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UNIVERSITÉ DE PARIS II PANTHEON - ASSAS Année universitaire 2014 / 2015 Master 2 Droits de l’Homme et Droit Humanitaire LA THÉORIE DES DISCRIMINATIONS INTERSECTIONNELLES À L'ÉPREUVE DES DISCRIMINATIONS À L'ENCONTRE DES FEMMES ROMS. L'EXEMPLE DES STÉRILISATIONS FORCÉES. Mémoire préparé sous la direction de Monsieur Laurent Trigeaud, Maître de Conférences Présenté et soutenu pour l’obtention du Master 2 Droits de l’Homme et Droit Humanitaire par Nicole Garbin

LA THÉORIE DES DISCRIMINATIONS INTERSECTIONNELLES À L'ÉPREUVE DES DISCRIMINATIONS À L'ENCONTRE DES FEMMES ROMS. L'EXEMPLE DES STÉRILISATIONS FORCÉES

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UNIVERSITÉ DE PARIS II PANTHEON - ASSAS

Année universitaire 2014 / 2015Master 2 Droits de l’Homme et Droit Humanitaire

LA THÉORIE DES DISCRIMINATIONS INTERSECTIONNELLES À L'ÉPREUVE DES DISCRIMINATIONS À L'ENCONTRE DES FEMMES ROMS.

L'EXEMPLE DES STÉRILISATIONS FORCÉES.

Mémoire préparé sous la direction de Monsieur Laurent Trigeaud, Maître de ConférencesPrésenté et soutenu pour l’obtention du Master 2 Droits de l’Homme et Droit Humanitaire par

Nicole Garbin

Merci à ma famille et à Thomas pour leur soutien inconditionnel.

Je tiens à remercier également Monsieur Laurent Trigeaud pour ses conseils, son encouragement et sa disponibilité

dans la rédaction de ce mémoire.

Je remercie enfin mes collègues au ERRC pour avoir partagéleur expérience et leurs opinions sur ce thème.

TABLE DES ABRÉVIATIONS

− CAT : Convention contre la torture

− CEDEF : Convention pour l’élimination de toutes les discriminations à l’égard des

femmes

− CEDH : Convention Européenne des Droits de l'Homme

− CEDR : Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de

discrimination raciale

− CJUE : Cour de Justice de l'Union Européenne

− COE : Conseil de l'Europe

− Comité CAT : Comité contre la Torture

− Comité CEDEF : Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes

− Comité CEDR : Comité pour l'élimination de la discrimination raciale

− Comité DESC : Comité des Droits Economiques, Sociaux et Culturels

− Comité DH : Comité des Droits de l'Homme

− Cour EDH : Cour Européenne des Droits de l'Homme

− CRDF : Centre de Recherche sur les Droits Fondamentaux

− DUDH : Déclaration Universelle des Droits de l'Homme

− ECRI : Commission européenne contre le racisme et l'intolérance

− ONU : Organisation des Nations Unies

− PIDESC : Pacte International relatif aux droits économiques sociaux et culturels

− PIDCP : Pacte International relatif aux droits civils et politiques

− R. trim. dr. h. Revue trimestrielle des droits de l’homme

4

SOMMAIRE

INTRODUCTION

TITRE I L'AFFIRMATION DE LA THEORIE DE L'INTERSECTIONNALITÉ

CHAPITRE 1 LA DISCRIMINATION INTERSECTIONNELLE, LA NAISSANCE

DU CONCEPT ET SES ELEMENTS DE QUALIFICATION

SECTION I La théorisation de la discrimination intersectionnelle et ses principales

critiques

§1 La discrimination intersectionnelle, la naissance du concept

§2 Les principaux obstacles et critiques à l'affirmation de la

discrimination intersectionnelle

SECTION II Les éléments de qualification de la discrimination intersectionnelle

§1 La discrimination intersectionnelle : une question aussi sémantique

§2 Les éléments de qualification de la discrimination intersectionnelle

CHAPITRE 2 L'AFFIRMATION DE LA BASE LEGALE DE LA

DISCRIMINATION INTERSECTIONNELLE EN DROIT

INTERNATIONAL ET EUROPEEN DES DROITS DE L'HOMME

SECTION I La discrimination intersectionnelle en droit international des droits de

l'homme

§1 La reconnaissance de la discrimination intersectionnelle dans les

instruments de soft law

§2 La discrimination intersectionnelle dans la pratique des comités

onusiens

SECTION II L'affirmation de la notion de discrimination intersectionnelle au sein de

l'Union Européenne et du Conseil de l'Europe

§1 L'intersectionnalité et le droit anti-discriminatoire de l'Union

Européenne

§2 La place de la discrimination intersectionnelle au Conseil de l'Europe5

TITRE II LA DISCRIMINATION A L'ENCONTRE DES FEMMES ROMS ET LES

STERILISATIONS FORCÉES – UNE OCCASION MANQUEE POUR

L'INTERSECTIONNALITÉ ?

CHAPITRE III LA DISCRIMINATION A L'ENCONTRE DES FEMMES ROMS

Section I Une introduction à la situation des femmes roms en Europe

§1 Les Roms, une minorité européenne

§2 Quelle place pour les femmes roms ? Une prise de conscience tardive

et débattue

Section II La discrimination à l'égard des femmes roms : intégrer l'intersectionnalité dans la lutte pour l'égalité

§1 Les principales difficultés rencontrées par les femmes roms

§2 Entre race, genre et classe, un terrain propice pour la discrimination

intersectionnelle

CHAPITRE IV LES STERILISATIONS FORCÉES DES FEMMES ROMS ET

L'INTERSECTIONNALITÉ

Section I Les stérilisations forcées et involontaires – une question intersectionnelle

§1 Les stérilisations forcées des femmes roms, un problème encore actuel

§2 Le droit applicable - Une question intersectionnelle

Section II La stérilisation forcée des femmes roms devant les cours – Une pratique

qui a mal à s'appuyer sur la notion d'intersectionnalité

§1 La stérilisation forcée des femmes roms devant la Cour Européenne

des Droits de l'Homme

§2 L'approche des comités onusiens à la discrimination intersectionnelle

dans le cas des stérilisations forcées des femmes roms

CONCLUSIONS

6

INTRODUCTION

Définie comme la discrimination fondée sur plusieurs motifs qui opèrent simultanément, qui

interagissent entre eux et qui se renforcent mutuellement, la discrimination intersectionnelle

considère les diverses formes de domination et de discrimination non pas séparément, mais de

manière combinée. Elle reconnaît le caractère unique de l’expérience vécue par la victime de

discrimination en conséquence de l’intersection des motifs pertinents à sa situation donnant

ainsi lieu à quelque chose d’unique et de différent non seulement de toute forme de

discrimination fondée sur un motif unique mais également de celle où plusieurs motifs sont

appréciés de manière distincte.

Comme le souligne clairement la Commission ontarienne des droits de la personne qui a un

rôle de premier plan dans la prévention de la discrimination ainsi que dans la promotion et la

protection des droits de l'homme en Ontario

une plainte relative aux droits de la personne ou une affaire relative aux droits à l’égalité qui

invoque plusieurs motifs de discrimination peuvent être traitées de différentes façons. L’analyse

de la plainte ne sera pas la même suivant l’approche choisie, et il y a des chances pour que cette

approche ait également un effet sur le résultat1.

C'est à partir de ce constat que dans ce mémoire il sera analysé si et dans quelle mesure la

discrimination intersectionnelle, théorisée pour la première fois par la juriste Kimberlé

Crenshaw vers la fin des années 1980 aux États-Unis, s'est affirmée en droit international et

européen des droits de l'homme.

Et c'est à travers l'examen des solutions apportées par les cours et les autres organismes

internationaux et européens aux violations des droits fondamentaux des femmes roms, et

notamment par rapport à la pratique des stérilisations forcées, que cette analyse sera effectuée.

Diverses sont les raisons à l'origine de ce choix.

Pour ce qui concerne la discrimination intersectionnelle, il faut mettre en évidence dès

maintenant que cette notion revêt un intérêt particulier en droit anti-discriminatoire pour les

1 Commission ontarienne des droits de la personne, Approche intersectionnelle de la discrimination pour traiter les plaintes relatives aux droits de la personne fondées sur des motifs multiples, 2001, page 3 ;

7

défis qu'elle lance mais aussi en raison des questions qu'elle soulève.

Il y aura l'occasion de constater par exemple comment, dans la dichotomie entre une

conception de l'égalité formelle et un conception substantielle, la discrimination

intersectionnelle se positionne clairement en faveur de cette deuxième mais, au même temps,

elle en constate aussi l'échec dans les cas où la conception unidimensionnelle de la

discrimination, dans sa rigidité, est incapable de saisir et de sanctionner les dimensions

multiples de la discrimination auxquelles une personne peut devoir faire face.

Sa recherche de justice substantielle d'autre part l'expose à un certain nombre de critiques

parmi lesquelles par exemple sa contradiction avec un des principes fondamentaux du

système de protection des droits de l'homme, le caractère universel des droits de l'homme

mais aussi son incapacité de traiter de cas de discrimination multifactorielle en dehors de la

triade race, genre et classe.

Enfin, tout au long de ce travail il ne pourra pas ne pas être noté qu'il y a un certain nombre

d'obstacles qui s'interposent à son application concrète tels que la structuration sectorielle du

système de protection des droits de l'homme qu'elle vise à dépasser mais également une

réticence de divers acteurs concernés, les victimes des violations et leurs avocats inclus, qui

des raisons variées amènent à ignorer de manière plus ou moins explicite l'approche

intersectionnelle à la discrimination.

Pour ce qui concerne le choix du cas d'étude, autrement dit les femmes roms et la pratique des

stérilisations forcées, trois sont les motifs principaux qui conduisent à prendre cet exemple

aux fins de l'analyse de l'affirmation de la discrimination intersectionnelle.

Premièrement, la situation des femmes roms est sous divers aspects similaire à celle des

femmes afro-américaines des années 1980 dont l’expérience de marginalisation a servi de

base à la théorisation de la discrimination intersectionnelle.

Elles font partie d'une minorité dont la vulnérabilité est largement reconnue. Nombreuses sont

les initiatives au niveau international et européen qui ont été mises en place afin de combattre

la marginalisation de cette « minorité sans patrie »2. La Commission Européenne, par

2 M. Stewart, Un peuple sans patrie, in M. Stewart, P. Williams, Des Tsiganes en Europe, Ethnologie de la France cahier 25, Ed. Maison des sciences de l'homme, Paris 2011 ;

8

exemple, dans le cadre des politiques visant à l'intégration des Roms a adopté une

communication visant à promouvoir l'élaboration de stratégies nationales d'intégration des

Roms, qui détaille les politiques et les mesures concrètes qu'il convient d'adopter3.

Par ailleurs, la Cour Européenne des Droits de l'Homme aussi est assez attentive à la question.

Dans un arrêt célèbre elle rappelle cette vulnérabilité et insiste sur la nécessité de leur

reconnaître une attention particulière :

[D]u fait de leurs vicissitudes et de leur perpétuel déracinement, les Roms constituent une

minorité défavorisée et vulnérable, qui a un caractère particulier (…). Ils ont dès lors besoin

d’une protection spéciale, ainsi que la Cour [européenne des droits de l’homme] l’a constaté

dans sa jurisprudence antérieure4

Toutefois si l'exclusion et la marginalité auxquelles les Roms sont confrontés fait un

consensus général au sein de la communauté internationale, il faut souligner que les femmes

roms ne vivent et ne subissent pas cette marginalité de la même manière. A l'instar de

l’expérience des femmes afro-américaines sur la base de laquelle la notion de discrimination

intersectionnelle a vu le jour, elles se trouvent exposées aux structures et mécanismes

prévaricateurs du racisme et du patriarcat qui ont un impact et des conséquences spécifiques

sur elles.

Deuxièmement, la pratique des stérilisations forcées à leur encontre représente un terrain

idéal pour examiner si l'approche intersectionnelle à la discrimination a réussi à s'imposer non

seulement dans la théorie mais également dans la pratique. Cette violation expose en effet de

manière assez claire l'interaction des facteurs tel que le racisme, le sexe et le genre tant de

devoir rendre assez aisée l'application d'une notion qui peut paraître parfois inutilement

complexe.

Troisièmement, le caractère endémique de cette violation permet de mettre en évidence les

limites d'une approche partielle de la violation et conséquemment d'apprécier l’intérêt d'une

application concrète de l'intersectionnalité aux phénomènes de discrimination.

3 Commission Européenne, Communication de la Commission au Parlement Européen, au Conseil, au Comité Economique et Social Européen et au Comité des Régions - Cadre de l'UE pour les stratégies nationales d'intégration des Roms pour la période allant jusqu'à 2020 COM(2011) 173 final ;

4 Cour EDH, Grande Chambre, D.H. c. Rép. Tchèque, 13 novembre 2007, Req. n° 57325/00, § 182 ; voir aussi Cour EDH, Grande Chambre Chapman c. Royaume-Uni, 18 janvier 2001, Req. n° 27328/95, § 96 ; Cour EDH, Connors c. Royaume-Uni, 27 mai 2004, Req. n° 66746/01, § 84 ;

9

Ce mémoire est structuré en deux parties. Dans la première partie (TITRE I) il sera traité de la

discrimination intersectionnelle en général. De sa naissance (Chapitre I) à l'affirmation de sa

base légale en droit international et européen des droits de l'homme (Chapitre II) les étapes

principales de sa reconnaissance ainsi que les obstacles et les limites que cette théorie a

rencontré sur son chemin seront abordés.

Dans la deuxième partie (TITRE II) l’attention sera portée sur les problématiques qui

affectent les femmes roms. Les principales violations dont elles sont victimes seront exposées

et l’interaction entre les divers motifs qui rendent ce groupe particulièrement vulnérable sera

mise en évidence (Chapitre III). A cette analyse suivra enfin l’étude de la pratique des

stérilisations forcées pratiquées à leur encontre sous l'angle de la discrimination

intersectionnelle afin de vérifier si cette notion a réussi à s'affirmer et quelles sont les

résistances qu’elle rencontre. Les raisons de cette hésitation, les possibilités ouvertes pour

invoquer cette approche et l'éventuelle et effective opportunité d'insister sur cette voie seront

explorées (Chapitre IV).

10

TITRE I

L'AFFIRMATION DE LA THEORIE DE L'INTERSECTIONNALITÉ

CHAPITRE I

La discrimination intersectionnelle, la naissance du concept et ses éléments de qualification

L’approche intersectionnelle à la discrimination suscite un intérêt croissant parmi ceux qui

sont impliqués dans la défense des droits de l’homme et sont concernés avec les questions de

discrimination et d’exclusion des groupes marginalisés, notamment les femmes appartenant

aux minorités ethniques ou raciales. Théorisée pour la première fois par la juriste Kimberlé

Crenshaw à la fin des années 1980 en réaction aux failles des politiques publiques et du droit

anti-discriminatoire incapables de remédier à la situation de marginalité dans laquelle se

trouvaient les femmes afro-américaines, elle a réussi a sortir des frontières et a rencontré un

discret succès. La naissance de ce concept, sa critique à la conception "traditionnelle" du droit

anti-discriminatoire et les principaux obstacles qu’elle rencontre dans son application

concrète nous permettrons de rentrer dans le vif du sujet et de saisir les enjeux et les questions

soulevés par cette approche intégrée à la discrimination (Section I). La systématisation des

diverses expressions utilisées pour se référer aux cas de discrimination où plusieurs motifs

sont en jeu et l’identification des éléments de qualification de cette forme de discrimination

nous aiderons à comprendre cette notion et nous guiderons tout au long de cette étude

(Section II).

SECTION I La théorisation de la discrimination intersectionnelle et ses principales

critiques

Dans cette section seront rappelées les raisons qui ont permis à l’intersectionnalité de voir le

jour (§1) ainsi que les principaux obstacles et critiques qui semblent s’opposer à son

affirmation (§2).

11

§1 La discrimination intersectionnelle, la naissance du concept

Le 18 mars 1977 cinq femmes afro-américaines présentaient un recours collectif

contre General Motors alléguant que le système d'ancienneté mis en place par la Société était

discriminatoire contre les femmes noires, en vertu des motifs de race et de sexe.

Les requérantes avaient essayé de démontrer que la pratique interne de General Motors était

discriminatoire à leur encontre car, avant l'année 1964, la Société ne recrutait simplement pas

de femmes afro-américaines et que toutes les femmes noires employées après 1970 avaient

été licenciées sur la base de critères d'ancienneté lors d'une opération de restructuration

adoptée dans une période de récession.

Cependant, les juges n’accueillirent pas les argumentations des requérantes. Comme General

Motors avait embauché des femmes blanches avant 1964 et que celles-ci n'étaient pas visées

par les licenciements, les juges affirmèrent qu'il ne pouvait pas y avoir discrimination en

raison du sexe des requérantes. Les juges estimèrent également ne pas pouvoir établir que

General Motors avait opéré une discrimination raciale. Dans la mesure où la plainte était

formulée seulement par des femmes noires, celle-ci ne permettait pas de saisir le motif de race

pour lequel il aurait fallu démontrer que la discrimination touchait les deux sexes.

Selon la cour américaine, reconnaître que le législateur, avec le titre VII du Civil Rights Act

de 1964, avait voulu protéger les femmes noires en tant que nouvelle catégorie de sujets

discriminés aurait clairement ouvert une « boîte de Pandore » en reconnaissant de nouvelles

catégories de discrimination issues par exemple, comme dans le cas d'espèce, de l'union de

sexisme et racisme5.

Ce jugement n'est qu'un exemple du refus de tenir compte de la spécificité de la

discrimination subie par les femmes noires aux Etats-Unis qui les rendaient invisibles dans un

système qui pensait la discrimination sexuelle à partir de l’expérience des femmes blanches et

la discrimination raciale à partir de l’expérience des hommes noirs.

Kimberlé Crenshaw, féministe afro-américaine et professeure de droit à la UCLA School of

Law et à la Columbia Law School, dans son article « Demarginalising the Intersection of

Race and Sex : A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminsit Theory

5 DeGraffenreid v. General Motors, 413 F. Supp. 142 (E.D. Mo. 1976) ;12

and Antiracist Politcs » en cite d'autres et théorise pour la première fois, à la fin des années

1980, la notion de discrimination intersectionnelle6. Il s'agit d'une forme de discrimination

« nouvelle » qui, comme il y aura l'occasion d'analyser plus en détail ci-après, n'est pas le

simple résultat d'une addition de différents motifs de discrimination mais donne lieu à

quelque chose de qualitativement différent et unique par rapport aux différentes formes de

discrimination fondées sur des motifs individuels ou sur leur addition7.

L'idée qui sous-tend le concept d'intersectionnalité remonte à l'activisme politique des

femmes de couleur aux Etats-Unis dans les années 1970 et à leur marginalisation à la fois au

sein des mouvements de libération des Noirs de même que dans les mouvements féministes.

Ces deux mouvements n'arrivaient pas à saisir entièrement leur expérience, résultat de cette

combinaison de facteurs divers de race et genre. En mettant l’accent sur l'impossibilité pour

les femmes de couleur d’être comprises tant par les revendications féministes que par les

mouvements antiracistes, elles critiquaient la vision « unidimensionnelle » des rapports de

force qui les plaçaient aux marges desdits mouvements ainsi que des politiques publiques qui

étaient issues de ses revendications.

Le rôle de la femme au sein de la famille, son émancipation ainsi que les questions liées à la

violence domestique dont les femmes sont victimes ne sont que certains des exemples qui

peuvent être apportés pour illustrer le décalage existant entre la situation des femmes afro-

américaines et les représentations et revendications des deux groupes dans lesquels elles

étaient comprises8.

D'ailleurs, cette indifférence au racisme des mouvements féministes ainsi que l'indifférence

aux questions touchant les rapports sociaux de sexe par les activistes noirs ne se trouve pas

limitée aux mouvements de lutte politique mais, comme le prouve le jugement DeGraffenreid

v. General Motors mentionné ci-dessus, se reflétait également dans le système juridique de

protection contre les discriminations.

6 K. Crenshaw, Demarginalizing the Intersection of Race and Sex : A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics, in University of Chicago Legal Forum (1989) pages 139 – 67 ;

7 S. Fredman, Positive rights and positive duties – Addressing Intersectionality, in European Union Non-Discrimination Law, Comparative perspectives on multidimensional equality law, Routledge Cavendish Ed. 2009, pag. 75 ;

8 K. Crenshaw, op. cit., pag. 156 - 160 se réfère par exemple à la question du décalage entre les attentes de chasteté envers les femmes blanches et l'idée, héritage de la période esclavagiste, de la promiscuité qui caractériserait les relations intimes des femmes noires ou, encore, aux contrastes qui peuvent émerger entre les revendications féministes et la lutte contre le racisme qui, afin de ne pas alimenter les stéréotypes, a intérêt à faire taire les débats sur la violence domestique aux sein des familles afro-américaines ;

13

Comme déjà constaté à la fin des années 1980, il ne s'agissait pas exclusivement d'un manque

de volonté politique d'inclure la question des femmes de couleur dans le débat publique, mais

c'était le droit anti-discriminatoire même qui était l'objet de critique car conçu de façon trop

rigide et restreinte pour pouvoir répondre aux exigences concrètes de la lutte pour l'égalité

menée par les femmes noires :

Unable to grasp the importance of Black women's intersectional experiences, not only courts,

but feminist and civil rights thinkers as well have treated Black women in ways that deny both

the unique compoundedness of their situation and the centrality of their experiences to the larger

classes of women and Blacks. Black women are regarded either as too much like women or

Blacks and the coumpounded nature of their experience is absorbed into the collective

experiences of either group or as too different, in which case Black women's Blackness or

femaleness sometimes has placed their needs and perspectives at the margins of the feminist and

Black liberationist agendas9.

Le dispositif de lutte contre les discriminations a en effet été façonné par une conception

unidimensionnelle de la domination, fondée sur des catégories sociales conçues comme

mutuellement exclusives. Ainsi, encore aujourd'hui les inégalités sont souvent pensées sur la

base d'un seul référentiel, un seul principe de distinction et hiérarchisation qui impose aux

personnes qui font l'objet de discriminations fondées sur plusieurs facteurs de se positionner

selon un seul critère, présumé prépondérant, laissant de côté d'autres composantes de leur

identité10.

A travers l'analyse de la jurisprudence en matière de discrimination à l'encontre des femmes

afro-américaines11, Kimberlé Crenshaw souligne comment l’expérience complexe des

femmes noires est effacée par ce système de protection contre les discriminations « moniste »,

autrement dit limité à l'appréciation de la discrimination sur la base d'un axe unique.

La théorie de l'intersectionnalité met donc en lumière les limites et les contradictions du droit

anti-discriminatoire « classique ». La métaphore aujourd'hui bien connue par tous ceux qui

s'intéressent non seulement à la question spécifique de l'intersectionnalité mais, plus en

9 K. Crenshaw, op. cit, page 150 ;10 J. Roux, L'égalité entre (toutes) les femmes et les hommes – Les mutations du droit vers la protection contre

les discriminations multiples et intersectionnelles, La Revue des droits de l'homme 7 (2015), disponible sur le site http://revdh.revues.org/1116 (dernière consultation juin 2015) ;

11 A cette fin l'auteur analyse entre autres les cas Moore v Hughues Helicopter, Inc, 708 F2d 475 et Payne v Travenol, 416 F Supp 248 (N D Miss 1976) ;

14

général, à l'étude du droit anti-discriminatoire, est en ce sens assez éloquente.

Il s'agit de l'exemple d'un carrefour où des voitures arrivent des directions différentes. Quand

un accident se vérifie à l'intersection de ce carrefour, il peut s’avérer difficile de déterminer

quelle voiture l'a causé. Souvent, en effet, cet accident peut être provoqué par des voitures

arrivant, au même moment, par plusieurs directions. Similairement, les discriminations,

comme les accidents au carrefour causés par des voitures qui arrivent en même temps par des

directions différentes, peuvent être déterminées par des motifs différents. Si une femme noire

est discriminée car elle se trouve à l'intersection entre race et sexe, son préjudice pourra

résulter d'une discrimination sexuelle mais aussi raciale ou les deux. Souvent il sera très

difficile, voire impossible, de déterminer sur quelle base la discrimination a été opérée et ne

pas reconnaître la violation et la conséquente réparation parce qu’on n’arrive pas à établir sa

cause exacte équivaut à laisser les conducteurs, après l'accident, retourner à leur voitures et

reprendre leur chemin comme si rien n'était car personne ne sait qui est le responsable12.

Les cours américaines ne voulaient et ne pouvaient donc pas reconnaître ni saisir la

complexité de la situation dans laquelle les femmes appartenant à la minorité afro-américaine

se trouvaient et limitaient ainsi leur censure aux cas de discrimination où ce phénomène

pouvait être réduit soit à la question raciale soit à celle sexuelle.

Par conséquent, d'une part ce droit et son interprétation traditionnelle ne considéraient la

violation de l'interdiction de la discrimination que dans les cas où le groupe « entier » était

discriminé, présumant une homogénéité au sein du groupe qui empêchait de saisir les

éventuelles spécificités au sein du groupe même13. D'autre part, puisque les motifs étaient

isolés les uns des autres, la personne devait conformer son expérience subjective à la

définition objective des motifs, à défaut de quoi elle « tomb(ait) dans les failles »14 du

système de protection.

La prémisse centrale de l'intersectionnalité est donc formulée à partir de cette critique et vise

à dépasser un système qui, fondé sur une approche exclusive ignore les identités multiples et

12 K. Crenshaw, Demarginalizing the Intersection of Race and Sex : A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics, in University of Chicago Legal Forum (1989), pp. 147 - 148 ;

13 Au contraire, toute différence significative à l'encontre des certains membres du groupe suggérait que le groupe n'était pas discriminé. Voir par exemple Moore v Hughues Helicopter, Inc, 708 F2d 475 ;

14 N. Duclos, Disappearing Women : racial Minority Women in Human Rights Cases, Revue Femmes et Droit 6 (1993), page 47 ;

15

complexes des individus et maintient les inégalités. L'intersectionnalité nait donc d'une

tentative de dépasser l'idée « monolithique » de la femme ainsi que la dichotomie entre le

genre et la race en introduisant la question raciale dans le discours féministe et portant

l'attention sur la vulnérabilité des femmes noires.

Mais il ne s'agit pas simplement d'admettre l'existence d'identités multiples ou, encore, de

penser l'identité complexe des individus comme le résultat d'une juxtaposition ou addition des

motifs sur la base desquels la discrimination opère. L'intersectionnalité demande d'aller au-

delà de la seule reconnaissance de la multiplicité des systèmes d'oppression intervenants et

elle postule une approche intégrée de l'identité qui puisse permettre de saisir de manière

satisfaisante les interactions desdits systèmes qui pèsent sur les personnes et favorisent la

production et surtout la reproduction des inégalités sociales. Cette théorie vise à dépasser le

réductionnisme qui cache les rapports de pouvoirs internes et à dépasser les limites de la

technique « essentialiste » qui subsume la gamme des dominations vécues par un groupe

donné sous un type de rapport social déterminant15.

Comme nous le verrons tout au long de ce travail, depuis sa première théorisation

l'intersectionnalité et la notion de discrimination intersectionnelle ont connu un succès

important16. Toutefois, il s'agit d'un succès à deux vitesses car à la reconnaissance théorique

de cette notion ne suit pas toujours l'application concrète et systématique de celle-ci qui reste

parfois difficile et encore aujourd'hui assez exceptionnelle. En effet, même aux États-Unis où

la notion est née ou au Canada où elle a eu une percée considérable, les cours semblent

récalcitrantes à la mettre en application17.

Les raisons de ce décalage entre théorie et pratique sont diverses et en grande partie liées à la

conception du droit anti-discriminatoire même fondé sur des motifs uniques et sur une

compréhension de la discrimination en quelque sorte compartimentée. De surcroit, cette

rigidité est renforcée par la structuration des mécanismes de protections des droits de

15 J. E. Bond, International Intersectionality : A Theoretical and Pragmatic Exploration of Women's International Human Rights Violations, 52 Emory Law Journal 71 2003, pages 104 – 109 ; S. Bilge, O. Roy, La discrimination intersectionnelle : la naissance et le développement d'un concept et les paradoxes de sa mise en application en droit antidiscriminatoire, Canadian Journal of Law and Society, Vol. 25, n. 1, 2010, p. 57 ;

16 S. Bilge, op. cit., pages 70 – 88, rappelle que le concept d'intersectionnalité a été défini comme la meilleure pratique féministe en cours dans le monde universitaire et la plus importante contribution théorique dans les études féministes ;

17 Voir par exemple Commission ontarienne des droits de la personne, Approche intersectionnelle de la discrimination pour traiter les plaintes relatives aux droits de la personne fondées sur des motifs multiples, 2001 ;

16

l'homme, notamment en droit international.

Dans le paragraphe suivant nous examinerons ce dernier aspect. En outre certaines critiques

souvent adressées à la discrimination intersectionnelle seront abordées.

§2 Les principaux obstacles et critiques à l'affirmation de la discrimination

intersectionnelle

Les systèmes actuels de protection contre les discriminations favorisent une approche

à la discrimination fondée sur le motif unique. Il en résulte normalement qu'une personne

s'estimant victime d'une discrimination doit formuler sa plainte en utilisant le critère qu'elle

considère représenter le mieux son expérience, en laissant de côté les éventuels autres facteurs

de discrimination qui ont opérés dans le cas d'espèce18.

La notion de discrimination intersectionnelle nait en tant que critique ouverte de ces

mécanismes de protection contre les discriminations qui prennent les motifs de

discriminations comme distincts et qui ont pour effet de rendre invisibles les expériences des

membres plus marginalisés de la société intéressée.

Toutefois, la raison d’être même de la discrimination intersectionnelle représente aussi le

principal obstacle à son affirmation et son application concrète surtout dans les systèmes de

protection de droits de l'homme comme celui des Nations Unies qui sont structurellement

ramifiés.

Au sein des Nations Unies, où le système de protection des droits de l'homme s'est développé

de manière progressive, suite à l'adoption de la Déclaration Universelle des Droits de

l'Homme (ci-après « DUDH »), de nombreux mécanismes conventionnels de protection des

droits de l'homme ont été mis en place et si en matière de discrimination le Pacte international

relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques,

sociaux et culturels interdisent de manière générale les discriminations dans la jouissance des

18 J. Roux dans L'égalité entre (toutes) les femmes et les hommes – Les mutations du droit vers la protection contre les discriminations multiples et intersectionnelles souligne également l'impact que cette théorie a eu dans le débat autour des principes d'égalité formelle et substantielle. Selon elle, « la prise en compte des différences entre les sujets de droit implique une reconnaissance des inégalités entre eux auxquelles doit répondre le droit antidiscriminatoire pour assurer leur égalité. L'intersectionnalité ravive en cela le débat égalité/différence qui a déjà été cerné entre autres par le dilemme de Wollstonencraft : soit les femmes deviennent comme les hommes et seront des citoyennes à part entière, soit elles conservent leurs différences en tant que femmes et restent des citoyennes de second ordre ».

17

droits qu'ils énoncent, les développements suivants, avec l'adoption notamment d'instruments

spécifiques comme la Convention internationale contre toutes les formes de discrimination

raciale (ci-après « CEDR ») et la Convention sur l'élimination de toutes les formes de

discrimination à l'égard des femmes (ci-après « CEDEF ») se focalisent exclusivement sur

une seule forme de discrimination.

Les Nations Unies ont ainsi bâti un système au sein duquel chaque Etat a tendance à se

concentrer sur le respect sectoriel des obligations découlant des conventions internationales

en matière des droits de l'homme et par ce biais elles ont contribué à consolider une

compréhension morcelée de la discrimination qui empêche aux différents acteurs, juges et

victimes comprises, de saisir le souvent inextricable mélange de facteurs tels que la race, le

genre, la religion ou l'orientation sexuelle.

Cette construction du droit international des droits de l'homme en général et du droit anti-

discriminatoire en particulier ainsi que le système de contrôle confié aux divers comité

onusiens, chacun responsable de la surveillance du respect d'un instrument spécifique,

constitue une de principales barrières pratiques à une affirmation réelle et non seulement

théorique de cette notion d'intersectionnalité.

En effet, malgré l'intersectionnalité ait rencontré la faveur des organismes onusiens qui,

comme nous le verrons lors de l'analyse de l'affirmation de la base légale de la discrimination

intersectionnelle, l'ont incorporée dans leurs recommandations générales ou autres documents

de soft law, cette structuration fragmentée du droit international des droits de l'homme rend en

pratique difficile le dépassement de ce système moniste.

Le Comité CEDEF continue à concentrer son analyse sur la discrimination sexuelle ou de

genre et à traiter les autres aspects de manière plus marginale et le Comité CEDR sera

naturellement plus enclin et compétent pour saisir les aspects relatifs à la discrimination

raciale. D'ailleurs, le même fait que les victimes aient à choisir à qui présenter leur

communication les incite à identifier le motif discriminatoire qu'elles estiment prédominant

dans leur affaire et à concentrer les efforts probatoires sur celui-ci.

En Europe, cette barrière structurelle due au morcellement du droit anti-discriminatoire bien

que moins marquée est toutefois aussi réelle, au moins pour ce qui concerne l'Union

Européenne.

18

Dans le droit communautaire le développement du droit anti-discriminatoire historiquement

est marqué par la volonté de contraster les phénomènes de discrimination sexuelle,

notamment dans le secteur de l'emploi19. Ce n'est que dans les années 2000 que nous avons

assisté à une évolution du droit communautaire vers la protection contre d'autres forme de

discrimination et notamment contre la discrimination raciale.

La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, proclamée solennellement par le

Parlement, le Conseil et la Commission à Nice en 2000 mais devenue juridiquement

contraignante seulement en 2009 avec l'adoption du Traité sur l'Union européenne, sanctionne

en effet à son article 21 « toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la

couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la

religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à

une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation

sexuelle ».

Et bien que cette liste ne soit pas retenue exhaustive et elle soit susceptible de faire l'objet

d'une interprétation évolutive compatible avec l'incorporation de la discrimination

intersectionnelle, il faut noter que c'est surtout avec l'adoption d'une nouvelle génération de

directives que le droit anti-discriminatoire s'est véritablement imposé dans l'agenda de

l'Union. Au choix opéré dans la Charte le législateur européen préfère cependant ici une

approche compartimentée au droit anti-discriminatoire qui a pour corollaire l'adoption de

directives spécifiques à des causes déterminées de discrimination et avec des champs

d'applications différents20, circonstances qui inévitablement se répercutent sur la capacité de

concevoir et sanctionner des cas de discrimination dans lesquels plusieurs motifs sont

concernés.

Il ressort de ce qui précède que les obstacles à l'affirmation de la notion de discrimination

intersectionnelle ne sont pas simplement conceptuels mais également le résultat concret des

mécanismes et des instruments de protection des droits de l'homme.

Une autre question qui est souvent posée lorsque le thème de la discrimination

19 S. Fredman, Discrimination law, Oxford University Press, Oxford 2011 ;20 Voir notamment la directive 2000/43/CE du conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe

de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique et la directive 2000/78/CE du conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail ;

19

intersectionnelle est abordé et qui représente au même temps une critique ainsi qu'un obstacle

à son affirmation est la présumée opposition qui existerait être son fondement - la prise en

compte en droit anti-discriminatoire des facteurs qui structurent les expériences de violation

de manière qualitativement différente - et le caractère universel des droits de l'homme.

Il sera rappelé que lors de la Conférence Mondiale de Vienne en 1993 les principes de base de

l'universalité, de l’interdépendance et de l'indivisibilité des droits de l'homme ont été

consacrés sans ambiguïtés21. Adoptée à l'issue de la Conférence, la Déclaration et le

Programme d'action de Vienne de 1993 affirmait que

Tous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. La

communauté internationale doit traiter des droits de l’homme globalement, de manière équitable

et équilibrée, sur un pied d’égalité et en leur accordant la même importance. S’il convient de ne

pas perdre de vue l’importance des particularismes nationaux et régionaux et la diversité

historique, culturelle et religieuse, il est du devoir des États, quel qu’en soit le système politique,

économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les

libertés fondamentales22.

En insistant sur l'égale importance de tous les droits de l'homme, la Déclaration rejetait les

thèses selon lesquelles il existe une hiérarchie entre les différentes « générations » des droits

de l'homme et essayait de dépasser l'opposition entre les différentes conceptions des droits de

l'homme, notamment les critiques issues du relativisme culturel qui voient dans les droits de

l'homme un énième instrument de domination occidentale23.

Les principes d'interdépendance et d'indivisibilité des droits de l'homme ne semblent pas

soulever des difficultés particulières à l'encontre de l'intersectionnalité. Au contraire, ils

facilitent l'analyse des violations des droits de l'homme sous l'angle de la discrimination

intersectionnelle et offrent un fondement théorique important qui permet de justifier une

pratique qui va au-delà d'une conception monolithique de l'individu et des rapports de

domination auxquels il est soumis pour rechercher comment l'interaction de divers facteurs

comme la race, le sexe, la religion, la langue, la classe sociale incident sur son expérience de

violation dans un contexte donné.

21 Pour un aperçu sur les évolutions principales dans l'histoire des Nations Unies voir : E. Decaux, Les Nations Unies et les Droits de l'homme : 60 ans après …, CRDF, n° 7, 2009, pages 33-48 ;

22 Déclaration et Programme d'Action de Vienne, U.N. Doc. A/CONF.157/23 (1993) §5 ;23 M. Hertig Randall, Typologie des droits de l'homme, in Introduction aux droits de l'homme, Ed. Yvon Blais,

LGDJ et Schulthess 2014, pages 51 – 52 ;20

En revanche, le caractère universel des droits de l'homme semble poser quelque difficulté car

il tend à effacer les différenciations que l'intersectionnalité veut faire émerger afin de garantir

une meilleure protection des droits fondamentaux.

La doctrine relève les possibles contradictions entre l'approche intersectionnelle des

discriminations et le caractère universel des droits de l'homme qui s'érige contre le relativisme

culturel et s’interroge sur le rapport qui existe entre cette notion et un des principes

fondamentaux sur lesquels se base le système contemporain de protection des droits de

l'homme.

Certains auteurs semblent effectivement considérer que le caractère universel des droits de

l'homme soit, avec sa tendance à l’uniformisation, en contraste avec les exigences de la

discrimination intersectionnelle qui démystifie l'idée selon laquelle les femmes sont toutes

confrontées aux mêmes problèmes et invite à aller au-delà de cette universalité afin de

reconnaître que de multiples sources de diversité interagissent pour produire des formes

uniques de marginalisation à l'égard de différents groupes24.

Un autre auteur soutient que cette contradiction pourrait être aisément résolue avec l'adoption

d'une notion qualifiée d'universalité capable de répondre à la diversité qui existe entre les

victimes des violations des droits de l'homme et reconnaître au même temps le caractère

universel des droits de l'homme. Cette forme d'universalité qualifiée favoriserait l'application

universelle des droits de l'homme à tous et serait capable de reconnaître que les individus ne

vivent pas les violations des droits humains de la même manière. En particulier, il est

intéressant de constater que selon l'auteur

by recognizing all relevant human rights in a given situation and the multiple systems of

oppression that lead to rights violation, qualified universalism actually promotes the concepts of

"universal" human rights. International intersectionality provides a more complete picture and

analysis of human rights, one that ultimately leads to a more complete or "universal"

recognition of human rights25.

Enfin, certains suggèrent une approche pragmatique et non théorique a la notion d'universalité

24 A.N. Davis, Intersectionality and International Law: Recognizing Complex Identities on the Global Stage , Harvard Human Rights Journal 2015, Vol. 28 pages 205 – 242 ;

25 J. E. Bond, International Intersectionality : A Theoretical and Pragmatic Exploration of Women's International Human Rights Violations, 52 Emory Law Journal 71 2003, page 155 ;

21

des droits de l'homme selon laquelle il ne serait pas question de savoir si les droits de

l'homme sont les droits qui appartiennent à tous en théorie, mais plutôt de savoir comment, en

réalité, ils sont mis en œuvre et interprétés afin qu'ils soient relevants pour tous. En ce sens la

notion de dignité humaine à laquelle la DUDH mais aussi la Charte des Nations Unies font

par exemple référence, serait un bon critère pour effectuer cet examen et garantir que le

système de protection des droits de l'homme puisse s'adapter aux différentes expériences de

violation de ces droits26.

Par conséquent, il ressort des réponses de la doctrine résumées ci-dessus que l'éventuelle

opposition entre le caractère universel des droits de l'homme et l'intersectionnalité n'est pas

nette comme on pourrait être amené à le croire à un premier regard. De plus, il semble

opportun de souligner que le caractère universel des droits de l'homme et l 'intersectionnalité

sont nés et poursuivent, même si de façon différente, un objectif commun qui est la protection

des droits de l'homme. Cette communauté d'intentions ne devra pas être oubliée si

effectivement une conciliation entre ces deux « approches » devait être retenue nécessaire

pour permettre une adoption plus inconditionnée de la discrimination intersectionnelle.

D'autres critiques, plus ou moins intéressantes et parfois aussi contradictoires ont été

adressées à la notion de discrimination intersectionnelle27. Du risque d'une multiplication

indéfinie et presque automatique de différenciations potentiellement nécessitant de

protection28 au questionnement de l'utilisation de cette notion en droit parce que la loi elle-

même cherche à compartimenter et catégoriser, alors que l'intersectionnalité pousse contre les

généralisations de groupe pour mettre en évidence les expériences plus complexes de

certains29, la notion d'intersectionnalité et de discrimination intersectionnelle ont suscité un

vif débat autour d'elles.

Cela témoigne de l’intérêt de ces notions et nous amène à rechercher et analyser les éléments

de qualification de cette forme de discrimination.

26 C.I. Ravnbøl, The Human Rights of Minority Women : Romani Women's Rights from a Perspective on International Human Rights Law and Politics, International Journal on Minority and Group Rights 17 (2010), pages 36 – 37 ;

27 Pour une analyse plus détaillé de ces critiques voir A.N. Davis, Intersectionality and International Law: Recognizing Complex Identities on the Global Stage, Harvard Human Rights Journal 2015, Vol. 28 pages 213 -214 ; D.W. Carbado, Colorblind Intersectionality, Signs, Vol. 38, No. 4, Intersectionality : Theorizing Power, Empowering Theory 2013, pages 812 – 818 ;

28 N. Yuval-Davis, Intersectionality and Feminist Politics, European Journal of Women's Studies 2006, Vol. 13(3) page 204 ;

29 A.N. Davis, op. cit., page 213 qui cite le travail de J. Conaghan, Intersectionality and the Feminist Project in Law, in Intersectionality and Beyond : Law, Power and the Politics of Location (Emily Grabham et al. eds 2008) ;

22

SECTION II Les éléments de qualification de la discrimination intersectionnelle

Comme nous venons de le voir, dès sa première formulation la théorie de l'intersectionnalité

se voulait comme une critique de la conception moderne du droit anti-discriminatoire qui

ignore la complexité des rapports sociaux qui se cachent derrière les différentes catégories

« sexe », « race », « classe ».

