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Anne-Caroline FIÉVET A/ena PODHORNA-POLICKA ÉTUDE CONTRASTIVE DE LA CIRCULATION DES NÉOLOGISMES IDENTITAIRES POUR LES JEUNES DANS L'ESPACE MÉDIATIQUE 1 L'article propose une modélisation théorique et la description méthodolo- gique de 1'observation d'un va-et-vient entre médias et locuteurs, appliquée sur les unités néologiques bolos et faire le buzz. Chaque néologisme caractérise une catégorie selon le critère du canal de sa diffusion -respectivement via les réseaux de pairs et via les médias. L'application de la théorie de la diffusion des innova- tions sur la néologie identitaire apporte les pistes de réflexion sur la typologie des locuteurs du point de vue de leur sensibilité et de leur adaptabilité à la néologie. Les notions de « boom néologique >> et de « boom médiatique » sont introduites et une différence entre ces deux notions est constatée : alors que les médias cherchent à utiliser les mots qui sont identitaires et expressifs pour les jeunes (qui connaissent un « boom néologique »), les jeunes, pour leur part, vont plutôt être réticents quant à la reprise des mots entendus dans les médias, au moins quand ceux-ci ne remplissent pas un vide sémantique. Parallèlement à la modélisation théorique, les différentes étapes de J'enquête quantitative de bolos (notamment les écueils méthodologiques d'une enquête· réalisée par questionnaire électronique) ainsi que 1 'analyse sémantique de faire le buzz, en opposition avec les relevés des dictionnaires pour le substantif buzz. sont également exposées. bolos ou boloss n.m. Individu faible et sans défense (Dictionnaire argotique et populaire, 2009) buzz, nm Rumeur concernant ce qui est à la pointe de la mode, bouche-à-oreille. (Dictionnaire Hachette, 2009) Ce travail a bénéficié du soutien de l'Agence des subventions de la recherche de la République tchèque (projet de recherche 405/09/P307 L 'expressil>ité dans l'argot des jeunes sur fond de problématiques autour de la quête de l'identité indMduelle et groupale). Neologica, 4, 2010, p. 13-39

Étude contrastive de la circulation des néologismes identitaires pour les jeunes dans l'espace médiatique

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Anne-Caroline FIÉVET A/ena PODHORNA-POLICKA

ÉTUDE CONTRASTIVE DE LA CIRCULATION

DES NÉOLOGISMES IDENTITAIRES POUR LES JEUNES

DANS L'ESPACE MÉDIATIQUE 1

L'article propose une modélisation théorique et la description méthodolo­gique de 1 'observation d'un va-et-vient entre médias et locuteurs, appliquée sur les unités néologiques bolos et faire le buzz. Chaque néologisme caractérise une catégorie selon le critère du canal de sa diffusion -respectivement via les réseaux de pairs et via les médias. L'application de la théorie de la diffusion des innova­tions sur la néologie identitaire apporte les pistes de réflexion sur la typologie des locuteurs du point de vue de leur sensibilité et de leur adaptabilité à la néologie.

Les notions de « boom néologique >> et de « boom médiatique » sont introduites et une différence entre ces deux notions est constatée : alors que les médias cherchent à utiliser les mots qui sont identitaires et expressifs pour les jeunes (qui connaissent un « boom néologique »), les jeunes, pour leur part, vont plutôt être réticents quant à la reprise des mots entendus dans les médias, au moins quand ceux-ci ne remplissent pas un vide sémantique.

Parallèlement à la modélisation théorique, les différentes étapes de J'enquête quantitative de bolos (notamment les écueils méthodologiques d'une enquête· réalisée par questionnaire électronique) ainsi que 1 'analyse sémantique de faire le buzz, en opposition avec les relevés des dictionnaires pour le substantif buzz. sont également exposées.

bolos ou boloss n.m. Individu faible et sans défense (Dictionnaire dufrançai.~ argotique et populaire, 2009)

buzz, nm Rumeur concernant ce qui est à la pointe de la mode, bouche-à-oreille. (Dictionnaire Hachette, 2009)

Ce travail a bénéficié du soutien de l'Agence des subventions de la recherche de la République tchèque (projet de recherche n° 405/09/P307 L 'expressil>ité dans l'argot des jeunes sur fond de problématiques autour de la quête de l'identité indMduelle et groupa le).

Neologica, 4, 2010, p. 13-39

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Introduction

À l'époque actuelle, quand on parle de la néologie dans les médias ou, plus souvent, des médias en relation avec les jeunes, on s'imagine fort probablement « l'innovation lexicale propre aux nouveaux territoires technologiques investis prioritairement par les jeunes » (Pruvost, Sablayrolles, 2003 : 7), c'est-à-dire le langage SMS ou bien les logogrammes des forums et des blogs accompagnés des émoticônes. Quant à la néologie formelle et à l'aspect quasi-anonyme des espaces virtuels d'Internet, les recherches sont multiples et connaissent un grand dynamisme (au sujet du langage SMS, voir Fairon, Klein et Paumier (2006); pour les blogs et les chats, voir les travaux d'Anis (2003 et 2004) et de Michot (à paraître)). Or, l'observation de la circulation néologique dans les médias, notamment la néologie qu'on qualifiera d 'identitaire pour les jeunes, est un terrain difficilement abordable d'un point de vue méthodologique, comme nous avons pu le mentionner lors de travaux antérieurs (Fiévet et Podhornâ-Polickâ, à paraître). Grâce à la combinaison de plusieurs méthodes d'observation et d'enquête, notre contribution à ce numéro thématique de Neo/ogica tentera de démontrer, sur l'exemple des deux lexèmes néologiques bolos et buzz, à quel point le caractère sémantico-formel du néologisme et son statut socio-générationnel favorisent sa diffusion ou non dans l'espace médiatique.

Travaillant depuis plusieurs années sur l'argot des jeunes dans le cadre de nos thèses respectives 2, puis de recherches communes, nous nous intéressons particulièrement aux néologismes qui sont des emblèmes de la langue des jeunes - caractéristiques et stigmatisants à la fois -, les néologismes argotiques 3

identitaires. Motivées, dès le début de 2006, par notre sentiment néologique de chercheuses, nous avons repéré, d'abord chez nos informateurs dans les cités de banlieue parisienne, puis plus tard chez de nombreux jeunes de la région (toutes classes confondues), une propagation extrêmement rapide de l'emploi du lexème bolos, dont la circulation nous préoccupe depuis. Il y a un an environ, nous avons eu le même « déclic » avec une unité néologique qui mérite une attention particulière : il s'agit du lexème buzz (ou plutôt du syntagme faire le buzz). Au départ, vu son usage abondant dans les médias- et particulièrement dans ceux qui intéressent les jeunes- (Internet, presse people ... ), nous avons pensé qu'il allait prendre le même cheminement que bolos, c'est-à-dire qu'il allait être repris

2 Anne-Caroline Fiévet est spécialiste des émissions de libre antenne des radios jeunes; A lena Podhornâ-Polickâ cible ses recherches sur les universaux argotiques des jeunes.

3 Tout d'abord, précisons que nous entendons l'argot dans le sens large et moderne du terme, c'est-à-dire un argot qui n'est pas, a priori, limité à un groupe particulier lié par des activités socio-professionnelles (comme par exemple les malfaiteurs, les cheminots, etc.) mais véhiculé par les fonctions identitaire et conniventielle dans tous les milieux possibles où un lexique de ce type peut être créé et/ou répandu.

NÉOLOGISMES IDENTITAIRES POUR LES JEUNES DANS 1. 'ESPACE MÉDIATIQUE 15

massivement par les jeunes et peut-être même devenir identitaire pour eux. Or, nous observerons ici à quel point le passage de buzz par les discours branchés et, plus généralement, par son espace médiatique a pu influencer sa circulation et son évaluation sémantique dans la jeune génération. En d'autres termes, l'étude de ces deux lexèmes néologiques nous apporte un matériel particulièrement riche pour une confrontation des critères de diffusion : la néologie« via les réseaux de pairs 1 personnels 4 » vs la néologie « via les médias » seront donc au centre de notre intérêt.

1. La néologie des jeunes : un sujet admiré et redouté

Quand il s'agit d'aborder le sujet de la néologie issue des innovations lexicales des jeunes, l'attitude des linguistes est équivoque: d'une part, on peut relever des « petites remarques » sur le vocabulaire et les items identitaires de haute fréquence un peu partout dans les travaux des lexicologues, des sociolinguistes et d'autres linguistes (sans oublier l'intérêt quasi-démagogique des journalistes pour relayer les différents vocabulaires des« djeuns »);d'autre part, l'observation régulière et la systématisation sont rares et se heurtent à plusieurs obstacles, à savoir: a) l'instabilité et la dynamique de l'objet d'étude, b) le manque de méthodes d'analyse macro-structurales etc) un certain mépris pour l'observation des« déviations »,notamment en ce qui concerne la jeunesse des banlieues sensibles. Sur ce dernier point, il faut apporter quelques précisions : d'une part, on observe une critique objective de la part de certains sociolinguistes qui clament qu'il ne faut pas se focaliser sur le sujet en le détachant de son contexte socio-ethno-géographique large, parlant même de peur de la « folklorisation » des pratiques identitaires des jeunes (Gasquet-Cyrus 2004 : 54); d'autre part, on trouve des réactions plus tranchées de la part de certains méta-didacticiens 5 qui s'opposent à la valorisation sociale de ces pratiques de la part des enseignants {p. ex. A. Bentolila (1996: 209) est d'avis que la connivence argotique mène à la ghe~oïsation des jeunes). Nous sommes d'avis que les «cris d'alarme » sont, certes, à prendre en compte dans l'enseignement et le cadre scolaire, mais

4 Nous avons d'abord pensé parler de néologie argotique, c'est-à-dire de la circulation via les réseaux de pairs mais nous pensons également que la circulation se fait via d'autres réseaux, personnels (famille, amis plus lointains ou réseaux virtuels sur Internet).

