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“Jeunes a risque”: Genealogie d’un langage problematique
CAROLINE CARON
Universite du Quebec en Outaouais
MARGUERITE SOULIERE
Universite d’Ottawa
Se referant aux etudes sur la gouvernementalite, cet article propose unegenealogie de la categorie des “jeunes a risque” dans les recherches surles adolescents et les jeunes adultes. La societe du risque, les lieux dediffusion des savoirs scientifiques, les axes prioritaires du financementpublic et les structures institutionnelles encadrant la pratique deschercheurs forment une conjoncture singuliere ou a pu s’elaborer unveritable langage des “jeunes a risque.” Fruit d’une demarche dereflexivite critique, l’analyse souligne la responsabilite des chercheursdans la legitimation de ce langage problematique et les defis quecomporte le projet de le transformer.
Based on governmentality studies, this article sketches out a genealogyof the “youth at-risk” category in contemporary youth studies. Aconvergence of risk society, sites of dissemination for youth research,state priorities in research funding, and institutional structures thatframe research practices serve to create a unique historical moment forthe emergence of regulatory “youth at-risk” language. As part of a criticalreflexive approach to youth research, this article underscores youthscholars’ responsibility to challenge this problematic language and pinsdown some of the difficulties this project faces in the academy.
Les auteures remercient Arianne Cote pour sa participation a la recherche documentaire et a la codi-fication du corpus bibliographique, ainsi que ses demarches aupres des organismes subventionnaires.Elles remercient aussi Frederic Hodgson pour la correction linguistique du texte. Les auteures recon-naissent la part egale de leur contribution dans la redaction de cet article. Elles remercient egalementle comite de redaction et les evaluateurs anonymes pour leurs commentaires et suggestions qui ont per-mis d’ameliorer la premiere version de ce texte. Enfin, Carol DiPalermo est chaleureusement remercieepour son minutieux travail d’edition.
Caroline Caron, Departement des Sciences Sociales, Universite du Quebec en Outaouais, 283 boulevardAlexandre-Tache, bureau C-3335 C.P. 1250, succursale Hull Gatineau, QC, Canada J8X 3X7. E-mail:[email protected] et Marguerite Souliere, Ecole de service social, Universite d’Ottawa, 120, rueUniversite, bureau 12032, Ottawa, Canada K1N 6N5. E-mail: [email protected]
C© 2013 Canadian Sociological Association/La Societe canadienne de sociologie
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CE TEXTE A pour point de depart notre questionnement commun sur laresponsabilite des chercheurs dans la distorsion des representationssociales de l’adolescence et de la jeunesse (Lesko 1996, 2001). Plusieursadolescents interroges dans nos travaux respectifs (Caron 2009; Souliere2009) expriment avec frustration leur perception d’un decalage importantentre leur experience subjective de l’adolescence et les representationsqu’en donnent les experts et les chercheurs universitaires dans les mediaset les milieux savants. Rapportant sa stupefaction a la lecture d’un articlescientifique portant sur la consommation de drogues chez les adolescents,Mireille, 15 ans, s’offusque: “A la fin de leur recherche, les chercheurspresentaient une liste de mots employes par les jeunes pour parler desdrogues a l’insu des adultes. Eh bien, je suis jeune, et pourtant, je ne lesconnais meme pas!! Comme jeune, je ne me reconnais pas dans ce genred’article!”
Les chercheurs s’entendent generalement sur le fait que les jeu-nes consommateurs de drogues, comme les jeunes dits “vulnerables,” “aproblemes” ou “ a risque”, ne constituent pas un echantillon representatifde la population adolescente. Pourtant, c’est principalement a travers leprisme deformant de ces categories stigmatisantes que les realites des jeu-nes tendent le plus souvent a etre apprehendees. En tant que chercheuresœuvrant de dans le champ de la jeunesse et de l’adolescence, commentassumer la part de responsabilite qui nous revient dans ce phenomene?Lorsque la production des connaissances est en grande partie mobiliseepour pointer vers la marge, vers ce qui fait defaut ou ce qui s’ecarte de lanorme, n’y a-t-il pas lieu d’interroger l’objet de recherche qui est au cœurmeme de notre travail scientifique? Et le langage que nous utilisons pourparler des jeunes en leur nom?
Dans un souci de representation ethique et d’inclusion de la diversitede la jeunesse, les New Childhood Studies et les Critical Youth Studiesont emerge dans les annees 1990 en tant que courant de recherche en-gage dans la formulation et la mise en œuvre d’alternatives aux theorieset aux methodologies traditionnelles de la psychologie developpementaleet de la sociologie de la jeunesse et de la famille (James et Prout 1990;Jenks [1996] 2005; Lesko 1996). La reflexivite1 est non seulement partieintegrante de ce courant critique, elle en dynamise, de plus, les priorites
1. A la suite des ecrits de Michel Foucault sur le savoir-pouvoir, les Critical Youth Studies adherent a unedefinition de la reflexivite qui s’etend au-dela des proprietes iteratives des processus de recherche. Cetteapproche �critique� de la reflexivite remet en cause les rapports inevitablement hierarchises entreles chercheurs adultes et les participants de recherche d’age mineur (voir Best 2007). L’ethique de cesrapports et le role de la subjectivite des chercheurs dans le processus de production des connaissancesont fait l’objet d’une volumineuse documentation au sein de ce courant (voir Alderson et Morrow 2011;Tisdall, Davis, et Gallagher 2009). Dans cet article, notre projet pointe dans une autre direction,cherchant plutot a situer le chercheur contemporain dans la conjoncture historique singuliere quioriente la pratique de son metier. Nous le verrons dans cet article, une telle approche de la reflexivitepermet d’aborder la question des rapports de pouvoir qui marquent la pratique de la recherche del’exterieur (le contexte institutionnel, social et politique au sein duquel celle-ci est exercee), plutot quede l’interieur (le processus de recherche: les etapes et les procedures de son deroulement).
