Upload
paris-sorbonne
View
1
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
L’Amérique n’a aucun avenir : les idées ‘philosophiques’ de
Cornelius De Pauw
Parmi les plumes ethnographiques les plus extravagantes du
18e’ siècle – et qui n’en eurent pas moins de succès -, on
peut compter l’ineffable abbé Gabriel-François Coyer, dont nous
avons traité ailleurs1 et, surtout, pour la diversité de ses
délires, Cornelius De Pauw, esprit aussi distingué que
systématique, qui prouve, une fois de plus, que « science sans
conscience n’est que ruine de l’âme ». Ces deux écrivains de la
seconde moitié du siècle avaient fait une fixation sur
l’Amérique2. Pour Coyer, son objet était les fameux géants
patagons à l’extrême sud de l’Amérique qui prouvaient que
l’humus singulier de l’Amérique avait suscité une race au-delà
des proportions humaines. Malgré le docteur Maty qui en avait
démontré l’inexistence devant la Royal Society, Coyer n’en
voulut rien croire et il lui répliqua par une lettre bien
sentie3 où il prétendait que, même si les géants patagons
n’avaient pas de réalité, ils auraient dû exister.
1 F. Moureau, Le Théâtre des voyages. Une scénographie de l’Âge classique, Paris, PUPS,2005, Section IV, ch. 6 : « L’abbé et les géants patagons où ‘l’idée folle’de Gabriel-François Coyer », p. 369-378.2 Sur ces questions, voir les ouvrages pionniers d’Antonello Gerbi, La Disputadel Nuovo mondo. Storia di una polemica, 1750-1900, Milano-Napoli, R. Ricciardi, 1955(rééd. 1983, 2000) et La Natura delle Indie nove: da Cristoforo Colombo a Gonzalo Fernandezde Oviedo, Milano- Napoli, R. Ricciardi, 1975.3 Lettre au docteur Maty, secrétaire de la Société royale de Londres, sur les géants patagons,Bruxelles [Paris], s.n., 1767, republiée dans les Bagatelles morales, Londreset Paris, Veuve Duchesne, 1769.
Il est vrai que les voyageurs avaient vérifié la présence
des géants patagons depuis l’aube du 16e siècle et que les
officiers les plus respectables de la Royal Navy ne manquaient
pas encore de les toiser en un siècle que l’on disait être
celui de la raison. D’ailleurs tout semblait justifier leur
existence. La Bible d’abord qui, dans la Genèse4, parlait d’une
création de géants, parallèle à celle que rapporte le
Pentateuque juif5. Au 17e siècle, la théorie des préadamites
avait été fondée sur un passage du Livre sacré : un autre fou
de l’Âge classique, Isaac de la Peyrère6 en avait bâti, à
partir du commentaire d’une épître de saint Paul, une théorie
qui exemptait les gentils du péché originel7, avec les
conséquences qu’on imagine. Mais de saint Augustin à l’article
« Déluge » de l’Encyclopédie, on ne manquait pas de donner
quelque créance à l’existence de géants réfugiés dans une
partie isolée du globe8. En 1520, Antonio Pigafetta avait
consigné la première rencontre des Européens avec les géants
patagons au sud de la Terre de feu9 et, durant trois siècles,
4 « Les géants étaient sur la terre en ces temps-là « (Gn 6, 4).5 Article « Géants », Dictionnaire de la Bible, F. Vigouroux (dir.), Paris,Letouzey et Ané, 1926, t. III, col. 135-138.6 Preadamitæ sive exercitatio super versibus duodecimo, decimotertio et decimoquarto, capitis quintiepistolæ D. Pauli ad Romanos, quibus inducuntur primi homines ante Adamum conditi, s .l,s.n., 1655. Richard H. Popkin, Isaac La Peyrère (1596-1676): His Life, Work and Influence.Leiden, Brill Academic Publishers, 1987.7 « Cependant la mort a régné depuis Adam jusqu’à Moïse, même sur ceux quin’avaient pas péché par une transgression semblable à celle d’Adam, lequelest la figure de celui qui devait venir » (Rom. 5, 14).8 Voir Claudine Cohen, Le Destin du mammouth, Paris, Éditions du Seuil, 1994,p. 53-63 et Maria Susana Seguin, Science et religion dans la pensée française du XVIIIesiècle: le mythe du Déluge universel, Paris, Honoré Champion, 2001.9 Le voyage de Magellan (1519-1522) : la relation d'Antonio Pigafetta & autres témoignages,Xavier de Castro (éd.), Paris, Chandeigne, 2007, t. I, p. 97 : un « indienpatagon […] tant grand que le plus grand d'entre nous ne lui venait qu'à laceinture ».
les expériences d’autopsie s’étaient multipliées10, au point qu’on
ne pouvait « raisonnablement douter » de leur existence, pour
reprendre une expression du très savant président de
l’Académie de Berlin, Pierre Moreau de Maupertuis, qui se
fondait, au milieu du 18e siècle, sur le récit des voyageurs11.
Mais l’expérience trompe parfois la raison et distrait l’esprit
critique. D’ailleurs, dans la décennie suivante, le commodore
John Byron parlait encore de « colosse effrayant », de
« monstre à forme humaine »12. Deux ans plus tard, le capitaine
Samuel Wallis fut plus réservé13.
Car le scepticisme de certains voyageurs avait déjà
déconstruit une partie du mythe patagon. Á l’extrême fin du 17e
siècle, l’ingénieur François Froger avait abordé aux « pays des
Patagons » et n’y avait vu que des Amérindiens d’une taille
très normale14. Quelques années plus tard, en 1715, un
circumnavigateur, plus ou moins compilateur, La Barbinais le
Gentil faisait la même constatation15, en notant malignement
que cette invention des Espagnols ne trompait pas les Français.10 Jean-Paul Duviols, L’Amérique espagnole vue et rêvée. Les livres de voyage de ChristopheColomb à Bougainville, Paris, Promodis, 1986.11 Lettre sur le progrès des sciences: in: Lettres, Seconde Édition, Berlin [Paris], s. n.,1753, Lettre XXIII, p. 218-220: « Patagons ».12 Relation des voyages entrepris par ordre de Sa Majesté Britannique, et successivement exécutéspar le commodore Byron, le capitaine Carteret, le capitaine Wallis et le capitaine Cook dans lesvaisseaux Le Dauphin, Le Swallow et L’Endeavour, traduite de l’anglais, Paris,Saillant et Nyon, Panckoucke, 1774, 4 vol., in-8°, t. I, ch. III: Byronchez les géants Patagons en 1764. Voir John Byron, Journal of hiscircumnavigation, 1764-1766, Cambridge University Press, 1964 (contient uneétude d’Helen Wallis, « The Patagonian Giants »)13 Ibid., t. III, ch. 2.14 Relation d’un voyage fait en 1695, 1696 et 1697 aux côtes d’Afrique, Détroit de Magellan, Brésil,Cayenne et Îles Antilles, par une escadre des vaisseaux du Roi, commandée par M. de Gennes, faitepar le sieur Froger, ingénieur volontaire sur le vaisseau Le Faucon anglais, Paris, à laSphère royale et Michel Brunet, 1698, in-12, ill.. P. 92, pl. h.-t.: « Paysdes Patagons ». P. 96, pl. h.-t.: sauvages du Détroit de Magellan. P. 98:ce sont des Patagons, normaux.15 Nouveau Voyage autour du monde, Paris, Flahault, 1727, t. I, p. 31-33.