5 Par exemple, Cécile Ladjali dans sa Mau~·aise langue (2007, Seuil) se fait la porte­parole de la menace de la circulation de nouveaux « barbarismes » : « Pour un nouveau mot qui entre dans le dictionnaire (comme le verbe 'kiffer'), ce sont douze verbes qui sont condamnés à ne plus être dits par les adolescents. Car la langue est un code, avec ses lois, sa grammaire, et qui les ignore ou les malmène menace son lien avec autrui. Le barbarisme mène à la barbarie», peut-on lire dans la présentation de l'ouvrage.

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qu'ils ne pourront nullement influencer la création et la diffusion naturelle de nouveaux items lexicaux conniventiels pour les jeunes, si ces derniers sont en quête d'identité socio-générationnelle via l'argot. D'autres alertes viennent des lieux plus officiels et touchent un spectre plus large que les problèmes liés à l'argot banlieusard - nous pensons notamment au débat sur la francisation des anglicismes (auquel a été mêlé récemment le lexème buzz, comme nous le verrons infra) qui résulte de la« prise au sérieux» des visions d'auto-destruction langagière par le biais des emprunts (cf. Hagège, 2006 : 41 6). Ils sont pris en compte (ou imposés) dans les mass-médias et entraînent des débats (généralement de courte durée), mais ici non plus, les jeunes ne sont pas à l'écoute de ces débats manipulateurs puisque leur lexique se créé, se diffuse et évolue sémantiquement de façon naturelle, incontrôlable et difficilement saisissable. Bref, on a affaire à un continuum où seules l'exemplification et les études contrastives peuvent modéliser la vie des néologismes identitaires et donc pallier les défauts présentés supra sous a) et b) : les exemples bolos et buzz seront étudiés ici à partir de leur usage chez les jeunes locuteurs ainsi que de leur diffusion à travers les médias dans le sens large du terme.

2. Synchronie dynamique du néologisme identitaire générationnel bo/os: résumé des phases de l'enquête sur sa diffusion

À la suite de quelques entretiens qualitatifs effectués dans la banlieue nord de Paris depuis 2006 (phase de pré-test) 7, notre enquête quantitative sur la circulation du lexème bolos dans l'espace français et francophone a débuté en mars 2008 en réaction à notre observation de son usage de plus en plus fréquent et particulièrement polysémique, notamment auprès des jeunes Franciliens. Son apparition à une fréquence exponentielle notamment dans les chansons de rap (mais pas exclusivement 8), laissait supposer qu'il y aurait de fortes chances pour

6 Claude Hagège ne craint pas vraiment les emprunts à l'anglais en tant que tels (les dictionnaires français n'en recensent qu'environ 7% pour la plupart), il met plutôt l'accent sur les «emprunts externes)), c'est-à-dire les anglicismes utilisés dans les entreprises et par les personnes qui utilisent le français qu'on peut qualifier de branché (comme nous le verrons plus particulièrement avec l'emploi de bu==).

7 Nos enquêtrices de Garges-les-Gonesses d'origine malienne nous ont d'ailleurs suggéré une toute première hypothèse étymologique en supposant qu'il s'agissait d'un emprunt au soninké (le mot boré signifiant le« pigeon))), d'où le sens courant attesté de « celui qui se fait avoir>> et, par glissement dans les cités sensibles, un « Français de souche>> (nous précisons déjà que le glissement de boré à bolos dans l'espace malien nous a été infirmé par les spécialistes de soninké).

8 Nous observons la toute première apparition de bo/os dans les chansons de rap vers 2002 au sens originel d'un «client d'un dealer)), mais il est plus massivement repérable à partir de 2005 où son sens a commencé à glisser vers un axiologique péjoratif connoté ethniquement (synonyme de «fromage blanc)), par exemple) et

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qu'il soit rapidement diffusé en dehors de son «bastion » où il remplissait un rôle identitaire (banlieues et jeunes des quartiers) et/ou générationnel (notamment Paris intra-muros et jeunes en général).

Notre travail de circonscription de l'usage et de description du sémantisme complexe de cet axiologique a priori négatif a été exposé en détail dans des travaux antérieurs (voir Fiévet et Podhormi-Polickâ, 2009 et Podhornâ-Polickâ et Fiévet, 2009) et nous résumerons ici les étapes méthodologiques de cette recherche ainsi que les résultats inédits de la dernière phase, plus ciblée du côté des enjeux médiatiques liés à la diffusion des néologismes. Voici un résumé des différentes phases méthodologiques :

O. phase de sensibilisation- recherche qualitative (entretiens semi-directifs et observation participante- groupes de pairs, relevés médiatiques);

1. phase de circonscription du noyau et de la périphérie - pré-enquête quantitative (version 1.0 du questionnaire papier traditionnel);

2. phase de macro-étude - enquête quantitative (versions 2.0 et 2.1 en parallèle- questionnaire papier et questionnaire en ligne);

3. phase de suivi des évolutions - mélange des méthodes quanti/qualitatives (études ciblées sur les aspects générationnel et géographique. suivi des évolutions, approfondissements étymologiques).

Ayant repéré un lexème identitaire juste avant son «boom médiatique» (notion qui nous semble importante et dont nous discuterons les caractéristiques plus tard), notre enquête quantitative nous a permis d'observer à la fois l'applicabilité de la théorie de diffusion des innovations de l'économiste E. Rogers (1962) sur l'argot des jeunes (via son application pour la terminologie néologique par Quirion, 2006) et la question de la géographie générationnelle et sociale par rapport à sa diffusion dans le temps 9 •

Pour retracer les trois temps majeurs de cette recherche, notons tout d'abord que la première étape via un questionnaire papier traditionnel, effectuée entre mars et août 2008, nous a permis de récolter 233 réponses et a pu confirmer

socialement (synonyme de« bourge»), mais pas encore totalement la simple insulte, équivalente à «bouffon, boulet», qui prédomine son sémantisme actuel). Suite aux émeutes en banlieues de novembre 2005, bolos a été un des « mots-clés » dans les témoignages de la fracture sociale (ce sont notamment les articles de 2003 et de 2005 de Luc Bronner,journaliste au quotidien Le Monde, qui recensent le néologisme ho/os avec ses connotations ambigui!s et qui ont permis de faire naître un certain écho chez les journalistes et les internautes à cette période; voir également sur ce sujet le blog des journalistes suisses de Bondy (Michel, 2006) et, dans une optique sociologique, Kokoreff(2005).

9 Nos questionnaires témoignent du même phénomène que celui que nous avons pu trouver dans Factiva et sur Internet concernant le« boom médiatique» de bolos après les émeutes de 2005 puisque nous pouvons constater qu'un grand pic (surtout en matière de connaissance passive- OUI P) se situe exactement à cette période.

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notre hypothèse sur la faible connaissance de ce lexème en dehors de son fief géographique et générationnel (à savoir l'Île-de-France et les jeunes âgés de 15 à 25 ans). Dans la deuxième étape, réalisée à partir d'octobre 2008, nous avons eu pour objectif d'obtenir des réponses venant de toutes les régions de France et donc d'étendre la représentativité de notre corpus. Pour des raisons pratiques, une version électronique de notre questionnaire papier a donc été créée 10• Cette deuxième étape a apporté, en relativement peu de temps, un nombre de réponses représentatif puisque nous avons pu obtenir 971 réponses en 5 mois.

Les deux phases de l'enquête réunies ont donc pu permettre de récolter 1204 réponses en II mois et montrer qu'un [bolos] est un lexème graphiquement instable (bo/os, bol/os, boloss, bo/osse, bo/oce, etc.) dont les synonymes les plus fréquents sont bouffon, boulet ou encore ba/fringue. Son emploi pluricontextuel (allant d'une apostrophe conniventielle quasi-méliorative à une insulte forte, voire même raciste dans certains milieux) qu'on qualifiera d'un emploi «passe­partout » polysémique et sa capacité de dérivation (bolosser, se faire bolosser, bolossa, bolossage, losbo) en font un exemple prototypique de« mot identitaire » (Podhornâ-Polickâ, 2009 : 216-220). On pourrait appeler ainsi les expressions les plus « in », branchées, à la mode, et/ou perçues comme identitaires, symboles d'une génération ou, plus étroitement, d'un groupe de jeunes. Liés par un sentiment grégaire, les jeunes reprennent même les expressions qui ont un sens vague pour eux, et c'est de là qu'émergent ces glissements polysémiques récurrents. Quant à l'exemplification de cette catégorie universelle pour les argots des jeunes, bolos en est un exemple parfait pour son opacité étymologique 11 grâce à laquelle il perd moins facilement son expressivité que les autres axiologiques négatifs; tout cela contribue à attirer un nouveau public vers l'adoption de ce lexème (voir l'évolution de la circulation de bolos entre 2008 et 2009 auprès des 16-22 ans dans le tableau 2).

10 Accessible à l'adresse: http://is.muni.cz/www/12093/argot.html Il Malgré l'étude assidue d'une dizaine de pistes étymologiques, proposées par nos

enquêtés, nous ne pouvons toujours pas déclarer avoir résolu l'énigme de l'origine de ce lexème (s'agit-il d'un emprunt à l'espagnol, à l'anglo-américain ou d'une déformation interne de l'expression mon lauss?; voir à ce sujet Podhornâ-Polickâ et Fiévet, 2009 : 217-221). Depuis peu, nous creusons la piste d'un emprunt à l'argot des rappeurs américains mais nos observations attendent d'être confirmées par un spécialiste du domaine aux États-Unis.

