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La conception et les usages de ressources en ligne
comme moteur et révélateur du travail collectif des enseignants
Ghislaine Gueudet, Luc Trouche, Gilles Aldon (version finale)
1. Introduction : Internet et le travail collectif des professeurs
Le développement de l’Internet met les professeurs aux prises avec un
foisonnement de ressources. Il amène des modifications profondes dans le travail
des professeurs, et contribue à l’essor du collectif dans l’enseignement. L'analyse de
ces changements profonds nécessite une perspective théorique spécifique, que
nous exposons au début de ce chapitre (§ 2). Cette perspective permet l'étude
de nombreuses questions concernant les collectifs ; ici nous étudierons d'une
part des questions portant sur le développement de collectifs, liés à la
conception et aux usages de ressources numériques, et d'autre part des
questions portant sur l'accompagnement possible de tels collectifs, voire sur
la contribution à leur émergence, par des dispositifs spécifiques de formation
continue.
Nous considérons d’abord (§ 3) le développement « naturel » de collectifs,
c’est-à-dire le développement de collectifs portés par les acteurs eux-mêmes,
sans intervention de formateurs ou de chercheurs, dans le contexte
d’associations de professeurs concepteurs et « partageurs » de ressources en
ligne. Nous étudions ensuite (§ 4) un contexte de collectifs composites, de deux
points de vue : ils associent des chercheurs et des professeurs et ils
associent des professeurs de disciplines différentes. Enfin, nous analysons (§
5) les effets, sur les pratiques et les connaissances des professeurs, d’un
dispositif de formation appuyé sur la conception de ressources en ligne. Chacun
de ces exemples est lié à la question des démarches d’investigation, en
mathématiques et en sciences expérimentales ; nous soulignons spécifiquement
les aspects relevant de ce lien.
Comme Grangeat et al. (2009), nous considérons, à propos de l’activité
professionnelle des professeurs, que « cette activité ne se réduit pas aux
pratiques actualisées et manifestes en classe, mais englobe aussi les mobiles
et les savoirs professionnels qui la rendent signifiante pour chaque acteur »
et nous étudions le jeu entre travail collectif, conception de ressources et
développement de connaissances professionnelles.
2. Le travail documentaire et les collectifs enseignants, cadre théorique
Les bouleversements évoqués ci-dessus nous ont amenés à proposer une approche
spécifique, qui considère l’activité du professeur dans son ensemble, en classe
comme hors classe, et l’ensemble des ressources susceptibles d’intervenir dans cette
activité. Nous présentons ici brièvement cette approche, qui est détaillée dans
(Gueudet & Trouche 2010). Celle-ci s’intéresse en particulier au travail
collectif des professeurs, en particulier dans le cas de communautés de pratique
; nous détaillons ces aspects ici.
2.1 Travail et genèses documentaires
Dans son activité professionnelle, le professeur a affaire à une multiplicité
de ressources. Nous conférons à ce terme de ressource un sens très large, en nous
référant à la conceptualisation introduite par Adler (2000, 2010) : tout ce qui
est susceptible de re-sourcer le travail du professeur. Ainsi des ressources
peuvent être matérielles : manuel scolaire, logiciel, site web ; mais aussi
culturelles : langage, symboles etc. Une copie d’élève, une discussion avec un
collègue peuvent constituer des ressources pour le professeur. Celui-ci
modifie, associe, sélectionne, combine ces ressources, au cours d’un travail
documentaire, qui occupe une place centrale dans son activité professionnelle.
Nous employons le terme de documentation pour désigner à la fois ce travail et ce
qu’il produit.
Le travail documentaire n’est pas simplement une modification des ressources
par le professeur. Au cours de ce travail, des évolutions adviennent également
du côté du professeur ; ainsi le travail documentaire intègre un ensemble
d’interactions entre les professeurs et des ressources. Ceci a été largement
souligné dans les travaux anglo-saxons sur le curriculum material (Remillard 2005,
2010). Pour modéliser ces interactions, nous nous appuyons sur l’approche
instrumentale, développée dans le champ de l’ergonomie cognitive (Rabardel 1995)
et prolongée en didactique des mathématiques (Guin & Trouche 2002). Cette
approche distingue un artefact, disponible pour un utilisateur donné, et un
instrument que cet utilisateur construit, à partir de cet artefact, dans le cours
de son action située. Ces processus de développement, les genèses instrumentales,
reposent, pour un individu donné, sur l’appropriation et la transformation de
l’artefact, pour résoudre un problème donné, à travers une variété de contextes
d’usage. À travers cette variété de contextes se constituent des schèmes
d’utilisation de l’artefact (Vergnaud 1996). Cette modélisation est directement
liée à celle proposée par Grangeat (chapitre xx) : en effet un schème associe
un but, des règles d’action, et est structuré par des invariants opératoires qui se
forgent au cours de, et qui pilotent, l’activité professionnelle, dans
différents contextes rencontrés pour la même classe de situations. Par rapport
à la perspective proposée par Grangeat, l’approche instrumentale introduit une
attention particulière portée aux artefacts, et aux instruments issus des
genèses (instrument = artefact + schème). De plus, le développement de cette approche
dans le champ de la didactique des mathématiques amène à s’intéresser
particulièrement aux connaissances professionnelles liées aux contenus de
savoir en jeu.
Les ressources, telles que nous proposons de les considérer, sont plus larges
que les artefacts ; elles ne sont pas nécessairement conçues avec une finalité
spécifique, mais peuvent néanmoins intervenir dans l’activité du professeur.
Nous proposons ainsi une approche documentaire, qui élargit l’approche
instrumentale, en considérant que le professeur interagit avec des ensembles de
ressources. Au cours de ces interactions, dans le cadre d’une activité
finalisée (concevoir un cours, préparer une séance de TP…), c’est-à-dire tout
au long de son travail documentaire (qui se prolonge dans, et après la classe),
le professeur développe une entité mixte, associant des ressources recombinées
et un schème d’utilisation de ces ressources. Nous nommons cette entité un
document, en nous appuyant sur le vocabulaire de l’ingénierie documentaire
(Pédauque 2006, Crozat, in Baron et al. 2007). Par analogie avec l’approche
instrumentale, on peut alors écrire : document = ressources + schème ; nous appelons
genèse documentaire (figure 1) le processus de développement d’un document. Comme
dans l’approche instrumentale, nous distinguons, au cœur des genèses, deux
types de processus imbriqués, les processus d’instrumentation (développement des
schèmes d’utilisation des ressources) et les processus d’instrumentalisation (par
lesquels le sujet met à sa main les ressources). Ces genèses se déroulent au
fil du temps, au sein d’un espace professionnel (Grangeat et al. 2009, chapitre
Grangeat) et plus largement d’une institution.
Figure 1. Représentation schématique de la genèse d’un document
Les genèses documentaires sont des processus continus, qui se poursuivent au
cours de l’activité du professeur : on retrouve ici une autre perspective
introduite par l’ergonomie cognitive, celle de la conception dans l’usage
(Rabardel 2005). Nous avons montré (Gueudet & Trouche 2010) qu’au fil de son
travail documentaire le professeur développe un ensemble structuré de documents
: son système documentaire. Ce système évolutif associe donc des ressources et des
connaissances professionnelles ; nous désignons comme système de ressources la
partie ressources du système documentaire.
Le travail documentaire des professeurs se déroule dans des temps et des lieux
divers ; il implique également de multiples collectifs, dont des collectifs
d’enseignants. Nous allons nous intéresser aux genèses documentaires dans ces
collectifs, et plus particulièrement dans des communautés de pratique
d’enseignants.