En effet, l’essentiel de l’intelligentsia française, dont le
pyrrhonisme était une marque de supériorité, n’y vit qu’une
superstition supplémentaire : le président de Brosses16 et un
autre illustre Bourguignon, le comte de Buffon17 rejoignirent
le citoyen de Genève18 dans cette mise en examen du gigantisme
magellanique. Certes, ils n’avaient pas voyagé, mais la raison,
cette fois-ci, était une boussole sûre dans les havres de la
mer du Sud. Des voyageurs britanniques allaient aussi dans le
même sens et contredisaient, avant l’heure, les rêveries
d’autres officiers de la Royal Navy. Ce fut le cas de l’amiral
George Anson19 et de ses compagnons20 qui ne virent, au début
des années 1740, que des Patagons, certes misérables, mais
d’une taille normale. Le mythe était plus qu’écorné, quand, en
décembre 1767, Bougainville croisa dans les parages, lors de
son tour du monde ; il fut assez satisfait de contredire les
Britanniques - qui, quelques années auparavant, l’avaient
retenu prisonnier en Angleterre- en détruisant pour toujours ce
fantasme séculaire : « robuste et bien nourri », le Patagon
16 Charles de Brosses, Histoire des navigations aux Terres australes, Paris, Durand,1756, t. II, p. 324 et sqq.17 Georges Leclerc, comte de Buffon, Histoire naturelle, in-12, Paris, Imprimerieroyale, 1752, t. VI: Histoire naturelle de l’homme. Variétés dans l’espèce humaine [1749].18 Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi leshommes [1755], in Oeuvres complètes, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1964, t.III, p. 214: « les Patagons vrais ou faux ».19 Voyage autour du monde fait dans les années MDCCXL, I, II, III, IV par George Anson, présentementLord Anson, commandant en chef d’une escadre envoyée par Sa Majesté britannique dans la Mer duSud tiré des journaux et autres papiers de ce seigneur, et publié par Richard Walter, maître ès arts etchapelain du Centurion dans cette expédition, Amsterdam et Leipzig, Paris, Charles-Antoine Jombert, s.d., in-4°, cartes, plans et ill., p.51-58: la côte desPatagons avec planches. Édition originale anglaise publiée à Londres en1748.20 Voyage à la mer du Sud fait par quelques officiers commandants le vaisseau Le Wager pour servirde suite au Voyage de Georges Anson, traduit de l’anglais, Lyon, Frères Duplain, 1756, in-4°, p. 128: sur les Patagons « grands et bien faits » et pas spécialementgigantesques. Voir aussi la Table des matières à « Patagons », p. XI.
était le produit parfait de la « nature » sauvage et rien de
plus21. Le 17 janvier 1769, lors de son premier « voyage autour
du monde », le capitaine James Cook fit une remarque identique
sur les habitants de la Terre de feu : «[…] il n’y en avait
point dont la taille excédât cinq pieds dix pouces. Ils
joignent à beaucoup de carrure un air robuste, sans cependant
avoir les membres fort gros »22. Il fallut encore attendre
quelques années pour que Cook, lors de son second voyage (1772-
1775), mette un terme à un autre mythe des mers du Sud, le
Continent austral, dont les habitants avaient enfiévré
l’imagination des rédacteurs d’utopies, de Gabriel de Foigny23
à Nicolas Edme Restif de la Bretonne24.
C’est alors qu’intervint Cornelius De Pauw. Celui que
Bougainville désignait comme « le savant et ingénieux auteur
des Recherches philosophiques sur les Américains »25 était né à Amsterdam
en 1739 et ne voyagea jamais vers les mers du Sud26. Après des
21 Louis-Antoine de Bougainville, Voyage autour du monde [1771], Michel Bideauxet Sonia Faessel (éd.), Paris, PUPS, 2001, p. : « […] c’est l’homme qui,livré à la nature et à un aliment plein de sucs, a pris toutl’accroissement dont il est susceptible » . Voir aussi Bougainville et sescompagnons autour du monde, Étienne Taillemite (éd.), Paris, Imprimerienationale, 1977, t. I, p. 268-269.22 Journal d’un voyage autour du monde en 1768, 1769, 1770 et 1771 […] Traduit de l’anglais, par M.de Fréville, Paris, Saillant et Nyon, 1773, p. 45. Relation publiée l’annéeprécédente comme Supplément au voyage de M. de Bougainville et attribuée à deuxcompagnons de Cook, Joseph Bank, son financier et de la Royal Society, etle botaniste suédois Daniel Solander ou, tout simplement, à James Magra,marin sur l’Endeavour.23 La Terre australe connue, « Vannes, Jacques Verneuil » [Genève, La Pierre],1676.24 La Découverte australe, par un homme volant, ou le Dédale français. Nouvelle très philosophiquesuivie de la lettre d’un singe, Leipzig, Paris, Veuve Duchesne, 1781, 4 vol.25 Voyage autour du monde, op. cit., p. 226.26 L’article : « Pauw (Corneille de) » de la Biographie universelle de Louis-Gabriel Michaud (Paris, Mme C. Desplaces et Leipzig, F. A. Brockhaus, s.d., t. 32, p. 321-322) est excellemment documenté par son auteur (D-x) quiétait l’un des correspondants parisiens de De Pauw.
études à Göttingen, ce jeune sous-diacre protégé de Charles
d’Oultremont, prince-évêque de Liège fut envoyé à Berlin pour y
défendre les intérêts de cette principauté ecclésiastique
relevant du Cercle de Westphalie27. C’est là que Frédéric II
apprécia son originalité et voulut le retenir à Potsdam avec
une pension et une place à son Académie, mais, mal à l’aise en
société, De Pauw quitta rapidement l’entourage du roi de Prusse
pour s’installer, comme chanoine de Xanten, à Clèves, dans les
terres prussiennes du Rhin inférieur. Auteur très prolifique,
il mourut en 1799 après avoir connu, sinon apprécié, la gloire
éphémère et l’exécution de son neveu, Anacharsis Cloots (1755-
1794), l’orateur du Genre humain militant pour la République
universelle, athée déterminé (au déplaisir de Robespierre) et
membre de la Convention guillotiné pour « hébertisme »28. Le 26
août 1792, par décret de l’Assemblée nationale, De Pauw avait
eu la satisfaction, avec son neveu et diverses personnalités
étrangères, dont George Washington, d’être déclaré « citoyen
français » pour avoir « servi la cause de la liberté et
préparé l’affranchissement des peuples »29. On constatera ci-
dessous que cet éloge était moins fondé sur des mérites réels
que le produit d’une certaine rhétorique d’époque30.