NÉOLOGISMES IDENTITAIRES POUR LES JEUNES DANS L'ESPACE MÉDIATIQUE 19

Tableau 1 : Tableau récapitulatif des résultats de 1 'enquête quantitative sur bol os

PHASE DE L'ENQUf.TE PAR QUESTIONNAIRE NOMBRE TOTAL DES

âge moyen des ENQUÊTES

(période entre mars 2008-février 2009) (au total 1204 = 100 %)

enquêtés

Version 1.0 papier (mars- aoùt 08) 233 (19.4%) 22.1

Version 2.0 papier (septembre- décembre 08) 3/7(26.3 %) 20,8

Version 2.1 électronique (septembre 08 --février 09) 654(54,3 %) 27,6'

DÉCLARATIONS D'USAGE

NOMBRE TOTAL DES Catégorie d'âge ENQUÊTES OUI A OUIP NON

(autota/1204 = 100%)

10-19 395 29.6 %(117) 36.5 %(144) 33.9% (134)

20-24 405 16.5 %(67) 25.2%(102) 58.3 %(236)

25-64 +sans 404 /.7%(7) 10.9 %(44) 87.4 %(353)

indication

Légende : OUI A- déclarations d'usage actif; OUI P- déclarations de connaissance passive:

NON - ignorance du lexème

• Puisque 6 personnes, probablement des professeurs d'un certain âge, n'ont pas voulu indiquer leur âge, on peut supposer que ce chiffre est en réalité légèrement plus élevé. Ceci est probablement dû au fait que de nombreuses personnes sont volontairement sorties de l'anonymat en indiquant leur adresse e-mail afin de pouvoir recevoir les résultats de l'enquête en signe de remerciement pour leur participation, intriguées par l'opacité séman­tique et étymologique du lexème qui « courait » dans les classes.

Si l'on regroupe nos enquêtés en fonction de trois catégories d'âge à peu près équilibrées, les résultats repertoriés dans le tableau 1 montrent que la catégorie des 20-24 est limitrophe entre les deux extrémités: d'un côté, ceux qui propagent activement le néologisme et, de l'autre côté, la génération de ceux qui n'ont pas été marqués par ce lexème: l'usage actif massif s'arrête à 25 ans 12 et la connaissance passive, vers la trentaine (sauf dans le cas des parents et professeurs qui sont .en contact régulier avec les jeunes). Ces résultats corroborent l'idée de Cécile Bauvois ( 1998) qui place le « pic informel » à l'adolescence et qui prévoit l'abandon de ces pratiques identitaires au profit de l'usage dans le groupe professionnel (ce constat est d'ailleurs commun à la plupart des chercheurs en sociolinguistique de la jeunesse, cf. Trimaille (2003 :52), etc.) 13•

12 À l'exception d'une personne de 26 ans et d'une autre de 30 ans, âge que l'on peut considérer comme une limite pour la post-adolescence et l'auto-identification avec les emblèmes générationnels.

13 Dans l'optique psycho-sociale de la transgression des normes, phénomène typique pour l'adolescence, nous préférons parler d'« âge argotique», véhiculé par une tendance à la grégarité et à une revendication (socio-) générationnelle exagérées (Podhorna-Polickâ, 2009: 269-272). Dans l'espace médiatique, l'argot commun des jeunes se forge à travers plusieurs canaux dont les émissions de libre antenne des

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Après la phase de macro-étude, nous en sommes actuellement à la troisième étape, à la fois quantitative et qualitative, qui a pour but de modéliser la vie des néologismes identitaires. Nous poursuivons le suivi de l'évolution de la circulation 14 et des emplois concurrentiels de ho/os chez les jeunes de différents milieux sociaux et géographiques via des enquêtes et des entretiens et nous ciblons plus particulièrement les effets médiatiques sur les représentations que nos locuteurs s'en créent. Le tableau 2 infra montre les premiers résultats comparatifs entre 2008 (phases 1 et 2) et 2009 (phase 3), l'objectif étant ici d'observer si les habitudes commencent à changer au centre ainsi qu'à la périphérie auprès de la classe d'âge des 16-22 ans.

Tableau 2 : Comparaison des résultats pour les questionnaires passés dans les classes

(lycée et université) sur le lexème ho/os: 2008 vs 2009

Enquêtes dans les établissements scolaires 1 TOTAL (100 %) OUI A OUIP NON universitaires

Version nov.-papier déc. 2008 2009 2008 2009 2008 2009 2008 2009

Noyau 183 90 41,5% 56,7 •A, 46,4% 36,7% 12.0% 6,7%

Créteil (76) (51) (85) (33) (22) (6)

Périphérie proche 51 55

35,3% 32.7% 47,1% 60,0% 17,6% 7.3% Paris (18) (18) (24) (33) (9) (4)

Périphérie nord 40 48

10,0% 22,9% 12,5% 62,5 •A, 77,5% 14.6% Amiens 1 Compiègne (4) (Il) (5) (30) (31) (7)

Périphérie sud 48 46 4,2% 6,5% 8,3% 17,4 °/e 87,5% 76.1%

Nice 1 Toulon (2) (3) (4) (8) (42) (35)

Autres terrains

Yzeure 1 Saint Denis de 73 47 13,7% 2,1% 21,9% 8,5% 64,4% 89,4%

(Allier) la Réunion (10) (1) (16) (4) (47) (42)

TOTAL 395 286 27,8% 29.4% 33,9% 37.8% 38,2% 32.9% (110) (84) (134) (108) (151) (94)

radios jeunes qui sont une particularité française. L'argot y apparaît dans les moments radiophoniques adolescents (Fiévet, 2008: 271 ).

14 Parallèlement à nos recherches sur le terrain, le site Internet fonctionne toujours et quelques réponses arrivent encore de façon spontanée, sans aucune promotion (qui peut, d'ailleurs, être réactivée à tout moment). Le questionnaire en ligne tient compte des adresses IP multiples afin de bloquer les réponses multiples et du critère temporel (saisie automatique de la date à laquelle les personnes ont répondu au questionnaire). La seule chose à laquelle il faut prêter attention, en adoptant cette méthodologie, c'est l'évolution dans les catégories d'âge et l'interprétation des résultats pour ceux qui l'utilisent activement (afin de ne pas compter parmi les actifs ceux qui l'associent avec spaghettis bolo(gnaises), par exemple).

NÉOLOGISMES IDENTITAIRES POUR LES JEUNES DANS L'ESPACE MF:DIATIQUE 21

Les résultats obtenus ne doivent pas être dissociés de la question des variables sociolinguistiques. En effet, pour Yzeure, il existe un décalage important avec les autres terrains d'enquête puisque la population est plus jeune (variable générationnelle) et différente socialement (lycée professionnel vs universités pour les autres terrains 15). Pour la Réunion, c'est la variable géographique (éloignement) qui joue un rôle important car les innovations lexicales arrivent avec un certain retard 16, souvent par le biais de métropolitains qui viennent habiter l'île et apportent les innovations 17• D'un point de vue chronologique. les résultats mis en gras sont à commenter, malgré une représentativité contestable de l'échantillon actuel : notamment, on peut constater un accroissement massif de la connaissance du lexème au cours de la dernière année pour les terrains proches du « noyau » (Paris et Compiègne), connaissance qui ne peut pas être uniquement expliquée par les effets médiatiques (même si, au sud de la France, la connaissance du lexème s'est également légèrement accrue) et qui est certainement due à un usage plus actif dans le noyau (donc à une plus grande diffusion).

Pour apporter une statistique finale de notre enquête par questionnaire, outre les 1204 réponses de la macro-étude, la troisième phase de 2009 nous a permis d'obtenir 286 nouvelles réponses (en réalité 313, si l'on ajoute les 27 questionnaires de Compiègne de mars 2010 dont le décalage temporel va être expliqué dans la partie buzz); notre analyse s'appuie donc sur un échantillon de 1517 locuteurs.

3. À propos du sentiment néologique des locuteurs de ho/os et de buzz

Dans nos questionnaires de 2009 diffusés à Paris, Créteil et Toulon, une nouvelle question a été introduite dans notre questionnaire sur bolos, ceci avec l'objectif de circonscrire le sentiment néologique des jeunes (cf. Sablayrolles, 2003): nous avons demandé aux jeunes où ils pensent que le néologisme se propage le plus. Ainsi, les résultats permettent d'observer de façon plus fine le sentiment néologique de nos enquêtés qui doivent évaluer l'extension de bolos chez leurs amis, dans l'espace médiatique. etc., bien évidemment à la condition qu'eux-mêmes connaissent le lexème en question.

15 Notons que, parmi les autres terrains, c'est de celui de Créteil que le terrain d'Yzeure se rapproche le plus au niveau de la variable sociale.

16 Parmi les travaux qui relient cette problématique traitée entre autres par Gudrun Ledegen, spécialiste en parlers jeunes réunionnais, rappelons pour notre objectif, son article sur le langage SMS (Cougnon et Ledegen, à paraître).

17 La seule personne qui l'utilise activement à la Réunion est une fille qui a vécu en banlieue parisienne et qui est arrivée récemment.

