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doi: 10.1684/nrp.2014.0298 REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES 117 Article de synthèse Rev Neuropsychol 2014 ; 6 (2) : 117-128 Hallucinations et cognition : une modélisation au service de notre pratique en neuropsychologie Hallucinations and cognition: how cognitive models serve neuropsychological practice Morgane Demeulemeester 1, 2 , Christine Moroni 1 , Frédéric Kochman 2, 3 , Pierre Thomas 1, 3 , Renaud Jardri 1, 3 1 Laboratoire de neurosciences fonctionnelles et pathologies, Université Droit et Santé de Lille, EA 4559, Parc EuraSanté 59120 Loos, France 2 Clinique Lautréamont, Groupe ORPEA-CLINEA, 1 rue de Londres, 59120 Loos, France <[email protected]> 3 CHRU de Lille, Hôpital Fontan, Pôle de psychiatrie, CS 70001, 59037 Lille, France Pour citer cet article : Demeulemeester M, Moroni C, Kochman F, Thomas P, Jardri R. Hallucinations et cognition : une modé- lisation au service de notre pratique en neuropsychologie. Rev Neuropsychol 2014 ; 6 (2) : 117-128 doi:10.1684/nrp.2014.0298 Résumé Les hallucinations se définissent comme de fausses percep- tions, i.e. des perceptions vécues comme réelles par le sujet alors même qu’aucune stimulation externe n’est présente. Ces expériences peuvent concer- ner toutes les modalités sensorielles, avoir de multiples étiologies et survenir à chacun des âges de la vie. Peu spécifique d’une pathologie donnée, l’hallucination s’envisage davantage actuellement comme une dimension clinique transnosographique. Au cours des dernières décennies, de nombreux modèles cognitifs ont conceptualisé l’émergence de ce symptôme. Cet article propose d’en faire une synthèse tout en confrontant ces théories à la pratique quo- tidienne d’évaluation en neuropsychologie. Les modèles issus de la psychologie cognitive tendent à être de plus en plus complémentaires et propres à la dimension « hallucination », indépendamment du diagnostic sous-jacent. Pour autant, certains mécanismes restent dif- ficilement appréciables en clinique. Les connaissances issues de la neurophysiologie, de la neuro-modulation ou encore de la réalité virtuelle, permettent aujourd’hui, au regard des données récentes de l’imagerie cérébrale, une première tentative de validation de nos pratiques, en termes d’évaluation clinique et psychométrique, et de prise en charge théra- peutique de l’hallucination. Mots clés : hallucinations · perception · cognition · évaluation neuropsychologique · approche dimen- sionnelle Abstract Hallucinations are defined as erroneous percepts, i.e. per- ceptions experienced as real by the subject, despite an absence of external stimulation. Hallucinations may concern every sensory modality, be the consequence of various etiologies and occur at all ages. Due to their weak diagnosis specificity, hallucinatory experiences are more considered as a translational clinical dimen- sion, which may be observed during normal development or pathological conditions, as Parkinson’s disease, schizophrenia and so on. In the past decades, several cognitive models conceptualized the emergence of hallucinations. This paper aims at reviewing the existing theories of hallucinations and confronts them to the daily neuropsychological practice. The models derived from cognitive psychology tend to be complementary and specific to the up-mentioned dimensional approach. However, some mechanisms stay difficult to grasp in the clinical practice. Data from the neurophysiology, neuromodulation or virtual reality literature, combined with recent brain-imaging findings, allow to built a validating framework for our practice, in terms of (i) psychometric, (ii) clinical evaluation, and (iii) care programs, all dedicated to the hallucinatory phenomena. Key words: hallucinations · perception · cognition · neuropsychological assessment · dimensional approach Correspondance : M. Demeulemeester

Hallucinations and cognition: how cognitive models serve neuropsychological practice

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Pour ciMoronR. Halllisationneurop6 (2) :

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Article de synthèse

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014 ; 6 (2) : 117-128 Hallucinations et cognition :une modélisation au servicede notre pratique en neuropsychologie

Hallucinations and cognition:how cognitive models serveneuropsychological practice

ne Demeulemeester1,2,ine Moroni1,ic Kochman2,3,Thomas1,3, Renaud Jardri1,3

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Loos, [email protected]>

de Lille, Hôpital Fontan, Pôlehiatrie, CS 70001, 59037 Lille, France

ter cet article : Demeulemeester M,i C, Kochman F, Thomas P, Jardriucinations et cognition : une modé-

au service de notre pratique ensychologie. Rev Neuropsychol 2014 ;117-128 doi:10.1684/nrp.2014.0298

Résumé Les hallucinations se définissent comme de fausses percep-tions, i.e. des perceptions vécues comme réelles par le sujet

alors même qu’aucune stimulation externe n’est présente. Ces expériences peuvent concer-ner toutes les modalités sensorielles, avoir de multiples étiologies et survenir à chacun desâges de la vie. Peu spécifique d’une pathologie donnée, l’hallucination s’envisage davantageactuellement comme une dimension clinique transnosographique. Au cours des dernièresdécennies, de nombreux modèles cognitifs ont conceptualisé l’émergence de ce symptôme.Cet article propose d’en faire une synthèse tout en confrontant ces théories à la pratique quo-tidienne d’évaluation en neuropsychologie. Les modèles issus de la psychologie cognitivetendent à être de plus en plus complémentaires et propres à la dimension « hallucination »,indépendamment du diagnostic sous-jacent. Pour autant, certains mécanismes restent dif-ficilement appréciables en clinique. Les connaissances issues de la neurophysiologie, dela neuro-modulation ou encore de la réalité virtuelle, permettent aujourd’hui, au regarddes données récentes de l’imagerie cérébrale, une première tentative de validation de nospratiques, en termes d’évaluation clinique et psychométrique, et de prise en charge théra-peutique de l’hallucination.

Mots clés : hallucinations · perception · cognition · évaluation neuropsychologique · approche dimen-sionnelle

Abstract Hallucinations are defined as erroneous percepts, i.e. per-ceptions experienced as real by the subject, despite an

absence of external stimulation. Hallucinations may concern every sensory modality, bethe consequence of various etiologies and occur at all ages. Due to their weak diagnosisspecificity, hallucinatory experiences are more considered as a translational clinical dimen-

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sion, which may be observed during normal development or pathological conditions, asParkinson’s disease, schizophrenia and so on. In the past decades, several cognitive modelsconceptualized the emergence of hallucinations. This paper aims at reviewing the existingtheories of hallucinations and confronts them to the daily neuropsychological practice.The models derived from cognitive psychology tend to be complementary and specificto the up-mentioned dimensional approach. However, some mechanisms stay difficult tograsp in the clinical practice. Data from the neurophysiology, neuromodulation or virtualreality literature, combined with recent brain-imaging findings, allow to built a validatingframework for our practice, in terms of (i) psychometric, (ii) clinical evaluation, and (iii)care programs, all dedicated to the hallucinatory phenomena.

Key words: hallucinations · perception · cognition · neuropsychological assessment · dimensionalapproach

Correspondance :M. Demeulemeester

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Article de synthèse

Introduction

Constat d’actualitéLes hallucinations restent à l’heure actuelle des symp-

tômes difficiles à appréhender pour les professionnels desanté. Face à une problématique hallucinatoire, les élé-ments à même d’en caractériser précisément la natureou le retentissement sont peu connus et bien souventle pronostic est laissé entre les mains du temps. Long-temps taboues, les hallucinations restent un sujet délicaten société, puisque fréquemment assimilées à la folie. Àl’opposé d’une approche dichotomique, que l’on pourraitqualifier de « classique » (normal/pathologique), les hallu-cinations s’inscriraient davantage le long d’un continuum,allant de phénomènes physiologiques ou développemen-taux à des pathologies constituées de l’enfant et de l’adulte.Il nous semble à présent urgent de destigmatiser les per-sonnes souffrant de tels symptômes, et de fournir deséléments d’évaluation cliniques concrets et pertinents,indispensables à l’adaptation de la démarche diagnostiqueet thérapeutique face à l’hallucination.

