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PSVCtiOPATHOLOGIE CLINIQUE L a psychiatrie contemporai- ne traverse une crise en raison des restrictions severes de sa conception de la personne et, en consequence, de sa conception du patient. Elle reifie le patient de plusieurs far : 1) elle manque d'une concep- tion de la normalite et en conse- quence perr la plupart des aspects de la vie du patient en termes pathologiques ; 2) elle reduit les problemes du patient a une liste de sympt0mes pathologiques ; 3) elle tend ~ concevoir ces sympt0mes comme principalement d'origine biologique ; 4) ses methodes de traitement sont pharmacologiques et compor- tementales. En raison de ces reduction- nismes, la psychiatrie ne parvient pas: 1) a distinguer entre le sain et le pathologique dans la vie humai- ne ; 2) /~ voir les aspects patholo- giques de la vie du patient dans le contexte plus large de sa personna- lite et de son milieu sociocuhurel ; 3) a considerer convenable- ment les facteurs psychologiques et sociaux qui causent et maintien- nent les problemes du patient ; 4) ~t utiliser des traitements qui s'adressent a une personne entiere vivant dans son milieu sociocuhu- rel. Toutefois ces reductionnismes, aussi aveugles nous laissent-ils quand ils fonctionnent seuls, doi- vent eveiller notre attention sur des constituants importants de la vie humaine. Pour exprimer notre pro- pos de maniere aussi generale que possible : ils nous sensibilisent au fait anthropologique que les etres humains sont, a certains egards, des objets. Bien que la conception reductionniste du patient indique, en raison de ses restrictions, la perte du singulier, notre ambition pour la reconquete du singulier dolt integrer les constituants quasi- objets de l'existence humaine, ce que le reductionnisme souligne. Parce que les etres humains sont certains egards des objets, une conception globale des personnes ne dolt pas negliger cette objectite mais plutOt la situer au sein d'un plus large contexte philosophique auquel elle appartient logiquement. La reconquete du singulier deman- de le d~veloppement d'une anthro- pologie philosophique adequate. Cette anthropologie philosophique dolt etre une theorie de la vie humaine singuliere suffisamment englobante pour inclure tous les aspects de l'existence humaine que nous savons etre essentiels. Les explications philosophiques ante- rieures de la vie humaine ont echoue ~ etre suffisamment englo- bantes pour deux raisons fonda- mentales. D'abord, elles ont ignore cer- taines dimensions de l'existence humaine. Nombreuses ont ere celles, par exemple, qui se sont focalisees sur l'esprit et ont ignore le corps. Ou bien, si elles incluaient une discussion sur le corps, celui etait conqu exclusivement comme un organisme biologique, c'est-~- dire dans la conception des sciences biologiques. Une telle conception omet la dimension du corps vivant, c'est-a-dire le corps dont nous sommes conscient dans notre experience pre-scientifique. Ou bien, certaines theories de l'existence humaine sont centrees sur les sensations et le raisonne- ment individuels et echouent ~t decrire les emotions et les relations sociales. Eanthropologie philoso- phique telle que nous l'envisageons devrait inclure une peinture gen& tale de tousles aspects ou de routes les dimensions de la realite humai- ne - psychologiques, sociocuhu- rels, esthetiques, politiques, tell- 28 PSN, volume I, num~ro 4, septembre-octobre 2003

La crise de la psychiatrie contemporaine 2ème partie: la reconquête du singulier

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PSVCtiOPATHOLOGIE

C L I N I Q U E

L a psychiatrie contemporai- ne traverse une crise en raison des restrictions severes de sa concept ion

de la personne et, en consequence, de sa conception du patient. Elle reifie le patient de plusieurs far :

1) elle manque d 'une concep- tion de la normalite et en conse- quence perr la plupart des aspects de la vie du patient en termes pathologiques ;

2) elle reduit les problemes du patient a une liste de sympt0mes pathologiques ;

3) elle tend ~ concevoir ces sympt0mes comme principalement d'origine biologique ;

4) ses methodes de trai tement sont pharmacologiques et compor- tementales.

En raison de ces reduct ion- nismes, la psychiatrie ne parvient pas:

1) a distinguer entre le sain et le pathologique dans la vie humai- ne ;

2) /~ voir les aspects patholo- giques de la vie du patient dans le contexte plus large de sa personna- lite et de son milieu sociocuhurel ;

3) a considerer convenable- ment les facteurs psychologiques et sociaux qui causent et maint ien- nent les problemes du patient ;

4) ~t utiliser des traitements qui s 'adressent a une personne entiere vivant dans son milieu sociocuhu- rel.

Toutefois ces reductionnismes, aussi aveugles nous laissent-ils quand ils fonct ionnent seuls, doi- vent eveiller notre attention sur des const i tuants importants de la vie humaine. Pour exprimer notre pro- pos de maniere aussi generale que possible : ils nous sensibilisent au fait anthropologique que les etres humains sont, a certains egards, des objets. Bien que la conception reductionniste du patient indique, en raison de ses restrictions, la perte du singulier, notre ambit ion pour la reconquete du singulier dolt integrer les constituants quasi- objets de l 'existence humaine, ce que le reduct ionnisme souligne. Parce que les etres humains sont certains egards des objets, une conception globale des personnes ne dolt pas negliger cette objectite mais plutOt la situer au sein d 'un plus large contexte phi losophique auquel elle appartient logiquement. La reconquete du singulier deman- de le d~veloppement d 'une anthro- pologie philosophique adequate. Cette anthropologie philosophique dolt etre une theorie de la vie humaine singuliere suffisamment

englobante pour inclure tous les aspects de l'existence humaine que nous savons etre essentiels. Les explications phi losophiques ante- rieures de la vie humaine ont echoue ~ etre suff isamment englo- bantes pour deux raisons fonda- mentales.

