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IN : Les Annales de l'Autre Islam, n°6, "Islam en Turquie", Inalco-Erism,
Paris, 1999, pp. 277-289.
"Le nouvel ordre urbain du Refah : urbanisation, gestion urbaine et urbanisme à
Istanbul depuis mars 1994 "
Les élections locales (yerel seçimler) du 27 mars 1994 ont fréquemment été décrites comme le moment
de la spectaculaire conquête (ou reconquête, dans une perspective historique amalgamante, dans une
perspective historique amalgamante, faisant référence à1453) d'Istanbul par l'islam politique. En effet, à
l'issue de ces élections, quatorze arrondissements - sur les trente-trois que comptait à cette date le
département d'Istanbul - ont vu leur mairie centrale, des mains de partis "laïcs", passer aux mains du
Refah. Mais à ces quatorze doivent être ajoutés cinq autres - Sultanbeyli, Kağıthane, Tuzla, Güngören,
Bağcılar1-, déjà acquis au Refah, depuis 1989, 1991 ou 1992, et qui furent en quelque sorte des
laboratoires pour le Refah. Au total, dix-neuf municipalités d'arrondissement (ilçe belediyesi) et la
Municipalité Métropolitaine (Istanbul Büyük Şehir Belediyesi) - jusque-là dirigée par un parti social-
démocrate, le SHP- se trouvaient fin mars1994 contrôlées par le Refah, gratifié globalement de près du
quart du total des suffrages exprimés. Par la suite, en décembre 1995, aux élections générales (genel
seçimler), pour l'ensemble du département d'Istanbul, le Refah devenait le parti le plus représenté, avec 16
députés sur 61. Le Refah contrôlait donc à la fois la majorité des municipalités d'arrondissement, la
Municipalité Métropolitaine (M.M.) et l'Assemblée du département. Cette rapide ascension "islamiste"2
dans le ciel stambouliote n'a pas manqué de susciter craintes et conjectures parmi les électeurs non acquis
au Refah, parmi les défenseurs de la laïcité (ou tout au moins d'une certaine idée de la laïcité) en Turquie,
comme parmi nombre d'observateurs étrangers, trop hâtivement enclins à relayer/nourrir le discours de la
menace islamique, sans se donner la peine d'observer au préalable... Aux lendemains de ce "raz-de-
marée", les pires craintes étaient formulées ; certains Stambouliotes envisageaient même de quitter
Istanbul -ou à défaut les arrondissements acquis au Refah3-, par peur du strict ordre moral, islamiste, qui
allait selon eux être instauré.
Cinq ans après cette "conquête" -au-delà des péripéties propres au Refah, fondé en juillet 1983, fermé par
décision de le Tribunal Constitutionnel turc le 16 janvier 1998, pour "activités hostiles au principe de
laïcité", et aussitôt remplacé, de fait, par le parti Fazilet- Istanbul est-elle devenue Islambol (c'est-à-dire
"plein d'Islam"), pour reprendre une étymologie fausse et tendancieuse, mais néanmoins divulguée par
certains manuels scolaires4 comme par la propagande du Refah? Les peurs inspirées en mars 1994 étaient-
elles finalement fondées? Le règne du Refah à l'échelle locale s'est-il vraiment traduit par de nouveaux
modes de gestion urbaine, en rupture avec ceux qui prévalaient antérieurement? En quoi consiste, dans le
champ urbain, cet "ordre juste" (adil düzen) que prétendait promouvoir le Refah? Aussi -en évitant de se
laisser aveugler par des a priori culturalistes ou laïcistes-, s'agit-il de confronter les discours de la
conquête ou les discours légitimateurs des actions conduites, aux réalités de la gestion urbaine et de
l'urbanisation. D'autres modalités de développements urbains – sous-tendues par d'autres conceptions de
l'ordre urbain-, d'autres formes d'administration urbaine ont-elles été élaborées et encouragées?
Pour répondre à ces questions nous nous appuierons sur des sources écrites -comme les "rapports
d'activité" ou autres publications justificatrices et pédagogiques des municipalités d'arrondissement et de
la Municipalité Métropolitaine5- et sur des entretiens réalisés à Istanbul depuis juin 1996, auprès de
responsables politiques et techniques de municipalités, et de citoyens. De même, la presse proche du
Refah (par exemple les quotidiens Milli Gazete, Yeni Şafak ou Akit) ou liés à certains réseaux religieux
influents (le quodidien Zaman6) a été amplement consultée.