Bien que Kimberlé Crenshaw visait expressément le droit anti-discriminatoire américain, la

critique était aisément transposable à la plupart des instruments juridiques de lutte contre les

discriminations qui, encore aujourd'hui en grand partie, entendent la discrimination comme un

ensemble de motifs prohibés exclusifs.

Nonobstant les critiques et les difficultés mentionnées ci-dessus, l'intérsectionnalité et la

discrimination intersectionnelle ont réussi à sortir des frontières et du contexte nord-

américain. De surcroit, en dépit du fait que ces concepts soient restés ancrés le plus souvent

aux revendications féministes et continuent surtout à être pensés sous la triade genre, race et

classe, cette théorie permet d'adresser potentiellement de nombreux d'autres volets des

inégalités liés par exemple à l’orientation sexuelle, à le handicap ou encore à l’âge et à la

religion30.

Toutefois, il faut noter qu'à ce succès s'est accompagnée une multiplication d'expressions se

référant à la question qui ont alimenté une certaine confusion autour de cette notion déjà

complexe par sa propre nature (§1). Et si l'imprécision et l'ambiguïté de ce concept sont selon

certains à l'origine de son succès surtout en sciences sociales31, cette richesse terminologique

ainsi que l'absence de définitions précises sont indices et causes de la difficulté pour le droit

de faire sienne non seulement la notion d'intersectionnalité strictu sensu mais, plus en général

les diverses manifestations de discrimination fondée sur plusieurs critères. A cette fin,

l’identification et l'analyse des éléments de qualification de cette forme de discrimination

30 L'intersectionnalité ne privilégie pas per se une ou certaines catégories sociales et s'il est vrai que la notion de discrimination intersectionnelle est née en relation à situation des femmes afro-américaines et qu'elle est surtout invoquée aujourd'hui à propos des questions qui concernent les femmes, cela n'est pas dû au fait que la théorie puisse prendre en considération ces deux seuls facteurs mais plutôt à la condition spécifique de marginalisation dans laquelle certaines groupes de femmes se trouvent. A titre d'exemple voir les constations du Comité CAT, Uttam Mondal c. Suède, Comm. N° 338/2008, U.N. Doc. CAT/C/46/D/338/2008, 7 juillet 2011 où le Comité a conclut que l’expulsion de l'auteur de la communication vers son Pays d'origine constituerait une violation par l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention notamment en lumière des risques auxquels que cette expulsion l'exposerait en raison de son homosexualité conjugué au fait qu’il appartient à un groupe minoritaire hindou ;

31 K. Davis, Intersectionality as buzzword : A sociology of science perspective on what makes a feminist theory successful, in Feminist Theory 2008;

23

complexe pourront venir en aide (§2).

§1 La discrimination intersectionnelle : une question aussi sémantique

L'analyse intersectionnelle de la discrimination est née du constat de l'incapacité du

droit anti-discriminatoire de saisir et de sanctionner des situations où les systèmes

d'oppression qui « s'emboîtent réciproquement »32.

Conçue pour faire émerger la marginalisation des femmes noires aux Etats-Unis,

l'intersectionnalité n'est pas restée un outil d'analyse exclusif à leur situation au croisement

entre race et sexe mais il a été utilisé aussi pour traiter des situations d'autres « minorités dans

la minorité » et, même si en mesure mineure, de l'interaction d'autres facteurs comme l'âge, le

handicap ou l'orientation sexuelle.

L'appropriation du concept par la doctrine, la jurisprudence et dans le travail des organismes

européens et internationaux en matière de protection des droits de l'homme doit surement être

encouragée car elle contribue à son affirmation, encore assez timide et incomplète, et par ce

biais à la compréhension et sanction de graves abus des droits de l'homme parmi lesquels

notamment le viol et les autre formes de violence envers les femmes en temps de conflit 33.

Néanmoins, avec cette graduelle diffusion de la notion de discrimination intersectionnelle

nous assistons également à une multiplication de termes et expressions différents s'y référant.

La discrimination intersectionnelle, terme conjugué à la fin des années 1990 aux Etats Unis, a

connu ainsi de nombreuses déclinaisons. Parmi les plus récurrentes on retrouve :

discrimination « multiple », discrimination « multi-factorielle »34, discrimination

32 A. Brah et A. Phoenix, Ain't I A Woman ? Revisiting Intersectionality, Journal of International Women's Studies 5, 3 (2004), page 78 ;

33 Special Rapporteur of the Commission on Human Rights on violence against women, on the subject of race, gender and violence against women, Review of Reports, Studies and other Documentation for the Preparatory Commitee and the World Conference, U.N. World Conference Agaist Racism, Racial Discrimination, Xenophobia and Related Intolerance Preparatory Commitee, Third session Geneva, 30 July-10 August 2001, U.N. Doc. A/CONF.189/PC.3/5 (2001) § 29 :

« Targeted discrimination. Intersectional subordination sometimes results from abuses that are specifically targeted at racialized women. This can occur in the context of armed conflict and can be illustrated by recent events in countries and areas such as Bosnia and Herzegovina, Burundi, Colombia, East Timor, Kosovo, Rwanda and Sri Lanka. Here conflicts have been motivated by ethnically based acts of aggression in which women have been targeted and become victims of ethnically-motivated gender-specific forms of violence. In some cases women were deliberately impregnated to dishonour an ethnic group; in other cases women were sexually mutilated to make them incapable of reproduction. Rape and other forms of sexual violence have also been used as an instrument of genocide against particular racial or ethnic groups. » ;

34 Cour EDH, B.S. c. Espagne, 24 juillet 2012, Req. n° 47159/08 ;24

« multicritère » ou encore discrimination « multidimensionnelle », discrimination

« pluridimensionnelle »35 ou discrimination « croisée »36.

Devant la prolifération de tels termes, souvent non définis et non accompagnés d'aucun effort

d'analyse, nombreux auteurs ont senti le besoin d'une majeure rigueur et ont essayé de

l'apporter à travers des classifications de ces différentes expressions. En effet, derrière cette

panoplie de références se cachent des situations et, souvent, des compréhensions différentes

du phénomène de la discrimination intersectionnelle qui représentent un premier obstacle à

son étude en droit.

Une des classifications surement la plus accomplie et aujourd'hui encore utile à s'orienter est

celle élaborée par Timo Makkonen et qui date de 200237.

L'auteur opère ici une classification tripartite dans laquelle il distingue entre « discrimination

multiple », « discrimination composée » (compound en anglais) et « discrimination

intersectionnelle »38. A travers cette systématisation il regroupe sous ces trois catégories les

différentes formes de discrimination qu'une personne peut subir quand plus d'un motif de

discrimination est concerné.

Par « discrimination multiple » l'auteur suggère de se référer aux situations dans lesquelles

une personne est victime de plusieurs actes de discrimination sur la base de plusieurs motifs

mais qui ont lieu dans des moments différents, successifs. L'exemple aujourd'hui classique

pour illustrer ce cas est celui d'une femme handicapée qui n'arrive pas à faire carrière en

raison de son sexe et qui généralement rencontre des difficultés dans l'accès aux espaces

publics à cause de son handicap.

Le choix du terme « multiple » pour cet ordre de situations n'est pas d'ailleurs casuel :

Multiple discrimination is an apt term to describe this kind of situation, as the term “multiple”

has mathematical connotations, and as this type of situation is one in which a person suffers

discrimination on the basis of e.g. gender + disability + age39.

35 Comité CEDEF, Recommandation Générale n° 27 sur les femmes âgées et la protection de leurs droits d’êtres humains, 16 décembre 2010, U.N. Doc. CEDAW/C/GC/27 ;

36 T. Makkonen, Multiple, compound and intersectional discrimination : bringing the experiences of the most marginalized to the fore, Institute For Human Rights Åbo Akademi University April 2002 ;

37 T. Makkonen, op. cit. ;38 Dans le présent mémoire je me tiendrai à cette classification ;39 T. Makkonen, op. cit., page 10. Pour ces mêmes raisons, l'auteur critique l'utilisation de cette expression pour

25

En revanche, avec « discrimination composée » l'auteur se réfère à des épisodes de

discrimination où plusieurs motifs différents de discrimination ont lieu dans une même

situation. Il s'agit des cas où les victimes de ce type de discrimination sont défavorisées en

raison du cumul d'obstacles ou des stéréotypes. Dans ce genre de situations il peut y avoir

deux ou plusieurs facteurs de discrimination en jeu qui rendent le fardeau à supporter plus

lourd et les barrières à surmonter plus élevées. L'exemple cité est celui fait par le Rapporteur

Spécial chargé de la question de la violence contre les femmes selon lequel

Women are sometimes subject to discrimination because of their gender roles and because they

are members of racial or ethnic groups. For example, women may be excluded on the basis of

race from jobs designated for women; at the same time, they may be excluded from jobs reserved

for men. In effect, these women are specifically excluded as minority or ethnic women because

there is no role for applicants with their particular ethno-racial and gendered profile40.

Enfin, la troisième catégorie identifiée, la « discrimination intersectionnelle », concerne les

cas où la discrimination est fondée sur plusieurs motifs qui opèrent simultanément,

interagissent entre eux et se renforcent mutuellement. Dans ce troisième ordre d'hypothèses, il

s'agit d'une forme différente de discrimination qui ne peut pas être assimilée à la simple

addition de divers motifs sur lesquels elle s’appuie. Il s'agit d'expériences de discrimination

dans lesquelles il est impossible d'identifier parmi les différents motifs qui sont à l'origine de

la discrimination, la raison principale ou exacte de celle-ci. Seulement la prise en compte de

l'interaction desdits motifs, comme une sorte de stéréoscope, peut en effet permettre de saisir

et d'apprécier la dimension complexe de cette forme de discrimination qui autrement resterait

invisible à l'œil nu.

Il s'agit de l'affaire DeGraffenreid c. General Motors41 déjà citée en amont mais aussi, comme

nous le verrons dans la deuxième partie de cette recherche, des cas de stérilisation forcée des

femmes roms, victimes d'abus et de discrimination qu'elles seules subissent et qui les isolent

des autres femmes ainsi que des hommes de la minorité rom.

les cas de discrimination dans lesquels les divers facteurs de discriminations opèrent simultanément et non distinctement et auxquels on devrait se référer comme à des cas de discrimination intersectionnelle.

40 Special Rapporteur of the Commission on Human Rights on violence against women, on the subject of race, gender and violence against women, Review of Reports, Studies and other Documentation for the Preparatory Commitee and the World Conference, U.N. World Conference Against Racism, Racial Discrimination, Xenophobia and Related Intolerance Preparatory Commitee, Third session Geneva, 30 July-10 August 2001, U.N. Doc. A/CONF.189/PC.3/5 (2001), § 30 ;

41 DeGraffenreid v. General Motors, 413 F. Supp. 142 (E.D. Mo. 1976) ;26

Malgré la classification proposée ci-dessus par l'auteur ne soit qu'une suggestion à laquelle il

est possible d'adhérer ou non et nonobstant les différences entre ces trois catégories de

discrimination soient nuancées et parfois très difficiles à saisir, il est évident que le choix des

termes n'est pas ou mieux ne devrait pas être casuel et que la désinvolture avec laquelle les

différentes expressions sont utilisées de manière interchangeable impose constamment au

lecteur de vérifier si derrière des expressions comme discrimination multiple, multi-

factorielle, multidimensionnelle et ainsi de suite se cache en réalité une référence à la

discrimination intersectionnelle strictu senso.

A cette fin, l'analyse des éléments de qualification de cette forme de discrimination complexe

vient en aide.

§2 Les éléments de qualification de la discrimination intersectionnelle

La discrimination intersectionnelle s'insère et contribue à faire évoluer la réflexion

générale qui intéresse le principe de non-discrimination et partage avec celui-ci des nombreux

aspects. Au même temps elle ajoute un élément nouveau qui la rend unique et qui lui permet

de prendre en compte des situations qui pourraient autrement « tomber dans les failles » d'un

système de lutte contre les discriminations moniste42 mais qui présente aussi certaines

difficultés qui risquent de la reléguer à une notion exclusivement théorique.

Comme toute discrimination, la discrimination intersectionnelle est tout d'abord une

distinction arbitraire et injustifiée. Il s'agit d'un traitement inégal fondé sur des motifs

prohibés et illégitimes qui sont énumérés dans des listes exhaustives43 ou non44 et qui sont

communs aux différentes interdictions conventionnelles de discrimination. Ces listes peuvent

évoluer à la lumière du contexte social et le rôle de la jurisprudence à cet égard est

fondamental.

De plus, à l'instar de toute discrimination, la discrimination intersectionnelle doit engendrer

un désavantage pour les personnes qui s'estiment discriminées. Qu'il s'agisse des désavantages

liés à la situation patrimoniale de l'individu ou intimement liés à la personne, qu'ils se

rapportent au signal négatif véhiculé par une pratique ou une règle de droit, c'est l'effet et non

42 S. Bilge, O Roy, op. cit., page 58 ;43 Voir par exemple la Directive 2000/43/CE ou Directive 2000/78/CE ;44 Voir article 14 CEDH ;

27

l'intention45 à être décisif dans le jugement d'appréciation de la discrimination46.

Enfin, comme toute discrimination, la discrimination intersectionnelle est sanctionnée dès

lors que le traitement inégal n'est pas justifié. Cette justification doit être objective et

raisonnable47 et il doit exister un lien clair et raisonnable de proportionnalité entre l’objectif

recherché et les mesures ou omissions et leurs effets48.

Les Etats bénéficient en effet d'une certaine marge de manœuvre ou d'appréciation qui voit

son champ d'application s'étendre ou réduire en fonction des motifs de discrimination

concernés. Les cours se montrent généralement très sévères dans l'appréciation des

discriminations fondées sur la race ou le sexe tandis que pour d'autres elles sont beaucoup

plus tolérantes. Cette approche a induit la doctrine à parler par exemple par rapport à la Cour

Européenne des Droits de l'Homme de « hiérarchisation des motifs de distinction, qui ouvre

la voie à une modulation de la protection offerte par l'article 14 de la convention »49.

La discrimination intersectionnelle partage donc avec les formes « classiques » de

discrimination nombreux de leurs éléments de qualification et comme toute autre forme de

discrimination demandera de vérifier s'il y a eu distinction, si celle-ci était arbitraire,

injustifiée et fondée sur des motifs prohibés ou au contraire justifiée, raisonnable et

proportionnée.

Cependant, la discrimination intersectionnelle se caractérise par un élément complémentaire,

un quid pluris qui la rend unique mais qui soulève au même temps un certain nombre de

questions qui compliquent son application.

Différemment de toute autre discrimination, la discrimination intersectionnelle ne se fonde

pas sur un motif exclusif de discrimination mettant par-là « en marge de son champ

d'application et de protection les personnes ou groupes sociaux vulnérables placés à

45 Une exception à cette règle est représentée par le droit anti-discriminatoire aux Etats-Unis où la personne qui s'estime victime de discrimination doit prouver l'intention discriminatoire du défendeur. Voir D. Moeckli, Equality and Non-discrimination in International Human Rights Law, Oxford University Press, Oxford, 2ème ed., 2014, page 166 ;

46 V. Martenet, Droits de l'homme choisis, in Introduction aux droits de l'homme, Ed. Yvon Blais, LGDJ et Schulthess 2014, pag. 727 ;

47 Cour EDH, Affaire relative à certains aspects du régime linguistique de l'enseignement en Belgique c. Belgique, 23 Juillet 1968, Req. n° 1474/62; 1677/62; 1691/62; 1769/63; 1994/63; 2126/64 ;

48 Comité DESC, Observation générale no 20 La non-discrimination dans l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels (art. 2, par. 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), 2 juillet 2009, UN Doc. E/C.12/GC/20, § 13 ;

49 F. Sudre, Droit européen et international des droits de l'homme, PUF 12e éd. Paris 2015 page 427 ;28

l'intersection de catégorisations objectives préétablies »50 mais vise à sanctionner des cas de

discrimination où plusieurs critères non seulement sont concernés mais sont aussi

interdépendants et se renforcent réciproquement.

Cette forme de discrimination ne se distingue pas simplement des discriminations basées sur

un motif unique tel que la race, la religion ou le genre mais se démarque également des

discriminations dites « multiples » ou « composées » où les facteurs de discrimination sont

simplement cumulés les uns aux autres et appréciés et traités séparément. Elle « va au-delà

d'une simple reconnaissance de la multiplicité des systèmes d'oppression opérant à partir de

ces catégories et postule leur interaction dans la production et la reproduction des inégalités

sociales »51.

Elle est fondée sur plusieurs motifs qui opèrent simultanément et elle demande de considérer

l'intégralité de l'identité de la victime de la discrimination dans toutes ses facettes à travers

une prise en compte de la situation de désavantage globale dans laquelle elle se trouve sans

l'obliger à réduire ses expériences aux cases préconçues du droit anti-discriminatoire

classique. Diversement, il y aurait le risque de ne pas déceler le jeu d'axes de domination

qu'elle subit et de laisser que les inégalités qui l'affligent se perpétuent voilées par les mêmes

processus sociaux qui les produisent.

Comme le prouve l'attention qu'elle a su capturer parmi la doctrine, surtout anglophone, les

nombreux organismes internationaux et la société civile, cette notion présente un grand intérêt

car elle soulève des questions qui demandent de repenser l'égalité à l'égard de la complexité et

de la stratification des rapports sociaux. Cependant, elle soulève aussi des difficultés parmi

lesquelles il faut mentionner le jugement de comparaison qui doit être effectué pour apprécier

s'il y a eu ou pas discrimination.

A l'exception généralement de cas spécifiques de discrimination comme le harcèlement,

l'interdiction des discriminations offre une protection dès lors que la personne s'estimant

victime d'une discrimination identifie un point de comparaison. Cette comparaison concerne

les personnes qui se trouvent dans une situation comparable à celle de la victime de la

discrimination alléguée mais qui se distinguent par le critère sensible en cause et par le

traitement qui leur est réservé52.

50 J. Roux, op. cit., page 8 ;51 S. Bilge, Théorisations féministes de l'intersectionnalité, Diogène 2009/1 N 225, page 72 ;52 V. Martenet, op. cit., page 726 ;

29

Comme il apparaît déjà dans les écrits de Kimberlé Crenshaw à la fin des années 1980 et au

début des années 1990, le jugement de comparaison est au centre de la théorie de

l'intersectionnalité car qu'il s'agisse d'une comparaison effectuée sur la base d'un seul motif

ou d'une comparaison effectuée en se fondant sur plusieurs motifs, le résultat reste inadéquat

si les divers motifs ne sont pas appréciés de manière intégrée. Nous l'avons vu dans l'affaire

DeGraffenreid v. General Motors53, nous le constaterons encore dans beaucoup d'autres

affaires.

C'est là le véritable élément de qualification qui permet de distinguer la discrimination

intersectionnelle strictu sensu d'autres formes de discrimination fondées sur plusieurs motifs

comme les discriminations multiples ou composées qui sont plus facilement prises en compte

par le législateur et les juges parce qu'elles permettent de continuer à utiliser l'approche

« traditionnelle » de la discrimination qui apprécie les motifs de discrimination de manière

distincte.

Or, devant des cas de discrimination intersectionnelle il est évident qu'une comparaison

distincte pour chaque motif discriminatoire ne peut pas être retenue car elle ne permet pas de

saisir et de sanctionner les traitements inégaux.

Par conséquent, cette forme de discrimination demande, lors de ce jugement de comparaison,

l'effort complémentaire d'une analyse conjointe des motifs qui sont à l'origine de la

marginalisation de la victime de discrimination et complique inévitablement l'analyse de la

discrimination posant un certain nombre d'interrogatifs comme par exemple le choix du

comparateur à travers lequel effectuer l'analyse comparative ou, encore, la détermination de la

sanction applicable.

Par rapport à la question du comparateur, une solution possible est celle d'opérer un jugement

dit « diagonal » capable de considérer simultanément les divers facteurs discriminatoires. Si

nous prenons le cas d'une femme rom sa situation de femme ainsi que de membre d'une

minorité ethnique, pour être correctement appréciée, devra être comparée avec celle d'un

homme appartenant à la société majoritaire54. En effet, comme dans le jugement

53 DeGraffenreid v. General Motors, 413 F. Supp. 142 (E.D. Mo. 1976) ;54 G. Moon, Multiple Discrimination : Justice for the Whole Person, Roma Rights 2, 2009 – Multiple

Discrimination, page 7 ;30

DeGraffenreid c. General Motors55, une comparaison avec une femme blanche ou un homme

appartenant à la minorité rom ne permettrait pas dans une grande majorité de cas de faire

ressortir le traitement inégal dont elle est victime et seulement l'appréciation conjointe des

facteurs race et genre permettra de saisir la discrimination.

Un exemple concret de l'application de cette méthode « diagonale » de comparaison est celui

offert par la Cour d'Appel de Paris dans une affaire où la requérante invoquait des brimades

constantes, des vexations et des injures raciales depuis son affectation et s'estimait victime

d'un traitement discriminatoire dans le déroulement de sa carrière et à l'accès aux congés de

formation à raison de son sexe et de sa race. Dans cette affaire, la Cour, afin de statuer s'il y

avait eu un traitement discriminatoire, avait effectué le jugement de comparaison de la

situation de la requérante avec celle d'un groupe « mixte » de cinq autre salariés dont une

femme56.

Cependant, si une telle comparaison ne semble pas particulièrement complexe à effectuer

quand les critères sensibles à l'origine de la discrimination intersectionnelle sont deux, au fur

et à mesure que des facteurs s'ajoutent l'exercice comparatif se fait non seulement plus

complexe mais également plus théorique et hypothétique. En effet, plus nombreux sont les

éléments qui s’intègrent en tant que vecteurs de discriminations sur la base desquels le

jugement de comparaison doit être effectué, plus difficile sera d'identifier des sujets qui se

trouvent dans une situation comparable à celle de la victime de discrimination

intersectionnelle mais qui se distinguent de la victime par les critères sensibles à l'origine de

ladite discrimination.

Quelle sera la personne ou la catégorie de personnes avec laquelle opérer le jugement de

comparaison par exemple dans le cas d'une femme migrante noire et musulmane ou un rom

handicapé homosexuel ? C'est bien là une des questions principales qui se pose et qui n'a pas

encore trouvée une solution définitive. De surcroit, dans les systèmes juridiques qui ont

adopté un mécanisme de comparaison fondé sur un motif unique57, l'obstacle n'est pas

seulement intellectuel mais il semble être aussi juridique.

A titre conclusif, avant de passer a l'analyse de l'affirmation de la base légale de la

discrimination intersectionnelle en droit international et européen des droits de l'homme,

55 DeGraffenreid v. General Motors, 413 F. Supp. 142 (E.D. Mo. 1976) ;56 CA Paris 29 janvier 2002, RG: 2001/32582 ;57 Voir notamment les Directives 2000/43/CE et 2000/78/CE ;

31

encore une remarque supplémentaire apparait opportune. Comme il y aura l'occasion de le

souligner aussi ci-après, dans un système de lutte contre les discriminations essentiellement

structuré sur le motif unique il y a un autre facteur qui joue contre l'affirmation effective de la

théorie de l'intersectionnalité.

En effet, souvent les cours ne prennent pas en compte la discrimination intersectionnelle car

les victimes mêmes et leurs conseils volontairement l'ignorent pour focaliser leur

argumentaire sur un seul axe de discrimination estimé plus que suffisant à obtenir gain de

cause en justice.

Dans un système où la sanction de la discrimination intersectionnelle ne donne souvent pas

droit, à tort ou à raison, à une sanction plus sévère les victimes de discrimination

intersectionnelle ne voient pas un intérêt à compliquer le débat devant les tribunaux si elles

peuvent obtenir le même résultat en parcourant le chemin plus court que le motif unique

garantit.

32

CHAPITRE II

L'affirmation de la base légale de la

discrimination intersectionnelle en droit international et européen des droits de l'homme

Comme anticipé dans l’Introduction et analysé dans le Chapitre I, la théorie de la

discrimination intersectionnelle vise à dépasser une approche à la discrimination sectorielle et

assez rigide que la structuration des systèmes de protections de droits de l’homme favorise.

Cette même construction représente toutefois aussi un des obstacles à son affirmation et

explique l’écart qui existe entre la promotion dont elle fait l’objet par les divers organismes

onusiens et européens et les difficultés et les hésitations liées à sa mise en œuvre.

Dans ce Chapitre II, en retraçant les étapes qui amènent à l'affirmation de l'intersectionnalité

en droit international et européen des droits de l'homme il y aura l'opportunité de revenir sur

cette contradiction. A travers l’analyse de principales dispositions applicables, des instruments

de soft law et de la jurisprudence et du travail des organes judiciaires ou quasi-judiciaires,

nous examinerons en effet quelle est la place que l’approche intersectionnelle à la

discrimination a réussi à se créer dans le système de protection des droits de l’homme des

Nations Unies (Section I) ainsi qu’en Europe au sein de l’Union Européenne et du Conseil de

l’Europe (Section II).

SECTION I La discrimination intersectionnelle en droit international des droits de

l'homme

Dans cette Section sera traitée l'affirmation de la base légale de la discrimination

intersectionnelle en droit international des droits de l'homme. Dans une première partie

l'attention portera sur la reconnaissance de cette notion dans les instruments de soft law des

Nations Unies (§1) alors que dans un second moment l'accent sera mis sur l'application de

cette notion notamment par les comités onusiens dans leur travail de surveillance du respect

des conventions internationales (§2).

33

§ 1 La reconnaissance de la discrimination intersectionnelle dans les instruments de soft

law

Après sa première théorisation aux Etats-Unis en 1989, le premier pas important pour

la reconnaissance en droit international des droits de l'homme de la notion de discrimination

intersectionnelle a été fait lors de la Quatrième Conférence Mondiale sur les Femmes en 1995

à Beijing quand les Etats se sont engagés dans la Déclaration et Programme d'action de

Beijing à

Redoubler d’efforts pour que toutes les femmes et les filles que de multiples obstacles, tenant à

des facteurs tels que race, âge, langue, origine ethnique, culture, religion, incapacités ou

appartenance à une population autochtone, privent de tout pouvoir et de toute possibilité de

progrès puissent jouir à égalité de tous les droits de la personne humaine et de toutes les libertés

fondamentales58.

Dans la "jungle" des mécanismes de protection des droits de l'homme et des systèmes qui

favorisent le « morcellement de l'homme »59, l'engagement contenu dans la Déclaration et

Programme d'action de Beijing était très significatif car il ouvrait le chemin à cette nouvelle

approche à la discrimination qui permet de tenir en compte la combinaison et l'interaction de

divers facteurs d'oppression qui grèvent sur la personne.

Mais pour pouvoir comprendre l'importance de cette affirmation, il faut faire un saut en

arrière et rappeler premièrement, que la reconnaissance des droits des femmes en tant que

droits de l'homme à part entière est une conquête assez récente et, deuxièmement, que la

manière dans laquelle est structuré le système de protection onusien des droits de l'homme

semblait empêcher toute prise en compte de l'intersectionnalité.

Concernant le premier point, il sera rappelé brièvement qu'à l'aube du système de protection

des droits de l'homme des Nations Unies, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme

de 1948 (ci-après « DUDH ») proclamait à son article 2 que

chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente

Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de

58 Beijing Declaration and Platform for Action, U.N. Fourth World Conference on Women, Mission Statement, U.N. Doc. A/CONF.177/20, Annex I, § 32 ;

59 F. Sudre, Droit européen et international des droits de l'homme, Puf, Paris, 10ème ed. Janvier 2015, page 425 ;

34

religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune,

de naissance ou de toute autre situation.

Nonobstant l'interdiction de la discrimination sur la base du sexe, les femmes n'étaient pas

identifiées comme un groupe vulnérable et le choix de ne pas reconnaître aux femmes des

droits spécifiques à leur expériences était issu surtout de la préoccupation de ne pas

compromettre l'idée de l'universalité des droits de l'homme communs à tous60. Cette approche

a été ensuite maintenue dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi

que dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Si donc dans la DUDH et dans les deux Pactes le sexe était inclus parmi les motifs sur la base

desquels la discrimination est interdite, la reconnaissance expresse des droits des femmes en

tant que droits de l'homme n'est cependant intervenue que beaucoup plus tard. Ce n'est en

effet qu'en 1981 que la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à

l'égard des femmes (ci-après « CEDEF ») est entrée en vigueur et, ensuite, c'est au courant

des années 199061, et en particulier en 1993 lors de la Conférence mondiale sur les droits de

l'homme à Vienne62, que les droits des femmes ont réussi véritablement à rejoindre l'olympe

des droits de l'homme.

Avant, le langage neutre utilisé dans les premiers documents en matière de protection des

droits de l'homme et la conception traditionnelle des droits de l'homme permettait de protéger

les femmes exclusivement dans les cas où leurs expériences coïncidaient avec celles des

hommes63. En outre le système de protection onusien était indifférent aux abus dont les

femmes étaient victimes dans la sphère privée. Dans un tel cadre, il émergeait par conséquent

que des situations comme les grossesses forcées, l'esclavage sexuel, la violence domestique, 60 D. Otto, Women's rights, in International Human Rights Law de D. Moeckli, S. Shah et S. Sivakumaran,

Oxford University Press, sec. éd. 2014, page 320 ;61 Entre le 1975 et le 1995 ont eu lieu quatre conférences mondiales sur les femmes. La première se réunit à

Mexico en 1975, coïncidant de la sorte avec l'Année internationale de la femme célébrée afin de rappeler à la communauté internationale que le problème de la discrimination à l'égard des femmes persistait presque partout dans le monde. La deuxième s'est tenue à Copenhague en 1980, un an après l'adoption par l'Assemblée générale de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. La troisième conférence mondiale sur les femmes a eu lieu à Nairobi en 1985 qui a marqué la naissance du féminisme mondial. Enfin, la quatrième est celle de Beijing de 1995 ;

62 Declaration on the Elimination of Violence against Women, G.A. Res, 48/104, U.N. GAOR, 48 th Sess., Supp. No. 49, at 217, UN Doc. A/48/49 (1993). La version française peut être consultée à la page http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/ViolenceAgainstWomen.aspx, dernière consultation août 2015 ;

63 L'analogie avec les critiques de la théorie de l'intersectionnalité n'échappera pas.F. Butegwa, dans International Human Rights Law and Practice : Implications for Women, in From Basic Needs to Basic Rights : Women's Claim to Human Rights 28, 31 (éd. Margaret Schuler 1995) indique : «for women to show violations of their rights as women, they had to show that they were discriminated against in that the law or practises of the states failed to provide women the same protections as men » ;

35

les mutilations génitales étaient complètement ignorées par le modèle égalitaire en place 64.

Avec l'adoption de la CEDEF beaucoup de progrès ont été faits. En particulier, c'est la

demande d'une égalité non plus seulement formelle mais substantielle qui le plus a marqué le

développement de la situation des femmes65. Cet objectif se déduit d'une lecture des

dispositions comme l'article 1 et l'article 4, ce dernier prévoyant des obligations positives

aptes à « assurer le plein développement et le progrès des femmes, en vue de leur garantir

l’exercice et la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales sur la base de

l’égalité avec les hommes » ou, encore, de l'article 5 qui demande aux Etats parties

d'intervenir afin d'éliminer les préjugés et les pratiques coutumières ou de tout autre type qui

sont fondés et maintiennent l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe

ou d'un rôle stéréotypé des hommes et des femmes.

En outre, la volonté de poursuivre une égalité substantielle en s'attaquant de manière réelle et

effective aux inégalités dans lesquelles se trouvent les femmes en raison des rapports sociaux

de sexe se trouve aussi dans le travail du Comité CEDEF66.

Néanmoins, la Convention présentait aussi certaines limites et, comme il sera examiné ci-

après en matière de discrimination intersectionnelle, il a fallu surtout le travail d'interprétation

du Comité CEDEF, l'organe de surveillance de la Convention, pour l'améliorer et en faire un

instrument dynamique capable de répondre aux défis et abus dont les femmes font

l’expérience. Parmi ces limites, les auteurs identifient notamment l'absence de toute référence

à la violence à l'encontre des femmes, la continue comparaison avec le modèle masculin qui

laissait peu de place, par exemple, à la reconnaissance des droits reproductifs et aussi

l'approche unidimensionnel au groupe « femmes » qui les considère comme un groupe

homogène et ignore l'intersectionnalité de la discrimination sexuelle avec autres expériences

de subordination et abus et ses conséquences67. Et si la communauté internationale a réussi à

faire sienne une définition de violation des droits de l'homme compréhensive des violations et

64 J. E. Bond, op. cit., pages 81 – 90 ;65 D. Otto, op. cit. , page 324 ;66 J. Roux, op. cit. ;67 D. Otto, op. cit. , page 327. L'auteur relève que nonobstant la CEDEF reconnaisse quelques différences entre

les femmes en raison par exemple de la maternité, il n'y a qu'une seule exception à cette approche à la catégorie femme générale et homogène. Elle cite l'article 14 qui dispose que « les Etats parties tiennent compte des problèmes particuliers qui se posent aux femmes rurales et du rôle important que ces femmes jouent dans la survie économique de leurs familles ... » et souligne qu'il s'agit d'une disposition importante qui a permis au Comité CEDEF de l'interpréter largement et introduire ainsi dans son analyse le concept de la discrimination intersectionnelle auquel les femmes sont confrontées en raison de l'age, de l'ethnie ou de la caste.

36

abus communément perpétrés à l'encontre des femmes, elle a continué en grand partie à

s'appuyer sur une notion unique et monolithique de l'identité de la femme qui l'a conduite

souvent à adopter une approche myope des droits des femmes, incapable d'adresser les formes

complexes de violations dont celles-ci sont victimes68.

Pour ce qui concerne le deuxième aspect mentionné ci-dessus, c'est-à-dire la conception

sectorielle du système de protection des droits de l'homme sur laquelle nous nous sommes

déjà entretenus dans le premier chapitre, il suffira de rappeler que ce système s'est construit de

manière stratifiée et ne répondant pas forcement à un dessein unitaire et commun mais plutôt

visant à répondre au fur et à mesure aux problématiques qui se posaient à lui.

Suite à l'adoption de la DUDH, les Nations Unies ont développé de nombreux mécanismes

conventionnels de protection des droits de l'homme spécifiques à des situations précises.

Ainsi les Nations Unies ont contribué à consolider une compréhension sectorielle des

questions de droits de l'homme qui peut entraver l'appréhension et la sanction des violations

résultant d'un ensemble complexe de facteurs parmi lesquels, entre autres la race, ethnie, la

religion, le genre, la classe sociale et l'orientation sexuelle69.

C'est donc dans ce contexte qu'intervient la première ouverture à l'intersectionnalité dans le

droit onusien.

La Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et

intolérance qui y est associée représente une deuxième occasion importante d'affirmation de

l'intersectionnalité. Et c'est surtout en vue de cette Conférence que la question de la

discrimination intersectionnelle a été le plus débattue et a ainsi trouvé une plus grande

légitimité. A cette occasion, en effet, de nombreux organes des Nations Unies ont saisi

l'opportunité d'attirer l'attention sur cette question.

Il sera par exemple rappelé que le Conseil des Droits de l'Homme a noté que le racisme, la

discrimination raciale et la xénophobie contribuent à alimenter la discrimination à l'égard des

68 J. E. Bond, op. cit., page 72. Un exemple de cette incapacité de saisir les interactions des différents aspects de l'identité comme le genre et la race est celui des abus subis en 1998 par les femmes chinoises en Indonésie de la part des membres de la majorité indonésienne. Ces femmes ont subi des violations graves de leurs droits y inclus des menaces de morts et des viols. Ces abus étaient fondés sur des motifs de race et de genre mais la communauté internationale à largement échoué à reconnaître ces violations sur la base au même temps du racisme et sexisme qui les motivaient ;

69 J. E. Bond, op. cit., page 93 ;37

femmes outre que d'autres violations de leurs droits y compris la traite transfrontalière des

femmes et enfants et le travail forcé70.

De surcroit, Mme Radhika Coomaraswamy, Rapporteur Spécial chargé de la question de la

violence contre les femmes, ses causes et conséquences publia un rapport dans lequel la

question de l'intersectionnalité entre la race, le genre et la violence à l'encontre des femmes

était spécifiquement traitée71. En particulier, le rapport soulignait comment l'interaction entre

race et genre peut empêcher l'accès à la justice aux femmes victimes d'abus, notamment

quand il s'agit des femmes appartenant à des minorités ethniques ou raciales. Le Rapporteur

prenait en particulier l'exemple de la violence sexuelle subie par les femmes appartenant à des

minorités :

They are most often gang raped in front of family members, their sexual organs mutilated,

tattooed or destroyed, they are sometimes stripped and paraded naked, they are made to dance

naked in front of enemy soldiers, they are sometimes enslaved and made to cook and clean for

the men and soldiers of the other communities, and sometimes, as in Rwanda, intimate family

members are asked to rape them in public72.

Enfin, dans les recommandations conclusives, tout en prenant actes de certains résultats

positifs en matière, le Rapporteur insiste sur l'importance d'une approche structurée et

holistique afin d’éliminer les formes multiples de discrimination subies par les femmes

marginées et la nécessité d'intégrer la perspective de genre et l'analyse intersectionnelle dans

la lutte contre le racisme.

Une mention particulière mérite également le travail fait par un groupe d'experts à Zagreb

(Croatie) en Novembre 2000 sur initiative de la Division pour l'avancement des femmes

(DAW) en collaboration avec le Haut-Commissaire pour les Droits de l'Homme et le Fonds de

développement des Nations unies pour la femme (UNIFEM) et qui a donné lieu à la

publication d'un rapport qui analyse en détail la question de l'intersectionnalité73.

70 CCPR, Contributions to the World Conference against Racism, Racial Discrimination, Xenophobia, and Realted Intolerance, UN Doc. A/CONF.189/PC.2/14 § 18 ;

71 Special Rapporteur of the Commission on Human Rights on violence against women, on the subject of race, gender and violence against women, Review of Reports, Studies and other Documentation for the Preparatory Commitete and the World Conference, U.N. World Conference Against Racism, Racial Discrimination, Xenophobia and Related Intolerance Preparatory Commitee, Third session Geneva, 30 July-10 August 2001, U.N. Doc. A/CONF.189/PC.3/5 (2001) ;

72 Review of reports, ibid., § 118 ;73 United Nations Division for the Advancement of Women (DAW), Office of the High Commissioner for

Human Rights (OHCHR), United Nations Development Fund for Women (UNIFEM), Gender and racial discrimination Report of the Expert Group Meeting, 21-24 November 2000 Zagreb, Croatia ;

38

Parmi les diverses constatations qui y sont faites, le rapport précise qu'en dépit du fait que

l'intersectionnalité puisse se produire dans des contextes très différents, ce sont surtout les

femmes qui sont les plus concernées par le phénomène de la discrimination intersectionnelle,

spécialement quand il s'agit de santé, d'emprisonnement, de migration, de traite d’êtres

humains, de conflits armés et d'emploi.

Par conséquent, il ressort de ce qui précède que la reconnaissance de la discrimination

intersectionnelle, dont l'importance a été d'abord reconnue à la Quatrième Conférence

Mondiale sur les Femmes de 1995 à Beijing en relation à l'élimination de toutes formes de

discrimination à l'égard des femmes, a été ensuite étendue aux domaines de la lutte contre le

racisme, culminant dans la Déclaration de la Conférence mondiale contre le racisme, la

discrimination raciale, la xénophobie et intolérance qui y est associée, et qui reconnaît à son

article 2 que « les victimes peuvent subir des formes multiples ou aggravées de discrimination

fondées sur d'autres motifs connexes »74.

De plus, un engagement en faveur de la reconnaissance et la lutte contre les discriminations

intersectionnelles émerge aussi du travail du Rapporteur spécial sur les droits des minorités,

Gay McDougall75 ainsi que du Rapporteur spécial sur la violence contre les femmes, Rashida

Manjoo76.

La reconnaissance de l'intersectionnalité ne passe pas que par les rapports ou les déclarations

susmentionnées mais est aussi le fruit du travail des comités onusiens, notamment le Comité

CEDEF et le Comité CEDR. Leur interprétation des instruments respectifs par les biais des

recommandations générales et observations conclusives contribue à l'affirmation de la base

légale de la discrimination intersectionnelle et fait de ces conventions des instruments

dynamiques et capables de s'adapter aux évolutions des contextes sociaux et juridiques dans

lesquels ils sont appliqués.

74 Programme of Action, Final Report of the World Conference against Racism, Racial Discrimination, Xenophobia, and Related Intolerance, Durban, 31 août – 8 septembre 2001, UN Doc. A/CONF.189/12 (2001) ;

75 Le Rapporteur spécial, en occasion de ses visites dans divers Pays parmi lesquels l'Hongrie, l'Ethiopie ou encore la France et la Grèce, a saisi l'opportunité d'approfondir cette question. Voir Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, Promotion and Protection of all Human Rights, Civil, Political, Economic, Social and Cultural Rights, including the Right to Development – Report of the independent expert on minority issues, Gay McDougall at Office of the High Commissioner for Human Rights, 16 February 2009 ;

76 Voir Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, Report of the Special Rapporteur on violence against women, its causes and consequences, Rashida Manjoo, 2 mai 2011, U.N. Doc. A/HRC/17/26 ;

39

A la lumière de ce qui précède, il faut mentionner par exemple que le Comité CEDR, dans sa

Recommandation générale n° 25, du 20 mars 2000, reconnaît que « la discrimination raciale

n’affecte pas toujours pareillement ou de la même manière les hommes et les femmes » et que

« dans certaines circonstances, la discrimination raciale vise seulement ou essentiellement

les femmes ou a des effets différents ou d’un degré différent sur les femmes que sur les

hommes ».

A titre d'exemple le Comité cite la violence sexuelle commise en détention ou en temps de

conflit armé sur la personne de femmes appartenant à des groupes raciaux ou ethniques

particuliers, la stérilisation forcée de femmes autochtones ou encore les abus perpétrés à

l’encontre de travailleuses du secteur informel ou d’employés domestiques travaillant à

l’étranger, par leurs employeurs. En outre, le Comité constate que certaines formes de

discrimination raciale font sentir leurs effets exclusivement et spécifiquement sur les femmes

et s'engage à employer dans son travail une perspective de genre et à assurer la prise en

considération de dimension sexiste de la discrimination raciale77.

La même année le Comité CEDR a également adopté une autre recommandation générale,

cette fois-ci spécifiquement référé à la discrimination à l'encontre des femmes roms dans

laquelle il recommande, en tant que mesure générale, de

Prendre en considération, dans tous les programmes et projets prévus ou mis en œuvre et toutes

les mesures adoptées, la situation des femmes roms, qui sont souvent victimes d’une double

discrimination78.