Définitions et principaux diagnostics différentielsL’illusion, l’hallucinose et les compagnons imaginaires

constituent les trois principaux diagnostics différentielsdes hallucinations. L’illusion et l’hallucinose se situent aurang d’erreurs perceptives, à la différence du compagnonimaginaire (CI), fréquemment retrouvé au cours du déve-loppement normal.

L’illusion se définit comme la perception déforméed’un objet physique réel, dans l’un de ses attributs (forme,dimension, localisation, intensité, durée). Il s’agit d’unphénomène physiologique, que tout un chacun peut expé-rimenter. L’hallucinose est en revanche une perceptionsans objet physique à percevoir (principalement visuelle– palinopsie – et auditive – palinacousie). À la différencede l’hallucination, l’hallucinose est d’emblée reconnuecomme pathologique par l’individu qui en fait l’expérience[1].

Le CI, retrouvé chez 28 à 65 % des jeunes enfants pré-pubères, constitue également un diagnostic différentiel à nepas méconnaître. À la différence des hallucinations, il appa-raît à la guise de l’enfant, principalement dans un contextede jeu et n’est donc pas source d’angoisse ni d’anxiété. LeCI n’entrave d’ailleurs pas le développement chez l’enfantde l’interaction avec les pairs. Par ailleurs, il semblerait êtreun marqueur positif du développement des capacités dethéorie de l’esprit (TE), notamment quand l’enfant main-tient de bonnes relations avec ses pairs indépendamment

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de la présence du CI [2].L’hallucination se définit par contraste comme une per-

ception sans objet physique à percevoir s’imposant à laconscience d’un individu éveillé. Elle se distingue net-tement des autres fausses perceptions par son caractèreimmersif, son aspect souvent effrayant et par l’absence decritique de ce qui est percu [1].

L’hallucination, un symptôme complexeaux multiples enjeux

La difficulté d’évaluationL’hallucination est un symptôme subjectif qui se révèle

difficile à évaluer en pratique clinique, et ce pour plusieursraisons. Premièrement, il n’est pas directement observableet est souvent tenu secret, tant chez l’enfant que chezl’adulte, souvent dans le but de ne pas inquiéter l’entourage.Dans le cadre d’un trouble psychotique (ex. schizophrénie),le recueil d’informations peut par ailleurs être compliquépar une altération de la prise de conscience du trouble(i.e. un défaut d’insight), un rationalisme délirant ou un dis-cours désorganisé. L’entourage (parents, conjoint) peut danscertains cas aider à identifier la présence d’hallucinations,encore faut-il qu’il y soit sensibilisé.

Deuxièmement, le contexte culturel peut venir influen-cer la représentation ou la compréhension de ce symptôme.Au sein de certaines cultures africaines ou orientales,les hallucinations visuelles (HV) et tactiles semblent nonseulement plus fréquentes, mais peuvent également êtreattribuées à des causes surnaturelles en lien avec descroyances magico-religieuses traditionnelles. De même,les événements de nature traumatique ou les situationsde deuils peuvent favoriser l’émergence et le maintiende ces expériences hallucinatoires [2]. Ces éléments sontessentiels pour comprendre le contexte d’apparition dusymptôme et orienter les hypothèses diagnostiques.

Enfin, troisièmement, l’évaluation est également difficiledu fait du peu d’outils d’évaluation disponibles, notammenten population pédiatrique. Qu’il s’agisse de la psychométrieou de la neuropsychologie, les outils disponibles ne sont pastoujours spécifiques (évaluant l’ensemble des symptômesde la lignée psychotique), ou lorsqu’ils le sont, peuventuniquement concerner : (i) les expériences survenant chezl’adulte, (ii) la modalité auditive, et (iii) se focaliser sur lecadre nosographique de la schizophrénie.

Le double enjeu cliniqueLes hallucinations présentent un double enjeu cli-

nique. La non-reconnaissance du symptôme, tout commesa médicamentation trop précoce, peuvent avoir des consé-quences délétères en termes de pronostic clinique, cognitifet social. Il est essentiel de rechercher leur présence,en restant toutefois prudent, notamment en populationpédiatrique où ce symptôme est fréquent sans être systé-matiquement pathologique. Les symptômes psychotiquesisolés (hallucinations, délires. . .) sont d’ailleurs bien plus

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fréquents que le trouble psychotique constitué, et ce,tout au long du développement [3]. Une surveillance del’évolution de ce symptôme reste cruciale. Il a été démon-tré qu’au-delà de la question de la présence isolée deces symptômes, c’est la persistance d’hallucinations dela période pré-pubère à l’adolescence qui a la plus fortevaleur prédictive, avec une majoration d’un facteur 16

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du risque de développer un trouble psychotique àl’âge adulte [4] (voir aussi plus loin, « La perspectivedéveloppementale »).

Le caractère transdiagnostiqueLes hallucinations peuvent apparaître au décours d’une

multitude de pathologies, qu’elles soient organiques (prisede toxiques, crises d’épilepsie, migraines avec aura,lésions ou tumeurs cérébrales), ophtalmiques (syndrome deCharles Bonnet sur dégénérescence maculaire liée à l’âge,glaucome. . .), ou neurodégénératives (démence à corps deLewy, maladie d’Alzheimer, de Parkinson).

De nombreuses pathologies psychiatriques sont égale-ment concernées par ce symptôme (troubles de l’humeur,trouble de stress post-traumatique, spectre schizophré-nique, troubles de la personnalité). Une forte associationau cours du développement est d’ailleurs retrouvée entrehallucinations et un certain nombre de pathologies psy-chiatriques sans trouble psychotique tels que les troublesdépressifs et anxieux de l’enfant. Plus particulièrement,chez les adolescents, ces symptômes seraient associés àun plus grand risque de développer un, voire plusieurs,trouble(s) psychopathologique(s), notamment sur l’axe 1 duDSM-IV, comparativement aux enfants pré-pubères (80 %chez les 13-16 ans contre 57 % chez les 11-13 ans) [5].Les troubles des apprentissages seraient également concer-nés, tels que le TDA/H (trouble déficitaire de l’attentionavec ou sans hyperactivité) diagnostiqué dans lequel 22 %des cas présenteraient des hallucinations [6], alors que lerisque d’hallucination pharmaco-induite par le méthylphé-nidate est estimé à 0,5-1 %. D’autres étiologies, notammentgénétiques, infectieuses, auto-immunes et métaboliques,sont également retrouvées associées aux hallucinations,tant chez l’enfant que chez l’adulte [7].

Au vu de ces diverses étiologies, les hallucinations sontde plus en plus considérées dans une perspective dimen-sionnelle et transnosographique.

La perspective développementaleAussi surprenant que cela puisse paraître, ce symp-

tôme est fréquemment retrouvé au cours du développementnormal. Souvent en lien avec des évènements environne-mentaux stressants, il peut se révéler bénin, et dans 58 à95 % des cas, transitoire. Les symptômes s’amendent géné-ralement lors de la résolution de situations anxiogènes [8].Les parasomnies bénignes (hallucinations hypnagogiques– au coucher – et hypnopompiques – au réveil) sont égale-ment des causes physiologiques fréquemment rapportées.