22 NEOLOGICA

Tableau 3 : Résultats des questionnaires de 2009 pour la question : 11 As-tu /ïmpression que le mot bolos est devenu plus largement utilisé ces derniers mois IK··· >>

Réponses affinnativcs (une ou plusieurs par personne)

Réponses Type de Lieu Nombre de Che= les locuteurs d"enquête locuteurs

Dans ta jeunes

Dans À la télé

négatives bande de

de ta toute la

vision partout

copains région

société

Paris 18 JO 8 1 3 38.9% (7) OUI A Créteil 45 26 35 6 1 15.6% (7)

Toulon J 1 1 0 0 66.7% (2) Paris JJ 5 15 1 4 36.4%(12)

OUI P Créteil JJ 8 20 0 3 33.3 %(11) Toulon 8 0 2 1 1 62.5 %(5)

TOTAL lOO% (140) 50 81 9 12 J/,4% (44)

Le regroupement des réponses en fonction des types de locuteurs (OUI A, OUI P) semble, dans le tableau 3, plus pertinent que le regroupement en fonction du lieu d'enquête. En effet, les jeunes qui utilisent bolos activement affirment ici l'hypothèse de l'importance de la bande de copains sur l'adoption d'une innovation lexicale. Cette constatation corrobore la théorie de Rogers, mentionnée supra, à savoir que ce sont les canaux personnels, plutôt que la médiatisation, qui provoquent l'adoption d'une nouveauté, mais que les médias sont importants pour véhiculer ce que Rogers appelle « awareness » (prise de conscience) (Rogers, 1962 : 81-82) 19• Il se peut d'ailleurs que les pré-adolescents qui ont répondu qu'ils connaissaient passivement le lexème vont, en rentrant dans l'adolescence, mieux comprendre ses connotations identitaires (à condition que le mot reste encore expressif, qu'il ne se démode pas) et passeront dans la catégorie OUI A. Un même cas est difficilement imaginable pour les post-adolescents et les adultes, pour qui l'influence du groupe de pairs est moins importante qu'à l'adolescence (voir à ce sujet la notion de « tyrannie de la majorité », développée par Pasquier, 2005).

Pour revenir au tableau, constatons encore que la progression de l'usage dans leur bande de copains est affirmée par les locuteurs passifs de façon beaucoup moins fréquente mais, s'ils agissent ainsi, ils optent volontairement

18 Cette question n'a pas été posée aux enquêtés à Compiègne et à la Réunion où l'enquête a ciblé d'autres objectifs.

19 Dans notre enquête quantitative de 2008, cette hypothèse se vérifie puisque les jeunes affirment avoir rencontré le néologisme plutôt grâce à leurs amis que par l'intermédiaire des médias. En effet, 46 %des jeunes que nous avions interrogés à cette époque (et qui déclaraient connaître ho/os) ont affirmé l'avoir connu à l'école au sens large du terme (école primaire, collège, lycée ou université) puis dans leurs alentours géographiques (qui pourra être rapproché de « chez les jeunes de ta région » de 2009), pour 17 %des réponses. Les médias représentaient déjà une faible proportion des réponses (6 %) (Fiévet, Podhomâ-Polickâ, 2009: 934-935).

NEOLOGISMES IDENTITAIRES POUR LES JEUNES DANS L'ESPACE MEDIATIQUE 23

pour la stratégie de ne pas se comporter de manière grégaire 20• La progression de l'usage de ho/os chez tous les jeunes est observée largement pour toutes les catégories; ceci ne fait que donner une preuve de la diffusion qui s'est opérée selon nos précédentes observations entre 2008 et 2009. On pourrait tenter de postuler l'hypothèse d'un premier« boom néologique» socio-générationnel chez les jeunes, véhiculé surtout par les canaux personnels: d'abord, vers 2006 des cités franciliennes vers les jeunes des cités de province et vers Paris intra-muros, puis un deuxième « boom néologique » générationnel vers les jeunes toutes classes et régions confondues. Si nous proposons de dissocier « boom néologique » et « boom médiatique »esquissé déjà supra, c'est pour mettre en avant la circulation via les réseaux de pairs plus ou moins denses et plus ou moins virtuels. Cette division peut, entre autres facteurs 21 , expliquer le décalage dans l'aspiration du lexique de type argotique par les dictionnaires d'usage. Comme nous allons pouvoir le comparer infra avec le lexème huzz qui a connu un grand « boom médiatique» sans pourtant connaître un écho identitaire important chez les jeunes, la néologicité de ho/os a connu, jusqu'à présent, deux (voire trois 22) étapes de diffusion dont la deuxième s'accompagne d'un« boom médiatique» plus fort (ce dont témoignent également nos enquêtés qui répondent positivement à la variante « à la télévision », notamment ceux qui connaissent le lexème passivement).

En revenant toujours à l'évaluation de la diffusion de ho/os par nos enquê­tés, deux catégories de locuteurs se situent à des pôles opposés du point de vue de leur capacité à observer la circulation des innovations. On peut supposer que cette capacité (qui est d'ailleurs proche de ce qu'il convient de nommer «sentiment

20 Dans l'optique d'avancer une théorisation pour qualifier le comportement argotique des membres d'un groupe, nous les qualifierons de« boss ou suireurs passifs», à la différence des « tchatcheurs » qui adoptent facilement les innovations lexicales et les promeuvent souvent (Podhorna-Policka, 2009: 260-264).

21 D'une part, les néologismes dans les médias traditionnels (presse, télé, radio) sont soumis à une veille néologique beaucoup plus régulière et d'autre part, les thématiques argotiques auxquelles on ajoute le caractère souvent éphémère (notamment dans les chaînes synonymiques) ne sont pas des catégories ciblées par les lexicographes traditionnels. L'ignorance des uns est palliée par d'autres - lexicographes amateurs issus des milieux d'émergence de ce type de néologie. Ainsi, ho/os est répertorié dans presque tous les dictionnaires de l'argot: des jeunes des cités (depuis 2004), des jeunes sur Internet (depuis 2006) et, récemment, même dans le Dictionnaire du français argotique et populaire de Caradec et Pouy (Larousse, édition 2009).

22 En réalité, la toute première diffusion a dû s'opérer vers 2003/2004 à l'intérieur des cités de banlieue de Paris, si l'on se fie à nos multiples informateurs, mais de façon assez limitée régionalement. En effet, le témoignage d'un essor rapide de ho/os après les émeutes dans de nouveaux territoires nous a été procuré par un des auteurs du dictionnaire Lexik des cités (2007), Cédric Nagau, qui expliquait dans une interview : « au moment où on a choisi les mols. bol os n 'était pas encore apparu. Mais on 1 'a l'li

se dérelopper très rapidement>> (article du Monde, du 28 septembre 2007).

24 NEOLOGICA

néologique ») est faiblement développée pour ceux qui ont coché « non » partout. En revanche, si l'on observe les résultats des jeunes de Créteil, notamment des usagers actifs, cette capacité à voir la propagation vers d'autres locuteurs est clai­rement visible. Ce constat s'explique par l'attachement identitaire de ces derniers à notre unité néologique 23, attachement qui est beaucoup plus faible ailleurs (où le sens de bolos s'est étendu et a perdu ses connotations d'origine).

Un moyen d'enquête plus traditionnel sur la néologicité supposée d'un lexème, à savoir une question sur l'évaluation de la modernité du mot, a été appli­qué non seulement à bolos, mais également, dans un but contrastif, au syntagme faire le buzz 24• Avant d'expliquer le statut et le sémantisme de ce syntagme, rebon­dissons sur la question du sentiment néologique grâce aux résultats à la -question « L'expression te paraît ... », répertoriés dans le tableau 4 ci-dessous :

Tableau 4 : Évaluation néologique des locuteurs pour bolos et .faire le bu==

1 lei/lie, Stable.

Asse= Moderne. ël Catégorie à la

ça se dit moderne. très à

Aucune ;;! concernée par place. ça se dit la mode r la question j'utilise

depuis encore en ce

réponse

1 plutôt*: toujours

beaucoup moment

OUI A 191 11.5% 16.8% 52.9% 18.3% 0.5% (22) (32) (101) (35) (1)

bol os (enquête 2008) 1204 15,3% 11.7% 49,5% 19,0% 4,5%

OUI P 290 (44.5) (34) (143.5) (55) (13)

OUI A 88 7,9% 23,9% 51,7% 16.5% 0%

bol os (enquête 2009-201 0) 313 (7) (21) (45,5) (14.5) (0)

21.3% 10.7% 47.1% 16.8% 4.1% OUI P 122

(26) (13) (57,5) (20.5) (5)

OUI A 15 13,3% 13,3% 60,0% 13,3% 0%

bolos Compiègne 75 (2) (2) (9) (2) (0)

31,8% 13,6% 42,1% 5,7% 6,8% OUIP .J4 (14) (6) ( 18,5) (2,5) (3)

OUI A 19 0%(0) 0%(0) 26.3% 68.4% 5.3% (5) ( 13) (1)

bu== Compiègne 75 5.4% 16.2% 24.3% 54.1% 0%

OUI P 37 (2) (6) (9) (20) (0)

• Les synonymes concurrentiels, plus modernes, donc plus expressifs pour nos enquêtés au moment de l'enquête, et qui ont donc été le plus souvent cités sont (du plus fréquent

23 La sensibilité de ces jeunes à la variante « dans toute la société » peut être soutenue par une anecdote vécue en cours par Anne-Caroline (où les enquêtes n'ont pas eu lieu). Les étudiants ont été surpris de l'entendre prononcer le mot bolos ( ... qui, du fait de notre étude de ce lexème depuis plusieurs années, est devenu conniventiel pour nous aussi, bien que nous ne nous situions plus dans la classe d'âge qui l'utilise activement!) puisqu'elle représente pour eux un adulte qui est censé de ne pas être un locuteur actif.

24 Syntagme qui va être systématiquement abrégé dans les tableaux suivants en bu== pour des raisons d'espace mais nous n'ignorons pas la différence nette qui sépare le syntagme verbal du substantif(voir infra).

NÉOLOGISMES IDENTITAIRES POUR LES JEUNES DANS L'ESPACE MÉDIATIQUE 25

au moins fréquent) : bouffon, nul, idiot, boulet, con, abruti. imbécile. cassoce, etc. On ob­serve ici donc l'amplitude des différentes perceptions de la modernité au sein des chaînes synonymiques qui est dépendante de la norme groupale subjective, phénomène caractéris­tique pour le lexique argotique.