D'abord, elles ont ignore cer- taines dimensions de l 'existence humaine. Nombreuses ont ere celles, par exemple, qui se sont focalisees sur l 'esprit et ont ignore le corps. Ou bien, si elles incluaient une discussion sur le corps, celui etait conqu exclusivement comme un organisme biologique, c'est-~- dire dans la concept ion des sciences biologiques. Une telle conception omet la d imension du corps vivant, c'est-a-dire le corps dont nous sommes conscient dans notre experience pre-scientifique. Ou bien, certaines theories de l 'existence humaine sont centrees sur les sensations et le raisonne- ment individuels et echouent ~t decrire les emotions et les relations sociales. Eanthropologie philoso- phique telle que nous l'envisageons devrait inclure une peinture gen& tale de tousles aspects ou de routes les dimensions de la realite humai- ne - psychologiques, sociocuhu- rels, esthetiques, politiques, tell-

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PSYCHOPATHOLOGIE

CLINtQUE

gieux, biologiques, neurophysio- logiques, etc.

Ensuite, les theories philoso- phiques de l'existence humaine se sont jusqu'a present concentrees sur ce qui est normal dans la vie humaine et, de cette fagon, ont ignore ce qui se trouve en dehors du normal, appele l'anormal, le subnormal ou l'extranormal. Par exemple, Maurice Merleau-Ponty- dont le livre Phenomenologie de la perception nous semble par ailleurs extremement precieux - utilise les resultats de Kurt Golstein sur des patients neurologiquement atteints dans le but de mieux eclairer l'ex- perience normale du corps vivant. Ce sont des bribes d'une phenome- nologie des experiences patholo-

giques de ces patients, mais cette experience n'est jamais etudiee pour elle-meme. De la meme maniere, les etudes sur l'esprit dans la philosophie analytique americai- ne et britannique prennent en compte quelques conditions anor- males, par exemple le cerveau desafferente, mais de telles approches ne servent habituelle- ment qu'a illustrer les experiences normales de l'identite personnelle ou des objets dans le monde. Ainsi, le type d'anthropologie phi- losophique qui peut nous aider '% reconquete du singulier" est celle qui inclut tous les aspects de l'existence singuliere (psycholo- gique, social, religieux, etc.) aussi bien que toutes les personnes (nor-

male et anormale). Nous souhaite- rions maintenant decrire la structu- re d'une telle anthropologie philo- sophique. Notre anthropologie fait appel a quelques auteurs du cou- rant de la philosophie phenomeno- logique et existentielle et de la medecine anthropologique.

Nous commencerons par un resume philosophique du pheno- mene de la vie elle-meme. Ce resu- me nous permettra de souligner certaines caracteristiques des etres vivants, tant humains que non- humains, que nous appellerons les "vecteurs biodynamiques". Ensuite, en opposant les animaux non- humains et humains, nous expose- rons dans les grandes lignes com- ment la biologie, la culture et la

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liberte far l 'existence humai- ne. Les vecteurs, presents dans tous les organtsmes, prennent une forme speciale chez les etres h u m a t n s en raison de notre "posi t ion excen- t r ique ' . Nous aborderons ensui te quatre t roubles mentaux : la mala- die maniaco-depress ive , la schizo- phrente , le trouble de la personna- lite soc iopa th ique /h i s t r ion ique , et le t rouble obsess tonne l -compuls t f . Toutefois, nous ne verrons pas ces modes d 'e t re huma i n c o m m e des t roubles men taux mais p lu t0 t c o m m e des "types exis tent iaux" deftnis par l ' hypernomie , l 'he tero- nomie, l ' hyponomie et l ' idtonomte. Nous conc lurons en ind iquant les roles h is tor iques et c ruciaux tenus par les pe r sonnes qui ont donne forme a c e s types.

LE PHI~NOMENE DE LA VIE

C o m m e n r par le n iveau orga- n tque en notan t quelques const i - tuants de base de tout etre vivant . La tache fondamenta le de tout organisme vivant consiste a assurer le maint ien de sa propre existence. Con t inue l l emen t menacee par la possibi l i te de la non-ex is tence , la mor t , cette possibil i te dev iendra effective si l 'o rganisme ne lui echappe pas c o n s t a m m e n t en fai- sant quelque chose. Parce l 'existence de l 'organisme n 'est jamais assuree, cette existence dolt etre r~alis~e et sans cesse realisee a nouveau par la p ropre activite de l 'organisme. La non-exis tence menace l 'etre vivant parce que l 'organtsme est une crea- ture du besoin : l ' o rganisme reste tou jours non autosuffisant. Eetre vivant ne peut pas pe rpe tue r sa p ropre existence par l u t -meme : pou r pe rmet t r e le cours de son existence, il dolt se lier a l'autre, au monde. Eorganisme est d e p e n d a n t des ressources du m o n d e pou r satisfaire ses besoins. Ainsi, l 'activi- te de l 'o rganisme consiste en une in te rac t ion avec l ' env i ronnement . Si cette in teract ion s 'arrete, l 'orga- n isme meur t . Manquant d 'une autosuff isance qui lui pe rme t t r a i t de con t inue r a exister comple t e - ment par lu i -meme, l 'organisme est

un etre dependant-du-monde (Jonas). Et pou r t an t l 'organisme dolt

aussi rester independant de son env i ronnement . St les l imites qut separent la vie de l 'organisme du monde disparatssaient , l 'organisme mourra i t . Eetre vivant dolt done maintenir sa propre identite distinc- te de l ' env i ronnement . Dans le but de preserver sa propre individuali- te separee du monde , l 'o rganisme dolt interagir avec le monde. Cette relat ion s o l - m o n d e est done com- plexe : l ' exis tence cont inue du sol depend de ses relat ions au monde , et l 'exis tence cont inue du sol depend de sa separat ion du monde (Jonas).