2.2 Communautés de pratique, communautés d’enseignants
La notion de communauté de pratique a été introduite par Wenger (1998). Elle
propose une conceptualisation de certains collectifs et de l’apprentissage au
sein de ces collectifs. Les communautés de pratique (CoP) sont des
regroupements naturels, souvent professionnels ; ils peuvent être informels, ou
cultivés, c’est-à-dire développés consciemment (Wenger et al. 2002). Ces
regroupements spécifiques, selon Wenger, sont caractérisés par un engagement
mutuel, une entreprise commune, et un répertoire partagé. Ce répertoire comporte une
variété d’éléments partagés par les membres de la communauté : objets, mots,
signes... Il évolue, comme la communauté, dans le cours de deux mouvements
indissociables : la participation des membres à la pratique commune, et la réification
d’éléments issus de cette participation. Ainsi la réification est un processus
engendré par la participation ; dans le même temps, toute participation
nécessite des objets permettant l’engagement dans la pratique commune, il n’y a
donc pas de participation sans réification. La réification, dans la théorie des
communautés de pratique, ne prend pas le sens négatif de chosification qu’elle peut
avoir par ailleurs (Honneth 2005). Le caractère indissociable de la réification
et de la participation fait de la réification un processus permanent,
engendrant un répertoire vivant. De plus les éléments de ce répertoire sont le
fruit d’échanges entre les membres de la communauté : il n’y a pas de
réification sans reconnaissance (Honneth 2005), c’est-à-dire sans une attitude
manifestant, en particulier, le souci de l’autre. La théorie sociale développée par
Wenger (1998) comporte en fait quatre composantes : la pratique, la communauté,
mais également l’identité (impact de l’apprentissage sur soi) et le sens. Ce dernier
terme désigne la capacité d’un membre de la communauté d’être en contact avec
le monde de manière significative ; ainsi cette notion de sens est directement
liée à la reconnaissance telle que la décrit Honneth. La pratique se développe,
au sein de la communauté, dans un processus que Wenger désigne comme la
négociation du sens : l’établissement de significations partagées, qui est le mode
essentiel d’apprentissage dans les communautés.
Tous les collectifs d’enseignants ne sont pas nécessairement des communautés de
pratique. Ainsi une équipe de professeurs d’une même discipline, dans un même
établissement, travaille selon une modalité de co-action (Grangeat et al. 2009,
chapitre Grangeat), car ils partagent un espace de travail ; mais il n’est pas
clair que, pour un tel collectif, les critères d’engagement partagé soient
vérifiés. Des travaux considérant les communautés virtuelles d’enseignants ont
proposé des distinctions portant sur la nature de ces communautés, selon le lien
social, l’intentionnalité de l’appartenance, le contexte d’émergence (Henri & Pudelko
2006). Selon ces auteurs, un collectif d’enseignants peut ainsi aller d’une
simple communauté d’intérêt qui partage des informations, sans engagement mutuel, à
une communauté de pratique qui correspond au stade le plus avancé d’engagement.
Notre perspective, accordant une importance spécifique aux ressources, et donc
aux processus de réification et aux répertoires qui en sont issus nous amène à
nous intéresser davantage aux communautés de pratique, ou, plus exactement, aux
processus d’émergence de ces communautés, depuis de simple modalités de co-
action jusqu’à des CoP attestées.
2.3 Lien entre genèses documentaires collectives et réification, collectifs et reconnaissance
La conceptualisation présentée en § 2.1 et celle proposée par Wenger
s’éclairent mutuellement, et amènent un regard spécifique sur le travail dans
les collectifs d’enseignants, regard centré sur le travail documentaire. Ce
travail est une forme essentielle de participation des membres de la
communauté ; les processus de réification associés relèvent de la
documentation. Le répertoire d’une communauté est un ensemble, vivant et
évolutif, de ressources. Ainsi nous appelons documentation communautaire le
processus de réification à l’œuvre dans les CoP enseignantes. Le processus
représenté en figure 1 peut ainsi être élargi à une CoP, interagissant avec un
répertoire de ressources. Les genèses documentaires à l’œuvre dans les CoP
peuvent être vues comme des processus de négociation du sens ; elles amènent
des connaissances partagées par les membres de la CoP.
Tous les collectifs d’enseignants peuvent être considérés comme des lieux de
développement professionnel (Daele 2006). Cependant des communautés de
pratique, engagées dans un travail documentaire collectif, semblent
particulièrement favorables à ce développement, car les genèses documentaires
contribuent à l’évolution des connaissances professionnelles. Ainsi du point de
vue de la formation des enseignants, initiale ou continue, proposer un travail
documentaire collectif semble une modalité susceptible de produire des
évolutions significatives. Il s’agit alors pour le formateur d’assister à la
fois l’émergence de communautés de stagiaires, et le travail documentaire
collectif dans ces communautés.
La question de l’apport des formateurs dans la documentation des stagiaires est
délicate : en effet des ressources apportées de l’extérieur ne seront pas
nécessairement mobilisées par les stagiaires dans leur travail documentaire.
Fischer & Ostwald (2003), adoptant une perspective de méta-design (le formateur
accompagne le design par les stagiaires), considèrent que le formateur doit
apporter des « germes » (seeds), susceptibles d’initier un travail qui pourra
se développer dans différentes directions selon les choix des stagiaires. Guin
& Trouche (2008) ont introduit la notion d’assistant méthodologique, que nous
reprenons ici. Un assistant méthodologique est un ensemble de ressources
susceptible de permettre, et de nourrir, le travail documentaire d’un collectif
(Gueudet et al. 2009). Dans le cas de ressources en ligne, un espace de dépôt de
fichiers, un forum offrent la possibilité matérielle d’échanges distants.
Cependant, ils ne suffisent pas pour qu’un collectif s’engage dans une
entreprise commune, et évolue ainsi vers une communauté de pratique. Guin &
Trouche (2008) ont montré la nécessité d’une structure commune, permettant le
partage des ressources. Ce modèle de structure est à la fois le moteur et le
produit de la documentation collective.
Nous donnons dans ce qui suit des exemples de mise en oeuvre de cette
perspective théorique, pour l’étude de communautés de pratique de professeurs
dans différents contextes.
3. Le développement d’associations, un effet de l’Internet.
Le développement rapide des associations de professeurs conceptrices de
ressources pour la classe est une bonne illustration de ce que Pédauque (2006,
p. 12) décrit comme conséquence de la numérisation : « Voilà donc ce que change
la numérisation : elle fabrique des communautés virtuelles, flottantes,
illimitées, insaisissables, mieux qu’aucun livre ». C’est dans ce premier cadre
que nous allons exploiter notre approche théorique, pour tenter de saisir,
autant que faire se peut, l’ « insaisissable ».
3.1 Les associations d’enseignants, du spontané vers le cultivé
Utilisant les potentialités de l’Internet pour discuter les problèmes de la
profession (listes de diffusion, forum) ou pour mutualiser des ressources
d’enseignement (sites, plateformes), des associations d’enseignants en ligne,
la plupart du temps regroupées par disciplines (mathématiques, français,
géographie) se sont largement développées depuis une dizaine d’années. Trois
d’entre elles (Sésamath, Weblettres et Clionautes) se sont rencontrées pour une
journée d’étude à l’automne 2008. Exploitant les résultats d’un questionnaire
que nous avions proposés à un échantillon de leurs membres (Gueudet & Trouche
2009), nous avons tenté une description commune de leur développement. Une
première communauté d’intérêt (§ 2.2) se constitue autour de la mutualisation
de ressources (Figure 2), les éléments les plus actifs engagent alors un
processus de coopération (décidant une répartition des tâches pour mener des chantiers
communs), polarisant autour d’eux une couronne d’enseignants qui mettent à
profit un espace élargi de mutualisation. Dans la dynamique de ce processus de
coopération, un noyau se constitue qui pense les moyens et les méthodes du
développement de la chose commune et collabore dans cette perspective.
