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1 Le De vanitate mundi d’Hugues de Saint-Victor et la tradition littéraire du contemptus mundi au XII e siècle Cédric GIRAUD (Université de Nancy 2, Centre de médiévistisque Jean Schneider) D’emblée, il faut reconnaître que le titre retenu pour cette commun ication est très ambitieux, trop même : présenter le De vanitate mundi d’Hugues de Saint-Victor, en le replaçant dans l’ensemble du genre littéraire du contemptus mundi auquel il est censé appartenir, est une entreprise dont la réalisation excède les limites du présent cadre et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la notion même de contemptus mundi est multiforme : elle s’exprime dans des traités qui se placent sous cette appellation ou celle de De vanitate mundi, mais elle apparaît également à maints endroits de la littérature chrétienne comme un lieu commun 1 . Les auteurs médiévaux en font remonter l’origine à la fameuse parole du Quohélet : vanitas vanitatum et omnia vanitas 2 . De plus, cette thématique, largement présente, recouvre des significations très diverses : dévalorisation de la création, dépréciation de l’homme ou condamnation de ce qu’il y a de mauvais en lui, le thème est susceptible d’applications à la fois cosmologiques, anthropologiques et morales qui ne se recoupent pas toujours. Il était donc inévitable que l’étude du concept en milieu chrétien posât des questions potentiellement sources d’incompréhensions : le mépris du monde n’étant pas une notion spécifiquement chrétienne, on peut légitimement se demander si son expression littéraire, parfois outrée, exprime réellement l’essence du christianisme ? De là, il est facile de passer à une remise en cause des modes de vie traduisant en acte ce mépris du monde, et notamment l’engagement dans la vie monastique. On le sait, cette relecture à la fois doctrinale et pratique du contemptus mundi a donné lieu dans les années 1960 à une polémique qu’il n’est pas utile de reprendre ici 3 . Pour les uns, cette thématique est un simple lieu commun spirituel, sans réelle portée philosophique, hérité de l’Écriture et de la Tradition tandis que, pour d’autres, il implique une vision plus large du monde le réduisant au mieux à n’être que l’antichambre du ciel, quand il ne s’agit pas d’un ergastule dégradant. Tout en conservant une partie de leur validité, les analyses alors données illustrent également l’état des études religieuses et la situation de l’Église catholique dans le contexte du second concile du Vatican. Même si la présente communication tient compte de ce contexte historiographique, mon propos est un peu différent : il en effet impossible ici et largement inutile de refaire l’histoire d’un thème qui a déjà été traité dans les travaux de Robert Bultot de manière générale, de Francesco Lazzari pour l’école de Saint-Victor et de Heinz Robert Schlette pour ce qui touche le cas d’Hugues 4 . En dépit de leurs différences méthodologiques et de leurs options doctrinales diverses, ces 1 Sur la vanitas mundi dans l’histoire littéraire chrétienne, voir la bonne mise au point de H. J. SIEBEN, Vanité du monde, in Dictionnaire de spiritualité, t. 16, Paris 1994, coll. 257-269. 2 G. DAHAN, et omnia vanitas. Les commentaires d’Ecclésiaste 1, 2 au XII e et au XIII e siècle, in Florilegium mediaevale. Études offertes à Jacqueline Hamesse à l’occasion de son éméritat , éd. J. MEIRINHOS et O. WEIJERS, Louvain-la-Neuve 2009, pp. 129-153. 3 Sans prétention aucune à l’exhaustivité, on peut retenir les articles réunis sur La notion de mépris du monde dans la tradition spirituelle occidentale, in Revue d’ascétique et de mystique, 41 (1965), pp. 232-432 et le compte rendu de Robert BULTOT in Revue d’histoire ecclésiastique, 61 (1966), pp. 512-528, ainsi qu’un des volumes parus de sa thèse, La doctrine du mépris du monde en Occident, de saint Ambroise à Innocent III , t. 4, Le XI e s., 1 : S. Pierre Damien, Louvain - Paris 1963. Un état de la question est donné par R. BULTOT , Anthropologie et spiritualité. À propos du Contemptus mundi dans l'École de Saint-Victor, in Revue des sciences philosophiques et théologiques, 51 (1967), pp. 2-22, auquel il convient d’ajouter les remarques méthodologiques de L.-J. BATAILLON et de J.-P. JOSSUA aux pp. 23-36 et la bibliographie de la controverse donnée aux pp. 37-38. 4 Voir, par exemple, R. BULTOT, Le conflit entre l’aspiration au bonheur et l’idéologie du contemptus mundi, in L'Idée de bonheur au Moyen Âge. Actes du colloque d'Amiens de mars 1984, Göppingen 1990, pp. 87-96 ; F. LAZARRI, Il contemptus mundi nella Scuola di S. Vittore, Napoli 1965 ; H. R. SCHLETTE, Die Nichtigkeit der Welt. Der philosophische Horizont des Hugos von St. Viktor, München 1961.

Le De vanitate mundi d'Hugues de Saint-Victor et la tradition littéraire du contemptus mundi

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Le De vanitate mundi d’Hugues de Saint-Victor et la tradition littéraire du contemptus mundi

au XIIe siècle

Cédric GIRAUD (Université de Nancy 2, Centre de médiévistisque Jean Schneider)

D’emblée, il faut reconnaître que le titre retenu pour cette communication est très ambitieux,

trop même : présenter le De vanitate mundi d’Hugues de Saint-Victor, en le replaçant dans

l’ensemble du genre littéraire du contemptus mundi auquel il est censé appartenir, est une

entreprise dont la réalisation excède les limites du présent cadre et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la notion même de contemptus mundi est multiforme : elle s’exprime dans des

traités qui se placent sous cette appellation ou celle de De vanitate mundi, mais elle apparaît

également à maints endroits de la littérature chrétienne comme un lieu commun1. Les auteurs

médiévaux en font remonter l’origine à la fameuse parole du Quohélet : vanitas vanitatum et

omnia vanitas2. De plus, cette thématique, largement présente, recouvre des significations très

diverses : dévalorisation de la création, dépréciation de l’homme ou condamnation de ce qu’il

y a de mauvais en lui, le thème est susceptible d’applications à la fois cosmologiques,

anthropologiques et morales qui ne se recoupent pas toujours. Il était donc inévitable que

l’étude du concept en milieu chrétien posât des questions potentiellement sources

d’incompréhensions : le mépris du monde n’étant pas une notion spécifiquement chrétienne,

on peut légitimement se demander si son expression littéraire, parfois outrée, exprime

réellement l’essence du christianisme ? De là, il est facile de passer à une remise en cause des

modes de vie traduisant en acte ce mépris du monde, et notamment l’engagement dans la vie

monastique. On le sait, cette relecture à la fois doctrinale et pratique du contemptus mundi a

donné lieu dans les années 1960 à une polémique qu’il n’est pas utile de reprendre ici3. Pour

les uns, cette thématique est un simple lieu commun spirituel, sans réelle portée

philosophique, hérité de l’Écriture et de la Tradition tandis que, pour d’autres, il implique une

vision plus large du monde le réduisant au mieux à n’être que l’antichambre du ciel, quand il

ne s’agit pas d’un ergastule dégradant. Tout en conservant une partie de leur validité, les

analyses alors données illustrent également l’état des études religieuses et la situation de

l’Église catholique dans le contexte du second concile du Vatican. Même si la présente

communication tient compte de ce contexte historiographique, mon propos est un peu

différent : il en effet impossible ici et largement inutile de refaire l’histoire d’un thème qui a

déjà été traité dans les travaux de Robert Bultot de manière générale, de Francesco Lazzari

pour l’école de Saint-Victor et de Heinz Robert Schlette pour ce qui touche le cas d’Hugues4.

En dépit de leurs différences méthodologiques et de leurs options doctrinales diverses, ces

1 Sur la vanitas mundi dans l’histoire littéraire chrétienne, voir la bonne mise au point de H. J. SIEBEN, Vanité du

monde, in Dictionnaire de spiritualité, t. 16, Paris 1994, coll. 257-269. 2 G. DAHAN, … et omnia vanitas. Les commentaires d’Ecclésiaste 1, 2 au XII

e et au XIII

e siècle, in Florilegium

mediaevale. Études offertes à Jacqueline Hamesse à l’occasion de son éméritat, éd. J. MEIRINHOS et O.

WEIJERS, Louvain-la-Neuve 2009, pp. 129-153. 3 Sans prétention aucune à l’exhaustivité, on peut retenir les articles réunis sur La notion de mépris du monde

dans la tradition spirituelle occidentale, in Revue d’ascétique et de mystique, 41 (1965), pp. 232-432 et le

compte rendu de Robert BULTOT in Revue d’histoire ecclésiastique, 61 (1966), pp. 512-528, ainsi qu’un des

volumes parus de sa thèse, La doctrine du mépris du monde en Occident, de saint Ambroise à Innocent III, t. 4,

Le XIe s., 1 : S. Pierre Damien, Louvain - Paris 1963. Un état de la question est donné par R. BULTOT,

Anthropologie et spiritualité. À propos du Contemptus mundi dans l'École de Saint-Victor, in Revue des sciences

philosophiques et théologiques, 51 (1967), pp. 2-22, auquel il convient d’ajouter les remarques méthodologiques

de L.-J. BATAILLON et de J.-P. JOSSUA aux pp. 23-36 et la bibliographie de la controverse donnée aux pp. 37-38. 4 Voir, par exemple, R. BULTOT, Le conflit entre l’aspiration au bonheur et l’idéologie du contemptus mundi, in

L'Idée de bonheur au Moyen Âge. Actes du colloque d'Amiens de mars 1984, Göppingen 1990, pp. 87-96 ; F.