Ces caracter is t iques des etres vivants sont presentes meme au niveau du metabolisme. Les proces- sus me tabo l iques grace auxquels l 'o rganisme se main t ien t en vie dependen t de nu t r imen t s contt- nuel lement ob tenus dans le monde externe. Toutefois, dans ces echan- ges cont tnus avec le monde , les processus me tabo l iques dans For- ganisme doivent main ten i r leurs propres limites de clOture-de-sot. Si les l imites entre le sol et le m o n d e dev iennent t rop permeables , les processus me tabo l iques cessent et fo rment ce que nous n o m m o n s la mort . Le me tabo l i sme de l 'orga- nisme met done en evidence rant le rapport-au-monde que la cloture- de-soi : les deux doivent etre main- tenus s i m u h a n e m e n t pour que le processus cont inue (Jonas). D 'apres l ' apergu ci-dessus, nous pouvons no te r deux caracteris- t iques co r r e spondan te s des etres humains . Si une de ces caracteris- t tques prenai t le dessus, l 'autre serait menacee . Pour cette raison, les deux caracteris t iques coexistent dans une cer ta ine tension. Alors que chacune a besoin de l 'autre pour que la vie de l ' indivtdu conti- nue, l 'accroissement de l 'une mena- cerait le fonc t ionnement de l 'autre. En consequence , le maint ien de la vie necesst te un equil ibre entre elles : un equi l tbre pour lequel aucune ne doit ecraser l 'autre. On peut decrtre les deux caracterts- t iques de deux differentes fa~ons.

Ces differentes descr ip t ions les mont ren t sous des points de vue un peu differents : le r appor t - au - m o n d e et la c l0 ture-de-soi , ou la d e p e n d a n c e - a u - m o n d e et l ' inde- pendance -au-monde .

Nous souha i te r ions n o m m e r ces caracter is t iques "vecteurs" de vie. Chacun represente un "besoin" de l 'etre vivant dans le sens o0 ils sont necessaires pour vivre. En rant que "besotns" de la vie, ils tirent ou tractent vers eux l 'etre vivant. Dans le but de saisir le sens de ce mou- vemen t ou de cette elan vers eux, nous n o m m o n s ces caracterist iques des "vecteurs b iodynamtques" . La not ion de vecteur renvoie a celle de "direction de mouvement" .

BIOLOGIE, CULTURE ET LIBERTE

Matntenant nous devons poser une ques t ion : qu 'es t -ce qui gouverne ce m o u v e m e n t ou cette tendance ? C o m m e n t ce m o u v e m e n t ou cette tendance est de termine ? Che7 les an imaux n o n - h u m a i n s , ces "directions de mouvement" sont p r inc ipa lemen t gouvernees par la biologie animale. La biologie de l ' an imal fagonne et dirige ses formes de r appor t - au -monde . Chez les an tmaux plus primit ifs , ces formes de r a p p o r t - a u - m o n d e peu- vent etre con~ues tres mecan ique- men t : par exemple , grace a un reflexe mecanique , une tique dans un arbre tombe sur un etre vivant marchant jus tement dessous quand la tempera ture de Fair et la concen- t rat ion en acide butyr ique de l 'eva- po ta t ion de la t ransp i ra t ion de la pe r sonne depassent un niveau seuil. Dans les especes animales plus evoluees, les formes de rap- p o r t - a u - m o n d e sont pr tnc ipale- men t inst inctuel les , et la biologie de l 'animal de te rmine ces formes instinctuelles. Une lois les instincts apparus, ils sont fondamenta lement fixes, definis et inaherables . En consequence , chaque espece ani- male a son propre "env i ronnement specif ique ~ l 'espece", c 'es t -a-dire un env i ronnemen t relatif a une espece part tcul iere e t a sa serie de

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mecan i smes et d ' inst incts . Les dif- ferentes especes animales ne parta- gent pas leur e nv i r onnem en t : chaque espece a l e sien propre . La "rela t ion-au-monde" de l 'animal est donc en realite une relation a un environnement sp&ifique a l'espece. Pour resume, la biologie animale determine ses formes de clOture-de- sol [9-12].

Toutefois, pou r l ' an imal humain , la biologie ne realise pas autant. La biologie humaine ne des- sine pas ent ierement nos formes de r a p p o r t - a u - m o n d e . En fait notre biologie laisse relativement ouvertes et indeterminees nos formes de rap- po r t - au -monde . E inde te rmina t ion de notre etat biologique nous rend " ins t inc tue l lement fa ibles ' . Ainsi, les instincts qui definissent etroite- ment les re la t ions-~- l ' envi ronne- ment des an imaux n o n - h u m a i n s jouent un plus peti t role dans l 'ac- t ion et l ' exper ience humaines . De ce fait, l 'etre humain n'a pas d 'envi- r o n n e m e n t specif ique a l 'espece. Pour autant qu'il est de termine par son caractere biologique, l ' individu h u m a i n est capable de vivre dans une tres grande variete d ' env i ron- nemen t s differents. C'est ce que Max Scheler veut dire par le terme "ouve r tu re -au -monde" : alors que l 'animal non-humain est limite ~ un envi ronnement re la t ivement etroit, l ' an imal huma in est ouver t a un eventai l beaucoup plus large de realites diverses. Donc, par sa bio- logie, l 'etre h u m a i n reste instable, indetermine, plast ique et malleable [2-3, 9-12]. La m e m e chose s ' app l ique a nos formes de cl0ture-de-soi ou de rap- por t -au-soi . Notre biologie ne de termine que par t ie l lement nos formes de relations/~ notre propre corps, par exemple . Les etres humains sont capables d ' adop te r une grande variete de concep t ions et d 'a t t i tudes par r appor t a l e u r corps. Notre biologie laisse donc nos formes de rappor t -au-so i instables, plastiques et mal definies [2-3, 9-12].