En outre, en relation aux mesures tendant à améliorer les conditions de vie, après avoir

précisé qu'il faut assurer aux roms l’égalité d’accès aux soins de santé et aux prestations

sociales et éliminer toutes pratiques discriminatoires à leur égard dans ce domaine, le Comité

prend le soin d'ajouter la nécessité pour les Etats parties de

Formuler et exécuter des programmes et projets dans le domaine de la santé en faveur des Roms,

principalement des femmes et des enfants, compte tenu de la situation défavorisée qui est la leur

en raison tant de leur pauvreté extrême et de leur faible degré d’instruction que des différences

culturelles; faire participer les associations et communautés roms ainsi que leurs représentants,

en particulier les femmes, à la conception et à la mise en œuvre de programmes et projets en

77 Comité CEDR, Recommandation générale n° 25 concernant la dimension sexiste de la discrimination raciale du 20 mars 2000, U.N. Doc. A/55/18 ;

78 Comité CEDR, Recommandation générale n° 27 concernant la discrimination à l'égard des Roms du 16 août 2000, § 6 ;

40

rapport avec la santé intéressant les groupes roms79.

L’accent que le Comité met sur la situation des femmes roms dans cette dernière

recommandation suggère, même si de manière implicite, qu'il reconnaît et il se saisi de la

question de la discrimination intersectionnelle à l'encontre de cette catégorie de femmes.

Le Comité CEDEF a aussi contribué au développement et à l'affirmation de la notion de

discrimination intersectionnelle dans le système international de protection et promotion des

droits de l'homme. Avec la Recommandation générale n° 25, en effet, le Comité reconnaît

expressément que certains groupes de femmes sont discriminées non seulement en tant que

femmes mais aussi qu'elles souffrent de formes multiples de discrimination fondées sur des

motifs complémentaires comme la race, l'ethnie, le handicap, l’âge, la classe sociale, la caste

ou d'autres facteurs. Il sera noté en particulier que le Comité précise que

Cette discrimination frappe surtout certains groupes de femmes, ou, parfois, des hommes aussi,

mais de manière ou à des degrés différents. Les États parties doivent envisager de prendre des

mesures temporaires spéciales pour éliminer ce type de discrimination et la combinaison d’effets

préjudiciables qu’elle engendre80.

De surcroit, le Comité a confirmé l'attention qu'il porte pour la question en adoptant en 2008

la Recommandation générale n° 26 concernant les travailleuses migrantes81 et en 2010 la

Recommandation générale n° 27 concernant les femmes âgées82.

Mais c'est surtout avec sa Recommandation générale n° 28 adoptée en 2010 et concernant les

obligations fondamentales des Etats parties découlant de l'article 2 de la Convention83 ainsi

qu'avec la très récente Recommandation générale n° 33 sur l'accès à la justice des femmes du 79 Comité CEDR, Recommandation générale n° 27 concernant la discrimination à l'égard des Roms du 16 août

2000, § 34 ;80 Comité CEDEF, Recommandation générale n° 25 concernant le premier paragraphe de l’article 4 de la

Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, portant sur les mesures temporaires spéciales, 2004, § 12 ;

81 Comité CEDEF, Recommandation générale n° 26 concernant les travailleuses migrantes, 5 décembre 2008, U.N. Doc. CEDAW/C/2009/WP.1/R qui, au paragraphe 14 reconnaît explicitement que les « travailleuses migrantes sont souvent victimes de multiples formes de discrimination qui se recoupent, souffrant non seulement du sexisme, mais aussi de la xénophobie et du racisme. La discrimination fondée sur la race, l’appartenance ethnique, la culture, la nationalité, la langue, la religion ou tout autre état ou qualité peut se manifester par des comportements sexistes et misogynes » ;

82 Comité CEDEF, Recommandation générale n° 27 sur les femmes âgées et la protection de leurs droits d’êtres humains, 16 décembre 2010, U.N. Doc. CEDAW/C/GC/27 ;

83 Comité CEDEF, Recommandation générale n° 28 concernant les obligations fondamentales des Etats parties découlant de l'article 2 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, 16 décembre 2010, U.N. Doc. CEDAW/C/GC/28;

41

23 juillet 201584 que le Comité marque une avancée importante en faveur de l'affirmation de

la discrimination intersectionnelle.

Dans la Recommandation générale n° 28, le Comité reconnaît le caractère essentiel du

recoupement des phénomènes de discrimination pour l’analyse de la portée des obligations

générales que fixe l’article 2 et indique que

la discrimination fondée sur le sexe ou le genre est indissociablement liée à d’autres facteurs tels

que la race, l’origine ethnique, la religion ou la croyance, la santé, l’état civil, l’âge, la classe,

la caste et l’orientation et l’identité sexuelles. Elle peut frapper des femmes appartenant à ces

groupes à des degrés différents ou autrement que les hommes. Les États parties doivent prévoir

légalement ces formes superposées de discrimination et l’effet cumulé de leurs conséquences

négatives pour les intéressés, et ils doivent les interdire85.

Cinq ans après, dans la Recommandation générale n° 33 qui vient tout juste d’être adoptée, le

Comité réaffirme le caractère essentiel dudit recoupement des divers facteurs dans

l’expérience de violation des droits fondamentaux par certaines catégories de femmes et s'y

réfère en l’appelant par son propre nom. En effet, dans l'introduction et la définition du champ

d'application de la recommandation en objet le Comité indique que

Discrimination against women, based on gender stereotypes, stigma, harmful and patriarchal

cultural norms, and gender-based violence, which particularly affect women, have an adverse

impact on the ability of women to gain access to justice on an equal basis with men. In addition,

discrimination against women is compounded by intersecting factors that affect some women to a

different degree or in different ways than men and other women. Grounds for intersectional or

compounded discrimination may include ethnicity/race, indigenous or minority status, colour,

socio-economic status and/or caste, language, religion or belief, political opinion, national

origin, marital and/or maternal status, age, urban/rural location, health status, disability,

property ownership, and being lesbian, bisexual, transgender women or intersex persons. These

intersecting factors make it more difficult for women from those groups to gain access to

justice86.

84 Comité CEDEF, General recommandation n° 33 on women's access to justice, 23 juillet 2015, U.N. Doc. CEDAW/C/GC/33 ;

85 Comité CEDEF, Recommandation générale n° 28 concernant les obligations fondamentales des Etats parties découlant de l'article 2 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, 16 décembre 2010, U.N. Doc. CEDAW/C/GC/28 § 18 ;

86 Comité CEDEF, General Recommandation n° 33 on women's access to justice, 23 juillet 2015, U.N. Doc. CEDAW/C/GC/33, § 8 ;

42

Il s'agit surement d'une avancée considérable pour la reconnaissance de l'intersectionnalité en

droit international des droits de l'homme surtout si on considère que d'autres comités, comme

le Comité des droits de l'homme en 200087 ou plus tard le Comité des droits économique

sociaux et culturels88, semblent plus réticents à s'aventurer sur ce chemin.

Enfin, deux autres développements récents méritent également d’être mentionnés car ils

reflètent l'attention à l'égard des discriminations multiples en générale et font un clin d'oeil à

la discrimination intersectionnelle. En effet, la Convention relative aux droits des personnes

handicapées adoptée en décembre 2006, et entrée en vigueur un peu moins de deux ans après,

ainsi que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des personnes autochtones adoptée

par l'Assemblée Générale en septembre 2007, reconnaissent explicitement que les

communautés qui ont une longue histoire de marginalisation et d'exclusion nécessitent une

attention et des mesures particulières afin de jouir pleinement et dans des conditions d'égalité

de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales. En ce sens, importantes

sont les « préoccupations » exprimées dans le préambule qui soulignent comment les

personnes handicapées et notamment les femmes et les filles sont exposées à des formes

multiples ou aggravées de discrimination fondées, inter alia, sur la race, la couleur, le sexe, la

langue, la religion et l’opinion politique, et qui ont été traduites à l'article 6 de la même

convention.

A la lumière de ce qui précède, il semblerait donc que l'approche intersectionnelle à la

discrimination ait été accueillie et se soit affirmée en droit international des droits de l'homme

nonobstant l'interposition de diverses barrières. Néanmoins, afin de vérifier si l'approche à la

discrimination fondée sur un seul motif a laissé la place à une appréciation intégrée et

transversale des facteurs discriminatoires qui entravent la jouissance des droits fondamentaux,

87 Comité des droits de l'homme, Observation générale n° 28, Article 3 (Égalité des droits entre hommes et femmes), 29 mars 2000, U.N. Doc. HRI/GEN/1/Rev.9 (Vol. I) § 30 où le Comité indique que « La discrimination à l’égard des femmes est souvent liée à la discrimination d’autres types, comme la discrimination fondée sur la race, la couleur, la langue, la religion, l’opinion politique ou autre, l’origine nationale ou sociale, la propriété, la naissance ou tout autre statut. Les États parties devraient s’attaquer à la manière dont les cas de discrimination fondée sur d’autres critères touchent particulièrement les femmes et communiquer des renseignements sur les mesures prises pour lutter contre ces effets. » ;

88 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale n° 20, La non-discrimination dans l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels (art. 2, par. 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), 2 juillet 2009, U.N. Doc. E/C.12/GC/20, § 17. Cependant, il faut constater que le Comité utilise la notion de discrimination multiple de manière un peu ambiguë car, malgré il reconnaisse que certaines personnes ou groupes de personnes puissent être l’objet d’une discrimination fondée sur plusieurs motifs interdits, comme par exemple les femmes appartenant à une minorité ethnique ou religieuse, il s'y réfère en utilisant l'expression de « discrimination cumulative » qui normalement exclut une approche intersectionnelle mais au même temps il précise qu'elle a des conséquences bien spécifiques pour les personnes concernées et mérite une attention et des solutions particulières s'approchant ainsi de nouveau au concept de discrimination intersectionnelle ;

43

une analyse de la jurisprudence et des observations des comités onusiens est nécessaire. En

effet seulement un examen de l'application de ces textes permet d'avoir un cadre complet et

réaliste de la fortune de cette notion.

§2 La discrimination intersectionnelle dans la pratique des comités onusiens

Comme nous venons de l'indiquer, l'affirmation de la base légale de la discrimination

intersectionnelle ne se fait pas exclusivement par la théorie, autrement dit à travers la

publication des rapports ou l'adoption de recommandations générales. Bien que ceux-ci soient

importants pour guider les Etats dans l'accomplissement des obligations découlant des

conventions internationales auxquelles ils sont partie et le travail même des comités que de

ces conventions sont les gardiens, l'examen de l'affirmation de la base légale de la

discrimination intersectionnelle doit passer aussi par l'analyse de l'application concrète de

cette notion.

Les observations finales lors des rapports périodiques et les constations finales suite à des

communications individuelles des comités onusiens représentent le terrain d'analyse de

prédilection.

Bien qu'avec des hésitations que nous ne manquerons pas de mettre en lumière ci-après, ainsi

que dans la deuxième partie de ce travail, le Comité CEDEF semble avoir été le plus sensible

à la question de l'intersectionnalité.

Dans ses observations finales en effet il ne manque pas de prendre en considération la

situation de différents groupes de femmes comme les femmes rurales, les femmes avec des

handicaps89, les femmes appartenant à des minorités ethniques comme les femmes roms90 ou,

encore, les femmes migrantes et réfugiées ou les femmes appartenant à des minorités

sexuelles91.

En matière de droit à l'éducation, et plus précisément d'accès à l'éducation, le Comité a par

89 Voir par exemple Comité CEDEF : Observations finales Tajikistan, U.N. Doc. CEDAW/C/TJK/CO/3 (2007) §§ 39 – 40 ; Observations finales Mali, U.N. Doc. CEDAW/C/MLI/CO/5 (2005) § 32 ;

90 Voir par exemple les observations finales du Comité CEDEF dans les cas : CO Finlande, U.N. Doc. A/56/38 (2001) § 305 ; CO Suède, U.N. Doc. A/56/38 (Supp) Part II, 25th Session (2001), § 356 ; CO Grèce, U.N. Doc. A/57/38, Exceptional Session (2002) § 293 ; CO Brésil, U.N. Doc. CEDAW/C/BRA/CO/6 (2007) § 27 ; CO Macédoine, U.N. Doc. CEDAW/C/MKD/CO/3 34th Session (2006) § 28(r)(i) ; CO Slovaquie, U.N. Doc. CEDAW/C/SVK/CO/4 (2008) § 23, CO Italie, U.N. Doc. A/60/38 32nd Session (2005) § 35 ;

91 Comité CEDEF, Observations finales Equatéur, U.N. Doc. CEDAW/C/ECU/CO/7 (2008) § 28 ;44

exemple identifié en divers cas des manquements de la part des Etats spécialement par rapport

aux femmes appartenant à des minorités, reconnaissant l'impact disproportionné dont elles

souffrent92.

Encore, dans les observations finales adressées à la Serbie en juin 2007, en conclusion du

premier examen périodique pour ce Pays, le Comité relève que dans le rapport qui lui a été

soumis il n’y a pas « d’informations et de statistiques sur les groupes de femmes

particulièrement vulnérables, en particulier les femmes rurales, les femmes roms, les femmes

qui ne sont pas inscrites sur les registres d’état civil et n’ont pas de papiers d’identité et les

femmes handicapées, les réfugiées et déplacées, qui sont souvent en butte à de multiples

formes de discrimination » et prie l'Etat partie, dans son prochain rapport, de lui fournir « une

description détaillée de la situation de fait de ces groupes de femmes vulnérables dans tous

les domaines dont traite la Convention ainsi que des mesures et des programmes que le

Gouvernement met en œuvre pour éliminer la discrimination dont ils sont victimes »93.

Six ans après, toutefois, revenant sur la question, le Comité constate l'absence du concept

d’une approche multidimensionnelle à la discrimination contre les femmes dans les lois anti-

discriminatoires et prie l'Etat partie de mettre en œuvre les mesures nécessaires afin d'éliminer

toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, en particulier les femmes

appartenant à des minorités ethniques, les femmes handicapées, les femmes âgées, les

femmes vivant avec le VIH, les femmes touchées par la guerre, les lesbiennes et autres

femmes et filles appartenant à des groupes défavorisés94.

En outre, dans les lignes guides pour les rapports périodiques, le Comité demande de fournir

des informations spécifiques concernant les divers groupes de femmes et notamment

concernant ceux qui subissent des formes multiples de discrimination95 et à plusieurs reprises

a invité les Etats parties à assurer que les formes intersectionnelles de discrimination soient

opportunément traitées soit par voie législative, soit par tout autre moyen96.

92 F. Banda in The UN Convention on the Elimination of all Forms of Discrimination against Women – A Commentary, edited by M. A. Freeman, C. Chinkin, B. Rudolf, Oxford University Press, 2012, page 274 ;

93 Comité CEDEF, Observations finales Serbie, U.N. Doc.CEDAW/C/SCG/CO/I (2007) §§ 38 et 39 ;94 Comité CEDEF, Observations finales Serbie, U.N. Doc. CEDAW/C/SRB/CO/2-3 (2013) §§ 10 et 15 ;95 CEDAW Decision 40/I, Convention-Specific Reporting Guidelines of the Committee on the Elimination of

Discrimination against Women, A/63/38 (Supp), 40th Session (2008), Annex I, § 21 ;96 Voir par exemple Comité CEDEF, Observations finales Biélorussie, U.N. Doc. CEDAW/C/BLR/CO/7 (2011)

§ 12 ; Comité CEDEF, Observations finales Hongrie, U.N. Doc. CEDAW/C/HUN/CO/6 (2007) § 31 ; voir également Harmonised Guidelines on Reporting under the International Human Rights Treaties, including Guidelimes on a Core Document and Treaty-Specific Document, HRI/GEN/2/Rev.6 (2009) qui aux §§ 51 et 55 se réfère à la discrimination multiple ;

45

Enfin, l'approche intersectionnelle à la discrimination émerge aussi de la jurisprudence du

Comité. En effet, bien qu'en 2006 le Comité avait raté l'opportunité de sanctionner cette forme

de discrimination dans l'affaire A.S. c. Hongrie que nous analyserons plus en bas par rapport à

la situation des femmes roms97, trois autres cas portés à son attention doivent être rappelés ici

car ils témoignent une percée de l'intersectionnalité dans sa jurisprudence.

Il s'agit de l'affaire Kell c. Canada98, de l'affaire Jallow c. Bulgarie99 et de l'affaire Pimentel c.

Brésil100 où le Comité a pris en compte la situation vulnérable des requérantes et a condamné

les Gouvernements défendeurs.

Dans l'affaire Kell le Comité, se fondant expressément sur sa Recommandation générale n°

28, a condamné le Canada au motif qu'il n’avait pas assuré la protection d’une femme

vulnérable (aborigène, victime de mauvais traitements, liée à un partenaire influent auprès de

l’autorité qui lui a retiré ses droits) notamment dans l’accès à la propriété.

Dans l'affaire Jallow, litige concernant les discriminations et la violence domestique subies

par une femme analphabète de nationalité gambienne, le Comité souligne les facteurs qui

rendent l'auteur de la communication particulièrement vulnérable et recommande à l'Etat

partie de

dispenser aux juges, aux procureurs, au personnel de l’Agence nationale de protection de

l’enfance et aux services de police une formation adéquate et régulière sur la Convention, son

protocole facultatif et les recommandations générales du Comité, en mettant l’accent sur la

nécessité de tenir compte de la situation particulière des femmes et de la discrimination multiple,

afin de s’assurer que les allégations de violence fondées sur le sexe sont reçues et examinées

comme il se doit101.

Mais c'est surtout dans l'affaire Pimentel c. Brésil concernant la mort évitable d'une jeune

femme suite à une complication de grossesse, que le Comité a estimé après une analyse très

détaillée que le Brésil avait violé ses obligations selon les articles 2 et 12 CEDEF et s'était

rendu coupable de discrimination intersectionnelle, la victime étant morte non seulement

97 Comité CEDEF, Communication n° 4/2004, U.N. Doc. CEDAW/C/36/D/4/2004 ;98 Comité CEDEF, Communication n° 19/2008, U.N. Doc. CEDAW/C/51/D/19/2008 ;99 Comité CEDEF, Communication n° 32/2011, U.N. Doc. CEDAW/C/52/D/32/2011 ;100 Comité CEDEF, Communication n° 17/2008, U.N. Doc. CEDAW/C/49/D/17/2008 ;101 Comité CEDEF, Communication n° 32/2011, ibid., § 8.8 (2c) ;

46

parce qu'elle était enceinte mais aussi parce qu'elle était pauvre et membre d'une communauté

afro-brésilienne. Le Comité reconnaît ainsi que genre, classe et race avaient privé Madame

Pimentel de droits égaux d'accès à des services de santé adéquats.

Le Comité CEDR aussi, après sa Recommandation générale n° 25 en 2000, n'a pas négligé de

considérer la situation spécifique des femmes alors qu'il analyse les phénomènes de la

discrimination raciale. Dans ses observations finales les rappels à ladite recommandation ne

manquent pas et ne manquent également pas les références à la situation particulièrement

difficile dans laquelle les femmes se trouvent, et notamment les femmes autochtones ou

appartenant à des minorités ethniques, se trouvent en raison des divers obstacles contre

lesquels elles se heurtent en raison de leur origine et leur sexe102.

En 2014, par exemple, lors de l'examen périodique de Pérou, le Comité CEDR a noté avec

préoccupation que

les femmes autochtones et afro-péruviennes continuent de faire face à des formes multiples de

discrimination dans les domaines de l’éducation, du travail et de la santé, d’être victimes de la

violence fondée sur le genre et de rencontrer des difficultés pour accéder à la justice. Le Comité

déplore les informations selon lesquelles nombre de femmes domestiques font l’objet d’une

discrimination en raison de leur origine ethnique (art. 5 et 6). Le Comité recommande à l’État

partie de prendre en considération sa Recommandation générale no 25 (2000) sur la dimension

sexiste de la discrimination raciale et d’inclure une perspective de genre dans toutes les

politiques et stratégies visant à combattre la discrimination raciale en vue de remédier aux

formes multiples de discrimination dont les femmes sont victimes103.

En revanche, nonobstant ces efforts du Comité qui sont les bienvenus, il est opportun aussi de

souligner que différemment du Comité CEDEF il semble y avoir quelque réticence à parler de

discrimination intersectionnelle ou multiple. En quelques occasions en effet le Comité CEDR

parle de double discrimination mais, parmi les documents consultés, le mot intersection ne

résulte pas utilisé et seulement parfois on retrouve celui de discrimination multiple 104.

102 Voir par exemple Comité CEDR, Observations finales Portugal, U.N. Doc. CERD/C/PRT/CO/12-14 (2012) § 18 ; Comité CEDR, Observations finales Vietnam, U.N. Doc. CERD/C/VNM/CO/10-14 (2012) § 14 ; Comité CEDR, Observations finales Italie, U.N. Doc. CERD/C/ITA/CO/16-18 (2012) § 21 ; Comité CEDR, Observations finales Albanie, U.N. Doc. CERD/C/ALB/CO/5-8 (2011) § 18 ;

103 Comité CEDR, Observations finales Pérou, U.N. Doc. CERD/C/PER/CO/18-21 (2014) § 17 ; dans le même sens CO Equateur, CERD/C/ECU/CO/20-22 (2012) § 23 ;

104 Il y a quelque exception à cette « réticence ». Voir Comité CEDR, Observations finales Slovaquie, U.N. Doc. CERD/C/SVK/CO/9-10 (2013) § 13 où le Comité rappelle sa Recommandation générale no 25 (2000) et fait une référence claire, bien qu'implicite, à la discrimination intersectionnelle ;

47

Il ressort de ce qui précède que même si parfois il y a quelques incertitudes terminologique et

que l'on constate une préférence claire pour la soi-disant « discrimination multiple », les

signaux d'une reconnaissance de la discrimination intersectionnelle ne manquent pas.

Cependant, en effectuant une recherche depuis les années 2000 utilisant les divers critères qui

puissent permettre de faire émerger éventuellement la prise en compte et la sanction des cas

de discrimination intersectionnelle ou multiple, outre aux cas devant le Comité CEDEF

reportés ci-dessus, un nombre restreint de décisions peut être cité105.

Cela pourrait être reconduit à de nombreux facteurs parmi lesquels on peut mentionner

l'attitude des victimes face à ces formes composites de discrimination qui préfèrent concentrer

leurs argumentations sur un seul aspect, le plus facile ou évident à prouver, ou des organes

appelés à statuer qui ignorent la question dans un souci de simplification et célérité.

Un exemple célèbre, bien que désormais assez daté, est la décision du Comité des droits de

l'homme en 1981 dans l'affaire Lovelace c. Canada qui concernait une plainte au sujet de la

Loi sur les indiens du Canada prévoyant uniquement pour les femmes la perte de leur statut

d'« indienne » avec les droits associés si elles épousaient des hommes non-indiens106.

Même si la cause présentait un aspect marqué de discrimination fondée sur le sexe, le Comité

a choisi de se concentrer sur le droit à la culture, à la langue et à la religion des personnes

appartenant aux minorités au sens de l'art. 27 du Pacte et omettait de considérer le fait que la

requérante se voyait refuser le droit à sa culture parce qu'elle était une femme. Et bien que le

Comité ait conclu en reconnaissant la violation des droits de Mme Lovelace en relation à la

disposition susmentionnée du Pacte, il ne peut s'agir que d'un succès partiel car limité à un

seul aspect de la violation soufferte par la requérante.

De plus, le fait que ce soient surtout les comités CEDEF et CEDR à s’être prononcés sur cette

question semble indiquer que la discrimination intersectionnelle reste un thème qui s'intéresse

et relève en grand partie du binôme genre et race107 et qui a été fait sien, au moins à niveau

105 Voir le cas par exemple de R.P.B. c. Philippines, CEDAW/C/57/DR/34/2011 dans lequel le Comité considère l'impact particulier de la discrimination sexuelle en lien avec le handicap dont souffrait la requérante ;

106 Sandra Lovelace v. Canada, Communication No. 24/1977, Canada 30/07/81, UN Doc. CCPR/C/13/D/24/1977 ;

107 En grand partie mais pas exclusive. Voir les constations du Comité CAT, Uttam Mondal c. Suède, Comm. N° 338/2008, U.N. Doc. CAT/C/46/D/338/2008, 7 juillet 2011 où le Comité a conclut que l’expulsion de l'auteur

48

international, presque exclusivement par les comités spécialisés dans ces formes de

discrimination.

SECTION II. L'affirmation de la notion de discrimination intersectionnelle au sein de

l'Union Européenne et du Conseil de l'Europe

Parallèlement à la reconnaissance de la théorie de l'intersectionnalité au sein des institutions

internationales, la normative européenne en matière de non-discrimination s'est développée à

partir des années 2000 de manière considérable et ce n'est pas un hasard que la doctrine se

soit beaucoup intéressée à la question de la reconnaissance de la discrimination

intersectionnelle et multiple au sein de l'Union Européenne ainsi que du Conseil de

l'Europe108.

En effet, comme le constatent Emmanuelle Bribosia et Isabelle Rorive dans leur chronique

Droit de l'égalité et de la non-discrimination, le droit de non-discrimination est en pleine

efflorescence depuis une quinzaine d'années et la jurisprudence de la Cour de Justice ainsi que

de la Cour Européenne des Droits de l'Homme témoigne « une émergence progressive,

quoique balbutiante, d'une prise en compte des discriminations multiples ou

intersectionnelles »109.

Dans cette section nous analyserons ces développements et la place que la discrimination

intersectionnelle a réussie à se créer dans le droit de l'Union Européenne (§1) ainsi que dans

le système de protection des droits de l'homme du Conseil de l'Europe (§2).

de la communication vers son Pays d'origine constituerait une violation par l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention notamment en lumière des risques auxquels que cette expulsion l'exposerait en raison de son homosexualité conjugué au fait qu’il appartient à un groupe minoritaire hindou ;

108 Voir parmi les nombreux auteurs qui se sont intéressés à la question notamment : R. Nielsen, O. M. Arnardóttir, S. Fredman, M. GoodwinK. Koldinská in D. Schiek , V. Chege, European Union Non-Discrimination Law – Comparative Perspectives on Multidimensional Equality Law, Routledge Cavendish 1 éd New York 2009 ; H. P. Nielsen, Joint purpose ? Intersectionality in the hands of anti-racist and gender equality activists in Europe, Ethnicities 13(3) 2012 ; M. Verloo, Multiple Inequalities, Intersectionality and the European Union, European Journal of Women's Studies 2006 Vol 13(3) ; J. Kantola, K. Nousiainen, Institutionalizing Intersectionality in Europe – Introducing the theme, International Feminist Journal of Politcs, 11:4 2009 ; M. V. Onufrio, Intersectional discrimination in the Euorpean legal systems : Toward a common solution ?, International Journal of Discrimination and the Law 2014, Vol. 14(2) ;

109 E. Bribosia, I. Rorive, Droit de l'égalité et de la non-discrimination, Journal européen des droits de l'homme, 2013/2, page 326 ;

49

§1 L'intersectionnalité et le droit anti-discriminatoire de l'Union Européenne

A ce jour, le terme intersectionnalité n'apparait dans aucun document officiel de

l'Union européenne, qu'il s'agisse de sa législation, de la soft law ou de la jurisprudence. Au

sein de l'Union en effet il est préféré faire recours à l'expression « discrimination multiple »

que l'on retrouve parsemée dans de nombreux textes, législatifs et de soft law, mais qui n'est

pas définie, différemment de la discrimination directe ou indirecte ou d'harcèlement, par

aucune disposition communautaire juridiquement contraignante.

La question est alors de savoir s'il s'agit exclusivement d'une convention terminologique ou,

au contraire, d'un rejet de cette forme de discrimination de la part du droit de l'Union. Une

analyse des dispositions, des textes et de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union

applicables en la matière sur la base des éléments de qualification de la discrimination

intersectionnelle pourra nous aider à répondre à cette interrogation. L'histoire du droit anti-

discriminatoire au sein de l'Union représente en outre un terrain d'étude intéressant pour cette

analyse car il s'est développé d'une approche à la discrimination centrée notamment sur la

lutte à la discrimination sexuelle110 afin d'intégrer l'interdiction de discrimination sur la base

de divers autres facteurs.

Pour des raisons historiques le droit anti-discriminatoire de l'Union Européenne s'était

focalisé jusqu'à la fin des années 1990 à mettre en place un système égalitaire tourné vers

l'élimination des disparités entre hommes et femmes et censé favoriser le développement et la

compétitivité du marché interne. C'est avec l'adoption du Traité d'Amsterdam sur l'Union

Européenne en 1997 qu'on a assisté à une ouverture du droit anti-discriminatoire de l'Union à

d'autres motifs et à la possibilité d'affirmation de la discrimination intersectionnelle111.

L'article 13 du Traité d'Amsterdam prévoit en effet que le Conseil puisse prendre les mesures

nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine

ethnique, la religion ou les croyances, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle et est allé

au-delà des motifs de discrimination fondés sur la nationalité et le sexe.

110 L'Union Européenne a été définie un pionnière en matière d'égalité de genre. Voir M. Verloo, Multiple Inequalities, Intersectionality and the European Union, European Journal of Women's Studies (2006) Col. 13(3), pages 211 – 228 ;

111 M. Verloo, Multiple Inequalities, Intersectionality and the European Union, European Journal of Women's Studies 2006, Vol. 13(3) : 211-228 ; H. P. Nielsen, Joint Purpose ? Intersectionality in the hands of anti-racist and gender equality activists in Europe, Ethnicities 2013 13(3) 276 – 294 ;

50

Cette disposition s'est avérée être un outil puissant pour l'évolution du droit anti-

discriminatoire européen. Suite à l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam, l'Union

Européenne a adopté une série de mesures législatives afin d'adapter le droit de l'Union aux

nouveaux objectifs fixés par ledit article 13 et à la consolidation d'une Union fondée sur les

principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés

fondamentales ainsi que de l'État de droit.

C'est ainsi qu'apparaissent les premières références à la question de la discrimination multiple.

La Décision du Conseil du 27 novembre 2000 établissant un programme d'actions

communautaire de lutte contre la discrimination (2001-2006)112 ainsi que la Directive

2000/43/CE relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les

personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique113 et la Directive 2000/78/CE portant

création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de

travail114 sont surement parmi les plus intéressantes à nos fins.

La décision du Conseil et les deux directives contiennent toutes dans leur récit une référence à

la discrimination multiple reconnaissant le fait que les femmes sont souvent victimes de

discriminations multiples. En particulier, la décision du Conseil précise que les différentes

formes de discrimination ne se classent pas par ordre d'importance et que le programme vise

tant à l'échange des bonnes pratiques déjà en vigueur qu'à la promotion de l'élaboration de

nouvelles pratiques et politiques de lutte contre la discrimination, y compris la discrimination

multiple115.

En outre, à la décision du Conseil établissant un programme d'actions communautaire de lutte

contre la discrimination a suivi un autre programme d'actions pour la période 2006 – 2010, la

Feuille de route pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2006 - 2010116 qui fait de la

lutte contre la discrimination multiple, notamment à l'égard des femmes immigrées et des

minorités ethniques, un de ses objectifs principaux en statuant que

L'Union européenne s’est engagée à éliminer toutes les formes de discrimination et à créer une

société pour tous fondée sur l’inclusion. Les femmes appartenant à des groupes défavorisés sont

112 Décision du Conseil du 27 novembre 2000, 2000/750, JO L 303 du 2/12/2000, considérant 5 ; 113 Directive 2000/43/CE du 29 juin 2000, préambule, considérant 14 ;114 Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000, préambule, considérant 3 ;115 Décision du Conseil du 27 novembre 2000, 2000/750, JO L 303 du 2/12/2000, considérant 5 ;116 Communication de la Commission au Conseil, au Parlement Européen, au Comité économique et social

européen et au Comité des Régions - Une feuille de route pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2006-2010, SEC(2006) 275 ;

51

souvent moins bien loties que les hommes. La situation des femmes immigrées appartenant à des

minorités ethniques est emblématique. Elles sont souvent victimes d'une double discrimination.

C’est la raison pour laquelle il faut promouvoir l'égalité entre les sexes dans les politiques

d’immigration et d'intégration afin de défendre les droits des femmes et leur participation

civique, de valoriser pleinement leur potentiel d'emploi et d’améliorer leur accès à

l'enseignement et à la formation tout au long de la vie117.

Enfin, il sera rappelé qu'en 2000, lors du Conseil européen de Nice, la Charte des droits

fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « CDFUE ») a été adoptée confirmant ainsi la

volonté de consolider un engagement de protection des droits fondamentaux au sein de

l'Union.

Si la Charte souffrait à l'origine d'une faiblesse évidente car dépourvue de toute force

contraignante, avec l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009 qui lui a

conférée la valeur de droit primaire, la question de son statut est définitivement résolue118. Il

est essentiel de rappeler alors que son article 21 interdit toute discrimination fondée

notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les

caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou

toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un

handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle et bien qu'il ne se réfère pas à la question des

discriminations multiples, ce catalogue des motifs ne semble pas entraver per se une

interprétation évolutive qui puisse permettre d'appliquer l'interdiction en objet de telle

manière d'y inclure une combinaison des motifs afin d'adresser les cas de discrimination

intersectionnelle119.

Toutefois, nonobstant les divers textes cités ci-dessus, il sera constaté que le droit de l'Union

ne se réfère pas (encore) à l'intersectionnalité ou à la discrimination multiple dans des

dispositions contraignantes120 et que les directives en matière d'égalité adoptées

successivement aux directives 2000/43/CE et 2000/78/CE121 ne contiennent aucune mention à

117 Communication de la Commission européenne, ibid., Une feuille de route pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2006-2010, §1.6 ;

118 F. Sudre, op. cit., page 153 ;119 La liste contenue à l'article 21 de la Charte n'est pas exhaustive. Voir B. Favreau, La Charte des Droits

Fondamentaux de l'Union Européenne – Pourquoi ? Comment ?, in La Charte des Droits Fondamentaux de l'Union Européenne après le Traité de Lisbonne, éd. Bruylant Bruxelles 2010, page 21 ;

120 La référence à la discrimination multiple dans les récits des directives 2000/43/CE et 2000/78/CE n'est pas juridiquement contraignante ;

121 Voir la Directive 2004/113/CE du 13 décembre 2004 mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services et la fourniture de biens et services et la Directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de

52

la discrimination multiple ni, d'autant moins, à la discrimination intersectionnelle122.

De surcroit, l'existence pour les différents motifs de mesures législatives distinctes inciterait à

utiliser une approche unidimensionnelle à la discrimination, d'autant plus que le champ

d'application de ces directives varie de sorte que

la protection contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l'âge

et l'orientation sexuelle s'exerce uniquement dans le domaine de l'emploi et du travail, tandis

que la protection contre la discrimination fondée sur la race et l'origine ethnique couvre l'emploi

et le travail, la protection sociale, y compris la sécurité sociale et les soins de santé, les

avantages sociaux, l'éducation et l'accès aux biens et services et la fourniture de bien et services,

y compris le logement ; et que la protection liée au genre intervient dans le domaine de l'emploi

et du travail et dans la fourniture des biens et services mis à la disposition du public, à la fois

dans le secteur public et dans le secteur privé [...]123.

Néanmoins, un signe encourageant peut être retrouvé dans la proposition de Directive du

Conseil relative à la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement entre les personnes

sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d'âge ou d'orientation sexuelle124,

qui suite aux amendements proposés par le Parlement Européen125, vise expressément la

discrimination multiple même si, encore, une fois, il ne s'agit pour l'instant que d'une

proposition juridiquement non contraignante.

La question que nous nous sommes posés au début de ce paragraphe pourtant revient car il

n'est pas claire ce qu'il est entendu par discrimination multiple et si elle est conçue comme

une notion qui embrasse l'approche intersectionnelle ou plutôt opposée à cette dernière

comme quelque chose de distinct.

En lisant la définition donnée dans un rapport de 2007 financé par et préparé pour la

l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail (refonte) ;122 S. Burri, D. Schiek, Multiple Discrimination in EU Law – Opportunities for legal responses to intersectional

gender discrimination ?, The European Network of Legal Experts in the Field of Gender Equality, juillet 2009, page 9 ;

123 K. Monaghan, Discrimination multiple et intersectionnelle et droit de l'UE, Revue du droit européen relatif à la non-discrimination, 13/2011, page 27 ;

124 Proposition de directive du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d'âge ou d'orientation sexuelle {SEC(2008) 2180} {SEC(2008) 2181} /* COM/2008/0426 final - CNS 2008/0140 */ ;

125 Résolution législative du Parlement européen du 2 avril 2009 sur la proposition de directive du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d'âge ou d'orientation sexuelle (COM(2008)0426 – C6-0291/2008 – 2008/0140(CNS)) Doc. N° P_6 TA (2009)0211 ;

53

Commission Européenne126, il semblerait que ce soit la deuxième de ces options à être la plus

proche de la réalité. La discrimination multiple est en effet définie comme :

Dans la discrimination multiple, plusieurs motifs agissent séparément. Par exemple, une femme

d’une minorité ethnique peut, dans une situation, faire l’expérience de la discrimination fondée

sur le fait qu’elle est une femme et, dans une autre, d’une discrimination fondée sur son origine

ethnique. On parle également de «discrimination additive» dans ce cas127.

Ainsi définie, la discrimination multiple ne coïncide pas et ne comprend pas ni les

phénomènes de la discrimination composée où une personne souffre de discrimination fondée

sur deux motifs ou plus à la fois et où l’un des motifs s’ajoute à la discrimination fondée sur

un autre, ni les cas de discrimination intersectionnelle où plusieurs motifs agissent et

interagissent les uns avec les autres en même temps d’une manière telle qu’ils sont

inséparables128.

Or, s'il est vrai que la définition contenue dans ce rapport ne joue pas en faveur d'une

interprétation favorable à l'affirmation de la base légale de la discrimination intersectionnelle

dans le droit de l'Union, il est aussi vrai que celle-ci n'est pas contraignante et constitue

seulement un indice. Par conséquent, après avoir brièvement rappelé quelles sont les

principales dispositions législatives en matière de discrimination et mis en lumière les

potentielles ouvertures et obstacles à l'affirmation de la discrimination intersectionnelle, il est

opportun d'examiner si la Cour de Justice de l'Union Européenne a eu l'occasion de

reconnaître et de saisir cette question à travers sa jurisprudence.

Comme la doctrine l'a noté dans le passé, une approche intersectionnelle dans le droit anti-

discriminatoire dans la jurisprudence de la Cour aurait pu émerger même lors que seulement

la discrimination pour des motifs de nationalité et sexe étaient prohibés129. De plus, et

nonobstant les limites mentionnées ci-dessus, suite à l'adoption des directives interdisant la

discrimination sur la base, entre autres, de la race, de l'orientation sexuelle ou l'handicap, les

possibilités pour la mise en œuvre de cette forme de discrimination se sont multipliées. Par

126 Commission Européenne, Lutte contre la discrimination multiple: pratiques, politiques et lois, 2007 ;127 Commission Européenne, Lutte contre la discrimination multiple: pratiques, politiques et lois, 2007, page

16 ;128 J. Kantola, K. Nousiainen, Institutionalizing Intersectinality in Europe – Introducing the theme, International

Feminist Journal of Politics 2009, pages 468 ;129 H. P. Nielsen, Is European Union equality law capable of addressing multiple and intersectional

discrimination yet? Precautions against neglecting intersectional cases, in D. Schiek & V. Chege (eds.) European Union NonDiscrimination Law. Comparative Perspectives on Multidimensional Equality law London and New York 2009, page 37 ;

54

conséquent, à la lumière de ce qui précède, comme démontré dans le rapport commissionné

par la Commission Européenne au Réseau européen d'experts en matière de discrimination de

genre, il peut paraître surprenant que la jurisprudence de la Cour de Luxembourg ne l'ait pas

abordée de manière explicite130.

En effet, comme l'indique la recherche en objet, divers sont les exemples dans lesquels la

question de l’intersection des motifs aurait pu être saisie et appréciée par la Cour notamment

quand il s'agit de considérer les cas des femmes migrantes. Les affaires Allué131, Spotti132,

Schöning-Kougebetoulou133 et Scholz134, principalement analysées sous l'angle de la liberté de

mouvement des travailleurs, soulevaient cependant une dimension de discrimination de genre

qui aurait mérité d’être abordée.

Encore plus flagrant est le silence sur cet aspect dans des cas où des prostituées s'étaient

appuyées sur les droits de liberté de mouvement comme dans Adoui135 et Cournaille et Jani et

al.136 et dans lesquels la Cour de Justice aurait pu considérer si les restrictions de mouvement

à un groupe de travailleurs formé de manière prédominante par des femmes ne violaient pas

le principe général d'égalité entre hommes et femmes du droit de l'Union Européenne137.

Le rapport mentionne aussi d'autres exemples où l'interaction entre facteurs comme l'âge et le

genre138 ou encore le handicap et le genre139 n'ont pas été appréciés et reconnus par la Cour

aussi en raison de la stratégie contentieuse du requérant qui devant les cours nationales avait

appuyé ses argumentations sur un seul motif de discrimination140.

Six ans se sont écoulés depuis la publication de ce rapport et diverses sont les initiatives qui

ont alimenté le débat et la réflexion autour des discriminations fondées sur plus d'un motif et

130 S. Burri, D. Schiek, op. cit., pages 7 - 8 ;131 CJUE C-259 et al/91 (1993) ;132 CJUE C-272/92 (1993) ;133 CJUE C-15/96 (1998) ;134 CJUE C-419/92 (1994) ;135 CJUE C-115/81 et 116/81 (1982) ;136 CJUE C-268/99 (2001)137 S. Burri, D. Schiek, op. cit., page 7 ;

138 Le rapport cite un certain nombre d'exemples comme les affaires CJUE 149/77 (1978) Defrenne c. Société anonyme belge de navigation aérienne Sabena ; CJUE 152/84 (1986) M. H. Marshall c. Southampton and South-West Hampshire Area Health Authority ; CJUE C-77/02 (2003) Erika Steinicke c. Bundesanstalt für Arbeit. ; et CJUE C-187/00 (2003) Helga Kutz-Bauer c. Freie und Hansestadt Hamburg. Ces cas ont été décidés quand la discrimination en raison de l’âge n'était pas sanctionnée par le droit communautaire. Selon certaine doctrine (voir H.P. Nielsen, op. cit., page 42) cela aurait changé dès que la Cour de Justice aurait été saisie pour juger des affaires dans le cadre des nouveaux dispositifs anti-discriminatoires ;

139 CJUE, Coleman C-303/06 ;140 Voir l'exemple de l'affaire Lindorfer, CJUE C-227/04 (2007) ;

55

la situation particulièrement vulnérable de certains groupes de personnes et grâce auxquelles

la question de la discrimination intersectionnelle pourrait réussir à s'affirmer.