Une conclusion générale sur la dévaluation néologique à répétition peut être énoncée au sujet de la catégorie « vieillie » dans les réponses des locuteurs passifs. Ceci résulte de leur connaissance vague du lexème (ils renoncent égale­ment plus souvent à évaluer la modernité et ne cochent rien du tout); comme il s'agit des néologismes, on ne peut pas songer à trouver dans cette catégorie les gens qui ont abandonné l'usage actif au profit d'un mot plus expressif et moderne, ce qui peut arriver pour un autre lexique argotique. Contrairement à cette évalua­tion fautive, la modernité est évaluée dans les corpus représentatifs (bolos 2008 et 2009) de façon quasiment identique par les deux types de locuteurs. Une caté­gorie intermédiaire qui indique un début de la perte d'expressivité et un certain vieillissement, case « assez moderne », est plutôt indiquée par ceux qui utilisent le lexème activement, tout comme la catégorie « stable ». Cette dernière a été in­tégrée à la question non seulement parce qu'elle est neutre par rapport aux autres (le lexème est ni vieilli, ni néologique pour eux) mais également pour tester si les informateurs allaient avoir la volonté de réfléchir sur ce phénomène. Notons encore une hésitation fréquente qui s'opère notamment entre les catégories« mo­derne » et « assez moderne » (si les deux cases sont cochées, nous attribuons un demi-point à chaque catégorie~5).

Avant même de connaître les résultats de l'enquête sur le sémantisme du syntagme faire le buzz, nous pouvons déjà prédire que sa comparaison avec bolos chez les mêmes enquêtés à Compiègne montre son incontestable néologicité. À la différence de notre enquête sur bolos, parfois rétrospective pour les jeunes des cités par rapport à leur emploi de ce terme, nous avons commencé cette nouvelle enquête contrastive au moment où tous ses usagers le considèrent moderne ou assez moderne .. En termes de « boom néologique », nous sommes arrivées tard pour cer­tains locuteurs en ce qui concerne bolos, mais juste à temps en ce qui concerne faire le buzz. Parallèlement à notre travail sur le terrain, la suivie systématique des appari­tions médiatiques témoignera infra qu'un « boom médiatique »de nos deux lexèmes a été concomitant, quoique cette médiatisation s'opère à des niveaux différents.

25 Le même système ne peut être appliqué sur les catégories OUI A et OUI P car elles s'excluent, même si nous avons eu le cas exceptionnel d'une enquêtée qui s'est rendue compte du glissement sémantique de bolos et a coché les deux cases : en effet, elle affirme être locutrice active du sens primaire « idiot qui se fait avoir et s'habille mal », (ce qui vaut plus pour la catégorisation finale de sa réponse) et connaître passivement le sens de « barré, fou ». C'est un exemple intéressant de locuteur ayant une capacité d'observation fine.

26 NEOLOGICA

4. Buzz ou faire le buzz? Autour de la riche palette sémantique du syntagme verbal

Précisons d'abord que nos recherches sur les pratiques et les représentations du syntagme faire le buzz datent de fin 2009 seulement et ont été entreprises spécialement pour ce numéro thématique dans un but comparatif et contrastif avec bolos. Dans un premier temps, nous avons entrepris une enquête à l'Université de Technologie de Compiègne (UTC) en décembre 2009 auprès d'une cinquantaine d'étudiants 26 (étape codée Cl dans le tableau 5 infra). Pour voir l'évolution dans la circulation éventuelle et avoir un échantillon plus important dans l'objectif d'étudier les sémantismes, une enquête de contrôle a été effectuée en mars 2010 (codée C2), dans des conditions d'enquête identiques- public de même âge et profil sociologique identique à celui du groupee 1. Même si la représentativité quantitative reste un défaut insurmontable dans les conditions de recherche imposées, on peut commenter un écueil méthodologique qu'on retrouve en analysant de trop petits corpus. En effet, notre hypothèse que le syntagme faire le buzz allait être promu amplement entre 1 'enquête C 1 et C2 ne s'est pas vérifiée malgré 1 'observation d'un «boom médiatique» incontestable. Cela n'est pas autant dû à une surévaluation de ce phénomène de notre part (quoique la sensibilité exacerbée de l'observateur mène souvent au paradoxe de l'observateur labovien, et sur le terrain et dans l'espace virtuel des médias), qu'à une malchance de« tomber» sur des locuteurs qui ont un sentiment néologique apparemment peu développé. Notre conviction émerge du fait que les enquêtés de C2, malgré un profil sociologique identique aux C 1, ignorent faire le buzz ainsi que bolos plus fréquemment que les C 1 et sont moins nombreux à les connaître passivement. Seul le nombre des usagers actifs augmente légèrement pour le cas dejàire le buzz, ce qui pourrait montrer un certain «boom néologique» au printemps 2010, si le corpus était plus représentatif.

Tableau 5 : Variabilité des réponses en fonction du type de locuteurs

Total OlJIA Olll P NON 100% Bol os Buzz Bol os Buzz Bol os Buzz

Cl 48

22,9% 22.9% 62.5% 56.3% 14.6% 20.8% (décembre 2009) (Il) (Il) (30) (27) (7) (10) C2

27 14.8% 29,6% 51,9% 37,1% 33,3% 33.3% (mars 2010) (4) (8) (14) (10) (9) (9) Total

75 20 °/o 25.3% 58,7% 49,4% 21,3% 25.3% Compiègne (15) (19) (44) (37) (16) (19)

26 Nous n'avons pas de renseignement précis sur l'origine sociale des étudiants de I'UTC mais nous pouvons avancer- selon les critères sociologiques classiques- que la plupart sont issus de familles plutôt aisées. En effet, cette université fonctionnant plutôt comme une école d'ingénieurs (concours très sélectif à l'entrée), les étudiants ont très certainement un profil sociologique proche de celui des étudiants des classes préparatoires ou des grandes écoles.

NÉOLOGISMES IDENTITAIRES POUR LES JEUNES DANS L'ESPACE MÉDIATIQUE 27

Pour augmenter la représentativité de ce corpus restreint, notamment en matière d'analyse sémantique, nous avons décidé d'ajouter à l'enquête de Compiègne les résultats issus d'une autre enquête pour laquelle nous avons proposé 37 mots/expressions à des jeunes de la région parisienne, parmi lesquels faire le buzz. En raison de cette méthodologie hétérogène, les pourcentages à Paris et à Créteil pour NON, répertoriés dans le tableau 6 ne doivent pas être interprétés comme des« ignorances» mais plutôt comme des« omissions» car l'expression a figuré dans une liste assez longue et, certainement à cause de la fatigue, les omissions ont été fréquentes (pour cette même raison, les enquêtés ont omis de cocher la case sur la connaissance active ou passive même s'ils ont donné un bon sens à la locution; ils sont rangés dans la colonne OUI (sans préciser). Le pourcentage à Compiègne, en revanche, montre un chiffre plus proche de la réalité (ici, seulement les questions détaillées sur bolos et faire le buzz ont été posées).

Tableau 6 : Tableau récapitulatif des résultats de l'enquête sur faire le bu::::

Total (lOO •A,) OUI A OUI P OUI

NON (sans prftision)

Compiègne 75 25.3% (19) -19.-1% (37) - 25.3 %(19)

Paris 55 14.6%(8) 32.8%(18) 5,4 %(3) 47,2 %(26)

Créteil 79 5.1%(4) 27.9%(22) 13.9%(11) 53.1 %(42)

Total 209 14,8 °.4 (JI) 36,8% (77) 6,8 °.4 (14) 41,6% (87)

C'est sciemment que nous avons questionné nos informateurs sur la lo­cution verbale faire le buzz et non sur le substantif buzz 27 ; tout d'abord parce qu'elle nous semblait être plus fréquente dans le discours spontané mais égale­ment parce que nous pensions qu'elle allait nous permettre d'observer un séman­tisme plus riche que pour le substantif buzz, déjà répertorié dans les nouveaux millésimes du Petit Robert (édition 2010, abrégé en PR dans la suite du texte), Petit Larousse (2010, PL28) et Hachette (2008/2009, DH 29). Pour prouver les

27 Notons également la circulation du verbe bu::::er dans le sens de « faire du buzz » : « S'il a pas de projets, il va pas continuer à bu::::ercomme ça »(Jessica, gogo danseuse, 8 janvier 2010, Direct 8, émission Morandini !). Cependant, le verbe buz::er est plus répandu dans les médias dans un sens spécifique: dans l'émission de télé-réalité Secret Story diffusée tous les étés sur TF1 et regardée par de nombreux jeunes, les candidats bu::::ent (appuient sur un gros bouton rouge) quand ils pensent avoir trouvé le secret d'un autre candidat.

28 Étonamment, le syntagme/aire le bu::z n'est mentionné que dans un seul exemple à l'intérieur de l'entrée bu:::: du PL 2010: Le.film a fait un énorme buzz.

29 Ayant intégré le néologisme bu:::: en 2009, le DH arrive le premier des éditions millésimés (il était déjà répertorié parmi les Mots nouveaux en 2008). Par ailleurs, Jean­François Sablayrolles considère que le DH est en avance sur les autres dictionnaires au niveau de la veille néologique (note personnelle).

28 NEOLOGICA

avantages de notre choix méthodologique, comparons trois sources différentes : les propositions d'Alain Rey, les définitions des dictionnaires et les résultats de notre enquête.

Dans son ouvrage Lexi-com, Alain Rey (2008: 290) explique que le mot buzz, en anglais, est un mot tout à fait banal qui peut avoir le sens de « murmure de voix indistincte », de « rumeur malveillante », de « coup de téléphone »ou. en slang, de « petite vibration plaisante procurée par une drogue douce ». Il ajoute que « la riche palette sémantique » du mot buzz anglais ne se retrouve pas en français, ce que nous contestons ci-dessous dans le tableau 7 avec les résultats de notre enquête par questionnaire qui englobait 209 étudiants des universités, dont 87 ont déclaré ignorer l'existence de la locution/aire le buzz 30•

L'analyse des sémantismes proposés pour la locution faire le buzz mon­trera, contrairement à ce qu'énonce Alain Rey en 2008 et identiquement à notre précédent lexème bolos, une polysémie incontestable. Dans une optique contras­live avec la pratique lexicographique, nous répertorions dans le tableau infra les réponses qui ont été données par les 122 personnes ayant déclaré connaître passi­vement ou utiliser activement la locution verbale faire le buzz.