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et les axes de recherche (Best 2007). Elle denote un “engagement radi-cal” envers l’etablissement de rapports ethiques, voire egalitaires, entrechercheurs (adultes) et (jeunes) participants de recherche, ainsi qu’une re-connaissance de la position privilegiee qu’occupent les savoirs cautionnespar l’institution universitaire dans la construction de la realite sociale: “we[must] recognize that the account we provide [as youth scholars] shape andconstruct reality as much as they describe it” (Best 2007:9). Vu sous cetangle, la responsabilite des chercheurs ne s’arrete pas a la reconnaissancedes effets de distorsion induits par l’abondante masse de travaux et de dis-cours traitant des “jeunes a problemes” et des “jeunes a risque,” elle appelleun projet de transformation des representations que faconne un langage,lui-meme issu et perpetue par des connaissances produites a travers lescheme dominant de la pensee du risque. C’est ce projet de transformationqui motive notre demarche commune dans ce premier article conjoint.
Dans nos travaux de recherche respectifs anterieurs menes aupresd’adolescents (Souliere 2008) et d’adolescentes (Caron 2009), nous nousetions engagees, chacune de notre cote, dans l’elaboration de cadresmethodologiques centres sur la responsabilite ethique que comporte lefait de parler a la place des jeunes et en leur nom. Nous avons par lasuite joint nos efforts dans une demarche commune de conceptualisationde principes qui pourraient constituer, selon nous, les bases theoriques etpratiques d’une methodologie engagee de recherche “avec” les jeunes. Ilnous a semble, toutefois, que la realisation et la mise en œuvre de ce projetnecessitaient une analyse prealable de certains elements contextuels danslesquels sont ancres les dispositifs faconnant et regulant la pratique dela recherche aujourd’hui. L’environnement sociohistorique et institution-nel dans lequel ce processus prend place affecte de maniere determinante,croyions-nous, non seulement son deroulement, mais aussi ses limites etses possibilites.
Dans cet article, qui sera eventuellement suivi d’un texte por-tant sur des principes methodologiques de recherche “avec” les jeunes,nous souhaitons forer une breche permettant d’eclairer le processus derecherche non pas de l’interieur (les phases de son deroulement), maisplutot de l’exterieur (le contexte de son deploiement). Nous proposons,de maniere plus specifique, une analyse genealogique du langage durisque qui nous semble constituer un facteur structurant determinant dansl’exercice du metier de chercheur aupres des jeunes aujourd’hui. Suivantla methode initialement proposee par Michel Foucault (2001:105), unegenealogie propose une “histoire du present,” c’est-a-dire, dans le contextede cet article, une mise en lumiere de diverses series d’incitatifs, de sites,de techniques et de procedures qui facilitent et encouragent le recours a lacategorie du risque quand il s’agit de documenter les realites que viventles jeunes.
Notre expose montrera qu’un langage du risque s’est impose, voire na-turalise, au fil du temps, grace a l’instauration d’un paradigme de
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recherche centre sur la notion de risque et la categorie des “jeunes a risque.”En examinant le contexte sociohistorique qui a produit cette categorie—lasociete du risque—nous montrerons, dans la premiere partie, que le lan-gage des “jeunes a risque” est le produit de contingences historiques etqu’a ce titre, ce langage possede une histoire qu’une pratique de recherchereflexive et engagee ne saurait ignorer.
Dans la deuxieme partie du texte, nous examinerons l’ampleur dela dispersion de ce langage en examinant certains sites ou celui-ci sedeploie de maniere influente en depit des critiques methodologiques enayant serieusement erode les fondements scientifiques. Notre examen ap-profondi des bases de donnees des revues specialisees et notre investigationexploratoire des subventions publiques de recherche au Canada releventde choix methodologiques en accord avec la theorisation de la gouverne-mentalite proposee par Peter Miller et Nikolas Rose (2008:14–16). Selonces auteurs, dans les democraties liberales avancees, la gestion du socialprocede d’une part, de manieres de penser, c’est-a-dire de “rationalites” ou“rationalites politiques” qui soumettent le monde social a des calculs et desprogrammes, et, d’autre part, de manieres d’agir sur le monde social, c’est-a-dire de “technologies” qui traduisent ces rationalites en programmesd’action a des fins de gouvernement des populations. L’expertise joue unrole essentiel dans ce processus de gestion du social (Rose et Miller [1992]2010), d’ou l’allocation de fonds publics pour la recherche dans des secteursdesignes prioritaires et l’importance determinante des savoirs scientifiquesdissemines dans les revues specialisees qui leur conferent un statut descientificite et donc, de legitimite sociale et politique.
Alors que le monde de la recherche tend a se representer en dehorsdu politique, l’approche analytique de la gouvernementalite montre qu’ilen va tout autrement (voir Kelly 2000; Kemshall 2010). Pour Rose etMiller ([1992] 2010:279), le gouvernement est une vaste entreprise deproblematisation du social qui ne peut etre accomplie ni directement niseulement par l’Etat; cette problematisation se materialise a travers unprocessus dynamique non centralise permettant la traduction (translation)de rationalites politiques en programmes de gouvernement. La troisiemepartie de notre expose examinera le contexte institutionnel qui faconnele travail du chercheur universitaire aujourd’hui, orientant sa pratiqueprofessionnelle sur la voie de l’administration des conduites individu-elles et collectives (Rose et Miller [1992] 2010). Examinant les fonde-ments de l’etude des problematiques psychosociales et des realites desjeunes d’aujourd’hui, cette partie de notre expose mettra en lumiere unecontrainte epistemologique institutionnalisee du risque, qui se pose enobstacle au double projet que constituent la transformation du langagedes “jeunes a risque” et le decentrage du paradigme de recherche luietant associe. Cette derniere etape de notre analyse souligne la fertilited’une pratique de recherche reflexive soucieuse de situer la pratique pro-fessionnelle du chercheur au confluent de contingences sociohistoriques,
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institutionnelles et politiques. Nous terminerons en abordant la questiondu positionnement du chercheur dans cette vaste entreprise de gouverne-mentalite.