27 Sur Liège et son univers intellectuel, voir Les Lumières dans les Pays-Basautrichiens et la principauté de Liège, Bruxelles, Bibliothèque royale Albert Ier ,1983.28 Roland Mortier, Anacharsis Cloots ou l’utopie foudroyée, Paris, Stock, 1995.29 Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs & politiques deschambres françaises. Première série (1787 à 1799), tome 49, du 26 août 1792 au 15septembre 1792 au matin. J. Mavidal et E. Laurent (éd.). Paris, Paul Dupont,1896, p. 10-11.30 Notons cependant que De Pauw avait publié cinq ans auparavant desRecherches philosophiques sur les Grecs (Berlin, Georges Jacques Decker et fils,1787, 2 vol.), où il faisait l’éloge de la démocratie athénienne opposée au« despotisme asiatique » qui régnait alors en Europe.
Certes, la publication des ouvrages à paradoxes dont nous
allons parler avait été jusqu’à fasciner d’autres esprits
singuliers : Diderot sollicita De Pauw pour l’article :
« Probabilité » (histoire, géographie) du Supplément à
l’Encyclopédie, contribution qui était pleinement dans la
perspective méthodologique du chanoine de Xanten. Voltaire, qui
le considérait comme « un très habile homme, plein d’esprit et
d’imagination : un peu systématique à la vérité, mais avec
lequel on peut s’amuser et s’instruire »31, lui dédia, avec
quelques condescendance, ses Lettres chinoises, indiennes et tartares, à M.
Pauw, par un Bénédictin (Genève, 1776)32.
Voltaire avait été retenu par le dernier ouvrage de De
Pauw publié en 1773 à Berlin33, les Recherches philosophiques sur les
Égyptiens et les Chinois34, où le chanoine de Xanten développait
l’idée que l’image positive de la civilisation chinoise venait
du discours intéressé de missionnaires soucieux d’attirer vers
l’Empire du milieu la sympathie – et les fonds - des
Européens35. La Chine véritable n’était pas celle que les
philosophes, dont au premier chef Voltaire, qui en faisaient
un modèle pour l’Occident. Mais les chronologies chinoises qui
31 Lettre à Frédéric II, du 21 décembre [1775], Best D19806 .32 « Tout ce que je dis des brahmanes est puisé mot à mot dans les écritsauthentiques que M. Pau connaît mieux que moi », lettre à Frédéric II, du29 janvier 1776, Best D19889. Le Bénédictin est vraisemblablement DomPernety, ennemi intime de De Pauw, comme nous le montrons plus loin.33 Sur le marché du livre berlinois francophone très actif dans les années1760-1770, à la place de la Hollande, voir Christiane Berkvens-Stevelinck,« La librairie française à Berlin : le rôle de la diaspora huguenote et dela librairie hollandaise », Histoire et civilisation du livre, V (2009), p. 247-267.34 Berlin, G. J. Decker, 1773, 2 vol.35 « […] la réputation de ces Asiatiques était principalement fondée surl’enthousiasme répandu en Europe par la voix des missionnaires », op. cit., t.I, « Préface », p. v. Votre le ch. « Itinéraires jésuites en Chine ou lesLumières naissent à l’Est » de notre Théâtre des voyages, op. cit., p. 353-367.
remontaient au-delà de la date du Déluge dérangeaient le comput
biblique. Au siècle précédent, Athanase Kircher, savant jésuite
universel du Collège romain, avait résolu la question en
faisant de la Chine une colonie … égyptienne36. Cette vérité à
confirmer avait, en outre, l’avantage, de ramener vers
l’Occident l’origine des civilisations. Quelques années avant
l’ouvrage de De Pauw, l’académicien Joseph de Guignes reprit et
développa à nouveaux frais cette théorie qui trouvait des
pyramides en Chine et une grande muraille en Égypte37. Ce type
d’études « philosophiques »38 engagées par De Pauw avait été36 China Monumentis, qua Sacris qua profanis, nec non naturae et artis spectaculis, aliarumquererum memorabilium argumentis illustrata, Romae, Typis Varesij, s. d.., fol. (autreéd.: Amstelodami, apud Joannem Janssonium a Waesberge et ElizeumWeyerstraet, 1667, [fol., 237 p.] ; Antwerpiae, apud Jacobum a Meurs, 1667[fol., XIV-246 p., contrefaçon de l’édition d’Amsterdam] ; traductionfrançaise de F. S. Dalquié, La Chine d’Athanase Kircher de la Compagnie de Jésus, illustréede plusieurs monuments tant sacrés que profanes, et de quantité de recherches de la nature et del’art, Amsterdam, Chez Jean Janssons à Waesbergae et les Héritiers d'ElizéeWeyerstraet, 1670 [fol., XVI-367 p.] ; traduction néerlandaise par J. H.Glazemaker, Amsterdam, Johannes Janssonius van Waesberge en de Wed. WijlenElizeus Weyerstraet, 1668 [fol., 286 p.] ; édition et traduction anglaisepar John Ogilby, London, 1669. Voir Joscelyn Godwin, Athanasius Kircher, Le Théâtredu Monde, trad. française par Charles Moysan, Paris, Imprimerie nationale,2009 et notre Théâtre des voyages, op. cit., p. 356-357.37 Mémoire dans lequel on prouve que les Chinois sont une colonie égyptienne, Paris,Desaint et Saillant, 1759 ; « Observations sur quelques points concernantla Religion et la Philosophie des Égyptiens & des Chinois », Histoire del’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres, t. 40 (1773-1775), Paris, Imprimerieroyale, 1780 p. 163-186, etc. Pour une synthèse rapide des divers acteursde cette querelle, voir Henri Cordier, Histoire générale de la Chine et de ses relationsavec les pays étrangers, Paris, Paul Geuthner, s. d., t. I, p. 11-19 et notreThéâtre des voyages, op. cit., p. 356-358 38 Une étude serait la bienvenue sur l’utilisation récurrente de cetadjectif dans des titres d’ouvrage où la « philosophie » pouvait être unparatonnerre de l’extravagance ou, au mieux, une revue d’idées reçues parles esprits « éclairés » du siècle. C’est par dizaines, et sans doute,plus, que l’on peut compter ces productions aux sujets très divers : desRéflexions philosophiques sur l’immortalité de l’âme raisonnable (Amsterdam et Leipzig,Arkstée et Merkus, 1744) de Jean-Henri Samuel Formey aux Lettres philosophiquessur les physionomies (« La Haye, Jean Neaulme » [Paris], 1746) de JacquesPernetti, aux Considérations philosophiques sur l’action de l’orateur (Amsterdam etParis, Veuve Desaint, Caen, J. Manoury fils aîné, 1775) de Dom François-Philippe Gourdin et aux Essais philosophiques sur les mœurs de divers animaux étrangers
largement remis à la mode par l’abbé Guillaume-Thomas Raynal
qui, trois ans plus tôt, avait donné la première édition de son
Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des
Européens dans les deux Indes39. De Pauw, qui savait allier la
misanthropie à l’art de se faire des ennemis, n’avait pas
manqué dans son étude comparée de la Chine et de l’Égypte
d’accuser Raynal de sinophilie philosophique et de contester sa
« prévention en faveur des Chinois »40. Mais il l’avait précédé
dans l’étude du Nouveau Monde par ses Recherches philosophiques sur
les Américains ou Mémoires intéressants pour servir à l’histoire de l’espèce humaine
publiées en 1768 chez le même éditeur berlinois41.