LAZARRI, Il contemptus mundi nella Scuola di S. Vittore, Napoli 1965 ; H. R. SCHLETTE, Die Nichtigkeit der

Welt. Der philosophische Horizont des Hugos von St. Viktor, München 1961.

2

études ont en commun d’avoir choisi le thème du contemptus mundi comme fil directeur de

leurs approches. Il sera ici procédé de manière différente puisque mon point de départ n’est

pas un thème d’histoire doctrinale mais un texte dont j’ai entrepris l’édition critique5. La

démarche adoptée ne consistera donc pas à illustrer à l’aide d’exemples l’histoire du concept,

mais plutôt à s’appuyer sur un document pour éclairer la thématique du contemptus mundi

dans le contexte du XIIe siècle. C’est pourquoi, il a été choisi de présenter le De vanitate

mundi d’Hugues de Saint-Victor en le situant par rapport à deux autres œuvres

contemporaines que sont le Dialogus de mundi contemptu vel amore attribué au bénédictin

Conrad d’Hirsau et le poème anonyme adressé au moine Renaud dit aussi la Chartula6. Il est

apparu que les trois œuvres présentaient suffisamment de points communs et offraient des

différences assez significatives pour permettre une comparaison fructueuse. De ce

rapprochement, on peut attendre des réponses à quelques questions : quelle est la nature

littéraire et doctrinale du De vanitate mundi ? Où le texte se situe-t-il dans l’œuvre du

victorin ? Quelle est son originalité par rapport aux œuvres abordant la même thématique de

manière contemporaine ?

Pour répondre à ces questions, je commencerai tout d’abord par présenter les trois œuvres

retenues, pour ensuite étudier le De vanitate mundi à la lumière de deux autres textes.

I Présentation des œuvres

Par rapport à d’autres œuvres d’Hugues dont l’attribution et la datation posent de sérieux

problèmes, le De vanitate mundi se présente dans une situation plutôt favorable : le texte est

cité dans l’Indiculum de l’abbé Gilduin et la comparaison avec d’autres œuvres permet de la

situer à la fin des années 1120, vers 1128-11297. La principale difficulté du texte tient à la

diversité de la tradition manuscrite qui le fait connaître en deux recensions8. En effet, sur les

quelque 65 manuscrits qui nous font connaître le texte et dont j’ai examiné la quasi-totalité,

on remarque que la tradition se partage en deux familles : moins de vingt manuscrits donnent

comme formant une seule œuvre les deux premiers livres du De vanitate mundi suivis du

Dialogus de sacramentis legis naturalis et scriptae, tandis qu’une quarantaine de codices

offrent un ouvrage qui correspond au texte en quatre livres édité dans la Patrologie latine. La

collation des témoins a permis de déterminer sans risque d’erreur le passage d’une famille à

l’autre. En effet, alors que certains témoins portent les noms Anima et Ratio, d’autres ont les

dénominations Dindimus et Indaletius. Le changement de personnages qui recoupe à peu près

la différence des livres III et IV a laissé des traces dans les accords. Ainsi, on constate que

5 Le texte a fait l’objet de ma thèse d’École des chartes (C. GIRAUD, Le De vanitate mundi d’Hugues de Saint-[†

1141], édition critique et commentaire, Paris, 2002, avec résumé dans les Positions des thèses de l’École

nationale des chartes, Paris 2002, pp. 63-71) et dont la publication est prévue au Corpus Christianorum de

Brepols dans la série des opera omnia d’Hugues. 6 CONRAD D’HIRSAU, Dialogus de mundi contemptu vel amore attribué à Conrad d’Hirsau. Extraits de

l’Allocutio ad Deum et du De veritatis inquisitione, éd. R. BULTOT, Louvain – Lille 1966 (Analecta mediaevalia

Namurcensia, 19) ; Carmen paraeneticum ad Rainaldum, in PL, CLXXXIV, coll. 1307A-1314C, dont l’incipit

est : « Chartula nostra tibi portat, Rainalde salutes… ». 7 Sur l’indiculum de Gilduin, voir l’édition de J. de GHELLINCK, La table des matières de la première édition des

œuvres de Hugues de Saint-Victor, in Recherches de science religieuse, 1 (1910), pp. 270-289 et pp. 385-396,

aux p. 277-283, et les études de D. POIREL, Livre de la nature et débat trinitaire au XIIe siècle. Le De tribus

diebus de Hugues de Saint-Victor, Turnhout 2002 (Bibliotheca Victorina, XIV), pp. 27-86 ; R. M. W.

STAMMBERGER, Die Edition der Werke Hugos von Sankt Viktor († 1141) durch Abt Gilduin von Sankt Viktor (†

1155) – Eine Rekonstruktion, in Schrift, Schreiber, Schenker. Studien zur Abtei Sankt Viktor in Paris und den

Viktorinern, éd. R. BERNDT, Berlin 2005, pp. 119-231, et R. BERNDT, Die Werke Hugos von Sankt Viktor (†

1141) : Ist die Erstausgabe durch Abt Gilduin († 1155) ein editorischer Glücksfall ?, in Vom Nutzn des Edierens,

dir. B. MERTA, A. SOMMERLECHNER et H. WEIGL, Wien 2005, pp. 91-99. 8 Les éléments avancés font l’objet d’une démonstration dans la thèse d’École des chartes de 2002 (GIRAUD, Le

De vanitate mundi cit., pp. 111-178), et seront repris dans l’édition du Corpus Christianorum.

3

certains témoins portant la fin vulgate et les personnages masculins (notamment un témoin

victorin aussi important que le manuscrit Paris, Bibliothèque Mazarine 717) comportent

encore des accords féminins et la trace de grattages qui prouvent le sens de transmission. Les

accords permettent ainsi d’affirmer l’antériorité de la version De vanitate mundi suivi du

Dialogus sur la version vulgate connue par la Patrologie latine. C’est cette seconde version

qui a connu le succès le plus net. Le texte ainsi diffusé n’est pas pour autant un texte achevé,

puisque par exemple les livres III et IV de l’édition de Gilduin contiennent des incohérences

comme les noms de Ratio et Anima. La normalisation de l’ouvrage a donc été imparfaite.

L’œuvre est bien diffusée au XIIe siècle avec une vingtaine de témoins, alors que le XIII

e

siècle correspond à une diminution de la copie avec onze manuscrits conservés. Au XIVe

siècle, l’œuvre n’a pas apparemment plus la faveur des scribes avec six témoins conservés.

Comme pour les autres œuvres d’Hugues, le XVe siècle est au contraire un moment de forte

diffusion, avec quelque vingt-trois manuscrits. L’œuvre a aussi une bonne diffusion

géographique notamment en France, en Angleterre et dans l’Empire, un peu moins forte en

Italie et en Espagne. Autant que les mentions de provenance permettent d’en juger, le De

vanitate mundi a surtout été présent chez les bénédictins, les chanoines augustins et les

cisterciens. Rappelons cependant que les données en la matière ne reflètent qu’une partie de la

réalité médiévale : le dépouillement des catalogues médiévaux anglais fait apparaître seize

manuscrits dont aucun ne semble être parvenu jusqu’à nous, alors que cinq manuscrits

disparus sont cités dans des catalogues pour l’espace germanique.

L’œuvre appartient au genre littéraire du dialogue9 : elle se présente en effet dans la première

version comme un échange entre Anima et Ratio. Ces appellations indiquent avec clarté

l’origine augustinienne du dialogue10

. Dans les Soliloquia, Augustin fait ainsi parler l’âme et

la raison en un dialogue intérieur qu’atteste une autre œuvre d’Hugues, le De arrha animae

qui est un soliloquium dilectionis entre Hugues et son âme11

. Le choix d’un dialogue, sous la

forme d’un entretien entre ces deux facultés intérieures, possède une finalité pédagogique

évidente. L’adoption du dialogue permet de favoriser l’identification du lecteur aux deux

figures qui sont l’avers et le revers d’un même processus d’approfondissement grâce à la

parole échangée. Cette intériorisation à laquelle la forme littéraire invite le lecteur est elle-

même indissociable d’une progression. Le livre I a pour fil conducteur une visée

démonstrative nette : persuader le lecteur que toute réalité créée est frappée d’instabilité

puisqu’elle appartient à un monde sensible vouée à la temporalité. L’acception ontologique du

mot « vanité » que s’emploie à définir le livre I se développe selon la perspective double

d’une progression spirituelle et expérimentale. La raison, dans la première partie du livre I,

appelle l’âme à adopter un point de vue supérieur à la raison naturelle, tandis que la seconde

partie illustre la vanité du monde grâce à cinq activités de la vie courante (voyage, commerce,

enrichissement, mariage et enseignement) dont la raison dévoile la vanité12

. Le deuxième livre

fournit une solution au problème de la vanité du monde en proposant à l’âme de se réfugier

dans une arche intérieure. C’est dans cette arche que l’âme peut apprendre à préférer les opera

restaurationis aux opera creationis13

.

9 Parmi la vaste bibliographie portant sur le dialogue médiéval, voir en premier lieu les études de P. von MOOS,

Entre histoire et littérature. Communication et culture au moyen âge, Firenze 2005 (Millenio Medievale, 58),

notamment pp. 293-415, et le répertoire de C. CARDELLE DE HARTMANN, Lateinische Dialoge 1200-1400.