Le Parlement européen a adopté par exemple deux résolutions à cette fin. La première

concernait les femmes issues des groupes minoritaires et notamment les femmes migrantes,

roms et handicapées et, après avoir rappelé que ces femmes, en raison de leur situation sont

victimes de discriminations multiples, demande par exemple que la dimension de l'égalité

entre les femmes et les hommes soit intégrée dans les politiques, les programmes et les

actions destinés à combattre le racisme, la discrimination et l'exclusion sociale141. La

deuxième résolution, spécifique à la situation des femmes roms en Europe, fait aussi

expressément référence à la question de la discrimination multiple citant aussi la déclaration

de Beijing pour les droits de la femme de 1995 et les recommandations formulées par le

CEDAW sur la situation des femmes roms et la nécessité de prendre des mesures urgentes

pour faire face aux problèmes multiples rencontrés par celles-ci en Europe142.

D'autre références à la question peuvent également être trouvées dans certaines

communications de la Commission Européenne143 laquelle d'ailleurs a démontré sa sensibilité

au thème en supportant divers projets parmi lesquels le déjà cité rapport du Réseau européen

d'experts en matière de discrimination de genre de 2009. Même le rapport Lutte contre la

discrimination multiple: pratiques, politiques et lois de 2007 qui adopte une définition de

discrimination multiple en contraste avec l'approche encouragée par la discrimination

intersectionnelle, avec son étude comparative assez détaillée est un instrument utile en ce

sens144.

Aussi l'Agence Européenne de l'Union Européenne pour les Droit Fondamentaux s'est

plongée sur la question comme le témoigne par exemple le rapport Inequalities and multiple

discrimination in access to and quality of healthcare publié en 2013145 qui se réfère 141 Proposition de résolution du Parlement européen sur la situation des femmes issues de groupes minoritaires

dans l'Union européenne, (2003/2109(INI)) ;142 Proposition de résolution du Parlement européen sur la situation des femmes roms dans l'Union européenne

(2005/2164(INI)) ;143 Voir Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, Comité économique et social

européen et au Comité des régions - Stratégie-cadre pour la non-discrimination et l’égalité des chances pour tous, COM/2005/0224 ; Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, Comité économique et social européen et au Comité des régions - Une feuille de route pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2006-2010, COM(2006) 92 ;

144 Commission Européenne, Tackling Multiple Discrimination Practices, policies and laws, septembre 2007 ;145 Agence Européenne de l'Union Européenne pour les Droit Fondamentaux, Inequalities and multiple

discrimination in access to and quality of healthcare, 2013 ; l'Agence a également abordé la question, même si de façon nuancée, dans d'autres projets comme Experience of discrimination, social marginalisation and violence: A comparative study of Muslim and non-Muslim youth in three EU Member States (octobre 2010)

56

expressément à la discrimination intersectionnelle ou, trois ans plus tôt, le rapport Data in

Focus Report Multiple Discrimination146 dans lequel l'Agence avait évalué les expériences de

discrimination à l'égard des migrants et des membres des minorités ethniques dans les Etats

Membres. Parmi les principaux résultats de l’enquête, l'Agence constatait que les femmes

migrantes et appartenant à des minorités sont deux fois plus exposées que les hommes

(migrants ou appartenant à une minorité) à la discrimination pour des motifs de genre ainsi

confirmant leur majeure vulnérabilité aux discriminations multiples.

Toutefois, nonobstant cette discrète effervescence autour de la discrimination multiple, il a

fallu attendre jusqu'à 2012 pour voir si la Cour de Justice, saisie de la question dans le cadre

de deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE147, se serait

prononcée à ce propos et si elle aurait pris une position clarifiante.

Dans le premier, l'affaire Galina Meister148, la requérante s’estimait victime d'une

discrimination fondée sur le sexe, l'âge et l'origine ethnique à l'occasion d'une procédure de

recrutement. Cette affaire relevait de trois directives différentes respectivement pour le sexe,

l'âge et l'origine ethnique149 mais cette particularité n'a pas été examinée par la Cour qui,

interrogée sur le mécanisme de renversement de la charge de la preuve, « a raisonné par

analogie avec une précédente affaire Kelly où seule la directive 97/80 relative à la charge de

la preuve en matière de discrimination fondée sur le sexe trouvait à s'appliquer et a étendu ce

raisonnement aux deux autres directives et motifs de discrimination, en suivant une approche

harmonisante »150.

Dans le deuxième litige, Odar151, ce sont l'âge et le handicap à avoir été invoqués et examinés

par la Cour qui, toutefois, en se fondant sur la Directive 2000/78/CE a écarté le motif de l'âge

mais en revanche est presque ignorée dans le rapport Violence against women: an EU-wide survey de mars 2014 concernant la violence contre les femmes et dans lequel il y a seulement une référence au possible impact des divers facteurs outre le genre dans les épisodes de violence contre les femmes et qui concerne l'interaction du genre avec l'orientation sexuelle ;

146 Agence Européenne de l'Union Européenne pour les Droit Fondamentaux, Data in Focus Report Multiple Discrimination, 2010 ;

147 En 2010, par exemple, dans l'affaire Kleist (CJUE C-356/2009 (2010)) qui présentait un cas de discrimination sexuelle mais aussi potentiellement fondée sur l'âge, la Cour avait statué que dans la mesure où la juridiction de renvoi ne l'avait pas interrogée sur ce deuxième facteur de discrimination et sur l’interprétation de la directive 2000/78/CE et où il ne ressortait même pas de la décision de renvoi que l’existence d’une telle discrimination avait été alléguée dans le cadre du litige au principal, l’examen de cette problématique n’apparaissait pas utile pour la solution dudit litige ;

148 CJUE C- 415/10 (2012) ;149 Directive 2006/5 ; Directive 2000/78 et directive 2000/43 ;150 E. Bribosia, I. Rorive, op. cit., page 327 ;151 CJUE C-152/11 (2012) ;

57

et reconnu exclusivement celui fondé sur la discrimination sur la base de le handicap sans

nullement traiter d'une éventuelle intersection ou croisement de ces deux motifs. En tout état

de cause, il est aussi vrai que la question de la discrimination intersectionnelle n'avait pas été

point soulevée dans les questions préjudicielles qui lui avaient été soumises.

Par conséquent, bien que certains auteurs pouvaient espérer que la position de la Cour de

Justice aurait changé une fois saisie de ces questions dans le cadre des « nouvelles »

dispositions en matière de lutte contre les discriminations, à la lumière de ce contentieux il ne

semble pas que ce résultat ait été encore obtenu.

A la lumière de ce qui précède et avant d'analyser la place de l'intersectionnalité au sein du

Conseil de l'Europe, certaines remarques conclusives semblent opportunes. Nous avons vu en

effet que le droit de l'Union Européenne pourrait se prêter à la reconnaissance de la notion de

discrimination intersectionnelle ou au moins multiple. Toutefois les initiatives et mesures

adoptées jusqu'à ce jour sont insatisfaisantes et parfois aussi contradictoires.

De plus, il est évident que la simple prise en compte de ces formes de discrimination dans la

soft law ou dans des rapports d'étude de la part de la Commission Européenne ou l'Agence

Agence Européenne de l'Union Européenne pour les Droit Fondamentaux, bien qu'il s'agisse

d'un signe important de la direction à entreprendre, ne suffit pas à garantir à lui seul

l'affirmation de la validité de cette notion à ce jours encore assez vague. D'ailleurs, ces

documents parlent tous de discrimination multiple et dans la seule définition qui en est

donnée celle-ci exclurait la dimension intersectionnelle de l'analyse.

Enfin, la jurisprudence de la Cour de Justice, acteur dont le rôle est indéniablement important

dans l’éventuelle affirmation de cette notion152 n'a pas non plus à ce jour saisie les

opportunités qui se sont présentées pour définir si et dans quelle mesure le droit anti-

discriminatoire européen reconnaît la discrimination intersectionnelle. Ainsi, les Etats

membres restent libres de « régler » cette problématique dans les manières les plus disparates

et les pratiques, lois et politiques en matière varient d'un pays à l'autre153.

Par conséquent, l'adoption d'instruments juridiquement contraignants qui offrent une

définition commune de ces formes de discrimination et qui viendraient les interdire

152 J. Roux, op. cit., page 15 ;153 Commission Européenne, Tackling Multiple Discrimination Practices, policies and laws, septembre 2007 ;

58

expressément semble alors le premier pas possible et concret vers leur affirmation réelle. Il

faudrait alors sortir du sommeil dans lequel verse depuis longtemps la proposition de la

Directive du Conseil relative à la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement entre les

personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d'âge ou d'orientation

sexuelle,154 qui suite aux amendements proposés par le Parlement Européen155, vise

expressément la discrimination multiple. En effet, nonobstant les critiques qui lui sont

adressées, il s'agit de la mesure la plus « achevée » en la matière sur la base de laquelle

pourrait s'opérer l'affirmation des discriminations multidimensionnelles.

§2 La place de la discrimination intersectionnelle au Conseil de l'Europe

Toujours en Europe, mais à Strasbourg cette fois-ci au sein du Conseil de l'Europe on

note des incertitudes et des contradictions parfois similaires. En effet, nonobstant la

problématique de la discrimination intersectionnelle et la nécessité de mettre en place des

mesures aptes à saisir la question, en comprendre la portée et l'affronter avec des mesures

adéquates soient répétées à maintes reprises, l'application concrète des recommandations et

des lignes guides reste souvent lacuneuse et capricieuse. Ici aussi, le pas à accomplir de la

théorie à l'action est généralement assez long.

La question de la discrimination intersectionnelle se pose surtout en relations aux entraves

que rencontrent les femmes migrantes, musulmanes et roms dans la jouissance de leurs droits

fondamentaux.

D'une recherche des documents relevant en matière, il ressort qu'ils existent de nombreux

indices et éléments qui supportent l'affirmation de cette forme de discrimination au sein de ce

système de protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par exemple, dans le rapport Multiple discrimination against Muslim women in Europe: for

equal opportunities156 il est constaté que dans les Etats Membres du Conseil de l'Europe où

154 Proposition de directive du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d'âge ou d'orientation sexuelle {SEC(2008) 2180} {SEC(2008) 2181} /* COM/2008/0426 final - CNS 2008/0140 */ ;

155 Résolution législative du Parlement européen du 2 avril 2009 sur la proposition de directive du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d'âge ou d'orientation sexuelle (COM(2008)0426 – C6-0291/2008 – 2008/0140(CNS)) Doc. N° P_6 TA (2009)0211 ;

156 Conseil de l'Europe, Committee on Equality and Non-Discrimination, Multiple discrimination against Muslim women in Europe: for equal opportunities, Doc. 12956, 11 juin 2012 ;

59

l'Islam n'est pas la religion majoritaire, les femmes musulmanes sont confrontées à des formes

multiples de discrimination en tant que femmes, en tant qu'appartenantes à une minorité

religieuse et parfois parce que migrantes. En outre, dans le rapport il est précisé aussi que

So far, policy makers and legislators have focused on collective target groups – such as

migrants, minorities or women – disregarding differences within each group and overlooking the

problems of individuals who find themselves at the intersection of different discrimination

grounds. As a result, in most Council of Europe member States, “multiple discrimination” is not

a legal notion, a ground which can be raised in a court of law or which is tackled by appropriate

policy measures157.

Conséquemment il est recommandé aux Etats d'adopter des mesures aptes à inclure la

discrimination intersectionnelle dans leurs systèmes juridiques de protection contre les

discriminations158.

Beaucoup plus tôt, d'ailleurs, déjà la Commission Européenne contre le racisme et

l'intolérance (ECRI) avait reconnu que les femmes musulmanes étaient souvent victimes de

discriminations multiples sur la base du genre et de la religion et avait recommandé aux

gouvernements des Etats du Conseil de l'Europe de tenir compte de leur situation

particulière159. Et encore plus tôt, en 1998, l'ECRI avait démontré sa sensibilité sur la

problématique quand, dans sa Recommandation de politique générale sur la lutte contre le

racisme et l'intolérance envers les roms/tsiganes avait recommandé de

Porter une attention particulière à la situation des femmes roms/tsiganes, qui sont souvent l'objet

d'une double discrimination, comme femme et comme Rom/Tsigane160.

Le Commissaire aux droits de l'homme a aussi souvent abordé la question, même si toujours

inter alia161. Enfin, la lutte contre la violence à l'encontre des femmes a aussi offert

157 Ibidem ;158 Conseil de l'Europe, Committee on Equality and Non-Discrimination, Multiple discrimination against

Muslim women in Europe: for equal opportunities, Doc. 12956, 11 juin 2012, § 6.1.2 du projet de résolution ;

159 Commission Européenne contre le racisme et l'intolérance, Recommandation de politique générale N° 5 : La lutte contre l’intolérance et les discriminations envers les musulmans, 27 avril 2000, Doc. No. CRI(2000)21 ;

160 Commission Européenne contre le racisme et l'intolérance, Recommandation de politique générale N° 3 de l'ECRI sur la lutte contre le racisme et l'intolérance envers les roms/tsiganes, 16 mars 1998, Doc. No. CRI(98)29 ;

161 Voir entre autres : Commissaire des droits de l'homme, Les droits fondamentaux des migrants en situation irrégulière en Europe, Strasbourg 17 décembre 2007, CommDH/IssuePaper(2007)1 ; Droits de l’homme et handicap : l’égalité des droits pour tous, Strasbourg 20 octobre 2008, CommDH/IssuePaper(2008)2 ; Opinion of the Commissioner for human rights on national structures for promoting equality, Strasbourg

60

l'opportunité de traiter cette forme de discrimination. Dans ce cadre, par exemple, le Comité

des Ministre du Conseil de l'Europe a adopté en 2002 une recommandation sur la protection

des femmes contre la violence dans laquelle il est constaté une fois de plus cette situation

particulière dans laquelle les femmes se trouvent en raison des divers axes de discriminations

qui pèsent sur elles et il est précisé que

les femmes sont souvent sujettes à de multiples discriminations fondées sur leur sexe ainsi que

sur leur origine et qu'elles sont également victimes de pratiques traditionnelles ou coutumières

incompatibles avec leurs droits de la personne humaine et leurs libertés fondamentales162.

Toute cette attention et réflexion autour de la problématique est certainement importante pour

la compréhension et l'affirmation de cette notion et le dialogue entre les différents organismes

au sein et aussi à l’extérieur du Conseil de l'Europe doit être sans aucun doute promu.

Cependant, une certaine confusion terminologique s'est instaurée. On remarque en effet

comment les divers organes et documents que nous venons de citer utilisent assez librement et

de manière interchangeable les expressions comme « intersectionnalité », « discrimination

multiple », ou « caractère multidimensionnel de la discrimination ».

Comme nous l'avons vu dans le chapitre précèdent, à ces expressions peuvent correspondre

des conceptions très différentes de la discrimination. Aux fins de l'analyse de l'affirmation de

la base légale de l'intersectionnalité strictu sensu cet aspect ne peut pas être négligé. Par

conséquent, à ce rappel de principaux documents qui font référence directement ou de

manière plus nuancée à la notion de discrimination intersectionnelle un examen de

l’éventuelle application concrète de cette notion est nécessaire pour vérifier si et dans quelle

mesure celle-ci s'est affirmée au sein du Conseil de l'Europe.

C'est donc vers la Cour Européenne des Droits de l'Homme qui veille au respect de la

Convention Européenne des Droits de l'Homme (ci-après aussi « CEDH ») et à sa

jurisprudence qu'il faut tourner le regard.

Comme le souligne la doctrine, au cours de la dernière décennie la Cour de Strasbourg s'est

distinguée pour l'attention qu'elle a portée au travail de la Cour de Justice de l'Union

21 mars 2011, CommDH(2011)2 ;162 Conseil de l'Europe, Comité des Ministres, Recommandation Rec (2002)5 du Comité des Ministres aux

Etats membres sur la protection des femmes contre la violence, 30 avril 2002 ;61

Européenne ainsi qu'à certaines jurisprudences des Comités onusiens ou de la Cour

interaméricaine des droits de l’homme163.

De surcroit, son « activisme » interprétatif lui a permis de faire de la CEDH un instrument

vivant capable de répondre aux exigences de justice de l'époque dans laquelle elle se situe.

Les exemples de cette approche par la Cour de Strasbourg ne manquent pas et concernent

entre autres l'introduction de la notion d'obligation positive ou encore la procéduralisation des

droits sanctionnés par la CEDH.

La question est ici alors de savoir si la Cour a senti la nécessité de faire propre la notion de

discrimination intersectionnelle et d'ouvrir la « boîte de Pandore » qui provoquait tant de peur

aux juges américains. La question est d'autant plus légitime si on considère que la rédaction

de l'article 14 CEDH se prête bien à cette opération164. En effet, différemment du système mis

en place par les directives communautaires en matière de non-discrimination, cette disposition

opte pour une liste ouverte des motifs qui laisse entrevoir la possibilité d'adoption d'une

approche intersectionnelle à la discrimination. L'article 14 CEDH prévoit que

La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans

distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les

opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à

une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

Quelle lecture en a fait la Cour Européenne des Droits de l'Homme ?

Les prémisses ne semblaient pas très encourageantes. Dans Buckley c. Royaume Uni165 la

Cour, dans celle qui a été définie la première affaire intentée par un requérant rom, plus

précisément une femme, et qui avait été communiquée par l'alors Commission Européenne

des Droits de l'Homme à la Cour, avait en effet conclu qu'il n'y avait pas eu violation ni de

l'article 8 CEDH ni de l'article 14 lu combiné avec l'art. 8 CEDH.

Mme Buckley, « tsigane » de nationalité britannique vivait avec ses trois enfants dans des

caravanes installées sur un terrain qui lui appartenait. Toutefois elle ne disposait pas des

163 E. Bribosia, I. Rorive, op. cit., pages 297 – 298 ;164 Le même raisonnement vaut pour l'interdiction de discrimination dont au Protocole no. 12 à la Convention de

sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales qui reprend la même formulation dont à l'article 14.1 de la Convention, ce qui change étant le champ d'application.

165 Cour EDH, arrêt Buckley c. Royaume Uni, 25 septembre 1996, req. n° 20348/92 ;62

permis nécessaires pour l'installation sur ledit terrain de ces caravanes servant d'habitation.

Souhaitant régulariser sa situation Mme Buckley avait présenté aux autorités municipales un

permis d'aménagement foncier qui lui fut nié sous prétexte qu'un site spécifique avait été

destiné à l'accueil des caravanes des Roms. Inutiles furent les recours présentés par la

requérante qui, en raison de son refus d’exécuter la mise en demeure, fut poursuivie

pénalement et condamnée à payer aussi une amende. Les voies de recours internes, épuisées

l'affaire est donc arrivée devant la Cour.

La requérante lamentait une violation de l'art. 8 CEDH ainsi que de l'art. 14 combiné avec

l'art. 8 mais aucune de ces deux violations n'a été retenue par la Cour qui, malgré la

reconnaissance de la vulnérabilité des « Tsiganes » et de l'obligation à la charge des Etats de

leur permettre de suivre leur mode de vie, avait estimé d'une part que les autorités anglaises

avaient poursuivi un but légitime et qu'elles n'avaient pas outrepassé leur marge

d'appréciation qui leur été reconnue et, d'autre part, qu'il ne semblait pas que Mme Buckley

avait été pénalisée ou avait subi un traitement défavorable pour s'être efforcée de suivre le

mode de vie traditionnel des « Tsiganes » et cela étant, la requérante ne pouvait pas prétendre

avoir été victime d'une discrimination contraire à l'article 14 combiné avec l'article 8.

Ce faisant, la Cour n'avait à un seul moment pris en considération l'impact particulier que la

législation incriminée avait sur la requérante non seulement en tant que « tsigane » mais en

plus en tant que femme et mère des trois enfants, circonstances qui aurait probablement

permis à la juridiction européenne de parvenir à des conclusions diamétralement opposées. En

effet, cette décision avait fait l'objet de dures critiques à ce regard car le site destiné à l'accueil

des caravanes des Roms était inadapté à accueillir une femme seule avec trois enfants à

charge166.

Cependant, afin d'évaluer quelle est la place réservée à la discrimination intersectionnelle

devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme il est opportun aussi de rechercher des cas

où cet interaction des facteurs comme l'appartenance à une minorité, l'ethnie, le genre,

l'orientation sexuelle, la religion et ainsi de suite a été soulevée par les requérants ou, comme

souvent il advient, mise en lumière avec l'aide des tierces interventions.

166 C.I. Ravnbøl, The Human Rights of Minority Women : Romani Women's Rights from a Perspective on International Human Rights Law and Politics, International Journal on Minority and Group Rights 17 (2010), page 16 ;

63

Cela avait été par exemple le cas dans l'affaire Konstantin Markin c. Russie167 au cœur de

laquelle résidait l’enjeu de l’égal accès à un congé parental.

En 2005, un militaire russe qui avait obtenu la garde de ses trois enfants avait demandé un

congé parental de trois ans. Cependant, les autorités militaires ne lui accordèrent qu’un congé

de trois mois au motif que celui de trois ans était réservé aux seules femmes militaires. Un an

plus tard l’armée russe lui accorda un congé parental de deux ans ainsi qu’une aide financière

substantielle. Cette dernière décision fut toutefois prise à titre gracieux, en raison notamment

des difficultés familiales et de l’absence d’autre source financière du requérant. Ensuite, les

juridictions militaires ainsi que la Cour constitutionnelle russe validèrent la décision initiale

de refus qui a donc amené le requérant à saisir la Cour EDH alléguant la violation de l'art. 14

de la Convention combiné avec l'article 8.

Le Centre des droits de l’homme de l’Université de Gand était intervenu dans cette affaire et

avait suggéré le caractère croisé de la discrimination soufferte par le requérant, fondé sur le

genre et le statut militaire de ce dernier et alléguait que

la différence de traitement dont le requérant se plaint ne peut se réduire soit au statut de

militaire soit au sexe, mais résulte au contraire de la combinaison de ces deux motifs. Il estime

que si l’on analysait séparément la discrimination fondée sur le sexe et la discrimination fondée

sur le statut militaire, les stéréotypes concernant les militaires de sexe féminin passeraient à

l’arrière-plan, et que si l’on comparait d’une part les hommes et les femmes en général et

d’autre part les militaires et les civils, cela ne ferait en aucun cas apparaître directement les

préoccupations des militaires de sexe masculin, et encore moins celles des militaires de sexe

féminin168.

La Cour, en l'espèce, semble faire sien cet argumentaire en affirmant notamment que la

différence de traitement entre les militaires de sexe masculin et les militaires de sexe féminin

avait pour effet de perpétuer les stéréotypes liés au sexe et constituait un désavantage tant

pour la carrière des femmes que pour la vie familiale des hommes169.

Certains entrevoient dans cet arrêt une première affirmation de la discrimination

intersectionnelle dans la jurisprudence de la Cour. Toutefois, la réponse donnée par la Cour

167 Cour EDH, Grande Chambre, Konstantin Markin c. Russie, 22 mars 2012, req. n° 30078/06 ;168 Ibidem, § 122 ;169 Ibidem, § 141 :

64

semble trop nuancée et succincte pour permettre de conclure qu'elle ait voulu ainsi mettre les

bases à cette forme de discrimination.

Très récemment, le caractère intersectionnel de la discrimination avait été soulevé par les tiers

intervenants dans une autre affaire relative au port du foulard dans les espaces publiques par

une femme musulmane.

Il s'agit de l’arrêt S.A.S. c. France170 aussi prononcé par la Cour EDH en formation solennelle

et qui a provoqué beaucoup de débats pour des raisons cependant étrangères à la

discrimination intersectionnelle171.

Saisie par une requérante qui se prévalait de sa liberté de manifester sa religion par le port du

voile intégral et qui insistait sur le fait qu’elle portait les habits dissimulant son visage

volontairement et dans le but d’être en accord avec ses convictions personnelles, la Cour avait

retenu ici la conventionalité du choix d'interdire le port du voile intégral qui ne viole pas, aux

yeux de la Cour les droits sanctionnés aux articles 8 et 9 de la Convention pris isolément et

combinés avec l’article 14 de la Convention.

La requérante, ainsi que plusieurs tiers intervenants, avaient insisté sur le risque de

discrimination intersectionnelle172 auquel les femmes sont exposée en raison de la

combinaison de leur sexe avec d’autres facteurs tels que la religion. Bien qu'en l'espèce, la

Cour ait conclu pour la non-violation de l'article 14 combiné avec les article 8 et 9 CEDH car

selon elle la mesure incriminée a une justification objective et raisonnable, elle semble

admettre que celle-ci a des effets négatifs spécifiques sur la situation des femmes musulmanes

qui, pour des motifs religieux, souhaitent porter le voile intégral dans l’espace public. La

Cour avait en effet rappelé qu’une politique ou une mesure générale qui ont des effets

préjudiciables disproportionnés sur un groupe de personnes peuvent être considérées comme

discriminatoires même si elles ne visent pas spécifiquement ce groupe et s’il n’y a pas

d’intention discriminatoire et que même si que dans le cas en l'espèce il pouvait être considéré

que l’interdiction a des effets négatifs spécifiques sur la situation des femmes musulmanes

qui, pour des motifs religieux, souhaitent porter le voile intégral dans l’espace public, cette

170 Cour EDH, Grande Chambre, S.A.S c. France, 1 juillet 2014, req. n° 43835/11 ;171 Pour un commentaire à ce jugement voir : C. Ruet, L’interdiction du voile intégral dans l’espace public

devant la Cour européenne : la voie étroite d’un équilibre, La Revue des droits de l’homme, août 2014 ;172 Plus précisément, Amnesty International (§90 de l’arrêt) et le Centre des droits de l’homme de l’Université

de Gand (§97 de l’arrêt) utilisent l'expression « discrimination croisée » ;65

mesure a une justification objective et raisonnable pour les raisons indiquées

précédemment173.

Là aussi, pourtant, la référence à la discrimination intersectionnelle semble bien trop

laconique pour pouvoir affirmer avec certitude que cette notion ait été incorporée à travers la

pratique de la Cour EDH dans l'interdiction de discrimination sanctionnée par l'article 14 de

la Convention.

Avant l'affaire S.A.S. c. France, la Cour avait toutefois rendu un autre arrêt qui est à ce jour

surement le plus important pour la reconnaissance de la discrimination intersectionnelle. Il

s'agit de l’arrêt de la troisième section de la Cour, B.S. c. Espagne174.

La requérante avait saisi la Cour EDH après avoir subi à diverses reprises de mauvais

traitements de la part de deux agents de la police nationale espagnole lors qu'elle exerçait la

prostitution. Elle alléguait aussi avoir été insultée en tant que « pute noire »175. Les plaintes

qu'elle avait déposées auprès des autorités ne sortirent aucun effet et c'est pour cette raison

qu'elle a choisi de soumettre l'affaire à la juridiction européenne.

Dans ce litige la Cour EDH avait conclu pour la violation de l'article 14 CEDH combiné avec

l'article 3 pris sur son volet procédural puisque

les décisions rendues en l’espèce par les juridictions internes n’ont pas pris en considération la

vulnérabilité spécifique de la requérante, inhérente à sa qualité de femme africaine exerçant la

prostitution. Les autorités ont ainsi manqué à l’obligation qui leur incombait en vertu de

l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 3 de prendre toutes les mesures possibles

pour rechercher si une attitude discriminatoire avait pu ou non jouer un rôle dans les

événements176.

Ainsi, même si elle n'a pas adopté la terminologie propre à l'intersectionnalité, elle montre

avoir fait sienne les arguments proposés tant par la requérante que par les tiers intervenants177.

En l’espèce, la requérante estimait que « la nature répétitive des contrôles auxquels elle fut

173 Cour EDH, Grande Chambre, S.A.S c. France, ibid. § 161 ;174 Cour EDH, 3e chambre, B.S. c. Espagne, 24 juillet 2012, Req. n° 47159/08 ;175 Cour EDH, B.S. c. Espagne, ibid. § 8 ;176 Cour EDH, B.S. c. Espagne, ibid. § 71 ;177 Cour EDH, B.S. c. Espagne, ibid. § 66 :« De son côté, The AIRE Centre invite la Cour à reconnaître le

phénomène de la discrimination multifactorielle, qui doit être examinée de façon conjointe, sans dissociation des facteurs. Il passe en revue les avancées dans ce sens au sein de l’Union européenne, ainsi que dans différents États dont le Royaume-Uni, les États-Unis ou le Canada » ;

66

soumise, ainsi que les insultes racistes et sexistes dont elle fit l’objet et la réponse des

juridictions internes à ses plaintes prouvent l’existence d’une discrimination et d’un défaut de

respect par l’État de son obligation positive d’enquêter de manière effective » ainsi que « sa

condition de femme de race noire exerçant la prostitution la rend[ait] spécialement

vulnérable aux attaques discriminatoires et que ces facteurs ne [pouvaient] être dissociés et

[devaient] être pris en compte dans leur ensemble »178.

Les partisans de la discrimination intersectionnelle n'ont pas manqué d'applaudir cet arrêt et

cela n'est guère surprenant si on considère les précédentes hésitations de la Cour de

Strasbourg à ce sujet179. En effet, dans bien d'autre occasions auparavant, bien que les

requérantes se soient lamentées de la dimension intersectionnelle de la discrimination subie,

tout en condamnant le gouvernement défendeur, la Cour s'est toujours refusée de se prononcer

sur cet aspect180.

D'ailleurs, il en a été de même aussi et encore après B.S. c. Espagne dans l'affaire Catan c.

Moldavie et Russie181 où les requérants lamentaient une discrimination fondée sur leur origine

ethnique et leur langue en matière d'accès à l'enseignement et, la Cour, en Grande Chambre,

alors que le litige s'insérait dans le contexte politiquement complexe relatif au conflit en

Transnistrie, n'a pas estimé nécessaire d'examiner le grief tiré de la violation de l'interdiction

de discrimination.

A la lumière de ce qui précède, trois constats peuvent être faits.

Premièrement, d'une analyse des divers documents adoptés par les institutions du Conseil de

l'Europe, nous pouvons conclure que l'adoption d'une approche intersectionnelle à la

discrimination est encouragée notamment quand il s'agit de traiter des questions concernant

les femmes appartenant à des groupes particulièrement vulnérables comme les femmes

migrantes et les femmes roms.

Deuxièmement, l'interdiction de la discrimination au titre de la Convention Européenne des

178 Cour EDH, B.S. c. Espagne, ibid. §§ 61 - 62 ;179 K. Toshida, Towards intersectionality in the European Court of Human Rights: the case of B.S. v Spain, 2013

Feminist Legal Studies, 21 pp. 195-204 ;180 Cour EDH arrêt N.B. c. Slovaquie, 12 juin 2012, Req. n° 29518/10 ; Cour EDH arrêt I.G., M.K. et R.H. c.

Slovaquie, 13 novembre 2012, Req. n° 15966/04 ;181 Cour EDH, Grande Chambre, arrêt Catan c. Moldavie et Russie, 19 octobre 2012, Req. n° 43370/04,

8252/05, 18454/06 ;67

Droits de l'Homme ne s'oppose pas à l'affirmation de la discrimination intersectionnelle car la

liste des motifs sur la base desquels la discrimination est interdite dont à l'article 14 de la

Convention et à l'article 1 du Protocole 12 est ouverte laissant ainsi entrevoir une possibilité

d'affirmation de cette notion sans obstacles particuliers.

Enfin, et nonobstant les deux points précédents, il faut constater qu'à ce jour la Cour EDH n'a

jamais utilisé de manière explicite le terme intersectionnalité ou discrimination

intersectionnelle dans ses considérations concernant les éventuelles violations de l'article 14

de la Convention et les applications de cette forme de discrimination apparaissent

exceptionnelles et trop timides.

68

TITRE IILA DISCRIMINATION A L'ENCONTRE DES FEMMES ROMS ET LES

STERILISATIONS FORCÉES – UNE OCCASION MANQUEE POUR

L'INTERSECTIONNALITÉ ?

CHAPITRE III

La discrimination à l'encontre des femmes roms

Nonobstant les incertitudes qui émergent de l'examen fait dans la première partie de ce

mémoire, les signaux d'une reconnaissance de la discrimination intersectionnelle en droit

international et européen des droit de l'homme ne manquent pas et ce sont surtout les comités

onusiens qui le plus se sont engagés sur ce terrain. La Cour Européenne des Droits de

l'Homme et la Cour de Justice de l'Union Européenne se montrent en effet plus réticentes et

cela bien que la CEDH et le droit communautaire, la CDFUE in primis, ne s'opposent pas per

se à une interprétation évolutive capable de comprendre l'intersectionnalité.

Cependant, cela ne signifie pas que l'intersectionnelle passe inaperçue en Europe. Bien au

contraire, le Conseil de l'Europe et l'Union Européenne sont sensibles à ce thème, surtout

pour ce qui concerne les questions liées aux femmes migrantes ou appartenant à des groupes

minoritaires et vulnérables, comme les femmes roms.

Dans ce troisième chapitre nous ferons dans un premier moment un saut en arrière dans le

temps pour rappeler très brièvement l'histoire du mouvement rom et l’émergence et

l'organisation quelque peu tardive, et au début assez timide, des revendications des femmes

roms (Section I). Ensuite, nous rappellerons quels sont les obstacles que les femmes roms

doivent surmonter dans leur vie quotidienne et la particulière vulnérabilité dont elles peuvent

être victimes et nous mettrons en lumière les analogies entre leur situation et celle des

femmes afro-américaines, aspects qui invitent à adopter l'intersectionnalité dans l'analyse de

leur situation (Section II).

Section I Une introduction à la situation des femmes roms en Europe

Il est largement reconnu que les Roms font partie des groupes les plus pauvres, les plus

marginalisés et les plus discriminés en Europe. Il s'agit d'un fait qui est supporté par les

données. Un rapport du Programme des Nations Unies pour le développement de 2003 notait

69

que la condition de quatre à cinq millions de Roms vivant en Bulgarie, République Tchèque,

Hongrie, Roumanie et Slovaquie dans des domaines comme l'alphabétisation, la mortalité

infantile ou la nutrition de base était plus proche de celle des Pays de l'Afrique sub-saharienne

que l'Europe182. Dans cette section nous reviendrons sur la situation en Europe des Roms en

général (§ 1) ainsi que sur la place que les femmes roms ont réussi à conquérir dans le débat

au sein de la communauté internationale et européenne (§2).

§1 Les Roms, une minorité européenne

Les Roms constituent la plus grande minorité ethnique d'Europe. Sur une population

totale estimée entre 10 à 12 millions de personnes, environ 6 millions vivent au sein de

l'Union Européenne et la plupart d’entre eux sont des citoyens européens.

Le terme « rom » est le plus couramment utilisé dans les documents et les débats politiques et

il englobe divers groupes, notamment les Roms, les Tsiganes, les Gens du voyage, les

Manouches, les Ashkali, les Sintés et les Beás.

Les origines de ce peuple sont restées pendant très longtemps mystérieuses et c'est surtout

grâce aux études des linguistes que les experts ont réussi à trouver un terrain d'accord à ce

propos. L’origine indienne et la migration vers l’Europe via la Perse, l’Arménie et l’Asie

mineure à l’époque de l’empire byzantin sont en effet aujourd'hui des faits incontestés, surtout

en raison des preuves linguistiques qui ont permis d'identifier dans le sanskrit une origine

commune de divers dialectes roms183.

L'étude du romani a donc permis de retracer, même si approximativement, les étapes de ce

long voyage vers l'ouest apparemment entrepris progressivement et sur une longue période

allant du IIIe au Xe siècle. En particulier, selon les linguistes, le lexique du romani se répartit

entre deux corps de mots : l’un ancien d’origine pré-européenne et qui comprend les mots

indo-aryens, perses, arméniens et grecs et qui est plus ou moins commun à tous les locuteurs

de cette langue et l'autre dit « lexique européen » qui s’est formé uniquement dans le cadre de

la migration de groupes individuels vers l’Europe et qui a donc évolué de manière différente

182 Programme des Nations Unies pour le développement, Avoiding the Dependency Trap – The Roma Humn Development Report 2003 ;

183 Les informations reportées ici ont été reprises du document élaboré par le Conseil de l'Europe, Roms | Histoire - Fiches d’information sur l’histoire des Roms, Fiche n° 1 : histoire pré-européenne : « première migration » d’inde centrale vers Byzance ; OSCE, Report on the situation of Roma and Sinti in the OSCE Area, mars 2010, pages 19 – 24 ;

70

selon les groupes concernés.

Malgré les importantes découvertes faites grâce à la linguistique, cette science toutefois ne

permet pas de répondre à toutes les questions et beaucoup entre elles restent aujourd'hui

ouvertes. La tradition largement orale de cette « nation européenne »184 et le manque des

preuves directes ne permettent pas par exemple de reconstruire avec précision l'histoire de

leur migration pré-européenne et de connaître les raisons et la date précise de leur départ.

Les difficultés à repérer des preuves exactes sur l'histoire de ce peuple dont les origines sont

restées inconnues pendant très longtemps ont donc souvent laissé la place aux spéculations et

représentations les plus variées.

Les premières traces écrites de la présence des Roms en Europe remontent au XIIIe siècle

dans l'empire byzantin et il semblerait qu'ils aient commencé à partir vers le Nord à compter

de la moitié du XIVe siècle. À partir de cette époque, les Roms sont mentionnés de plus en

plus fréquemment mais la connaissance de ces nouveaux arrivés ne s’accroît pas aussi vite

que le nombre de témoignages les concernant. Ainsi, à un premier accueil chaleureux dicté

par la motivation prétendument religieuse de leur voyage et les règles de l'hospitalité dans un

bas Moyen-Âge fortement dominé par la chrétienté, se substitue assez rapidement une vision

négative qui les accusait d’immoralité et d’impiété, voire d’espionnage pour le compte des

Turcs. En général, ils étaient perçus comme un peuple "traître" et "déloyal".

Les tous premiers témoignages européens dépeignent donc clairement les Roms sous un jour

déformé et caricatural qui domine encore aujourd'hui la perception des Roms par des non-

Roms. De surcroit, l'histoire des Roms a été pour longtemps l'apanage presque exclusif

d'académiques et écrivains non-Roms qui, à travers une représentation souvent romantique ou

exagérément critique ont contribué à construire une image faussée et stéréotypée des Roms,

perçus comme des étrangers trop divers pour vivre ensemble à la société majoritaire.

La nécessité de reconstruire l'histoire des Roms est aujourd'hui une nécessité reconnue

d'autant plus que les défis auxquels l'Europe doit faire face ne peuvent être compris sans

rappeler que leur histoire est constellée d’expériences de marginalisation et persécution 185.

184 Ibidem, page 1 ;185 A. Mirga, L’héritage laissé par les survivants : Se souvenir des persécutions nazies des Roms et des Sinti :

un instrument essentiel dans la lutte contre le racisme d’aujourd’hui, L'Holocauste et les Nations Unies, Documents de réflexions ;

71

Cette histoire tourmentée ne peut pas être ignorée dans l'analyse de la situation actuelle de

cette minorité qui n'est pas seulement la plus grande minorité ethnique d'Europe mais résulte

également être la plus discriminée. La méfiance dans les institutions et leur marginalisation

sont en effet deux des conséquences principales de leur vécu collectif.

Le journal Le Monde, dans un article paru en février 2011 concernant la reconnaissance du

génocide des Roms écrivait que « il ne fait pas bon être tzigane aujourd'hui »186. En réalité, si

on tourne le regard en arrière on s'aperçoit que les violations dont sont victimes aujourd'hui

les Roms ne sont pas le résultat exclusif des politiques discriminatoires plus ou moins

masquées de nos jours ou d'une intolérance contemporaine à leur égard prétendument

alimentée par la période de « crise économique » que nous traversons mais le fruit de cette

histoire centenaire faite de menaces, déportations, chasse à l'homme, exclusions ainsi que

tentatives d'assimilation et d'extermination.

Les exemples sont nombreux. A l’édit de l'empereur Maximilien d'Augsbourg ordonnant à

tous les « Tsiganes » de quitter le territoire de l’empire avant la Pâque de 1501 suivent des

mesures de plus en plus dures comme la promulgation par Wilhelm Ier de Brandenbourg d'un

édit selon lequel les Roms n'étaient pas tolérés : les hommes furent condamnés aux travaux

forcés, les femmes à la flagellation et au marquage au fer rouge. Leurs enfants devaient être

confisqués.

En France, la cruauté des mesures ne fut pas moindre. Dès 1666, Louis XIV décréta que tous

les « Tsiganes » de sexe masculin devaient être arrêtés et envoyés aux galères sans procès.

Ces mesures furent renforcées en 1682 disposant que les Roms de sexe masculin devaient être

condamnés aux galères à perpétuité, leurs femmes stérilisées et leurs enfants placés dans des

hospices.

Les Roms d'Espagne n'ont pas connu un destin plus heureux ayant dû faire face aux tentatives

d'extermination et assimilation initiées par Philippe III d'Espagne en 1619 et son fils Philippe

IV et ensuite portées aux extrêmes un siècle plus tard par le roi Ferdinand VI qui en 1749,

suivant la proposition de l'évêque d’Oviedo, adopta des mesures préventives extraordinaires

vouées à mettre fin une fois pour toutes aux questions d’ordre public prétendument causés par

les « Tsiganes » et qui conduit à l’internement de dix à douze mille personnes.

186 Le Monde, L'Europe doit reconnaître le génocide tzigane, 2 février 2011 ;72

Les Roms du Portugal et du Royaume-Uni furent déportés en Afrique ou au Brésil. Dans

l'Empire austro-hongrois les Roms furent victimes d'initiatives d'assimilation forcée des

souverains éclairés qui essayèrent entre autre de les sédentariser, de les empêcher de parler

leur langue ou, encore, de se marier entre eux et d'éduquer leurs enfants qui leur étaient

enlevés.

Enfin, si en Russie leur sort avait été meilleur, dans l'actuelle Moldavie l'esclavage des Roms

était en vigueur jusqu'au milieu du XIXe siècle.

Le « Porajmos », le génocide des Roms souvent resté dans l'ombre et reconnu officiellement

par le Parlement européen seulement récemment187, est donc le point culminant d'une histoire

de répression commune aux Roms de toute l'Europe centrale et occidentale.

A la fin de la guerre, toutefois, le traitement réservé aux Roms ne change pas par rapport au

passé. Les survivants sont régulièrement accusés de mentir sur leur internement et se voient

refuser toute aide par les autorités de l’après-guerre qui continuent en effet à se fonder sur les

présomptions et les préjugés qui ont des racines trop profondes à éradiquer et qui encore

aujourd'hui alimentent et diffusent une image stéréotypée et négative de cette minorité.