Selon Rose et Miller ([1992] 2010:299), la possibilite de creer des al-ternatives aux modes contemporains de gestion du social depend en bonnepartie de notre capacite a comprendre comment le pouvoir s’exerce, dansles democraties liberales avancees, a l’exterieur de l’Etat. Nous croyonsqu’une genealogie de la categorie des “jeunes a risque” constitue unemethode d’analyse du present pouvant nous aider a nous situer, commechercheurs, dans cette conjoncture contemporaine eminemment complexe.Nous croyons qu’une meilleure comprehension du role de l’expertiseacademique dans la gestion du social, et des contraintes institutionnaliseesa produire et reproduire un langage normalisant, ouvre la voie a une vi-gilance critique et a une approche realiste pouvant constituer une condi-tion prealable fructueuse au projet de creation de nouveaux vocabulaireset modes d’apprehension des realites des jeunes. Fruit de notre demarchereflexive, ce point de vue souligne notre preoccupation ethique d’engendrerdes rapports egalitaires et solidaires avec les jeunes avec lesquels noustravaillons.
LES “JEUNES A RISQUE”: UNE CATEGORIE ET UNEMETAPHORE DES SOCIETES POSTINDUSTRIELLES
Dans l’influent ouvrage Risk society. Towards a new modernity, le socio-logue allemand Ulrich Beck (2001) decrit l’avenement de la “societe durisque” comme une condition mondialement partagee des societes postin-dustrielles. Cette transition survient, convient-il, lorsque la perception dedangers et de menaces se met a guider les representations et les pratiquesd’une societe (Beck dans Te Riele 2006:133).
Au debut des annees 1980, des accidents tragiques dans certainescentrales nucleaires (Three Miles Island en 1979 et Tchernobyl en 1986)et une usine de pesticides (Bhopal en 1984) commencerent a ebranler lescertitudes scientifiques et la confiance envers les progres technologiquesqui sont aux fondements des societes industrielles. Dans les annees 1990–2000 survinrent aussi de graves problemes de contamination d’eau, de sanget d’animaux en Amerique du Nord et en Europe. Comment cela avait-ilpu se produire? Quelles en seraient les consequences? Ces evenementsont demontre que les societes postindustrielles sont menacees par leurspropres activites et que les institutions echouent a assurer un controlesecuritaire adequat. C’est dans cette conjoncture sociohistorique que s’esteffectuee la transition des societes postindustrielles aux societes du risque(Burton-Jeangros 2004).
Dans les memes annees, de la fin des annees 1980 au debut des annees1990, un nouvel ordre politique et economique mondial s’est consolide apres
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la dissolution du Bloc de l’Est. Les institutions democratiques des Etats-Nations, tout comme leur pouvoir politique, se sont fragilisees au sein desfrontieres nationales. Avec la mondialisation des marches, les ententes delibre-echange, la dereglementation et la privatisation que promouvaientles organisations economiques transnationales (FMI, OCDE, BM), s’estimposee une marchandisation de tous les secteurs de l’activite humaine. Ceneoliberalisme transnational a accentue l’impression d’une perte d’emprisesur le present local (competitivite a l’echelle de la planete, restructurationet fermeture d’entreprises, pertes d’emplois). Il a aussi accru le sentimentd’incertitude face a l’avenir (krach economique et surendettement).
Contrairement aux societes industrielles organisees autour d’unelogique de classes qui poursuivent un ideal d’egalite, les societes du risquesont preoccupees de controle securitaire: “Tandis que l’utopie de l’egaliteest riche d’une quantite d’objectifs de transformations sociales a contenupositif, l’utopie de la securite reste singulierement negative et defensive: aufond, il ne s’agit plus d’atteindre quelque chose de bien, mais simplementd’empecher que ne se produise le pire” (Beck 2001:89–90, italiques dansl’original).
Pour debusquer aujourd’hui les dangers susceptibles de compromettrela securite presente et future des populations et des nations, les societesdoivent se mettre sous examen perpetuel. Cette transformation socio-historique importante, induite par le regard scrutateur des societes surelles-memes, est qualifiee de “modernisation reflexive” par Ulrich Beck.Selon lui, notre epoque assiste moins a un accroissement de risques qu’aune perception accrue de ceux-ci, a cause, justement, de la categoriecensee les neutraliser: le risque. Une societe tout occupee a debusquer lesrisques d’aujourd’hui et de demain accroıt inevitablement sa perception del’instabilite et de la dangerosite du monde.
Comme mode de pensee, le risque traverse les societes postindus-trielles de part en part, articulant etroitement l’idee de menace a celledu controle (Peretti-Watel 2000). Il se presente comme un mode de raison-nement rationnel et efficace permettant la prediction et la prevention desdangers omnipresents, reels ou anticipes. Procedant de calculs proba-bilistes a grande echelle, la notion de risque est passee d’un conceptmathematique neutre a un synonyme de danger qui dicte le present et“colonise le futur” (Lupton 1993; Peretti-Watel 2000). Bref, la pensee durisque elabore un rapport au monde qui produit des representations du reelreliant les menaces du monde incertain aux preoccupations securitaires,posant ainsi l’imperatif d’un controle croissant.
C’est dans cette conjoncture sociohistorique que la categorie des “jeu-nes a risque” a pu etre constituee. Alors que les jeunes delinquants rete-naient principalement l’attention de la sociologie de la jeunesse dansles annees 1960 et 1970, circonscrite d’ailleurs a une sociologie de ladeviance (voir Cohen [1972] 2002; Hall et al. 1978), l’avenement dela societe du risque a substitue la categorie totalisante des “jeunes a
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risque” a celle, beaucoup plus circonscrite, des jeunes “deviants” ou “dan-gereux.” Selon Kelly (2000), cette transition a opere une transformationdeterminante et durable des representations sociales de l’adolescence etde la jeunesse. Desormais, chaque comportement, chaque pratique socialeet chaque groupe de population peuvent etre envisages comme des risquespresents ou futurs pour soi-meme, autrui, et la societe. Dans les societesdu risque, ce ne sont plus seulement les jeunes deviants—marginaux,drogues, delinquants—qui compromettent l’avenir de la societe: tous lesjeunes risquent de devier, a un moment ou l’autre, d’une trajectoire etd’un futur desirables. Conformement a la pensee duale qu’elle incarne, lapensee du risque invite alors a documenter les menaces et a indiquer desmoyens de controle susceptibles d’eviter que le pire ne survienne parmi lesjeunes ou encore, a cause des jeunes.