Tableau 7 : Sens proposés par les informateurs pourfaire le bu==

~mes Propositions des Informateurs (en entier ou TOTAL ~mes pments dans les des didionnaires

re pins coupis selon les stmes pertinents) rlponses pour l'entrie buzz

faire parler. tout le monde en parle. parler autour PR 2010: «rumeur)), de soi. parler de. quand on parle beaucoup « bouche à oreille >>

Faire parler" de quelqu'un. faire quelque chose qui tàit 22.5% PL 2010: «rumeur)), parler. bruit. retentissement. se faire entendre. (45) «retentissement (médiatique))) polémique. commérage. rumeur. faire parler de DH 2009 : « rumeur )), soi en ayant fait une grosse « gatTe >> « bouche-à-oreille >>.

Célèbre. devenir connu. Se faire connaltre. PL 2010: «forme de

Célébrité/ faire connaltre. révéler. être reconnu. succès. 19.0% publicité)), ((à la pointe de la

Succès faire un carton. faire un tabac. bien marcher. (38) mode>> DH 2009 : « à la pointe de la

engouement. pub. être à la mode. réussir. mode>>

30 Par exemple, parmi les 19 personnes de Compiègne qui ne connaissent pas ce syn­tagme, seulement 3 sont arrivées en France récemment (il y a moins de 2 ans); de ce fait, nous pensons que la méconnaissance de bu== par les 17 autres informateurs n'est pas due à leur éloignement géographique mais plutôt à leur intérêt peu prononcé pour les médias (profil d'étudiants de filières scientifiques qui travaillent beaucoup et sont souvent issus de familles aisées où la télévision est fortement critiquée (cf. Glick et Levy, 1960) ). En revanche, dans les questionnaires de Créteil où le public est issu de milieux plus modestes (qui regardent la télévision et s'intéressent à l'actualité people), les jeunes qui ne connaissent pas bu== sont, pour la majorité d'entre eux, arrivés récemment en France.

NEOLOGISMES IDENTITAIRES POUR LES JEUNES DANS L'ESPACE MEDIATIQUE 29

Médias. médiatiser. médiatique. PR 2010: « buzz sur Internet 11

PL 2010: <<via des courriels. médiatiquement. battage médiatique. Internet. 16,0% des blogs. des forums ou Médias·· blogs. sites d'inlb. avoir de l'audience. quand un (32) d'autres médias en ligne 11, film/une série marche bien, faire la une, être au centre d'un scoop. être sous les projecteurs

<< médiatique (retentissement) 11.

<< spectacle 11, << personnalité 11

Période Temps limité. du moment. brièvement, d'un

limitée/ coup. rapidité. rapidement. zapper. s'oublie peu 8.5%

Rapidité à peu. retombe très vite. inattendu. soudain. de (17) làçon brusque. momentané

Actualité Actualité. Information. événement 7,5% PR 20 1 0 : << événement 11

( 15) PL 201 0 : << événement 11

Abondamment. beaucoup (beaucoup parler). beaucoup (beaucoup de personnes). beaucoup

Intensité (beaucoup de bruit). beaucoup (beaucoup 6,5% d'ampleur), grande majorité (de la population) (13) important. largement, très (à la mode), très (rapidement), énorme. grosse (gaffe)

Caractère Phénomène. faire sensation. marquer. marquant.

5.5% exceptionnel

hors du commun, pas commun. faire un coup (Il)

d'éclat. oser faire quelque chose

Créer (l'événement), créer (la polémique), créer 5.5%

PR 2010: <<créer Créer (un engouement). créer (un phénomène). créer

(Il) (l'événement) 11 <<créer le

(un battage médiatique) bUZZll

Se faire remarquer. être remarqué, attirer Intérêt l'attention. susciter de l'intérêt. attirer l'intérêt. 4.5 %(9)

être vu

Diffusion Répandre (info). être répandu. mettre en avant. 2,0%(4) être diffusé

PR 2010: << buzz marketing 11

Marketing Produit. service 1,0%(2) PL2010: <<consommateur 11,

<< lancer un produit ou un service 11

Autres Faire le buzz (répétition de l'intitulé de la

propositions 1.5% (3) inclassables

question). être présent, mettre l'ambiance

TOTAL 100 8/o (200)

• Dont « faire parler négativement » (polémique, commérage, rumeur, faire parler de soi en ayant fait une grosse« gaffe») qui représente Il, 1 %des réponses pour ce sème (5 oc­currences).

•• Dont « Internet » : 13+ 1 personne ayant cité « blogs », soit 14 personnes ( 43,7% des réponses pour ce sème).

Sur les 122 questionnaires analysés pour ce tableau, nous avons pu trouver 200 significations 31 que nous avons regroupées en 11 catégories selon les sèmes

31 Nous sommes conscientes du parti pris méthodologique concernant le classement de ce tableau, et particulièrement du fait que certaines propositions pourraient faire partie

30 NEOLOGICA

sous-jacents (et une catégorie « propositions inclassables » ). Pour résumer, notons que 10 personnes n'ont donné aucune définition et 59 personnes (48,3 %) ont donné une définition que nous avons considérée comme faisant appel à un seul sème. Le reste des personnes (51,7 %) a donné une définition faisant appel à 2 sèmes ou plus 32, ce qui témoigne du fait que les informateurs sont conscients de la complexité du sens de faire le buzz.

À la fin de notre analyse sémantique comparative, on peut remarquer que seul le sens de «rumeur» est présent en anglais (décrit par Alain Rey) et en français. En revanche, force est de constater que ce terme de rumeur (que nous avons classé parmi la catégorie «faire parler») n'a été cité que par un de nos informateurs. De la même façon, on remarque qu'Alain Rey et les dictionnaires (PR2010 et PL2010) mettent l'accent sur le« buzz marketing» alors que l'idée de produit ou service n'a été citée que par deux de nos informateurs. Notons également qu'aucun de nos informateurs n'a cité bouche à oreille, présent dans la définition du DH2009 ainsi que dans le PR20 10 comme étant la recommandation officielle d'usage, afin d'éviter l'anglicisme. En revanche, on peut remarquer en regardant le tableau que de nombreux sèmes, et en particulier celui qui fait mention d'une certaine rapidité, brièveté de l'événement (8,5% de la totalité des sèmes relevés), n'ont pas été repérés par les trois dictionnaires consultés.

S. Comment faire le buu avec buu et bolos ... ou quand les médias s'en mêlent

Le cheminement sémantique de buzz est complexe et les changements récents sont tels qu'il nous est impossible de donner des généralités valables pour l'ensemble des locuteurs francophones. Toutefois, on peut poser quelques jalons et postuler que le mot buzz est arrivé en français par l'intermédiaire du jargon du marketing, puisque le mot buzz y est présent depuis une dizaine d'années déjà, comme en témoigne le best seller The Anatomy of Buzz : How to create word of mouth marketing 33, écrit par Emanuel Rosen (Doubleday 1 Currency, 2002)

de plusieurs sèmes (par exemple, pour « faire la une », nous avons finalement opté pour la catégorie« médias» mais nous avons longuement hésité avec« actualité»).

32 En effet, 31 personnes ont donné 2 sèmes, 13 personnes ont donné 3 sèmes. Il nous semble intéressant de rappeler qu'une personne a donné 5 sèmes («faire du bruit, faire parler de qqch ou qqn d'un point de vue médiatique et en particulier sur Internet via les blogs et sites d'info »)et qu'une autre personne a donné 6 sèmes ( « buzz : qui devient connu, très à la mode rapidement. Retombe très vite » ), ce qui montre bien les différences entre les types de locuteurs mentionnées supra, à savoir que peu de personnes sont capables d'observer les nuances des néologismes et donc de mettre au jour la complexité du sémantisme de bu==·

33 Cet ouvrage n'est pas traduit en français. Pourtant, nous pouvons supposer qu'il a joué un rôle clé dans le processus d'adoption de cet emprunt à l'anglais.

NEOLOGISMES II>ENTITAIRES POUR LES JEUNES DANS L'ESPACE MÉDIATIQUE 31

qui explique comment diffuser une innovation grâce à la technique du bouche à oreille 34• Avec le développement des nouvelles technologies de 1' information et de la communication dans les années 2000. ce mot aura pu sortir de son jargon professionnel pour attirer les « branchés » (trentenaires qui travaillent dans les métiers des nouvelles technologies. des médias, cf. Verdelhan-Bourgade, 1991 : 65-67) puis, avec Internet et le développement du Web 2.0 et des réseaux sociaux. une plus large population (Donnat. 2009 : 61-65).

Pour revenir sur la comparaison entre bolos et faire le buzz. cette fois-ci dans une optique de recherche médiatique. une différence de statut socio-générationnel est à noter en premier lieu : bolos reste identitaire pour les jeunes alors que buzz ne l'est pas (ou ne l'est plus!). En effet, on peut postuler que les jeunes. quand ils ont repéré le mot sur Internet, ont pu le reprendre comme un emblème géné­rationnel. Cependant, il est clair qu'à la suite de sa médiatisation à outrance, les jeunes l'emploient aujourd'hui de façon courante mais non identitaire et même parfois ironique, comme en témoigne une chanson récente du rappeur Canardo 35

quand il écrit:« Et quand tous ces majors m'ont dit: "On s'en fout que tu rappes bien, ici c'qui compte c'est l' buzz donc vas t'en faire un!". »Cette question des mots identitaires peut être retrouvée dans l'analyse de nos questionnaires si nous postulons que le fait de déclarer un usage actif d'un lexème peut signifier qu'il est identitaire pour le jeune qui remplit le questionnaire. Nous remarquons alors que de nombreux jeunes des quartiers d'habitat social de la région parisienne déclarent utiliser activement ho/os (qui est donc identitaire pour eux) alors que la plupart des jeunes interrogés vont déclarer connaître passivement buzz, mais ne pas l'utiliser activement.