L’avancée en âge fait par ailleurs évoluer la relation

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entre le symptôme, sa fréquence et son caractère patho-logique. Les récentes études épidémiologiques estiment laprévalence de ce symptôme dans la modalité auditive à9 % chez les 7-8 ans, 17 % chez les 9-12 ans, 7,5 % chezles 13-18 ans et à 5 % en population adulte [3]. Ces fré-quences seraient à diviser par deux pour les hallucinationssurvenant dans la modalité visuelle [9]. Il est à noter que

Article de synthèse

la fréquence du symptôme hallucinatoire semble diminueravec l’avancée en âge, à l’inverse de sa valeur pronostique.La persistance ou l’apparition tardive de ce symptôme aucours de l’adolescence constituerait un des premiers élé-ments pronostiques à rechercher [10].

Phénoménologie des hallucinationsÀ la différence des hallucinations intrapsychiques,

indépendantes des sens et d’emblée complexes, les hallu-cinations psychosensorielles peuvent concerner l’ensembledes modalités sensorielles, et pour chacun de ces sens, desphénomènes élémentaires et complexes sont distingués.

Les hallucinations auditives (HA), les plus fréquentesquels que soient le contexte d’apparition, la culture etl’âge, peuvent se traduire par de simples sons (rires, bour-donnements, sifflements, klaxons, sons d’animaux. . .), desmots isolés (prénom. . .), des mélodies, ou des phraseset dialogues élaborés. Dans ce dernier cas, il s’agitd’hallucinations acoustico-verbales (HAV). Les HV sontégalement fréquentes, allant de formes géométriques(kaléidoscopes), phosphènes ou flashs, à la vision devisages, personnes, animaux réels ou fantastiques, ouobjets divers. Dynamiques ou statiques, certaines, appeléespanoramiques, peuvent envahir tout le champ visuel. Leshallucinations tactiles (HT) vont de simples picotements,aux sensations de froid ou de brûlures sur la peau, et lescénesthésiques (HC) concernent les organes internes et lessensations ressenties dans le corps. Enfin, les hallucinationsolfactives (HO) et gustatives (HG) sont le plus souvent désa-gréables (nourriture, parfum, goudron, ammoniac, chairsen décomposition, matières fécales, pourriture), allant dela simple identification à l’attribution à une personne ou àun événement de vie [11].

Le caractère multisensorielAu-delà de la complexité au sein d’une modalité sen-

sorielle donnée, il n’est pas rare d’observer une fusiondes percepts pour produire une expérience hallucinatoiremultisensorielle. Dans la schizophrénie, les patients rap-portent notamment des hallucinations audiovisuelles, oùce qui est entendu constitue la bande-son de ce qui est vu.Les HO sont également souvent associées aux HT et auxHG. Ces trois modalités sensorielles sont regroupés sousle terme de « TOGH » (tactil olfactory gustatory halluci-nations) restent cependant encore difficiles à identifier etmalheureusement trop peu étudiées. Néanmoins, même sicela reste en débat, l’intérêt pour ce type d’hallucinationscroît en raison de sa potentielle valeur pronostique psychia-trique. Leur présence tôt dans l’évolution pourrait en effet

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signer une évolution plus défavorable [12].Le caractère multisensoriel serait également prédomi-

nant dans la schizophrénie à début précoce, et serait lemarqueur d’une plus grande sévérité du trouble psycho-tique et d’un poids neurodéveloppemental plus important,comme l’indique l’association avec l’ampleur de la défi-cience intellectuelle associée [13]. Chez la personne

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d’un âge avancé, l’aspect multisensoriel peut égalementêtre retrouvé, notamment au décours d’une psychosehallucinatoire chronique (PHC) dont le mécanisme prin-cipal est hallucinatoire et concerne essentiellement lesmodalités auditives et cénesthésiques. Aux hallucinationsmultisensorielles s’ajoutent des idées délirantes, souventsur le thème de la persécution, ainsi qu’un automatismemental.

Modélisation cognitive

Il est depuis toujours dans la nature de l’homme de cher-cher à comprendre comment les phénomènes psychiquessurviennent. Les hallucinations ne font pas exception etdeux grands types d’approches ont pu être utilisés pourconceptualiser ce symptôme.

Les premiers modèles de l’hallucinationDans une perspective purement « bottom-up », où

la perception est considérée comme essentiellementdépendante des ressources du système perceptif, leshallucinations seraient la conséquence de dysfonctionne-ments dans les toutes premières étapes du traitement del’information sensorielle. Cette théorie est étayée par la fré-quente observation d’expériences internes sensory-like chezles patients atteints de cécité ou de surdité. Via un méca-nisme de compensation survenant dans la même modalitéque celle concernée par le déficit, le cerveau produirait àpartir du bruit neuronal de bas niveau (et en l’absence de sti-mulation externe concurrente), de faux percepts à l’origined’expériences hallucinatoires [14]. Le paradigme d’écoutedichotique a notamment contribué à l’hypothèse bottom-up. Dans ce paradigme expérimental, deux stimuli auditifsdifférents sont présentés à chaque oreille du participant(droite et gauche), via un casque. Un avantage en faveurdu stimulus présenté à l’oreille droite est habituellementobservé chez le sujet sain indépendamment de la latéra-lité manuelle (right ear advantage [REA]). Le REA n’est pasretrouvé chez les patients souffrant de schizophrénie avecHAV, et il a été proposé que l’hémisphère gauche, déjàengagé dans le traitement des HA, soit moins réceptif à lastimulation auditive externe [15].

À l’inverse, dans une perspective « top-down » où nosattentes, nos schémas cognitifs ainsi que nos aptitudescognitives, influenceraient notre perception du monde,des auteurs tels que Grossberg ou Behrendt ont pro-posé que l’hallucination puisse résulter d’un déséquilibreentre « information sensorielle » (facteur bottom-up) et

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« imagerie mentale » (facteur top-down) [14]. Ce déséqui-libre en faveur des facteurs top-down rendrait difficile ladistinction entre perception réelle et imaginée, et amène-rait le sujet à les confondre. Cette priorisation de l’imageriementale sur la sensation est appelée gain d’imagerie. Lathéorie du gain d’imagerie s’est notamment basée sur lecélèbre White Christmas hallucination test. Dans cette expé-

rience, des sujets sains prédisposés aux hallucinations, etpréparés à devoir entendre des paroles de chanson ensituation d’écoute bruitée, avaient tendance à entendredavantage de mots que les témoins alors qu’aucune chan-son n’était en réalité présentée [16]. Daalman et al.ont également mis en évidence un phénomène de gaind’imagerie chez des sujets non psychotiques présentantdes HAV, via des attentes sémantiques [17]. Au traversd’une tâche comportementale où les participants devaientcompléter la fin d’une phrase, les auteurs mettent claire-ment en évidence une association entre le nombre d’erreurstop-down et la tendance à halluciner chez ces participants.La fin de la phrase était soit absente et bruitée ou logique etbruitée, soit illogique et bruitée. Les erreurs top-down équi-valaient dans cette expérience à produire un mot logique àla fin d’une phrase, alors que cette dernière était soit absenteet bruitée, soit illogique et bruitée. Ce phénomène est préfé-rentiellement retrouvé dans la modalité auditive, et corréléà la sévérité des hallucinations [18]. Bien qu’aucun lien decausalité entre hallucinations et gain d’imagerie n’ait puêtre démontré, la contribution de cette priorisation des fac-teurs top-down à la genèse des hallucinations semble êtreun résultat répliqué.