Literaturhistorische Studie und Repertorium, Leiden 2007 (Mittellateinische Studien und Texte, 37), notamment

pp. 35-37 sur Conrad de Hirsau. 10

Sur ce rapprochement voir également A. SQUIRE, Hugh of St. Victor. Selected Spiritual Writings, London 1962,

p. 28, avec traduction anglaise des deux premiers livres pp. 157-182. 11

L’œuvre de Hugues de Saint-Victor, t. 1, éd. H. B. FEISS, P. SICARD, D. POIREL et H. ROCHAIS, Turnhout 1997,

pp. 226-283, à la p. 226 ; sur le titre et le genre littéraire, cf. l’introduction, p. 212. 12

Éd. GIRAUD, Le De vanitate mundi cit., pp. 188-199 ; PL, CLXXVI, coll. 703-711. 13

Éd. GIRAUD, Le De vanitate mundi cit., pp. 200-214 ; PL, CLXXVI, coll. 711-720.

4

Selon les deux recensions, la suite varie. Le premier état du texte correspond au Dialogus de

sacramentis legis naturalis et scripte, première ébauche d’une synthèse de la foi chrétienne14

.

Le Dialogus traite d’abord de la création du monde, de celle d’Adam et Ève et de la faute

originelle. La rédemption vient offrir le salut à l’homme selon une métaphore à la fois

juridique et guerrière. Le Christ dénoue le procès qui met aux prises Dieu, le diable et

l’homme en même temps qu’il est le chef d’une armée dont les soldats sont les saints ayant

vécu sous la loi naturelle, sous la loi écrite et vivant sous la grâce. Cette armée qui combat les

légions diaboliques reçoit son secours des sacrements et des bonnes actions. Hugues analyse

alors les sacrements chrétiens en les mettant en perspective par rapport à ceux de la loi

naturelle et de la loi mosaïque. Il montre ainsi que le salut, conféré par la foi, les sacrements et

les bonnes actions, a toujours été accessible et dévoilé selon un mode d’explicitation

progressif qui culmine avec l’Incarnation.

Dans la seconde version, le livre III traite, dans un premier temps des questions relatives à

Dieu et aux créations angélique et humaine. Les propos tenus amènent à s’intéresser à

l’histoire humaine qui est alors narrée depuis la faute adamique jusqu’à Abraham. A la requête

de l’Âme, la Raison donne un résumé de l’histoire du monde centré sur les quatre empires15

.

Le livre IV renoue le fil de l’histoire biblique avec Moïse et poursuit la narration jusqu’à

Hérode. L’Âme reprend alors la parole afin d’obtenir des précisions concernant les

bouleversements connus par le monde durant l’histoire du salut. La Raison lui explique la

ruine successive des puissances païennes. Selon la perspective héritée d’Eusèbe de Césarée et

diffusée dans le monde latin par Orose, la convenance du pouvoir romain par rapport à

l’Incarnation est développée. Ces considérations politiques amènent à présenter la vie du

Christ qui ouvre l’ère nouvelle de l’Église avec les apôtres, les martyrs et les confesseurs. La

conclusion du traité appelle à imiter ces exemples pour mériter de parvenir à la paix éternelle

de la Jérusalem céleste16

. Cette première présentation fait apparaître quelques points saillants :

sans connaître la fortune du De arrha animae, le De vanitate mundi se range parmi les

grandes œuvres spirituelles du victorin. Dialogue spirituel ambitieux, le texte a connu un

indéniable succès dans les monastères occidentaux.

La situation du Dialogus de mundi contemptu vel amore est tout autre. L’attribution du texte

n’est pas claire : l’ouvrage, sous le titre de Matricularius, est attribué par l’historien Jean

Trithème à Conrad d’Hirsau17

. Pour l’éditeur du texte, Robert Bultot, l’œuvre est de la même

plume que celle qui a rédigé les autres œuvres citées dans la notice de Trithème, y compris le

fameux Speculum virginum. Dans son édition du Speculum, Jutta Seyfarth, pour sa part, réfute

l’attribution un peu rapidement du texte à Conrad d’Hirsau, ce qui affaiblit d’autant le

témoignage de Trithème pour les autres œuvres18

. Comme Robert Bultot, je suis enclin à voir

dans le moine bénédictin Conrad un candidat plausible mais pas certain. Il est également

intéressant de noter que l’œuvre n’est connue que par deux témoins : un manuscrit d’Oxford

de la fin du XIIe siècle, fait à et provenant d’Eberbach, et un codex conservé à Cologne, datant

14

Le texte est édité en PL, CLXXVI, coll. 17-42 et, dans une version améliorée, par GIRAUD, Le De vanitate

mundi cit., pp. 337-367. Sur son influence, voir H. WEISWEILER, Hugos von St. Viktor Dialogus de sacramentis

legis naturalis et scriptae als Frühscholastischens Quellenwerk, in Miscellanea Giovanni Mercati, t. 2, Vaticano

1946, pp. 179-219. 15

Éd. GIRAUD, Le De vanitate mundi cit., pp. 215-225 ; PL, CLXXVI, coll. 721-729. 16

Éd. GIRAUD, Le De vanitate mundi cit., pp. 226-240 ; PL, CLXXVI, coll. 729-739. La finale authentique du

texte est « totis desideriis colliguntur », la suite (« Multi et varii sunt sermones… - …temporis non mutetur »,

coll. 739-740) est une sentence hugonienne indépendante. 17

BULTOT, Dialogus de mundi contemptu cit., pp. 2-3, et l’importante étude de M. RAININI, Claruit sub Conrado

imperatore tertio. Corrado di Hirsau e le testimonianze di Johannes Trithemius : una reconsiderazione, in

Medioevo, 35 (2010), pp. 37-79. 18

Speculum virginum, éd. J. SEYFARTH, Turnhout 1990 (Corpus Christianorum Continuatio Mediaevalis, 5), p.

42*.

5

de la première moitié du XVe siècle et provenant des Croisiers de Cologne

19. La situation

littéraire du texte est également incertaine : dans les deux manuscrits, le Dialogus semble

introduire une succession de textes (Liber de fructu carnis et spiritus naguère attribué à tort à

Hugues de Saint-Victor, un fragment dit Homo constat, l’Allocutio ad Deum de diversis

beneficiis homini impensis et le De veritatis inquisitione) dont les rapports respectifs sont peu

clairs, mais qui paraissent liés20

.

A l’instar du De vanitate mundi, le texte se présente comme un dialogue mettant ici en

présence un moine dont le prénom abrégé est S et un clerc dit R21

. L’ouvrage possède aussi

pour originalité de procéder comme un échange argumenté (rationibus alternis) : comme c’est

déjà le cas dans le De vanitate mundi, il s’agit de convertir l’une des parties au détachement

du monde pour lui faire changer d’état. Dans le dialogue de Conrad, le texte se veut une

introduction, un vestibule pour le paradis monastique. En effet, de même que l’arche chez

Hugues ne se réduit pas à un dessin, le paradis monastique de Conrad n’équivaut pas

uniquement à un enclos. Comme l’explique l’auteur, le paradis auquel introduit son dialogue,

est formé d’un recueil de sentences morales qui servent elles-mêmes d’entrée à la vie

supérieure22

.

Avant d’y parvenir, le moine cherche à persuader son interlocuteur de l’excellence de la vie

monastique en montrant la caducité de toutes choses soumises au devenir et à une mort

imprévisible. Le clerc tente de s’y opposer en argumentant qu’il est déjà uni au Christ, qu’il

est légitime d’user des biens du monde dès lors que la richesse n’exclut pas la sainteté et qu’il

existe plusieurs manières de faire son salut23

. Mais le moine lui répond en faisant l’éloge de

l’unique nécessaire qui conduit à la solitude et au rejet des richesses et des œuvres de la

chair24

. Le clerc, désormais mieux convaincu de l’excellence de la vie monastique, émet

encore des objections qui insistent sur la difficulté excessive de cette vie, la diversité des

ordres religieux et la primauté de l’intention morale sur le changement matériel d’habit. Le

moine y répond point par point notamment en montrant la nécessité d’accorder intérieur et

extérieur et en opposant l’humble à l’orgueilleux25

. Le clerc acculé avoue alors ne pas réussir

à accorder sa volonté à son pouvoir : en dépit des appels du moine à la patience, il préfère

donc demeurer dans son état que d’entreprendre ce qu’il ne peut mener à terme et qui lui

semble sans fruit pour le prochain. Le moine fait au contraire l’éloge de la vie cachée et de la

prédication par l’exemple26

. Les dernières pages constituent un élargissement de la

perspective et des ouvertures sur les textes suivants en filant la métaphore du jardin qui

représente à la fois la vie monastique et le florilège moral qui suit et qui doit nourrir l’âme du

jeune converti27

. Le Dialogus consiste donc dans un appel à la conversion monastique, rédigé

au cours du XIIe siècle, probablement d’origine germanique, mais dont le rayonnement fut

très limité.

19

BULTOT, Dialogus de mundi contemptu cit., pp. 30-34. 20

BULTOT, Dialogus de mundi contemptu cit., pp. 7-18. 21

« Incipit dialogus de personis duabus id est matriculario R et monacho S fratribus assignatus, in quo, dum de

mundi contemptu vel amore rationibus alternis disceptatur, frater fratrem Christo mediante lucratur » (éd.

BULTOT, Dialogus de mundi contemptu cit., p. 41, ll. 1-4). Ces lettres sont à rapprocher prudemment d’un arbre

des vices et des vertus de Conrad où Ratio et Spiritus luttent, voir dans le même volume la communication de

Marco Rainini. 22

« Unde sequens opusculum quasi vestibulum quoddam monastici paradisi proponitur, ubi moralium

disciplinarum sententie quasi flores colliguntur et introitus ad altiora temperatur » (éd. BULTOT, Dialogus de

mundi contemptu cit., p. 41, ll. 4-7). 23

Éd. BULTOT, Dialogus de mundi contemptu cit., pp. 41-49. 24

Éd. BULTOT, Dialogus de mundi contemptu cit., pp. 49-55. 25

Éd. BULTOT, Dialogus de mundi contemptu cit., pp. 55-65. 26

Éd. BULTOT, Dialogus de mundi contemptu cit., pp. 65-72. 27

Éd. BULTOT, Dialogus de mundi contemptu cit., pp. 73-78.