La jeunesse, l’adolescence en particulier, est la metaphore parfaitedes societes du risque. A l’image des Etats et des economies geopolitiquesmondiales, les adolescents sont consideres etre en transition et relative-ment demunis devant la complexite des defis poses a leur “developpement.”Meme si l’approche du risque n’est qu’une des modalites de la rechercheet de l’intervention dans le secteur de la jeunesse, il demeure frequent,dans le langage courant des chercheurs et des milieux d’intervention, deparler des adolescents a partir de risques et de problemes. Cet automa-tisme semble traduire le rapport ambigu des adultes envers les jeunes:ces derniers inspirent un espoir qui est mitige par la crainte de les voirechouer a devenir les citoyens dont nos societes ont besoin (Lesko 2001).Les jeunes incarnent le futur, mais dans un monde incertain ou l’avenirsuscite tant d’apprehensions, ils incarnent aussi l’idee meme du risque etfont peur, en quelque sorte.
LES “JEUNES A RISQUE”: UN PARADIGME DERECHERCHE ET UN LANGAGE PROBLEMATIQUES
Diffusion savante et subventions de recherche
La notion de “jeunes a risque,” nous venons de le voir, est issue du contextesociohistorique particulier des societes du risque. Cette nouvelle categories’est imposee comme theme recurrent de preoccupation dans les pays oc-cidentaux depuis les annees 1980 (Bessant, Hil, et Watts 2003; Molgat2011). Aux Etats-Unis seulement, plus de 2 500 articles et conferencesayant porte sur ce theme ont ete recenses pour les annees allant de 1989 a1995 (Swadener et Lubeck 1995). En Angleterre, une analyse recente despublications gouvernementales parues entre 1997 et 2010 montre que sile recours a la notion de risque a ete restreint a la criminologie dans unpasse recent, elle s’insinue desormais dans tous les champs et disciplinespouvant possiblement etre lies aux jeunes (Turnbull et Spence 2011).
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Aux fins de notre analyse genealogique de la categorie des jeunes arisque, nous sommes allees voir d’un peu plus pres l’ampleur de sa disper-sion dans les revues savantes. Avec plus de 6 000 publications academiquestraitant des jeunes dans une perspective de risque recensees dans les basesde donnees consultees au cours des six dernieres annees, notre proprerecension des ecrits2 confirme que dans le domaine de l’enfance et dela jeunesse, la recherche, les politiques publiques et l’intervention psy-chosociale s’enoncent et se mettent largement en œuvre en reference acette categorisation. Il nous paraıt toutefois particulierement significatifque nos requetes dans les mots-cles a partir des syntagmes “jeunes arisque” et “at-risk youth” aient echoue a rendre compte des proportionsreelles de la recherche menee aupres ou a propos des jeunes dans cetteperspective. Cela semble effectivement corroborer l’idee que le conceptde “jeunes a risque” ne renvoie pas tant a une categorie se referant ades segments de population, qu’a un veritable langage “ordinaire,” uneforme de scheme de pensee herite d’une approche de recherche s’etantinstituee en veritable paradigme de recherche au cours des dernieresdecennies.
La base de donnees Scholars Portal, qui interroge environ 13 500 re-vues specialisees dans le monde et plus de vingt millions d’articles revisespar les pairs, repertorie seulement 21 documents ayant ce syntagme pourmot-cle pour la periode 2006–2012.3 Pourtant, la meme requete dans lesresumes et dans le contenu des articles produit des resultats exponen-tiels: 146 resumes d’articles contiennent au moins une occurrence du con-cept “jeunes a risque,” tandis que ce dernier apparaıt dans le contenude 1 990 articles! En combinant les termes “jeunes” et “risque,” notrerequete limitee aux seuls resumes d’articles a repere pres de 6 000 ar-ticles, soit 40 fois plus de resultats qu’a la toute premiere recherche!Etendue au contenu des articles, la meme requete dans le contenu desarticles a fait litteralement exploser ces resultats avec plus de 100 000occurrences.
Des resultats comparables ont ete obtenus a notre examen som-maire des resultats des concours nationaux du CRSH. Une investiga-tion, meme sommaire, de l’octroi de subventions publiques de recherchenous paraissait egalement incontournable. Il s’agit la d’un dispositif ma-jeur de traduction des rationalites politiques sous forme de programmes
2. Du mois d’octobre 2011 au mois de juillet 2012, nous avons interroge plusieurs fois les bases de donneesERIC, FRANCIS, Erudit et Scholars Portal. Le corpus d’articles publies en francais et anglais que nousavons constitue a ete code grace a l’identification, a partir des titres et des resumes, des themes etdes sous-themes traites, ainsi que l’orientation privilegiee dans leur traitement (positive, neutre ounegative).
3. Notre recherche etant exploratoire, nous avons initialement limite la periode investiguee aux cinqdernieres annees. Nous avons par la suite redefini la periode et effectue de nouvelles requetes afind’uniformiser nos resultats avec la periode couverte par l’information fournie par le CRSH, dont il seraquestion plus loin.
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qui produisent et renforcent une certaine problematisation du social(Miller et Rose 2008; Rose et Miller [1992] 2010). Parmi les 349 projets por-tant sur la jeunesse contemporaine qui ont obtenu le financement sollicite,seulement 25 titres de projets recourent explicitement a la categorie ou al’approche du risque, soit 7% des projets finances.4 Un examen des titresdes projets permet toutefois d’identifier 129 occurrences lexicologiques ap-partenant aux champs semantiques de la prevention, de la violence, dela deviance, de la delinquance et des troubles du developpement—desthematiques generalement inscrites dans le registre du risque—faisantalors passer les resultats a 37%.