Les rapports de la société civile, les politiques et les mesures des institutions de l'Union

Européenne188 et du Conseil de l'Europe189 ou, encore, les recommandations rapports et

187 Le 8 avril 2015 le Parlement européen a adopté la résolution 2015/2615(RSP) reconnaissant « le fait historique du génocide rom pendant la Deuxième guerre mondiale » et a proposé une « Journée européenne de commémoration de l'holocauste des Roms » dédiée à la commémoration des victimes du génocide des Roms durant la Deuxième Guerre mondiale. Le Parlement Européen avait célébré pour la première fois le génocide des Roms en 2011. A ce sujet, le Président du Parlement, Jerzy Buzek avait souligné qu’ « un tiers des personnes détenues à Auschwitz étaient Roms, mais la plupart des Européens l’ignorent », et que seuls quelques Etats européens avaient reconnu officiellement le génocide des Roms» ;

188 Les initiatives de l'Union Européenne en faveur des Roms sont multiples. Voir par exemple l'adoption en 2011 d'une communication par la Commission Européenne visant à promouvoir l'élaboration de stratégies nationales d'intégration des Roms (COM(2011) 173 final), la recommandation du Conseil européen du 9 décembre 2013 relative à des mesures efficaces d’intégration des Roms (2013/C 378/01) ou encore, le travail de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union Européenne en matière (l'inclusion des Roms est l'un des thèmes principaux sur lequel l'Agence intervient) ;

189 Le Conseil de l'Europe aussi s'occupe des questions liées au respect des droits de l'homme des Roms et a mis en place un nombre important d'initiatives dédiées à ce thème. Il a par exemple institué un Comité ad hoc d'experts sur les questions roms, le CAHROM ou, encore, lancé avec la Commission Européenne le programme ROMACT qui vise à renforcer la capacité des autorités locales et régionales à développer et mettre en œuvre des projets pour l’inclusion des Roms. Il a de plus lancé la campagne Dosta !, une campagne de sensibilisation visant à arrêter les préjugés et les stéréotypes à l'encontre des Roms. La Cour EDH a crée des fiches thématiques parmi lesquelles figure une fiche dédiée exclusivement aux Roms et gens des voyages et nombreux sont les rapports, les recommandations et document de l'organisation dédiés aux droits de l'homme des Roms ;

73

résolutions des organes onusiens190, indiquent que les Roms encore aujourd'hui sont victimes

de discrimination, exclusion, abus, propos xénophobes et stigmatisation et que les efforts pour

garantir une meilleure intégration sont importants. La discrimination à leur encontre reste un

problème significatif dans de nombreux Pays européens191 et, comme le constate le

Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe aucun gouvernement européen ne

peut se vanter d’un bilan totalement positif en matière de protection des droits de l’homme

des membres de ces minorités192.

Comme le reporte régulièrement l'ECRI193 et le confirme le Commissaire aux droits de

l'homme du Conseil de l'Europe194, par exemple, au profond enracinement de l’anti-

tsiganisme s'accompagnent de nombreux épisodes de violence contre les Roms, souvent

encouragés par des propos irresponsables des représentants politiques et par des discours

rhétoriques. A ces épisodes de haine raciale à l'encontre des Roms souvent s'ajoute le défaut

d’enquêter de manière impartiale et efficace des autorités ou des cas de mauvais traitements

commis par la police même. Les Roms sont aussi touchés de manière disproportionnée par

des mesures de détention arbitraire ainsi que par des profilages ethniques. Encore, ils sont

soumis à la violence policière dans les lieux de détention et dans les espaces publics, par

190 Un des premiers documents officiels des Nations Unies concernant les Roms a été adoptée en 1977 par la Sous-Commission pour la Promotion et Protection des Droits de l'Homme qui exhortait les pays ayant des Tsiganes (Romanis) à l'intérieur de leurs frontières à leur accorder tous les droits dont jouit le reste de la population (U.N. Doc. E/CN4Sub2/399). La Sous-Commission soulignait également que les gitans demeuraient la minorité plus mal traitée dans divers Pays d'Europe.

Encore en 1991 la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, considérant les divers obstacles auxquels les communautés tsiganes devaient faire face pour jouir de leurs droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, recommandait à la alors Commission des Droits de l'Homme d'adopter une résolution donne elle proposait le projet (33ème séance, 28 août 1991, 1991/21, Protection des minorités).

Enfin, la Commission des Droits de l'Homme, lors de sa séance du 4 mars 1992 adopta la résolution 1992/65 intitulée « Protection des Roms (Tziganes) » dans laquelle elle déclarait que les Nations Unies ne pouvaient pas rester indifférentes à la situation des minorités et demandait au rapporteur spécial de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités de porter une attention particulière aux conditions dans lesquelles vivaient les Roms et de fournir toute information utile à ce sujet ainsi qu'elle exhortait les Etats à prendre toutes les mesures opportunes pour éliminer toute forme de discrimination à l'égard des Roms ;

191 Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, Programme des Nations Unies pour le développement, La situation des Roms dans 11 États membres de l’UE Les résultats des enquêtes en bref, 2012 ;

192 Commissaire aux droits de l'homme, Les droits de l’homme des Roms et des Gens du voyage en Europe - Extraits du rapport complet, Janvier 2012, page 7 ;

193 Voir par exemple : ECRI, Recommandation de politique générale n° 3 de l'ECRI sur la lutte contre le racisme et l’intolérance envers les Roms/Tsiganes, 6 mars 1998 ; ECRI, Recommandation de politique générale n° 13 de l'ECRI sur la lutte contre l'anti-tsiganisme et les discriminations envers les Roms , 24 juin 2011 ;

194 Voir Droits de l'homme des Roms et des Gens du voyage à la page internet http://www.coe.int/fr/web/commissioner/thematic-work/roma-and-travellers ;

74

exemple les campements roms, pendant les opérations de police195.

De plus, les Roms doivent faire face à une discrimination souvent structurelle d'accès à

l'emploi, à l'éducation, aux soins et au logement196. L'Italie par exemple se distingue par la

construction de camps dédiés aux seuls Roms dans les banlieues de principales villes197 alors

que la France a fait recours dans le passé aux rapatriements forcés et encore aujourd'hui

ignore les standards de protection des droits de l'homme lors des expulsions des

campements198. Dans des nombreux pays de l'Europe centrale parmi lesquels notamment la

Hongrie et la République Tchèque199, les enfants roms sont victimes de politiques qui

prévoient pour eux la ségrégation scolaire ou sont retirés de la garde de leurs parents

biologiques pour être placés en institution ou dans des familles d’accueil. Les femmes

rencontrent des problèmes importants en matière d'accès aux soins et en matière de santé

sexuelle et reproductive et, avec les enfants, sont aussi les plus exposées à la traite et

l'esclavage sexuel200. Enfin, l'apatridie, la violence policière et la forte discrimination au sein

de certains systèmes judiciaires complètent ce sombre cadre.

Mais l'histoire des Roms n'est pas seulement une histoire d'abus et de violations de leurs

droits. Il s'agit aussi d'une histoire de résistance et d'organisation de cette minorité hétérogène

pour la protection de leurs droits et de lutte pour leur reconnaissance.

195 Commissaire aux droits de l'homme, Les droits de l’homme des Roms et des Gens du voyage en Europe - Extraits du rapport complet, Janvier 2012, pages 8 - 9;

196 ECRI, Rapport annuel sur les activités de l'ECRI couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre 2014, page 13 ;

197 Commissaire aux droits de l'homme, Report by Nils Muižnieks Commissioner for Human Rights of the Council of Europe following his visit to Italy from 3 to 6 July 2012, Strasbourg septembre 2012 ; European Roma Rights Centre, Country Profiles, A report by the European Roma Rights Centre, Czech Republic, France, Italy Macedonia, Romania, Russian Federation, Serbia, Slovakia, Turkey and Ukraine , Budapest juillet 2013 ; European Roma Rights Centre, Il paese dei campi. La segregazione razziale dei Rom in Italia, serie “Rapporti nazionali” n. 9, ottobre 2000 ;

198 Ligue des Droits de l'Homme, European Roma Rights Centre, Violent, Injuste, Illégal et Honteux : La France a expulsé près de trois lieux de vie de Roms par semaine en 2014, Paris – Budapest février 2015 ; Amnesty International, Condamnés à l'errance – Les expulsions forcés des Roms en France, Paris septembre 2013 ; European Roma Rights Centre, Submission in relation to the ananlysis and consideration of legality under EU law of the situation of Roma in France : factual update, Budapest septembre 2010 ;

199 Amnesty International, Segregation, bullying and fear: The stunted education of Romani children in Europe, avril 2015 ; Roma Education Fund, G. Kertezi et G. Kédzi, School segregation, school choice, and educational policies in 100 Hungarian towns, Budapest – Bucharest 2013 ; Open Society Foundations, Education Policy and Equal Education Opportunities, New York 2012 ; J. Greenberg, Report on Roma education today : from slavery to segregation and beyond, Columbia Law Review vol. 110, mai 2010, n° 4 ; Roma Education Fund, European Roma Rights Centre, Persistent Segregation of Roma in the Czech Education System, Bucharest – Budapest 2008 ;

200 Commissaire aux droits de l'homme, Les droits de l’homme des Roms et des Gens du voyage en Europe - Extraits du rapport complet, Janvier 2012, page 14 ; Center for Reproductive Rights, Poradňa pre občianske a l'udské práva, Body and Soul, Forced Sterilization and Other Assaults on Roma Reproductive Freedom in Slovakia, 2003 ; Agence des droits de l'homme de l'Union Européenne, Analysis of FRA Roma survey results by gender, septembre 2013 pages 14 et suivantes ;

75

Dispersés à travers le continent, les dix – douze millions de Roms présents en Europe

partagent dans leurs diversités une histoire et des caractères communs qui les réunissent

ensemble dans celle qui est aujourd'hui considérée par nombreux Roms une nation sans

territoire201.

L'histoire des organisations Roms remontent au début du XXe siècle avec les premières

organisations constituées en Russie, Biélorussie et Roumanie mais c'est surtout après la

Deuxième Guerre Mondiale que les Roms commencent vraiment à s'organiser non seulement

au niveau local mais également au niveau national et même international 202.

A niveau international, les Roms ont fondé un Comité international tsigane en 1967 qui lors

du 1er Congrès international des Roms tenu à Londres en 1971 a revendiqué le droit des

Roms à être reconnu comme un peuple à part entière, a adopté un drapeau, un hymne203 et une

Journée internationale des Roms. Le discours de Slobodan Berberski qui présidait le Congrès

exprimait clairement l'esprit qui avait amené les Roms à se réunir :

The goal of this Congress is to bring the Rom together and to encourage them to act throughout

the world, to bring about our emancipation in accordance with own intuition and ideals – to go

forward to a rhythm that suits us … Everything we do will bear the mark of our own personality,

it will be amaro Romano drom, our own Gypsy way … Our people must play and organize action

at local, national and international level. Our problems are the same everywhere : we must make

use of our own models of education, maintain and develop our Rom culture, encourage new

dynamism in our communities and forge a future compatible with our lifestyle and beliefs. We

have been passive for long enough, and I believe that we can succed – starding today204.

A ce premier congrès s'en suivirent d'autres. En 1978 à Genève, par exemple, s'est tenu le

deuxième Congrès lors duquel de nombreux thèmes furent abordés comme l'origine indienne

201 C'est en 2000 que, lors du 5ème Congrès mondial rom, à Prague, est revendiquée l'idée d'une nation rom, une nation « sans territoire compact et sans prétention à un tel territoire », Sénat français, L'intégration des Roms : un défi pour l'Union européenne et ses États membres, disponible à la page internet http://www.senat.fr/rap/r12-199/r12-1991.html (dernière consultation juillet 2015);

202 J. P. Liégeois, Nicolae Gheorghe, Roma/Gypsies : A European Minority, A Minority Rights Group International Report 95/4, Octobre 1995, page 25 ;

203 Gelem Gelem : « J’ai voyagé, voyagé sur de longs chemins,/ et j’ai rencontré des Roms heureux/ Oh Roms, d’où venez-vous/ avec vos tentes sur les routes heureuses ?/ Oh Roms, oh mes frères roms/ J’avais jadis une grande famille/ La légion noire l’a assassinée/ Maintenant, tous les Roms du monde affluent/ Car les routes roms se sont ouvertes/ C’est maintenant le moment, levez-vous Roms,/ Nous nous élèverons très haut à condition d’agir !/ Oh Roms, oh mes frères roms » ;

204 Slobodan Berberski, Discours d'ouverture du 1er Congrès international des Roms, Londres 1971 in J. P. Liégeois, Nicolae Gheorghe, op. cit., page 26 ;

76

des Roms ou encore la nécessité de la reconnaissance de la spécificité de la culture rom et le

combat contre les politiques d'assimilation et de rejet. De surcroît, une nouvelle organisation

internationale fut créé à l'issue de ce Congrès, l' « Union Romani Internationale » qui obtint la

reconnaissance du statut consultatif auprès de l'ECOSOC en 1979. Le troisième Congrès en

1981 marqua aussi une étape importante vers la reconnaissance du génocide des Roms par le

nazi-fascisme et le quatrième Congrès qui a eu lieu à Varsovie en 1990 a été le premier à être

tenu en Europe de l'Est permettant ainsi à un grand nombre des représentants venant des Pays

de l'ex bloc soviétique de faire entendre leur voix. La même année, l'Union Romani

Internationale est aussi acceptée au sein de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération

en Europe.

Enfin, les deux derniers congrès du Comité international tsigane ont eu lieu respectivement

en 2000 et en 2004 à Prague et en Italie. En particulier, lors du congrès de 2000 à Prague,

l'idée d'une nation rom, une nation « sans territoire compact » a été revendiquée.

A la lumière de ce qui précède, il est indéniable que depuis la naissance du « mouvement

rom » dans les années 1970 des efforts importants ont été déployés en vue d’assurer aux

Roms une représentation politique au niveau international et que depuis 1989, dans plusieurs

pays d’Europe, les Roms sont de mieux en mieux représentés. L'attention aux problèmes de

cette minorité, la nécessité de restaurer une mémoire collective qui rend justice aux victimes

Roms du nazi-fascisme ainsi que leur lutte pour l'égalité de nos jours sont surement en grande

partie le résultat de l'activisme et de l'organisation des Roms.

Cependant plusieurs remarques doivent aussi être faites.

Premièrement, que ce soit au sein du Parlement européen, des parlements nationaux ou des

autres formes de représentation au sein des pays membres de l'Union européenne, la

représentation des Roms reste limitée.

Deuxièmement, l’exaucement des demandes des Roms ne s’est pas seulement heurté à la

résistance de divers gouvernements et aux préjudices profondément enracinés, mais aussi à

l’hétérogénéité des opinions et des points de vue exprimés par les Roms eux-mêmes. Les

fractures internes remettent souvent en question la représentativité des dirigeants et la

légitimité des initiatives entreprises pour garantir la promotion et la protection des droits

77

civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Roms205.

Troisièmement, souvent, la poursuite des fins du « mouvement » ont pendant longtemps fait

taire d'autres voix au sein de ce même mouvement, comme celle des femmes, à tous effets

une « minorité dans la minorité ». C'est sur ce troisième aspect que le paragraphe suivant se

focalisera.

§2 Quelle place pour les femmes roms ? Une prise de conscience tardive et débattue

Les femmes roms ont reçu historiquement très peu d'attention dans le monde

académique et dans le domaine international des droits de l'homme206. En général, dans un

corps de littérature de plus en plus important concernant les Roms, les droits des femmes

roms et les questions différentes auxquelles elles sont confrontées sont moins documentées207.

Même s'il ne s'agit pas d'un problème exclusif à ce groupe mais d'une question plus générale

touchant au genre208, il est important de s’arrêter sur la représentation et considération des

expériences des femmes roms car celles-ci sont particulièrement vulnérables

If Gypsy men are the Third World within the Second World, then Gypsy Women are its Fourth

World209.

Le silence et le manque d'attention entourant la situation des femmes roms a été rompu à

quelques occasions et c'est aussi grâce aux voix toujours plus fortes et insistantes ainsi qu'à

l'organisation des activistes roms femmes qu'aujourd'hui leurs problèmes spécifiques ne sont

pas ignorés.

Le premier Congrès rom de l'Union Européenne a eu lieu à Séville, en Espagne, en mai 1994.

Un nombre important de personnes participèrent audit congrès qui avait été organisé avec le

205 Un exemple très récent de ces divisions est représenté par le débat entourant la création de la part du Conseil de l'Europe d'un Institut Européen pour les Roms ;

206 N. Bitu, The situation of Roma/Gypsuy Women in Europe, Strasbourg 1999 disponible à la page internet https://fia.pimienta.org/weblog/uploads/2008/09/roma_women_from_europe_nico.pdf ;

207 C.I. Ravnbøl, The Human Rights of Minority Women : Romani Women's Rights from a Perspective on International Human Rights Law and Politics, International Journal on Minority and Group Rights 17 (2010), page 8 ;

208 Renvoyant aux précisions contenues dans les recommandations générales du Comité CEDEF (voir par exemple la Recommandation générale n° 28), dans ce travail on utilisera le mot « sexe » et le mot « genre » de manière interchangeable. En effet, reconnaissant que ce deux termes ont une signification différente, les différences entre genre et sexe ne revêtent pas une importance particulière aux fins de cette recherche ;

209 Mrsevic, Z., Filthy, Old, and Ugly Gypsy Women from Serbia, in Asylum Aid, Romani Women from Central and Eastern Europe : A "Fourth World", or Experienc eof Multiple Discrimination, 2002 ;

78

support de la Commission européenne. Le rapport final de la conférence ne contient aucune

mention à des éventuels groupes de travail dédiés à la question des femmes roms. Toutefois,

leur présence lors de ce congrès a eu un impact considérable qui s'était traduit surtout dans

l'adoption du « Manifesto of Roma/Gypsy women ».

Ce document marque une avancée importante pour les femmes roms car, pour la première

fois, un document disponible au public se réfère spécifiquement à leur situation au sein de

l'Union Européenne et décrit quel est le contexte auquel les femmes rom doivent se

confronter. Le Manifeste met l’accent surtout sur l'importance de l'éducation pour les femmes

roms dans leur procès d'émancipation à l'encontre des discriminations non seulement

extérieures, c’est-à-dire de la part de la société majoritaire mais également internes, vis-à-vis

des règles patriarcales au sein de la famille et de la communauté.

Un an après le Congrès de Séville, le Conseil de l'Europe organisa une audition des femmes

roms210 dont l'objectif était d'identifier les problématiques principales rencontrées par celles-

ci. Alors qu'il il s'agissait de la première tentative de rencontre avec des activistes femmes

roms et de mise en lumière des questions concernant les femmes roms, le rapport publié par

l'ECRI à l'issue de cette initiative souligne que lors de cette audition ce sont surtout les

difficultés économiques et la discrimination dans l'éducation à l'encontre des Roms en général

qui ont été objet d'analyse. Comme le reporte Nicoleta Bitu, activiste rom originaire de

Roumanie

… speaking in 1995 in front of the European Parliament, the Roma/Gypsy women preferred to

underline the social and ethnic discrimination against their community rather than speak about

their daily difficulties ; they are more than men faced with the gaps in the schooling of their

children and the lack of access to the health services. Even if they are in front of the European

Parliament or in private discussions, they (Roma/Gypsy women) are discrete about their

relationship with the men211.

En tout cas, l'audition représenta un événement important car elle a permis d'ouvrir et

d'encourager le débat sur la question des femmes roms à l’échelle internationale et de

l'affronter de manière plus intégrée surtout par rapport aux politiques d'égalité de genre.

En 1998, sur initiative de la société civile, a eu lieu à Budapest une conférence internationale

210 The Hearing of Roma/Gypsy women organised by the Council of Europe, Strasbourg septembre 1995 ;211 N. Bitu, op. cit., page 4 ;

79

des femmes roms. Cette conférence à laquelle participèrent surtout des femmes roms des Pays

de l'est fut un événement unique dans son genre car elle portait sur des thèmes très sensibles

comme les traditions roms et les droits des femmes roms et les activistes femmes roms n'ont

pas manqué de saisir l'occasion pour défier la structure de pouvoir interne au mouvement

dominé par les hommes212.

C'est donc à partir de la fin des années 1990 que les occasions pour les femmes roms de lever

leur voix et de se faire entendre se multiplièrent et plus conscientes de leur rôle et des enjeux,

celles-ci commencèrent aussi à s'organiser En 2003, par exemple, avec le soutien du Conseil

de l'Europe, des activistes femmes roms de 18 Pays européens lancèrent le International

Romani Women Network (IRWN) qui se mobilise pour faire pression sur les gouvernements

en faveur des droits des femmes roms mais, surtout, il se penche sur les pratiques

traditionnelles qui sont considérées comme étant en contradiction avec les droits et les

principes fondamentaux de protection des droits de l'homme213.

Cette mobilisation porte à des résultats concrets. En 1999 on assiste en effet à une première

prise en compte par les Nations Unies de la situation des femmes roms dans un document de

travail où il est indiqué que

It is a well-known fact that whenever the human rights of a group are trampled upon, the

children and women bear the brunt of such abuse. They become, in fact, the victims of double

discrimination. There have unfortunately been reports from Roma NGOs of sexual violence and

also of forced sterilization suffered by Roma women. Moreover, there is information that young

Roma women are lured or forced into prostitution, ending up as subjects of international

trafficking. Particular attention should therefore be paid to their situation and national

strategies in favour of the Roma should include a specific action plan for women214.

En outre, depuis 2003, toujours avec le soutien du Conseil de l'Europe, se tient régulièrement

une Conférence internationale des femmes roms qui leur permet de faire part de leurs

préoccupations, d'échanger leurs expériences et de se mobiliser collectivement pour atteindre

212 A. Kóczé, Romani Women's Rights Activism, in Global Civil Society 2012: Ten Years of Critical Reflection, Palgrave Macmillan éd. Londres New York 2012, page 118 ;

213 Voir par exemple le Position Paper on the 4th International Roma Women's Conference, Acting Now for an Equal Future, septembre 2013, Helsinki, Finland par le European Roma and Travellers Forum et l'International RomaWomen's Network dans lequel il est expressément reconnu qu'un des obstacles principaux à l'éducation des filles roms ce sont les mariages précoces ;

214 Commission des droits de l'homme, Prevention of Discrimination against and Protection of Minorities - The human rights problems and protections of the Roma, Working paper prepared by Mr. Y.K.J. Yeung Sik Yuen pursuant to Sub-Commission decision 1999/109, U.N. Doc. E/CN.4/Sub.2/2000/28 ;

80

des objectifs communs. L'élaboration de mécanismes permettant une consultation plus large

des femmes roms ainsi que l’élaboration d’une Stratégie pour la promotion des femmes et des

filles roms en Europe (2014-2020) font partie des initiatives promues lors de ces

conférences215.

Il s'agit d'initiatives importantes car, comme il sera vu ci-après, les préoccupations que de

nombreuses activistes femmes roms soulèvent par rapport à la situation des femmes roms

vont au-delà des problématiques qu'elles partagent avec la minorité rom dans son ensemble

ainsi que des problèmes des femmes appartenant à la société majoritaire.

Section II La discrimination à l'égard des femmes roms : intégrer l'intersectionnalité

dans la lutte pour l'égalité

Les femmes roms sont exposées à de nombreuses inégalités. Diverses sont les barrières

qu'elles doivent franchir, qu'elles aient été levées par la société majoritaire ou la communauté

rom même. Et s'il y a beaucoup de différences entre ces femmes, certaines tendances et

problématiques sont diffuses et communes à une grande partie d'entre elles.

Beaucoup de femmes roms sont victimes de discrimination dans l'accès à l'emploi,

l'éducation, en matière de logement ou dans l'accès aux soins (§ 1). Aussi, que ce soit par

rapport à leur communauté d'appartenance ou vers l’extérieur vis-à-vis de la société

majoritaire, ces discriminations ont un impact particulier sur elles en raison de cette

combinaison de facteurs qui concerne leur ethnie, leur sexe, leur statut social. Reléguées aux

marges par ce chevauchement de racisme et discrimination liée au genre, l'intersectionnalité

et la discrimination intersectionnelle pourraient permettre de leur faire regagner une place

centrale dans les politiques les concernant ainsi que sanctionner les violations de leurs droits

fondamentaux (§2).

215 Conseil de l'Europe, 4e Conférence internationale des femmes roms 17-18 septembre 2013, Helsinki Rapport final . Lors de cette quatrième Conférence trois ateliers consacrés respectivement à : « L’éducation comme condition préalable pour la réalisation des droits des femmes roms », « L’avancement des droits et de l’égalité des genres pour les femmes roms dans la société et mobilisation de la communauté » et « Le développement de la citoyenneté active, de la participation et de la mise en réseau des femmes roms » ;

81

§1 Les principales difficultés rencontrées par les femmes roms

En Europe, les femmes roms sont probablement victimes de discrimination plus que

tout autre groupe car discriminées à la fois à cause de leur origine ethnique et à cause de leur

sexe. Faisant partie d'une minorité qui est confrontée à la marginalisation, à la pauvreté, à la

discrimination et qui souvent embrasse des valeurs sociales patriarcales, les femmes roms

doivent faire face à de multiples défis216.

Les exemples sont nombreux.

En matière d'éducation, par exemple, les rapports montrent que dans certains pays d'Europe,

la plupart des femmes roms ne terminent pas l'enseignement secondaire. Elles sont victimes

de discrimination sur la base de leur ethnie et de leur sexe. En effet, le temps passé à l'école

par les femmes roms est nettement inférieur à la moyenne de la population non-rom. De

surcroit, les hommes roms passent en moyenne plus de temps à l'école que les femmes

roms217.

La pauvreté, les mariages précoces et les grossesses à un jeune âge ont été identifiés comme

les causes principales de l'absentéisme scolaire et de l'abandon pour les filles roms en Europe

centrale et orientale218. Mais même lorsqu'elles sont à l'école elles risquent généralement de

recevoir moins d'attention que les garçons car on s'attend d'elles un abandon précoce du

système éducatif.

En outre, le bas niveau d'éducation et de compétences ainsi que le rôle traditionnel qu'elles

doivent recouvrir dans la gestion du foyer familial et dans l'éducation des enfants se

répercutent également sur l'accès à l'emploi et sont les principaux facteurs à l'origine du taux

élevé de chômage parmi les femmes roms219.

La discrimination à leur encontre de la part de la société majoritaire est donc un facteur parmi

216 L. Járóka, Rapport sur la situation des femmes roms dans l'Union européenne, Commission des droits de la femme et de l'égalité des genres (2005/2164(INI)) ;

217 E. Cukrowska, A. Kóczé, Interplay between gender and ethnicity : Exposing Structural Disparities of Romani women – Analysis of the UNDP/World Bank/EC regional Roma survey data, Roma Inclusion Working Papers, Bratislava 2013, page 14 ;

218 R. Andrei, G. Martinidis, T. Tkadlecova, Challenges Faced by Roma Women in Europe on Education, Employment, Health and Housing – Focus on Czech Republic, Romania and Greece, Balkan Social Science Review, Vol. 4, décembre 2014, 323 – 351 ;

219 R. Andrei, G. Martinidis, T. Tkadlecova, op. cit., pages 333 -334 ;82

d'autres qui n'est pas toujours en mesure d'expliquer à lui seul pourquoi le taux de chômage

des femmes roms est plus élevé ou pourquoi elles exercent plus souvent des métiers non

qualifiés et perçoivent une rémunération moindre par rapport non seulement aux femmes non-

roms mais aussi aux hommes appartenant à leur même communauté.

Les activistes femmes roms soulignent qu'ils existent des traitements différentiels entre les

filles et les garçons dans les communautés et les familles patriarcales où la jeune fille/femme

est liée par des traditions et des responsabilités qui l'empêchent de terminer ses études ou

d'occuper un emploi. A ce propos, elles critiquent les traditions des mariages précoces ou

arrangés et le culte de virginité qui sont pratiqués dans certaines communautés et familles et

qui violent la liberté de choix et les droits sexuels et reproductifs des filles roms.

De surcroît, les féministes roms sont aussi critiques envers le silence qui généralement

entoure des questions comme la sexualité, l’homosexualité, la prostitution, le sida mais aussi

la violence domestique et autres abus dont les femmes roms sont victimes220.

Les femmes roms sont en effet souvent victimes de violence. A ce propos il est important de

souligner qu'elles sont exposées non seulement à la violence domestique, dite intra-groupe,

mais également à la violence institutionnelle, policière et de la part des membres de la

population majoritaire, spécialement dans les pays de l'Europe de l'est et de l'Europe centrale.

D'ailleurs, les préjudices et la discrimination à l'égard des femmes roms ne se manifestent pas

seulement au moment de l'abus mais peuvent se reproduire également lors de la réponse

donnée par les autorités compétentes qui souvent n’enquêtent pas et ne poursuivent pas les

responsables considérant ces crimes comme des questions privées221 ou se montrent de toute

manière réticentes à répondre de manière efficace222.

D'autre part, comme certains rapports le mettent en évidence, la situation de la femme rom

qui subit violence est tout à fait particulière aussi parce qu'il est très peu probable qu'elle aille

à la police pour signaler des crimes sexuels. Les questions sexuelles peuvent être un tabou

selon leurs normes culturelles et de reporter ces questions réputées être « internes » à la

communauté à un non-Roms (homme) pourrait être tout aussi culturellement répréhensible223.

220 C.I. Ravnbøl, op. cit., page 11 ;221 Ibidem ;222 Voir European Roma Rights Centre, Imperfect Justice – A Report by the European Roma Rights Centre –

Anti-Roma Violence and Impunity, Budapest mars 2011 ;223 Asylum Aid, Romani Women from Central and Eastern Europe: A ‘Fourth World’, or Experience of Multiple

83

Les femmes roms sont aussi particulièrement exposées aux risques de la traite dans un but

d’exploitation sexuelle, de mendicité, de travail forcé, d’adoptions illégales et de prélèvement

d’organes. Ces phénomènes ont connu une recrudescence au début des années 1990 quand un

nombre important de femmes et de jeunes filles roms provenant des pays de l'Europe de l'est

et centrale ont commencé à être visées par les réseaux qui s'enrichissent grâce à la traite vers

l'Europe de l'ouest224. Comme le souligne le Commissaire aux droits de l'homme

la traite des êtres humains en Europe touche les Roms de manière disproportionnée. Les Roms

seraient victimes de la traite pour des causes diverses, notamment l’exploitation sexuelle,

l’exploitation de la main-d’œuvre, la servitude domestique, l’adoption illégale et la mendicité.

Les femmes et les enfants roms sont souvent très surreprésentés parmi les victimes de toutes les

formes de traite225.

Enfin, une attention particulière mérite de poser la question de la santé et de l'accès aux soins

pour les femmes roms qui se heurtent à de nombreux obstacles et abus. Les résultats des

enquêtes menées par la société civile226 ainsi que les institutions européennes227 présentent en

effet un cadre des violations perpétrées à l'encontre des femmes roms qui est inquiétant. Le

refus d'assistance dans les hôpitaux, parfois même dans des situations d'urgence comme lors

des accouchements, les traitements dégradants ou la prestation de soins de qualité discutable,

les insultes ou la ségrégation dans les maternités sont les exemples plus fréquemment

constatés.

Le Centre Européen des Droits des Roms, par exemple, reporta de nombreux exemples d'abus

graves à l'égard des femmes roms - particulièrement vulnérables au moment de la grossesse et

de l'accouchement - et qui ont conduit à la mort après l'accouchement, causé des dommages

Discrimination, Londres mars 2002, page 87 dans lequel il est aussi précisé que :

« Given these cultural norms, it is not clear whether sexual assault would be considered as something to be disclosed to non-Roma: for instance a woman who has been raped can be considered as a source of shame for her family, or may be seen as a criminal or someone who has cooperated in the crime, so she might not report the crime to the police at all out of fear that her family or community will find out » ;

224 A. Kóczé, Missing Intersectionality – Race/Ethnicity, Gender, and Class in Current Research and Policies on Romani Women in Europe, Center for Policy Studies, Budapest 2009, page 41 ;

225 Commissaire aux droits de l'homme, Les droits de l’homme des Roms et des Gens du voyage en Europe - Extraits du rapport complet, Janvier 2012, page 11 ;

226 Asylum Aid, Romani Women from Central and Eastern Europe : A "Fourth World", or Experience of Multiple Discrimination, 2002 ; Center for Reproductive Rights, Poradňa pre občianske a l'udské práva, Body and Soul, Forced Sterilization and Other Assaults on Roma Reproductive Freedom in Slovakia, 2003 ;

227 Voir notamment le rapport publié par l'Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, Breaking the Barriers : Romani women's access to public health care, Office for Official Publications of the European Communities, Luxembourg 2003 ; et aussi E. Cukrowska, A. Kóczé, op. cit., pages 51 -54 ;

84

graves à leur santé ainsi qu’amené à la cessation de la capacité de reproduction de la femme à

travers la pratique des stérilisations forcées, une manifestation parmi les plus graves de la

discrimination raciale et de genre dont sont victimes encore à nos jours les femmes roms et

sur laquelle nous reviendrons ci-dessous (Chapitre IV).

Parmi les différents témoignages celui de F.A., une femme rom de 30 ans originaire de

Kumanovo, Macédoine est éloquent :

Mademoiselle F.A. a déclaré à le ERRC ses organisations partenaires que quatre ans

auparavant, elle avait vécu une grossesse difficile. Une nuit, les douleurs avaient été très fortes,

mais personne n'était venu l'aider. Elle avait demandé à l'infirmière de lui donner quelque chose

pour la soulager, mais celle-ci lui aurait répondu qu'elle se plaignait trop. Cette nuit-là, F.A. fit

une fausse couche.228

A la lumière des exemples reportés ci-dessus, il est évident que la situation des femmes roms

est particulièrement délicate. Comme les hommes roms, les femmes roms sont en effet

victimes de mêmes forces d'exclusion opérant dans les systèmes de soins de santé ainsi que

dans la plupart d'autres services publics.

Cependant, d'après une analyse plus rapprochée des rapports et des données disponibles, on se

rend vite compte que ces discriminations et violations ont un impact disproportionné sur les

femmes roms et cela en raison de plusieurs facteurs. Leur exclusion semble en effet être le

résultat d'une construction sociale et culturelle qui les marginalise parmi les marginalisés

grâce à une complexité d'interactions entre race, genre et classe sociale qui rend leur situation

unique.

§2 Entre race, genre et classe, un terrain propice pour la discrimination intersectionnelle

Les femmes roms sont victimes d'abus et de discriminations dans des nombreux

domaines. On pourrait penser que ces violations sont produites par les mêmes motifs et ont

sur elles le même impact que sur les hommes roms. Pourtant, comme il ressort dans le

paragraphe précèdent, la situation des femmes roms n'est pas toujours comparable à celle des

hommes roms.

228 European Roma Rights Centre, Ambulance not on the way – The Disgrace of Heath Care for Roma in Europe, Budapest septembre 2006, page 42 (traduit de l'anglais) ;

85

Du domaine de l'éducation à celui de l'emploi, en matière de santé ou en cas de violence, les

violations dont elles sont victimes ne peuvent se réduire à leur appartenance à la minorité

rom.

D'ailleurs, leur expérience ne peut pas non plus être reconduite exclusivement à celle des

femmes, leur identité de femme ne pouvant pas à elle seule rendre compte de nombreuses

violations de leurs droits, des motifs qui les ont déterminées ainsi que de leurs conséquences.

Quand il s'agit de l'éducation les femmes roms doivent se confronter non seulement aux

politiques discriminatoires qui prévoient la ségrégation scolaire des enfants roms mais

également aux normes traditionnelles qui les relèguent au foyer. De même, dans l'accès à

l'emploi, cet enchevêtrement de préjugés, d'anti-tsiganisme et de patriarcat limite les

opportunités des femmes roms d'avoir accès à un emploi, qualifié ou non, et d’être

rémunérées à la même auteur des non-Roms en général mais aussi des hommes roms. La

discrimination de la part des institutions à l'encontre des femmes roms a aussi un impact

particulier lors qu'il s'agit de violence domestique ou de viol de la part de non-Roms. Dans les

deux ordres de cas c'est l'interaction entre la race et le genre qui permet de comprendre la

nature et l'origine de ces phénomènes de violence mais aussi la condition dans laquelle les

femmes roms se trouvent et l'importance et la signification des réponses ou de l'inertie devant

à ces abus.

A ce sujet, frappant est le commentaire de la sociologue Angela Kóczé selon laquelle :

De la sexualisation du corps féminin dans la publicité au viol de masse comme arme de guerre,

le corps des femmes a été l’objet de processus d’exploitation, d’infériorisation ou de contrôle

des naissances, et victime de violences. De ce point de vue, le corps des femmes roms apparaît à

travers l’histoire européenne comme le lieu emblématique d’affrontement entre des discours

hégémoniques qui justifient son ‘altérité exotique’, son infériorité, de même que les inégalités

sociales et les hiérarchies de pouvoir fondées sur le genre ou d’autres formes d’altérité

physique.229

A la lumière de ce qui précède, il émerge donc que l'interaction entre les facteurs de race,

genre et classe sociale expose les femmes roms à des violations et à des abus auxquels ni les

hommes roms ni les femmes de la société majoritaire sont confrontés.

229 A. Kóczé, La stérilisation forcée des femmes roms dans l’Europe d’aujourd’hui, Cahiers du Genre 2011/1 (n° 50) ;

86

Les structures de prévarication et subordination auxquelles la race et le genre participent230

affectent leur vie de manière disproportionnée et l'isolement dans lequel elles sont placées a

de nombreux points de contact avec les expériences des femmes afro-américaines qui ont

théorisé aux Etats-Unis la notion de l'intersectionnalité et de la discrimination

intersectionnelle laquelle ne saura pas être ignorée ici.

Dans ce contexte en effet l'intersectionnalité permet de remettre au centre du débat des

questions qui restaient sans réponse dans l'ombre du « mouvement » rom et des mouvements

féministes pour plusieurs raisons parmi lesquelles, notamment, l'opportunité de ne pas

alimenter ultérieurement les préjugés et les stéréotypes sur la minorité rom, un des obstacles

principaux à la lutte pour l'égalité de cette minorité, ou de considérer la situation des femmes

roms une question rom dans laquelle il ne faut pas s'immiscer.

Les militantes roms sont conscientes de cette marginalité et du rôle que l'uniformisation au

sein des catégories données et construites de manière réciproquement exclusive a dans ce

procès d'exclusion. Dans leurs activités de plaidoyer elles font appel à la responsabilité de

nombreux acteurs231 et critiquent non seulement le mouvement global féministe et la

communauté internationale mais également le mouvement rom même pour ne pas prêter

suffisamment d'attention aux questions les concernant :

The work done by Romani women aimed at combating triple marginalization is not considered

"Romani politics". Nor is it given due respect as gender politics, since it deals with Romnia who

are considered Gypsies not women... .232

En outre elles condamnent le « dilemme de l'intersectionnalité »233, c'est-à-dire le devoir de

choisir entre leur race ou leur genre dans un contexte où ils sont construits de manière

réciproquement exclusive234 et n'hésitent pas dans leurs revendications et contributions à 230 Mais on pourrait ajouter d'autres facteurs comme le handicap, l’âge la classe sociale ou l'orientation

sexuelle ;231 C.I. Ravnbøl, op. cit., page 11 ;232 A. Oprea, Re-envisioning Social Justice from the Ground-Up : Including the Experiences of Romani Women,

1:1 Essex Human Rights Review (July 2004) p. 33 ;233 A. Oprea, The Arranged Marriage of Ana Maria Cioaba, Intra-Community Oppression and Roma Feminist

Ideals Trascending the 'Primitive Culture' Argument, European Journal of Women's Studies, 1350-5068 Vol. 12(2): 133 – 148, page 140 ;

234 A. Oprea, The Arranged Marriage of Ana Maria Cioaba, Intra-Community Oppression and Roma Feminist Ideals Trascending the 'Primitive Culture' Argument, European Journal of Women's Studies, 1350-5068 Vol. 12(2): 133 – 148. L'auteur souligne que : « There is a false dichotomy between women's rights and Romani-ness where they become construed as mutually exclusive, ultimately forcing Romani women to chose between their race and gender » (page 140) ;

87

souligner l’intérêt qu'une approche intersectionnelle aurait pour dépasser ce dilemme et

atteindre l'émancipation des femmes roms235.

Les résultats des recherches en matière exposent l'intersection des inégalités structurelles que

les femmes roms doivent affronter et soulignent l'importance d'une approche intersectionnelle

apte à prendre en compte et à redresser ces inégalités dans leur ensemble, non seulement pour

réduire la distance entre les Roms et les non-Roms mais également pour éliminer l'écart entre

les Roms eux-mêmes. A en bénéficier ne seraient alors pas que les femmes roms mais toute la

minorité rom, notamment les générations futures236.

Cette notion permettrait de reconnaître et de remédier aux dynamiques qui à travers le

sexisme et le racisme se renforcent mutuellement et opèrent simultanément dans celui qui est

le vécu quotidien de beaucoup de femmes roms.

L'exigence d’intégrer une telle approche dans l'analyse et le traitement des questions

auxquelles les femmes roms sont confrontées a été inclue dans la Stratégie pour la promotion

du statut des femmes roms en Europe élaborée lors de la Quatrième Conférence internationale

des femmes roms, en coopération avec le Conseil de l'Europe. Cette Stratégie met en avant

l’intégration des préoccupations et des priorités des femmes et des filles roms, à la fois dans

la politique et dans la pratique, par le biais de l’intégration des questions de genre dans les

politiques concernant les roms237.

Et si alors la valeur d'une analyse intersectionnelle des questions et discriminations qui

affligent les roms et notamment les femmes roms est indiscutable chez les activistes,

académiques et chercheuses qui s'intéressent à ces questions, quelle est la place de celle-ci

dans la pratique ? Les différents acteurs ont-ils réussi et ont-ils voulu s’approprier de

l'intersectionnalité et de la discrimination intersectionnelle afin de remédier aux inégalités des

femmes roms en Europe ?

Considérée par certains un exemple d'école en matière d'intersectionnalité, la pratique encore

actuelle des stérilisations forcées des femmes roms représente probablement le cas d'étude le

235 Voir entre autres les contributions d'Alexandra Oprea, Angela Kóczé et Nicoleta Bitu ;236 E. Cukrowska, A. Kóczé, Interplay between gender and ethnicity : Exposing Structural Disparities of

Romani women – Analysis of the UNDP/World Bank/EC regional Roma survey data, Roma Inclusion Working Papers, Bratislava 2013, page 9 ;

237 Conseil de l'Europe, 4e Conférence internationale des femmes roms 17-18 septembre 2013, Helsinki Rapport final ;

88

plus adapté pour répondre à ces questions.

89

CHAPITRE IV

Les stérilisations forcées des femmes roms et l’intersectionnalité

Du domaine de l'éducation à celui de l'emploi, en matière de santé ou en cas de violence, la

marginalisation dont les femmes roms sont victimes souvent ne peut pas s’expliquer

concentrant l’analyse exclusivement sur les motifs de discrimination sexuelle ou raciale.

Reprenant l’exemple de l’éducation, nombreux sont les obstacles à la scolarisation des filles

roms mais parmi ceux-ci nous ne retrouvons pas seulement le racisme et les stéréotypes qui y

sont liés mais également les pratiques culturelles ou l’ancrage des structures patriarcales. De

même, la violence sexuelle et domestique a l’égard des femmes roms ainsi que l’impunité qui

normalement accompagne ces crimes représentent des violations qui nécessitent une prise en

compte globale du phénomène si une réponse effective veut être trouvée.