La distinction entre modèles bottom-up et top-downs’est par la suite progressivement complexifiée et intègredésormais la notion de traitement conscient et non cons-cient de l’information. Deux catégories de modèles peuventà présent être distinguées : les modèles dits « préréflexifs »conceptualisant l’altération des processus non conscientsde bas niveau tels que l’agentivité, et les modèles« réflexifs », s’attelant aux dysfonctionnements des proces-sus conscients tels que les jugements d’attribution et lesfonctions mnésiques et exécutives.

Les modèles préréflexifs de l’hallucination

Le concept d’agentivitéUn des concepts les plus influents à l’heure actuelle

se proposant d’expliquer l’émergence des hallucinations,notamment intrapsychiques et acoustico-verbales, est celuidu défaut d’agentivité, modélisé au travers des potentielsdysfonctionnements du modèle Forward et du Who system.L’agentivité se définit comme le sentiment d’être à l’originede nos propres actions (i.e. être agent). Il s’agirait d’unprocessus automatique, immédiat, survenant en amont descapacités réflexives du sujet. Décrite comme une compo-sante majeure du self, l’agentivité apparaît comme unconcept proche du « self minimal » de Shaun Gallagher,défini comme le fait de se vivre en tant que sujet del’expérience immédiate.

YCHOLOGIEVES ET CLINIQUES

Le défaut du modèle ForwardDans la schizophrénie, le modèle du défaut d’agentivité

postule, comme mécanisme de base du symptôme hallu-cinatoire, des erreurs d’attribution de stimuli auto-générés.Ainsi, il arrive que les patients souffrant de schizophrénie

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percoivent leur langage intérieur comme une voix prove-nant d’une source extérieure (hallucinations), ou puissentne pas se sentir au contrôle de leurs actes (automa-tisme mental). Ces éléments, appelés phénomènes de« passivité », seraient la conséquence d’une confusionquant à l’origine de leurs propres pensées et actions.

Le défaut d’agentivité tel que décrit dans la schizo-phrénie a été notamment conceptualisé par des auteurstels que Chris Frith (1992) et Blakemore et al. au traversdu modèle du contrôle de l’action et de la prédictionmotrice [19]. Brièvement, les modèles Forward et Inversepermettent le réajustement de l’action en cours, grâceà la copie d’efférence (copie de l’action) qui joue unrôle d’« éclaireur » afin de s’assurer que l’objectif a bienété atteint (Cf. figure 1). Plus spécifiquement, le modèleForward compare la prédiction de l’action, d’une part(état prédit), et les feedback sensoriels (état réel) produitspar l’action, d’autre part. Une forte compatibilité se tra-duit généralement par un sentiment d’être au contrôle/ à

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l’origine de l’action. Les auteurs postulent que les phéno-mènes de passivité, observés chez ces patients pourraientêtre causés par un défaut du modèle Forward. Alors quechez l’individu sain, le modèle Forward produirait une atté-nuation des feedbacks sensoriels lorsqu’une action est auto-générée, les patients souffrant d’hallucinations percevraient

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Figure 1. Modèle du défaut d’agentivité chez les patients souffrant de schizophréLes systèmes Forward et Inverse ont pour rôle d’optimiser la commande motrid’un objectif. Ces deux modèles se basent sur la copie d’efférence qui apparaît dy

Article de synthèse

ces stimulations avec la même intensité que si la source avaitété externe [19]. Ainsi, grâce à une tâche expérimentaledans laquelle des stimulations tactiles sont générées, soitpar les participants eux-mêmes, soit par l’expérimentateur,Blakemore et al. ont pu mettre en évidence chez lespatients souffrant de schizophrénie avec HAV une absenced’atténuation sensorielle des stimulations auto-générées.

D’un point de vue physiologique, Simons et al. ont éga-lement mis en évidence un trouble d’identification de lasource du percept à l’aide d’une tâche d’imagerie men-tale auditive chez des patients souffrant de schizophrénieet d’HAV [20]. Cette étude réalisée en imagerie cérébralefonctionnelle objectivait une plus faible désactivation dugyrus temporal supérieur gauche chez ces patients (zoneimpliquée de manière consistante en périodes hallucina-toires) lorsque les sujets devaient imaginer dans leur tête desphrases générées par quelqu’un. D’un point de vue compor-temental, les patients rencontraient de réelles difficultés àidentifier la source de ce qu’ils généraient, avec l’existence

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d’un biais d’attribution externe. Ces résultats seraient enaccord avec un dysfonctionnement du modèle Forwardimpliqué dans l’émergence des HAV [20]. Ces résultatsd’imagerie objectivant une confusion quant à l’origine despercepts auto-générés sont cependant à nuancer au vud’autres études dans le domaine, où des différences en

ison de l’état désiré etprédit grâce à l’envoiopie de l’efférencectures intégratives.

sion de ce modèle infirmée par Delevoye-rrell et al 2003.tion entre agentivitéédiction motrice

opie d’efférence

ntivité repose surion entre l’état prédit siré possible grâce au

ionnement du modèle. Ainsi les feedbackriels sont ressentisme atténués lorslations dont le sujet

i même à l’origine

État prédit

FORWARD

MODEL

INVERSE

MODEL

nie et d’HAV (Frith, 1992 ; Blakemore et al. 2002 [19]).ce en anticipant et ajustant les mouvements nécessaires à la réalisationsfonctionnelle chez les patients souffrant de schizophrénie et d’HAV.

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Article de synthèse

termes de bases neurales sont mises en évidence, concer-nant notamment l’aire motrice supplémentaire impliquéedans le contrôle subjectif de l’action. Ces paradigmes serontégalement davantage explorés dans la section relative auxmodèles réflexifs.

Le dysfonctionnement du Who systemUne autre approche conceptualisant le défaut

d’agentivité chez les patients souffrant de schizophrénie apu quant à elle questionner le rôle potentiel des systèmesmiroirs dans la survenue des symptômes psychotiques [21].Sur la base de travaux en imagerie cérébrale fonctionnelle,il a en effet pu être montré que certaines aires pré-motriceset pariétales, connues pour être riches en neurones miroirschez l’animal, s’activaient aussi bien lors de la réalisationd’une action que lors de son observation chez l’homme.Ces systèmes sont dits « miroirs », car ils sont recrutés que lesujet soit impliqué dans l’action, en première ou troisièmepersonne (i.e. en tant qu’acteur ou en tant qu’observateur).Il existerait donc, sur la base des systèmes miroirs, unpartage des représentations motrices internes, puisque lesmêmes aires cérébrales sont activées dans ces deux situa-tions. Mais comment dans ce cas, le cerveau distingue-t-illes actions qu’il produit de celles qu’il observe ?

Georgieff et Jeannerod [21] ont proposé l’existenceparallèle d’un second système (en plus du système miroir)permettant l’attribution correcte des actions à soi ou autrui,qu’ils nomment le Who system. Il s’agirait d’un processusautomatique (i.e. sans ambiguïté dans la vie de tous lesjours) à l’origine du sentiment d’agentivité. Dans le cas de laschizophrénie, un dysfonctionnement du Who system pour-rait rendre compte de la confusion clinique qu’éprouventles patients à déterminer ce qui est à l’origine de ce qu’ilsentendent, mécanisme que nous avons proposé commecentral dans la survenue d’HAV [22].