En depit du caractere parcellaire de ces resultats, qui pourraientetre investigues plus a fond ulterieurement, et malgre les limites dece coup de sonde exploratoire, ces derniers nous paraissent revelateurs.Ils illustrent, en effet, que la recherche sur les “jeunes a risque” n’apas besoin de recourir explicitement au vocabulaire du risque pour sedeployer, car elle s’enonce surtout en fonction d’imperatifs de prevention(precoce) et de transition (reussie) (voir Parazelli, Levesque, et Gelinas2012): c’est une maniere de penser, au sens de “rationalites politiques”(Miller et Rose 2008; Rose et Miller [1992] 2010). Or, la fonction des ra-tionalites politiques, qui reposent sur les savoirs tires non pas de l’Etat,mais de formes variees d’expertise, est de soumettre le monde social ades technologies de gouvernement, c’est-a-dire, des manieres d’agir sur lemonde. Davantage qu’une rhetorique, le langage des jeunes a risque estune “technologie intellectuelle” qui traduit en programmes de gouverne-ment (action) une expertise permettant de gouverner la conduite des indi-vidus (savoir) dans les democraties neoliberales avancees (Rose et Miller[1992] 2010).
Par ailleurs, les resultats presentes en annexe illustrent que ce sontmajoritairement les projets centres sur les problemes et les problematiquessociales qui recoivent un financement materiellement et symbolique-ment superieur a la moyenne. Bien qu’il importe certainement de lestraiter, force est de constater que ces problematiques se rapportent ades experiences de vie toutes particulieres: ce n’est qu’une minorited’adolescents, par exemple, qui fait l’experience de l’itinerance, des gangsde rue ou de la detention dans un etablissement carceral pour jeunesdelinquants. Les ecarts parmi les montants accordes sont, a cet egard,eloquents. Si les projets finances recoivent un montant moyen s’elevanta un peu plus de 25,000$, 32 projets se demarquent par l’obtention
4. Seules les donnees procurees par le CRSH sont assez significatives pour etre discutees dans cet article.Elles comprennent le nom et l’affiliation institutionnelle des candidats, le titre du projet soumis, lemontant accorde, l’annee d’attribution et le code de programme pour les annees 2006–2010. Nous avonsestime pertinent d’examiner de pres le vocabulaire employe par les chercheurs dans le titre donne aleur proposition de recherche. Un titre a pour fonction d’exposer succinctement et clairement la naturedu projet et de capter l’attention. En sa qualite de condense, il suppose une reflexion strategique duvocabulaire employe. Dans une etape ulterieure de notre demarche, il serait pertinent d’approfondir cetexamen en incluant les projets eux-memes, ce qui n’etait pas possible pour les fins du present article.
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de sommes “nettement superieures” (45,000$ a 74,999$) ou “exception-nelles” (plus de 75,000$). Seulement 10 de ces 32 projets beneficiant deressources accrues annoncent une approche s’ecartant de l’approche dite“a problemes.” La majorite, soit 22 d’entre eux, traitent de delinquance etde violence juveniles, ou encore, de problematiques liees au developpementpsychosocial, telles les difficultes affectives, la puberte et les comporte-ments sexuels precoces, la maternite adolescente, l’itinerance, l’anorexieet la boulimie.
D’un cote, les donnees examinees confirment que dans l’ensemble,la recherche subventionnee sur la jeunesse est diversifiee, faisant ap-pel a un large eventail de perspectives theoriques et methodologiques.De l’autre, les projets finances a hauteur “nettement superieure” ou “ex-ceptionnelle” tendent a s’enoncer en fonction d’un scheme de pensee etd’un paradigme de recherche centres sur la notion de risque. Autrementdit, pris dans leur ensemble, les resultats des concours nationaux illus-trent la coexistence bien reelle de l’approche du risque avec une plu-ralite d’approches et de discours savants. Toutefois, les disparites dans lessommes octroyees indiquent clairement une inegalite de statut: le poidsrelatif de la recherche centree sur ce qui pose probleme, ou ce qui pourraiteventuellement poser probleme, est nettement preponderant au plan dela valorisation materielle et symbolique. Or, la preponderance de travauxconcernant des segments somme toute marginaux de la population jeuneentretient des representations sociales negatives et biaisees qui se repor-tent sur l’ensemble des jeunes.
Notre investigation nous amene a constater, enfin, que la categorie des“jeunes a risque” est devenue beaucoup plus englobante que ne l’etaientauparavant, dans la sociologie et la criminologie des annees 1960 et 1970,les notions de jeunes “deviants” et “dangereux.” Alors qu’a l’epoque, ladelinquance et la deviance juveniles faisaient l’objet d’une bonne part dela recherche sur les jeunes, le langage des “jeunes a risque” opere main-tenant a la maniere d’un spectre immense, scrutant un eventail quasi infinide thematiques et de problematique sociales: delinquance, criminalite, vio-lence (subie ou perpetree), sexualite (maladies transmises sexuellement,abus sexuels, precocite des comportements sexuels, parentalite adoles-cente), education et insertion socioprofessionnelle (decrochage scolaire,chomage, pauvrete), et habitudes de vie (malnutrition, obesite, sedentarite,consommation d’alcool et de drogues, conduite au volant). Comme l’avaientconstate, il y a dix ans, les auteurs Bessant et al. (2003), la pensee du risquene s’incarne pas seulement dans les spheres academiques, elle se propagedans plusieurs secteurs d’activite:
Talk about risk has been rendered “normal” and part of the contemporarycommon sense in social science disciplines including social work, sociology,the health sciences, psychology, criminology, and youth work. Talk of riskhas also percolated into the human services professions working directly
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with individuals, families, and neighbourhoods. In these agencies the talkof “risk” is of “risk indicators,” “risk reduction,” and “risk management.” In-deed, one should find it difficult these days to find a government agency orcommunity sector organisation working in human services that does not ac-cept the concept of risk in their daily operations. (Pp. 2–3)
Meme si la proliferation des risques et de leur construction sociale aemprunte, en sciences sociales, une multitude d’approches theoriques etde cadres conceptuels (Chantraine et Cauchie 2008:65–66), c’est bel et bienune forme de raisonnement et un langage communs qui leur conferent uneintelligibilite (Schinckus 2008; Swadener et Lubeck 1995). La documen-tation critique sur l’approche du risque dans le secteur de la jeunesse aquestionne les fondements scientifiques de ce langage en soulignant, no-tamment, son ambiguıte conceptuelle et l’inadequation d’un paradigmemodele sur le modele epidemiologique.