Pour cette raison, la culture humaine peut et dolt venir comple- ter la biologie humaine . La culture

dolt venir comple te r la biologie huma ine parce que notre biologie laisse nos modes d'etre t rop ind& termines ou mal definis. Et la cultu- re peut venir comple te r la biologie parce que notre biologie nous laisse assez plast ique et malleable pour etre modele en une variete de modes differents d'etre humain . La culture impose ses formes humaines

l 'existence humaine et, de cette maniere, aide a fermer cette ouver- t u r e - au - monde laissee par notre seule biologie. En integrant les valeurs sociales et en tenant des roles sociaux, notre exper ience est modelee en des types plus ou moins definis. La culture determine ce que la biologie laisse indeterminee. La socialisation dans une societe parti- culiere definit pour nous les formes acceptables de relation au monde et au sol [2-3, 9-121.

Et pour tant la culture nous lais- se encore par t ie l lement "ouver t ' , inde termine , malleable et instable. Meme apres la mise en forme conjointe par la biologie et ta cultu- re de notre mode d 'e t re -au-monde , l ' indeterminat ion perdure. Dans ce fosse d ' inde te rmina t ion reside la liberte individuelle du choix. Apres l 'action conjointe de la culture et de la biologie, l ' incer t i tude de nos formes de relat ion au monde et au sol qui persiste peut se trouver deft- nie par des decisions volontaires. Donc, dans la vie humaine , le rap- po r t - au -monde et la clOture-de-sol, la dependance -au -monde et l ' inde- p e n d a n c e - a u - m o n d e sont formes par trois forces : la biologie, la cul- ture et la liberte individuelle.

LA POSITION EXCENTRIQUE

S i m o n etre est determine par m o n r a p p o r t - a u - m o n d e et par ma clOtu- re-de-sol, nous devons mieux com- prendre c o m m e n t cela arrive. Dans le but d 'expl ic i ter cela plus avant , nous devons in t roduire une autre composante essentielle de l 'existen- ce humaine , composan te n o m m e e par He t mu t Plessner la "posi t ion excentr ique" [6-8].

La pos i t ion excent r ique des etres humains veut dire que la per-

sonne a la fois coincide avec son propre etre et echoue a co~ncider avec son propre etre. Eetre humain est a la fois centre sur son etre et non centre sur son etre : je suis a la fois identique ~ m o i - m e m e et diffe- rent de mon moi. Prenons mes rela- t ions a m o n propre corps, par exemple . Sous un cer tain angle, je suis m o n corps ; je coincide avec m o n corps ; m o n corps et moi sommes un. Mais d 'un autre cote, mon corps est quelque chose de dif- ferent de moi ; c'est un objet ou une chose que j 'ut i l ise. J 'ut i l ise mes mains pou r taper sur m o n ordina- teur. Maintenant , quand je tape, je suis inconsc ient de mes mains. Dans ce cas, je suis rues mains ; je ne distingue pas entre ma conscien- ce qui pense les choses et mes mains qui tapent ces choses. Ma conscience et rues mains sont une seule realite ; elles fonc t ionnent ensemble c o m m e une unite indivi- sible. Mais mes mains ne peuven t pas toujours taper sur un ordina- teur. I1 y a des annees j 'ai du apprendre m o i - m e m e , c 'es t -a-dire mes mains ont du apprendre taper. Mes mains etaient alors des objets auxquels je devait penser, et je devais c o n s c i e m m e n t les guider dans chaque m o u v e m e n t . Mainte- nant que rues mains ont appris taper, je ne pense plus a elles et je ne les dirige pas consc iemment . Elles sont devenues si parfa i tement unies a mon esprit que rues pensees appara issen t immediatement en mots sur l 'ecran de mon ordinateur. Mais, bien sOL derriere cette appa- rition immediate des roots, rues pen- sees sont ob tenues par mediation : ce sont rues mains tapant sur l 'ordi- na teur qui font media t ion . Ainsi, Plessner qualifie ma relation a m o n propre corps d' " immedia te te mediate".

Ou prenons un autre exemple : les emot ions que je ressens. Quand je ressens certaines emotions fortes, 3e suis s i m p l e m e n t ces emot ions . Mais je peux aussi decider de "rete- nit" rues emot ions et les changer. Je peux me dire de me calmer ou bien de ne pas etre si excite. Bien stir, je peux ne pas reussir c o m p l e t e m e n t

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P S Y C H O D ~ T H O L O G IE

C L I N I Q U E

quand j 'essaie de contrOler mes emot ions . Mais ce succes part iel demon t r e par fa i tement la pos i t ion excent r ique des etres h u m a i n s : mes emot ions ne sont pas iden- t iques a moi car je peux les contra- ler, mais d 'une certaine far elles sont ident iques a moi car je ne peux pas comple tement les contrO- ler ; je suis contraint a ~tre simple- ment elles.