Au cours d’une tâche d’agentivité verbale, Jardri et al.ont pu mettre en évidence un plus grand chevauchementdes aires cérébrales impliquées dans la distinction soi/nonsoi chez les patients souffrant de schizophrénie avec HAVcomparativement aux sujets témoins non hallucinés. Cesrésultats étayent la théorie du Who system, en proposantun substratum neurophysiologique pour la plus grandeambiguïté vécue par les patients lorsqu’ils sont amenés àidentifier l’origine de leurs actions ou pensées.

Limites des modèles préréflexifsde l’hallucination

Les modèles préréflexifs, bien qu’influents, ne per-

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mettent cependant pas d’expliquer un certain nombre decaractéristiques phénoménologiques du symptôme hallu-cinatoire, notamment le fait que les voix entendues soientsouvent à la deuxième ou troisième personne ou encorequ’elles puissent être de genre opposé à celui de l’individului-même. Ces modèles se limitent d’ailleurs souvent àrendre compte des expériences intrapsychiques ou surve-

nant dans la modalité auditive. Une autre limite repose sur lefait que le défaut d’agentivité n’est pas spécifiquement asso-cié aux hallucinations, mais davantage aux phénomènesde passivité dans leur ensemble, comprenant égalementl’automatisme mental. Une étude de cas a d’ailleurs montréqu’il était possible de dissocier fonctionnellement hal-lucinations et défaut d’agentivité via les techniques deneuro-modulation [23]. Cela pose la question de la spé-cificité de ces modèles aux expériences hallucinatoiressurvenant chez les sujets souffrant de schizophrénie, et undoute persiste quant à leur capacité à rendre compte desexpériences vécues par les « entendeurs de voix » non psy-chotiques. Malgré leur rôle prépondérant dans l’explicationde la formation et du maintien des symptômes hallucina-toires, ces conceptions ne semblent pas être suffisantes pouren expliquer l’émergence.

Les modèles réflexifsLes modèles réflexifs font l’hypothèse d’une impli-

cation prépondérante de processus conscients dansl’hallucination, notamment au travers de l’association detroubles mnésiques et exécutifs.

Les erreurs d’attributionDe nombreuses études se sont tout d’abord intéres-

sées aux jugements d’attribution, processus conscients,impliquant l’identification explicite de l’origine d’une sti-mulation. Souvent assimilés à la métacognition (voir aussisection « Métacognition et hallucinations »), ces jugementsimpliquent la représentation de nos propres connaissancessur un événement donné.

En pratique clinique, la traditionnelle tâche de mémoirede source nous permet d’évaluer ces processus. L’épreuvese déroule généralement en deux temps. La première étapeconsiste en la production ou l’écoute (la vision, l’olfaction)de stimuli. La seconde étape consiste en l’identificationaprès un certain délai (ou non) de l’origine des stimuli, cer-tains ayant été présentés lors de la première phase, d’autresétant nouveaux. Il s’agit donc pour le sujet de distinguersi les stimuli ont été « imaginés » ou « produits », soit parlui-même, soit par l’investigateur, ou s’ils n’ont pas été pré-sentés (nouveaux stimuli), impliquant alors trois distinctionsen termes de « source » (interne – entre ce qui est produitet imaginé par la même personne –, externe – entre deuxpersonnes –, interne-externe – entre ce qui est fait par lapersonne et par autrui [24]).

Comme son nom l’indique, la mémoire de source estdonc un processus mnésique impliquant notamment le

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phénomène de binding, permettant de relier entre euxles différents indices d’une situation afin de former unsouvenir cohérent et de se sentir à l’origine du souvenir enquestion [24, 25]. Des processus exécutifs sont égalementimpliqués tels que la récupération des différents indicescontextuels et les processus de contrôle sélectionnant lesindices les plus pertinents. De manière plus ou moins

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consistante, les patients souffrant de schizophrénie avecHAV ont des performances plus faibles à cette épreuve enattribuant plus souvent les items générés par eux-mêmesà autrui, démontrant leur difficulté à identifier la sourced’un événement [26]. Ces difficultés ont également étéretrouvées chez des participants sains prédisposés aux HAV[24, 27]. De manière intéressante, ce défaut d’attributionde la source a également été mis en évidence chezdes patients souffrant de la maladie de Parkinson (MP)avec HV. Ces derniers feraient beaucoup plus d’erreursd’attribution comparativement à des patients MP sans HVet des témoins sains. Les erreurs ne portaient cependantpas sur la distinction de l’origine, mais sur la distinctionentre les modalités sensorielles des items présentés. Autre-ment dit, un patient MP avec HV aurait plus tendance àcroire qu’une image mentale générée par un mot est enréalité une image réellement présentée [28]. Ces donnéespourraient également être mises en lien avec le modèle degain d’imagerie discuté précédemment.

Enfin, des difficultés d’attribution ont également étémises en évidence chez des patients souffrant de schizo-phrénie présentant des HO [29]. Non seulement Arguedaset al. ont été les premiers à mettre en évidence un défautde mémoire de source dans le cas spécifique d’HO, maisles résultats semblent également impliquer une spécificitéquant à la modalité sensorielle. Ainsi, les patients souffrantde schizophrénie avec HAV inclus dans cette étude ne pré-sentaient que des difficultés à la tâche de mémoire de sourceverbale, et ceux présentant des HO, uniquement à la tâchede mémoire de source olfactive.

Les modèles mnésiques et exécutifsWaters et al. ont également proposé un modèle alliant

déficits mnésiques et exécutifs à l’origine de l’émergencedes hallucinations. Ces auteurs postulent qu’un déficit ducontrôle inhibiteur intentionnel associé à des intrusionsde fragments de souvenirs non pertinents serait à l’originede l’émergence des HA chez des patients souffrant deschizophrénie [25].

Le contrôle inhibiteur volontaire nous permet en tempsnormal de mettre de côté de manière consciente (et volon-taire) les associations mentales et souvenirs auditifs nonpertinents qui traversent en permanence notre esprit, afinde tenir une conversation cohérente. Chez les patients souf-frant de schizophrénie, ce défaut d’inhibition aurait pourconséquence l’intrusion intempestive d’éléments auditifsnon pertinents (souvenirs, représentations et associationsmentales), donnant naissance aux HA, dont les HAV. Cessouvenirs seraient incomplets du fait d’un dysfonctionne-

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ment des processus intentionnels de binding, soit lors del’encodage, soit lors de la récupération, contrairement auxprocessus de binding automatique qui seraient préservés[30]. Cette intégration incomplète des indices contextuelsne permettrait qu’un rappel partiel du souvenir en ques-tion et provoquerait le sentiment d’étrangeté fréquemmentrapporté par les patients.

Article de synthèse

L’hypothèse d’intrusions de souvenirs non pertinents,précédemment posée par Nayani et David, corroborerait uncertain nombre de caractéristiques phénoménologiques desHA. Ces dernières sont souvent décrites comme intrusives,incontrôlables et involontaires ; les voix percues sont fré-quemment identifiées, bien dissociées de celle du patient,parlées à la seconde ou troisième personne, et sont souventassimilées à d’anciennes conversations ; ces mécanismespourraient également rendre compte des autres HA tellesque les bruits environnementaux ou la musique.

Sur le plan comportemental, des difficultés d’inhibitionvolontaire ont également été mises en évidence chez dessujets sains présentant des HAV comparativement à d’autressujets sains n’en présentant pas. Les processus de bindingsont en revanche préservés, qu’ils soient automatiques ouintentionnels [31].