2
I)Les dimensions du nouvel ordre urbain à promouvoir : justice sociale, ordre moral et
assainissement
A)Vers un nouvel ordre social, plus juste et égalitaire?
Les maîtres-mots du Refah lors de sa campagne pour les élections locales partielles de novembre 1992,
sont les mots insan (être humain), adalet (justice) et hakk (droit), d'origine arabe et à fort contenu
religieux (et donc émotionnel, auprès de ceux qui s'estiment lésés ou bafoués). Ainsi, parmi les slogans
efficaces du Refah relève-t-on : "Istanbul'un taşı toprafiî altîn değil, insanla dolu" (le sol d'Istanbul n'est
pas plein d'or, il est plein d'hommes), dénonciation de la spéculation foncière présentée comme le
principe de gouvernement et la motivation principale des équipes municipales antérieures. Dès lors, non
sans démagogie évidemment, le Refah s'érige en pourfendeur des politiciens-rentiers et en défenseur des
petites gens (à restituer dans leur dignité et leurs droits ou hakk), souvent des migrants récents, proies de
spéculateurs sans scrupule. Dès 1992, le journal de campagne du Refah distribué à Baficîlar portait un
titre évocateur : "L'administration par le peuple de Baficîlar, conformément au droit" (Baficîlar Hakk'a
Bafilî Halk Yönetimi), étant entendu que le "droit", ici, est beaucoup plus un droit d'essence divine qu'un
droit jurididico-politique (auquel correspond davantage le terme de hukuk). De la même façon, la devise
de l'équipe municipale de Sultanbeyli est "Halka Hizmet Hak'ka Hizmet", que l'on pourrait traduire par
"Au service du peuple et du droit (divin)".
"L'ordre juste" (adil düzen) annoncé est donc fait de plus d'égalité, de plus d'humanité et d'attention aux
humbles. Ce qui explique que le discours du Refah ait davantage pris en périphérie, c'est-à-dire à la fois
auprès de démunis et auprès de personnes, migrants récents ou nouvelles classes ("montantes")
marchandes ou administratives, aspirant à trouver une place (et une reconnaissance) à Istanbul. A cet
égard, il est significatif que la "conquête" d'Istanbul par le Refah ait commencé (en 1989) précisément par
les marges, à l'extrême est (Sultanbeyli) et à l'extrême nord-ouest (Arnavutköy)7. C'est-à-dire par des
territoires sub-urbains, non consolidés, en voie d'amarrage au Grand Istanbul, mais ouverts aux migrants
et à la spéculation, et riches en opportunités foncières et immobilières. Voix des indigents, le Refah est
aussi le tremplin et l'instrument de ceux qui estimaient ne pas avoir leur place dans le système politique
(de redistribution et d'allocation) établi.