Les vecteurs b i o d y n a m i q u e s sont con tenus dans la pos i t ion excentr ique de l'etre humain. D'une cer ta ine maniere , je suis s imple- men t ma propre forme de depen- d a n c e - a u - m o n d e : ma re la t ion au monde est a un certain niveau don- nee et inalterable ; elle est ce que je suis ; elle est tout mon mode d'exis- tence singuliere. Mais, d 'un autre cote, je peux contrOler et changer ma d e p e n d a n c e - a u - m o n d e . Elle n 'es t pas en t ie rement donnee une lois pou r toute parce que je peux la modifier . Ma dependance par rap- por t au m o n d e est quelque chose envers quoi je peux p rendre posi- tion. Et je peux p rendre pos i t ion envers elle parce que je ne peux pas m' ident i f ier ~ elle.

Ensuite, tes vecteurs b iodyna- miques font part ie de la pos i t ion excent r ique de la vie h u m a i n e : notre vie coincide avec nos propres formes personnel les de r appor t - au - m o n d e et de clOture-de-sol , et pour tan t , nous pouvons aussi p rendre posi t ion contre elles et les changer. Nous pouvons ainsi par ler de la "liberte l imitee" des etres humains . Les vecteurs b iodyna - miques que nous possedons ont ete far par la biologie et la cultu- re. Du point de vue de l ' individu, ces vecteurs sont donnes : ils deter- minen t et definissent q u i i l est. Ils sont donnes a l ' individu parce qu'ils ont ete forges par sa biologie et sa cul ture. Mais neanmoins il peu t prendre position par rapport a eux : il peut essayer de les contrOler et de les modifier. Parce que ces vecteurs sont determines par la biologie et la culture, ses choix sont limites. Mais parce que, d 'une certaine maniere , il peut les contrOler et les changer, il reste libre a un certain niveau. La

relation de l ' individu avec les vec- teurs b i o d y n a m i q u e s est une rela- t ion de l iberte l imitee [6-8]. La biologie, la culture, et la liberte fagonnent les pe r sonnes differem- ment . Par exemple , certaines per- sonnes a iment tenir des roles sociaux, et elles sont capables d 'adapter a isement leurs compor te - ments aux exigences de ces roles. De telles pe r sonnes sont capables de s ' identifier a l e u r s roles, tout au moins pendan t le temps qu'elles les t iennent . Toutefois, d 'autres per- sonnes se sentent mal a l 'aise et maladroi tes a tenir des roles sociaux. Ces pe r sonnes ressentent une considerable "distance-au-rOle" meme quand elles s 'obligent a tenir un r01e. Ces alternatives, identifica- t ion-au-rOle et distance-au-rOle, sont les resul tats des de te rminants biologique, cuhure l et personnel . Ces de te rminan t s nous fagonnent d i f fe remment de telle sorte que nous avons chacun des at t i tudes differentes envers nos roles sociaux.

Notons , toutefois, que, nous les humains , con t ra i rement aux an imaux n o n - h u m a i n s , nous pou- vons tenir des roles sociaux, et que nous pouvons les tenir en raison de notre posi t ion excentr ique. Quand je tiens un rOle social, le role est la fois ce que je suis et ce je ne suis pas. Quand j ' ense igne , je suis un enseignant. Et pour tant je suis aussi en train de manipuler m o n r01e : je l'ajuste e t j e le modifie ; je le fa~onne et je le modele. J 'exerce un controle sur le role que je tiens, mais je ne peux pas comple tement le controler parce que le role est aussi ce que je suis.

Nous pensons que identif ica- t ion-au-rOle et distance-au-rOle manifestent des directions possibles des vecteurs b i o d y n a m i q u e s men- t ionnes ci-dessus, n o m m e s depen- dance -au -monde et independance- au -monde . Eident if icat ion-au-rOle manifeste la dependance-au-monde de l ' individu. La distance-au-rOle mont re l ' i n d e p e n d a n c e - a u - m o n d e de la personne . Beaucoup de per- sonnes, dans l ' accompl issement de leurs roles de t o u s l e s jours , sont capables d'alterner entre identifica-

tion-au-rOle et distance-au-rOle : ils t iennent leurs roles de maniere suf- f isamment naturelle mais ils n ' iden- tifient pas ent ierement leur etre sin- gulier au role. Un tel equilibre dans la relation de l ' individu a ses roles sociaux manifeste un equil ibre entre sa d e p e n d a n c e - a u - m o n d e et son i ndependance -au -monde . Bien sOr, un tel equi l ibre est r a rement constant dans la vie humaine . Ein- dividu vacille : il est quelquefois capable de s ' ident if ier a ses roles mais a d 'aut res m o m e n t s se sent p r o f o n d e m e n t aliene par eux. Les vecteurs, en rant que tendances de la vie humaine, changent : ils orien- tent la personne dans des directions differentes a des m o m e n t s diffe- rents. Mais p rec i sement le caracte- re plastique et instable de l 'existen- ce huma ine se devoile par ce changemen t et ce vaci l lement . En effet, c'est par ce changement et ce vaci l lement que nous pouvons "arr iver a un accord" avec nous- memes et faire le choix d 'une alter- nat ive pa rmi le grand eventai l de possibi l i tes qui s 'offrent a nous. La vie singuliere appara i t donc c o m m e un large spectre de voles poss ibles pour etre humain . Ce spectre est large parce que notre biologie nous laisse "ouver t s -au- monde" , et notre cul ture , en com- p lement de la biologie, nous far ne en une grande variete de voles. Et meme apres que la biologie et la cul ture nous aient chacun places dans des regions differentes du large spectre de l 'humani te , l ' inde- terminat ion qui persiste dolt comp- ter sur la libre volonte individuelle pou r decider c o m m e n t f inalement nous souhai tons vivre.