6

Avec le troisième texte, nous touchons au cas très intéressant d’un texte monastique largement

diffusé dans les milieux scolaires28

. Le Carmen ad Rainaldum, dit encore la Chartula d’après

son incipit, est une œuvre à laquelle on hésite actuellement à donner un auteur, mais qui a

connu un nombre déconcertant d’attributions médiévales : ce poème a été ainsi donné aux

papes Damase, Célestin, Sylvestre Ier, à Jean de Garlande, à Etienne Langton, mais le plus

nom le plus souvent avancé dans les manuscrits est celui de Bernard de Clairvaux29

. Il semble

aussi qu’il faille rejeter l’attribution parfois retenue au XXe siècle du texte à Bernard le

Clunisien, par ailleurs auteur du fameux poème en vers léonins le De contemptu mundi30

. La

Chartula anonyme est un poème de la seconde moitié du XIIe siècle, avec deux versions la

Chartula I éditée dans la Patrologie latine parmi les spuria de l’abbé cistercien et la Chartula

II, tous deux textes pour lesquelles Robert Bultot annonçait en 1967 une liste de 153

manuscrits31

. En effet, ce texte d’origine monastique a été utilisé pendant plus de trois siècles

dans l’enseignement de la grammaire à l’université et dans les écoles : à ce titre, il a été appris

et commenté par des générations d’étudiants avec d’autres œuvres formant les octo auctores,

le tout ayant fait l’objet d’une cinquantaine d’éditions entre le XVe siècle et la première

moitié du XVIe

siècle32

. A la différence des deux autres textes, ce classique mineur de la

culture médiévale emprunte la forme d’une exhortation et renonce à la prose pour adopter le

mètre. Les 371 hexamètres font alterner, selon des séquences irrégulières, les 84 hexamètres

dont les finales riment entre elles aux 287 hexamètres léonins où la césure rime avec la fin de

chaque vers33

. Le poème réussit donc avec bonheur ce qui plaisait particulièrement au goût

médiéval : l’union de la poésie dactylique de facture antique avec l’usage mélodique de la

rime34

. On peut supposer que c’est cette forme poétique jouant subtilement sur la variatio qui

a assuré à la Chartula son succès, autant que son contenu proprement dit.

En effet, l’œuvre se présente avant tout comme une autre forme de variation, thématique

celle-là, sur le thème du mépris du monde : de l’adresse initiale au frère Renaud à la prière

doxologique finale, tout le poème met en parallèle la caducité du monde causant la perte de

ceux qui l’aiment avec le bonheur éternel des élus qui auront suivi le Christ. Après une

ouverture qui propose à Renaud de suivre la voie du ciel, l’auteur trace le portrait du bon

chrétien qui ne saurait aimer le monde mais aspire au paradis35

. C’est que le monde est pour le

28

L’étude de référence est l’article de R. BULTOT, La Chartula et l’enseignement du mépris du monde dans les

écoles et les universités médiévales, in Studi Medievali, VIII (1967), pp. 787-834, dont l’auteur a donné une

version raccourcie dans Grammatica, ethica et contemptus mundi aux XIIe et XIII

e siècles, in Arts libéraux et

philosophie. Actes du quatrième congrès international de philosophie médiévale, Université de Montréal,

Canada, 27 août – 2 septembre 1967, Montréal – Paris 1969, pp. 815-827. 29

BULTOT, La Chartula cit., p. 802. 30

BULTOT, La Chartula cit., p. 805 ; voir la traduction récente d’A. CRESSON, De contemptu mundi. Bernard le

Clunisien, une vision du monde vers 1144, Turnhout 2009. 31

BULTOT, La Chartula cit., p. 808. 32

Bultot, La Chartula cit., pp. 808-809. 33

Les six séquences sont les suivantes : 1) 8 hexamètres rimant successivement (« Chartula nostra tibi portat,

Rainalde, salutes / Perque Dei donum tibi coelica regna parentur », Carmen paraeneticum ad Rainaldum, in PL,

CLXXXIV, col. 1307A) ; 2) 27 hexamètres léonins rimant à la coupe («Menti sincerae possunt haec verba

placere / Sub gladio dirae mortis languendo perire ? », coll. 1307A-1308A) ; 3) 26 hexamètres rimant

successivement (« Mors resecat, mors ecce necat quod carne creatur / Sed sapiens noscit quanto sit plena

dolore », col. 1308A-B) ; 4) 140 hexamètres léonins rimant à la coupe (« Quidquid formosum mundus gerit et

pretiosum / Haec ideo tolerat, quia coeli gaudia sperat », coll. 1309A-1311B) ; 5) 50 hexamètres rimant

successivement (« Pauper amabilis et mala diligit, intrat abyssum / Fecit nos miseros ad gaudia prima redire »,

coll. 1311B-1312A) ; 6) 120 hexamètres léonins rimant à la coupe (« Jam satis audisti, frater, quod gratia Christi

/ Hoc tibi det munus qui regnat Trinus et Unus » (coll. 1312B-1314C). 34

Voir P. BOURGAIN, avec la coll. de M.-C. HUBERT, Le latin médiéval, Turnhout 2005 (L’atelier du médiéviste,

10), pp. 423-424. 35

« Quisquis amat Christum, mundum non diligit istum » (Carmen paraeneticum ad Rainaldum, in PL,

CLXXXIV, col. 1307A).

7

juste une occasion de pleurer. Rien n’y dure et la mort frappe sans prévenir36

. Le poète alors

de détailler toutes les belles choses qui doivent disparaître : richesses, maisons, vêtements,

enfants, amours et vaines délices, tout passe37

. Pour éviter de se soumettre au diable en aimant

des biens pleins d’amertume, il faut donc se tourner vers le Christ qui donne seul les joies

durables et éternelles38

. En contrepoint, l’auteur de la Chartula s’attarde sur les peines

infernales que mérite l’accumulation des richesses39

. Il intercale une courte réflexion

inattendue sur la possibilité qu’ont les bons riches de se sauver40

. Le poème entre alors dans

sa seconde partie avec ce vers Si nunc de mundo est horror, tibi consilium do41

: considérant

que son interlocuteur est suffisamment persuadé de la vanité du monde, l’auteur l’enjoint à

servir le Christ en pratiquant le bien et en cherchant à accumuler des trésors spirituels42

. Il

évitera ainsi la damnation que nos premiers parents ont méritée. Dans cet exposé moral plutôt

abstrait où l’auteur ne semble jamais vouloir atteindre le particulier ou encore le détail vivant,

il fait une exception pour raconter la chute d’Adam et d’Eve, ce qui l’amène ensuite à

l’Incarnation rédemptrice du Christ43

. A l’issue de ce rappel historique, le frère Renaud est

une nouvelle fois interpellé : il faut pratiquer ce qu’il croit, sinon à défaut du ciel, c’est la

damnation qui l’attend. Le salut est obtenu par le don de la grâce librement offerte par le

Christ et la pratique active des vertus ascétiques44

. L’auteur conclut par une longue prière

adressée à la Trinité où il demande à Dieu d’inspirer à Renaud une conversion sincère45

. On

comprend que l’œuvre ait connu un succès durable dans les écoles médiévales : sa forme se

présentait comme un modèle à imiter, son contenu moral, général et répétitif, convenait

particulièrement à la formation d’enfants et de jeunes gens.

L’analyse des trois œuvres permet dès à présent de mettre en valeur trois approches

différentes du contemptus mundi et de souligner ainsi l’originalité d’Hugues de Saint-Victor :

son dialogue spirituel se distingue aussi bien, par sa large diffusion et son contenu subtil, d’un

appel à la conversion monastique à la diffusion très restreinte comme le Dialogus de Conrad,

que de ce vade-mecum moral pour écoliers que fut la Chartula. Il reste à préciser encore

l’originalité du De vanitate mundi hugonien en nous intéressant plus directement au

traitement de la vanité du monde.

II Le De vanitate mundi, entre admiratio et exégèse visuelle

Comme souvent chez Hugues, le plus grand intérêt du texte ne réside pas dans les

sources, mais davantage dans leur utilisation et leur reformulation. Selon un trait bien établi

pour d’autres œuvres, Hugues procède moins par citation directe, que par assimilation de la

pensée d’autrui qu’il restitue après l’avoir faite sienne. Il est donc assez malaisé de repérer

précisément ses sources qui sont le plus souvent tellement reformulées qu’il paraît artificiel

36

« Mors resecat, mors ecce necat quod carne creatur / Magnificos premit et modicos, cunctis dominatur/ tam

ducibus quam principibus communis habetur » (PL, CLXXXIV, col. 1308A). 37

« Praetereunt et non redeunt mortalia quaeque » (PL, CLXXXIV, col. 1308B). 38

« Gaudia quae praestat, tribulatio nulla molestat / Gloria solemnis m anet illis, paxque perennis » (PL,

CLXXXIV, col. 1309D). 39

« Quid tibi thesauri, quid acervus proderit auri / Cum peccatores mittentur ad inferiores / Inferni latebras,

ignem, pariterque tenebras/ Semper passuri, nec ab his unquam redituri ? » (PL, CLXXXIV, col. 1310C). 40

« Quamvis sit rarum, poterit possessor earum / Juste salvari, fugiat si nomen avari » (PL, CLXXXIV, col.