M utM ut
Coop
M utCoop
Coll
Dホcours tem porel
Idホe de sas (form ation, co-m odホration)
Figure 2. Une image du développement des associations, mutualisation (Mut), puis coopération (Coop), et collaboration (Coll)
A cette étape du développement, au cœur de cette couronne, ce regroupement
actif de professeurs, constitue bien une communauté de pratique : engagement
commun, entreprise commune et répertoire partagés (§ 2.2) apparaissent
clairement. C’est le travail documentaire qui « tire » cette émergence de
communauté (concevoir, discuter et réviser des ressources pour la classe),
comme l’expliquent les responsables des associations : « [les associations] ont connu
une croissance extrêmement forte à l’image du développement des usages du Web et se sont retrouvées
confrontées aux mêmes problématiques : répondre par un travail bénévole à une demande de service
croissante et toujours en évolution, assurer l’hébergement et les aspects techniques, impliquer les collègues,
les former aux nouvelles compétences créées (modération, validation, compétences éditoriales numériques
et d’animation de groupes de travail à distance...), tout en conservant la maîtrise de leur propre évolution »
(d’Atabékian et al. 2009). La documentation communautaire (§ 2.3) dépasse ainsi
les seules ressources pour la classe. La communauté de pratique au cœur de
chaque association, souvent confondue avec son CA, porte en elle le souci de
son développement. Les associations d’enseignants, ainsi, de spontanées (§ 2.2)
au premier stade, deviennent bien, au stade de leur maturité, des communautés
cultivées, de l’intérieur, par les membres les plus conscients des besoins de la
documentation communautaire. Pour autant, il serait réducteur de considérer ces
associations d’enseignants comme étant constituées, en leur cœur, d’une
communauté de pratique, et, sur leur pourtour, de simples regroupements
d’intérêts. Aller plus loin dans l’analyse suppose de regarder de plus près,
donc de s’intéresser à une association particulière. Nous faisons le choix ici
de considérer Sésamath, qui semble l’association la plus avancée dans la
dynamique que nous venons de décrire.
3.2 Sésamath, des banques d’exercices aux laboratoires de conception pour les professeurs
L’association Sésamath regroupe, depuis 6 ans, des professeurs de mathématiques
– une centaine – autour d’objectifs qui se sont progressivement dégagés avant
d’être inscrits dans des statuts1 : promouvoir l'utilisation des TICE dans
l'enseignement des mathématiques ; le travail coopératif et la co-formation des
enseignants ; une philosophie de Service Public ; des services
d'accompagnement des élèves dans leur apprentissage. L’association
diffuse une lettre d’information à 30000 enseignants et ce sont
près de un million de pages de ses sites qui sont visitées chaque
mois. Très rapidement, l’association a organisé les enseignants
qui se tournaient vers elle en une fédération de groupes de
projets (Figure 3).
Clionaute, autres associations
Educ. Nat.
Sˇsamath
Projet manuel
Projet corrections
Projet cahier
Autres nombreux projets
Sésamath, vue par un membre (Gueudet et Trouche
2009)
La présentation de l’association, sur son site
Figure 3. Deux représentations de Sésamath, comme fédération de groupes de projets
Ces projets se sont diversifiés au cours du temps (Sabra 2009) : conception
d’exercices sur ordinateur développant une autonomie chez les élèves
(Mathenpoche, AmiCollège), de manuels scolaires, d’outils de communication entre
enseignants (Maths’Discut’), des outils d’un laboratoire virtuel de
mathématiques (CasenPoche, TracenPoche) et une revue collaborative en ligne
portant sur l’utilisation des TICE en classe de mathématiques
(MathémaTICE http://revue.sesamath.net/ ). Chacun de ses projets donne lieu à une
CoP, qui émerge au fil de la réalisation du but commun, ainsi pour chaque projet
de manuel : « dans les manuels Sésamath, chaque activité, chaque page, est
soumise non seulement à la discussion de l’ensemble des rédacteurs, mais est en
outre testée en classe par tous les utilisateurs qui le souhaitent, et qui font
remonter leurs remarques, avant qu’elle ne soit validée. Cela suppose bien
1 http://www.sesamath.hautesavoie.net/association.php?page=asso_statuts
entendu des qualités d’échange et de communication, parfois même beaucoup de
patience, mais le résultat y gagne à la fois en cohérence d’ensemble et,
naturellement, en qualité » (d’Atabékian et al., ibidem). Sésamath apparaît ainsi
comme une constellation de communautés de pratique (Wenger 1998), chacune
polarisant autour de son travail documentaire des groupes d’enseignants, donnant
ainsi de l’association une vision plus complexe que ne le permettait la Figure
2.
La dialectique participation/réification se manifeste aussi du point de vue des
outils que l’association propose : l’organisation en groupe de projets
nécessite, et est encouragée, par le développement d’un site spécifique,
Sésaprof (Figure 3), qui peut apparaître comme un des projets de l’association,
mais est en fait un incubateur de nouveaux projets, offrant un cadre adapté à des
groupes d’enseignants qui veulent engager un travail en commun.
Enfin, et l’on rejoint ici l’intérêt pour les démarches d’investigation du
projet S-TEAM, la dynamique collaborative qui porte l’association Sésamath
entraîne le développement d’une réflexion sur l’enseignement, ses modalités et
ses finalités. Les ressources proposées évoluent ainsi, comme le décrit l’un des
fondateurs de l’association, Sébastien Hache (2009), « de simples exerciseurs
vers un laboratoire des mathématiques du futur ». L’interface Labomep (pour
Laboratoires de Mathenpoche), proposée par l’association à partir de 2010, a
ainsi la double ambition de développer une façon ouverte, pour le professeur, de
concevoir des activités pour la classe, en relation avec ses collègues, et de
développer une façon ouverte, pour les élèves, de faire des mathématiques dans
la classe. L’enseignant peut ainsi (Figure 4) exploiter les ressources de
l’association (colonne de gauche) pour les adapter, les ranger dans ses propres
répertoires (colonne de droite), ou les partager avec d’autres groupes.
L’interface facilite ainsi le jeu instrumentation/instrumentalisation (§ 2.1) au
cœur des genèses documentaires.
Figure 4. Labomep, une interface pour développer le travail, individuel et collectif, sur les ressources de l’association
Comme le souligne Hache (ibidem), « l’enseignant peut facilement créer, stocker,
récupérer des situations, des problèmes... il peut paramétrer l’outil pour le
traitement de ses problèmes (les conditions initiales, les fonctionnalités
disponibles...) puis il peut récupérer automatiquement la production de l’élève,
non seulement ses réponses, mais son travail avec l’outil et parfois même la
chronologie de sa construction (dans le cas d’Instrumenpoche) ».
Quels sont les effets de ce travail documentaire sur les membres de Sésamath ?
Pour le voir, il faut étudier plus précisément le travail documentaire de l’un
de ses membres.
3.3 Le cas de Pierre, membre actif de Sésamath
Pierre est intéressé par le collectif : il est responsable TICE de son collège,
trésorier du foyer socio-éducatif, responsable du club d’échec. Il est
intéressé aussi par le renouvellement des ressources pour l’enseignement (il
aime chiner de vieux livres dans les brocantes, il passe du temps sur Internet
à la recherche des sites proposant des activités originales pour la classe). Il
s’est tourné ainsi naturellement vers l’association Sésamath peu de temps après
sa création et y a vite joué un rôle important, élu au CA. Il s’est aussi
naturellement impliqué dans la réalisation d’un manuel, pour la classe de 6ème,
en s’y impliquant totalement : pour accompagner ce développement, il choisit de
n’avoir, pendant deux ans, que des classes de 6ème. Nous l’avons rencontré en
décembre 2008, dans la dernière période de réalisation de ce manuel, puis en
janvier 2010. Les extraits des entretiens (Tableau 1) mettent en évidence des
évolutions fortes du point de vue de la nature et du volume de l’engagement
dans l’association.
Entretien avec Pierre, décembre 2008
Oui, c’est vrai, j’ai oublié de te le dire, mais en réalité c’est un truc qui me prend
beaucoup de temps, je suis inscrit à pas mal de listes, forcément, par internet, les listes
Sésamath, les listes math-collège, les listes académiques, les listes du café pédagogique,
dans Sésamath, entre le CA qui me prend trois quart d’heure par jour…
Combien ?