ANTHROPOLOGIE PHILOSOPHIQUE

ET MALADIE MENTALE

Ce large spectre de l ' humani te cont ient ces pe r sonnes que nous avons l ' hab i tude de qualifier de "malades m e n t a u x ' . Nous vou- dr ions d ' abord soul igner que c'est 1' " ouve r tu r e - au -monde" des etres humains qui pe rme t a c e s per- sonnes, se c o m p o r t a n t dans des

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CI_. tNIQUE

voles que nous appe lons "maladie mentale", de survivre . La vie humaine peut assurer de nom- breuses formes individuel les diffe- rentes et cont inuer a exister dans le monde parce que chaque forme recele en propre l ' i nde te rmina t ion et l 'absence de fixite qui lui pe rmet de s ' adap te r ~ son env i ronnemen t . Si une forme "deviante" de l 'animal n o n - h u m a i n appara issa i t dans le monde , elle ne pour ra i t p robable - ment pas survivre. Ses "inst incts deviants" la condui ra i t /~ se corn- por te r de manieres qui, en raison de leur s t ructure fixe, resteraient trop mal adaptees. Cependan t , les formes "deviantes" du c o m p o r t e - ment humain restent suf f i samment ouvertes pou r s 'a jus ter ~t n o m b r e s de situations.

LES TYPES EXISTENTIAUX

Maintenant , nous ferons appel l 'anthropologie circe ci-dessus pour mont re r quelques cons t i tuan ts essentiels de quatre differents "troubles mentaux". Nous met t rons en lumiere ces cons t i tuan ts chez des personnes souffrant de maladie maniaco-depressive, de schizophre- nie, de t roubles de la personnal i te psychopath ique/h is t r ionique , et de troubles obsess ionnels-compuls i fs . Toutefois, nous me t t rons de cote toute concep t ion pa tho log ique de ces types d'etre humain . Bien qu'ils aient c la i rement des de te rminan t s biologiques, genetiques, sociaux et psychologiques, nous ne refererons pas a eux ici. Nous caracter iserons ces types humains c o m m e des modes par t icul iers d ' e t re -au- monde . Nous cons idere rons donc ces differents modes d 'e t re -au- monde c o m m e des " types exis ten- tiaux" [5].

Eindividu qui est sujet a la maladie maniaco-depressive s ' identi- fie g randement aux roles sociaux et aux valeurs etablies. Dans le sous- type depressif , m e m e quand la depression est absente, cette deter- mina t ion a faire son possible pour cela reussit toujours. En fait, un tel individu sera suridentifie aux normes sociales. A la suite de Tel-

l enbach et d 'Alfred Kraus, nous appe l l e rons hypernomie cette suri- dent i f ica t ion aux valeurs sociales etablies. Ehypernomie expr ime une dependance excessive au m o n d e social etabli ainsi qu 'une trop faible i ndependance par r appor t au monde. Darts les phases maniaques, de tels individus se rebellent contre les roles et les valeurs etablis. Mais leur vehemence et leur de te rmina - t ion dans la rebel l ion demon t r e combien ils restent dependants des valeurs contre lesquelles ils se rebellent [5, 14].

La pe r sonne ayant une schizo- phrenie ressemble a celle ayant une maladie maniaco-depressive dans le sens ou la personne qui a une schi- zophrenie s'efforce aussi avec deter- mina t ion de s ' identifier aux valeurs etablies de la societe. Cependan t , celle-ci echoue toujours dans sa quete. Elle finit donc par nier ou peut-etre t ranscender les normes de la societe. Elle peut meme creer un nouveau monde . Cet echec ~t faire son possible pour se conformer, qui ensuite about i t a tout sauf fi cette va leur -or ien ta t ion , nous l ' appel le- rons heteronomie. Ehe te ronomie mon t re un trop faible lien au monde social etabli [1].

Une personne qui est sujette des troubles de la personnalite de type psychopathique ou histrionique est moins concernee par l ' ident if ica- t ion aux valeurs de la societe que par la man ipu la t ion de ces valeurs au service de son propre interet . Cette sous- ident i f ica t ion aux no rmes sociales nous l ' appe lons hyponomie, g h y p o n o m i e expr ime un trop faible lien au monde social partage [ 11.

I2individu qui est obsessionnel n'a pas d 'aut re choix que d 'adherer s t r i c t ement a ses p ropres valeurs id iosyncras iques . Parce que ses valeurs personnel les sont en con t rad ic t ion avec les no rmes sociales etablies, il se sentira hon- teux de son asserv issement a lui- meme et tentera desesperement de le d i ss imuler aux autres. Nous appe lons idionomie cette sur ident i - f ication a ses p ropres regles et valeurs personnel les . E id ionomie

mont re une forme ext reme de clo- ture-de-sol [1].