En second lieu, leur traitement par les médias (niveaux de reprise 1 pro­motion médiatique) varie considérablement, non sans dépendance avec ce qui a été dit précédemment au sujet de leur statut socio-générationnel. Prenons pour exemple de ce constat le cas des scénaristes qui peuvent trouver une occasion d'entendre le mot bolos spontanément, par l'intermédiaire des médias 36, dans les émissions de libre antenne des radios jeunes ou dans les émissions de télé­réalité37. Il est possible que les scénaristes l'aient également repéré dans le film

34 La théorie de Rogers, exposée tout au long de cet article, est plusieurs fois citée par Rosen, et cet emploi presque autonymique prête à sourire, étant donné qu'en observant la stratégie de promotion via un bu==· ce même mot devient l'objet de notre étude.

35 « Je ne perds pas le Nord », chanson diffusée à la radio à partir de mai 2010 faisant partie de l'album Papillon, sorti le 21 juin 2010.

36 Outre le fait que les personnes qui écrivent les scénarios ont eux-mêmes des enfants et qu'ils ont pu entendre ho/os dans leur vie personnelle.

37 Nous l'avons entendu plusieurs fois dans l'émission Planète rap sur la radio Skyrock (par exemple, prononcé par le rappeur Sefyu en avril 2006) ainsi que dans l'émission de télé-réalité diffusée sur TF1, Secret Story (prononcé par la candidate Laly en 2007 puis par Léo et François-Xavier en 2009).

32 NEOLOGICA

de Laurent Cantet, Entre les murs, sorti en 2008, dans lequel le mot bolos a été ajouté spontanément au scénario initial 38 par les comédiens apprentis, élèves d'un collège du 19• arrondissement de Paris.

C'est à partir de 2009 que bolos peut être repéré dans des feuilletons ou films mettant en scène les jeunes. En mai 2009, le mot bolos est prononcé en première partie de soirée sur la chaîne publique France 2, dans un feuilleton maison intitulé Fais pas ci, fais pas ça: en ayant écrit dans le scénario que l'adolescente de la famille doit traiter son petit frère de bolos («évidement, c'est pas dans ton école, bol os! » ), il est certain que les scénaristes ont clairement identifié ce mot comme étant emblématique des jeunes. Remarquons que le sens de bolos utilisé ici est son sens qui circule aujourd'hui largement, dans l'argot commun des jeunes, celui de « quelqu'un de bête ». C'est d'ailleurs le sens que nous retrouvons quasi-exclusivement 39 dans les attestations que nous avons pu recueillir, que ce soit dans les séquences de la série Les lascars(« ... allez, c'est parti, encore un bolos qui veut m'défier à la baston d'regard 40 »), dans le film qui en est tiré 41 («Allez faire du pédalo, là, comme des bo/os 4~ ») ou dans le film Neuilly sa mère ! 43 ( « c'est quoi cette ville de bol os? » 1 « bien fait pour ta gueule, t'avais qu'à m'inviter, espèce de bolos 44 »).

Cependant, il est à noter que ces deux dernières attestations sont prononcées par des jeunes bourgeois et non par le jeune héros du film, issu de la cité, ce qui est tout à fait étonnant ( ... voire faux si nous nous appuyons sur les résultats de nos enquêtes qui montrent que, même s'ils le connaissent passivement, les jeunes des quartiers aisés emploient peu- voire n'emploient pas- bolos). Cette constatation nous amène à avancer l'idée que les scénaristes, après avoir essayé d'employer bolos comme un synonyme de bouffon, se sont aperçus que la correspondance entre les deux termes n'était pas totale et que bolos était trop fortement codé

38 Il ne figure pas dans le livre dont est issue l'adaptation filmique, paru en 2006, écrit par François Bégaudeau qui est d'ailleurs l'acteur principal du film.

39 Une exception étonnante peut être relevée dans le film Les lascars : il est utilisé une fois dans son sens premier, repéré avant sa grande polysémisation, à savoir« le client d'un dealer qui se fait avoir lors d'une transaction de drogue » :Tony parle à José de 5 kilos d'herbe (21 mn43) :«Ouais, José, j'ai une bande de p'tits ho/os qui prennenttout d'un coup et qui payent cash. »Ceci fait supposer que les scénaristes sont originaires des cités et connaissent le lexème depuis longtemps.

40 Séquence intitulée: Round 2. 41 Film de Emmanuel Klotz et Albert Pereira-Lazaro, 2009. 42 Prononcé par le personnage Tony Merguez, 6mn41 - Notons que le mot ho/os est

également identifié avec son sens le plus courant (bol os= minable) dans un dictionnaire récent, issu de la série: Le pelil Lascars illustré, guide de com•ersation urbain (El Diablo, 20 10 : 84 ).

43 Film de Gabriel Julien-Laferrière, 2008. 44 19 mn 50 et 39 mn.

NioOLOGISMES IDENTITAIRES POUR LES JEUNES DANS L'ESPACE MEDIATIQUE 33

régionalement (banlieue parisienne) et sociologiquement (jeunes des quartiers d'habitat social) 45• C'est probablement ce qui s'est passé pour l'humoriste Elie Semoun qui a pour objectif de diffuser son spectacle dans tout l'Hexagone, que ce soit à Paris ou à Marsei Ile : i Il' a prononcé une fois dans son sketch Kevina et MSN («t'es qu'une bolos, t'es qu'une mytho 46 ! »)et n'ajamais retenté l'opération, que ce soit lors d'autres apparitions télévisées ou dans le DVD de son spectacle. Ainsi, après une période, en 2009, que nous pouvons qualifier« d'essai>> de la part des scénaristes, nous remarquons que bolos a complètement disparu des feuilletons 1 films qui mettent en scène les jeunes. Notons que cette tendance à la disparition risque de durer car, comme nous l'avons vu précédemment, bolos est lui même de plus en plus considéré comme vieilli par les jeunes donc il y a peu de chances pour qu'il soit de nouveau repris par les scénaristes. On peut néanmoins parler d'un certain« boom médiatique>>. mais dont l'essor est resté à l'état embryonnaire.

Contrairement à bolos, on assiste à une reprise massive de buzz (aussi bien que du syntagme faire le buzz) par les médias, plus particulièrement à partir de la fin de l'année 2009. L'engouement pour ce mot est tel qu'il n'est pas possible de faire un relevé exhaustif mais on pourrait parler d'un «boom médiatique>> achevé : en 2010, chaque Français qui regarde la télévision, écoute la radio ou se sert d' 1 nternet y est confronté au moins une fois par jour. Nous pouvons cependant relever plusieurs sens activés pour les trois grandes orientations médiatiques :

-Sur Internet, buzz est employé massivement pour désigner une rubrique dans laquelle on peut trouver les informations du moment, qu'il s'agisse d'articles, de musique ou de vidéos : par exemple. le site de MSN comporte une rubrique « buzz du web >> qui permet de visionner les vidéos à la mode. Google, de son côté, utilise le mot buzz de façon plus spécifique puisque le « Google Buzz >> est un réseau social, sorte de concurrent de Facebook, qui permet de partager avec ses amis son humeur du moment ainsi que des photos et des vidéos. Dans le sens de « rumeur >>, on peut rencontrer buzz sur les sites sportifs : un site français qui parle de l'actualité et des rumeurs qui courent sur la ligue nord-américaine de hockey sur glace (NHL) porte le nom « hockeybuzz 47 »;de la même façon, pendant la période des transferts de joueurs entre les clubs, le site Internet du journal l'Équipe affichait chaque jour les rumeurs sur ces transferts : « le buzz de lundi/mardi. .. »,etc. 48•

45 Nos enquêtes à Toulon et à Nice montrent que les jeunes qui le connaissent sont peu nombreux et que ce sont ceux qui ont des contacts avec la région parisienne et ses banlieues via amis et famille.

46 Sketch diffusé le 3 janvier 2009 dans l'émission Les stars du rire sur France 2. 47 www.hockeybuzz.com. 48 En 2010, cette rubrique figurait sur l'onglet principal de la page www.lequipe.fr/

football. Selon les archives du site, elle a été créée en juillet 2008. De nombreuses attestations de hu:: qui datent d'avant cette période n'ont que le sens de coup de sifflet

34 NEOLOGICA

-Dans la presse, le buzz désigne une rubrique qui présente des événements ou des produits nouveaux, on retrouve alors le sens du « buzz marketing » décrit supra : par exemple, dans le magazine people Voici, on peut trouver la rubrique «les buzz de la semaine 49 »alors que, dans le magazine masculin GQ France, on trouvera la rubrique « GQ buzz so ».