Trois quart d’heure par jour, le CA de Sésamath, c’est monstrueux…
Mais c’est quoi les tâches de Sésamath, quand tu es au CA ?
Au CA, le gros des discussions, c’est discuter des gros projets de Sésamath, des discussions à
prendre, il y a tel forum à tel endroit, est-ce qu’il faut y envoyer quelqu’un, est qu’on fait
un appel d’offres sur Sésamath, ou est-ce qu’on envoie quelqu’un du CA, c’est aussi toutes les
décisions sur les manuels etc.
D’accord, trois quart d’heure par jour…
Oui, d’ailleurs c’est terrible, c’est un truc… et le pire c’est que je ne suis pas le plus
actif, je suis parmi les moins actifs, mais rien que de tout lire pour prendre une décision…
Bon, après tu as toutes les listes Mathenpoche papier, pour le manuel… alors là je lis pas
tout, je lis en diagonale, bon toutes les listes…
Et sur la liste Mathenpoche, là, il y a des tâches particulières à réaliser, ou non ?
Ben en fait quand tu veux réaliser une fiche pour le manuel, là tu te déclares, à ce moment-là
tu vas te présenter et c’est sur cette liste là que tu vas discuter les exos que tu as mis sur
ta fiche…
Le temps passé pour Sésamath ? Entre 7 et 20 heures par semaine.
Entretien avec Pierre, janvier 2010
Je produis beaucoup moins de ressources, je n’ai pas d’engagement de production de ressources…
Le seul truc que je fais, c’est ce projet de manuel cycle 3, mais je le fais à titre perso,
parce que justement, j’ai pas voulu me mettre de pression, parce que c’est de la pression, tu
regardes dans Sésamath, beaucoup de gens qui ont fait un manuel une année, ils ne s’engagent
pas pour l’année suivante, parce que, quand on s’est engagé, quand on a pris en gros la
responsabilité du manuel, ça fait beaucoup de boulot, c’est bénévole, il faut bien une année
pour souffler après… Il n’y en a guère que un ou deux qui s’engagent deux, trois ans
d’affilée, parce que…
Le temps passé pour Sésamath ? Entre 1 et 2 heures par semaine maintenant.
Tableau 1. Un engagement dans l’association évolutif, lié à la réalisation des projets
Ceci semble indiquer que les membres de l’association n’y sont pas en
permanence à 100%, il peut y avoir des phases d’activité intense, liées à la
réalisation d’un projet, puis des phases de retrait. Il n’y a pas (Figure 2)
que des mouvements de la périphérie vers le centre…
Pendant la conception du manuel, il semble y avoir une imbrication complète, on
pourrait dire une osmose, entre le travail pour l’association et le travail
pour la classe : ce sont les exercices proposés en classe qui sont soumis pour
la composition du manuel (et réciproquement). Critiqués par les autres auteurs
du manuel, ces exercices révisés sont à nouveau testés dans les autres classes
de Pierre. Le mode de travail dans l’association – en ligne – est aussi très
présent dans la classe (Tableau 2). Pierre joue à la fois sur le tableau noir
et le tableau blanc interactif.
« Oui, je me sers de Google comme calculatrice. Je voulais faire 11,7 divisé par 2, parce que je
veux leur montrer que, pour la première mesure, il fallait le faire au compas, parce que, sinon,
il fallait diviser 11,7 par 2. Bon, 11,7 par 2, à calculer de tête, c’est pas évident pour un
élève de 6ème, donc du coup… je me sers de Google ».
Tableau 2. Un exemple d’utilisation courante de ressources en ligne
La métaphore du laboratoire de ressources dans l’association fait écho à la
métaphore du laboratoire de mathématiques dans la classe, à la fois en
présence, et à distance : c’est l’une des fonctions du site que Pierre a
développé pour sa classe (Figure 5), proposant des énigmes en ligne.
Figure 5. Un site développé par le professeur pour un travail à distance des élèves
On peut remarquer que le site, qui était hébergé par un serveur privé en 2008,
migre sur le serveur du collège en 2010, dans la perspective d’un partage de
ressources avec les autres professeurs de mathématiques du collège. On peut y
voir un effet des interrelations entre la propension « naturelle » de Pierre
vers le travail collectif, son investissement dans l’association et son
investissement auprès des collègues de son établissement. Pierre est
« naturellement » (c’est-à-dire pour des raisons tenant à son histoire propre)
porté vers le collectif. C’est dans cette dynamique qu’il a rencontré Sésamath
et en a été un membre très actif. La production de ressources pour
l’association l’a conduit à avoir un rôle naturel de « proposeur » de
ressources à ses propres collègues : il a équipé les ordinateurs du lycée des
logiciels de Sésamath, y a téléchargé les manuels de l’association. Autres
signes de cette évolution, à la question posée en 2008 « qu’est-ce que, pour
toi, être un professeur de mathématiques, il répond « Artiste, acteur,
gestionnaire de relations humaines, psychologie humaine des individus et des
groupes de personnes, mathématicien, référent culturel... ». En 2010, mis
devant sa propre réponse, il déclare : « Je rajoute : référent vis à vis du
système scolaire en général... ».
Dans le sens inverse, la prise en compte d’autres ressources que les siennes
propres, dans le cadre de l’association, rend Pierre plus sensible aux apports
possibles des collègues de son propre établissement. Il déclare ainsi, en
2010 : « depuis l'an dernier, et suite à notre dernière réflexion, j'ai
réfléchi aux documents que j'avais récupérés auprès de mes collègues du
collège. Et j'en ai trouvé finalement quelques-uns, et une bonne partie a été
utilisée sans modification personnelle ». On ne peut pas dire, pour autant, que
se développe une communauté de pratique dans le collège : il n’existe pas de
signe tangible de production commune. Mais, du point de vue de Pierre, on peut
noter que la « collective attitude » dans l’association alimente, et est
alimentée par la collective attitude dans le collège.
4. Travail co-disciplinaire et aspects collectifs de la
documentation des enseignants, le cas de P2S (Pratique
Scientifique en Seconde)
4.1 Présentation du contexte
Un enseignement de pratique scientifique en seconde (P2S) a été mis en place
depuis 2006 dans l'académie de Lyon et depuis 2008 dans l'académie de Grenoble
s'appuyant sur la possibilité d’expérimentations ouverte par l'article 342 de la
loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école (BO n°18 du 5 mai
2005). L'objectif essentiel de cet enseignement est de redynamiser
l'enseignement des sciences au lycée en donnant la possibilité aux élèves de
s'engager dans des démarches d'investigation scientifique.
Le projet de recherche P2S-Corise (Equipe EducTice, INRP, Conception de
Ressources pour l'Investigation Scientifique dans l'Enseignement) a pour
objectif d'une part d’identifier les situations à mettre en place dans ou hors
la classe pour que des élèves puissent s’engager dans un travail
d’investigation scientifique de manière autonome et d'autre part de construire
des ressources pour faciliter ce type d'enseignement. Le travail de cette
équipe s’appuie sur des observations et un suivi du travail des enseignants et
des élèves et prolonge des travaux existants tant en mathématiques concernant
la recherche de problèmes (Aldon, 2009) que en sciences de la Vie et de la
Terre (Sanchez & Prieur, 2006, 2007, Sanchez et al., 2007). Cette équipe de
recherche regroupe des chercheurs de l'INRP et des professeurs associés du
lycée du Val de Saône dans l'académie de Lyon et du lycée Madame de Staël dans
l'académie de Grenoble.