Ambiguıte d’un langage et inadequation d’un paradigme
Une premiere critique de flou conceptuel se traduit par une categorisationtout aussi ambigue des populations dites a risque. Dans la documentationexaminee, nous avons pu degager au moins trois interpretations distinctesde ce qui y est generalement englobe. Selon une premiere interpretation,les jeunes a risque renvoient a des segments de population consideresvulnerables par exposition a des facteurs de risque (generalement correlesaux situations familiales et aux conditions socioeconomiques). Une secondeinterpretation recourt plutot a la notion de conduites a risque, procedantd’une identification de comportements juges nocifs ou dangereux: con-duite automobile temeraire, consommation de drogue et d’alcool, precocitesexuelle, modes et styles de vie atypiques (voir Colombo 2010; Le Bre-ton 2007). Enfin, une troisieme interpretation courante voit les jeunescomme un risque pose a la societe. Cette representation se batit surles phenomenes de deviance et de mesadaptation sociale: delinquancejuvenile, trafic de drogue, gangs de rue, decrochage scolaire, etc. C’estcette derniere interpretation qui est au cœur du resserrement des cadreslegislatifs auxquels ont recemment procede plusieurs pays, dont le Canada,a propos des jeunes contrevenants.
Une deuxieme critique importante, dans la documentation interna-tionale investiguee, concerne les limites et les derives possibles du modeleepidemiologique, a l’origine de l’approche du risque, dans l’analyse desproblematiques en sciences sociales. Certains auteurs insistent sur le faitque le risque n’est pas le danger en soi, mais l’outil et le produit de calculsactuariels fondes sur l’agregation de donnees (Kemshall 2010). Il s’agit lad’une nuance importante, puisqu’elle revele que l’approche centree sur lerisque substitue la probabilite a la cause (Pierret 2008:46). La notion de
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risque ne peut donc pas etre interpretee comme une realite objective aupresent ni comme un pronostic infaillible quant aux evenements futurs. Lapanoplie des risques imputes aux jeunes, dans le monde contemporain, neresulte donc pas d’une observation empirique ni d’une pensee neutre surle plan ideologique; elle reflete plutot un raisonnement probabiliste cher-chant a anticiper les problemes pour les prevenir ou les gerer (Cote 2001;Fine 1993; Kelly, 2000, 2001; Schinckus 2008; Schissel 2006). La subtilepermutation entre cause et probabilite n’est pas etrangere a la fausse per-ception, largement repandue, selon laquelle tous les jeunes iraient mal etferaient face a des dangers et des difficultes d’une ampleur inegalee. Cettefausse perception agit comme une distorsion cognitive, entretenant un cli-mat social anxiogene propice a l’accroissement du controle social enversles jeunes et a l’institutionnalisation de la mefiance envers eux (Barron2011; Caron 2009; Kelly 2001).
Notre analyse genealogique du langage et du paradigme des jeunesa risque met en relief les conditions de possibilites de son foisonnementa partir d’une etude des publications savantes et des organismes subven-tionnaires. Nous en arrivons a un double constat. En premier, la legitimiteinstitutionnelle de ce langage provient du fait qu’il renvoie aux rationalitespolitiques de par sa reference implicite a un postulat bien actuel (la me-nace de nouveaux dangers inherents aux societes du risque et l’imperatifde controle pour en assurer la protection). De plus, ces institutions de sou-tien et de diffusion de la recherche constituent de puissants leviers pourla problematisation du social dans une perspective de gouvernementalite.Elles participent de plain-pied, au moyen de la production d’expertise, ala gestion des conduites des jeunes. En effet, comme mentionne plus haut,les subventions les plus elevees sont octroyees a des projets qui promet-tent de proteger, prevenir, accompagner, outiller pour faire face a des en-jeux consideres comme majeurs (violence, sexualite, jeunesse autochtone,developpement, delinquance, etc.).
En deuxieme, nous constatons que la categorie des “jeunes a risque”et l’approche qui la sous-tend en recherche comme en intervention fontl’objet de critiques de la part d’experts issus des institutions memes quiproduisent et renforcent les paradigmes dominants. Cette critique peut-elle etre interpretee comme une breche (comme celle souhaitee dans lepresent texte) dans un apparent consensus? Jusqu’a quel point a-t-ellepour effet d’attenuer la performativite du langage et du paradigme des“jeunes a risque?” Cette critique contribue-t-elle a la transformation de cescheme de pensee dominant? Entre l’indeniable popularite de ce langageaupres des institutions subventionnaires et son utilisation problematiquedans la pratique de la recherche, comment nous responsabiliser, commechercheures aupres des jeunes? Comment transformer ce langage? Com-ment parvenir a considerer les jeunes et les adolescents en dehors de cescheme de reference devenu si familier?
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UNE CONTRAINTE INSTITUTIONNELLE AL’EPISTEMOLOGIE DU RISQUE
Notre analyse genealogique du langage du risque, initiee en vue d’eclairerles processus exterieurs qui conditionnent la pratique de la rechercheaupres des jeunes, conduit a une necessite de problematiser la positionqu’occupe le chercheur dans les structures institutionnalisees des produc-tions des connaissances. La fonction structurante des modeles dominantset la subordination de la recherche aux imperatifs de gouvernementaliteposent des limites importantes au projet de transformation des cadrescommuns de references sur les jeunes.
Fonction structurante des modeles de recherche dominants
La contextualisation du travail des chercheurs dans la vaste entreprisede gouvernementalite aide a mieux saisir le recours a certains modelesde recherche dominants qui ont investi avec autorite le champ de larecherche sociale, principalement celle qui touche les enfants, les jeuneset les familles.
En depit des reserves mentionnees plus haut en matiere de validitescientifique, la vision de la realite que repand le langage du risque seconcretise dans des etudes positivistes menees en epidemiologie socialeet modelisees en ecologie sociale du developpement. Cette approche faitfigure de reference en recherche sociale et dans les pratiques profession-nelles d’intervention (Lesemann 1992; Parazelli et al. 2003). Le modeleecologique social se presente sous forme de poupees russes ou s’emboıtentl’un dans l’autre des niveaux de structures qui ensemble represententl’environnement influencant le developpement d’une personne: du plusimmediat des relations dans la vie de tous les jours, au plus distancie, aupolitique, a l’economique et a l’ideologique (Bronfenbrenner 1977).