Des données d’imagerie cérébrale étayent ces résultats,mettant en évidence de manière consistante l’activationdu lobe temporal médian (incluant l’hippocampe et leparahippocampe) durant la période hallucinatoire, régionsimpliquées respectivement dans les processus de rappelen mémoire à long terme et la contextualisation dessouvenirs [32]. De manière intéressante, plusieurs étudesrapportent également une désactivation de cette régiondans les secondes précédant l’apparition de l’hallucination[33]. Ces données restent bien évidemment à étoffer, maismettent d’ores et déjà en avant l’implication d’un dysfonc-tionnement des processus mnésiques dans l’émergence deshallucinations.

Daalman et al. postulent quant à eux qu’une combi-naison de déficits exécutifs et instrumentaux (sur le versantlangagier) pourrait être à l’origine de la tendance à halluci-ner dans le domaine verbal [34]. Ces difficultés d’inhibitionne corroboreraient pas en revanche l’aspect intrusif chezles sujets sains, caractéristique ne se retrouvant pas au pre-mier plan dans cette population. De manière intéressante,des difficultés exécutives se retrouvent également chez despatients souffrant de troubles de la personnalité schizoty-pique, chez des patients souffrant d’HA fréquentes dans uncontexte épileptique, d’HV dans un contexte de pathologieophtalmique, ainsi que chez les patients souffrant de la MP[35].

En plus de corroborer en partie la phénoménologie desHAV, cette modélisation cognitive semble pouvoir s’adapteraux hallucinations non psychotiques, puisque chez desindividus sains prédisposés aux HAV, Paulik et al. ontpu mettre en évidence de subtiles mais réelles difficultésd’inhibition intentionnelle de souvenirs non pertinents [36].

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Métacognition et hallucinationsLa métacognition a également été étudiée dans le cadre

de l’émergence des hallucinations. Elle désigne l’ensembledes connaissances que le sujet a de son propre fonction-nement cognitif, mais également les croyances qu’il peutgénérer vis-à-vis de ce dernier (se sentir capable de, le sen-timent de contrôle sur sa vie. . .).

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Les croyances métacognitives (CM)Les études s’intéressant aux liens entre CM et hallu-

cinations se sont principalement basées sur le modèled’Anthony P. Morrison, postulant que des CM dysfonc-tionnelles pourraient être à l’origine des symptômeshallucinatoires [37]. À l’heure actuelle, les résultats res-tent assez contradictoires d’une étude à l’autre, étayantl’hypothèse d’une relation indirecte. En réalité, cescroyances sur nos propres capacités cognitives, d’actionet d’apprentissage, et sur le contrôle que l’on peut avoirde nos pensées influenceraient plutôt le niveau d’anxiété(distress) associé aux hallucinations, à défaut d’être directe-ment à l’origine de ce symptôme [38]. Il semble en revanchequ’une relation plus explicite existe avec le risque de déve-lopper un trouble psychotique, plutôt qu’avec le risque dedévelopper un symptôme en particulier, ex. l’hallucination[38].

Les connaissances métacognitivesComme déjà mentionnées, les capacités de mémoire

de source peuvent être apparentées à des capacités méta-cognitives, et sont altérées chez les sujets avec halluci-nations.

La TE a également été étudiée dans ce cadre, maisseule une association indirecte a pu être mise en évi-dence avec les hallucinations. La TE désigne la facultéà s’attribuer ou à attribuer à autrui des états mentaux(pensées, émotions, intentions), à les comprendre et àadapter son comportement en conséquence. Elle est essen-tielle au bon déroulement de nos interactions sociales. Enclinique, trois types d’épreuves permettent d’évaluer lescapacités de TE, à savoir les tâches évaluant les aspectspurement cognitifs (tâches de fausses croyances de 1er ou2e ordre où le sujet doit comprendre le décalage entre sescroyances et celles d’autrui), celles évaluant les aspectsaffectifs (compréhension cognitive avec une appréciationempathique) (faux pas social, humour, sarcasme, ironie),et enfin celles alliant les deux [39]. Des difficultés spéci-fiques à inférer ce que l’autre pense, prétend ou a l’intentionde faire, telles qu’elles peuvent être observées dans laschizophrénie [40], peuvent conduire à des interprétationsdélirantes à la suite d’attributions causales erronées oude détection aberrante de coïncidences, mais non direc-tement à l’émergence d’hallucinations [38]. Il en va demême chez des sujets sains présentant des traits de person-nalité schizotypiques chez qui aucun lien entre difficultésde TE et susceptibilité à halluciner n’a pu être identifié[40].

Dans cette même perspective, Bartels-Velthuis et al. ont

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pu mettre en évidence, chez des enfants âgés de 12 à 13 ansprésentant des HAV, que le bon développement des capa-cités de mentalisation (i.e. de théorie de l’esprit) jouait unrôle « protecteur » vis-à-vis du développement d’idéationsdélirantes secondaires. Autrement dit, les enfants présen-tant des HA et de bonnes capacités de théorie de l’espritseraient moins susceptibles de développer un rationalisme

morbide sur l’origine des « voix », plus à même de prendredu recul et peut-être aussi de développer des explicationsalternatives à ces expériences [41].

Implications cliniques

Importance de l’observation et de l’anamnèseEn pratique clinique, les hallucinations ne sont pas suffi-

samment recherchées, notamment en dehors du champ dela psychiatrie. Comme nous l’avons vu, ce symptôme, loind’être pathognomonique d’un trouble psychotique, peut seretrouver au décours de nombreuses pathologies et à tousles âges de la vie. L’anamnèse, l’observation clinique ainsique l’évaluation neuropsychologique sont des éléments clésdans notre pratique quotidienne et permettent de recueillirdes informations précieuses sur une éventuelle probléma-tique hallucinatoire.

L’observation du comportement du patient est essen-tielle, notamment si le patient est réticent à parler de cesymptôme, ou si l’insight est faible. Les attitudes d’écouteet les poursuites du regard sont des attitudes passives oùle sujet focalise toutes ses capacités attentionnelles surl’hallucination. Cette distractibilité excessive amène sou-vent le patient à faire répéter les questions posées enentretien. Des attitudes bizarres et imposées, voire unehyper-vigilance ou une certaine agitation motrice, peuventégalement être observées, en réponse à ce qui est entendu,vu, ressenti ou en référence aux potentielles idées déli-rantes du patient. Les réponses verbales et émotionnelles(rires immotivés) impromptues et inappropriées peuventtraduire la présence de symptômes hallucinatoires envahis-sants, mais sont le plus souvent en rapport avec la dimensiondissociative d’un trouble schizophrénique. En populationpédiatrique plus particulièrement, l’expression clinique dece symptôme peut prendre la forme de plaintes somatiquespeu spécifiques (ex. douleurs abdominales. . .).

Lors de l’anamnèse, il est important d’identifier depotentiels facteurs prédisposant (privations sensorielles oude sommeil, carences affectives, traumatismes, consom-mations de substances), ou de maintien, notamment dansle cadre d’une pathologie psychiatrique constituée, ainsiqu’un maximum d’informations sur le fonctionnement glo-bal, touchant les sphères professionnelles ou scolaires chezl’enfant, ainsi que sociales.

Certains outils psychométriques permettant larecherche, la qualification (phénoménologie) ou la quan-tification (sévérité) du symptôme peuvent être utilisés pourcompléter l’entretien libre. Loin d’être exhaustif, quelques

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outils rapides et traduits en francais peuvent être proposés.