FIXITE DE LA RELATION

AUX VAt,EURS

Nous reconnaissons donc au moins quatre differentes voles possibles pour etablir so i -meme un rappor t au m o n d e social : l ' hype rnomie , l ' he te ronomie , l ' hyponomie et l ' idionomie. Dans les types existen- t iaux que nous avons resumes ci- dessus, ces modes de r appor t - au - monde sont fixes et immuables . La personne ayant une maladie mania- co-depress ive est incapable d'agir autrement qu 'en s 'efforcant avec de te rmina t ion de s ' identif ier aux normes sociales etablies. Eindividu ayant une sch izophren ie est aussi non libre : il doit tenter de s ' identi- tier aux valeurs de la societe mais echoue inevi tab lement . Indepen- d a m m e n t de tous ses propres choix, l 'etre h u m a i n avec un t rouble de la personna l t t e de type p sychopa th ique ou h is t r ionique reste incapable de s ' identif ier aux valeurs sociales. La personne avec un trouble obsess ionne l -compuls i f ne peut pas choisir de cesser d 'adhe- rer sans reserve a ses propres regles id iosyncrat iques . En resume, les pe r sonnes ayant une maladie maniaco-d~press ive ne peuvent etre que hype rnomiques ; les personnes ayant une schizophrenie ne peuvent etre que he te ronomiques ; les indi- vidus avec un trouble de la person- nalite de type psychopa th ique ou h is t r ionique ne peuvent etre que h y p o n o m i q u e s ; et les individus avec un trouble obsess ionne l -com- puls i f ne peuvent etre que idiono- miques.

La necessite de garder ces formes de r a p p o r t - a u - m o n d e pro- vient de raisons a la fois biolo- giques et sociales. La recherche scientifique en neurosciences et en neurosc iences cogni t ives a com- mence a expliciter les de terminants biologiques cruciaux de ces indivi- dus qui exempl i f ien t ces types [13]. De tels de te rminan t s laissent ces personnes moins "ouvertes-au- monde" que d 'autres . Les autres

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IIII I

PSY C H O I ~ # Y I H O L O G I E

C L I N I Q t I E

pe r sonnes font preuve de plus de flexibilite et de malleabilite dans les formes de leurs r appo r t s - aux - valeurs. Ces pe rsonnes peuven t s ' identifier aux valeurs de leur cul- ture a un certain degre alors qu'~ d 'au t res m o m e n t s elles se sentent al ienees aux no rmes sociales eta- blies. Cependan t , les ind iv idus appar tenan t a des types de t roubles m e n t a u x ont des s t ruc tures b io lo- giques qui r enden t dominan te et envahissante une seule forme de re la t ion-aux-va leurs . Les autres formes de relat ion-aux-valeurs sont c o m m e indisponib les a l ' individu. Leurs formes de re la t ion-aux- valeurs sont inflexibles et immuables .

Bien sOr, ce que nous venons de dire doit dans une cer ta ine mesure etre tempere. Les personnes a p p a r t e n a n t a ces types exis ten- t iaux peuven t se sentir jusqu'a un cer ta in po in t entraines dans des direct ions contraires. Par exemple , la pe r sonne sujette a la maladie maniaco-depressive, si dominee par son h y p e r n o m i e , peut encore etre enclin ~ nier les valeurs etablies. En d 'au t res termes, elle peut etre atti- ree j u squ ' a un certain degre vers l ' he te ronomie . Et elle peu t aussi ressent i r un elan vers l ' id ionomie . Mais c 'est l ' hypernomie qui en der- nier recours contr01e l 'act ivi te du sol ; il ne peu t pas resister a Fat- t rac t ion pers is tante de l ' h y p e r n o - mie. Et, pour de telles pe r sonnes , les autres formes de re la t ion-aux- valeurs peuvent exercer des attrac- t ions. Ainsi, il existe des types in te rmedia i res tel que celui de la maladie schizo-affective.

Une deuxieme reserve a souli- gner concerne la liberte humaine , si deficiente qu'elle puisse appara i t re dans ces types existentiaux. Meme des pe r sonnes qui aff rontent ce type d ' inflexibi l i te personne l le d e m e u r e n t capables d 'agir et de reagir de maniere imprevis ib le . Ces quatre types exis tent iaux doi- vent donc etre consideres seule- men t c o m m e quatre differentes manie res d 'etre humain . Selon les facteurs biologiques, cul turels , et pe r sonne l s qui les faqonnent , cer-

taines pe r sonnes peuven t s ' appro- cher de ces types dans une certaine mesure . Toutefois, les types que nous avons decri ts appar t i ennen t aux ext remes du large spectre de l ' humani te m e n t i o n n e ci-dessus. Ainsi, leurs voix doivent etre enten- dues, ensemble avec les voix de ceux d 'entre nous dont les vecteurs nous amenen t au plus proche du centre de ce spect re humain . Tous ensemble , nous cons t i tuons une plurali te de formes de r appor t - au - m o n d e qui p e r m e t aux humains d 'habi te r ce m o n d e aussi b ien que les mondes innombrab les et inson- dables du present et du passe.

LES TYPES EXISTENTIAUX DANS

I.A SOCI[:IE ET DANS L~HISTOIRE

En effet, ces types existentiaux peu- vent et ont des r01es cruciaux et m e m e essentiels a tenir dans l 'his- toire humaine . Le type hype rno - mique accompl i t une ines t imable fonction conservatr ice par le main- tien des no rmes sociales et le refus des deviances par r appor t ~ ces normes . Eindiv idu h y p e r n o m i q u e considere ces deviances par rapport aux valeurs de la cul ture comme des defauts necess i tant donc une correction. Les personnes hyperno- miques fournissent un soutien fort et desinteresse aux inst i tut ions et aux no rmes sociales. Sans eux, la fragilite inherente aux normes cul- turelles pourrai t facilement condui- re ~ un e f fondrement social. Toute- lois, dans une per iode de crise sociale, le type he te ronomique peut tenir un r01e h is tor ique crucial et m e m e revolu t ionnai re . Les etres humains he t e ronomiques peuven t creer des systemes de valeurs inno- vants. Par leur dependance para- doxale aux n o r m e s etablies, leur grande authentici te , leur capacite percevoir des details invisibles aux autres, et leurs p reoccupa t ions metaphysiques , ils peuvent exposer d 'autres valeurs plus neuves. Ils se cons iderent c o m m e possedan t le "savoir salutaire" qui peut delivrer l ' humani te de sa crise profonde. Plus d 'une lois dans l 'histoire de l 'humani te , la vision de l 'heterono-