1310D). 41

PL, CLXXXIV, col. 1310D. 42

« Hic tibi praebebit regnum quod fine carebit / Huic si te dederis, celsis opibus potieris » (PL, CLXXXIV, col.

1311A). 43

PL, CLXXXIV, col. 1311C-1312A. 44

« Si sapis, hoc credis nec ab hac ratione recedis / Sed quid lucratur credens quod non operatur ? » (PL,

CLXXXIV, col. 1312B). 45

« Sed Pater immensus perfectos det tibi sensus / Roboret aetatem, tribuat simul et probitatem » (PL,

CLXXXIV, col. 1314B).

8

d’établir des rapprochements en fait trop ténus. Dans le De vanitate mundi, le maître victorin

tire fréquemment son inspiration de la Bible : parmi les citations les plus fréquemment

attestées, les deux premiers livres traitent comme un leitmotiv le verset fameux de

l’Ecclésiaste (1, 2), une insistance que le victorin a d’ailleurs pu emprunter à Augustin46

.

Hugues interprète cette vanitas vanitatum dans une perspective anthropologique qui est celle

des Pères de l’Église : il retient d’Origène et de Jérôme que la vanité ne porte pas sur les

œuvres de Dieu, mais sur la temporalité et les actions humaines47

. On peut aussi noter que son

anthropologie dépend d’Augustin qui lui fournit également la règle d’or de la vie spirituelle :

trouver le repos en Dieu par le retour en soi48

. On peut de même considérer qu’Hugues a

emprunté une part importante du cadre spirituel du De vanitate mundi au commentaire donné

par Augustin au psaume 121 : on retrouve dans les deux ouvrages les thèmes de l’ascension,

de l’acies mentis, de la purification de l’œil intérieur et de l’idipsum, lieu par excellence du

repos de l’âme49

. Grégoire le Grand est aussi une source implicite importante : c’est à lui qu’il

doit le jeu d’oppositions qui structurent la vie morale50

. Le visible est un piège pour l’âme

puisqu’il risque de lui faire oublier les biens éternels. Elle ne peut donc les conquérir qu’en

méprisant les réalités temporelles. Les observations faites sur l’histoire et le déroulement des

âges du monde viennent d'Isidore, Bède et Raban51

: elles ne sont guère plus originales et

attestent les lectures attendues d’un régulier, maître de surcroît.

L’étude des sources ne permet pas d’épuiser l’intérêt d’un texte dont le titre n’est qu’une

porte d’entrée. Comme les autres synthèses pédagogiques du victorin, l’ouvrage se laisse

difficilement enfermer dans un genre : il se distingue stricto sensu d’un De contemptu mundi

car la notion de mépris n’est pas présente dans le traité. L’expression contemptus mundi ne s’y

trouve pas et si des verbes comme contemnere sont employés, c’est pour signifier, dans deux

cas, une pratique réfléchie qui fait du monde une étape dans la progression vers Dieu52

. S’il

n’y a donc pas de théorisation du mépris du monde en tant que tel, il n’empêche que la vanitas

mundi occupe une place de choix. Deux points méritent attention : la réflexion sur la vanité

constitue un exercice spirituel ; cet exercice illustre également un cas original d’exégèse

visuelle53

.

La découverte de la vanité du monde découle d’un jugement sur le réel. En effet, cette

critique sur le monde est d’ordre avant tout ontologique : le texte est construit comme une

vaste démonstration où la raison est à la fois un personnage et un outil logique. Cette

disposition d’Hugues n’est pas tout à fait de celle du moine auteur du Dialogus. Ratio est

certes omniprésente dans son dialogue : les deux interlocuteurs y ont fréquemment recours et

46

L. CHEVALLIER et H. RONDET, L’idée de vanité dans l’œuvre de saint Augustin, in Revue des Études

augustiniennes, 3 (1957), pp. 221-223, à la p. 221. 47

SIEBEN, Vanité du monde cit., coll. 259-261. 48

P. DELHAYE, Notes sur l’augustinisme médiéval, in Mélanges de science religieuse, 19 (1962), pp. 100-109, à

la p. 102. 49

AUGUSTINUS HIPPONENSIS, Enarrationes in psalmos CI-CL, éd. E. DEKKERS et I. FRAIPONT, Turnhout 19902

(Corpus Christianorum Series Latina, 40), pp. 1801-1813, surtout aux pp. 1801-1807. Sur la notion d’idipsum

d’origine biblique (par exemple Ps. 4, 3 et 121, 3), voir l’exégèse augustinienne qui fait de l’Idipsum, c’est-à-dire

l’essence divine, le but à atteindre pour l’âme humaine instable, cf. l’Enarratio in ps. 121, 5, p. 1805, ll. 4-6 qui

présente une parenté certaine avec la thématique hugonienne. 50

Voir par exemple éd. GIRAUD, Le De vanitate mundi cit., p. 207, ll. 182-184 en dépendance de GRÉGORIUS

MAGNUS, Moralia in Job, XXVI, XII, 18, éd. M ADRIAEN, Turnhout 1985 (CCSL, 143B), pp. 1278-1279, ll. 52-

55. 51

Éd. GIRAUD, Le De vanitate mundi cit., pp. 207-208, l. 178 et ll. 191-193 ; pp. 213-214, ll. 311-313. 52

Éd. GIRAUD, Le De vanitate mundi cit., p. 196, l. 208, p. 207, l. 183 et p. 209, l. 204. Il est par conséquent

exact de considérer que le monde selon Hugues est une étape qui n’est pas pensée indépendamment de Dieu, voir

H. R. SCHLETTE, Das Weltverständnis Hugos von St. Viktor unter Berücksichtigung des Metaphysikproblems, in

Miscellanea Mediaevalia, 2 (1963), pp. 215-221, à la p. 216. 53

Sur cette notion, voir P. SICARD, Diagrammes médiévaux et exégèse visuelle. Le Libellus de formatione arche

de Hugues de Saint-Victor, Paris - Turnhout 1993 (Bibliotheca Victorina, IV).

9

le moine s’amuse même à user de syllogismes54

. Il s’en justifie cependant d’entrée de jeu :

pour lui, la vanité du monde est déjà amplement prouvée par une autorité divine ‒ l’apôtre

Paul ‒ et par l’expérience, mais l’esprit malade du clerc auquel le moine s’adresse ne

reconnaît pour vrai que ce qui a reçu la sanction de la raison55

. Il reste que le moine se prête

très volontiers à l’exercice avec une ambivalence qui n’est pas sans rappeler l’attitude de

l’auteur du Dialogus super auctores, que l’on tend à attribuer au même Conrad : dans les deux

cas, la condamnation des auteurs antiques ou de la raison dissimule mal une fascination pour

des sources de vérité non révélées56

. La Chartula utilise un registre didactique différent,

l’exhortation morale : la vérité est assénée, non proposée à l’interlocuteur57

.

Dans le De vanitate mundi, le regard porté sur le monde n’est pas seulement le produit

d’une démonstration, mais aussi un exercice de détachement et une nécessité spirituelle. La

réunion de cette triple dimension - intellectuelle, ascétique et spirituelle - fait l’originalité de

l’œuvre et la sépare des ouvrages qui, comme le Dialogus ou la Chartula, utilisent le

contemptus mundi pour pousser à la fuite du monde ou à la pratique des vertus. Le but

premier d’Hugues de Saint-Victor n’est pas d’écraser l’homme pour mieux ensuite le mener à

un salut que matérialise le cloître. Il s’agit plutôt de convier à une retraite intérieure que figure

l’arche. Le De vanitate mundi constitue ainsi un exercice pratique de méditation dont un autre

opuscule hugonien, le De meditatione, fournit la description théorique précise58

. Hugues y

définit ce qu’est la méditation, une frequens cogitatio et surtout ses différents genres au

nombre de trois : in creaturis, in scripturis, in moribus59

. La pensée fréquente sur les créatures

se rapproche indiscutablement de la thématique mise en œuvre par le De vanitate mundi. Le

De meditatione précise ainsi les modalités de la méditation sur les créatures :

In primo admiratio quaestionem generat, quaestio investigationem, investigatio

inventionem. Admiratio est dispositionis, quaestio causae, investigatio rationis.

Dispositio est, in coelo cuncta aequalia, in terra alta et depressa : pro hac admiratio.

Causa, propter vitam terrenam terra, propter vitam coelestem coelum : pro hac quaestio.

Ratio, qualis terra, talis vita terrena ; quale coelum, talis vita coelestis : pro hac

investigatio60

.

La mise en question de l’apparence du monde et de ses alta et depressa correspond bien

à l’ouverture de notre traité. La multiplication des questions oratoires en ouverture s’explique

par la nécessité de faire naître une admiratio qui est la première réaction de l’Âme : la série

des interrogations angoissées posées par la Raison suscite, en effet, chez elle l’étonnement et

54

BULTOT, Dialogus de mundi contemptu cit., pp. 22-25. 55

« Cum manifestum sit mundum in maligno positum et hoc non solum verbis apostolicis scire, sed eciam rebus

et experimentis possis approbare, miror admodum, fratrum desiderantssime R, cui rerum oblectationi nobilis

animi tui robur intantum inclinaveris ut verbis nostris mundi contemptum suadentibus vix aures unquam

accomdare volueris, nec monitis nostris recipere quid probaris non amare, juxta naturalem mentium quarumdam

egritudinem a vero exorbitantium que sue cuncta saluti oblata respuere, quibus non contemperantur racionis lege

vel ordine (éd. BULTOT, Dialogus de mundi contemptu cit., p. 41, ll. 8-18). 56

Pour le Dialogus super auctores, voir éd. R. B. C. HUYGENS, Accessus ad auctores. Bernard d’Utrecht.