De Pauw était, on vient de le voir, un homme à paradoxes,
qui se refusait à suivre le jugement commun, fût-il assez
autorisé42. Il en fut de même pour l’Amérique. Le mythe des
géants de la Magellanique l’avait particulièrement attiré. Et
si l’on faisait un peu de géopolitique, il était assez évident
que le continent américain, tant au nord qu’au sud, semblait
entrer dans le concert mondial des futures nations émergentes
en ces décennies du second 18e siècle. Les économistes
européens voyaient dans les treize colonies anglaises du nord
(Paris, Couturier fils et Veuve Tilliard, 1783) de Foucher d’Obsonville,ouvrage de compilation viatique dédié à Buffon, etc. L’archétype fut, ons’en doute, les Lettres philosophiques (« Amsterdam, Lucas » [Rouen, Jore],1734) de Voltaire, dont la version antérieure anglaise portait seulement letitre de Letters concerning the English nation (London, C. Davis and A. Lyon, 1733).39 « Amsterdam » [Paris], s.n., 1770, 6 vol. in-8°. 40 Recherches philosophiques sur les Égyptiens et les Chinois, op.cit., t. I, « Préface », p.vi.41 Berlin, G. J. Decker, 1768, 2 vol. La « nouvelle édition, corrigée etconsidérablement augmentée » publiée à Clèves J. G. Bærstecher, 1772, 3vol. est citée ici même in-texte sous le sigle RA, suivi du tome et de lapage.42 Il réfute, par exemple, malignement un jugement de Buffon en lequalifiant de « Naturaliste si ingénieux, et quelquefois plus ingénieux quela Nature elle-même », RA, t. I, p. 225.
élargies par la conquête de la Nouvelle-France et d’une partie
de la Louisiane (traité de Fontainebleau, 1763) un vaste
territoire pour la colonisation européenne et, sans doute, un
futur concurrent. En 1766, par exemple, l’économiste Jacques
Accarias de Sérionne en faisait l’analyse dans un ouvrage dédié
à Catherine II, Les Intérêts des nations de l’Europe développées relativement
au commerce43 : « […] par la nature de leurs productions
semblables à celles de l’Europe, par leur industrie et les
manufactures qui s’y sont introduites, et par l’indépendance de
leur Métropole, à laquelle elles sont sur le point de
s’élever », les colonies anglaises formeront « peut-être un
jour une Nation très puissante, rivale de l’Europe […] C’est
une Nation naissante, qu’un commerce indépendant ne cesse de
fortifier, dont on ne saurait prévoir les limites »44. Ce
pronostic ne pouvait que provoquer la veine érudite du chanoine
de Xanten.
Une section entière de la troisième partie de ses
Recherches philosophiques sur les Américains (RA, t. I, p. 331-384) est
consacrée aux Patagons. Se fondant sur une compilation critique
de récits de voyageurs, dont il fait un historique minutieux
(p. 339-364) depuis Pigafetta jusqu’à la relation toute récente
de François Chenard de la Giraudais en 176745, De Pauw se
convainc - assez aisément, n’en doutons pas - que le mythe
patagon est essentiellement le fruit de l’imagination déréglée
de « simples marins, ou de simples aventuriers, à qui on ne43 Leipzig, Héritiers de Weidemann et Reich, 1766, 2 vol. in-4°.44 Op. cit., t. I, p. 427-428.45 Compagnon de Bougainville et commandant de la flûte L’Étoile, La Giraudaisavait rencontré des Patagons d’une taille normale, ainsi que le nota sarelation publiée dans le Journal des savants, 1767, t. xxx, p. 33 et citée parDe Pauw (RA, t. I, p. 364).
peut, en aucun sens, accorder le titre de Philosophe ou de
Naturaliste » (p. 364). « Cet exemple apprendra aux Savants,
qui travailleront dans la suite sur les Relations des
Voyageurs, à user de la dernière sévérité : il ne faut se
laisser effrayer ni par le nombre, ni par l’autorité des
témoins qui attestent un prodige ; lorsqu’il est démontré que
ces témoins ne sont pas des Philosophes » (RA, t. I, « Discours
préliminaire », p. xviii). Une fois de plus, le statut de
« philosophe » légitimait la pratique critique de De Pauw46.
Qui disait « philosophe » disait libéré de toutes les
superstitions et juger non en fonction du nombre des
témoignages mais selon la simple raison47. Ce fut pour lui,
par exemple, l’occasion de citer, à propos des géants des
Indes occidentales, une page obscène de l’Inca Garcilaso de la
Vega48, qui combinait deux tares évidentes, être trop bon
catholique et à moitié espagnol49 : « […] le judicieux
Garcilasso observe que ces hommes énormes ayant écrasé, par
leur masse, les femmes du Pérou en voulant s’en servir, se
déterminèrent entr’eux à la pédérastie comme moins périlleuse ;46 « Nous croyons qu’en se servant même, avec rigueur, de la Critiquehistorique, on est infiniment plus éloigné de violer les lois del’Histoire, qu’en admettant sans examen des fables révoltantes pour desvérités incontestables », RA, t. I, « Discours préliminaire », p. ix.47 On se reportera pour une définition d’époque à l’article « Philosophe »de l’Encyclopédie (« Neuchâtel » 1765, t. xii, p. 509-511 : « un honnêtehomme qui agit en tout par raison »), article anonyme extrait du Philosophede César Chesneau du Marsais.48 De Pauw cite son Histoire du Pérou, livre 9, ch. 9, traduite par Jean Baudoin[Histoire des guerres civiles des Espagnols dans les Indes, Paris, Antoine Courbé, 1650, 2vol.] et la traduction de Thomas-François Dalibart, Histoire des Incas, t. I,ch. 12, p. 33 [Paris, Prault fils, 1744, 2 vol.]. Plus loin, il juge,néanmoins, ce « métisse » capable d’avoir écrit un tel ouvrage grâce à sesorigines paternelles européennes (RA, t. II, p. 169) ! 49 « Les Espagnols, ces possesseurs indolents et fanatiques d’une contréequ’ils ont dévalisée en brigands et en barbares », RA, t. I, « Discourspréliminaire », p. xii.
mais Garcilaso et Torquemada, en prétendant débrouiller la
mythologie péruvienne, ont expliqué l’absurde par l’absurde,
selon la méthode de leur siècle et les bornes de leur génie »
(RA, t. I, p. 365). La critique mythographique et
l’ « histoire naturelle de l’homme » à la manière de Buffon
renvoyaient au néant ces produits de l’imagination d’Européens
plus primitifs que les « sauvages » qu’ils se flattaient de
mesurer à leur juste hauteur.