Dans le lycée du Val de Saône, cette option a été mise en place autour du thème
du réchauffement climatique, et plus précisément de la modélisation du cycle du
carbone. Les sciences physiques, la chimie et les sciences de la vie et de la
Terre sont directement concernées par ce thème, mais les enseignants du lycée
ont également choisi d'y inclure le regard des mathématiques. C'est dans ce
contexte de co-disciplinarité (Blanchard-Laville, 2000) que les élèves ont été
2 « sous réserve de l’autorisation préalable des autorités académiques, le projet d’école oud’établissement peut prévoir la réalisation d’expérimentations, pour une durée maximum de cinq ans,portant sur l’enseignement des disciplines, l’interdisciplinarité, l’organisation pédagogique de laclasse, de l’école ou de l’établissement, la coopération avec les partenaires du système éducatif,les échanges ou le jumelage avec des établissements étrangers d’enseignement scolaire. ».
amenés à identifier les concepts scientifiques mobilisables dans les différents
champs disciplinaires puis à construire les questions permettant d'apporter des
réponses à la problématique générale formulée après un travail sur les
conceptions par la question : « D'où vient et où va le CO2 produit par les
activités humaines ? ». Ce travail a été réalisé sur une année scolaire entière
à raison de trois heures par semaine. Dans le lycée Madame de Staël, les
enseignants ont proposé aux élèves successivement plusieurs thèmes sur des
périodes plus courtes (Comment corriger une myopie ? Repérage de l'épicentre
d'un séisme, la rétrogradation de Mars, …) en impliquant également les trois
disciplines dans leur résolution. Les questions que nous abordons ici sont de
deux ordres : comment les enseignants intervenant dans un enseignement co-
disciplinaire communiquent entre eux et avec leurs élèves ? Comment le travail
réalisé peut-il être communiqué à d'autres enseignants ?
4.2 Co-disciplinarité et co-construction
Le travail collectif des enseignants a été pensé dans l'équipe de recherche en
terme de co-disciplinarité, en ce sens qu'il ne s'agissait pas de travailler
simultanément dans l'une ou l'autre des disciplines, mais au contraire de
délimiter le champ d'application de chaque discipline pour préciser les
questions auxquelles elles pourraient répondre pour faire avancer une
résolution du problème global. Chaque discipline s’empare de l’étude des objets
et des questions qui la concernent, identifie les interactions avec les autres
disciplines, précise les savoir-faire nécessaires. Pour finir, les concepts
identifiés sont traduits en autant de questions à résoudre pour répondre à la
problématique générale. C’est leur articulation qui constitue une progression
commune. Le terme de co-disciplinarité renvoie en effet à une co-construction à
partir d'un même objet d'étude, dans laquelle chaque discipline apporte les
briques nécessaires à la construction de l'édifice entier. L'articulation entre
ces différents regards permet non seulement de préciser les questions mais
aussi de mettre en évidence les relations entre les disciplines.
La construction et l'utilisation d'outils de communication permet de maintenir
la cohérence globale de l'édifice. Du point de vue des élèves, la recherche et
la résolution d'un sous problème et les institutionnalisations locales doivent
s'inscrire dans le projet global ; ainsi, par exemple, lorsque les élèves ont
empiriquement constaté une corrélation entre la température de la Terre et la
teneur en CO2 de l'atmosphère, les mathématiques ont permis de quantifier cette
corrélation sans cependant pouvoir donner des outils pour établir une
causalité. En revanche, les SVT ont apporté des arguments pour étudier cette
corrélation en termes de causalité. En se fondant sur les connaissances
acquises en sciences physiques de tronc commun, les élèves ont pu mettre en
œuvre des protocoles expérimentaux mettant en évidence, d’une part, le
caractère polychromatique de la lumière et montrant, d’autre part, que la
lumière est absorbée par la matière. Cette étude expérimentale des propriétés
de la lumière a été réinvestie pour comprendre les mécanismes de l’effet de
serre. Ainsi, les études menées dans les trois disciplines permettent de donner
des arguments scientifiques pour confirmer des constats empiriques issus de
recherches documentaires.
Une des difficultés est alors d'inscrire les travaux dans la progression
globale et d'articuler les réponses apportées comme autant d'outils
d'argumentation. Du point de vue des professeurs, et pour favoriser le travail
co-disciplinaire, il était important de mettre en place des échanges et des
sources communes de documentation et de suivi. En plus de concertations et de
réunions communes, une plateforme numérique s'est avérée un outil de travail
collaboratif permettant à la fois les échanges et la constitution d'une mémoire
collective. Elle a été conçue et utilisée pour faciliter la communication entre
enseignants, mais aussi entre les enseignants et les élèves. L'organisation
interne de cet espace de travail s'est constituée autour de différents
répertoires concernant d'une part les aspects scientifiques du travail et
d'autre part les aspects organisationnels.
Figure 6. Plateforme collaborative de travail Claroline hébergée sur le serveur du lycée du Val de Saône
Un certain nombre d'outils ont ainsi été construits par les enseignants pour
maintenir la cohérence du travail. Par exemple, une fiche annuelle des notions
construites au fil des séances a constitué une mémoire et a facilité
l'articulation entre les séances ; elle a été complétée par des descriptions
des séances, qui petit à petit et sous l'influence des chercheurs, se sont
formalisées pour prendre en compte les éléments essentiels à communiquer. Des
ressources scientifiques proposées par les chercheurs ou apportées par les
professeurs ont par ailleurs constitué une source de documentation interne pour
le projet. A titre d'exemple, une page de liens a été élaborée collectivement
par les différents acteurs, pointant vers les sites du CNRS, de l'INRP ou de
l'école normale supérieure et traitant du sujet général du réchauffement
climatique. Enfin, une fiche annuelle de répartition des heures dans chacune
des disciplines a permis une prise en compte institutionnelle du travail
réalisé par les enseignants. L'ensemble de ces ressources a été construit dans
l'usage et a évolué en fonction de leur utilisabilité et de leur pertinence
dans la conduite du projet. Dans cette plateforme, un espace a été réservé aux
partages de documents et d’informations avec les élèves. Ils pouvaient déposer
leurs travaux, consulter l’agenda commun aménagé au fil des séances. Au fur et
à mesure de l'avancée du travail, cet espace a constitué une histoire commune
du déroulement des séances et a permis une prise en compte de l'évolution des
questions. Le bilan de fin d'année a permis à la fois de mettre en évidence le
rôle important de la plateforme, mais aussi les améliorations qui pourraient y
être apportées, par exemple en permettant le partage d’autres documents à
destination des enseignants ou des élèves comme une fiche annuelle des savoir-
faire mis en œuvre, des fiches techniques spécifiques ou communes aux
différentes disciplines, des fiches d’évaluation et de suivi des élèves…
4.3 Travail de formalisation
La question de la formalisation des fiches de description des séances de classe
a été rapidement soulevée d'une part dans la communication interne entre
professeurs et d'autre part dans la communication vers l'extérieur. Une des
questions importantes à laquelle ont été confrontés les enseignants porte sur
la nécessité de communiquer l'état d'avancement du travail et les acquis sur
lesquels s'appuyer pour permettre un travail autonome des élèves. Cet aspect a
été l'objet d'un travail particulier entre chercheurs et enseignants. Il
s'agissait de mettre en évidence les éléments essentiels à communiquer pour
décrire les séances et de rendre possible les transitions entre les séances de
disciplines différentes. Une analyse a posteriori des séances P2S menée
conjointement par les enseignants et les chercheurs a conduit à dégager des
éléments communs à prendre en compte pour décrire et concevoir de telles
séances dans le but de faciliter l'engagement des élèves dans une démarche
d'investigation autonome. En s'appuyant sur la théorie des situations
didactiques (Brousseau, 1998), quatre phases essentielles ont été identifiées
puis décrites :
Problématisation/dévolution
Recueil et traitement de l'information
Production et communication
Institutionnalisation
Figure 7. Grille de préparation de séance
Pour chacune de ces phases, les éléments à prendre en compte ont été discutés
et testés dans différentes séances, les ressources nécessaires à la mise en
place de la séance ainsi que le déroulement détaillé de la séance de classe
sont décrits en précisant la gestion du temps et les rôles respectifs des
enseignants et des élèves. Les éléments renseignés dans cette grille lors de la
description d'une séance participe à la construction d’un milieu suffisamment
pensé et robuste pour permettre aux élèves de mettre à l’épreuve les choix et
les stratégies qu’ils adoptent.