Tableau n°1 : Les résultats des élections de mars 1994 à Istanbul, par arrondissement (en pourcentage des
voix*) et pour quatre partis (dont le Refah)
Arrondissement
Refah ANAP DYP SHP
Sultanbeyli 57,90 12,21 5,86 13,12
Ümraniye 39,36 12,43 9,46 20,44
Baficîlar 37,33 4,59 5,10 13,39
Esenler 36,41 18,79 8,92 12,21
Kafiîthane 35,46 21,14 7,87 17,24
GaziosmanpaŞa 34,10 19,14 12,77 11,20
Beyofilu 30,40 18,59 14,30 19,11
Pendik 30,36 16,78 8,08 20,27
BayrampaŞa 30,27 19,23 16,90 9,51
Tuzla 29,84 19,15 11,07 22,73
Beykoz 28,95 27,88 11,39 10,42
Üsküdar 28,87 22,60 14,98 19,00
Kartal 28,68 23,31 8,48 23,33
Fatih** 28,42** 23,20 16,82 14,29
Güngören 26,84 26,18 10,57 15,24
Bahçelievler 26,03 26,73 12,11 19,58
Eyüp 25,98 22,03 11,44 15,58
Eminönü 23,86 28,52 7,52 15,91
Sarîyer 23,51 22,69 9,16 20,25
Zeytinburnu 23,31 20,21 10,20 12,47
3
Maltepe 19,24 32,99 10,39 23,64
Küçükçekmece 18,86 16,51 14,03 11,02
Kadîköy 16,61 26,73 16,98 26,92
Yalova 16,47 17,63 31,15 17,76
Avcîlar 15,15 38,56 10,66 21,71
Silivri 14,93 17,82 13,52 14,93
∑iŞli 13,49 23,75 13,84 22,22
¢atalca 8,89 25,95 15,04 26,56
BeŞiktaŞ 8,21 27,18 17,64 29,69
Adalar 6,74 41,14 23,23 23,31
Büyükçekmece 6,65 40,28 29,07 11,50
Bakîrköy 6,24 48,76 18,26 14,05
∑ile 5,06 25,83 33,54 ? Source : L. Ammour, 1994, p.9 *Le total ne fait pas 100% dans la mesure où d'autres partis (DEP, CHP, DSP, MHP...) ont participé à ces élections, qui ne sont pas mentionnés dans ce tableau. ** = Ce résultat sera invalidé ; de nouvelles élections organisées en juillet de la même année porteront le candidat de l'ANAP, cette-fois ci, à la tête de l'arrondissement.
Quand on considère les arrondissements où le Refah a réalisé ses scores les plus importants (tab.1), on
note qu'il n'y a pas que des arrondissements à quartiers majoritairement pauvres -ce qui constituerait une
lecture par trop réductrice du succès du Refah. De fait, l'habitat misérable est loin de prédominer à
Sultanbeyli, Baficîlar ou Ümraniye : ces arrondissements regroupent des classes montantes de nouveaux
arrivants. Le cas de Beyoğlu, arrondissement central correspondant à la ville européenne sous l'Empire
ottoman, est plus délicat à analyser.
Concrètement, cet "ordre juste" se veut au service des plus nécessiteux et des plus faibles et vulnérables,
décrits par les brochures du Refah comme les grands sacrifiés des modes de gestion antérieurs. En
direction des démunis, des "programmes sociaux" sont envisagés, qui comprennent à la fois la
distribution de logements pour les bas-revenus, de bourses d'études pour les enfants de famille modeste,
de titres de transport en commun et, de façon moins originale et moins propre au Refah8, la distribution
de charbon9, de pain, et d'eau aux moins bien dotés. En conséquence, malgré les dénonciations des
injustices les plus criantes et une réelle sensibilité aux misères et dysfonctionnements urbains -qui passent
par des diagnostics souvent plus lucides et moins partiels des réalités urbaines que ceux des partis
dominants-, le projet du Refah n'est pas de mettre en cause l'ordre socio-politique prévalant. Il suggère un
aménagement et une meilleure régulation de l'existant, sur le mode de la réduction des disparités et des
abus les plus visibles, de la redistribution volontaire (dans l'esprit d'une charité d'essence religieuse) et de
l'assistance (version turque de "l'Etat-providence"). Une place est même faite aux migrants récents,
chassés par les troubles et violences au Kurdistan (le discours officiel du Refah dit "à l'est"10), qui
cherchent un refuge dans les grandes métropoles de l'ouest turc. D'autre part, même vis-à-vis de l'habitat
illégal, le Refah paraît, initialement, afficher une relative tolérance : "Moi aussi j'habite dans de l'illégal"
aurait déclaré durant sa campagne le futur maire du Grand Istanbul, R.T. Erdoğan. Le raisonnement tenu
alors était le suivant : "Ce qui est à l'État appartient à Dieu, donc à tous, donc à moi".