Quelques outils psychométriquesL’Adolescent Psychotic-Like Symptom Screener (APSS)

est un instrument d’évaluation rapide de dépistagedes expériences psychotiques chez l’adolescent. LaLaunay-Slade Hallucinations Scale (LSHS, Launay et Slade,

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1981) est une échelle d’auto-évaluation simple et rapided’utilisation, mesurant la prédisposition à halluciner. Cetoutil a été utilisé de manière régulière quelle que soit lapopulation, psychiatrique ou générale. La ComputerizedBinary Scale Of Auditory Speech Hallucinations (cbSASH,Stephane et al., 2006) permet d’investiguer la phéno-ménologie des HAV en y associant d’autres modalitéssensorielles. Elle a pour particularité d’inclure une échellede fiabilité en posant les mêmes questions mais formu-lées autrement afin de s’assurer de la validité des réponses.La Scale For Assessment Of Positive Symptoms (SAPS,Andreansen, 1984) et la Psychotic Symptom Rating Scale(PSYRATS, Haddock et al., 1999), permettent quant à ellesde mesurer la sévérité du symptôme [42].

Une fois ces éléments recueillis, il convient de les inter-préter de manière adéquate. La présence d’hallucinationsen soi n’est pas synonyme de pathologie mais certainséléments doivent alerter. La persistance d’un symptômedémarré dans l’enfance et se maintenant à l’adolescence(ou leur apparition tardive, > 21 ans) associée à une grandefréquence d’apparition, un contenu négatif et un manquede contrôle sont les quatre caractéristiques permettant, avecune valeur prédictive positive (VPP) de 88 %, une distinc-tion entre expériences bénignes et expériences à risquepsychotique. À elle seule, la valence émotionnelle néga-tive du contenu de l’hallucination recueille une VPP de92 % [10]. Une chute brutale des performances scolaires,des bizarreries de comportement ainsi qu’un isolementsocial progressif sont aussi des signes annonciateurs d’unpronostic plus sombre chez l’enfant ou adolescent avechallucinations.

L’évaluation cognitiveCette évaluation nous permet de recueillir des informa-

tions pertinentes en lien avec le symptôme hallucinatoiremême s’il n’existe pas d’évaluation neuropsychologique oud’épreuve spécifique à l’hallucination. Une grande partiedes études s’est intéressée aux profils cognitifs en lien avecla schizophrénie, qu’il s’agisse de prodromes ou de psy-chose avérée. En revanche, peu d’études se sont atteléesaux altérations cognitives spécifiquement en lien avec lesHAV.

En population adulteLes HAV sont retrouvées spécifiquement associées à

des troubles exécutifs, en lien notamment avec les concep-tions de Waters et al. Dans cette perspective, des difficultésd’inhibition intentionnelle ont pu être mises en évidence

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chez des sujets sains prédisposés aux hallucinations [25].Rappelons que ce contrôle inhibiteur intentionnel nouspermet de mettre de côté de manière consciente et volon-taire les associations mentales et souvenirs auditifs nonpertinents qui traversent en permanence notre esprit, afinde tenir une conversation cohérente. L’épreuve neuropsy-chologique mettant en évidence un défaut d’inhibition

Article de synthèse

volontaire la plus utilisée est le Hayling Sentence Com-pletion Test. Dans ce test, le participant doit compléterdes phrases, dans un premier temps de manière logique,puis dans un second, de manière illogique. C’est dans cettedeuxième partie, dite expérimentale, où les performancesd’inhibition volontaire seront cotées. Les auteurs ont éga-lement utilisé une tâche informatisée, l’ICIM (l’InhibitionOf Currently Irrevelant Memories), consistant en l’inhibitionvolontaire de 52 images d’animaux présentées au cours dequatre sessions. Le participant est prévenu qu’au cours de lapremière session, il verra des animaux et qu’il doit identifierceux qui apparaîtront plusieurs fois. Pour les autres sessions,la consigne est d’oublier les images déjà vues et d’identifierles images qui se répètent mais seulement au sein de la ses-sion en question. Les performances pour la première sessiondépendent de l’apprentissage, alors que celles des sessionssuivantes dépendent de l’inhibition volontaire de ce qui adéjà été vu. C’est donc le nombre de fausses alarmes dansles trois dernières sessions qui informera sur les capacitésd’inhibition du sujet [25].

Gisselgård et al. ont pu également démontrer une asso-ciation spécifique entre la présence d’HAV et de faiblesperformances en mémoire de travail verbale chez des par-ticipants présentant un premier épisode psychotique. Lesauteurs utilisaient les épreuves de mémoire de chiffres etde séquences lettres-chiffres de la WAIS III. Daalman et al.avaient également mis en évidence des difficultés sur leversant langagier, notamment l’aspect réceptif consistanten la dénomination d’images [34]. Enfin, DeFreitas et al.ont quant à eux mis en évidence une association spéci-fique entre sévérité des hallucinations et difficultés d’accèsau lexique chez des patients souffrant de schizophrénie autravers de tâches de fluence verbale [43].

En population pédiatriqueCullen et al. mettent en évidence chez des enfants âgés

de 9 à 12 ans présentant des signes précurseurs de la schi-zophrénie, des performances cognitives globales dans leslimites inférieures de la norme, par rapport à des enfantstémoins appariés [44]. Il s’agissait dans les deux groupesd’enfants sains, même si le groupe d’enfants avec anté-cédents incluait des participants présentant des difficultésde développement des capacités langagières ou motrices,des troubles du comportement et des symptômes psycho-tiques infra-cliniques, dont des hallucinations.

Plus spécifiquement, des altérations des aptitudesmotrices (vitesse de traitement de l’information et vitessed’exécution), ainsi que des troubles langagiers affectant enparticulier le versant réceptif (dénomination d’images) ont

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été mises en évidence chez des adolescents de 11 à 13 ansprésentant des symptômes psychotiques (majoritairementdes HA et HV) [45].

Les troubles moteurs semblent être retrouvés de manièreconsistante au travers de la littérature, qu’il s’agisse de sujetsjugés à haut risque, du stade prodromal, ou de schizophré-nie avérée. Il semblerait même que ces signes neurologiques

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Article de synthèse

mineurs soient un des marqueurs cognitifs précoces de schi-zophrénie, sans association systématique aux symptômeshallucinatoires. Au même titre que, et en association à laprésence d’hallucinations au cours de l’adolescence, desperformances déficitaires à l’épreuve des « symboles » dela WAIS IV sont associées à un plus grand risque de dévelop-per un trouble psychotique à l’âge adulte [46]. Une étuderéalisée chez des personnes âgées souffrant de schizophré-nie a par ailleurs pu mettre en évidence que cette épreuveet la manière dont le sujet traite l’information apportaientdes informations sur la manière de fonctionner au quo-tidien [47]. Ainsi, les capacités de vitesse de traitementde l’information, au même titre que celle d’attention etde mémoire de travail, seraient impliquées dans le bondéroulement des relations sociales et dans les compétencesfonctionnelles. Plus précisément, la vitesse de traitement del’information serait impliquée dans les compétences profes-sionnelles et interpersonnelles.

Enfin, Frommann et al. ont proposé une chronologied’apparition des troubles cognitifs durant les stades prodro-maux des troubles psychotiques, qu’ils dissocient en deuxétapes, le early prodromal state (EPS) et le late prodomalstate (LPS). Des altérations exécutives et motrices seraientau premier plan lors de l’EPS, alors que des difficultés mné-siques verbales émergeraient ensuite lors du LPS. Le LPSserait un bon prédicteur de la transition psychotique.