mique "d 'une terre et d 'un paradis nouveaux" a sauve les c o m m u n a u - tes de leur fin ot~ les en t ra ina ient leurs valeurs t radi t ionnel les . D 'un autre cote, les indiv idus h y p o n o - miques s ' adap ten t r emarquab le - ment bien aux mutat ions rapides de valeurs et de moeurs qui caracteri- sent les t emps de crise et de chan- gement . In terpre tes except ionnels , ils peuven t saisir les valeurs du m o m e n t et les expr imer pass ionne- men t et par fa i tement . Et avec le meme enthousiasme, ils depoussie- rent le vieux en embrassan t le nou- veau. Enfin, les pe r sonnes id iono- miques re t iennent p o u r nous tous ce qui semble ne plus etre une valeur actuelle mais peut redevenir une valeur a l 'avenir. Avec serieux dans leur projet et devo t ion dans leurs taches, avec une grande capa- cite de travail et une at tention scru- puleuse du detail, ils preservent ce qui a de la valeur et pour ra i t b ien etre occulte.

Nous reconna issons ev idem- men t la d imens ion de souffrance extraordinaire qui se re t rouve sou- vent dans ces types. Toutefois, si nous avons raison au sujet des impor t an te s fonct ions h is tor iques jouees par les ind iv idus qui don- nen t formes a c e s types, ce serait une grave erreur de chercher a eli- miner du genome huma in les genes qui produisent de telles personnes. En effet, si nous avons raison, ces genes doivent rester dans le geno- me pou r con t inuer a donne r nais- sance aux pe r sonnes de ces types. La recherche de ces genes et de ses mecan i smes genet iques const i tue b ien sot un proje t central dans la recherche psychia t r ique actuelle. Nous declarons que l 'eradication de tels genes, si ils existent, serait une grave erreur. Ehuman i t e a besoin d ' ind iv idus h y p e r n o m i q u e s pou r lut ter avec force au main t ien des no rmes existantes. Elle a aussi beso in de pe r sonnes he te rono- miques qui envisagent radicalement de nouveaux modes de vie et aussi d ' ind iv idus h y p o n o m i q u e s qui depouss ie ren t le v ieux et ouvren t un chemin pour le nouveau en l 'embrassant . Pendant ce temps, les

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PSYCHOPM'I-IOI.OGI E

CI~INIQUE

personnes idionomiques preservent ce qui passe inapergu dans les valeurs depassees : demain de telles valeurs peuvent s nouveau nous devenir essentielles. Sans les per- sonnes hypernomiques , nos struc- tures sociales t radi t ionnel les man- queront de leur impor tan t soutien humain et seront menacees de dis- parit ion ; sans les individus hetero- nomiques nous manquerons des nouvelles perspect ives necessaires le jour ou inevitablement nos insti- tut ions t radi t ionnel les disparai- tront. Les personnes hyponomiques peuvent faciliter cette dispari t ion pendant que les individus idiono- miques vont contre le courant tout en preservant ce qui pourra servir nouveau dans l 'avenir. Eespece humaine a besoin de telles qualites extremes : le cours de notre exis- tence depend meme de celles-ci.

CONCLUSION : VERS LA RECONQUETE DU SINGULIER

La psychiatr ie con tempora ine manque d 'une concep t ion satisfai- sante de la personne parce que cette psychiatr ie ne possede que

des e lements discont inus et des fragments d 'une telle concept ion. Dans la perspective de la reconque- te du singulier, nous avons besoin d 'une vue d 'ensemble de la vie humaine qui incorpore et integre les perspectives biologiques, socia- les, psychologiques et autres. Nous ne nions pas qu 'un travail fruc- tueux a ete effectue par un impor- tant couran t de la psychiatr ie ces dernieres decennies. Mais ce tra- vail, pour se focaliser sur son domaine defini, a fait abstract ion en sol des autres caracteristiques du patient. Ainsi, il n'est pas surpre- nant que ces e tudes ne produisen t que des parties d 'un ensemble. Et des concept ions fausses naissent quand ces parties ne sont pas reconnues pour ce qu'elles sont, des parties separees. Quand un seul aspect de la personne est pris isole- ment et traite comme si il etait l'as- pect "majeur" ou "central" de la personnali te ou de la maladie men- tale, les erreurs s 'en suivent. Les nombreux aspects de l 'existence humaine doivent etre compris depuis une vaste anthropologie ph i losophique qui les inclut tous.

Nous avons tente d 'esquisser une telle anthropologie. Mais nous avons besoin de plus. Les valeurs qui sous-tendent la psy- chiatrie doivent etre expliquees et fondees pour pouvoi r se proteger d 'un usage abusif en raison de leur grand poids economique, politique et social. Un telle e thique deman- derait que les personnes qui sont aussi des pat ients soient traitees d'une maniere qui integre la dimen- sion humaine egale et pleine de ces personnes , en tant qu'elles sont confrontees a la maladie et a la souffrance. �9

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