Ayant fait table rase des géants des Terres magellaniques,
De Pauw entendait s’attaquer à un plus vaste projet : prouver
que l’Amérique serait le tombeau des Européens qui s’y
risqueraient. La méthode employée fut la même : l’utilisation
critique des relations de voyage dans les diverses langues de
l’Europe et une revue thématique de tout ce qui pouvait
convaincre de cette théorie hasardeuse. D’une certaine manière,
les voyageurs auraient dû rencontrer des nains et non des
géants dans les étendues glacées de la Terre de feu. Car tout
en Amérique témoignait d’une nature rétrécie et nettement
mortifère. L’inventaire que fait De Pauw concerne à la fois les
conditions générales (climat « pernicieux) et la diversité de
la vie « dégénérée » qui en est la conséquence, tant pour
l’homme que pour la faune et la flore. « Le climat de
l’Amérique était, au moment de la découverte, très contraire à
la plupart des animaux quadrupèdes, qui s’y sont trouvés plus
petits d’un sixième que leurs analogues de l’ancien continent »
(RA, t. I, p. 4). Ce constat sur les « habitants abrutis » du
Nouveau Monde (RA, t. I, p. 258), qui exonère, on le voit, les
Européens de l’accusation de saccage colonisateur, s’applique à
tout ce qui tente de vivre dans les divers paysages du
continent, des Patagons aux esquimaux. C’est là que la nature
brute est restée en enfance et n’a pas connu ce que plus tard
on appellera l’évolution des espèces, notion dont De Pauw a une
vague prescience : au nord, où vivent les esquimaux, ils
chassent aisément les cétacés, car « l’instinct de ces machines
flottantes [est] aussi obtus, aussi borné que leurs organes
sont grossièrement construits ; on les détruit sans les
combattre » (RA, t. I, p. 289). Les naturels de ces contrées ne
ressemblent que de fort loin à l’humanité connue ailleurs :
« aussi est-ce la seule nation où l’on ait observé que les
mères lèchent leurs enfants nouvellement nés, à l’instar de
quelques animaux quadrupèdes » (RA, t. I, p. 302).
De Pauw multiplie les témoignages des voyageurs et des
savants en chambre dans une sorte de vertige érudit qui l’amène
parfois à des développements apparemment hors de propos comme
la longue section sur « la couleur des Américains » (RA, t. I,
p. 200-236) et celle « des Anthropophages » (RA, t. I, p. 236-
274). Dans la première, il épilogue longuement sur la couleur
des nègres qu’il attribue à l’excessive chaleur de la « zone
torride », couleur qui disparaîtra lorsque les noirs habiteront
des climats tempérés50. Il n’est pas le premier, ni le dernier,
à développer une semblable théorie51. Á la même latitude que50 « […] il est certain que le climat seul produit toutes les variétés qu’onobserve parmi les hommes » (RA, t. I, p. 216) ; « […] le climat seulcolorie les substances les plus intimes du corps humain » (p. 219) ; « Lesenfants des nègres naissent blancs : ils n’ont de noir qu’aux ongles, etquelquefois aux parties génitales » (p. 229).51 Voir l’article « Nègre » (Histoire naturelle) de l’Encyclopédie (Neuchâtel,1765, t. XI, p. 76-79) par Jean-Henri Samuel Formey, secrétaire del’Académie de Berlin: les « nègres semblent constituer une nouvelle espèced’hommes ». « Si l’on s’éloigne de l’équateur vers le pôle antarctique, lenoir s’éclaircit, mais la laideur demeure ». Et aussi l’article « Nègres
les Africains52, les Amérindiens du sud ont la peau claire, car
ils vivent pour la plupart à une altitude plus élevée qui
protège des rayons trop ardents du soleil. Il pense, en
revanche, avec justesse - ce que la science anthropologique
confirmera plus tard - que les Amérindiens, qui ressemblent aux
« petits Tartares » (RA, t. I, p. 155), seraient venus de la
Sibérie orientale par ce que nous appelons le détroit de
Behring du nom de Vitus Béring qui passa le premier en 1741 de
l’Asie à l’Amérique pour le compte de la Russie. Quant à
l’anthropophagie des Amérindiens, elle n’est pas constitutive
de ce continent, car elle correspond à « l’homme sauvage [qui]
est quelquefois emporté et sanguinaire », ce qui permet à De
Pauw de brosser un vaste panorama des crimes commis au nom du
catholicisme, Saint-Barthélemy comprise et de constater
qu’ « au milieu d’un siècle philosophique », les Européens
n’ontt encore rien de plus pressé que d’en découdre « avec une
industrie surprenante et un acharnement incroyable » (RA, t. I,
p. 237). Les sacrifices humains perpétrés par les Incas ou par
les Aztèques sont à mettre dans cette perspective et les
blancs » (Histoire naturelle) anonyme (ibid., p. 79) sur les albinos : « Ilest vrai que tous les nègres sont blancs en venant au monde ».52 De Pauw donne des Africains noirs une image d’un racisme prétendumentfondé sur des critères scientifiques, dont il donne le détail : incapablesde se civiliser (RA, t. I, p. 113), « ils diffèrent autant peut-être despeuples blancs, par les bornes étroites de leur mémoire et l’impuissance deleur esprit, qu’ils en sont différents par la couleur du corps et l’air dela physionomie » (RA, t. I, p. 208). C’est pourquoi, note De Pauw, leurinaptitude à se gouverner eux-mêmes en fait d’ « excellents esclaves »(ibid.). Ce texte est à mettre en parallèle avec d’autres esprits« philosophiques » contemporains qui condamnent l’esclavage, en particulierJacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, Voyage à l’Île de France, à l’Île Bourbon, aucap de Bonne-Espérance, par un officier du roi, Amsterdam et Paris, Merlin, 1773, t. I,lettre XII : « Des noirs », p. 188-200, qui condamne l’esclavage au nom dela morale, plus que Raynal qui le juge davantage au nom de l’économie etd’une colonisation rénovée où l’Afrique serait développée rationnellementet « philosophiquement » avec ses habitants.
conquistadores – espagnols au premier chef naturellement - qui
les soumirent étaient des « sauvages » civilisés. Cela ne fait
pas, cependant, de l’Amérique le futur sanctuaire d’une
civilisation renouvelé quoi qu’en pensent alors « philosophes »
et économistes. Les deux siècles depuis sa « découverte »
prouvent le contraire.
Les sections suivantes des Recherches en rajoutent encore
dans les redites de thèmes précédemment développés, tant sur
les « nègres blancs » [albinos], « l’orang-outang », les
« hermaphrodites de Floride », « la circoncision et
l’infibulation », le « génie abruti des Américains », les
« usages bizarres », « l’usage des flèches empoisonnées », que
dans quatre sections assez désordonnées sur « la religion des
Américains », le « grand lama », « les vicissitudes de notre
globe » et le « Paraguay ». Le rappel seul de ces sections sans
liens précis, du moins en apparence, mais d’une impeccable
érudition en soi si l’on s’en tient à la méthode encyclopédique
de De Pauw, évoque davantage les obsessions « philosophiques »
de l’auteur qu’un esprit dialectiquement organisé. L’avalanche
documentaire est de montrer que les métissages conduisent à
des dégénérescences qui s’expliquent, génération après
génération, chez les êtres humains par « des vices de la
complexion » (RA, t. II, p. 27) et par « le vice secret de
leurs humeurs » (p. 35) ; il range parmi ceux-ci les
hermaphrodites comme les amazones53, et il s’interroge sur les53 Contestant Charles-Marie de la Condamine (Relation abrégée d'un voyage fait dansl'intérieur de l'Amérique méridionale, Paris, Veuve Pinot, 1745), qui croyait à« cette confédération de femmes indiennes », De Pauw propose une simpleinterprétation sociologique de l’existence d’Amérindiennes, « errantes etsolitaires », réfugiées dans les forêts pour se protéger de la violence deleurs maris (RA, t. II, p. 117-118).
conséquences de même type concernant les pratiques
« sauvages » des mutilations sexuelles, d’où les chapitres sur
la circoncision et l’infibulation. Cela vaut pour tous les
continents, mais, en particulier, pour l’Amérique coloniale.