Ces modeles operent a partir du paradigme du risque (facteurs derisque, comportements, environnement, familles, etc. a risque). Or, ce lan-gage, et son application dans les modeles de recherche, presuppose desparametres de reference. Comme l’explique Kelly (2001) a propos des je-unes a risque, “Discourses of youth at risk are framed by the idea thatyouth should be a transition from normal childhood to normal adulthood.”(p. 24). Ce presuppose est loin d’etre neutre. Comme l’indique Souliere(2009), cette idee meme de “normalite” comporte une dimension descrip-tive (“ce que sont les choses dans la majorite des cas”) et prescriptive (l’idealqui la sous-tend mobilise des normes selon l’age, le sexe, la classe sociale,l’ethnicite, les capacites physiques et l’orientation sexuelle).
Suivant cette perspective normalisante, la recherche aupres des ado-lescents est fortement influencee par les approches behavioristes, elles-memes intriquees dans des theories sociobiologiques du developpement(Parazelli et al. 2003). L’enfant, vu comme un adulte en devenir, y est
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envisage comme un etre qui evolue au gre d’etapes naturelles et previsiblesde croissance. Selon cette conception, l’enfant est egoıste et agressif par na-ture; il faut lui enseigner les comportements socialement adequats, sinonil pourrait devenir un adolescent deviant (Tremblay 2000; Wilson 1982).Cette representation naturalisee d’une toxicite latente chez tous les en-fants, a la base des modeles de recherche et d’intervention, participe a ladissemination du langage des jeunes a risque. Ces theories biologisantesreprennent du service apres etre tombees en desuetude pendant quelquesdecennies (Parazelli et al. 2003:90) justement parce qu’elles justifientscientifiquement le controle “efficace” que promettent des interventionsprecoces et les approches behavioristes visant la rehabilitation des jeunesen difficulte. C’est dans la singularite d’un moment historique (societes durisque postindustrielles) et d’une gouvernementalite neoliberale que cestheories biologisantes trouvent leur justification.
Plus qu’une approche d’intervention procurant une aide necessaire ades personnes ou a des segments de populations dont les besoins sontaveres, l’operationnalisation du langage des “jeunes a risque” au seind’un paradigme de recherche projette sur les individus une deviance an-ticipee par rapport a des normes socialement construites (reussite scolaire,employabilite, parentalite conforme aux modeles privilegies, etc.). Cetteprocedure permet de (re)orienter, a l’avance, des comportements, attitudeset situations que predisent calculs et evaluations. Le mode d’interpretationet d’action que privilegie cet “individualisme methodologique” (agir surles individus par anticipation plutot que sur les causes structurelles desproblemes psychosociaux actuels) (Bessant et al. 2003) va de pair avec desstrategies d’anticipation et d’encadrement des risques qui sont, est-il be-soin de le dire, des formes contemporaines de gouvernementalite (Bessant,Hil, et Watts 2003; Kelly 2000; Kemshall 2010; Rose et Miller [1992] 2010).
En plus d’orienter la nature et le contenu meme des donnees en fonc-tion de leur utilite (Piron et Couillard 1996) pour la gestion du social, lesetudes epidemiologiques produisent des categories “a risque” constitueesartificiellement a des fins methodologiques et qui se retrouvent avec forcedans l’espace social. Investiguee sous tous les aspects possibles et imagin-ables, la categorie des “jeunes a risque” en vient a s’imposer comme unenouvelle realite sociale perpetuellement sujette a de nouvelles investiga-tions et interventions. Constituee en referent connaissable, chiffrable etutile, celle-ci devient une ressource discursive strategique fort seduisantea la disposition des chercheurs dans leur recherche de financement.
Subordination de la recherche aux imperatifs de la gouvernementalite
Plus d’un chercheur critique en sciences sociales a releve l’existence desliens etroits entre les connaissances que produisent leurs disciplineset les modifications ou le renforcement, au fil du temps des discours
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et des pratiques institutionnels (Cicchelli et Pugeault-Cicchelli 2006;Franssen 2008; Lesemann 1992; Piron 2005; Piron et Couillard 1996).Miller et Rose (2008) vont plus loin et pointent le role crucial deschercheurs dans le cadre des nouvelles formes d’exercice du gouverne-ment dans les societes neoliberales. L’expertise que produisent les ins-titutions de recherche repose sur des savoirs reconnus du fait de leurscientificite. Leur utilisation a des fins de gouvernementalite neoliberalepermet d’assurer un encadrement politique du prive en toute coherenceavec une politique etatique non interventionniste (Miller et Rose 2008).Comme nous avons vu plus haut, ce sont les chercheurs qui, en interac-tion dynamique avec d’autres acteurs, participent a la problematisationdu social, a l’identification d’axes prioritaires de recherche, a la definitiondes problemes et des interventions pour les resoudre. Ce sont euxqui traduisent les preoccupations politiques (production economique,developpement industriel, stabilite sociale, ordre, etc.) dans un langagede gestion, de sciences sociales, de medecine et de psychologie (Miller etRose 2008). Les chercheurs sont aussi a l’ecoute des preoccupations quoti-diennes des individus et leur livrent dans un langage legitime les veritesrassurantes dont ils ont besoin pour mieux gerer leur vie, etre en meilleuresante, mieux elever leurs enfants, participant a ce que Miller et Rose (2008)qualifient de regulation de la liberte.
Dans cette vaste entreprise de gouvernement des populationsdans lequel le savoir academique joue un role indeniable, il devientconcretement difficile d’y soustraire ses travaux recherche. La gestion dusocial repose en effet sur une serie interminable de prescriptions produitespar les experts, constituant ainsi une expertise fondamentale articuleeaux rationalites et technologies politiques actuelles des societes du risque:assurer le controle social et politique pour contrer les dangers qui nousmenacent a tout moment.