Soulignées les similitudes entre l’expérience des femmes roms avec celle des femmes au nom

desquelles Kimberlé Crenshaw a théorisé l'intersectionnalité et rappelés le succès de cette

notion tant au niveau international qu'au niveau européen mais aussi les difficultés et les

opportunités que la discrimination intersectionnelle présente, dans ce dernier chapitre nous

essayerons de répondre aux questions que nous venons tout juste de poser à la fin du chapitre

précèdent à travers l’examen de la pratique des stérilisations forcées des femmes roms.

A cette fin, à l’introduction de la problématique et le rappel des principales dispositions

applicables dans ce domaine (Section I) suivra l’analyse des décisions qui ont été prononcées

à l’encontre des Etats défendeurs suite à la dénonciation par les victimes mêmes de cette

violation grave de leurs droits (Section II).

Section I Les stérilisations forcées et involontaires – une question intersectionnelle

La stérilisation forcée des femmes roms a fait la une des médias à plusieurs occasions. La

dernière fois il s’agissait de la proposition venant d’un groupe d’extrême-droite roumain qui

offrait de l’argent aux femmes roms en échange d’une preuve de stérilisation volontaire. Cette

pratique a toutefois une longue histoire. Dans cette section nous retracerons ici les principaux

évènements (§1) et analyserons ce qu’il est généralement entendu aujourd’hui par stérilisation

forcée ainsi que les principales dispositions qui interdisent cette pratique (§2).

90

§1 Les stérilisations forcées des femmes roms, un problème encore actuel

Au cours de la première moitié du XXe siècle un nombre considérable d’Etats

européens – et pas seulement l’Allemagne nazie – ont lancé des programmes souvent massifs

de stérilisation et de castration imposées de nature eugénique238. Cinq groupes de personnes

ont été particulièrement ciblés par ces politiques. Parmi eux se trouvent notamment les

femmes roms239.

Le régime nazi considérait les Roms comme un peuple malade. Comme l'indique l'expression

en vigueur à l'époque Zigeunerplage, c'est-à-dire la peste tzigane, les Roms étaient considérés

comme des inadaptés qui devaient être stérilisés « à titre prophylactique »240. Ce fut ainsi

qu'en 1933 une loi qui prévoyait la stérilisation forcée des Roms ainsi que d'autres catégories

d'indésirables fut adoptée. Avant d’être visés par une politique d'extermination radicale, les

Roms firent donc l'objet de stérilisations forcées, d’internement et de travail forcé.

La pratique des stérilisations forcées toutefois ne fut pas limitée et ne cessa pas avec la chute

du régime nazi et la célébration du procès de Nuremberg. Les femmes roms continuèrent à

être victimes de cette pratique à l'est du Rideau de fer ainsi que dans certains pays

démocratiques occidentaux.

En Suède, par exemple, des campagnes de stérilisation à grande échelle furent menées contre

ceux accusés d'entretenir un "mode de vie asocial".241 La législation suédoise relative à la

stérilisation eugénique a fait plus de 60 000 victimes entre 1935 et 1975 et, même s’il est vrai

que celle-ci n’autorisait pas l’usage de la force physique comme pendant le nazisme, les lois

eugéniques n’ont été abolies et remplacées par des lois de stérilisation reposant sur le libre

consentement qu’en 1967 et 1973 au Danemark, en 1975 en Suède et en 1977 en Norvège.

238 L'eugénisme est défini comme la « Théorie cherchant à opérer une sélection sur les collectivités humaines à partir des lois de la génétique. L'eugénisme fut conçu dans la seconde moitié du XIXe siècle par le scientifique britannique sir Francis Galton. Son utilisation par les nazis à des fins politiques, de même que la stérilisation forcée de certaines catégories d'individus, a conduit à de dangereuses dérives, que la communauté scientifique s'applique aujourd'hui à éviter, comme en témoignent le moratoire international qui, en 1974, a interrompu pendant 2 ans les recherches en génie génétique (Congrès international d'Asilomar, Californie) et le débat actuel sur la législation de la bioéthique – en particulier concernant l'utilisation des techniques de clonage » Encyclopédie Larousse ;

239 Les autres étant les délinquants sexuels condamnés, les personnes transgenres, les personnes handicapées et les personnes marginalisées, stigmatisées ou considérées comme incapable de se prendre en charge ;

240 A. Kóczé, La stérilisation forcée des femmes roms dans l’Europe d’aujourd’hui, Cahiers du Genre 2011/1 (n° 50) ;

241 G. Lewy, The Nazi persecution of the Gypsies, Oxford University Press, New York, 2000, page 39 ;91

Mais c'est surtout dans les pays de l'ex bloc soviétique que pendant mais aussi après la fin du

Communisme la pratique des stérilisations forcées à l'égard des femmes roms était très

répandue.

Dans l'ancienne Tchécoslovaquie la pratique des stérilisations forcées faisait partie d'une

politique officiellement menée par l'Etat. Un décret de 1971 entré en vigueur en 1972

permettait aux autorités publiques d'entreprendre des programmes visant à la stérilisations des

femmes roms et des femmes handicapées leur laissant la liberté de procéder aux stérilisations

sans garanties particulières et sans le consentement préalable des intéressées. En 1979 la

Tchécoslovaquie avait aussi financé un programme de primes visant surtout les femmes roms

afin de les persuader à se soumettre à la stérilisation et ainsi contrôler la population rom 242.

Les stérilisations forcées faisaient donc partie d'une politique publique à l'encontre des Roms

encouragée par le gouvernement Tchécoslovaque.

Comme reporté par la société civile, les recherches en la matière prouvent d'ailleurs que cette

pratique a continué bien après 1989 au moment de la transition vers la démocratie et après

1993 quand il y a eu la division du Pays dans les deux Républiques et l'abrogation de la loi

l'autorisant243.

C'est en 2003, avec la publication du rapport Body and Soul : Forced Sterilization and Other

Assaults on Roma Reproductive Freedom in Slovakia244 que la question a réussi à s'imposer

tant en Slovaquie que sur le plan international. Le rapport avait été publié au moment où la

Slovaquie et d'autres pays aussi concernés par cette pratique s'apprêtaient à adhérer à l'Union

Européenne et aux yeux des autorités slovaques ces dénonciations représentaient une menace

qui « justifiait » des tentatives de disqualification de la qualité du rapport ainsi que le recours

242 Selon le Défenseur des droits tchèque environ 90.000 femmes roms auraient été touchées par cette pratique entre le 1973 et le 1991 en application des politiques eugénistes poursuivies par la Tchécoslovaquie (Public Defender of Rights, Final Statement of the Public Defender of Rights in the Matter of Sterilizations Performed in Contravention of the Law and Proposed Remedial Measures, 2005) ;

243 European Roma Rights Centre, Country Profiles A Report By the European Roma Rights Centre, Budapest, July 2013, pages 26 - 28 ; I. Zoon, On the Margins : Slovakia-Roma and Public services in Slovakia, Open Society Foundations 2001 ; Voir également une Déclaration commune sur la question de la stérilisation illégale de femmes roms en Slovaquie, publiée le 22 juillet 2003 par Amnesty International, le Centre pour les droits reproductifs, le European Roma Rights Centre, Human Rights Watch, la Fédération internationale Helsinki pour les droits de l’homme, Konzorcium Urobme to, Ludia proti rasizmu, Poradna pre občianske a ludské práva et Slovensky helsinsky vybor ;

244 Center for Reproductive Rights, Poradňa pre občianske a l'udské práva, Body and Soul, Forced Sterilization and Other Assaults on Roma Reproductive Freedom in Slovakia, 2003 ;

92

à l'intimidation et au harcèlement contre les femmes ayant porté plainte et leurs avocats. 245

Le rapport témoignait d'une pratique encore largement diffuse et tolérée par les autorités et

avait conclu que de très nombreuses violations des droits fondamentaux des femmes roms,

notamment les droits en matière de santé reproductive y compris des stérilisations imposées

de manière physique ou morale, avaient été commises en Slovaquie orientale. Il faisait

notamment état des pratiques discriminantes à leur encontre dans les hôpitaux publics ainsi

que de 110 cas de stérilisations forcées pratiquées sur des femmes roms après la fin du

Communisme.

Dans un grand nombre de cas, il s'agissait de stérilisations effectuées au moment de

l'accouchement et pour lesquelles les médecins et les infirmières avaient obtenu le

consentement des femmes concernées quand elles étaient sous les effets de l'anesthésie et en

fournissant des informations erronées, incomplètes ou trompeuses sur l'opération et ses

conséquences. C'est le cas d'une jeune femme rom de 22 ans qui raconta

The doctor told me that if I had a cesarean a third time, then I would die. The doctors and nurses

kept repeating this to me. I said that I was young and that I wanted more children. The doctor

kept reminding me that when they take me to surgery, they will ligate me. I was in great pain at

that time … . I agreed because I was scared. I had a baby boy at home, my husband works, my

mother is ill. I had to make it home. I thought maybe I could have a third child, but then I

thought I would die and I cried ... and thought how could I abandon my boy and my new baby

girl.246

Le rapport a eu un écho important et suite à sa publication la question a bénéficié d’une

attention accrue au sein de forums internationaux.

Le Commissaire des Droits de l'Homme, estimant les allégations crédibles, a jugé important

adresser des recommandations à la Slovaquie sur la question. En particulier, le Commissaire

exhorta le gouvernement slovaque à accepter ses responsabilités pour n’avoir pas fait en sorte

que toute stérilisation soit subordonnée au consentement libre et éclairé des intéressées et à

s’engager à offrir des voies de recours rapides, efficaces et équitables aux victimes de ces

pratiques247.245 A. Kóczé, La stérilisation forcée des femmes roms dans l’Europe d’aujourd’hui, Cahiers du Genre 2011/1

(n° 50) 133 -152 ;246 Center for Reproductive Rights, Poradňa pre občianske a l'udské práva, Body and Soul, Forced Sterilization

and Other Assaults on Roma Reproductive Freedom in Slovakia, 2003, page 53 ;247 Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Recommandation du Commissaire aux Droits

93

De sa part, le Comité des Droits de l'Homme, dans les observations conclusives adressées au

gouvernement slovaque lors de l'examen périodique exprimait sa préoccupation par rapport

aux informations relatives aux cas des stérilisations forcées à l'égard des femmes roms et

indiquait que

l'Etat partie devrait adopter toutes les mesures nécessaires pour enquêter sur tous les cas

allégués de stérilisation contrainte ou forcée, en diffuser les résultats, assurer aux victimes des

recours effectifs et empêcher toute stérilisation en l’absence d’un libre consentement en pleine

connaissance de cause.248

En outre, suite à la publication de ce rapport d'autres organisations non gouvernementales se

sont intéressées à la question et les divers rapports publiés à ce sujet ont montré que cette

problématique n'intéressait pas exclusivement la Slovaquie mais également d'autres pays

comme notamment la République Tchèque et la Hongrie où les pratiques des stérilisations

forcées à l'égard des femmes roms se perpétuaient nonobstant les engagements et les

obligations découlant du droit national, communautaire et international249.

En République Tchèque il semble que cette pratique ait continué au moins jusqu'en 2007 et à

ce jour les victimes essaient encore d'obtenir justice250.

En 2004, par exemple, dix femmes avaient déposé un recours auprès du Défendeur des droits

tchèque alléguant qu'elles avaient été stérilisées sans leur consentement. Environ 70 autres

avaient fait le même dans l'année qui a suivi. Suite à ces plaintes, le Défenseur des droit a

effectué une enquête et publié un rapport en 2005 dans lequel il reconnaissait l'existence de

cette pratique et il formulait des recommandations afin de remédier à ces violations. En outre,

des 80 cas environ qui lui avaient été reportés, le Défenseur des droits en avait déférés 54 au

de l'Homme relative à certains aspects de la loi et de la pratique concernant la stérilisation des femmes en République slovaque, Strasbourg, 17 octobre 2003 CommDH(2003)12 ;

248 Comité des Droits de l'Homme, Observations finales du Comité des droits de l’homme Slovaquie, CCPR/CO/78/SVK, 22 août 2003 § 12 ;

249 Voir European Roma Rights Centre, Ambulance not on the way – The Disgrace of Heath Care for Roma in Europe, Budapest septembre 2006 . Des cas de stérilisations forcées à l'égard des femmes roms ont été aussi reportés en Roumanie et Bulgarie. Cependant, il semblerait s'agir de cas isolés : E. K. Tomasovic, Robbed of Repruductive Justice : the Necessity of a Global Initiative to Provide Redress to Roma Women Coercively Sterilized in Eastern Europe, Columbia Human Rights Law Review [41:765 2010] ;

250 Les estimations du Conseil des droits de l'homme tchèque oscillent entre une cinquantaine et des milliers des cas (sur la base des données concernant la Suède) des femmes victimes de cette pratique. Voir Human Rights Council, Recommendation related to the sterilization of women executed in the Czech Republic in breach with the law, 2012, disponible en tchèque à la page internet: http://www.vlada.cz/cz/ppov/rlp/cinnost-rady/zasedanirady/zasedani-rady-dne-17—unora-2012-98737/;

94

Procureur général afin que des enquêtes soient effectuées, les faits vérifiés et les éventuels

crimes punis. Dans certains cas les victimes avaient aussi tenté d'obtenir réparation de ces

violations en saisissant les juridictions civiles. Dans tous les cas, les résultats ont été

insatisfaisants251.

En novembre 2009 les autorités tchèques ont reconnu qu'il y a eu des cas de stérilisations

forcées et s'en sont excusées officiellement. Cependant, en dépit des conclusions du

Défenseurs des droits selon qui les stérilisations forcées ont été encouragées par la politique

de l'Etat et des insistances de la part de la communauté internationale afin que le

gouvernement tchèque prenne des mesures urgentes pour enquêter sur l'étendue de la pratique

des stérilisations forcées et établisse un mécanisme de compensation252, ce dernier a toujours

nié l'existence d'une pratique systématique de stérilisations à l'égard des femmes roms et des

femmes handicapées et hésité à adopter des mesures convaincantes et effectives pour établir

un mécanisme de compensation concernant les victimes des stérilisations forcées.

Si en effet la loi actuellement applicable en la matière entoure le consentement pour les

opérations de stérilisation et castration d'un certain nombre de garanties qui devraient limiter

251 M. Kopalová, Coercitive Sterilisation in Czech Republic : Civil and Criminal Law Aspects, Roma Rights Quaterly 4, 2006, pages 27 – 29. L'auteur, avocate qui avait représenté ces femmes devant les juridictions civiles, indique que les cas qui avaient été portés à l'attention du Parquet avaient été classés sans suite et critique la position prise par le Procureur Général qui publia des lignes guide dans lesquelles il clarifiait qu'une opération médicale poursuivant un but de santé et effectuée sans le consentement de la personne concernée ne constitue pas un crime si elle a été réalisée lege artis. Selon elle les stérilisations forcées à l'encontre de ses clientes n'avaient pas un but curatif mais avaient été effectuées aux seuls fins contraceptifs.

252 Voir entre autre Comité CEDEF, Observations finales République Tchèque, U.N. Doc. CEDAW/C/CZE/CO/3 (2006) § 23 et U.N. Doc. CEDAW/C/CZE/CO/5 (2010) §§ 34 et 35 ; Comité CEDR, Observations finales République Tchèque, U.N. Doc. CERD/C/CZE/CO/7 (2007) § 14 et U.N. Doc. CERD/C/CZE/CO/8-9 (2011) § 19 ; Comité des Droits de l'Homme, Observations finales République Tchèque, U.N. Doc CCPR/C/CZE/CO/2 (2007) § 10 et U.N. Doc. CCPR/C/CZE/CO/3 (2013) § 11 ; ECRI, Rapport de l'ECRI sur la République Tchèque, CRI(2009)30.

En 2010, le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe s'était aussi prononcé sur la question suite à sa visite en République Tchèque. En particulier, le Commissaire s'était félicité de l'expression de regrets du gouvernement tchèque en novembre 2009 pour stérilisations illégales de femmes, un phénomène qui a touché les femmes roms en particulier et noté toutefois que la plupart des recommandations formulées par le Défenseur des droits tchèque en 2005, quand il a enquêté sur la question, restent à mettre en œuvre. Il estimait particulièrement injuste que les femmes touchées par cette pratique sont actuellement sans un recours effectif pour obtenir réparation, y compris une indemnisation, une situation qui devrait être corrigée de toute urgence en conformité avec les normes du droit international (voir Report by Thomas Hammarberg, Commissioner for Human Rights of the Council of Europe, following his visit to the Czech Republic from 17 to 19 November 2010, Strasbourg 2011).

En mars 2014, par exemple, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les Droits de l'Homme, Navanethem Pillay avait écrit au gouvernement tchèque en leur demandant de faire rapport sur les garanties établies et des mesures compensatoires concernant les victimes de stérilisation forcée (voir European Roma Rights Centre, Mental Disability Advocacy Center, Platform for Social Housing, Written comments for consideration by the United Nations Committee on the Elimination of Racial Discrimination, at its 87th Session (3-28 August 2015) ;

95

les cas de stérilisation forcée et involontaire, le délai de prescription pour ester en justice, qui

est de trois ans et qui court du moment où la personne a connaissance de la stérilisation,

empêche à la majorité des victimes d'intenter des poursuites civiles en dommages-intérêts253.

À ce jour, il y a eu seulement trois affaires dans lesquelles les femmes stérilisées ont été

financièrement compensées, tous les trois seulement après que les affaires avaient été portées

devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme254.

Enfin, en Hongrie aussi, même si dans des proportions inférieures, les femmes roms ont été

victimes de cette pratique surtout au moment de l'accouchement quand elles se trouvaient à

devoir choisir si se soumettre à une opération chirurgicale irréversible sur la base

d'informations souvent incomplètes ou trompeuses. Cependant, il faut noter qu'il n'y a pas de

données officielles en la matière255.

A ce jour, deux cas de femmes roms qui ont été stérilisées en Hongrie sans leur consentement

ont été rendus publiques et portés à l'attention de la communauté internationale.

Le premier de deux concerne une affaire dont les faits remontent à 2001 et qui a été portée

devant le Comité CEDEF lequel a constaté des violations des droits de l'auteur de la

communication en vertu des articles 10 (h), 12 et 16, paragraphe 1 (e), de la Convention, à

savoir les obligations de l’État de fournir l’information et les conseils relatifs à la

planification de la famille, et de s’assurer de l’obtention de son consentement plein et éclairé

pour procéder à la stérilisation et à la privation permanente du cycle reproductif. À titre de

réparation, le Comité avait demandé, notamment, une indemnisation et des modifications de

253 Voir European Roma Rights Centre, Mental Disability Advocacy Center, Platform for Social Housing, Written comments for consideration by the United Nations Committee on the Elimination of Racial Discrimination, at its 87th Session (3-28 August 2015) ;

254 Il s'agit de : Cour EDH Ferenčíková c. République Tchèque, Req. n° 21826/10 ; Cour EDH Červeňáková c. République Tchèque, Req. n° 26852/09; R.K. c. République Tchèque, Req. n° 7883/08 ;

255 Immigration and Refugee Board of Canada, Hungary: Reports of the forced sterilization of women (2000-2011), 4 November 2011 disponible sur le site internet http://www.refworld.org/docid/4f9695202.htm. Dans ce rapport il est reporté que dans des échanges entre la Direction des recherches, le commissaire parlementaire pour les droits des minorités nationales et ethniques de la République de Hongrie a déclaré que son bureau n'a pas accès aux statistique sur la stérilisation de femmes roms et que les plaintes déposées par des femmes roms auprès du Défenseur des droits hongrois «rarement» font référence à la pratique. Selon le même rapport, le commissaire parlementaire a en outre déclaré qu'il n'avait pas à l'époque connaissance de cas de victimes cherchant de soutien après avoir subi la stérilisation forcée. Enfin, ledit rapport indique que dans une autre correspondance, le directeur général du Service de la justice au Ministère de l'Administration Publique et de la Justice hongrois a déclaré que la stérilisation forcée en Hongrie est un «crime» et qu'il n'y a et il n'y avait pas des politiques d'Etat visant à promouvoir cette pratique ;

Livia Jaroka, membre du Parlement Européen, dans un communiqué de presse de 2010 rappelle que de nombreuses femmes roms ont subi cette pratique et que même si les Etats nient y avait fait recours depuis 2004, quand la problématique avait été reconnue officiellement pour la première fois, de nombreux activistes continuaient à reporter des cas. Disponible ici en anglais : http://romove.radio.cz/en/article/23135 ;

96

la législation256.

Le deuxième cas a été porté devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme laquelle a

rendu très récemment une décision257 où elle a déclaré inadmissible la requête d'une femme

qui, enceinte de deux jumeaux, avait été admise à l'hôpital pour un accouchement d'urgence.

Les médecins avaient constaté que la césarienne était nécessaire en raison des saignements

abondants et, apparemment258 sur demande de la requérante, avaient procédé à l'opération de

stérilisation, sans pourtant respecter la procédure ordinaire pour ce genre d'opérations qui

prévoit une requête écrite de la part de l'intéressée. La Cour a rejeté la requête de Madame

G.H. car elle a estimé que la requérante n'avait pas le statut de victime. Pour la Cour il ne

s'était pas agi d'un cas de stérilisation forcée ou involontaire car elle était parfaitement et

clairement informée de la procédure à laquelle elle allait à l'encontre et qu'elle aurait même

demandé.

Enfin, il faut souligner que lors du dernier Examen périodique universel qui a eu lieu en 2011,

dans le rapport résumant les communications des parties prenantes, le Haut-Commissariat aux

droits de l'homme reporte que :

la stérilisation forcée des femmes roms est toujours un problème et signalent que la Hongrie n’a

pas appliqué pleinement les recommandations que lui avait faites le Comité pour l’élimination

de la discrimination à l’égard des femmes dans sa décision de 2006, dans laquelle il a conclu à

une violation par la Hongrie de la Convention dans l’affaire A. S. c. Hongrie, concernant le cas

d’une femme rom soumise à une stérilisation pour laquelle elle n’avait pas donné son

consentement en connaissance de cause. L’ECRI formule des observations analogues et

demande instamment à la Hongrie d’appliquer les recommandations du Comité pour

l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et d’abroger les dispositions législatives

qui autorisent la pratique d’une stérilisation «d’urgence» en l’absence du consentement éclairé

de l’intéressée.259

256 Comité CEDEF, A.S. c. Hongrie 14 août 2006, comm. No 4/2004. Au point 11.5 II le Comité recommande notamment une réforme de la législation hongroise en matière de consentement éclairé dans des cas de stérilisation afin d'assurer le respect des standards internationaux en matière y compris la Convention de la Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la biomédecine et les lignes directrices de l'Organisation mondiale de la Santé. Le Comité insiste sur la nécessité de modifier la disposition de loi sur la santé publique qui autorise les médecins à procéder aux stérilisations sans consentement de l'intéressé dès lors qu'il le semble appropriée dans des circonstances données ;

257 Cour EDH, G.H. c. Hongrie, 9 juin 2015, Req. n° 54041/14 ;258 La version de la requérante et du Gouvernement diffèrent sur ce point car G.H. ne se souvient pas d'avoir fait

cette demande ;259 Conseil des Droits de l'Homme, Groupe de travail sur l’Examen périodique universel Onzième session

Genève, 2-13 mai 2011, Résumé établi par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme conformément au paragraphe 15 c) de l’annexe à la résolution 5/1 du Conseil des droits de l’homme, UN Doc. A/HRC/WG.6/11/HUN/3 ;

97

Il ressort de ce qui précède que les stérilisations et les castrations imposées n’appartiennent

pas au passé et que cette pratique a continué à être pratiquée jusqu'à nos jours de manière plus

ou moins étendue et officielle dans les Pays de l'Europe de l'est et de l'Europe centrale. De

plus, même si les hommes peuvent être aussi touchés, il ressort que

les femmes en sont beaucoup plus souvent victimes du fait de situations de vulnérabilité

inhérentes à leur condition de femme, comme à l’occasion d’un accouchement par exemple, qui

les exposent davantage à des stérilisations sans consentement. Tout comme par le passé, ce sont

les groupes de population marginalisés, moins bien protégés, qui sont les plus fréquemment visés

par les campagnes de stérilisation.260

La pratique des stérilisations forcées viole un nombre considérable de droits fondamentaux.

Dans le paragraphe suivant les principales dispositions relevantes dans ce domaine seront

rappelées et l'opportunité d'une approche intersectionnelle de ces violations sera analysée.

§2 Les dispositions applicables - Une question intersectionnelle

Les stérilisations forcées sont aujourd'hui considérées comme un cas flagrant de

violation des droits de l'homme. Les personnes victimes de stérilisations forcées sont touchées

dans leur dignité, dans leur personnalité et dans leur intégrité physique et psychologique. Par

cette pratique elles ont été privées de leurs droits fondamentaux à décider librement de leur

corps, de leur droit de décider du nombre et de l'espacement des naissances.

Avant d'examiner les principales conventions et instruments pertinents il est toutefois

nécessaire de définir ce qu'on entend par stérilisation forcée. A cette fin c'est notamment sur la

notion de consentement qu'il faut s'interroger.

Par stérilisations forcées il est entendu une méthode de contraception qui prévoit une

opération chirurgicale qui chez les femmes consiste dans la ligatures des trompes de Fallope

et qui est effectuée contre la volonté ou à l'insu de l'intéressée. Toute personne qui s’apprête à

effectuer ce genre d'opération devrait être informée de sa nature, des modalités de l'opération

mais aussi des conséquences (notamment son caractère irréversible) et les techniques

260 Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe, Mettre fin aux stérilisations et aux castrations forcées Rapport de la Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, Strasbourg avril 2013, § 11 ;

98

contraceptives alternatives. Si l'opération est effectuée sans que la personne ait été informée

de manière claire et précise on peut parler de stérilisation involontaire. Le terme

« stérilisations forcées » comprend donc généralement deux ordres des cas : les stérilisations

forcées strictu sensu (forced sterilizations) et les stérilisations involontaires (coerced

sterilizations) dans lesquelles s'inscrivent les hypothèses où les personnes sont induites à

procéder à l'opération sur la base d'informations trompeuses, erronées ou techniques

intimidatrices ou, encore, elles perçoivent des aides sociales, primes ou bénéficient de

certains services sinon exclus261.

Il ressort donc de ce qui précède qu'on parle de stérilisations forcées quand celles-ci sont

effectuées en violation du principe du consentement libre et éclairé qui est à la base des droits

du patient. Ce principe est protégé directement ou indirectement par un certain nombre

d'instruments de protection des droits de l'homme, notamment en relation au respect du droit à

la santé, du droit à l'intégrité physique et de l'interdiction des traitements inhumains et

dégradants.

Une fois donc définie la notion de stérilisation forcée qui, comme vu, se fonde sur

l'interprétation de la notion de consentement libre et éclairé, il est opportun de rappeler, bien

que très brièvement, les principaux instruments de protection des droits de l'homme relevant

en la matière.

Le droit international et européen des droits de l'homme contient en effet un nombre

important de dispositions qui protègent les individus contre la pratique des stérilisations

forcées et qui imposent aux Etats non seulement de s'abstenir de toute violation de ces normes

mais également de mettre en œuvre des mesures positives afin de protéger les individus

contre les éventuelles violations de la part de sujets privés.

Sur le plan international, on peut mentionner le Pacte international relatif aux droits civils et

politiques qui interdit à l'article 7 la torture et les traitements inhumains et dégradants ; le

Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui sanctionne à

l'article 12 le droit à la santé ; la Convention sur l'élimination de toutes les formes de

discrimination à l'égard des femmes qui à la lumière des articles 10(h), 12 et 16(e)262 est un

261 Voir par exemple le Projet de résolution de la Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable du Conseil de l'Europe, Mettre fin aux stérilisations et aux castrations forcées, Strasbourg 25 avril 2013 ; Open Society Foundations, Against her will. Forced and coerced sterilization of women worldwide, 2011 ;

262 Les stérilisations effectuées sans le consentement libre et éclairé de l'intéressée violent l'article 10(h) qui 99

des instruments les plus importants dans la lutte contre ces pratiques très graves et la

Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains

ou dégradants263.

La pertinence de ces instruments et relatives dispositions est confirmée par un certain nombre

d'observations et recommandations générales des comités onusiens compétents à veiller au

respect desdits instruments comme par exemple le Comité DESC et le Comité CEDEF. Dans

son Observation générale n° 14, le Comité DESC explique que

Le droit à la santé ne saurait se comprendre comme le droit d'être en bonne santé. Le droit à la

santé suppose à la fois des libertés et des droits. Les libertés comprennent le droit de l'être

humain de contrôler sa propre santé et son propre corps, y compris le droit à la liberté sexuelle

et génésique, ainsi que le droit à l'intégrité, notamment le droit de ne pas être soumis à la torture

et de ne pas être soumis sans son consentement à un traitement ou une expérience médicale.

D'autre part, les droits comprennent le droit d'accès à un système de protection de la santé qui

garantisse à chacun, sur un pied d'égalité la possibilité de jouir du meilleur état de santé

possible.264

De son côté, le Comité CEDEF, lequel s'était déjà penché sur cette question265, dans la

Recommandation générale n° 24 relative à l'article 12 concernant le droit à la santé des

femmes, affirme que l’accès aux soins de santé, notamment en matière de reproduction, est un

impose aux Etats parties d'assurer « L’accès à des renseignements spécifiques d’ordre éducatif tendant à assurer la santé et le bien-être des familles, y compris l’information et des conseils relatifs à la planification de la famille ». Ces pratiques remettent en question également le respect de l'article 12 qui prévoit que « les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine des soins de santé en vue de leur assurer, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, les moyens d’accéder aux services médicaux, y compris ceux qui concernent la planification de la famille » et l'article 16(e) qui vise à garantir aux femmes « les mêmes droits de décider librement et en toute connaissance de cause du nombre et de l’espacement des naissances et d’avoir accès aux informations, à l’éducation et aux moyens nécessaires pour leur permettre d’exercer ces droits » ;

263 Il semble aussi opportun de souligner que la pratique des stérilisations forcées fait partie des crimes les plus horribles et outre à être expressément sanctionnée par le Statut de Rome en tant que crime contre l'humanité (art. 7.1(g)), peuvent révéler aussi du crime de génocide au sens de l'art. 6 d (mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe) ;

264 Comité DESC, Observation générale 14, Le droit au meilleur état de santé susceptible d'être atteint(art. 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), U.N. Doc. E/C.12/2000/4 (2000) § 8 ;

265 Comité CEDEF, Recommandation générale n° 21, Egalité dans le mariage et les rapports familiaux (1994), § 22 dans lequel il est précisé que « Certains rapports font état de pratiques coercitives qui ont de graves conséquences pour les femmes, telles que la procréation, l'avortement ou la stérilisation forcés. La décision d'avoir ou non des enfants, même si elle doit de préférence être prise en consultation avec le conjoint ou le partenaire, ne peut toutefois être limitée par le conjoint, un parent, le partenaire ou l'Etat. Pour pouvoir décider en connaissance de cause d'avoir recours à des mesures de contraception sans danger et efficaces, les femmes doivent être informées des moyens de contraception et de leur utilisation et avoir un accès garanti à l'éducation sexuelle et aux services de planification de la famille, comme le prévoit le paragraphe h) de l'article 10 de la Convention » ;

100

droit fondamental et que

Les États parties devraient aussi rendre compte des mesures prises pour garantir l’accès à des

services de santé de qualité, par exemple en veillant à ce qu’ils soient acceptables par les

femmes. Un service est acceptable lorsque l’on s’assure que la femme donne son consentement

en connaissance de cause, que l’on respecte sa dignité, que l’on garantit la confidentialité et que

l’on tient compte de ses besoins et de ses perspectives. Les États parties ne devraient autoriser

aucune forme de coercition, notamment la stérilisation non consensuelle, le dépistage

obligatoire des maladies sexuellement transmissibles et les tests de grossesse obligatoires

comme condition d’emploi, autant de pratiques qui violent le droit des femmes à la dignité et

leur droit de donner leur consentement en pleine connaissance de cause.266

En outre, la pratique des stérilisations forcées relève aussi du droit au respect de l'intégrité

physique et à l’auto-détermination de l'individu. A ce propos, le Comité des Droits de

l'Homme, dans sa Recommandation générale n° 28, considère les stérilisations forcées

comme des traitements qui violent l'article 7 du Pacte qui interdit la torture et les autres

traitements inhumains et dégradants, ainsi que les expériences médicales ou scientifiques sans

le libre consentement de la personne267.

Enfin, il faut aussi rappeler que d'autres documents des organes des Nations Unies se sont

penchés sur cette problématique. Il s'agit notamment de la Déclaration et Programme d'action

de Beijing268 et de la Déclaration de la Conférence mondiale contre le racisme, la

discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée269 ainsi que de la

Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes270 et le Rapport sur les

politiques et pratiques qui ont un impact sur les droits reproductifs des femmes et qui

contribuent, causent ou constituent une violence à l'égard des femmes du Rapporteur Spécial

chargé de la question de la violence contre les femmes, ses causes et conséquences271. 266 Comité CEDEF, Recommandation générale n° 24, Article 12 de la Convention sur l’élimination de toutes les

formes de discrimination à l’égard des femmes - Les femmes et la santé (1999), § 22 ;267 Comité des Droits de l'Homme, Recommandation générale n° 28, Article 3 (Égalité des droits entre hommes

et femmes), UN Doc. HRI/GEN/1/Rev.9 (Vol. I) § 11 ;268 Déclaration et Programme d’action de Beijing, Quatrième Conférence mondiale sur les femmes, Déclaration

de Beijing, Annex I disponible ici : http://www.un.org/womenwatch/daw/beijing/pdf/BDPfA%20F.pdf ;269 Programme of Action, Final Report of the World Conference against Racism, Racial Discrimination,

Xenophobia, and Related Intolerance, Durban, 31 août – 8 septembre 2001, UN Doc. A/CONF.189/12 (2001) ;

270 Declaration on the Elimination of Violence against Women, G.A. Res, 48/104, U.N. GAOR, 48 th Sess., Supp. No. 49, at 217, UN Doc. A/48/49 (1993) ;

271 Report of the Special Rapporteur on violence against women, its causes and consequences, Ms. Radhika Coomaraswamy, in accordance with Commission on Human Rights resolution 1997/44, Addendum : Policies and practices that impact women’s reproductive rights and contribute to, cause or constitute violence against women, Commission des droits de l'homme, 55ème séance, U.N. Doc. E/CN.4/1999/68/Add.4 21 janvier 1999 ;

101

Récemment, enfin, le Rapporteur spécial sur la torture a réitéré que la stérilisation coercitive

ou forcée est contraire au respect de l’intégrité physique de la personne, est un acte de

violence, une forme de contrôle social et une violation du droit de ne pas être soumis à la

torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et il a souligné la

nécessité de sauvegarder le consentement éclairé des femmes issues des minorités ethniques

et raciales272.

Bien qu'ils n'aient pas un caractère contraignant, ces documents contiennent des indications

précieuses sur l'interprétation qui doit être faite des standards et obligations qui pèsent sur les

Etats parties aux différentes conventions citées supra. Il suffira ici de rappeler que la

Déclaration et Programme d'action de Beijing indique expressément que les stérilisations

forcées constituent une forme de violence à l'égard des femmes et que ce sont surtout certains

groupes de femmes, dont les femmes appartenant à des minorités ou à des populations

autochtones, les réfugiées, les migrantes, les femmes pauvres vivant dans des communautés

rurales ou isolées, les handicapées à être particulièrement vulnérables273.

Outre aux principaux instruments internationaux qu'on vient de rappeler, en Europe il faudra

aussi tenir compte de la Convention Européenne des Droits de l'Homme - et de l'interprétation

de celle-ci par la Cour Européenne des Droits de l'Homme - qui interdit à l'article 3 la torture

et les traitements inhumains et dégradants et qui, au sens de l'article 8, protège la vie privée et

familiale ; de la Charte sociale européenne et la Charte sociale européenne révisée (art. 11)

ainsi que de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne dont l'article 3 (Droit à

l'intégrité de la personne) dispose que dans le cadre de la médecine et de la biologie, doivent

notamment être respectés le consentement libre et éclairé de la personne concernée 274.

Là aussi, bien que les interprètes principaux de ces instruments soient respectivement la Cour

Européenne des Droits de l'Homme, le Comité européen des droits sociaux et la Cour de

Justice de l'Union Européenne, le travail d'autres organes, comme le Comité des Ministres ou

l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et la Commission Européenne et le

272 Juan E. Méndez, Rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 2013, U.N. Doc. A/HRC/22/53, § 48 ;

273 Déclaration et Programme d’action de Beijing, Quatrième Conférence mondiale sur les femmes, Déclaration de Beijing, Annex I, §§ 115-116 ;

274 La Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine est aussi pertinente. L'article 5, en matière de libre consentement, dispose en tant que règle générale qu' « une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu'après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé. Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l'intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques. La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. » ;

102

Parlement Européen de l'Union Européenne peuvent jouer un rôle important dans

l'interprétation et l'évolution des standards et obligations applicables en la matière.

Par exemple, la Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

du Conseil de l'Europe dans le projet de résolution « Mettre fin aux stérilisations et aux

castrations forcées » offre des indications utiles pour la compréhension de la notion de

« coercition » affirmant que

la notion de « coercition » est en train d’évoluer en droit relatif aux droits humains, en partant

de la définition de l’absence de consentement libre et éclairé. C’est pourquoi, lorsqu’il est

ostensiblement donné – même par écrit - le consentement n’est pas valide si la victime a fait

l’objet de désinformation, d’intimidations ou de manipulations au moyen d’incitations

financières ou autres. De nouveaux concepts comme « stérilisation imposée sous contrainte

affective » et « pressions portant atteinte à l’autonomie du patient » sont en train d’apparaître.

Certains de ces concepts vont jusqu’à considérer la coercition comme l’absence de liberté face à

tout biais introduit consciemment ou non par des soignants et l’inégalité de pouvoir dans les

rapports entre patient et soignant qui peut affecter la liberté de prendre des décisions, par

exemple chez les personnes qui ne sont pas accoutumées à l’idée de s’opposer à des personnes

en position d’autorité275.

Or, il ressort de ce qui précède que cette pratique représente une ingérence majeure dans l’état

de santé reproductive d’une personne en ouverte violation du droit international et européen

des droits de l'homme.

Cependant, quand les stérilisations forcées touchent de manière systématique ou visent

directement ou indirectement un groupe spécifique de la population, comme dans le cas des

femmes roms, ces violations acquièrent une dimension particulière et les dispositions qu'on

vient de rappeler ci-dessus ne suffisent plus à elles seules à donner une représentation fidèle et

précise de la violation et des mesures nécessaires pour y remédier.

C'est alors le droit anti-discriminatoire qui peut venir au secours. En effet, une analyse qui ne

prend pas en compte le caractère discriminatoire de la violation ne pourra pas mettre en

lumière les raisons et les facteurs qui sont à l'origine de la violation et, conséquemment, ne

pourra qu'offrir une réponse partielle et insatisfaisante à la demande de justice formulée par

les victimes de telles pratiques.

275 Projet de résolution de la Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable du Conseil de l'Europe, Mettre fin aux stérilisations et aux castrations forcées, Strasbourg 25 avril 2013 ;

103

Mais encore, s'il est vrai que ce sont les femmes qui sont disproportionnellement touchées par

cette pratique, de quelles femmes parlons-nous exactement ? Il s'agit d'une question de justice

substantielle liée également à la nécessité de rechercher des remèdes aptes à mettre fin à des

pratiques illégitimes qui ne peuvent pas être lues de manière isolée ou individuelle mais

doivent être considérées dans le contexte dans lequel elles sont perpétuées.

C'est dans ce cadre que le débat et les questions inhérentes à l'opportunité et les obstacles d'un

recours à la discrimination intersectionnelle s'inscrivent car, s'il est vrai qu'en générale les

femmes sont plus susceptibles d’être victimes de ce genre de pratique, il est aussi vrai que ce

sont surtout certaines catégories de femmes qui sont touchées276.

Comme reporté supra, à titre d'exemple, en Tchécoslovaquie la politique des stérilisations

forcées visait spécifiquement les femmes handicapées et les femmes roms pour lesquelles, en

plus, le gouvernement avait aussi prévu des primes pour les inciter à recourir à cette pratique

visant à contrôler le taux des naissances des "indésirables".

A travers une analyse du contexte dans lequel la violation a été perpétuée les axes de

domination qui pèsent sur la victime de la violation – en l'espèce les stérilisations forcées –

pourront être identifiés et les facteurs, sur la base desquels le traitement discriminatoire a eu

lieu, appréhendés. Il pourra s'agir du résultat d'une violation de l'interdiction de toute

discrimination à l'égard des femmes mais également, à la lumière des faits et à titre indicatif,

celui d'un traitement discriminatoire fondé sur des raisons raciales, ethniques, religieuses, ou

relatives à l'orientation sexuelle de la victime ou encore en raison de le handicap de celle-ci

ou une combinaison de ces facteurs.

Comme indiqué dans le rapport de la Conférence de Durban,

en tant que membre de la communauté Tzigane,[la femme] bénéficie de peu d'appuis et est

l'objet d'une hostilité constante. Au sein de sa communauté, elle est marginalisée en raison de

son statut minorisé et au sein de sa famille, en raison de son genre. La même chose peut être dite

d'une femme aborigène vivant en Australie, d'une femme Dalit vivant en Inde ou d'une femme

276 Cela, de manière plus générale, est particulièrement évident quand le corps de la femme devient un territoire de conquête et de guerre lors des conflits armés comme l'a été au Rwanda ou en ex-Yougoslavie. Voir C. A. Mackinnon, Intersectionality : Theorizing Power, Empowering Theory, Signs (2013) Vol. 38 No 4, pages 1019 – 1030 qui cite le rôle de cette approche dans l'appréciation du génocide en ex-Yougoslavie dans l'affaire Kadic c. Karadžić (70 F.3d 232 (2d Cir. 1995) ;

104

demandeur d'asile en Grande-Bretagne. Ces femmes vivent au croisement de la discrimination

raciale et de genre277.

Par conséquent, comme le suggère l'intersectionnalité, la caractère discriminatoire de ces

traitements illégitimes et discriminatoires ne pourra pas se limiter à prendre en compte les

différents motifs discriminatoires de manière distincte ou séparée mais, afin de saisir la

situation dans laquelle la victime se trouve, devra considérer les divers facteurs qui portent à

sa marginalisation à travers une analyse intégrée des motifs qui est surement plus complexe

mais aussi la seule capable d'appréhender et de sanctionner la pratique illégitime et

discriminatoire des stérilisations forcées de manière satisfaisante.