Car, déjà victime d’une nature vicieuse et dégénérative,
l’Amérique sera le tombeau de populations qui s’y risqueront de
l’extérieur, ceux que De Pauw nomme les « créoles ».
L’esclavage des noirs, les mariages mixtes entre Amérindiens et
Européens conduisent à un métissage qui accélère encore la
dégénérescence « naturelle » du continent.
L’expérience coloniale a prouvé depuis le 16e siècle,
selon De Pauw, que les animaux importés d’Europe au Nouveau
Monde « ont essuyé, sans en excepter aucun, une altération
sensible, soit dans leur forme, soit dans leur instinct » (RA,
t. II, p. II, p. 182). Il en a été de même pour les Européens
transplantés : « […] on s’est convaincu que le dégénération
qu’on avait cru possible, était réelle. Enfin, on est venu au
point d’affirmer que les Créoles de la quatrième, et de la
cinquième génération, ont moins de génie, moins de capacité
pour les sciences que les vrais Européens » (p. 183). « Vice
réel », « altération du physique du tempérament, sous un climat
ingrat et contraire à l’espèce humaine » (p. 185) témoignent de
ce lent et fatal ravalement des Créoles au niveau des
populations d’origine, « sans barbe, sans esprit, atteints du
mal vénérien54, et tellement déchus de la nature humaine qu’ils
étaient indisciplinables, ce qui est le complément de la
stupidité » (p. 232). Et ce n’est pas l’existence des
54 Mal originaire d’Amérique et bien plus virulent sur les Européens quil’importent dans l’Ancien Monde (RA, t. I, p. 49, 268-272).
réductions jésuites du Paraguay, à laquelle il consacre un
dernier chapitre, qui prouverait le contraire, et ce bien
qu’elles fussent censées élever les « sauvages à la
« civilisation », car ces « oppresseurs politiques des
Indiens » (p. 403) ont mené, dans le plus grand secret
autarcique, une entreprise d’asservissement sous le couvert de
la religion. « Il n’est jamais glorieux de faire des
esclaves » (p. 415).
On peut imaginer que l’ouvrage de De Pauw fit quelque
bruit dans les milieux qui se qualifiaient eux-mêmes de
« philosophiques ». D’aucuns y virent la trace d’un génie
particulier comme le baron d’Holbach55. D’autres ne manquèrent
de se scandaliser de ces théories attentatoires à l’idée de
progrès universel. Thomas Jefferson, futur président des États-
Unis, en possédait un exemplaire dans sa résidence de
Monticello et dans une lettre au marquis de Chastellux, il en
dit tout le mal qu’il en pensait56.L’attaque la plus violente
vint du bord même de De Pauw, de Berlin et de son académie
frédéricienne. Dom Antoine-Joseph Pernety, ce bénédictin qui
avait préféré se réfugier en Prusse sous la protection de
Frédéric II à la suite de ses ennuis avec l’inquisition
55 Lettres à l’abbé Ferdinando Galiani et à John Wilkes (19 mars, 3 juin,25 août 1770 et 1er décembre 1771). Paul Thiry, baron d’Holbach, Die gesamteerhaltene Korrespondanz, Hermann. Sauter et Erich Loos, Wiesbaden, F. Steiner,1986.56 « Paw, the beginner of this charge was a compiler from the works ofothers; and of the most unlucky description; for he seems to have read thewritings of travellers only to collect and republish their lives. it isreally remarkeable that in three volumes 12mo. of small print it isscarcely possible to find one truth, and yet that the author should be ableto produce authority for every fact he states, as he says he can » (7 juin1785).
d’Avignon57, avait accompagné, quelques années auparavant,
Louis-Antoine de Bougainville comme aumônier et naturaliste
lors de sa première expédition aux îles Malouines ; il en
rapporta un Journal historique d’un voyage fait aux îles Malouines en 1763 et
1764, pour les reconnaître, et y former un établissement; et de deux Voyages au
Détroit de Magellan, avec une Relation sur les Patagons publié à Berlin chez
Étienne de Bourdeaux, en 1769, 2 vol. C’est aussi à Berlin
que, l’année précédente, De Pauw avait fait imprimer ses
Recherches philosophique sur les Américains. Le voyageur s’opposait au
« philosophe » en chambre. Pernety avait sur De Pauw l’avantage
d’avoir pratiqué l’autopsie des Patagons à propos desquels le
chanoine de Xanten avait, comme l’on sait, des idées
« philosophiques » très arrêtées. Dès la préface de son Journal
historique, Dom Pernety s’en prit ouvertement à De Pauw au sujet
des géants de la Magellanique. Mettant en parallèle les divers
récits aussi bien français qu’anglais, le bibliothécaire de
Frédéric II, membre de son Académie berlinoise, concluait
méchamment : « Cette comparaison prouvera aux personnes
incrédules, et à ceux qui ont trop d’amour propre, pour
vouloir paraître seulement ignorer ce qu’ils n’ont jamais
appris, ou qui par ce principe se font un devoir de nier ce
qu’ils n’ont pas vu, qu’il existe néanmoins une race d’hommes
dont la grandeur et l’énormité du corps apprennent à ces
incrédules vains et superbes, qu’ils se trouvent réduits à
57 Joanny Bricaud, Les Illuminés d'Avignon. Étude sur Dom Pernety et son Groupe, Paris,Librairie Critique Émile Nourry, 1927.
n’être que les moins petits dans la race des Nains »58. La
guerre était déclarée.
Dom Pernety prit encore une année pour polir son exécution
capitale des Recherches philosophiques sur les Américains. Ce fut sa
Dissertation sur l’Amérique et les Américains, contre les Recherches philosophiques
de M. de P. qu’il signa une nouvelle fois comme membre de
l’Académie de Berlin et bibliothécaire du roi de Prusse, chez
G. J. Decker, « libraire du Roi ». L’attaque était frontale et
suggérait qu’il avait l’appui de son royal protecteur, d’autant
qu’une partie de l’ouvrage avait été lu à l’Académie elle-même
comme le signala Dom Pernety dans sa Préface59. La Dissertation
était, sur un ton très ironique, une attaque en règle et
détaillée des prétendues erreurs imprimées dans les Recherches
philosophiques. C’était sans doute, remarquait-il dans une flèche
personnelle assez déplaisante, le délire obsessionnel de « M.
de P » qui dérangeait son esprit et sa plume : il avait
« trempé son pinceau dans l’humeur noire de la mélancolie et
délayé ses couleurs dans le fiel de l’envie » pour « humilier
la nature humaine » (D, p. 12) .
D’où venait l’incapacité de De Pauw à considérer d’autres
formes de civilisation et de culture ? « Nous faisons parler
[…] notre éducation sous le nom de la philosophie » (D, p.