Ce travail de conception et de mise en œuvre de la grille s'est appuyé sur un
travail collectif entre chercheurs et enseignants construit autour d'un espace
de travail du site EducTice (figure 8)
Figure 8. L'espace de travail de l'équipe de recherche P2S-Corise
Du point de vue des professeurs impliqués dans cette recherche, la dialectique
participation/réification se manifeste par la construction d'un site web dont
l'objectif est de proposer des outils permettant à des équipes de professeurs de
s'engager dans une démarche co-disciplinaire pour développer l'investigation
chez les élèves. La volonté de diffusion et de dissémination du travail à
l'extérieur du groupe restreint montre à l'évidence que l'équipe dépasse la
communauté d'intérêt du travail de création et de suivi d'une option dans le
contexte particulier d'un lycée. L'émergence d'une communauté de pratique est
attestée par la participation à une entreprise commune et la volonté de
poursuivre la diffusion du travail, notamment dans des interventions au sein de
l'académie, comme un enseignant impliqué dans ce travail le note : « ça, on ne
l'aurait peut-être pas fait si on n'avait pas travaillé dans cette équipe ».
Par ailleurs, le travail collectif a rejailli sur le travail individuel en
pointant des éléments souvent implicites dans les constructions de séances,
comme le déclare un des enseignants impliqués dans la recherche : « on a pointé
l’auto-contrôle, c’est pas spontanément fait et pourtant si on veut que les
élèves soient autonomes, c’est indispensable qu’il y ait des éléments pour
qu’ils se contrôlent. C’est sûrement un des apports de la grille » ; et un peu
plus tard, ce même enseignant parlant des difficultés à remplir les éléments de
la grille portant sur l’explicitation des modèles scientifiques en jeu,
déclare : « Je pense que c’est important. On a du mal parce qu’on ne le fait
pas. Et si on ne le met pas, on est dans le flou. C’est comme pour l’auto-
contrôle, en fait ! ». Et même si les enseignants déclarent ne pas remplir la
grille dans la préparation des cours « ordinaires », « Même si je ne l’ai pas
fait systématiquement, ou fait l’effort de recaler la grille, c’est toujours
présent dans la préparation des TP, où on se dit que là, peut-être, il faudrait
faire… pour rendre les élèves autonomes ». Le travail de conception collective
de cette grille permet à la fois de décrire des séances, ce pourquoi elle a été
conçue mais aussi d’analyser et d’affiner les préparations de séances en levant
certains implicites.
Le double mouvement d'enrichissement et de développement professionnel, de
l'individu vers le collectif et du collectif vers l'individu est ainsi illustré
dans cette émergence d'une communauté de pratique.
5. Pairform@nce, formation continue et conception collective de séances
5.1 Un programme national de formation continue, et une recherche associée
Le programme Pairform@nce (http://www.pairformance.education.fr/) du ministère
de l’éducation nationale (SDTICE3) peut être considéré comme une prise en compte
institutionnelle des apports possibles du travail collectif enseignant, et de
l'Internet comme outil susceptible de susciter ce travail et permettant de
l'accompagner. Ce programme propose des parcours de formation continue, visant
l’intégration des TICE à tous les niveaux scolaires et pour toutes les
disciplines. Un parcours de formation continue donne la structure d’une
formation à mettre en œuvre dans une académie ; cette formation, en partie à
distance et exploitant une plateforme collaborative, repose sur un principe de
conception, par des équipes de stagiaires, de séquences de classe intégrant les
TICE.
L’INRP, les IREM de Montpellier et de Rennes, l’IUFM de Bretagne et le CREAD,
dans le cadre d’un partenariat recherche-développement avec la SDTICE, ont
3 Sous-direction des technologies de l'information et de la communication pour l'éducation,MEN.
élaboré en 2007-2008 trois parcours pour le second degré : deux en
mathématiques, un en géologie-géographie. Ces parcours ont été simultanément
conçus et testés dans des formations spécifiquement organisées. Ils ont ensuite
été publiés sur la plateforme nationale Pairform@nce, et ont donné lieu en 2008-
2009 à des formations continues dans le cadre des Plans Académiques de
Formation, dans les académies de Lyon, Montpellier et Rennes (Gueudet et al.
2009).
Dans cette section, en lien avec les thématiques du projet S-TEAM, nous nous
centrons sur un parcours en mathématiques intitulé “Travaux Pratiques avec un
logiciel de géométrie dynamique” (noté TPGéom par la suite). Ce parcours vise un
double changement de pratique pour des professeurs de collège en mathématiques :
l'intégration de logiciels de géométrie dynamique, et le développement d'une
démarche d'investigation prenant appui sur ce type de logiciel. Les figures
dynamiques permettent en effet aux élèves d'explorer les propriétés d'une figure
géométrique, et donc de formuler des conjectures, voire d'accéder à des modes de
validation originaux de résultats mathématiques. Cependant, ces logiciels sont
parfois utilisés par les professeurs en classe entière, au vidéo-projecteur,
uniquement pour illustrer des cours. Il s'agit donc de proposer aux stagiaires
d'aller vers des modalités d'utilisation de ces logiciels laissant plus de
responsabilités aux élèves, en termes de manipulation du logiciel, mais
également vis-à-vis du savoir mathématique en jeu. Un autre objectif essentiel
du parcours, comme de tout parcours Pairform@nce, est le développement du
travail collectif enseignant.
Figure 9. Le parcours TPGéom, étape 4 de production d’une séquence
Les questions que nous étudions ici sont de deux ordres. Elles touchent d’une
part aux caractéristiques mêmes du parcours. Selon la perspective théorique que
nous avons exposée (§ 2.1), ces questions peuvent se formuler comme : « quelles
ressources du parcours sont susceptibles d'assister le travail documentaire
collectif des professeurs, et les genèses associées ? » D’autre part, elles
touchent à l’évaluation des effets de la formation, en termes d’évolutions de
pratique des stagiaires. Un suivi sur la durée est nécessaire, il est
actuellement en cours. Ici nous considérons uniquement les aspects observables
au cours de la formation, dans laquelle nous intervenions aussi en tant que
formateurs : les réunions présentielles, les échanges distants d’une équipe de
stagiaires, les ressources élaborées par les stagiaires ainsi qu’un
questionnaire final. Cette formation a-t-elle permis l’émergence de communautés
de pratique ? Les productions des équipes de stagiaires correspondent-elles à
une démarche expérimentale, mettent-elles à profit les possibilités des
logiciels de géométrie dynamique pour une telle démarche ? Nous apportons des
éléments de réponse à ces questions.
5.2 Assister le travail documentaire collectif et la mise en œuvre d'une démarche d'investigation
Nous donnons ici dans un premier temps une brève description de la structure du
parcours “TPGéom”.
Le travail prévu lors de la formation alterne des périodes en présence (trois
journées) et à distance (étalées sur dix-sept semaines). La formation débute par
l'envoi aux stagiaires d'un questionnaire, pour connaître leurs conditions de
travail, leur expérience et leurs attentes, questionnaire qui doit être retourné
rempli avant le premier présentiel. Cette première journée présentielle comporte
la mise en commun des réponses à ce questionnaire ; la présentation générale de
la formation ; la prise en main des outils techniques (la plateforme comme le
logiciel) et la constitution des équipes de stagiaires. Elle s'achève par la
proposition d'une situation mathématique susceptible de donner lieu à un TP,
pour lequel les équipes doivent préparer un scénario possible. Le travail
distant des équipes entre les deux premiers présentiels est consacré à
l'élaboration de ce scénario, qui doit être déposé sur la plateforme. Lors du
deuxième présentiel, ces scénarios sont présentés et discutés, en mettant
l'accent sur leurs caractéristiques relevant de la démarche d'investigation. Les
équipes choisissent ensuite le thème de la séquence qu'ils vont élaborer et
tester, et débutent sa préparation. Entre le deuxième et le troisième
présentiels, cette séquence doit être préparée, mise en œuvre dans une classe au
moins, avec au moins une observation. Les séquences, les notes d'observation et
les bilans que les stagiaires en retirent sont présentés lors du troisième
présentiel.