Parallèlement, l'adil düzen version urbaine, telle que promue par le Refah, comporte un ingrédient de
démocratie directe. En effet, le Refah avait la prétention de redonner aux simples Stambouliotes un
pouvoir d'initiative et de contrôle dont ils auraient été privés. Ce discours de la proximité par rapport au
peuple, de l'attention redoublée aux citoyens et de la disponibilité des élus et responsables, s'inscrit en
rupture avec la supposée distance, indifférence, voire la morgue des équipes passées. L'expérience des
"assemblées populaires" (halk meclisleri) conduite dans les municipalités acquises au Refah avant 1994
est une probante illustration de ce souci démocratique. Ces assemblées, tenues selon une périodicité
variable (mais au moins une fois par mois), permettaient aux citoyens de rencontrer directement leurs élus
(et parfois même les responsables de services techniques), au cours d'une espèce de réunion-forum
ouverte, et de leur poser librement des questions ou de leur faire des suggestions, voire des critiques11.
C'est pourquoi la transparence (şefafflık) est une des valeurs centrales revendiquées par le Refah : "Nous
avons fondé une administration transparente" (Şeffaf yönetim kurduk) proclamait triomphalement le n°1
4
de l'İstanbul Bülteni (en avril 1994).
B) Islamisation et nouvel ordre moral
Le nouvel ordre urbain annoncé fait une place expressément plus importante à l'islam entendu comme
ensemble de pratiques, de rites et plus largement culture. Il suppose donc l'ouverture de nouveaux lieux
de culte là où les besoins s'en ressentent, l'aménagement des horaires de travail et de la vie urbaine en
fonction des impératifs des prières et des habitudes rituelles et la protection accrue des femmes et des
enfants, présentés comme des victimes potentielles de l'ordre urbain occidental, dépravé et athée, donc
honni. En ce qui concerne le dernier volet de ces dispositions, l'examen du contenu des "conférences
alternatives" organisées par la M.M. à l'occasion du sommet international "Habitat-II" (initiative d'un
organisme émanant de l'ONU) en juin 1996 est plein d'intérêt. En effet, nombre de conférences avaient
trait à ces questions morales jugées primordiales, mais trop négligées, selon le Refah, par le sommet
officiel, dénoncé comme idéologiquement soumis à l'immoralisme occidental. Par exemple, la première
de ces conférences parallèles, -qui a eu lieu le 3/06/1996- avait pour intitulé "Ville, Femme-Enfant et
Maison" (∑ehir, Aile-Kadîn ve Ev). Remoraliser la ville pour le Refah, c'est faire en sorte que les femmes
puissent, en toute sécurité, assurer leur fonction de gardienne privilégiée des enfants, menacés par la
drogue et la perversion ambiante. En outre, vis-à-vis du patrimoine bâti, religieux (i.e. musulman), une
attention particulière est requise. Déjà, dans le programme du Millî Nizam Partisi, ancêtre du Refah au
début des années dix-neuf-cent-soixante-dix, la nécessité de valoriser les monuments religieux et de les
réaffecter, au besoin, à leurs usages cultuels premiers était instamment soulignée (Yalçîn, p.348). Le
premier point du chapitre VI du programme du Refah pour les élections générales d'octobre 1991 est
d'ailleurs consacré à la nécessaire reconversion (...ibadete açmak) de Sainte-Sophie12. Quant au projet des
"banlieues de l'Islam" (İslami banliyöler)- annoncé à l'occasion du deuxième anniversaire de la victoire de
mars 1994-, il relève d'une volonté d'encadrement autoritaire et d'islamisation par le haut des périphéries
de migrants. Fondé sur une politique de logements (sociaux), religieusement corrects, il est censé articulé
aide aux démunis et maintien dans la vraie foi. De fait, dans ces banlieues respectueuses de l'intégrité et
de l'intimité familiale (mahremiyet), quasi sacrée, il est envisagé de séparer physiquement les familles des
célibataires13. De même les bâtiments devront être construits de telle sorte qu'aucune cuisine ni aucune
chambre ne donne sur la rue ou un espace public (desquels des étrangers pourraient voir les femmes).