13), commentait Pernety en retournant contre son adversaire un
concept qui avait justifié la méthode critique du chanoine de
58 Journal historique, op. cit., t. I , «Préface », p. xi-xii. Voir au t. II (n.p.)la planche xvi représentant un Européen faisant la coutume avec une famillede géants patagons.59 P. [5-6]. Nous citons d’après le t. 3 des Recherches (Berlin, s. n., 1770)de De Pauw qui reproduit (136 p.) avant de la critiquer la Dissertation dePernety. La Dissertation est abrégée en D.
Xanten60 ; la « prévention » fort peu philosophique de ce
dernier, ses « préjugés » et son européocentrisme l’auraient
égaré pour comprendre ce que nous appellerions aujourd’hui
l’altérité. Dans les quatre chapitres de la Dissertation, Dom
Pernety appliqua une méthode qui consistait à reprendre
argument après argument les affirmations de son adversaire et à
les contester par des citations viatiques tirées des auteurs
déjà exploités par De Pauw lui-même61. Nous nous épargnons d’en
donner le détail. En résumé, la faune et la flore de
l’Amérique n’avaient rien à envier, bien au contraire, à celles
des climats européens, et l’existence des géants patagons – il
y revint longuement une nouvelle fois (D, p. 50-73) - prouvait
que l’humanité elle-même y trouvait son plein épanouissement.
Pour ce qui était « des qualités du cœur et de l’esprit des
Américains »62, leurs seuls « vices » étaient dues « aux
pernicieux exemples des Européens, et aux mauvais traitements
qu’ils ont exercé contre eux » (D, p. 82-83). Et ces Européens
étaient les véritables barbares, intolérants cruels,
orgueilleux en comparaison avec les « sauvages » d’Amérique,
hospitaliers, éduqués par la simple nature, en quête du
nécessaire et indifférents au superflu. « […] ces Sauvages
incapables de s’élever dans la prospérité, comme de s’abattre
dans l’adversité, sont parvenus naturellement à ce degré de
Philosophie, dont les Stoïciens se vantaient avec si peu de
fondement » (D, p. 127). Voici donc où se trouvaient les vrais60 « […] nous croyons voir par les yeux de la philosophie, lorsque nous nevoyons que par ceux de l’éducation » (D, p. 13)61 Charles de Rochefort, Charles-Marie de la Condamine, Amédée-FrançoisFrézier, Joannes de Laet, Jean de Léry, l’Inca Garcilaso de la Vega,Louis-Armand de Lom d’Arce, baron de Lahontan, etc.62 Titre du ch. 3 de la Dissertation.
« philosophes » : dans les forêts américaines et non dans les
cabinets des vaniteux savants de l’Ancien Monde. On imagine que
De Pauw n’est resta pas là.
Dès l’année suivante, 1770, il publia à Berlin63 une
nouvelle édition de ses Recherches, suivie dans un troisième
volume de la Dissertation de Dom Pernety et de sa propre réplique
à celle-ci, les quarante-six chapitres de la Défense des Recherches
philosophiques sur les Américains. Par M. de P***64. L’ensemble fut
republié à « Londres » [Berlin] en 1771 et en 1772 (Berlin), à
Clèves la même année (sans la Dissertation…) et à Berlin encore
en 1774 et 1777, ce qui confirme l’écho que rencontra cette
polémique sanglante. Particulièrement aigri que la querelle ait
été inaugurée par Dom Pernety devant l’Académie créée par
Frédéric II (DR, Préface, p. [3]), De Pauw s’engagea dès les
premières pages à « citer des preuves » et à «éviter les
déclamations » (DR, p. 6), promesses qu’il ne suivit pas, on
s’en doute, en critiquant aussi « son style affecté et
précieux » (DR, p. 44). La querelle commençait à être lassante,
car les mêmes arguments, déjà amplement ressassés, étaient
réintroduits sans grande variation65. Il rappelait, une
nouvelle fois, les hésitations de l’Église catholique, de
« ces terribles théologiens du seizième siècle », concernant
l’humanité pleine des Amérindiens (DR, p. 8) : pique dirigée
contre Dom Pernety, certes défroqué, mais défenseur dans sa
Dissertation (D, p. 136) de l’ordre de Bénédictins diffamée par De
63Sans nom, mais sans doute chez Étienne de Bourdeaux, 3 vol.64 Pagination nouvelle du tome III (256 p.). La Défense est datée du 26 mars1770. Abrégée ci-desssous par DR.65 Dont cinq chapitres XXXIII-XXXVII sur les « prétendus géants de laMagellanique » (DR, p. 178-208).
Pauw66. Il faisait aussi flèche de tout bois en lui opposant
« l’illustre M. de Buffon » (DR, p. 78-79) 67 sur « la
dégénération des animaux transplantés en Amérique » (ch. XVIII)
ou en s’annexant telle page de Voltaire dans La Philosophie de
l’histoire (DR, p. 20) sur le moindre peuplement de l’Amérique par
rapport aux autres continents68. Il annonçait à nouveau la
disparition des « peuples sauvages » de l’Amérique du nord
repoussés dans les territoires les plus inhospitaliers par la
colonisation anglaise, mais, une fois de plus, il ne s’en
émouvait guère, considérant ce phénomène comme la conséquence
de l’incapacité des Amérindiens à se sédentariser et à cultiver
la terre (DR, p. 22-23). Il est vrai qu’à la même époque,
Raynal tenait un discours identique sur les Indiens du
Brésil69.
La langueur dégénérative due à la créolisation des
Européens « transplantés » était de la même manière, selon De
Pauw, l’origine, sinon la justification, de la traite qui
conduisit vers le Nouveau Monde « des nègres [qui] sont une
marchandise aussi nécessaire à l’Amérique que la farine : ce
pays est si mauvais qu’il faut y aller vendre des hommes, et y
faire à la nature humaine le dernier des affronts » (DR, p.
126). La conséquence politique était que l’Amérique avait un
besoin absolu de l’Europe pour subsister et que « son entière66 Autre attaque contre les « moines mendiants » (DR, p. 137-138).67 Nombreuses autres références à Buffon, dont DR, p. 96-97, etc. Ilcritique pourtant parfois les « idées de ce grand homme » (DR, p. 212) surquelques points qui ne sont nécessairement des détails : la « Nature,encore dans l’adolescence en Amérique n’y aurait organisé et vivifié lesÊtres que depuis peu » (DR, p. 211), selon le résumé qu’en fait De Pauw.68 La Philosophie de l’histoire. Par feu l’abbé Bazin, Genève, Aux dépens de l’auteur,1765, ch. VIII : « De l’Amérique », p. 56-57.69 Dans l’Histoire philosophique, Genève, Jean-Léonard Pellet, 1780, in-8e, t. V,p. 107-110, 202 ; voir F. Moureau, Le Théâtre des voyages, op. cit., p. 281-282.
indépendance est une chose moralement impossible » (DR, p.
129). En bon sujet du roi de Prusse, d’un État parvenu « au
plus beau siècle », sans avoir pratiqué la moindre colonisation
(DR, p. 157), De Pauw se réjouissait que les princes allemands
limitassent autant que possible l’émigration de leurs
ressortissants vers le Nouveau Monde, où ils ne feraient que
dépérir comme les autres populations originaires d’Europe,
alors que l’Afrique resterait longtemps encore pour lui « la
pépinière des cultivateurs » (DR, p. 129-132). On notera, à
titre d’anecdote, qu’il considérait que parmi « les végétaux
transplantées en Amérique » (ch. XXIII), la vigne ne pourra
jamais réussir à « produire des vins comparables à ceux de
Bourgogne ou de Constance70 au cap de Bonne Espérance » (DR,
p. 115).