En cela, la discrimination intersectionnelle constitue une continuation et complète le

raisonnement commencé par la notion de discrimination indirecte qui regarde à l'impact

qu'une norme, une structure, apparemment neutre a en réalité sur une personne ou catégories

de personnes. La discrimination intersectionnelle essaye de franchir une nouvelle frontière

qui puisse permettre le dépassement d'une approche sectorielle ou moniste du droit anti-

discriminatoire.

Section II La stérilisation forcée des femmes roms devant les cours – Une pratique

qui a mal à s'appuyer sur la notion d'intersectionnalité

Pour les raisons exposées ci-dessus, la question des stérilisations forcées des femmes roms

apparaît comme l'un des cas les plus paradigmatiques pour l'application d'une perspective

intersectionnelle de la discrimination.

Pour cette raison, dans cette Section II il sera analysé si et de quelle manière la Cour

Européenne des Droits de l'Homme278 (§ 1) et les comités onusiens gardiens des conventions

internationales applicables en l'espèce (§ 2) ont saisi les opportunités qui s'étaient présentées

pour s'approprier et appliquer la notion de discrimination intersectionnelle aux cas des 277 A. Kóczé, op. cit., pages 144 – 145 ;278 A ce jour, la Cour de Justice de l'Union Européenne n'a pas encore été saisie de la question. D'ailleurs, à ma

connaissance, elle a rendu un seul jugement en matière de discrimination raciale à l'encontre des roms. Il s'agit de l’arrêt rendu le 16 juillet 2015 par la Grande Chambre dans l'affaire C-83/14 et qui concerne la violation des dispositions de la Directive 2000/43/CE pour l'installation de compteurs électriques sur les piliers faisant partie du réseau de la ligne électrique aérienne à une hauteur de six à sept mètres dans des quartiers urbains essentiellement peuplés de personnes d’origine rom (Placement - Notions de ‘discrimination directe’ et de ‘discrimination indirecte’ - Charge de la preuve - Justification éventuelle - Prévention des manipulations de compteurs électriques et des branchements illicites - Proportionnalité - Caractère généralisé de la mesure - Effet offensant et stigmatisant de celle-ci - Directives 2006/32/CE et 2009/72/CE - Impossibilité pour l’utilisateur final de contrôler sa consommation électrique) ;

105

stérilisations forcées des femmes roms.

§1 La stérilisation forcée des femmes roms devant la Cour Européenne des Droits de

l'Homme

La Cour Européenne des Droits de l'Homme a eu diverses occasions pour se

prononcer sur l'illégalité des stérilisations forcées à l'égard des requérantes roms. Les

jugements qu'on s’apprête à analyser pour comprendre si et dans quelle mesure la

discrimination intersectionnelle s'est affirmée dans le raisonnement et la jurisprudence du

juge de Strasbourg ont été prononcés à l'encontre de la Slovaquie et de la Hongrie, pays où

historiquement cette pratique était diffuse et dans lesquels la société civile s'est le plus

engagée aux côtés des Roms. En revanche, il sera noté qu'à ce jour aucun arrêt n'a été

prononcé à l'encontre de la République Tchèque malgré le caractère endémique de cette

violation dans ce Pays. Les affaires présentées devant la Cour ont fait l'objet d'un règlement

amiable de nature à mettre un terme à la requête et à la lumière duquel la Cour a procédé à les

rayer du rôle279.

La première affaire sur laquelle la Cour Européenne s'est penchée remonte à 2004 quand huit

ressortissantes slovaques d’origine rom ont dirigé une requête contre la Slovaquie en

invoquant la violation de leurs droits découlant des articles 6 §1 et 8 de la Convention, en

raison du manquement des autorités nationales à mettre à leur disposition des photocopies de

leurs dossiers médicaux280.

Au cours de leurs grossesses et de leurs accouchements, les requérantes furent traitées dans

les services de gynécologie et obstétrique de deux hôpitaux dans l’est du Pays. Après leur

dernier séjour à hôpital où elles avaient accouché par césarienne, malgré leurs tentatives

répétées toutes furent dans l’incapacité de tomber à nouveau enceintes. Elles soupçonnaient le

personnel médical des établissements concernés de leur avoir fait subir une opération de

stérilisation qui serait la cause de leur infertilité. Plusieurs des requérantes avaient été invitées

à signer des documents avant leur accouchement ou à leur sortie de l’hôpital mais n’étaient

pas sûres de la teneur de ces pièces. Pour cette raison elles avaient demandé de consulter leurs

dossiers médicaux et face au refus des autorités slovaques elles avaient saisi les juges

nationaux afin de les voir condamnées à garantir l'accès à ces documents. Ces tentatives

279 Cour EDH, R.K. c. Rép. Tchèque, Req. n° 7883/08 ; Cour EDH, Ferenčíková c. République Tchèque, Req. n° 21826/10 ; Cour EDH Červeňáková c. République Tchèque, Req. n° 26852/09

280 Cour EDH, Quatrième Section, K.H. et autres c. Slovaquie, 28 avril 2009, Req. n° 32881/04 ;106

furent inutiles et, épuisées les voies de recours internes, en août 2004 les requérantes saisirent

la Cour EDH afin de faire constater la violation des articles 6 §1 et 8 de la Convention.

Bien que les requérantes n'aient pas invoqué la violation de l'article 14 de la Convention

EDH, et que donc la Cour de Strasbourg n'a pas eu l'opportunité de considérer l'aspect

intersectionnel d'une éventuelle discrimination à l'égard des requérantes, cette affaire

représente un de premiers cas grâce auxquels la Cour a été informée "officiellement" de

l'existence de pratiques de stérilisation forcée à l'encontre des femmes roms dans ce Pays.

Cette circonstance semble particulièrement importante car à cette première affaire lors de

laquelle la question de la pratique des stérilisations forcées à l'égard des femmes roms avait

était soulevée incidenter tantum en ont suivi (et probablement en suivront) d'autres dans

lesquelles les juges de Strasbourg ont été appelés à statuer sur le caractère discriminatoire des

stérilisations forcées.

Est-ce que la Cour a saisi ces occasions pour examiner les éventuelles violations de

l'interdiction de discrimination sous l'angle de l'intersectionnalité ?

Dans l'affaire V.C. c. Slovaquie du 8 novembre 2011281, une requérante d’origine rom alléguait

une violation des articles 3, 8, 12, 13 et 14 de la Convention à raison de sa stérilisation dans

un hôpital public effectuée sans qu’elle n’y ait consenti de façon éclairée. L’intervention fut

pratiquée pendant que la requérante qui à l'époque avait 20 ans accouchait de son deuxième

enfant par césarienne. Pour son premier accouchement, la requérante avait déjà eu une

césarienne.

Selon la reconstruction des faits, la requérante avait été invitée par l’équipe médicale à signer

un formulaire de consentement à l'opération de stérilisation alors même qu’elle se trouvait en

dernière phase du travail d’accouchement et ses capacités cognitives auraient été diminuées

par le travail et la douleur. Comme reporté par l’arrêt la requérante avait déclaré que « le

personnel médical de l’hôpital de Prešov lui avait demandé si elle souhaitait avoir d’autres

enfants. Elle aurait répondu par l’affirmative mais le personnel lui aurait dit que, dans ce

cas, soit elle-même soit le bébé mourrait. Elle aurait commencé à pleurer et, comme elle était

convaincue que sa prochaine grossesse lui serait fatale, elle aurait dit au personnel : « Faites

ce que vous voulez. » On lui aurait alors demandé d’apposer sa signature sous la mention

281 Cour EDH, Quatrième Section, V.C. c. Slovaquie, 8 novembre 2011, Req. n° 18968/07 ;107

indiquant qu’elle avait demandé la stérilisation. Elle n’aurait pas compris le sens du terme

stérilisation et aurait signé par peur de conséquences fatales si elle ne le faisait pas »282.

De plus, les termes « patiente d’origine rom » figuraient dans le compte rendu de grossesse et

d’accouchement de la requérante laquelle, pendant son séjour dans le service de gynécologie

et d’obstétrique de l’hôpital avait occupé une chambre où ne se trouvaient que des femmes

d’origine rom et on lui avait interdit d’utiliser les mêmes sanitaires que les femmes d’origine

non-rom. Enfin, la requérante avait souligné qu'après cette stérilisation elle avait été mise à

l’écart de la communauté rom. Son mari, le père de ses enfants, l’avait quittée à plusieurs

reprises à cause de sa stérilité et en 2009 ils ont divorcé. La requérante soutenait que sa

stérilité est l’une des raisons de leur séparation283.

Ces derniers aspects sont fondamentaux pour comprendre l'importance d'une approche

intersectionnelle à la discrimination qui permettrait de tenir en compte non seulement la

discrimination raciale dont elle est victime dès lors que ces traitements désavantageux lui sont

réservés en raison de son appartenance à la minorité rom mais également l'impact qu'une telle

violation a sur elle sur la base de son genre et du rôle qu'elle est censée avoir en tant que

femme au sein de sa communauté.

Néanmoins, bien que la Cour a condamné sévèrement la Slovaquie pour avoir violé les

articles 3 et 8 CEDH, la violation de l'article 14 CEDH est ignorée par la Cour. Cela exclut

par conséquent toute possibilité d'une analyse intersectionnelle de la discrimination soufferte

par la requérante qui avait pourtant dans sa requête invoqué une violation en raison de son

origine raciale ainsi que de son sexe.

La Cour constate d'abord une violation par le Gouvernement défendeur de l'art. 3 CEDH. Elle

estime en effet que la stérilisation de la requérante constitue une atteinte majeure à la capacité

à procréer et que la façon de procéder du personnel médical n'a pas été respectueuse de la

dignité et de la liberté de l’homme consacrées par la Convention ainsi que de l’exigence selon

laquelle le patient doit donner son consentement éclairé. Elle conclut que

même si rien n’indique que le personnel médical ait agi dans l’intention de maltraiter la

requérante, il n’en reste pas moins qu’il a fait preuve d’un manque total de respect envers son

droit à l’autonomie et au choix en tant que patiente. Dès lors, la Cour estime que le traitement

282 Cour EDH, V.C. c. Slovaquie, ibid. § 15 ;283 Cour EDH, V.C. c. Slovaquie, ibid. §§ 17 – 20 ;

108

qu’elle a subi, tel que décrit ci-dessus, atteint le niveau de gravité requis pour tomber sous le

coup de l’article 3284.

Ensuite, bien qu'elle reconnaisse que le constat de violation de l’article 3 rend inutile

l’examen d’une possible violation de l’obligation négative de ne pas porter atteinte au droit au

respect de la vie privée et familiale au sens de l'article 8, la Cour a toutefois poursuivi son

examen de la violation de cette disposition sur le terrain des obligations positives285. A cette

fin, la Cour a, à plusieurs reprises, insisté sur la qualité particulière de la victime, les

répercussions que la stérilisation a eu non seulement sur sa capacité à procréer mais

également sur divers aspects de sa vie et la nécessité d’accorder une considération particulière

à sa santé reproductive et à sa qualité de femme rom. Relevant les lacunes de la législation

slovaque et la vulnérabilité de la communauté rom, la Cour EDH constate que l'Etat

défendeur s'est rendu aussi responsable de la violation du droit à la vie privée et familiale aux

sens de l'art. 8 CEDH en raison du défaut de garanties juridiques effectives entourant la

stérilisation dénoncée286.

Ce faisant, la Cour semblait annoncer un examen de la violation aussi sous l'angle de l'article

14 CEDH. De plus, le raisonnement suivi dans l'analyse de la violation de l'article 8 CEDH

semblait laisser entrevoir une possible application de la discrimination intersectionnelle de la

part de la Cour assez attentive à la situation particulière dans laquelle se trouvait la

requérante.

Cela pourtant n'a pas été le cas car la Cour a jugé qu’il n’y avait pas lieu d’examiner

séparément si les faits de la cause emportaient également la violation de l’article 14 de la

Convention. En effet, d'une part la Cour estima ne pas y avoir suffisamment d'éléments qui

prouvaient que les médecins aient agi de mauvaise foi dans l’intention de maltraiter la

requérante ou que le comportement du personnel de l’hôpital était sciemment motivé par des

considérations raciales. D'autre part, elle considéra que les considérations relatives au respect

de l’obligation positive qui incombait à la Slovaquie au titre de l’article 8 de la Convention de

garantir à la requérante une protection suffisante de nature à lui permettre, en tant que

membre de la communauté rom, de jouir effectivement de son droit au respect de sa vie

284 Cour EDH, V.C. c. Slovaquie, ibid. § 119 ;285 Cour EDH, V.C. c. Slovaquie, ibid. §145 où la Cour indique qu'elle estime nécessaire « de rechercher si

l’Etat défendeur s’est acquitté de l’obligation positive que fait peser sur lui l’article 8 de sauvegarder par le biais de son système juridique les droits énoncés dans cet article en mettant en place des garanties effectives destinées à protéger la santé reproductive des femmes roms en particulier » ;

286 Cour EDH, V.C. c. Slovaquie, ibid. §§ 154-155 ;109

privée et familiale la dispensaient de cette analyse. La Cour n'estima pas donc nécessaire

d’examiner ce grief car le caractère particulièrement vulnérable de la requérante avait déjà été

pris en considération au titre de la condamnation aux sens de l'article 8 CEDH.

Les conclusions de la Cour relativement à l'interdiction de discrimination au titre de l'article

14 sont décevantes et pas seulement sous l'angle d'une éventuelle appréciation de la

discrimination intersectionnelle. En effet, la Cour, précisant que « les éléments de preuve

objectifs ne sont pas suffisamment forts pour convaincre la Cour que cette intervention

s’inscrivait dans le cadre d’une politique organisée ou que le comportement du personnel de

l’hôpital était sciemment motivé par des considérations raciales »287 impose une charge de la

preuve de la discrimination particulièrement élevée. En outre, son raisonnement ignore sa

jurisprudence antérieure qui admet la sanction de la discrimination indirecte reconnue dans

l'affaire D.H. et autres c. République Tchèque288 ainsi que la possibilité du renversement de la

charge de la preuve envisageable suite à l’arrêt de Grande Chambre Natchova et autres c.

Bulgarie289.

Toutefois, deux affaires similaires pendaient devant la juridiction européenne et auraient pu

remédier à ce manque de la Cour saisissant l'occasion de statuer sur la violation de

l’interdiction de la discrimination au sens de l'art. 14 CEDH et posant les bases pour une

affirmation solide de la discrimination intersectionnelle.

Il s'agissait des affaires N.B. c. Slovaquie290 et I.G. et autres c. Slovaquie291.

Les faits de l'arrêt N. B. c. Slovaquie se rapprochent de ceux de l'arrêt V. C. c. Slovaquie. La

requérante, une ressortissante slovaque d'origine rom est stérilisée en 2001 dans un hôpital

public lors de l'accouchement de son second enfant. Elle déclare avoir signé un formulaire de

consentement à la stérilisation alors qu'un membre du personnel médical lui tenait la main et

après avoir été anesthésiée afin de procéder à l'accouchement par césarienne. A l'époque des

faits elle était mineure.

287 Cour EDH, V.C. c. Slovaquie, ibid. § 177 ;288 Cour EDH, Grande Chambre, D.H. et autres c. Rép. Tchèque, 13 novembre 2007, Req. n° 57325/00 ;289 En ce sens N. Hervieu, Stérilisations sans consentement éclairé et fluctuations conventionnelles sur

l’identification des discriminations raciales, Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF , 14 novembre 2011 ; Cour EDH, Grande Chambre, Oršuš et autres c. Croatie, 16 mars 2010, Req. n° 15766/03 ; Cour EDH, Grande Chambre, Natchova et autres c. Bulgarie, 6 juillet 2005, Req. n°43577/98 et 43579/98 ; Cour EDH, D.H. et autres c. Rép. Tchèque, ibid. ;

290 Cour EDH, N.B. c. Slovaquie, 12 juin 2012, Req. n° 29518/10 ;291 Cour EDH, I.G. et autres c. Slovaquie, 13 novembre 2012, Req. n° 15966/04 ;

110

L’arrêt rendu à peu près six mois après V.C. c. Slovaquie aurait dû permettre à la Cour EDH

de « rassembler son courage afin de renforcer la protection offerte à la minorité rom »292.

Cependant, elle ne profite pas de cette occasion et l’arrêt ne fait que réitérer les arguments

déjà avancés dans V.C. c. Slovaquie parmi notamment la prétendue inutilité selon la Cour

d'examiner les faits litigieux sous l'angle de l'article 14 CEDH.

Ce choix est malheureusement regrettable. Si, comme le souligne la doctrine, lorsqu’une

question nouvelle lui est soumise « la Cour fait parfois preuve de souplesse afin de laisser la

possibilité à l'État en cause de redresser lui-même une situation attentatoire aux droits

fondamentaux » et « ce n'est que dans un second temps et lorsque l'État ne lui semble pas

suffisamment réactif qu'elle sévit »293, la répétition des requêtes et l'attention et les

recommandations que d'autres organes comme l'ECRI ou le Comité CEDEF avaient adressés

à la Slovaquie et auxquels la Cour même se réfère aurait dû induire le Juge strasbourgeois à

approfondir son analyse sur une question qui dépasse le cas individuel et qui est

paradigmatique d'une situation de marginalisation et de violation des droits fondamentaux des

femmes roms.

Enfin, la même année, la Cour EDH est appelée à se prononcer une troisième fois contre la

Slovaquie en matière de stérilisations forcées de femmes d'origine rom dans l'affaire I.G. et

autres c. Slovaquie du 13 novembre 2012294.

Là encore, les faits ressemblent aux affaires déjà citées. Trois femmes roms avaient saisi la

Cour EDH afin de faire constater la violation des articles 3, 8, 12, 13 et 14 CEDH pour avoir

été stérilisées sans leur consentement dans un hôpital public et n'avoir pas obtenu une juste

réparation par l'Etat défendeur.

Elles avaient subi l'opération de stérilisation au moment de l'accouchement intervenu dans les

trois cas à travers une césarienne et avaient appris d'avoir été stérilisées qu'après

l'accouchement. Une des requérantes n'avait que 16 ans à l'époque des faits. De plus, dans les

trois cas les requérantes avaient été hospitalisées dans une partie séparée de l’hôpital, elles

n'avaient pas accès aux toilettes communes et une des requérantes avait été aussi maltraitée

292 K. Garcia, La stérilisation forcée des femmes roms à nouveau en question devant la Cour européenne des droits de l'homme, Droit de la famille n° 9, Septembre 2012, comm. 138 ;

293 K. Garcia, op. cit., La commentatrice cite à titre d'exemple l’arrêt Cour EDH, Goodwin c/ Royaume-Uni, 11 juill. 2002, Req. n° 28957/95 ;

294 Cour EDH, I.G. et autres c. Slovaquie, 13 novembre 2012, Req. n° 15966/04 ;111

verbalement par le personnel médical de l’hôpital. Enfin, les requérantes avaient fourni des

preuves concernant le médecin responsable de la clinique en question qui avait admis que les

patientes étaient classées et séparées selon leur «adaptabilité» et niveau de l'hygiène et qui

avait également déclaré que les Roms ne connaissaient pas la valeur du travail, qu'ils

abusaient du système de protection sociale et qu'ils ont des enfants tout simplement pour

obtenir plus d'avantages de la protection sociale295.

Les requérantes avaient fait valoir une violation de l'article 14 CEDH en raison de leur race et

de leur sexe et avaient insisté notamment sur le fait que

they had suffered a double burden of discrimination, as their sex and race had played a decisive

role in the violation of their human rights in issue. There had been no objective and reasonable

justification for their differential treatment. Their nonconsensual sterilisation had pursued no

legitimate aim. There existed no race-neutral explanation justifying their sterilisation during

Caesarean delivery296

Les requérantes avaient donc clairement insisté sur l'intersection entre race et genre qui

caractérisait leur situation et avait fourni à la Cour les clés pour s'approprier de la notion de

discrimination intersectionnelle.

Cette dernière cependant, encore une fois, constate une violation des droits sanctionnés aux

articles 3 et 8 CEDH mais affirme ne pas estimer nécessaire d'examiner la violation de

l'article 14 de la Convention.

Les arguments malheureusement sont les mêmes de ceux adoptés dans les deux affaires

précédentes. Comme dans V.C. c. Slovaquie et N.B. c. Slovaquie la Cour de Strasbourg

affirme ne pas disposer d'assez d'éléments pour prouver la mauvaise foi du personnel médical

de l’hôpital, l'intention discriminatoire de ce dernier ou encore que les stérilisations faisaient

partie d'une politique organisée à l'encontre des femmes roms. De plus, elle considère que

l'examen de la vulnérabilité particulière des requérantes sous l'article 8 CEDH suffisait et

l'exonérait d'examiner la violation de l'interdiction de discrimination au titre de l'art. 14 de la

Convention.

Le refus réitéré de la Cour d'analyser la pratique des stérilisations forcées à l'égard des

295 Cour EDH, I.G. Et autres c. Slovaquie, ibid., §§ 31 et 32 ;296 Cour EDH, I.G. Et autres c. Slovaquie, ibid., §161 ;

112

femmes roms en Slovaquie est regrettable pour diverses raisons.

Premièrement il faut souligner que la condition de l'intentionnalité du comportement

discriminatoire requise par la Cour qui affirme dans les trois affaires ne pas pouvoir prendre

en compte l'élément discriminatoire car « les éléments de preuve objectifs ne sont pas

suffisamment forts pour convaincre la Cour ... que le comportement du personnel de l’hôpital

était sciemment motivé par des considérations raciales »297 est discutable.

Comme déjà souligné plus en haut l'interdiction de la discrimination ne requiert pas

nécessairement la présence d'une discrimination directe ou intentionnelle. Comme reconnu

par la Grande Chambre dans l’arrêt D.H. et autres c. République Tchèque, une différence de

traitement peut aussi consister en l’effet préjudiciable disproportionné d’une politique ou

d’une mesure qui, bien que formulée de manière neutre, a un effet discriminatoire sur un

groupe. Dans une telle situation de « discrimination indirecte » l'intention discriminatoire

n'est pas exigée aux fins du constat de violation298. Le contexte dans lequel ces opérations

étaient effectuées et l'histoire des pratiques eugéniques à l'encontre des femmes roms pendant

le régime communiste et dont les effets ont continué à se produire jusqu'à nos jours dans ce

Pays auraient dû induire la Cour à "s'aventurer" sur ce terrain.

Ensuite, même en admettant que la preuve de l'intention discriminatoire était nécessaire299, les

éléments versés aux débats et les informations dont la Cour disposait prouvaient qu'une

analyse distincte du caractère discriminatoire de la pratique était opportune300. L'origine rom

des requérantes était connue par le personnel médical. Elles avaient été hospitalisées toutes

dans des secteurs des maternités pour seules femmes roms. Certaines d'entre elles avaient fait

l'objet d'abus verbaux par le personnel de l’hôpital. Dans au moins un cas, l'origine rom était

expressément mentionnée sur le dossier médical. Dans tous les cas la stérilisation avait été

effectuée au moment de l'accouchement par césarienne et le personnel médical avait fourni

des informations trompeuses pour induire les requérantes à signer des requêtes de

stérilisation.

297 Cour EDH, V.C. c. Slovaquie, ibid. § 177 ; N.B. c. Slovaquie, ibid, § 121 ; I.G. et autres c. Slovaquie, ibid., § 165 ;

298 Cour EDH, D.H. et autres c. Rép. Tchèque, ibid., § 184 ;299 A la lumière des éléments à sa disposition, la Cour aurait pu également se refaire à l’arrêt Natchova et autres

c. Bulgarie (Cour EDH, Grande Chambre, Natchova et autres c. Bulgarie, 6 juillet 2005, Req. n°43577/98 et 43579/98) et opérer un renversement de la charge de la preuve demandant au Gouvernement de prouver que ces pratiques n’étaient pas discriminatoires ;

300 Notamment le caractère endémique de cette forme de discrimination envers les femmes roms en Slovaquie orientale et le fait qu'à l'époque devant la Cour pendaient aussi des requêtes formulées par des femmes roms pour des faits similaires contre la République Tchèque ;

113

Comme le souligne la Juge Mijovic dans son opinion discordante à l’arrêt V.C. c. Slovaquie,

mais le raisonnement vaut également pour les deux autres affaires, la Cour n'a pas saisi

l'aspect essentiel de ces cas où la discrimination subie par les requérantes était manifeste.

Selon la Juge, constatant la violation des droits des requérantes sur la seule base des articles 3

et 8 CEDH la Cour EDH a réduit la portée de ces cas au niveau individuel alors que, les

stérilisations forcées avaient fait partie d'une politique eugénique suivie officiellement sous le

Communisme dont les effets se faisaient encore sentir à l’époque où se sont produits les faits

à l’origine des requêtes. Comme prouvé par le fait que plusieurs affaires étaient pendantes

devant elle

la stérilisation de femmes roms ne revêtait pas un caractère accidentel mais était la survivance

d’une attitude adoptée de longue date envers la minorité rom en Slovaquie. A mon avis, la

requérante a été « repérée » et observée en tant que patiente devant être stérilisée du simple fait

de son origine, puisqu’il était clair qu’il n’y avait aucun motif d’ordre médical de la stériliser.

Selon moi, cela représente la forme la plus aiguë de discrimination qui soit, ce qui aurait dû

conduire la Cour à conclure à la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec les

articles 3 et 8 de la Convention.301

Ignorant le caractère discriminatoire de cette pratique à l'encontre des femmes roms la Cour,

même si elle condamne fermement la pratique litigieuse des stérilisations forcées, isole les

expériences de ces femmes et ainsi renonce à sanctionner les politiques qui sont à l'origine de

cette pratique.

De plus, une approche intersectionnelle à la discrimination aurait permis à la Cour de

comprendre quels sont les facteurs structurels qui font que ce soient les femmes roms à être

indiscutablement affectées de manière disproportionnée par la pratique des stérilisations

forcées ainsi que d'analyser l'impact particulier que cette pratique a sur elles en relation au

rôle que traditionnellement elles ont en tant que femmes dans la communauté rom. En bref,

une analyse intersectionnelle de la discrimination à l'encontre des requérantes aurait permis à

la Cour de faire le lien entre la vulnérabilité de femmes roms et les politiques et pratiques

suivies par la Slovaquie aussi en vue d'un suivi de l’exécution effective des jugements.

Différemment de ce qu'elle venait de faire dans l’arrêt B.S. c. Espagne rendu en juillet

301 Cour EDH, V.C. c. Slovaquie, Opinion dissidente de la Juge Mijovic ;114

2012302, ici la Cour s'est contentée de prendre acte de la vulnérabilité des femmes roms sans

s'interroger, par le biais de la discrimination intersectionnelle, sur les causes qui sont à

l'origine de cette vulnérabilité. Ainsi elle permet aux Etats défenseurs de se libérer des

principales responsabilités qu'ils ont dans la marginalisation de ce groupe particulier303 et ne

les sollicite pas à adopter des mesures qui puissent remédier aux violations de manière

satisfaisante et respectueuse des droits des victimes.

Il ressort de ce qui précède que la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de

l'Homme contre la Slovaquie est décevante.

Mais la Slovaquie n'est pas le seul Pays qui s'est vu attirer devant la Cour de Strasbourg en

raison des stérilisations forcées pratiquées à l'égard de femmes roms. Comme déjà mentionné

plus en haut des requêtes ont été présentées aussi à l'encontre de la République Tchèque et de

la Hongrie.

Cependant, compte tenu du fait que la République Tchèque n'a jamais été condamnée ayant

toujours préféré conclure des règlements amiables avec les requérantes, il ne reste alors qu'à

examiner la jurisprudence européenne concernant la Hongrie pour voir si la Cour EDH a fait

des pas en avant en matière de discrimination intersectionnelle dans ce domaine.

A ce jour une seule affaire a été portée devant la Cour EDH. Il s'agit de l'affaire G.H. c.

Hongrie pour laquelle la Cour a rendu très récemment sa décision304. Comme déjà résumé

plus en haut il s'agissait du cas d'une femme qui, enceinte de deux jumeaux, avait été admise à

l'hôpital pour un accouchement d'urgence. Les médecins avaient constaté que la césarienne

était nécessaire en raison des saignements abondants et, apparemment sur demande de la

requérante, avaient procédé à l'opération de stérilisation, sans pourtant suivre la procédure

ordinaire pour ce genre d'opérations qui prévoient une requête écrite de la part de l'intéressée.

La Cour a déclaré inadmissible la requête car elle a estimé que la requérante n'a pas le statut

de victime. Pour la Cour il ne s'agit d'un cas de stérilisation forcée ou involontaire car la

requérante était parfaitement et clairement informée de la procédure à laquelle elle allait

302 Cour EDH, B.S. c. Espagne, 24 juillet 2012, Req. n° 47159/08 ;303 L'exemple de la République Tchèque est en ce sens emblématique. Ce Pays nonobstant ait présenté des

excuses officielles pour les cas de stérilisation forcée, a toujours nié s'agir du résultat des politiques officielles menées par les autorités publiques et refusé d'effectuer des enquêtes impartiales visant à comprendre l'étendue du phénomène et dédommager les victimes ;

304 Cour EDH, G.H. c. Hongrie, 9 juin 2015, Req. n° 54041/14 ;115

encontre, qu'elle aurait demandé. De plus elle avait obtenu réparation des dommages soufferts

devant les tribunaux nationaux.

Outre aux conclusions discutables sur le caractère forcé ou moins de la stérilisation et les

preuves sur lesquelles elle se contente d'appuyer sa décision, la Cour omet de prendre en

compte un ensemble de circonstances pourtant éclairantes qui auraient pu l’amener à conclure

de manière diamétralement opposée.

La requérante, en effet, même si n'appartenant pas à la minorité rom, était mariée avec un

homme rom et son nom d'épouse était un nom typiquement rom. De plus, la requérante avait

été hospitalisée dans une maternité pour seules femmes roms. Ces éléments, dans un Pays où

il est reconnu que la ségrégation institutionnelle à l'égard des roms est un problème actuel

auraient peut-être mérités plus de considération305.

Encore une fois, donc, la Cour EDH ne saisit malheureusement pas l'opportunité de

sanctionner le caractère discriminatoire de cette pratique ni tant moins d'aborder l'aspect

intersectionnel de celle-ci.

Son refus de conférer à ces affaires une connotation discriminatoire n'est pas neutre car réduit

ces affaires à un niveau individuel et empêche une prise en compte du caractère diffus de la

pratique. De plus, la juridiction européenne continue à ignorer le fait qu'elle affecte de

manière disproportionnée les femmes roms en tant que telles et ne cherche pas à saisir ni à

sanctionner les raisons qui exposent cette catégorie de personnes à une violation si grave des

droits humains.

Il ressort de ce qui précède que, même si la pratique des stérilisations forcées à l'égard des

femmes roms représente un terrain particulièrement propice à l'affirmation de la

discrimination intersectionnelle, la Cour Européenne des Droits l'Homme n'a pas encore saisi

les opportunités qui lui ont été présentées pour en faire application.

Cela, comme le suggèrent certains, pourrait être dû à la tendance générale de la Cour de ne

pas appliquer l'article 14 CEDH préférant fonder son jugement sur la violation des autres

droits protégés par la Convention et, en particulier, à l'attitude de celle-ci dans les cas de

305 J. Geller, A. Weiss, G.H. v Hungary: the Reproductive Rights Case We Lost in Strasbourg, Budapest juillet 2015, http://www.errc.org/blog/gh-v-hungary-the-reproductive-rights-case-we-lost-in-strasbourg/69 ;

116

violence impliquant une dimension de genre. En effet, en dépit du fait que la Cour ait appelé

les Etats parties à éradiquer toute discrimination fondée sur le genre, la violence liée au genre

n'est pas généralement considérée par elle comme une question d'égalité mais plutôt comme

un acte de violence commis par l'Etat ou par un agent privé en relation avec la violation

d'autres droits sanctionnés par la Convention306.

Les motivations fournies par la juridiction européenne dans les affaires contre la Slovaquie

semblent concorder avec cette analyse.

Toutefois, il semble difficile de prédire avec certitude qu'elle pourrait être sa position en

avenir, dans l'hypothèse où d'autres affaires similaires seront portées à son attention.

Normalement très attentive aux développements et aux évolutions de l'état de l'art en matière

de protection des droits l'homme, pourrait-elle revenir sur sa position à la lumière des

contributions dans ce domaine de la part des organes onusiens ?

A cette fin nous analyserons ci-après quel est l'apport des organismes onusiens sur ce thème.

§2 L'approche des comités onusiens à la discrimination intersectionnelle dans le cas des

stérilisations forcées des femmes roms

Si la Cour Européenne des Droits de l'Homme a été jusqu'à ce jours réticente à traiter

la question des stérilisations forcées sous l'angle de l'article 14 CEDH excluant ainsi toute

analyse possible du caractère intersectionnel de la violation de l'interdiction de discrimination

de sa part, il faut tourner le regard au travail des comités onusiens qui surveillent le respect

des conventions internationales en matière de protection des droits de l'homme pour savoir si

la dimension intersectionnelle de cette violation a été appréhendée.

A cette fin, on analysera les observations finales des comités ainsi que, le cas échéant, les

constatations adoptées suite à des communications individuelles. A titre liminaire il sera

observé que ce sont surtout le Comité CEDR, le Comité CEDEF et le Comité CAT qui ont eu

l'occasion et qui se sont prononcés sur la question à l'encontre de la Slovaquie, de la

République Tchèque et de la Hongrie.

306 K. Yoshida, op. cit., pages 200 – 201. L'auteur cite en ce sens l'affaire X. et Y. c. Pays Bas (Cour EDH, Quatrième Section, 26 mars 1985, Req. n° 8978/80) § 32 et au titre d'exception à cette approche traditionnelle l’arrêt Opuz c. Turquie (Cour EDH, Troisième Section, 9 juin 2009, Req. n° 33401/02) ;

117

Le Comité CEDEF s'est prononcé à plusieurs reprises sur la question des stérilisations forcées

dans les observations finales adressées à la Slovaquie et à la République Tchèque.

Dans le cadre des dernières observations finales adressées à la Slovaquie307, par exemple, le

comité CEDEF réserve une attention particulière à la situation des femmes roms. Il rappelle

qu'elles sont victimes des « multiples formes de discrimination » et, quand il s'agit d'aborder

la question des stérilisations forcées, outre à rappeler sa Recommandation générale n° 19 il

recommande à l’État partie « de prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu’il

soit donné suite aux plaintes déposées par des femmes roms ayant subi une stérilisation

forcée et s’assurer que les victimes de ces pratiques ont accès à des moyens de recours

effectifs »308, ainsi reconnaissant que les femmes roms sont disproportionnellement affectées

par cette violation.

La marginalisation des femmes roms et la problématique de stérilisations forcées sont traitées

par le Comité CEDEF aussi dans le cadre des observations finales adressées à la République

Tchèque. Dans les observations finales de 2006, le Comité exprimait en effet sa grande

préoccupation suite à la publication du rapport en décembre 2005 du Défenseur des droits

tchèque concernant les stérilisations forcées et demandait à l’État partie de fournir dans son

prochain rapport périodique des informations sur la situation des femmes roms en ce qui a

trait aux stérilisations involontaires ou forcées, et notamment une analyse détaillée de

l’impact des mesures prises et des résultats obtenus309.

Pour ce qui concerne la Hongrie, en revanche, la question des stérilisations forcées à l'égard

des femmes roms n'est pas abordée dans son examen périodique. Lors de dernières

observations finales adressées à ce Pays, en effet, le Comité reconnaît que les femmes roms,

entre autres, rencontrent des difficultés dans l’accès aux services de santé sexuelle et

procréative mais traite de la question des stérilisations forcées exclusivement se référant à la

situation des femmes handicapées310. En tout cas, il est important de relever que le Comité

constate dans ses observations que certaines catégories de femmes, parmi lesquelles les

femmes roms, rencontrent des difficultés majeures dans l'accès aux services de santé en raison

des politiques de privatisation en cours et de manière plus générale que les préjugés liés au

genre et à l’origine ethnique constituent pour les femmes appartenant à des groupes

307 Comité CEDEF, Observations finales Slovaquie, U.N. Doc. CEDAW/C/SVK/CO/4 (2008) ;308 Comité CEDEF, Observations finales Slovaquie, ibid. (2008) §§ 30-31 ;309 Comité CEDEF, Observations finales République Tchèque, U.N. Doc. CEDAW/C/CZE/CO/3 (2006) §§ 23-

24 ;310 Comité CEDEF, Observations finales Hongrie, U.N. Doc. CEDAW/C/HUN/CO/7-8 (2013) ;

118

défavorisés tels que les Roms et les personnes handicapées un obstacle considérable à

l’exercice des droits énoncés dans la Convention. Cela démontre, même si de manière

nuancée, que le Comité est sensible à la question de la discrimination intersectionnelle et qu'il

essaye de l'utiliser dans son travail.

Comme indiqué ci-dessus, le Comité CEDEF n'est pas le seul à avoir traité des stérilisations

forcées lors des examens périodiques concernant ces Pays. Le Comité CEDR311 et le Comité

CAT312 aussi se sont prononcés sur cette question et ont demandé aux Etats parties concernés

d'ouvrir sans délai des enquêtes impartiales et approfondies qui puissent vérifier les

allégations de stérilisation forcée des femmes roms.

De particulier intérêt est notamment la position adoptée par le Comité CEDR dans les

dernières observations adressées à la Slovaquie où il revient sur les arrêts prononcés par la

Cour EDH à son encontre et appelle l’attention de l’État partie sur le fait qu’aucune enquête

efficace n’a été menée sur cette pratique à l’échelle du Pays et que les victimes n’ont pas été

indemnisées. De plus, il recommande à l'Etat partie de

appliquer pleinement les arrêts récents de la Cour européenne des droits de l’homme et de faire

en sorte que toutes les victimes de stérilisation forcée obtiennent pleinement réparation et soient

indemnisées. Il exhorte l’État partie à mener des enquêtes approfondies sur tous les cas de

stérilisation forcée de femmes roms et de poursuivre les responsables présumés. Ayant à l’esprit

sa Recommandation générale no 25 (2000) concernant la dimension sexiste de la discrimination

raciale, le Comité encourage l’État partie à adopter des mesures adéquates et notamment à

appliquer le décret de 2012 relatif à la stérilisation illégale de femmes et à organiser une

formation spéciale à l’intention de l’ensemble du personnel médical sur la façon dont le

consentement éclairé d’une femme doit être recueilli avant de procéder à une stérilisation et sur

le respect de la diversité des membres de la communauté rom.313

Claire semble donc être la position du Comité en faveur d'une approche intersectionnelle à la

discrimination non seulement quand il rappelle sa Recommandation générale n° 20 mais

également quand il prend le soin de préciser la nécessité d'une formation du personnel

médical sur le consentement éclairé qui tienne en considération la diversité des patientes

roms.

311 Voir Comité CEDR, Observations finales République Tchèque, U.N. Doc. CERD/C/CZE/CO/8-9 (2011) ; 312 Voir Comité CAT, Observations finales Slovaquie, U.N. Doc. CAT/C/SVK/CO/2 (2009) ;313 Comité CEDR, Observations finales Slovaquie, U.N. Doc. CERD/C/SVK/CO/9-10 (2013) § 13 ;

119

Nombreux sont donc les signes disséminés dans les observations finales des comités onusiens

qui prouvent l'affirmation et l'application de la discrimination intersectionnelle par ces

derniers. Cependant, avec quelque exception comme celle du Comité CEDR reporté ci-

dessus, dans une grande partie de cas il s'agit de simples affirmations qui ne sont pas

développées ni motivées et qui représentent donc une base fragile et pas toujours

convaincante sur laquelle s'appuyer.

La jurisprudence des comités pourrait combler les lacunes découlant des contraintes des

examens périodiques des comités. Cependant, celle-ci résulte plutôt maigre.

En effet, pour ce qui concerne la pratique des stérilisations forcées à l'égard des femmes roms,

à ce jour une seule décision a été rendue par le Comité CEDEF qui, étant pourtant le Comité

le plus attentif à la question de la discrimination intersectionnelle, a complètement ignoré

cette dimension même que l'affaire présentait.

Il s'agit des constations concernant l'affaire A.S. c. Hongrie adoptées suite à la communication

individuelle contre la Hongrie qui lui avait été soumise par Madame A.S. en application du

Protocole facultatif à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à

l'égard des femmes314.

Mme A. S., femme rom de nationalité hongroise, mère de trois enfants, alléguait avoir fait

l’objet d’une stérilisation forcée de la part du personnel médical dans un hôpital hongrois en

violations des articles 10h) et 12 et le paragraphe 1e) de l’article 16 de la Convention.

Dans le rappel des faits, le Comité CEDEF met l'accent sur les divers aspects relevants pour

statuer sur l'éventuelle violation de la Convention. En particulier, le Comité indique que le

dossier médical de l'auteur révélait que quand elle s'est rendue à l’hôpital pour accoucher elle

saignait, avait des fortes contractions et était sous état de choc et que d’après les registres de

l’hôpital, moins de 17 minutes après l’arrivée de l’ambulance à l’hôpital, la césarienne avait

été effectuée, le fœtus mort et le placenta avaient été retirés, et les trompes de Fallope de

l'auteur avaient été ligaturées.

En effet, le médecin traitant avait constaté que le fœtus était mort et avait informé Mme A.S.

qu’il fallait faire immédiatement une césarienne afin de le retirer. Cependant, sur la table

314 Comité CEDEF, Communication n° 4/2004, U.N. Doc. CEDAW/C/36/D/4/2004 ;120

d’opération, il a été demandé à l'auteur de signer un formulaire par lequel elle donnait son

consentement non seulement à la césarienne mais également à une autorisation de procéder à

sa stérilisation. Cette dernière était écrite à la main et de manière très peu lisible.

Le Comité reporte aussi que l'auteur avait compris ce que voulait dire le mot « stérilisation »

seulement à la sortie de l’hôpital et qu'elle affirme que la stérilisation a eu un profond impact

sur sa vie notamment en raison de sa foi chrétienne et les valeurs familiales roms selon

lesquelles il est essentiel d'avoir des enfants.

Cette communication présentait une occasion importante pour le Comité CEDEF d'intégrer la

discrimination intersectionnelle dans son analyse. Toutefois il sera noté que le Comité dans

l'examen de divers griefs se concentre sur la question du consentement éclairé, et dans la

constatation de la violation de la Convention il retient exclusivement la discrimination sur la

base du sexe de l'auteur. A aucun moment, en effet, le Comité n'analyse les possibles raisons

qui auraient pu induire le médecin traitant à stériliser l'auteur ni l'impact particulier que cette

opération a eu sur la vie de cette dernière.

Il n'a donc pas considéré l'identité de l'auteur au-delà de son sexe.

Compte tenu de la condamnation à l'encontre de la Hongrie et des recommandations qui lui

ont été adressées, la tentation de croire que l'absence de toute considération du caractère

raciale de la discrimination ne soit pas si grave est forte. Toutefois, une analyse contextuelle

des motifs discriminants ne constitue pas une fin en soi, « mais un moyen pour identifier les

facteurs qui, dans un contexte social et historique donné, émergent au sein de relations

sociales et deviennent des critères de différenciation/hiérarchisation sur la base desquels une

discrimination se fait »315.