Par ailleurs, l'accent est mis sur la nécessaire remoralisation de la vie politique. Ahlâk (morale) est un
autre terme chéri et abondamment usité par le discours du Refah qui a amplement dénoncé les pratiques
de corruption des fonctionnaires et administrateurs locaux. Ainsi, à l'entrée du bâtiment de la municipalité
d'arrondissement de Gaziosmanpaşa peut-on lire une inscription très en vue dénonçant le pot-de-vin
(rüŞvet) : ("Ici on ne travaille justement pas à coup de pots-de-vin"). De même, dans la brochure
distribuée par la municipalité de Sultanbeyli on relève (p.5) : "Dans notre conception de l'action
municipale il ne saurait y avoir place pour le pot-de-vin, le gaspillage (israf) ou le favoritisme (adam
kayırma)". Si ce registre de l'honnêteté n'est pas le monopole du Refah, celui-ci le mobilise d'une façon
plus religieuse que des partis comme le DSP ou le CHP. Mais la moralisation, pour le Refah, c'est aussi le
combat contre les déviances et dépravations supposées propres aux grandes métropoles. Il en résulte une
focalisation sur la drogue et une volonté de réglementer la consommation et la vente de tabac et d'alcool
(pour préserver la jeunesse). C'est ce discours moralisateur et répressif du Refah au moment de la
campagne de mars 1994 qui a le plus inquiété tenanciers de clubs de nuit, patrons de bars et de
restaurants à alcool, directement menacés dans leur lucre. Certains ont redouté le pire : la fermeture
forcée et la ruine ; d'autres ont envisagé de fuir (d'abord vers les arrondissements-refuges) ou de basculer
dans la clandestinité et l'illégalité. Enfin, dans la même veine moralisatrice, plusieurs candidats du Refah
-comme celui de Beyoğlu, Nusret Bayraktar, approuvé et repris par R.T. Erdofian14- ont même annoncé
qu'une fois élus ils feraient fermer les quartiers de prostitution (genelev), voués aux gémonies et
stigmatisés comme d'indignes lieux de perdition.
C)La récupération du discours écologiste
Enfin, de l'assainissement des pratiques politiques et des comportements dans la rue ou en public (c'est-à-
dire visibles, imitables... ), on passe sans discontinuité à l'assainissement et à l'amélioration (îslah ) de
l'habitat insalubre et spontané, qui comptait parmi les priorités affichées par le Refah. La troisième
composante du "nouvel ordre urbain" imaginé par le Refah est donc d'ordre environnemental(ist)e. De
fait, l'extension des services et des infrastructures (altyapı) de base (eau, électricité, voirie) apparaît
comme un des soucis prioritaires du Refah, qui rejoint les revendications égalitaristes et de justice sociale
5
déjà mentionnées. On peut souligner l'accent mis sur la distribution en eau potable, qui deviendra
effectivement un des chevaux de bataille de l'équipe à la tête de la M.M. Pour être viable, l'espace urbain
doit être propre aussi au sens physique. Cette dimension ne doit pas être sous-estimée puisqu'elle est
constitutive, dès l'origine, du discours du Refah sur la ville. Cet assainissement tant désiré de
l'environnement implique de nombreuses mesures que les candidats du Refah ont tous déclinées. Il s'agit
de la promotion du gaz naturel, pour remplacer, comme moyen de chauffage domestique, le mauvais
charbon et le lignite responsables d'une pollution atmosphérique déplorable. Il s'agit d'une meilleure
gestion des déchets domestiques et industriels, pour éviter l'extension dangereuse de décharges mal
surveillées15. Toujours dans ce chapitre environnemental, le Refah insiste sur la nécessité d'aménager plus
d'espaces verts et récréatifs, comme sur celle d'assainir les ruisseaux (et la Corne d'Or), en mettant en
place un système efficace de collecte des eaux usées (atık suları). La "revégétalisation" d'Istanbul par le
biais de campagnes de plantations d'arbres (ağaçlandırma kampanyası) figure aussi parmi les objectifs
prioritaires.
Pour résumer, le "nouvel ordre urbain" annoncé par le Refah -mélange d'écologisme, de démocratie
participative, d'islamisation de la vie quotidienne par le haut et d'ordre moral- emprunte à des conceptions
et registres de revendication très hétéroclites. Surtout, il fait magistralement l'impasse sur les déterminants
économiques du fonctionnement urbain.
II)L'épreuve du pouvoir : infléchissements et désillusions
A ce stade, la question est : dans quelle mesure l'exercice du pouvoir local (et simultanément national,
durant un laps de temps plus court) a-t-il permis au Refah d'honorer les priorités affichées plus haut et de
promouvoir son nouvel ordre urbain? Un nouvel espace urbain, fruit de nouvelles conceptions
urbanistiques et de pratiques édilitaires renouvelées, est-il en gestation?