- À la télévision et à la radio, buzz peut être employé, dans son sens d'origine, pour désigner ce qui circule sur Internet : « le buzz »est par exemple le nom d'une émission« qui décortique l'actu sur le web» de la chaîne de télévision d'information LCI Comme dans la presse, il peut également être utilisé dans le cadre d'émissions de divertissement, ou d'émissions « people » : on pourra citer, par exemple, l'émission Accès privé, diffusée sur la chaîne M6, et dans laquelle une ancienne participante de la télé-réalité a déclaré en janvier 2010 s1 : « Vu que c'est moi qui ai lancé le buzz, il faudrait peut-être que j'en profite» (les stars un peu démodées proposent souvent des petites rumeurs sur elles à la presse people pour revenir sur le devant de la scène). Mais on peut noter également une utilisation dans le cadre d'émissions qu'on qualifiera de plus sérieuses comme les informations télévisées ou radiophoniques : par exemple, sur Europe 1, à 7h50, la chronique de Fabien Namias s'intitule « le buzz politique ». Or, dans ce type d'émission qui touche un large public, nous remarquons que c'est essentiellement le sens de buzz sur Internet qui est relevé, les deux mots étant le plus souvent associés: «La grippe A, pour les ados, c'est d'abord un buzz sur le nets2 ».Spécifiquement dans le cas des émissions dites« sérieuses», il n'est pas rare que le présentateur établisse une certaine distanciation par rapport à l'emploi de ce mot: « Et puis beaucoup d'appels pour ce clip qui fait le buzz, comme on dits3• »

Cette mode soudaine pour l'anglicisme buzz et le fait que son utilisation ait explosé en quelques mois n'a pas échappé aux humoristes et particulièrement aux Guignols de /'lnfo. Dans un premier temps, ces derniers ont mis en scène la marionnette d'un journaliste qui, après avoir prononcé le mot buzz, recevait un coup de massue sur la têtes4• S'ensuivait alors une annonce écrite sur l'écran: « Françaises, Français, chaque jour à la télévision, à la radio, sur Internet, on use et on abuse du mot buzz, et ça n'est plus acceptable. La rédaction des Guignols a donc décidé de frapper au visage toute personne qui prononcera le mot buzz sur

final à la fin du match» (la toute première date de novembre 2006). 49 Avec un sous-titre explicatif« le meilleur de la culture en 10 tentations, une sélection

musique, ciné, livres, objets ... ». Dans Voici, la rubrique consacrée aux rumeurs ne s'appelle donc pas bu:::: comme dans l'Équipe mais, de façon plus explicite, «elle court elle court, la rumeur ».

50 Avec le sous-titre : « culture, médias, style, high-tech, design, lux ». 51 Cindy, candidate Secret Story en 2009, le 23 janvier 201 O. 52 Voix off de la journaliste, 29 novembre 2009, Journal télévisé de France 2. 53 Marc-Olivier Fogiel, Il décembre 2009, Europe 1, informations de 8h30. 54 La semaine des Guignols, Canal +, 29 novembre 2009.

Ni:OLOGISMES IDENTITAIRES POUR LES JEUNES DANS L'ESPACE MÉDIATIQUE 35

notre antenne. » Dans un deuxième temps, les auteurs des Guignols ont décidé d'associer l'usage exclusif de buzz à un personnage emblématique de l'actualité people : très régulièrement, buzz- accompagné de nombreux autres anglicismes, afin d'accentuer le côté« branché»- est prononcé par la marionnette de Nikos Aliagas, animateur sur TF1 de l'émission 50 minutes inside 55•

En résumé, ces derniers temps, on entend buzz un peu partout dans l'espace médiatique et c'est justement à cause de cet emploi abusif dont se moquent les Guignols que nous prévoyons sa rapide intégration dans le vocabulaire commun de tous les Français qui regardent le petit écran, sont à l'écoute des ondes ou surfent sur le net. Or, ceci annonce la mort subite de sa néologicité : plus un mot est utilisé, plus son expressivité s'efface et perd son «attractivité» néologique pour les locuteurs. C'est pourquoi la néologie via les réseaux de pairs 1 personnels (dont bolos est un exemple prototypique) et la néologie via les médias (avec l'exemple de buzz) sont toutes deux des sujets attractifs pour les journalistes, scénaristes et promoteurs d'achat de tout types qui ne s'intéressent qu'à la phase de modernité et en tirent un profit immédiat en faisant semblant d'être« in ». Hélas, ils arrivent souvent à une caricature et à la stigmatisation, notamment dans le cas de la néologie argotique identitaire (ce qui a été le cas de nombreuses verlanisations, par exemple). En aspirant le néologisme, ils accélèrent ainsi soit son abandon au profit d'un nouveau mot plus expressif soit, au contraire, ils contribuent à renforcer son statut identitaire d'emblème (socio-générationnel).

En somme, ces risques multiples d'intervention médiatique sur la vie d'un néologisme, que les générations de nos parents connaissaient peu et celles de nos grands-parents pas du tout, préoccupent peu le monde marketing qui essaie de «battre le fer tant qu'il est chaud ». Comme exemple frappant de chance saisie par des « promoteurs » - cette fois-ci des politiques - qui ont pris conscience de l'expressivité néologique de buzz, rappelons le concours« Francomot »,organisé par le secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie, où ce dernier a figuré dans la liste des anglicismes (buzz, chat, tuning, newsletter et falk) auxquels un équivalent français a été cherché auprès des étudiants et des élèves qui devaient envoyer par mail leurs propositions de francisation. Ce concours a eu lieu entre janvier et mars 2010, soit en plein« boom médiatique» de buzz et au milieu de notre enquête sur le syntagme faire le buzz. Nous avons donc assisté à un vrai « buzz marketing» où le buzz même a été marchandé. C'est le mot ramdam qui a été choisi par le jury 56• La question de la francisation des anglicismes et des recommandations officielles est un large débat que nous ne

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55 Émission sur l'actualité people qui a un audimat important puisqu'elle est diffusée le samedi à 19h00 sur TF1.

56 Le jury était composé, entre autres, du célèbre rappeur Claude Mc Solaar.

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pouvons pas développer en détails ici 57 • Cependant. cette question du choix du mot ramdam nous appelle quelques remarques : tout d'abord, il nous semble que le critère principal de l'adoption d'un mot étant l'économie (cf. critère de brièveté de Marc Sourdot, 1998), il est fort peu probable qu'un mot de deux syllabes puisse remplacer un mot qui n'en comporte qu'une. De plus, il est amusant (comme le remarque également le journaliste du Monde Dorian Chotard 58) de noter qu'il s'agit là de remplacer un anglicisme par un arabisme (certes plus ancien). En effet, ramdam est un emprunt à l'arabe algérien (ramdam, qui a également donné mot ramadan), c'est un argotisme oublié relevé en 1896 par le spécialiste de l'argot Gaston Esnault 59, que personne (ou presque) ne dit aujourd'hui: il est donc curieux de vouloir remplacer un néologisme par un archaïsme. Enfin, nous avons vu, grâce à nos enquêtes, que buzz comportait de nombreux sémantismes, que nous ne retrouvons pas dans le mot ramdam où c'est seulement 1' idée de bruit qui est mise en avant (ramdam étant un synonyme de tapage). De la même façon que ce que nous avons vu précédemment pour la paire buzz 1 rumeur, les deux composantes de la paire buzz 1 ramdam ne se situent pas au même niveau car les connotations pour buzz ne sont pas aussi négatives que pour ramdam. Une initiative qui tombe donc à plat chez les usagers et qui deviendra sans doute anecdotique pour les futurs générations qui intégreront buzz dans leur lexique probablement aussi facilement que nous avons intégré bifteck ou dealer.

En guise de conclusion

À première vue, bolos et buzz peuvent apparaître comme des exemples néologiques tout à fait hétérogènes, ils ont pourtant quelques points communs. En effet, nous avons pu voir que ces deux mots étaient fortement polysémiques, ce qui complique une diffusion plus large dans les médias pour bo/os et une saisie dictionnairique exhaustive pour buzz. Tous deux sont probablement partis d'un argot particulier (argot de la drogue pour bolos et jargon du marketing pour buzz) et nous avons pu remarquer, grâce à nos enquêtes, que peu de personnes connaissent encore ces sens de départ («client qui se fait avoir lors d'une transaction de drogue » 1 « méthode marketing du bouche à oreille » ). Bol os et buzz ont également pour point commun de ne pas être compréhensibles a priori et d'avoir certainement été adoptés grâce à leur aspect phonique même. Enfin, et cela reste une hypothèse à vérifier, il serait probable que bolos, tout comme buzz, soit un emprunt à l'anglais. Cependant, ces emprunts sont de deux catégories

57 Il est à remarquer que parmi les dictionnaires observés supra, seul le PR indique sa recommandation officielle (bouche à oreille) dans la nouvelle entrée hu== du millésime 2010.

58 Voir article du Monde du 30 mars 201 0 : « Tout un "ramdam" pour abandonner le mot "buzz". »

59 Voir le Dictionnaire de /'argot.français et de ses origines (2002).

NÉOLOGISMES IDENTITAIRES POUR LES JEUNES DANS L'ESPACE MEDIATIQUE 37

différentes : bolos est un « emprunt de luxe » (Deroy, 1956 : 170-171) car il a plusieurs synonymes en français alors que buzz est un« emprunt nécessaire» qui remplit un vide sémantique. li est donc fort probable que les tentatives pour éliminer buzz au profit de ramdam vont rester vaines et que bolos va être concurrencé par ses synonymes. Or, l'opacité étymologique de bolos pour les jeunes contribue au fait qu'il reste identitaire pour eux (en effet, chaque communauté pense que le mot bolos vient de sa langue d'origine, ce qui aide à renforcer cet aspect identitaire) et que son expressivité ne se perd pas aussi facilement que pour d'autres mots argotiques. Nous ne pensons donc pas que buzz ou bolos finiront dans les oubliettes: buzz a déjà dépassé le cap d'une large médiatisation. Quant à bo/os, il est clair qu'on l'entend moins souvent dans les médias traditionnels mais il se pourrait qu'il ait une deuxième chance de diffusion s'il était repris dans une série 1 film 1 chanson qui pourrait « faire le buzz » 60 !

Les relevés médiatiques ne peuvent jamais être exhaustifs et nous sommes conscientes des failles méthodologiques et du fait que certaines apparitions aient pu nous échapper. Pourtant, avec un appui sur des enquêtes auprès des usagers, ces failles deviennent relativement surmontables et permettent une modélisation de la vie des néologismes et de l'influence médiatique sur les locuteurs, c'est-à­dire une théorisation scientifique de ce que tout le monde perçoit intuitivement mais qui échappe à une description complexe.

Anne-Caroline FIÉVET Université Paris Descartes

Alena PODHORNÂ-POLICKA Université de Brno

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