En réalité, toute l'attention du Comité est allée à l'analyse des aspects qui concernaient le

consentement éclairé des patients et cette approche partiale et incomplète ne lui a pas permis

d'approfondir ni de saisir les l'articulations du système d'oppression qui grave sur les femmes

roms victimes de la pratique des stérilisations forcées. Comme dans les cas devant la Cour

EDH contre la Slovaquie, un isolement de la violation dont la femme rom est victime est

opéré à travers une décontextualisation pourtant essentielle pour la compréhension de

l'affaire. Cette approche empêche de saisir la complexité de la question et de mettre en place

les remèdes appropriés dans un pays comme la Hongrie où la minorité rom est fortement

315 S. Bilge, O. Roy, op. cit., page 67 ;121

stigmatisée et les femmes roms sont particulièrement marginalisées en raison de leur ethnie et

de leur sexe à l’extérieur mais aussi au sein des communautés d'appartenance.

Cela advenait toutefois en 2006. Il faut noter que depuis l'affaire A.S. c. Hongrie en 2006, le

Comité CEDEF a adopté la Recommandation générale n° 28316 et au moins dans deux cas il a

considéré dans ces décisions la dimension intersectionnelle de la discrimination. Il s'agit des

affaires Kell. c. Canada317 et Pimentel c. Brésil318 déjà rappelées dans la première partie de ce

mémoire qui, même si elles ne traitent pas ni de la question des stérilisations forcées, ni de la

discrimination à l'égard de femmes roms, permettent de hasarder un épilogue différent des

futures communications qui lui seront éventuellement adressées par des femmes roms

victimes de cette grave violation qui est la stérilisation forcée.

316 Comité CEDEF, Recommandation générale n° 28 concernant les obligations fondamentales des États parties découlant de l’article 2 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (2010), U.N. Doc. CEDAW/C/GC/28 ;

317 Comité CEDEF, Communication n° 19/2008, U.N. Doc. CEDAW/C/51/D/19/2008 ;318 Comité CEDEF, Communication n° 17/2008, U.N. Doc. CEDAW/C/49/D/17/2008 ;

122

CONCLUSIONS

La discrimination intersectionnelle a été introduite dans le débat juridique grâce au travail de

Kimberlé Crenshaw qui avait observé comment l'interaction des facteurs tels que la race, le

genre et la classe avait pour effet de reléguer les femmes afro-américaines aux marges d'un

système incapable de saisir cette complexité et qui les obligeait à réduire leur vécu à une

représentation qui partait soit de l’expérience des femmes blanches en matière de

discrimination sexuelle soit de l’expérience des hommes de couleur pour le motif de la race.

Cette exclusion dont étaient victimes les femmes afro-américaines avait lieu non seulement

dans les politiques publiques, mais également dans les mouvements antiracistes et féministes

et dans les Tribunaux319.

La critique intersectionnelle demande de dépasser une compréhension unidimensionnelle de

la discrimination fondée sur des motifs uniques et mutuellement exclusifs et de se rapprocher

à une approche au droit anti-discriminatoire contextuelle et moins rigide où les motifs de

discrimination sont analysés prenant en considération la structure des rapports de pouvoir et

de subordination.

Depuis sa première reconnaissance au niveau international en 1995 lors de la Quatrième

Conférence mondiale sur les femmes qui a eu lieu il y a 20 ans à Beijing, l'intersectionnalité a

réussi à s'imposer de plus en plus dans divers domaines et notamment en sciences sociales.

Les étapes parcourues dans le deuxième chapitre de ce mémoire montrent bien l’intérêt

qu'elle suscite ainsi que les divers domaines dans lesquels elle est invoquée. Toutefois, bien

qu'il ne s'agisse pas d'une notion rigide mais au contraire ouverte aux évolutions et aux

dynamismes de la société contemporaine, la discrimination intersectionnelle a été invoquée et

utilisée à ce jour notamment dans des situations où la triade race, genre et classe sociale est

concernée. Et ce sont surtout autour des problématiques qui touchent les femmes issues des

319 K. Crenshaw, Mapping the Margins : Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color, Stanford Law Review [Vol. 43:1241 July 1991]. L'auteur avait théorisé notamment deux formes d'intersectionnalité, celle structurelle qui a lieu quand diverses structures discriminatoires ou de subordination convergent et aggravent les situations de dépossession dont sont victimes les femmes de couleur et l'intersectionnalité politique qui vise à mettre en lumière la position particulière des femmes de couleur qui se retrouvent subordonnées à deux groupes différents qui peuvent poursuivre des objectifs politiques contradictoires ;

123

groupes minoritaires, ou les femmes migrantes que l'intersectionnalité a essayé de s'affirmer.

Le choix donc d'analyser la prise de cette notion dans le contexte de la discrimination à

l'égard des femmes roms pourrait apparaitre pas particulièrement original, d'autant plus que

l'attention a été portée sur un des phénomènes les plus emblématiques en matière de

discrimination intersectionnelle : les stérilisations forcées.

Mais alors, comment expliquer que son affirmation soit aussi précaire et incertaine dans ces

cas ?

Comme il en ressort tout au long de ce travail, la discrimination intersectionnelle a été

applaudie et acclamée. Toutefois, le passage de la théorie à la pratique résulte difficile aussi

dans des systèmes juridiques, comme celui canadien, qui se sont le plus impliqués pour

garantir son affirmation ou relativement à des problématiques où l’intérêt de son affirmation

apparaît évident.

Les obstacles à cette affirmation sont en effet nombreux. En premier plan, une certaine

complexité de la notion s'accompagne à la structuration sectorielle, stratifiée et fragmentée du

droit anti-discriminatoire et du système de protection international des droits de l'homme qui

semblerait empêcher sa mise en œuvre.

Pourtant, ce sont les Comité CEDEF et CEDR qui se sont surtout démarqués, même si avec

un peu de retard et malgré leurs contraintes, avec leur travail de recommandations,

d'observations et de constatations dans l'application de l'approche intersectionnelle alors que

la Cour EDH et la Cour de Justice se démontrent beaucoup plus réticentes à entreprendre ce

chemin alors que la Convention Européenne des Droits de l'Homme et la Charte des Droits

Fondamentaux de l'Union Européenne se prêteraient à cet effort.

Deuxièmement il semble que cette hésitation dépende aussi en partie de cet effort. Car il s'agit

bien d'un effort complémentaire dans l'analyse de la discrimination qui demande une

contextualisation du phénomène discriminatoire et la comparaison de la situation de la

victime sur la base des motifs examinés simultanément. L'affaire en résulte surement plus

complexe et souvent ce sont les parties mêmes, ou mieux leurs avocats, à préférer une

approche traditionnelle fondée sur un seul motif de discrimination surtout quand la réduction

à une hypothèse de discrimination plutôt qu'à une autre est aisée et permet d’espérer dans un

124

gain de cause plus certain.

Un rôle alors surement important dans l'affirmation de cette forme de discrimination, et qui a

manqué par exemple, au moins en partie, dans les affaires contre la Slovaquie320, est joué par

la société civile qui, en sa qualité de tierce intervenante devant la Cour Européenne peut

solliciter un regard croisé à la discrimination, fournir les informations relevantes pour

permettre aux juges d'apprécier l'affaire qui est leur soumise dans son intégralité et insister sur

l'opportunité d'une analyse intersectionnelle apte à obliger l'Etat Défendeur à rechercher une

solution effective à la discrimination, surtout quand il s'agit de phénomènes notoirement

endémiques comme celui des stérilisations des femmes roms.

Car même si l'opportunité d'une analyse intersectionnelle de la discrimination est toujours

souhaitable, c'est notamment dans les cas de discrimination diffuse que l'importance de cette

forme de discrimination n'est pas contestable. Les opportunités manquées de la Cour EDH à

l'encontre de la Slovaquie et du Comité CEDEF envers la Hongrie nous en fournissent la

preuve.

Condamner la Slovaquie omettant toute considération du caractère discriminatoire des cas de

stérilisation forcée a réduit les affaires à des cas individuels alors qu'il était prouvé que

beaucoup d'autres femmes roms avaient subi la même violation, et que les affaires portées à

l'attention de la Cour cachaient un phénomène beaucoup plus important dont les séquelles

sont encore aujourd'hui visibles. Egalement, constater que la Hongrie a violé la CEDEF sans

considérer l'aspect racial de la violation subie par Madame A.S. inévitablement empêche de

comprendre l'interposition des structures discriminatoires auxquelles l'auteur est exposée, au

sein de la minorité et dans ses relations avec la société majoritaire et les institutions qui

représentent cette majorité, et la situation de particulière vulnérabilité non seulement de celle-

ci mais aussi de nombreuses autres femmes roms hongroises.

Une compensation monétaire reconnue aux requérantes ou auteurs des communications, ou

encore la demande d'une réforme législative qui se concentre uniquement sur le consentement

éclairé ne représentent pas des remèdes efficaces ni satisfaisants capables de répondre aux

demandes de justice de ces personnes ni à s'attaquer aux causes qui les ont exposées, et

pourront exposer dans l'avenir d'autres femmes, à ces violations.

320 Mais fondamental dans l'affaire B.S. c. Espagne (Cour EDH, B.S. c. Espagne, 24 juillet 2012, Req. n° 47159/08) ;

125

Enfin, il y a déjà eu l'occasion de mentionner brièvement que la discrimination

intersectionnelle poursuit, ou mieux, complète le raisonnement commencé par la recherche

d'une égalité substantielle à travers la « discrimination indirecte ». Expressément définie et

sanctionnée dans le droit de l'Union321, sa reconnaissance par la Cour Européenne des Droits

de l'Homme dans l'Affaire D.H. c. République Tchèque322 avait marqué un tournant en droit

anti-discriminatoire.

En effet, la Cour avait dans cette affaire condamné la République Tchèque pour la violation

de l'article 14 de la Convention combiné avec l'art. 2 du Protocole 1 pour avoir placé les

requérants d’origine rom dans des écoles pour enfants présentant des besoins particuliers, tels

qu’un handicap mental ou social estimant que la législation en vigueur à l'époque avait des

effets préjudiciables disproportionnés sur la communauté rom. D'ailleurs, la Cour EDH

répondant aux arguments du Gouvernement tchèque qui avait insisté sur l'accord donné au

placement dans ces écoles spéciales par les parents des enfants avait exposé ses doutes sur la

capacité des parents - « membres d’une communauté défavorisée et souvent sans

instruction »323 - de saisir la signification et les conséquences de leur accord et précisé que

« l’on ne saurait admettre la possibilité de renoncer au droit de ne pas faire l’objet d’une

telle discrimination »324.

La discrimination intersectionnelle continue cette quête en insistant sur la nécessité de

contextualiser l'analyse des violations et en prenant en considération l'ensemble des facteurs

qui pèsent sur la victime, sans exiger nécessairement une intention discriminatoire, et elle la

complète car elle requiert l'accomplissement d'un pas ultérieur, d'une analyse intégrée de

diverses structures de pouvoir et de subordination qui la marginalisent et qui s’interposent

permettant la reproduction des inégalités.

A la lumière de ce qui précède, après plus de vingt-cinq ans depuis son introduction pouvons-

nous encore espérer et devons-nous encore insister pour que cette approche intersectionnelle à

321 Voir la Directive 2000/43/CE, art. 2. 2(b) qui définit la discrimination indirecte de la manière suivante: « une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une race ou d'une origine ethnique donnée par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires » ;

322 Cour EDH, Grande Chambre, D.H. c. Rép. Tchèque, 13 novembre 2007, Req. n° 57325/00 ;323 Cour EDH, Grande Chambre, D.H. c. Rép. Tchèque, ibid. § 203 ;324 Cour EDH, Grande Chambre, D.H. c. Rép. Tchèque, ibid. § 204 ;

126

la discrimination soit reconnue clairement tant dans la théorie que dans la pratique ? Il me

semble que oui.

127

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CCPR/C/CZE/CO/2 (2007) ;

− Comité des Droits de l'Homme, Observations finales République Tchèque U.N. Doc.

CCPR/C/CZE/CO/3 (2013) ;

COMITÉ DESC

− COMITÉ DESC, Observation générale 14, Le droit au meilleur état de santé susceptible

d'être atteint (art. 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et

culturels), U.N. Doc. E/C.12/2000/4 (2000) ;

− COMITÉ DESC, Observation générale no 20, La non-discrimination dans l’exercice des

droits économiques, sociaux et culturels (art. 2, par. 2 du Pacte international relatif aux

droits économiques, sociaux et culturels), U.N. Doc. E/C.12/GC/20 (2009) ;

COMITÉ CEDEF

− COMITÉ CEDEF, Recommandation générale n° 21, Egalité dans le mariage et les

rapports familiaux, 1994 ;

− COMITÉ CEDEF, Recommandation générale n° 24, Article 12 de la Convention sur

l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes - Les 134

femmes et la santé (1999) ;

− COMITÉ CEDEF, Recommandation Générale n° 26 concernant les travailleuses

migrantes, U.N. Doc. CEDAW/C/2009/WP.1/R (2008) ;

− COMITÉ CEDEF, Recommandation générale n° 27 sur les femmes âgées et la

protection de leurs droits d’êtres humains, U.N. Doc. CEDAW/C/GC/27 (2010) ;

− COMITÉ CEDEF, Recommandation générale n° 28 concernant les obligations

fondamentales des États parties découlant de l’article 2 de la Convention sur

l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (2010),

U.N. Doc. CEDAW/C/GC/28

− COMITÉ CEDEF, General recommandation n° 33 on women's access to justice, U.N.

Doc. CEDAW/C/GC/33 (2015) ;

− COMITÉ CEDEF, Observations finales Finland, U.N. Doc. A/56/38 (2001) ;

− COMITÉ CEDEF, Observations finales Suède, U.N. Doc. A/56/38 (Supp) Part II, 25th

Session (2001) ;

− COMITÉ CEDEF, Observations finales Grèce, U.N. Doc. A/57/38, Exceptional Session

(2002) ;

− COMITÉ CEDEF, Observations finales Italie, U.N. Doc. A/60/38 32nd Session (2005) ;

− COMITÉ CEDEF, Observations finales Mali, U.N. Doc. CEDAW/C/MLI/CO/5

(2005) ;

− COMITÉ CEDEF, Observations finales Macédonie, U.N. Doc. CEDAW/C/MKD/CO/3

34th Session (2006) ;

− COMITÉ CEDEF, Observations finales République Tchèque, U.N. Doc.

CEDAW/C/CZE/CO/3 (2006) ;

− COMITÉ CEDEF, Observations finales Tajikistan, U.N. Doc. CEDAW/C/TJK/CO/3

(2007) ;

− COMITÉ CEDEF, Observations finales Brésil, U.N. Doc. CEDAW/C/BRA/CO/6

(2007);

− COMITÉ CEDEF, Observations finales Hongrie, U.N. Doc. CEDAW/C/HUN/CO/6

(2007) ;

− COMITÉ CEDEF, Observations finales Serbie, U.N. Doc.CEDAW/C/SCG/CO/I

(2007) ;

− COMITÉ CEDEF, Observations finales Slovaquie, U.N. Doc. CEDAW/C/SVK/CO/4

(2008) ;135

− COMITÉ CEDEF, Observations finales République Tchèque, U.N. Doc.

CEDAW/C/CZE/CO/5 (2010) ;

− COMITÉ CEDEF, Observations finales Biélorussie, U.N. Doc. CEDAW/C/BLR/CO/7

(2011) ;

− COMITÉ CEDEF, Observations finales Serbie, U.N. Doc. CEDAW/C/SRB/CO/2-3

(2013) ;

− COMITÉ CEDEF, Observations finales Hongrie, U.N. Doc. CEDAW/C/HUN/CO/7-8

(2013) ;

COMITÉ CEDR

− COMITÉ CEDR, Recommandation générale n° 25 concernant la dimension sexiste de

la discrimination raciale, U.N. Doc. A/55/18 (2000) ;

− COMITÉ CEDR, Recommandation générale n° 27 concernant la discrimination à

l'égard des Roms du 16 août 2000 ;

− COMITÉ CEDR, Observations finales République Tchèque, U.N. Doc.

CERD/C/CZE/CO/7 (2007) ;

− COMITÉ CEDR, Observations finales République Tchèque, U.N. Doc.

CERD/C/CZE/CO/8-9 (2011) ;

− COMITÉ CEDR, Observations finales Albanie, U.N. Doc. CERD/C/ALB/CO/5-8

(2011) ;

− COMITÉ CEDR, Observations finales Équateur, U.N. Doc. CERD/C/ECU/CO/20-22

(2012) ;

− COMITÉ CEDR, Observations finales Portugal, U.N. Doc. CERD/C/PRT/CO/12-14

(2012) ;

− COMITÉ CEDR, Observations finales Vietnam, U.N. Doc. CERD/C/VNM/CO/10-14

(2012) ;

− COMITÉ CEDR, Observations finales Italie, U.N. Doc. CERD/C/ITA/CO/16-18

(2012) ;

− COMITÉ CEDR, Observations finales Slovaquie, U.N. Doc. CERD/C/SVK/CO/9-10

(2013) ;

− COMITÉ CEDR, Observations finales Pérou, U.N. Doc. CERD/C/PER/CO/18-21

(2014) ;

136

COMITÉ CAT

− COMITÉ CAT, Observations finales Slovaquie, U.N. Doc. CAT/C/SVK/CO/2 (2009) ;

Rapports

− Report of the Special Rapporteur on violence against women, its causes and

consequences, Ms. Radhika Coomaraswamy, in accordance with Commission on

Human Rights resolution 1997/44, Addendum : Policies and practices that impact

women’s reproductive rights and contribute to, cause or constitute violence against

women, Commission des droits de l'homme, 55ème séance, U.N. Doc.

E/CN.4/1999/68/Add.4 21 janvier 1999 ;

− United Nations Division for the Advancement of Women (DAW), Office of the High

Commissioner for Human Rights (OHCHR), United Nations Development Fund for

Women (UNIFEM), Gender and racial discrimination Report of the Expert Group

Meeting, 21-24 November 2000 Zagreb, Croatia ;

− Special Rapporteur of the Commission on Human Rights on violence against women,

on the subject of race, gender and violence against women, Review of Reports,

Studies and other Documentation for the Preparatory Commitete and the World

Conference, U.N. World Conference Against Racism, Racial Discrimination,

Xenophobia and Related Intolerance Preparatory Commitee, Third session Geneva, 30

July-10 August 2001, U.N. Doc. A/CONF.189/PC.3/5 (2001) ;

− Programme of Action, Final Report of the World Conference against Racism, Racial

Discrimination, Xenophobia, and Related Intolerance, Durban, 31 août – 8 septembre

2001, U.N. Doc. A/CONF.189/12 (2001) ;

− Programme des Nations Unies pour le développement, Avoiding the Dependency Trap

– The Roma Human Development Report 2003 ;

− Harmonised Guidelines on Reporting under the International Human Rights Treaties,

including Guidelimes on a Core Document and Treaty-Specific Document, Report of

the Secretary-General, U.N. Doc. HRI/GEN/2/Rev.6 (2009) ;

− Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, Promotion and Protection of all

Human Rights, Civil, Political, Economic, Social and Cultural Rights, including the

137

Right to Development – Report of the independent expert on minority issues, Gay

McDougall at Office of the High Commissioner for Human Rights, U.N. Doc.

A/HRC/10/11 (2009) ;

− Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, Report of the Special Rapporteur on

violence against women, its causes and consequences, Rashida Manjoo, U.N. Doc.

A/HRC/17/26 (2011) ;

− Juan E. Méndez, Rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou

traitements cruels, inhumains ou dégradants, U.N. Doc. A/HRC/22/53 (2013) ;

− Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, Report of the Special Rapporteur on

minority issues, Rita Izsák, Comprehensive study of the human rights situation of

Roma worldwide, with a particular focus on the phenomenon of anti-Gypsyis, U.N.

Doc. A/HCR/29/24 (2015) ;

Autres documents

− COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME, Contributions to the World Conference against

Racism, Racial Discrimination, Xenophobia, and Realted Intolerance, UN Doc.

A/CONF.189/PC.2/14 ;

− COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME, Résolution 1992/65 intitulée « Protection des

Roms (Tziganes) » (1992) ;

− COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME, Prevention of Discrimination against and

Protection of Minorities - The human rights problems and protections of the Roma,

Working paper prepared by Mr. Y.K.J. Yeung Sik Yuen pursuant to Sub-Commission

decision 1999/109, U.N. Doc. E/CN.4/Sub.2/2000/28 ;

− COMITÉ CEDEF, Decision 40/I, Convention-Specific Reporting Guidelines of the

Committee on the Elimination of Discrimination against Women, A/63/38 (Supp), 40th

Session (2008), Annex I ;

− CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME, Groupe de travail sur l’Examen périodique universel

Onzième session Genève, 2-13 mai 2011, Résumé établi par le Haut-Commissariat

aux droits de l’homme conformément au paragraphe 15 c) de l’annexe à la résolution

5/1 du Conseil des droits de l’homme, U.N. Doc. A/HRC/WG.6/11/HUN/3 ;

CONSEIL DE L'EUROPE

138

Recommandations et observations

COMITÉ DES MINISTRES

− Recommandation Rec (2002)5 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la

protection des femmes contre la violence, 30 avril 2002 ;

COMMISSAIRE AUX DROITS DE L'HOMME DU CONSEIL DE L'EUROPE

− Recommandation du Commissaire aux Droits de l'Homme relative à certains aspects

de la loi et de la pratique concernant la stérilisation des femmes en République

slovaque, Strasbourg, 17 octobre 2003 CommDH(2003)12 ;

ECRI

− Recommandation de politique générale N° 3 de l'ECRI sur la lutte contre le racisme et

l'intolérance envers les roms/tsiganes, 16 mars 1998, Doc. No. CRI(98)29 ;

− Recommandation de politique générale N° 5 :La lutte contre l’intolérance et les

discriminations envers les musulmans, 27 avril 2000, Doc. No. CRI(2000)21 ;

− Recommandation de politique générale n° 13 de l'ECRI sur la lutte contre l'anti-

tsiganisme et les discriminations envers les Roms, 24 juin 2011, Doc. No.

CRI(2011)37 ;

Rapports

COMMISSAIRE AUX DROITS DE L'HOMME DU CONSEIL DE L'EUROPE

− Les droits de l’homme des Roms et des Gens du voyage en Europe - Extraits du

rapport complet, Janvier 2012 ;

− Report by Nils Muižnieks Commissioner for Human Rights of the Council of Europe

following his visit to Italy from 3 to 6 July 2012, Strasbourg septembre 2012 ;

− Report by Thomas Hammarberg, Commissioner for Human Rights of the Council of

Europe, following his visit to the Czech Republic from 17 to 19 November 2010,

139

Strasbourg 2011 ;

ECRI

− Rapport de l'ECRI sur la Hongrie, CRI(2009)3

− Rapport de l'ECRI sur la République Tchèque, CRI(2009)30 ;

− Rapport de l'ECRI sur la Slovaquie, CRI(2014)37 ;

− Rapport annuel sur les activités de l'ECRI couvrant la période du 1er janvier au 31

décembre 2014 CRI(2005)26 ;

Autres documents

− Commissaire des droits de l'homme, Les droits fondamentaux des migrants en

situation irrégulière en Europe, Strasbourg 17 décembre 2007,

CommDH/IssuePaper(2007)1 ;

− Commissaire des droits de l'homme, Droits de l’homme et handicap : l’égalité des

droits pour tous, Strasbourg 20 octobre 2008, CommDH/IssuePaper (2008)2 ;

− Commissaire des droits de l'homme, Opinion of the Commissioner for human rights

on national structures for promoting equality, Strasbourg 21 mars 2011,

CommDH(2011)2 ;

− Committee on Equality and Non-Discrimination, Multiple discrimination against

Muslim women in Europe: for equal opportunities, Doc. 12956, 11 juin 2012 ;

− Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe, Mettre fin aux stérilisations et aux

castrations forcées Rapport de la Commission des questions sociales, de la santé et du

développement durable, Strasbourg avril 2013 ;

− Projet de résolution de la Commission des questions sociales, de la santé et du

développement durable du Conseil de l'Europe, Mettre fin aux stérilisations et aux

castrations forcées, Strasbourg 25 avril 2013 ;

− Conseil de l'Europe, Roms | Histoire - Fiches d’information sur l’histoire des Roms ;

UNION EUROPÉENNE

COMMISSION EUROPÉENNE

140

− Rapport «La situation des Rom dans une Union européenne élargie», Commission

européenne, direction générale de l'emploi et des affaires sociales (2004) ;

− Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, Comité

économique et social européen et au Comité des régions - Stratégie-cadre pour la non-

discrimination et l’égalité des chances pour tous, COM/2005/0224 ; Communication

de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social

européen et au Comité des régions - Une feuille de route pour l'égalité entre les

femmes et les hommes 2006-2010, COM(2006) 92 ;

− Commission Européenne, Lutte contre la discrimination multiple: pratiques, politiques

et lois, 2007 ;

− Communication de la Commission au Parlement Européen, au Conseil, au Comité

Economique et Social Européen et au Comité des Régions - Cadre de l'UE pour les

stratégies nationales d'intégration des Roms pour la période allant jusqu'à 2020

COM(2011) 173 final ;

CONSEIL

− Décision du Conseil du 27 novembre 2000, 2000/750, JO L 303 du 2/12/2000

− Proposition de directive du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité

de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de

handicap, d'âge ou d'orientation sexuelle {SEC(2008) 2180} {SEC(2008) 2181} /*

COM/2008/0426 final - CNS 2008/0140 */ ;

− Recommandation du Conseil du 9 décembre 2013 relative à des mesures efficaces

d'intégration des Roms dans les États membres (2013/C 378/01) ;

PARLEMENT EUROPÉEN

− Proposition de résolution du Parlement européen sur la situation des femmes issues de

groupes minoritaires dans l'Union européenne, (2003/2109(INI)) ;

− Proposition de résolution du Parlement européen sur la situation des femmes roms

dans l'Union Européenne - L. Járóka, Commission des droits de la femme et de

l'égalité des genres, Rapport sur la situation des femmes roms dans l'Union

européenne, Commission des droits de la femme et de l'égalité des genres

141

(2005/2164(INI)) (2006) ;

− Résolution législative du Parlement européen du 2 avril 2009 sur la proposition de

directive du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement

entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d'âge

ou d'orientation sexuelle (COM(2008)0426 – C6-0291/2008 – 2008/0140(CNS)) Doc.

N° P_6 TA (2009)0211 ;

− Report on gender aspects of the European Framework of National Roma Inclusion

Strategies (2013/2066(INI)), Committee on Women's Rights and Gender Equality ;

− Résolution du Parlement européen du 15 avril 2015 à l'occasion de la journée

internationale des Roms – antitsiganisme en Europe et reconnaissance par l'Union

européenne de la journée de commémoration du génocide des Roms durant la Seconde

Guerre mondiale (2015/2615(RSP)) ;

AGENCE EUROPÉENNE DE L'UNION EUROPÉENNE POUR LES DROIT FONDAMENTAUX

− Experience of discrimination, social marginalisation and violence: A comparative

study of Muslim and non-Muslim youth in three EU Member States (octobre 2010) ;

− Data in Focus Report Multiple Discrimination, 2010 ;

− Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, Programme des Nations

Unies pour le développement, La situation des Roms dans 11 États membres de l’UE

Les résultats des enquêtes en bref, 2012 ;

− Rapport, Inequalities and multiple discrimination in access to and quality of

healthcare, 2013 ;

− Analysis of FRA Roma survey results by gender, septembre 2013

JURISPRUDENCE

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

− Cour EDH, Affaire relative à certains aspects du régime linguistique de

l'enseignement en Belgique c. Belgique, 23 Juillet 1968, Req. n° 1474/62; 1677/62;

1691/62; 1769/63; 1994/63; 2126/64 ;

142

− Cour EDH, X. et Y. c. Pays Bas, 26 mars 1985, Req. n° 8978/80 ;

− Cour EDH, Buckley c. Royaume Uni, 25 septembre 1996, req. n° 20348/92 ;

− Cour EDH, Chapman c. Royaume-Uni, 18 janvier 2001, Req. n° 27328/95 ;

− Cour EDH, Connors c. Royaume-Uni, 27 mai 2004, Req. n° 66746/01 ;

− Cour EDH, Natchova et autres c. Bulgarie, 6 juillet 2005, Req. n°43577/98 et

43579/98 ;

− Cour EDH, K.H. et autres c. Slovaquie, 28 avril 2009, Req. n° 32881/04 ;

− Cour EDH, Opuz c. Turquie, 9 juin 2009, Req. n° 33401/02

− Cour EDH, Oršuš et autres c. Croatie, 16 mars 2010, Req. n° 15766/03 ;

− Cour EDH, V.C. c. Slovaquie, 8 novembre 2011, Req. n° 18968/07 ;

− Cour EDH, Konstantin Markin c. Russie, 22 mars 2012, req. n° 30078/06 ;

− Cour EDH, N.B. c. Slovaquie, 12 juin 2012, Req. n° 29518/10 ;

− Cour EDH, B.S. c. Espagne, 24 juillet 2012, Req. n° 47159/08 ;

− Cour EDH, arrêt Catan c. Moldavie et Russie, 19 octobre 2012, req. n° 43370/04,

8252/05, 18454/06 ;

− Cour EDH, I.G. et autres c. Slovaquie, 13 novembre 2012, Req. n° 15966/04

− Cour EDH, S.A.S c. France, 1 juillet 2014, req. n° 43835/11 ;

− Cour EDH, G.H. c. Hongrie, 9 juin 2015, Req. n° 54041/14

COUR DE JUSTICE DE L'UNION EUROPÉENNE

− Affaire C-149/77 Defrenne c. Société anonyme belge de navigation aérienne Sabena ;

− Affaire C-152/84 M. H. Marshall c. Southampton and South-West Hampshire Area

Health Authority ;

− Affaire C-259/91 Allué e.a. / Università degli studi di Venezia e.a. ;

− Affaire C-272/92 Spotti / Freistaat Bayern ;

− Affaire C-15/96 Schöning-Kougebetopoulou / Freie und Hansestadt Hamburg ;

− Affaire C-419/92 Scholz / Opera Universitaria di Cagliari et Cinzia Porcedda ;

− Affaire C-115/81 et 116/81 Adoui et Cornuaille / État belge ;

− Affaire C-268/99 Jany e.a. ;

− Affaire C-187/00 Helga Kutz-Bauer c. Freie und Hansestadt Hamburg ;

− Affaire C-77/02 Erika Steinicke c. Bundesanstalt für Arbeit ;

− Affaire C-227/04 Lindorfer ;

− Affaire C-303/06 Coleman ;

143

− Affaire C-356/09 Kleist ;

− Affaire C- 415/10 Meister ;

− Affaire C-152/11 Odar ;

− Affaire C-83/14 CHEZ Razpredelenie Bulgaria ;

COMITÉS ONUSIENS

− COMITÉ CEDEF, Communication n° 4/2004 U.N. Doc. CEDAW/C/36/D/4/2004 ;

− COMITÉ CEDEF, Communication n° 19/2008, UN Doc. CEDAW/C/51/D/19/2008 ;

− COMITÉ CEDEF, Communication n° 17/2008, UN Doc. CEDAW/C/49/D/17/2008 ;

− COMITÉ CEDEF, Communication n° 32/2011, U.N. Doc. CEDAW/C/52/D/32/2011

− COMITÉ CEDEF, Communication n° 34/2011 U.N. Doc. CEDAW/C/57/DR/34/2011 ;

− COMITÉ DH, Communication n°. 24/1977, UN Doc. CCPR/C/13/D/24/1977 ;

− COMITÉ CAT, Communication n° 338/2008, U.N. Doc. CAT/C/46/D/338/2008 ;

AUTRES JURIDICTIONS

Etas-Unis

− DeGraffenreid v. General Motors, 413 F. Supp. 142 (E.D. Mo. 1976) ;

− Moore v Hughues Helicopter, Inc, 708 F2d 475 ;

− Payne v Travenol, 416 F Supp 248 (N D Miss 1976) ;

− Kadic c. Karadžić (70 F.3d 232 (2d Cir. 1995);

France

− CA Paris 29 janvier 2002, RG: 2001/32582

144

RAPPORTS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ET AUTRES DOCUMENTS

− AMNESTY INTERNATIONAL, Condamnés à l'errance – Les expulsions forcés des Roms en

France, Paris septembre 2013 ;

− AMNESTY INTERNATIONAL, Segregation, bullying and fear: The stunted education of

Romani children in Europe, avril 2015 ;

− ASYLUM AID, Romani Women from Central and Eastern Europe : A "Fourth World",

or Experienc eof Multiple Discrimination, 2002 ;

− BITU N., The situation of Roma/Gypsuy Women in Europe, Strasbourg 1999 ;

− BURRI S., SCHIEK D., Multiple Discrimination in EU Law – Opportunities for legal

responses to intersectional gender discrimination ?, The European Network of Legal

Experts in the Field of Gender Equality, juillet 2009 ;

− CENTER FOR REPRODUCTIVE RIGHTS, PORADŇA PRE OBČIANSKE A L'UDSKÉ PRÁVA, Body

and Soul, Forced Sterilization and Other Assaults on Roma Reproductive Freedom in

Slovakia, 2003 ;

− CUKROWSKA E., KÓCZÉ A., Interplay between gender and ethnicity : Exposing

Structural Disparities of Romani women – Analysis of the UNDP/World Bank/EC

regional Roma survey data, Roma Inclusion Working Papers, Bratislava 2013 ;

− EUROPEAN ROMA RIGHTS CENTRE, Il paese dei campi. La segregazione razziale dei

Rom in Italia, serie “Rapporti nazionali” n. 9, ottobre 2000 ;

− EUROPEAN ROMA RIGHTS CENTRE, Ambulance not on the way – The Disgrace of Heath

Care for Roma in Europe, Budapest septembre 2006 ;

− EUROPEAN ROMA RIGHTS CENTRE, Imperfect Justice – A Report by the European Roma

Rights Centre – Anti-Roma Violence and Impunity, Budapest mars 2011 ;

− EUROPEAN ROMA RIGHTS CENTRE, Country Profiles A Report By the European Roma

Rights Centre, Budapest, July 2013 ;

− KÓCZÉ A., Missing Intersectionality – Race/Ethnicity, Gender, and Class in Current

Research and Policies on Romani Women in Europe, Center for Policy Studies,

Budapest 2009 ;

− IMMIGRATION AND REFUGEE BOARD OF CANADA, Hungary: Reports of the forced

sterilization of women (2000-2011) ;

− LIÉGEOIS J.P., GHEORGHE G., Roma/Gypsies : A European Minority, A Minority Rights

Group International Report 95/4, Octobre 1995 ;145

− MAKKONEN T., Multiple, compound and intersectional discrimination : bringing the

experiences of the most marginalized to the fore, Institute For Human Rights Åbo

Akademi University April 2002 ;

− MIRGA A., L’héritage laissé par les survivants : Se souvenir des persécutions nazies

des Roms et des Sinti : un instrument essentiel dans la lutte contre le racisme

d’aujourd’hui, L'Holocauste et les Nations Unies, Documents de réflexions ;

− OPEN SOCIETY FOUNDATIONS, On the Margins : Slovakia-Roma and Public services in

Slovakia (2001) ;

− OPEN SOCIETY FOUNDATIONS, Social Exclusion at the Crossroads of Gender, Ethnicity

and Class – A view of Romani Women's Reproductive Health, julliet 2006 ;

− OPEN SOCIETY FOUNDATIONS, Against her will. Forced and coerced sterilization of

women worldwide, 2011 ;

− OPEN SOCIETY FOUNDATIONS, Education Policy and Equal Education Opportunities,

New York 2012 ;

− OSCE, Report on the situation of Roma and Sinti in the OSCE Area, mars 2010, pages

19 – 24 ;

− ROMA EDUCATION FUND, European Roma Rights Centre, Persistent Segregation of

Roma in the Czech Education System, Bucharest – Budapest 2008 ;

− ROMA EDUCATION FUND, G. Kertezi et G. Kédzi, School segregation, school choice,

and educational policies in 100 Hungarian towns, Budapest – Bucharest 2013 ;

− SÉNAT FRANÇAIS, L'intégration des Roms : un défi pour l'Union européenne et ses États

membres, Rapport d'information de M. Michel BILLOUT, fait au nom de la

commission des affaires européennes n° 199 (2012-2013) - 6 décembre 2012 ;

Autres documents relevants

− AMNESTY INTERNATIONAL, LE CENTRE POUR LES DROITS REPRODUCTIFS, LE EUROPEAN

ROMA RIGHTS CENTRE, HUMAN RIGHTS WATCH, LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE

HELSINKI POUR LES DROITS DE L’HOMME, KONZORCIUM UROBME TO, LUDIA PROTI RASIZMU,

PORADNA PRE OBČIANSKE A LUDSKÉ PRÁVA ET SLOVENSKY HELSINSKY VYBOR, Déclaration

commune sur la question de la stérilisation illégale de femmes roms en

Slovaquie, 22 juillet 2003 ;

− EUROPEAN ROMA RIGHTS CENTRE, Submission in relation to the ananlysis and

146

consideration of legality under EU law of the situation of Roma in France :

factual update, Budapest septembre 2010 ;

− EUROPEAN ROMA RIGHTS CENTRE, MENTAL DISABILITY ADVOCACY CENTER, PLATFORM

FOR SOCIAL HOUSING, Written comments for consideration by the United Nations

Committee on the Elimination of Racial Discrimination, at its 87th Session (3-28

August 2015) ;

− EUROPEAN ROMA RIGHT CENTRE, Parallel Report by the European Roma Rights Centre

concerning Czech Republic – For Consideration by the Comittee on the Elimination of

Discrimination Against Women at the 63th Pre-sessional Working Group (27 – 31 July

2015) ;

− EUROPEAN ROMA AND TRAVELLERS FORUM ET L'INTERNATIONAL ROMA WOMEN'S

NETWORK, Position Paper on the 4th International Roma Women's Conference, Acting

Now for an Equal Future, septembre 2013, Helsinki, Finland ;

− LIGUE DES DROITS DE L'HOMME, EUROPEAN ROMA RIGHTS CENTRE, Violent, Injuste,

Illégal et Honteux : La France a expulsé près de trois lieux de vie de Roms par

semaine en 2014, Paris – Budapest février 2015 ;

− ONTARIO HUMAN RIGHTS COMMISSION, An intersectional approach to discrimination:

Addressing multiple grounds in human rights claims, 2001 ;

− UNICEF, Intersectional discrimination against children : discrimination against romani

children and anti-discrimination measures to address child trafficking, Innocenti

working paper (2009) ;

147

SOMMAIRE

Remerciements ………………………………………………………………………….... p. 3

Table des abréviations ………………………………………………………………........ p. 4

Sommaire ………………………………………………………………….……………... p. 5

INTRODUCTION ……………………………………………………………………….. p. 7

TITRE I L'AFFIRMATION DE LA THEORIE DE L'INTERSECTIONNALITÉ .. p. 11

CHAPITRE 1 LA DISCRIMINATION INTERSECTIONNELLE, LA

NAISSANCE DU CONCEPT ET SES ELEMENTS DE QUALIFICATION …... p. 11

SECTION I La théorisation de la discrimination intersectionnelle et ses

principales critiques …………….....…………….......…............................... p. 11

§1 La discrimination intersectionnelle, la naissance du concept …..... p. 12

§2 Les principaux obstacles et critiques à l'affirmation de la

discrimination intersectionnelle ……………………...……......… p. 17

SECTION II Les éléments de qualification de la discrimination

intersectionnelle …..………………………............…................................… p. 23

§1 La discrimination intersectionnelle : une question aussi

sémantique………............................................................................. p. 24

§2 Les éléments de qualification de la discrimination intersectionnelle

…......................................................................................................p. 27

CHAPITRE 2 L'AFFIRMATION DE LA BASE LEGALE DE LA

DISCRIMINATION INTERSECTIONNELLE EN DROIT INTERNATIONAL ET

EUROPEEN DES DROITS DE L'HOMME ………………………………...…… p. 33

SECTION I La discrimination intersectionnelle en droit international des

droits de l'homme …………………………………………………..………... p. 33

§1 La reconnaissance de la discrimination intersectionnelle dans les

instruments de soft law …………………………………………... p. 34

§2 La discrimination intersectionnelle dans la pratique des comités

148

onusiens …....…………………………..………………………… p. 44

Section II L'affirmation de la notion de discrimination intersectionnelle au

sein de l'Union Européenne et du Conseil de l'Europe …..………………... p. 49

§1 L'intersectionnalité et le droit anti-discriminatoire de l'Union

Européenne …………………………………..…………………... p. 50

§2 La place de la discrimination intersectionnelle au Conseil de

l'Europe ........................................................................................... p. 59

TITRE II LA DISCRIMINATION A L'ENCONTRE DES FEMMES ROMS ET

LES STERILISATIONS FORCÉES DES FEMMES ROMS – UNE OCCASION

MANQUEE POUR L'INTERSECTIONNALITE ? ...................................................... p. 69

CHAPITRE III LA DISCRIMINATION A L'ENCONTRE DES FEMMES ROMS

…................................................................................................................................... p. 69

Section I Une introduction à la situation des femmes roms en Europe .... p. 69

§1 Les Roms, une minorité européenne

………………………………………….................................................... p. 70

§2 Quelle place pour les femmes roms ? Une prise de conscience tardive

et débattue ………………….......……………………........……… p. 78

Section II La discrimination à l'égard des femmes roms : intégrer l'intersectionnalité dans la lutte pour l'égalité ……………...……………… p. 81

§1 Les principales difficultés rencontrées par les femmes roms …..… p. 82

§2 Entre race, genre et classe, un terrain propice pour la discrimination

intersectionnelle ………………………………………………….. p. 85

CHAPITRE IV LES STERILISATIONS FORCÉES DES FEMMES ROMS ET

L'INTERSECTIONNALITÉ ……………………………………….………………. p. 90

Section I Les stérilisations forcées et involontaires – une question

intersectionnelle ……………………………………………………………… p. 90

§1 Les stérilisations forcées des femmes roms, un problème encore actuel

………………………………………………….………………… p. 91

149

§2 Le droit applicable - Une question intersectionnelle …………...... p. 98

Section II La stérilisation forcée des femmes roms devant les cours – Une

pratique qui a mal à s'appuyer sur la notion d'intersectionnalité ……..…. p. 105

§1 La stérilisation forcée des femmes roms devant la Cour Européenne

des Droits de l'Homme ………………………………………….. p. 106

§2 L'approche des comités onusiens à la discrimination intersectionnelle

dans le cas des stérilisations forcées des femmes roms

…………………………............................................................... p. 117

CONCLUSIONS …......................................................................................................... p. 123

BIBLIOGRAPHIE …..................................................................................................... p. 128

150

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