Au-delà de cette structure globale, et des interventions des formateurs, quelle
assistance méthodologique permet de soutenir le travail collectif ?
Un premier choix essentiel d'organisation concerne la constitution des équipes
de stagiaires. Celles-ci comportent quatre stagiaires, deux enseignants d'un
collège et deux d'un autre. Ce choix permet une partie de travail en présence,
indispensable notamment pour permettre les observations croisées. Il oblige
également à intégrer une part de travail distant, et donc nécessite une
explicitation des choix effectués, et une réflexion permettant cette
explicitation.
Le principe même du parcours consiste à proposer un travail documentaire
collectif, avec un projet de séquence commun à l'ensemble de l'équipe, qui va
permettre l'engagement de ses membres, et peut donner lieu à une documentation
collective. Cette séquence doit être testée au moins une fois ; on signale
cependant aux stagiaires qu'il est préférable qu'elle soit testée au moins par
deux des membres de l'équipe, en intégrant dans la deuxième réalisation des
modifications identifiées comme nécessaires grâce à la première observation. Ce
choix, relevant de la conception dans l'usage (conception ici de la séquence, par
l’équipe de stagiaires), vise l'amélioration de la séquence ; il permet aussi à
chaque stagiaire de mettre la séquence en œuvre dans sa classe, ou de
l'observer. En effet un stagiaire dont le rôle se limiterait à préparer la
séquence, sans aucun accès à sa mise en œuvre, risque de se sentir moins engagé
dans le projet.
Un ensemble de ressources est proposé pour faciliter la communication au sein
des équipes et entre équipes. Cet ensemble comporte en particulier trois modèles
communs : pour la description de séquences de classe, pour l'observation d'une séance
incluant une démarche d'investigation avec un logiciel de géométrie dynamique, et
pour le bilan de la séquence. Le modèle de description constitue une ressource
essentielle pour qu'un stagiaire, ou une équipe, puisse formuler ou comprendre
des propositions. Ce modèle comporte des rubriques spécifiques à la mise en
œuvre d'une démarche d'investigation ; ainsi l'emploi même de cette ressource,
dans un mouvement d'instrumentation, amène les stagiaires à développer une
vigilance particulière à l'égard de cet aspect. Le modèle pour l'observation
d'une séance souligne de même le rôle du logiciel, et les aspects relevant de
l'investigation, amenant l'observateur à être attentif à ces aspects.
Les trois modèles sont présentés lors de la première journée présentielle, à
travers l'étude détaillée de deux exemples de séquence. De plus le travail de
préparation d'un scénario pour une situation donnée, entre le premier et le
deuxième présentiel, permet l'appropriation du modèle de description de
séquence. Il amène également un premier questionnement sur ce qui caractérise
une démarche d'investigation en mathématiques, en permettant de confronter des
choix de mise en œuvre faits pour une même situation.
Du point de vue des fonctionnalités techniques permettant les échanges distants,
ce que les stagiaires conçoivent est déposé sur une base de données, et un forum
est spécialement dédié aux discussions portant sur ces scénarios.
5.3 Mise en œuvre du parcours et conception collaborative de séquences
Nous nous basons ici sur des observations réalisées lors de la mise en œuvre du
parcours dans l'académie de Rennes, en 2008-2009. Les conditions du plan
académique de formation ne correspondent pas aux conditions idéales prévues par
le parcours, en ce qui concerne le calendrier qui doit être resserré, et surtout
en termes de composition des équipes. Neuf équipes de stagiaires ont suivi la
formation ; dans seulement quatre d'entre elles, au moins deux stagiaires
travaillaient dans le même collège.
Ces stagiaires avaient des expériences très variées en termes de maîtrise des
logiciels de géométrie dynamique, du débutant complet à l’expert chevronné. En
ce qui concerne les démarches d’investigation, aucun n’avait réellement
d’habitude d’en mettre en place en classe ; l’emploi le plus répandu de
logiciels de géométrie dynamique restant celui fait par le professeur en classe
entière au vidéo-projecteur pour illustrer son cours. En mathématiques au
collège, l’institution incite à la mise en œuvre de démarches d’investigation ;
rappelons que l’introduction des programmes de collège qui mentionne ces
démarches et précise un canevas en sept points pour leur implémentation en
classe (BO août 2008) est commune aux mathématiques et aux sciences
expérimentales. En dépit de ces incitations, ces démarches semblent encore peu
répandues ; elles suscitent de nombreuses questions de la part des professeurs
de mathématiques, et les stagiaires de la formation TPGéom en ont exprimé dès la
première journée présentielle.
Des débats ont eu lieu entre les stagiaires, et avec les formateurs, au cours de
la présentation des deux exemples de séquences. Dans l’un des exemples, « boîtes
noires » (Dahan 2005, Clerc 2006), un point spécifique apparaît dans un
triangle ; le procédé de construction de ce point a été volontairement effacé,
et les élèves doivent manipuler la figure dynamique pour retrouver ce procédé de
construction. Ceci a amené des discussions, parfois vives, sur la place de la
démarche d’investigation dans l’apprentissage des mathématiques, et le lien
entre investigation et validation. Certains stagiaires ont exprimé leur
opposition à des situations de type « boîtes noires », estimant que celles-ci ne
pouvaient pas s’insérer dans la progression normale en mathématiques, déjà
chargée. Nous faisons l’hypothèse que ces enseignants ont développé un invariant
opératoire du type : « chaque élément de l’enseignement doit permettre d’avancer
dans l’apprentissage des notions au programme ». D’autres ont souligné au
contraire que de telles séances peuvent amener des élèves en difficulté à
reprendre une confiance qui leur sera ensuite largement utile. Sur le plan de la
validation, tous les stagiaires ont fait remarquer qu’il n’était pas possible,
pour une telle situation, de valider les hypothèses formulées au moyen d’une
démonstration écrite. Ceci a amené certains stagiaires à rejeter la situation
proposée (ce qui peut résulter d’un invariant opératoire du type « le mode de
validation en mathématique est la démonstration »), tandis que d’autres
trouvaient à l’opposé intéressante l’introduction de ce mode de validation
empirique peu répandu en mathématiques.
Ainsi le travail documentaire commun dans les équipes a nécessairement amené la
confrontation de ces opinions diverses, dans une négociation du sens qui a amené
certaines évolutions de connaissances professionnelles et de pratique des
stagiaires. Nous nous penchons dans un premier temps sur l’appropriation de
l’assistance méthodologique proposée, l’intégration des ressources du parcours
dans le travail documentaire des stagiaires et les genèses associées ; nous
examinons ensuite les séquences conçues par les stagiaires, pour en inférer des
évolutions de pratique et de connaissances professionnelles.