A)Des changements formels et des renoncements
En prélude à l'instauration du nouvel ordre urbain, on compte des modifications formelles et de portée
symbolique. Par exemple, une des premières mesures -fort contestée en raison de son coût élevé, eu égard
à son urgence sociale sans doute discutable- prises par la nouvelle municipalité d'arrondissement de
Sarîyer fut de réorienter dans une direction religieusement plus correcte les toilettes publiques dont les
utilisateurs étaient par malheur tournés vers La Mecque. De même, les changements de noms (noms de
rue... ) furent nombreux et souvent significatifs. Ils ont participé à l'appropriation d'Istanbul par les
nouveaux édiles. Certains maires d'arrondissement, comme ceux de Sultanbeyli ou de Gaziosmanpaşa, se
sont distingués par ces tranformations onomastiques. D'autres registres que les registres nationalistes ou
bucoliques, jusque-là abondamment exploités- ont été sollicités pour ces re-baptêmes. Essentiellement,
celui de l'histoire musulmane. Les noms de mystiques musulmans et de grandes figures médiévales ou
ottomanes font désormais florès ; citons parmi les plus utilisés désormais : Ahmet Yesevi, Mevlâna,
Selahattin Eyyübi, Evliya Çelebi, Turgut Reis,... jusqu'à Bediüzzaman et Said-i Nursi. En parallèle, le
changement de logo de la M.M. s'inscrit également dans ce faisceau de mesures symboliques, concourant
à une islamisation formelle d'Istanbul : le nouveau logo -d'ailleurs très semblable à celui du quotidien de
la synthèse turco-islamique Milli Gazete- est en effet une mosquée stylisée.
Pourtant, si la vente d'alcool et de cigarettes a été effectivement interdite pour les moins de 18 ans (par
décision du vali d'Istanbul, en septembre 1996), le Refah n'a pas imposé la fermeture des établissements
immoraux qui avaient été pris pour cible lors de la campagne de mars 1994. Il a seulement fait supprimer
les terrasses et extensions sur la rue des bars et des restaurants, afin que ceux qui sont dans l'indigence ne
soient pas provoqués ou tentés par le spectacle de plaisirs auxquels ils n'ont pas accès. Face à la
mobilisation des gens de la profession, la dissimulation a primé. D'autre part, au chapitre des
renoncements symboliques, on pourrait citer la non fermeture des quartiers de prostitution. Personne
d'ailleurs ne cherche à rappeler au maire de Beyoğlu ses promesses de campagne. Finalement, les
gestionnaires du Refah ont été conduits à faire des compromis, des arrangements et à revenir sur nombre
de leurs engagements les plus fracassants (et provocateurs). En d'autres termes, l'ordre moral si redouté ne
règne pas à Istanbul, pas même en apparence. Le Refah a dû composer avec les groupes de pression et la
mobilisation citoyenne. De la même manière, les propositions d'instauration d'une ségrégation sexuelle
dans les transports publics sont restées sans suite : Istanbul n'est pas Konya. Quelques politiciens Refah,
obsédés par la division des sexes, s'obstinent encore çà et là, dans quelques cliniques et hôpitaux privés
(comme à Alibeyköy), à vouloir imposer que les malades-femmes (notamment les parturientes) soient
soignées exclusivement par des femmes, des égales en sexe. Mais leur acharnement se heurte à un
6
désaveu au sein même du Refah. Cependant, dans des arrondissements périphériques où le poids du
Refah est écrasant et où la résistance de la société civile demeure peu développée, une manière d'ordre
moral est imposée -avec la complicité d'une police souvent acquise au MHP-, qui se traduit à Sultanbeyli
par un quasi-couvre-feu à partir de 21 heures.