Conrad d’Hirsau Dialogus super auctores. Edition critique, Leiden 1970, par exemple pp. 73-74 ; pour le

Dialogus de mundi contemptu, éd. BULTOT, pp. 23-24. 57

Voir, entre autres, ce passage: « Ergo verborum semper memor esto meorum / Cura tuae mentis semper sit in

his documentis. / Si vis salvari semper studeas imitari / vitam justorum fugiens exempla malorum / Illis jungeris

quorum tu facta sequeris » (Carmen paraeneticum ad Rainaldum, in PL, CLXXXIV, col. 1312C). 58

HUGUES DE SAINT-VICTOR, De meditatione, in PL, CLXXVI, coll. 993-998, et HUGUES DE SAINT-VICTOR, Six

opuscules spirituels, éd. R. BARON, Paris 1969 (Sources chrétiennes, 155), texte aux pp. 44-59 et l’introduction

pp. 9-17. 59

Éd. BARON, Six opuscules spirituels cit., p. 44, ll. 1-5. 60

Éd. BARON, Six opuscules spirituels cit., p. 44, ll. 8-15.

10

l’incompréhension61

. De la sorte, Hugues fait se rejoindre les sentiments de la Raison avec

ceux de l’Ecclésiaste. Comme l’a rappelé récemment Gilbert Dahan, Hugues ajoute, dans son

commentaire sur l’Ecclésiaste, une « dimension psychologique » au thème de la vanitas

vanitatum en insistant sur la novitas admirationis qu’éprouve le Quohélet62

. L’affect éprouvé

aussi bien par le Quohélet que par la Ratio, est, dans le De vanitate, mis au service d’une

quête admirative qui trouve sa conclusion logique dans une investigatio63

. Ce n’est donc pas

un hasard si on constate que les mots de la famille de mirari se trouvent au début de

l’œuvre64

. Il est d’ailleurs frappant de constater que l’ouverture du De arca Noe présente une

situation qui répond aux mêmes présupposés65

.

Le sens de ces emplois est une mise en question radicale de la position de l’Âme : pour

voir la vanité du monde, il est indispensable de changer d’ordre comme le dira Blaise

Pascal66

. Il faut passer de l’ordre du visible à celui du monde spirituel à partir duquel la vanité

des œuvres humaines apparaît avec une évidente clarté67

. Chez Hugues de Saint-Victor, la

thématique de la vanité du monde est par conséquent indissociable d’une réflexion sur la vue.

Tout l’objet des deux premiers livres réside dans l’apprentissage de la conversion : il faut

prendre un point de vue supérieur, celui de la specula mentis, fondement de toute pensée

spirituelle68

. La vanité du monde suppose un ordre supérieur d’où l’on puisse l’éprouver, en la

qualifiant pour ce qu’elle est69

. Il importe donc pour la raison de conduire d’abord l’âme à un

point de vue nouveau, supérieur à celui de la vision naturelle, sinon l’âme demeurerait à

jamais aveugle aux réalités supérieures. L’âme ainsi ramenée à l’oculus cordis doit par

conséquent se hausser à un nouveau genre de vision : elle est invitée à transcender les

apparences sensibles pour découvrir en son intériorité l’existence d’un sens spirituel identifié

à l’oculus cordis70

. Elle peut alors se placer dans une mentis specula qui lui offre une vue

inédite et choisie du monde entier. Elle en admire la beauté, reflet participant de l’excellence

divine, et s’enthousiasme pour les œuvres humaines qui lui semblent équivalentes à

61

Éd. GIRAUD, Le De vanitate mundi cit., p. 188, l. 6 : « Quid vides, homo ? » et, l. 8 : « Non satis intelligo qui

dicere velis ». Sur l’admiratio comme processus dynamique, voir article à paraître de D. POIREL, Mira

pulchritudo. De l’étonnement à l’émerveillement selon Hugues de Saint-Victor, in La beauté du merveilleux.

Pour une esthétique. Colloque organisé par l’EA 4195 TELEM, jeudi 5-vendredi 6 février 2009. Musée

d’Aquitaine, éd. A. GAILLARD et J.-R. VALETTE. Je remercie vivement l’auteur de m’avoir donné accès à ce

travail. 62

DAHAN, … et omnia vanitas cit., p. 133. 63

« Nunc igitur ostende mihi quo ascendere debeam, ut et ego videre possim mirabilia ista de quibus tu sic

conturbaris » (éd. GIRAUD, Le De vanitate mundi cit., p. 188, ll. 15-16). 64

Ce champ lexical apparaît avec des formes de substantifs (éd. GIRAUD, Le De vanitate mundi cit., p. 188, l. 11

et l. 15), d’adjectifs (p. 189, l. 46 ; p. 190, l. 56 et l. 74) et surtout de verbes (p. 190, l. 55, l. 57, l. 61, l. 63 et l.

65). 65

« Cum sederem aliquando in conventu fratrum et, illis interrogantibus meque respondente, multa in medium

prolata fuissent, ad hoc tandem deducta sunt verba ut de humani potissimum cordis instabilitate et inquietudine

ammirari omnes simul et suspirare inciperemus » (HUGUES DE SAINT-VICTOR, De archa Noe, Libellus de

formatione arche, I, I, éd. P. SICARD, Turnhout 2001 [CCCM, 176], p. 3, ll. 1-5). 66

PASCAL, Pensées, fr. 70. 67

Voir D. POIREL, Voir l'invisible : la spiritualité visionnaire de Hugues de Saint-Victor, in Spiritualität im

Europa des Mittelalters, 900 Jahre Hildegard von Bingen, 1998 s. l., pp. 27-39, aux pp. 33-38. 68

Sur ce point, le victorin a eu une importante postérité, notamment chez Pétrarque, voir S. STROPPA, Quid

vides ? La canzone delle visioni e Ugo di San Vittore, in Lettere Italiane, 59 (2007), pp. 153-186. 69

Le « mépris du monde » n’est donc pas mépris du créé, mais la prise en compte de sa relativité, voir Z.

ALSZEGHY, Ein Verteidiger der Welt predigt Weltverachtung : zum Verständnis der Vanitas-mundi – Literatur des

Mittelalters, in Geist und Leben, 35 (1962), pp. 197-207, à la p. 202, et renvoi à notre traité p. 206, n. 64. 70

L’intérêt du thème a déjà été noté par C. WEISS, Hugonis de Sancto Victore methodus mystica, Strasbourg

1839, p. 52. Sur cette thématique et son origine augustinienne, voir D. LASIC, Hugonis de Sancto Victore

Theologia perfectiva. Eius fundamentum philosophicum et theologicum, Roma 1956, p. 125-135 et SICARD,

Diagrammes médiévaux cit., pp. 187-191.

11

l’homme71

même, en quantité, beauté et durée. La raison est inévitablement amenée à entamer

une disputatio afin de persuader l’âme de son erreur d’optique et lui prouver en cinq scènes la

vanité des ouvrages humains.

C’est pourquoi, Hugues fait défiler au livre I cinq tableaux qui présentent, en une

succession rapide et volontairement mécanique, l’inanité profonde des activités humaines. La

démonstration est ponctuée par la répétition implacable de la leçon tirée de l’Écclésiaste : tout

n’est que vanité (cf. Eccl. 1, 2). L’invitation au voyage nautique s’achève en un naufrage

lamentable, les profits escomptés du commerce attirent les brigands, la richesse entraîne le

malheur, le mariage et les enfants causent aigreur et soucis ; quant à la science acquise dans

les écoles72

, elle fait courir le pire des périls : tout savoir et ignorer sa fin dernière qui est

Dieu73

.

Au terme de ce parcours qui révèle la vanité du créé expérimentée dans divers cas de

figure, le point de vue s’infléchit de nouveau dans le livre II et se tourne vers une approche

plus complète du thème de la vanité. Une fois le mal découvert, il convient d’en prendre la

mesure pour y remédier plus efficacement que par un simple constat désespérant. La loi du

devenir est formulée grâce au thème de l’ubi sunt qui reprend les leçons du livre I en leur

donnant l’ampleur d’une vérité générale74

. Contre un présent perpétuel qui retire à l’homme la

mémoire du passé, le rappel de l’ubi sunt tourne l’âme vers son futur éternel. Le remède est

indiqué à travers la métaphore longuement filée des trois lieux qui fait l’objet d’une

explicitation progressive grâce à l’image de l’arche (59-113, 114-125, 126-151, 152-170).

L’expérience spirituelle qui culmine dans l’unité intérieure peut se résumer à la connaissance

des trois endroits qui jalonnent les progrès de l’âme. Le premier est le monde, lieu inférieur

du muable, qui est identifié à la mer en vertu d’une comparaison ancienne75

. Le cœur humain

se trouve au milieu dans une situation difficile : comme il est placé dans le monde sensible, il

risque, telle une arche submergée, de faire naufrage s’il s’abandonne aux mirages des biens

transitoires. Il doit donc s’efforcer d’échapper à ce danger mortel, dû à sa situation

intermédiaire dans l’ordre de la création76

. Le seul recours est Dieu qui habite le lieu supérieur

de la stabilité éternelle. Ce port doit être atteint grâce à une ascèse du regard qui arrache le

cœur humain aux pensées muables pour le fixer dans la contemplation des mystères divins.

71

Sur la dignité humaine et l’« humanisme médiéval », voir G. W. OLSEN, Twelfth-Century Humanism

Reconsidered : the Case of St. Bernard, in Studi Medievali, XXXI (1990), pp. 27-53, aux pp. 30-31. 72

Voir J. J. MURPHY, Rhetoric and Dialectic in The Owl and the Nightingale, in Medieval Eloquence. Studies in

the Theory and Practice of Medieval Rhetoric, éd. J. J. MURPHY, Berkeley - Los Angeles - London 1978, pp.

