs nuances de rouge mais également des nuances de bleu et de vert qui sont inspirés des tonalités des tapisseries et manuscrits du moyen-âge.Conclusion Ces tableaux montrent que bien

qu’Etienne Marcel a d’abord été vu comme un traitre, et était représenté comme tel ou alors il était absent des œuvres, son iconographie devient plus importante sous la troisième République qui en fait un héros. Ses actes sont alors reconnus comme glorieux notamment, la journée du 22 février 1358, et font l’objet de sujets dans les peintures d’histoire comme dans des gravures. Etienne Marcel est donc vu comme le moteur des révolutions et son image est encore portée dans les rues de Paris, dont

l’une inaugurée sous la troisième République porte son nom tout comme une bouche de métro.

BibliographieJean VALMY-BAYSSE, Jean-Paul Laurens sa vie-son œuvre, Paris, Société d’édition et de publications, 1910

Jean-Paul Laurens 1838-1921, peintre d’histoire, cat.exp, Paris, musée d’Orsay, RNM, 1997

Nathalie VOLLE, Jean-Simon Berthélemy (1743-1811) peintre d’histoire, Paris, arthena, 1979

Christian AMALVI, De l’art et de la manière d’accommoder les héros de l’histoire de France. Essais de mythologie nationale, Paris, Albin Michel, 1988

June HARGROVE, Les statues de Paris : la représentation des grands hommes dans les rues et sur les places de Paris, Paris, Albin Michel, 1989