Dans les quatre équipes comportant deux stagiaires du même collège, des
observations de séances ont été réalisées ; en revanche pour deux des cinq
équipes dont les membres appartenaient tous à des établissements différents, ces
observations n'ont pas été possibles. Toutes les équipes ont utilisé le modèle
de fiche de description de séquence ; certaines l'ont complété, dans un
mouvement d'instrumentalisation, notamment en ajoutant une rubrique mentionnant
les compétences du socle commun en jeu dans la séquence. Dans le questionnaire,
tous les stagiaires déclarent que ce modèle est utile pour les échanges ; ceux
qui ont réalisé des observations soulignent l'intérêt de ce dispositif, et du
modèle proposé pour guider les observations. En revanche le forum a été peu
utilisé : les stagiaires trouvaient plus simple d'échanger par mail, en
s'envoyant les supports préparés comme fichiers attachés. Une équipe a utilisé
le blog d'une de ses membres, qui permettait le dépôt de fichier et l'écriture
de commentaires, plus souplement que la plateforme de la formation. Ce blog
s'est ainsi constitué en ressource pour la formation ; de même, plusieurs
stagiaires habitués à l'emploi des logiciels de géométrie dynamique ont déposé
sur la plateforme des fichiers qu'ils utilisaient usuellement avec leurs élèves
(par exemple des activités de prise en main du logiciel pour les élèves). Les
stagiaires se sont approprié la plateforme, surtout comme lieu d'échanges entre
équipes et avec les formateurs. Dans un mouvement d'instrumentalisation,
certains ont alimenté les ressources disponibles sur la plateforme, ressources
que d'autres se sont appropriées. Il s'agit d'une forme essentielle de travail
collectif, l'enrichissement des ressources de chacun, susceptible de donner lieu
à des genèses faisant évoluer les connaissances professionnelles. Du point de
vue de l’émergence de communautés de pratique, les équipes partagent certes une
entreprise commune, elles ont développé un répertoire partagé ; cependant dans
les questionnaires, les stagiaires déclarent ne pas envisager de poursuivre un
travail collectif, sauf dans le cas de groupes de collègues du même
établissement. Ainsi l’engagement reste limité à la durée de la formation
(caractéristique que Henri & Pudelko, 2006, attribuent aux communautés
d’apprenants, qui ne sont pas des communautés de pratique).
En termes d'évolutions de pratique, tous les stagiaires ont utilisé en classe
avec leurs élèves, au cours de la formation, l'un des logiciels de géométrie
dynamique proposés (la plupart des stagiaires ont en fait mis en œuvre la
séquence conçue, certains en sont restés à des activités de prise en main du
logiciel). Toutes ces utilisations ont de plus amené les élèves eux-mêmes à
manipuler le logiciel, dépassant donc la simple observation d’une figure
construite par le professeur.
En ce qui concerne les thèmes des séquences, pour 5 équipes sur les 9 il s’agit
de l’introduction d’une nouvelle propriété du cours : aire du triangle ou du
parallélogramme, cosinus, angle au centre. Dans ces équipes, les stagiaires
considèrent que la démarche d’investigation peut être utile à la découverte
d’une nouvelle propriété. Les quatre autres équipes ont proposé des situations
dans lesquelles les élèves réinvestissaient des connaissances du cours. Dans
tous les cas, les démarches d’investigation étaient donc intégrées dans la
progression normale des apprentissages. Doit-on en conclure que l’invariant
opératoire « chaque élément de l’enseignement doit permettre d’avancer dans
l’apprentissage des notions au programme » est partagé par les stagiaires à
l’issue de la formation ? Il nous semble que ce choix résulte plutôt de
compromis, dans une volonté de bonne entente dans les équipes, mais ne témoigne
pas nécessairement du développement de nouveaux schèmes.
L’investigation proposée dans les séquences reste limitée. Pour deux équipes sur
les neuf, une figure animée a été construite par le professeur avec le logiciel
de géométrie, et il s'agit seulement pour les élèves de la manipuler, et
d'observer les effets du déplacement pour formuler une conjecture. Dans cinq
autres équipes, les élèves construisent eux-mêmes ou, au moins, complètent la
figure dynamique, mais son emploi est encore limité à des phases de conjecture.
Seules deux équipes prévoient une dimension empirique, soutenue par une
intervention du logiciel, dans la validation d'une conjecture. Dans les
questionnaires, les enseignants soulignent qu'ils ont plutôt centré leur
attention sur l'appropriation de fonctionnalités du logiciel que sur les
démarches d’investigation.
Nous considérons qu’à l’issue de la formation, un invariant opératoire du type :
« la construction et la manipulation d’une figure dynamique permettent aux
élèves de formuler des conjectures en géométrie » est partagé par l’ensemble des
stagiaires. Cet invariant était présent dès le début chez certains ; d’autres
l’ont développé au cours du travail collectif. Il s’insère désormais dans un (ou
plusieurs) schèmes pour ces stagiaires, par exemple pour la classe de
situations : « concevoir et mettre en œuvre l’introduction d’un théorème de
géométrie », ceux-ci devraient mobiliser une règle d’action du type « les élèves
auront à leur charge la formulation de la conjecture, qu’ils identifieront à
l’aide d’une figure dynamique ».
Ces constats se limitent à ce qui a été réalisé durant la formation, et sont
basés sur l'analyse des séquences conçues. Il faudrait les compléter par des
observations réalisées en classe, et par un suivi à plus long terme des
pratiques des professeurs, en particulier pour déterminer si, une fois les
difficultés techniques dépassées, l'attention des professeurs aux démarches
d’investigation évolue.
La recherche sur Pairform@nce doit donc être poursuivie ; de même, il est
essentiel que la production de parcours de qualité, et la mise en oeuvre de
formations basées sur ces parcours se prolongent. Notre travail montre en effet
qu’il s’agit d’actions didactiques de nature à faire évoluer la pratique
enseignante ; et ces actions peuvent être menées à une échelle large, dans
l’esprit de dissémination que promeut le projet S-TEAM.
6. Conclusion
Au-delà de l’intérêt propre de chacun des exemples développés ci-dessus, ceux-
ci nous permettent d’identifier de traits communs, dans le fonctionnement de
communautés de pratique très diverses. Des ressources communes sont mobilisées,
discutées, modifiées ; des documents sont engendrés par ces processus. Ainsi
les connaissances professionnelles des membres des communautés évoluent au fil
de ces processus. Le numérique facilite les échanges, en offrant des lieux dans
lesquels la discussion asynchrone est possible, et en permettant une évolution
rapide des ressources, pour intégrer les contributions de chacun. Cependant ces
possibilités ne suffisent pas ; des modèles communs sont nécessaires pour
permettre le développement de la documentation communautaire.
Ces exemples permettent aussi d’illustrer la mise en œuvre de l’approche
documentaire que nous développons, et de montrer de quelle manière celle-ci, en
s’intéressant aux interactions entre les professeurs et les ressources, peut
éclairer l’évolution des connaissances professionnelles. Cette approche est
encore en cours d’élaboration, elle doit être développée dans différentes
directions. Il s'agit d'une part de la mobiliser pour des analyses portant sur
des professeurs enseignant diverses disciplines, afin de mettre au jour les
spécificités disciplinaires de la documentation, voire d'indiquer de
nécessaires évolutions théoriques. D'autre part, du point de vue de ces
évolutions théoriques, une étude approfondie de l'articulation entre schème et
savoir-processus reste à entreprendre. L'approche doit de plus être précisée en
ce qui concerne les collectifs. Comment s’articulent le système documentaire
d’un individu et celui d’un collectif auquel il appartient ? Nous avons abordé
ici cette question complexe, elle doit être poursuivie dans des études de cas
mais aussi en termes d’élaborations théoriques et méthodologiques.
L’étude des genèses documentaires demande en effet un suivi à long terme, du
travail hors classe comme du travail en classe. Le développement de l’approche
documentaire est ainsi allé de pair avec une réflexion sur les questions
méthodologiques (Gueudet & Trouche 2010b). Nous avons en particulier choisi
d’associer le professeur lui-même à la description de son travail, dans un
mouvement d’investigation réflexive. Un professeur, membre d’un collectif, peut ainsi
nous livrer son regard sur ce collectif (c’est le cas de Pierre, § 3). Mais
comment accéder au regard d’une communauté sur elle-même, comment contraster
les points de vue de différents membres d’une même communauté ? Le travail sur
ces questions doit être poursuivi, il est essentiel pour permettre aux
formateurs et aux chercheurs de jouer au mieux leur rôle vis-à-vis des
communautés d’enseignants.
Références
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