198-230, à la p. 202 où est commenté le passage. 73

Cette perspective domine la pensée d’Hugues. Nous ne faisons donc pas nôtre l’analyse de Roger BARON : « il

y a bien dans son esprit comme une oscillation qui le conduit du Didascalicon et de l’enthousiasme fervent pour

la sagesse profane, au De vanitate rerum mundanarum et à la crainte que les choses humaines, parmi lesquelles

se trouvent même la science et la sagesse d’ordre naturel, ne fassent obstacle à la contemplation de la vivante

vérité », voir Rapports entre saint Augustin et Hugues de Saint-Victor, in Revue des Études augustiniennes, 5

(1959), pp. 391-429, à la p. 396. 74

Sur le thème de l’ubi sunt, voir É. GILSON, De la Bible à François Villon, in Les idées et les lettres, Paris 1932,

pp. 9-38 et M. LIBORIO, Contributi alla storia dell’Ubi sunt, in Cultura neolatina, 20 (1960), pp. 141-209 ; sur

son usage liturgique, voir également G. CREMASCOLI, Les tropes : théologie et invocation, in La tradizione dei

tropi liturgici, dir. C. LEONARDO et E. MENESTO, Spoleto 1990, pp. 25-38, aux pp. 36-37, n. 38 (en référence aux

héros antiques). 75

De sacramentis, in PL, CLXXVI, col. 292B ; sur les origines antiques et patristiques du thème, voir H.

RAHNER, Antenna crucis II : Das Meer der Welt, in Zeitschrift für katholische Theologie, 66 (1942), pp. 89-118

et chez Augustin, H. RONDET, Le symbolisme de la mer chez saint Augustin, in Augustinus magister, 2, congrès

international augustinien, Paris, 21-24 septembre 1954, communications, Paris 1954, pp. 691-701. 76

L’enseignement d’Hugues rejoint parfaitement l’anthropologie augustinienne. Il convient donc de nuancer les

vues d’U. POSSEKEL, Der Mensch in der Mitte. Aspekte der Anthropologie Hugos von St.Viktor, in Recherches de

Théologie ancienne et médiévale, 61 (1994), pp. 5-21, qui, aux pp. 11-13 et pp. 16-19, oppose un peu trop

fortement des aspects optimistes de l’œuvre hugonienne aux positions d’Augustin.

12

Pour préciser son propos, la raison fait de l’arche le lieu du salut et opère une distinction

majeure dans la pensée d’Hugues en opposant les opera creationis aux opera restaurationis

(171-216). Ceux-là consistent dans les éléments créés, tandis que les seconds correspondent

aux œuvres de l’Incarnation rédemptrice. C’est l’ordre apporté à aimer les opera creationis

qui fixe le statut spirituel d’un cœur : recherchées de manière désordonnée, ces œuvres sont

une occasion de chute et de déchéance spirituelle77

. Si elles sont placées dans l’ordre de la

rédemption, elles permettent alors l’ascension de l’âme et son entrée dans l’arche. Elle fait

l’objet d’une présentation sommaire qui renvoie au De archa Noe (IV, IX, l. 56-73) : sont

rappelées les dimensions de l’arche ainsi que leur exégèse (198-216). Les trois cents coudées

de longueur représentent les œuvres de la restauration (le sens historique), les cinquante

coudées de largeur l’ensemble des fidèles et le Christ (sens allégorique), tandis que les trente

coudées de hauteur se rapportent aux faits de l’histoire du salut consignés dans l’Écriture

(sens tropologique). Il reste désormais à habiter cette maison intérieure pour y goûter les biens

que Dieu veut y dispenser (217-240). Pour inciter l’âme à gagner cette retraite salvatrice, la

raison donne une ultime comparaison : il importe de vivre dans l’intimité de Dieu comme un

enfant vit dans la maison paternelle (241-286). Toutefois, la découverte et la jouissance du

salut ne sont pas synonymes de torpeur : l’arche est une vaste demeure dont il reste bien des

endroits à explorer.

Cette variation sur l’arche, sur laquelle s’achève le livre II, indique la seconde

originalité du De vanitate mundi, qui est l’utilisation de la vue comme moyen de

compréhension du monde. Hugues donne réellement à voir la vanité du monde, alors que les

deux autres œuvres retenues ne font que l’évoquer à travers des images convenues. La

Chartula évoque ainsi les attraits du monde de la même manière que les tourments infernaux,

à l’aide de substantifs génériques qui n’évoquent jamais le détail concret ou la vie. Même le

feu de son enfer semble éteint…78

L’auteur ne réussit pas à faire voir, car il est demeure

prisonnier d’une perspective morale : son but est d’inculquer des vérités en utilisant la

variatio. Il se répète donc mais sans proposer une doctrine cohérente de la vie spirituelle. Au

contraire, chez Hugues, le lexique abondant de la perception est inséparable de celui de la

conversio qui mène à la conversatio in celo. Ce lien est exprimé en une expression frappante :

« Deorsum sunt illa corda que configurantur huic saeculo, sursum vero sunt illa que

conversationem suam habent in celo »79

. Pour habiter hic et nunc avec Dieu, il faut donc se

tourner vers son intériorité, ce mouvement d’entrée en soi anticipant la montée future de

l’âme au ciel. L’exégèse subtile du verset paulinien (Philip. 3, 20) met donc en lumière le rôle

de l’image qui est aussi bien le guide de l’ascension spirituelle qu’un point de fuite désignant

Dieu et l’au-delà de tout figuration. Prendre la parti de l’image comme le fait la Raison, c’est

donner les moyens à l’Âme de s’arracher à l’apparence et la faire changer d’optique. Le jeu de

mots permanent sur la vue et l’interprétation du monde constitue donc la vérité même de toute

lecture spirituelle qui est de faire passer du sens propre au sens figuré. En ce sens, les

notations de la Raison qui explique patiemment l’importance des similitudines ne sont pas en

contradiction avec certains passages qui en minimisent la portée80

. L’important n’est pas

l’image même que la métaphore porte, puisque « maison », « arche » et « demeure du

paterfamilias » sont interchangeables, mais le mouvement de remontée qu’elle effectue. Il est

77

Un commentaire et des parallèles hugoniens (De scripturis et scriptoribus sacris et De archa Noe) sont fournis

par P. SICARD, Hugues de Saint-Victor cit., pp. 96-100. 78

« Ingerit ardores infinitosque dolores / Sunt ibi serpentes, flammas ex ore vomentes, / Deformes, nigri, sed non

ad verbera pigri / Nunquam laxantur, sed semper ad haec renovantur, / Et male ferventes sunt ad tormenta

recentes, / Semper tristati, semperque ferire parati, / Semper inardescunt, non cessant, nec requiescunt » (Carmen

paraeneticum ad Rainaldum, in PL, CLXXXIV, col. 1310B). 79

Éd. GIRAUD, Le De vanitate cit., p. 206, ll. 162-164. 80

Éd. GIRAUD, Le De vanitate cit., p. 205, ll. 132-133 et p. 206, ll. 152-153 en contrepoint à De vanitate, p. 205,

l. 124 et p. 210, ll. 245-246.

13

remarquable que Conrad conclue son Dialogus, en interprétant l'image du jardin de façon

similaire : grâce à un réseau métaphorique très dense, le cloître matériel, comme l’arche

hugonienne, sert de support à un mouvement d’intériorisation qui donne accès à un espace

intime, ce qui permet d’anticiper la rencontre avec Dieu81

. Surtout ce beau jardin produit des

fleurs, notamment un florilège qui, assorti d’un dessin des vices et des vertus, doit guider

l’âme dans sa conversion vers Dieu82

. Ce beau jardin intérieur voit ses contours visuels et sa

richesse olfactive révélées par le florilège qui en est comme la fleur83

. En ce sens, cette image

joue un rôle analogue à celle de l’arche chez Hugues : elle sert à exprimer une représentation

de la vie spirituelle et constitue un motif littéraire, comme on le dirait d’un thème musical, qui

inspire au maître des variations infinies.

Si le monde et les similitudines qu’il offre ne sont donc qu’un vaste système allégorique

et un support tropologique, on pourrait alors penser qu’ils sont privés de fondement, de littera

ou de chair : l’image ne serait qu’un topos habité passagèrement par la langue pour les

besoins de la cause et le monde un mal nécessaire déréalisé pour mieux mettre en valeur les

charmes de la patrie céleste. Cette lecture n’est pas entièrement fausse puisque le De vanitate

reprend bien toute une série d’oppositions topiques entre le proche et le lointain, le muable et

le constant, le temporel et l’éternel84

. Elle est toutefois partielle car l'on ferait alors abstraction

de l’essence même de cette exégèse visuelle qui n’enlève pas à la création sa consistance mais

la renforce. Le regard sur la vanité du monde donne à la création une « sacramentalité » qui

n’est pas négligeable85

. La lecture proposée du monde est une lecture profondément

intégratrice : le passage du monde à l’arche intérieure n’est pas plus une rupture que ne l’est le

passage du sens littéral au sens spirituel. Le « saut herméneutique » consenti dans les deux cas

est un approfondissement intégrateur d’une réalité dans une autre et non la négation de l’une

au profit d’une autre censément plus valable. Ainsi, loin d’être une œuvre entrant dans la

catégorie des natures mortes littéraires, le De vanitate mundi est-il un exercice de méditation

sui generis dont les ressorts rhétoriques et argumentatifs le rattachent davantage à l’admiratio

qu’au contemptus mundi.