Le langage du risque s’inscrit, nous semble-t-il, a la jonction desdemandes institutionnelles et des preoccupations des individus et desgroupes. Comme nous avons vu, le flou semantique du langage etl’ambiguıte de ce a quoi il renvoie permettent son utilisation autant dansune intention compassionnelle face aux inegalites et a la souffrance socialeque dans une intention politique et economique de gerer plus efficacementet a moindre cout les problemes sociaux. L’ambiguıte conceptuelle permetde ratisser large et d’englober un imposant eventail de preoccupations etd’intentions des gestionnaires, praticiens et chercheurs.
Cette mise a plat d’enjeux de pouvoir qui traversent de part en partl’exercice de notre metier, mais qui demeurent la plupart du temps dansl’ombre grace a un langage et un scheme de pensee devenus familiers,procure un eclairage des plus pertinents sur le domaine dans lequel nousœuvrons. Prendre conscience de la dimension eminemment politique de larecherche que nous faisons incite a une vigilance accrue envers les effets depouvoir des connaissances que nous produisons. Cela motive d’autant plus
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notre engagement a transformer un langage et un paradigme qui, selonnous, participent de maniere mitigee a l’emancipation de la generationmontante et a la creation de solidarites intergenerationnelles.
Comment, alors, obtenir du financement pour nos travaux derecherche qui, visiblement, ne s’attaqueront pas directement a desproblemes en vue de repondre a des “besoins” immediats ou aux demandesde l’Etat, des entreprises ou d’autres instances? Comment garder cetteconscience et cette vigilance, comment preserver notre liberte intel-lectuelle, dans cet immense projet de gouvernement, tout en prenant notrepart de responsabilite dans la documentation, la comprehension, voirel’allegement de la souffrance sociale (Blais 2008)?
Dependant des subsides de l’Etat et d’organismes subventionnairespublics et prives, les chercheurs pratiquent leur metier dans un contextede competitivite croissante (moins du quart des demandes soumises auxorganismes canadiens sont subventionnees).
Comment convaincre, alors, de la pertinence sociale de questions derecherche qui apprehendent l’experience des adolescents autrement qu’apartir d’imperatifs de prevention, de reduction des couts et de controle?Comment simplement rendre compte de la vie que vivent les jeunes? Com-ment saisir, de l’interieur, la complexite et la diversite de l’experienced’avoir 16 ans aujourd’hui?
POUR CONCLURE: LE POSITIONNEMENT DUCHERCHEUR
Notre demarche de reflexivite conduit a traiter du positionnement duchercheur. Si nous reconnaissons faire partie, meme malgre nous, d’uneimposante entreprise de gouvernementalite, nous pensons possible de nousy approprier un espace de liberte pour le transformer de l’interieur. Unesurveillance attentive et soutenue du maillage serre des dispositifs de pou-voir peut contribuer a en affaiblir les effets. La breche que nous y avonsfaite, afin d’en saisir la nature et la mesure, nous semble avoir le poten-tiel d’ouvrir la voie a une fertile remise en question. C’est en positionnantnotre travail aupres des jeunes dans une forme d’exercice de pouvoir quenous prenons toute la mesure de notre responsabilite. A quelle definitiondes jeunes et des relations intergenerationnelles voulons-nous contribuer?A quelle vision du monde voulons-nous participer? Ce positionnement estd’autant plus significatif que la gouvernementalite ne peut pas etre as-sociee a une instance precise, au-dessus de nous, a laquelle nous pourrionsnous opposer. Elle opere en de multiples sites, simultanement, et souventde maniere discontinue et invisible. De ce fait, la resonnance et l’impactdes rationalites et des technologies politiques dominantes ne sont jamaisfixes, ces dernieres etant toujours sujettes a contestation, reformulation etreorganisation, meme au sein des dispositifs qui les mettent en operation.C’est dans ce processus dynamique de resistance, de prise de pouvoir et
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de changement que s’inscrit notre projet de transformation du langageproblematique des “jeunes a risque.”
Au depart, nous envisagions notre demarche de reflexivite commeun prealable a la proposition d’une approche methodologique alterna-tive. Desireuses de faire de la recherche “avec” les jeunes, de “regarderde l’interieur” (Souliere 2009) et d’“ecouter vraiment” (Caron 2009), noussouhaitions donner un ancrage theorique a notre projet methodologique.Nous etions loin de nous douter que notre projet de transformation desrepresentations dominantes des adolescents et des jeunes avait des an-crages politiques de cette profondeur. La genealogie du langage des “jeunesa risque” nous a menees bien au-dela de notre intention initiale. Prenantconscience de son statut de langage, au sens de scheme de pensee domi-nant ou de rationalite politique, cette genealogie permet un recadrage denotre travail de recherche qui fait eclater les frontieres disciplinaires etthematiques. Elle nous ancre dans un positionnement qui clarifie nos choixet nos objectifs. Malgre que nous devions composer avec de puissantes con-traintes institutionnelles, il importe d’avoir une lecture critique du con-texte externe dans lequel notre demarche prend place afin d’envisageret de localiser les espaces et les lieux possibles d’intervention et d’actionen fonction d’imperatifs de transformation. Notre position de chercheuresnous procure aussi un espace de pouvoir a partir duquel produire desconnaissances qui portent l’intention ethique de construire un monde dejustice et d’emancipation pour tous les individus et les groupes.
Dans le deuxieme article, donnant suite a ce premier, nous pro-poserons des principes pour developper une approche methodologiquede recherche “avec” les jeunes sous l’angle de la reciprocite in-tergenerationnelle. Cette proposition fera echo, nous l’esperons, a la de-mande de Timothee:
Y’a un mur [entre nous et les adultes] parce que quand les adultes nous voientagir en gang, quand ils nous voient deconner, ils vont dire: “Nos generationsfutures, y font juste niaiser, pis y prennent rien au serieux.” Au contraire, jedirais qu’on prend beaucoup de choses au serieux. [ . . . ] Fait que faudrait plusnous connaıtre, pis la le monde se rendrait compte que oui on niaise souvent,mais en dedans, meme dans nos jokes, y’ a des affaires vraies. Je dirais[auxadultes]: connaissez les jeunes avant de les juger.
Timothee, 15 ans
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Annexe
Liste et categorisation des projets centres sur la jeunesse contempo-raine ayant beneficie d’un financement nettement ou exceptionnellementsuperieur a la moyenne.
Concours du CRSH, 2006–2010 (n = 32)
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