Un chapitre XXXVI assez malheureux (« Observations sur
les Voyageurs ») traite de l’incertitude de la plupart des
relations de voyages rédigées par « des marchands, des
flibustiers, des armateurs, des aventuriers, des missionnaires,
des religieux qui servent d’aumôniers sur les vaisseaux71, des
marins, des soldats ou des matelots mêmes » (DR, p. 199). Une
telle sortie, qui évoque celle que Rousseau avait faite quinze
ans auparavant72, fragilise de toute évidence une argumentation
fondée presque uniquement sur ce type de textes. L’année
suivante, Bougainville, au retour de son tour du monde,
70 Vignoble créé par des huguenots français au 17e siècle. Voir Dirk Van derCruysse, Le Cap, Paris, Fayard, 2010.71 Attaque directe contre Pernety.72 Dans la note X du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes(1755), Œuvres complètes, op. cit., t. III, p. 212 : « Il n’y a guère que quatresortes d’hommes qui fassent des voyages de long court : les Marins, lesMarchands, les Soldats, et les Missionnaires ».
stigmatisa les philosophes en chambre, « cette classe
d’écrivains paresseux et superbes qui, dans les ombres de leur
cabinet, philosophent à perte de vue sur le monde et ses
habitants, et soumettent impérieusement la nature à leurs
imaginations »73 : on pense généralement que Rousseau était
visé par cette assassinat en règle ; il n’est pas impossible
que le « philosophe » De Pauw ait partagé cette exécution
capitale, malgré l’allusion positive que le navigateur en
faisait par ailleurs74. Cela ne dut pas déplaire à l’ancien
aumônier de Bougainville qui se mit à l’œuvre pour un ultime
« examen » de la Recherche de sa Défense par De Pauw. Ce furent
en effet deux nouveaux volumes que Dom Pernety lança contre son
adversaire favori75. Les redites et les diatribes les plus
attendues n’apportaient guère de nouveau pour notre propos.
La flèche du Parthe fut confiée à un « Anonyme » ( ?) dont
Pernety reproduisit la « Lettre […] à l’Auteur de la Gazette
littéraire de Berlin »76. Elle se concluait ainsi : « Ce qu’il y a de
singulier c’est qu’on appelle tout cela de la Philosophie. Jamais
plus abusif emploi de ce mot, que celui qu’on en fait tous les
jours. On trouve la Philosophie partout, et du moins on
l’annonce, et l’on voudrait nous persuader qu’elle a servi de
flambeau, et de guide dans l’exécution comme dans l’invention
73 Voyage autour du monde, op. cit., « Discours préliminaire », p. 5774 Voir la n. 25.75 Examen des Recherches philosophiques sur les Américains et de la Défense de cet ouvrage,Berlin, G. J. Decker, imprimeur du roi, 1771, 2 vol.76 Examen, Seconde Partie, p. 588. Créée en 1764 par Joseph du Fresne deFrancheville, membre de l’Académie de Berlin et ancien secrétaire deVoltaire, cette Gazette hebdomadaire dura jusqu’en 1792. Voit l’articled’Hervé Guénot dans le Dictionnaire des journaux (1600-1789), Jean Sgard (éd.),Paris, Universitas, 1991, t. II, p. 515-516, notice 571 et la monographiede François Labbé, La Gazette littéraire de Berlin (1764-1792), Paris, Honoré Champion,2004.
des ouvrages qu’on présente au public. Des romans frivoles, des
chansons, quelquefois des contes indécents, sont recommandés
aux Lecteurs, pour le ton philosophique qui y règne. Y a-t-il dans
une méchante petite brochure, quelque quolibet sur la religion,
sur la morale, ou sur les principes de l’éducation, ou du
gouvernement, on prône ce livre comme étant un ouvrage
philosophique »77. La Gazette littéraire de Berlin, organe officieux de
son Académie, fut pendant ces années le terrain favori de ces
affrontements78, dont - on s’en doute- le clan Pernety sortit
vainqueur. Elle eut même la bénignité de rendre compte79 de
l’ouvrage de Pierre Poivre, qui semblait refuser de prendre
parti entre les deux adversaires. De l’Amérique et des Américains ou
Observations curieuses du philosophe La Douceur qui a parcouru cet hémisphère
pendant la dernière guerre, en faisant le noble métier de tuer les hommes sans les
manger80 présentait, en effet, sur le mode ironique un
« philosophe » qui se moquait de cette philosophie
autoproclamée. Grand voyageur et aventurier dans l’océan
Indien, naturaliste et, depuis 1766, intendant des Îles de
France et de Bourbon, le commissaire général de la Marine
Pierre Poivre81 n’était pas de ce monde, bien que lui aussi il
ait publié sous un titre « philosophique » un essai
anthropologique de synthèse du premier ordre : les Voyages d’un
77 Examen, op. cit., Seconde Partie, p. 602-603. 78 François Labbé, op. cit., p. 120-122.79 Sur quatre numéros de la Gazette à partir du 21 janvier 1771.80 Berlin, Samuel Pitra, 1771. Ce livre est parfois attribué à tort à … DomPernety lui-même.81 Voir, entre autres, Jean-Yves Loude, Monsieur Poivre, voleur d'épices, Paris,Belin, 2005
philosophe ou Observations sur les mœurs et les arts des peuples de l’Afrique de
l’Asie et de l’Amérique82.
La conclusion de ces batailles de papier entre Prusse et
Amérique prouve que l’ouverture du siècle des Lumières à
l’altérité, aux civilisations lointaines qui s’étaient
développées selon des règles qui n’étaient pas les nôtres - et
qui ne s’en plaignaient pas-, posait plus de problèmes qu’elle
n’en résolvait. L’élargissement du monde qui faisait de
l’Europe un simple canton de l’univers ne pouvait s’intégrer
facilement à un imaginaire, fût-il « philosophique ». Il
fallait structurer le Nouveau Monde selon une rationalité qui
pouvait l’insérer dans l’histoire de l’esprit humain et dans la
continuité reconstituée de la marche de la nature
perfectionnée. Ce combat d’érudits en chambre était à fois
ridicule et pathétique, car le drapeau de la « philosophie » ne
justifiait aucun des systèmes défendus par les deux
adversaires. Dans la République européenne des Lettres
finissante, ils étaient les ultimes représentants des discours
pro et contra qui avaient animé la scholastique médiévale. Et le
géant de la Magellanique n’était pas là pour les arbitrer.
François Moureau
82 Yverdon, s.n., 1768. Mémoires lus à l’Académie de Lyon et publiés àl’insu de l’auteur ; plusieurs rééditions dont celle augmentée de Londreset Lyon, J. de Ville et L. Rosset, 1769. « Il n’est point de Nation,quelque barbare qu’elle soit, qui n’ait des Arts qui lui soientparticuliers. La diversité des climats, en variant les besoins des Peuples,offre à leur industrie des productions différentes sur lesquelles elle peuts’exercer » (p. 5 de l’édition de 1769).