Discussion

Peu d’études se sont spécifiquement intéressées auxmarqueurs cognitifs de la susceptibilité à halluciner,cependant quelques pistes d’intervention émergent, tantdu point de vue de l’évaluation que de la prise encharge. Les modèles cognitifs les plus influents à l’heureactuelle sont issus du constat que les patients souffrantd’hallucinations présentent plus de difficultés à reconnaîtreleurs propres actions et qu’ils les attribueraient plus sou-vent de manière erronée à l’extérieur. Ainsi, la psychologiecognitive contemporaine nous apporte une compréhensionplus fine du symptôme en postulant un dysfonctionne-ment des processus tant préréflexifs (agentivité) que réflexifs(jugements d’attribution, troubles mnésiques et exécutifs)comme mécanismes de base des hallucinations.

Au vu des données actuelles, il apparaît évident quedes altérations concomitantes peuvent survenir à différentsniveaux de la hiérarchie du traitement de l’information etqu’un modèle en particulier ne peut expliquer à lui seul lagenèse du symptôme hallucinatoire. Malgré tout, il sembleque des difficultés mnésiques et exécutives soient asso-

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ciées de manière plus ou moins robuste à la présence desymptômes hallucinatoires, sans pour autant parler d’unquelconque lien de causalité.

Cette association apparaît significative tant chez desindividus sains prédisposés aux hallucinations [24, 27, 36],chez des individus non psychotiques « entendeurs de voix »(ou voice hearers), chez ceux présentant des traits de per-

sonnalité schizotypique, chez des patients souffrant deschizophrénie et d’HAV [25, 26] ou d’HO [30], chez despatients souffrant de la MP et présentant des HV [28, 35], etenfin chez des patients présentant des troubles épileptiquesavec HA et ophtalmiques avec HV.

Forts de ces considérations, les professionnels de la neu-ropsychologie ont à leur disposition plusieurs outils, nonseulement relationnels, psychométriques mais surtout neu-ropsychologiques afin d’évaluer plus précisément, en casde suspicion de présence du symptôme hallucinatoire, lescapacités exécutives et mnésiques de la personne concer-née. L’identification (présence ou non) et la caractérisation(modalités sensorielles. . .) du symptôme sont essentiellesà la prise en charge d’un patient quel que soit le contextenosographique. Il s’agira bien souvent d’une première étapedans la prise de conscience de la maladie s’il y a lieu(insight), et dans la compréhension des symptômes qui endécoulent, et renforcera l’alliance thérapeutique indispen-sable à un suivi de qualité.

Loin de se restreindre à un cadre nosographiqueunivoque, notamment en psychiatrie, les hallucinations seretrouvent également, nous l’avons vu, au décours d’un cer-tain nombre de pathologies comme lors du développementnormal. Malgré les avantages de l’approche catégorielleinstaurée à l’origine par Kraepelin et perpétuée au traversdes différentes versions des classifications internationales,telles que le Diagnostic & Statistical Manual Of MentalDisorders (DSM) (prise de décision thérapeutique, critèresd’inclusion/d’exclusion en recherche, reproductibilité etcommunication des résultats entre professionnels), celle-cise retrouve sérieusement mise à mal par ce symptôme.En effet, non spécifique d’un point de vue étiologique etimpliquant des processus cognitifs communs, ce symptômegagnerait à être exploré dans un cadre dimensionnel etdiachronique [48]. Van Os et al. mettent en évidence quecette approche dimensionnelle pourrait être égalementplus adaptée pour l’élaboration des projets de soinspersonnalisés au quotidien [49]. Elle permet par ailleursune destigmatisation du symptôme hallucinatoire aux yeuxde tout un chacun d’une part, et d’autre part, l’ouverturesur des perspectives intéressantes tant en recherche qu’enpratique clinique.

L’approche cognitive participe donc pleinement, aumême titre que l’imagerie cérébrale et la neurophysiologie,à cette conception dimensionnelle. Même si les donnéesrecensées ici nécessitent encore réplication, le symptômehallucinatoire nous semble devoir tendre vers une entitéà part entière, évaluée et prise en charge de manièrespécifique.

Se pose bien sûr la question de la causalité entre symp-

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tômes hallucinatoires et troubles cognitifs. Il reste de cepoint de vue difficile de savoir si les troubles cognitifsrencontrés chez les sujets hallucinés sont causés par cessymptômes ou inversement. Des atteintes cognitives sonten effet retrouvées dès les stades précoces d’un trouble psy-chotique, et persisteraient malgré la prise de traitement, cequi laisse actuellement penser que ces marqueurs cogni-

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Article de synthèse

tifs seraient davantage des facteurs de vulnérabilité (trait) del’hallucination. La stabilité des troubles cognitifs pourraitd’ailleurs être davantage explorée dans cette perspective demécanisme « trait » ou « état », étant donné le caractèrephasique (i.e. non permanent) des hallucinations.

Des perspectives de recherche émergent également deces nouvelles données. Les différentes modalités senso-rielles mériteraient d’être davantage explorées. Il existeactuellement quelques similitudes quant aux modélisa-tions des HA, HV et des HO, de par les difficultésd’attribution de la source, ainsi que de l’influence prépon-dérante des facteurs top-down, mais très peu d’études sontdisponibles concernant les hallucinations gustatives et tac-tiles, notamment concernant leur modélisation. L’approchetransdiagnostique reste elle aussi trop peu envisagée, alorsmême qu’elle permettrait de mettre en évidence les méca-nismes cognitifs communs impliqués dans l’émergence etdans le maintien de l’hallucination, indépendamment deceux associés à la schizophrénie. Garety et al. placent parexemple les émotions au centre de leur modèle des symp-tômes positifs. Il a en effet été démontré que les émotionspouvaient déclencher et contribuer au maintien des hal-lucinations (notamment chez les patients présentant destroubles dépressifs ou anxieux) mais avaient également unimpact sur le contenu (i.e. la congruence à l’humeur dans letrouble bipolaire ou des voix angoissantes chez les patientsschizophrènes avec faible estime de soi). Enfin, d’un pointde vue méthodologique, les procédures transdiagnostiquesgagneraient également à intégrer des populations contrô-les supplémentaires, telles que des sujets « entendeurs devoix », mais ne répondant pas aux critères diagnostiques

d’un trouble psychiatrique constitué. Cela permettrait éga-lement d’obtenir des données propres aux hallucinations,indépendant de facteurs confondants tels que la chronicitéd’évolution d’une pathologie neurologique ou psychia-trique, la médicamentation ou encore les hospitalisationsrépétées.

La neuropsychologie cognitive propose un niveaud’analyse intermédiaire entre la recherche d’un sub-stratum neurophysiologique et l’observation clinique dessymptômes. Au même titre que l’étude des diagnosticsdifférentiels, l’étude du symptôme hallucinatoire offre lapossibilité de mettre à l’épreuve les modèles de la psy-chologie cognitive, développés chez le participant sain,et de les enrichir à partir des résultats de l’imageriecérébrale, de la neurophysiologie et la neuropsychologie.L’étude des troubles cognitifs associés à l’hallucinationapparaît centrale, puisqu’ils semblent non seulement pré-céder l’éclosion de certaines pathologies et accompagnerleur évolution, mais également persister malgré les traite-ments établis. Par ailleurs, il a été démontré que ces troublescognitifs contribuaient de manière déterminante aux diffi-cultés fonctionnelles dans le quotidien des patients, tant àun niveau social que professionnel, et qu’ils seraient mêmeun des meilleurs prédicteurs de leur évolution à long terme[50], justifiant par là même une prise en charge spécifiqueau travers de la remédiation cognitive.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt enrapport avec cet article.

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