Les trois réguliers du XIIe siècle qui se sont essayé à traiter la vanité du monde l'ont fait selon

des perspectives différentes. Il n’est pas nécessaire de trop insister sur les points communs,

attendus dans un contexte régulier influencé par l'esprit de l'évangile et par une tradition

chrétienne qui a toujours fait bon accueil aux diverses formes de platonisme. Les trois auteurs

prennent en revanche position de façon plus originale sur la question de la vie intérieure :

l'auteur de la Chartula ne dépasse pas le stade du premier livre chez Hugues de Saint-Victor et

se contente le plus souvent de lancer une charge vigoureuse contre le monde et ses séductions

trompeuses. Même la partie positive de son programme demeure vague et abstraite, faute

d'être articulée à une anthropologie spirituelle. L'auteur dit bien ce à quoi il faut viser, mais

81

« Dixerim igitur vitam monasticam ortum deliciarum, ubi floribundis deliciis sancte mentes inbibunt quod

postea perfectius possidebunt et in corporali requie jam intero sapore prelibant quod eis fructus eternitatis

plenitudine virtutum accumulat » (éd. BULTOT, Dialogus de mundi contemptu cit., p. 75, ll. 1004-1008). 82

« Flosculos sententiarum moralium suave olentes ex canistro philosophiae sufficienter amministrabo, quorum

odore delectatus offas nausies babilonicas et auree Rome culmen abhorreas » (éd. BULTOT, Dialogus de mundi

contemptu cit., p. 76, ll. 1038-1041). 83

« Sequens opusculum prebes singulariter quasi quendam fasciculum florum quanam clausula concludas que

proponis non parum me movet in hortum istum ingressurum » (éd. BULTOT, Dialogus de mundi contemptu cit.,

pp. 76-77, ll. 1060-1063). 84

Voir par exemple, éd. GIRAUD, Le De vanitate cit., p. 205, ll. 140-143. 85

J. CHÂTILLON, Sacramentalité, beauté et vanité du monde chez saint Bonaventure, in 1274, année charnière,

mutations et continuités, Paris 1977, pp. 679-685, aux pp. 680-681. La dimension verticale du langage

symbolique qui seule lui donne sens est non seulement nécessaire à tout discours religieux, mais de manière

générale à toute communication, voir sur ce point A. VERGOTE, Explorations de l’espace théologique. Études de

théologie et de philosophie de la religion, Louvain 1990, notamment aux pp. 527-529.

14

n'explique jamais comment y parvenir. C'est pourtant ce texte, doctrinalement assez pauvre,

qui a été lu au moyen âge et bien davantage que le De vanitate mundi. Le Dialogus propose

une approche plus subtile de l'homme que celle de la Chartula : l'homme intérieur est appelé à

habiter le jardin intime où la raison cultive les vertus et que l'esprit saint inonde de sa grâce.

Ce paradis intérieur possède des frontières qui se superposent en partie à celles de l'arche

dessinée par Hugues. La différence, mais elle signe ce qui sépare le maître spirituel de

l'épigone, c’est qu'Hugues propose sa synthèse dans une seule œuvre, là où Conrad morcelle

son propos en plusieurs opuscules. Hugues développe ainsi une de ses intuitions

fondamentales : l'histoire d'une âme chrétienne doit être coextensive à l'histoire du salut, ce

qui implique d'adopter un point de vue unique qui fasse revivre intérieurement les opera

restaurationis86

. C’est sans doute là que réside l'intérêt du De vanitate mundi hugonien : le

monde et sa vanité ne sont que le point de départ d'un mouvement créateur par lequel Hugues

reprend les grands thèmes de son œuvre pour les articuler en une nouvelle synthèse spirituelle.

Avec le De vanitate mundi, Hugues prouve ses qualités de maître spirituel et de créateur

littéraire : le chanoine victorin n’appelle pas tant à déserter le monde extérieur pour gagner un

paradis céleste qu'il ne conseille d'habiter l'espace intérieur qui confère à l'homme sa dignité.

86

Sur ce point typique de la pédagogie hugonienne, voir C. GIRAUD, L’école de Saint-Victor dans la première

moitié du XIIe siècle, entre école monastique et école cathédrale, in L’école de Saint-Victor de Paris. Influence et

rayonnement du Moyen Âge à l’époque moderne. Actes du Colloque international du C.N.R.S. pour le neuvième

centenaire de la fondation (1108-2008), éd. D. POIREL, Turnhout 2010 (Bibliotheca Victorina, XXII), pp. 101-

119, aux pp. 113-116.

15

Annexe 1 : un accessus à la Chartula dans Paris, BNF, lat. 8207.

Pour illustrer la fortune de la Chartula et sa perception dans les écoles médiévales, nous

avons choisi d’éditer l’accessus de Paris, BNF, lat. 8207. Ce recueil composite compte 124

feuillets (XIIIe et XIV

e siècles) formant sept unités codicologiques (ff. 1-32, 33-50, 51-54, 55-

82, 83-90, 91-99, 100-124). Il constitue un recueil scolaire qui contient notamment des

commentaires sur Térence, Ovide et Stace.

La première unité incomplète, qui renferme le texte de la Chartula, comporte 32 feuillets (2

cahiers de 16 feuillets chacun) de petites dimensions (180 x 125 mm). Il s’agit d’un libellus

scolaire typique, datant de la seconde moitié du XIIIe siècle, qui contient des poésies assorties

de gloses interlinéaires et marginales. La Chartula occupe anonymement les f. 17v-24r

(« Cartula nostra tibi portat dilecte salutes… - …hoc tibi det munus qui regnat trinus et

unus »), même si une main d’époque moderne a ajouté au f. 17v en marge supérieure :

« Damasippus papa de », en suivant les indiquant de l’accessus87

. Le texte de l’accessus,

copié au f. 17r, occupe une surface réduite de 100 x 35 mm.

Il correspond au schéma « moderne » de l’accessus utilisé dans les écoles pour présenter un

texte faisant l’objet d’un commentaire88

. Selon la loi du genre, la pièce liminaire présente

toutes les caractéristiques de l’œuvre tenues alors pour nécessaires à son intelligence. Alors

que le poème contient des passages de nature dogmatique sur le Christ et la rédemption, il est

notable que la dimension morale l’emporte : dans le contexte de l’explication scolaire, la

Chartula est avant tout perçue comme un texte incitant au mépris du monde et à la pratique

des vertus.

Cartula nostra etc. In principio hujus actoris quedam sunt inquirenda, videlicet que materia,

que intencio, quis titulus, quis actor, cui parti philosophie supponatur, que causa suscepti

operis, quis modus agendi et que utilitas.

Materia est contemptus rerum mundanarum.

Intentio versatur circa materiam. Intendit enim nos in hoc opere a mundanis rebus eripere et

easdem contempnere.

Titulus illius89

est : liber Damasipi pape incipit. Non dicitur primus quia non sequitur

secundus. Sunt enim unus, duo, tres nomina numeralia ; primus, secundus, tertius etc.

ordinalia, et habent inter se dependentiam et respectum unius ad alterum.

Per titulum tangitur actor operis, videlicet Damasipus papa.

Cui parti philosophie supponatur : ethice idest morali, agitur autem in isto opere de moribus.

Causa suscepti operis : motus et intuitus pietatis.

Modus agendi : mediocris et est mediocris stilus quando aliqua mediocria verbis debitis

describuntur, unde Plato in Tymieo : sermones inquirendi sunt preter materiam90

, idest juxta ;

et Bernardus Silvester : rebus de quibus loquimur cognatos oportet esse sermones91

, cognatos

idest proprios et consonos ; et Gaufridus in nova poetria : in re communi communis, in

appropriatis sermo proprius92

.

87

Cette déformation du nom du pape Damase que l’on retrouve dans l’accessus s’explique peut-être par le

contexte scolaire de l’œuvre puisque Damasippe est un nom que l’on retrouve dans les Satires d’Horace comme

dans la correspondance de Cicéron. 88

A. J. MINNIS, Medieval Theory of Authorship : Scholastic Literary Attitudes in the Later Middle Ages, London

1984, pp. 10-12 et pp. 15-28 ; A. J. MINNIS et A. B. SCOTT, Medieval Literary Theory and Criticism c. 1110-c.

1375, Oxford 1988, pp. 12-14 et M. TEEUWEN, The Vocabulary of Intellectual Life in the Middle Ages, Turnhout

2003, pp. 215-217. 89

Ullis ms. 90

ARISTOTE, Ethica ad Nicomachum, B2, 1104 a 3, éd. J. HAMESSE, Les Auctoritates Aristotelis, un florilège

médiéval, étude historique et édition critique, Louvain –Paris 1974, opus 12, sententia 7, p. 233, l. 17. 91

BOETHIUS, Philosophiae consolatio, III, prosa 12, éd. L. BIELER, Turnhout 1957 (CCSL 94), p. 62, ll. 95-96.

16

Utilitas : ut perlecto libro et intellecto virtutibus adhereamus et viciis resistamus.

Actor iste more aliorum recte scribentium in tria suum opusculum non distinguit, videlicet

propositionem, invocationem et narrationem, sed ex arrupto premittens ei prohemium. Et

differt pars prohemialis ab executiva quia in parte prohemiali agitur93

de illis in generali de

quibus in parte executiva agitur in speciali.

Et hiis visis et prelibatis que exterius erant prelibanda, ad litteram descendamus.

92

GEOFFROY DE VINSAUF, Poetria nova, éd. E. FARAL, Les arts poétiques du XIIe et du XIII

e siècle, Paris 1923,

p. 231, v. 1091-1092. 93

Agigitur ms.