Pour autant, et en dépit des menaçantes déclarations d'intention électorales, il n'y a pas eu (ré)islamisation
paysagère et architecturale d'Istanbul. Si des bustes d'Atatürk ont été à dessein dissimulés, si de nouvelles
mosquées ont été construites dans des quartiers réputés alévis16, le projet -reçu comme provocateur par les
milieux laïcistes- d'une mosquée monumentale place Taksim semble avoir été abandonné. De même, le
retour au culte musulman de Sainte-Sophie -dotée d'un statut de musée depuis les années vingt- n'est plus
qu'une revendication marginale, à laquelle le Refah paraît avoir renoncé. Et toutes les tentatives
d'islamiser l'espace public par une statuaire plus décente ont été déjouées, face au tollé qu'elles ont
soulevé. Encore une fois le pragmatisme a prévalu. Par ailleurs, si la mention "ce bâtiment est la propriété
de Dieu" (Bu bina Allah'în mülküdür) est très fréquente sur les façades d'immeuble dans certains
quartiers d'auto-construction, il ne faudrait pas se méprendre sur sa portée : elle ne constitue en rien une
négation de la propriété privée ; il est plutôt une manière de la légitimer.
B)Une conception biaisée de la "justice sociale" : affairisme (prévarications), libéralisme et
autoritarisme
L'indice le plus net d'une non-rupture avec les pratiques édilitaires antérieures est à rechercher du côté des
modalités d'attribution des marchés publics (ihale). En effet, ces modalités sont, sous le règne du Refah,
tout aussi opaques et arbitraires que par le passé. Ainsi la firme de travaux publics Albayrak, dont on sait
qu'elle a contribué à financer la campagne du Refah en 1994, s'est-elle vue octroyer dans des conditions
peu transparentes plusieurs marchés intéressants17, comme celui du "Parc de Maslak" (Maslak Bölge
Parkı). De manière équivalente, l'homme d'affaire de Rize, Sadıkoğlu, très prodigue en largesses à
l'endroit de son "compatriote" (hemşeri) à la tête de la M.M., a bénéficié dans de ses problèmes avec la
justice d'une grande clémence18. De même, les péripéties des attributions de marchés pour la construction
du métro souterrain (Taksim-Levent.4) ont soulevé un grand mécontentement dans certaines sociétés
étrangères (comme Siemens). A l'échelle des arrondissements, en matière d'abus de pouvoir, le cas de
Gaziomanpaşa (qu'on abrégera en GOP) est aussi éloquent19. En effet, la construction du nouveau
bâtiment de la mairie a été confiée à une entreprise que possède le vice-président de la municipalité.
D'autre part, plus de sept espaces verts ou parcs (prévus par les plans d'aménagement) ont été sans
concertation affectés, entièrement ou partiellement, à d'autres usages, plus religieux et partisans :
édification d'un lycée religieux, d'une mosquée, d'un cours coranique, d'un marché, ou d'un foyer pour
étudiants nationalisto-religieux... Selon un adversaire politique le maire de GOP travaille plus à préparer
l'avènement de l'autre monde -tout en soignant ses intérêts matériels et ceux de son camp/clan-, qu'à
l'aménagement, pour tous, de celui-ci. Conjointement, dans l'arrondissement de Beykoz (dans le belde 20
de Çavuşbaşı) un immense collège confrérique a été édifié sur des terrains dévolus à la forêt, pourtant non
constructibles -et de surcroît classés en site protégé, "SIT alanı"-, par une fondation liée au
nakchibendisme, l'Hak ve Hizmet Vakfî 21. C'est cette même confrérie, dite d'Ismail Ağa, dirigée par un
"soutané" (cüppeli) surnommé Mahmut Hoca, qui construit aussi frénétiquement et illégalement à GOP.
D'autre part, le pouvoir Refah a beaucoup déçu dans sa gestion libérale et partisane des personnels
municipaux. Non seulement il a recruté22 de préférence, même dans les services techniques, des
personnes faisant allégeance idéologique - parfois très opportunément-, mais il a aussi procédé à de
nombreux licenciements ou non-renouvellements de contrat (sözleşme) de "travailleurs
municipaux"(belediye işçileri ). Pour justifier ces mesures, le Refah a recouru au discours libéral du
(nécessaire) dégraissage des effectifs publics et du (non moins nécessaire) recours systématisé à des
sociétés de services extérieures, selon le principe qu'il proclame avoir fait sien de la "gestion moderne"
(modern işletmecilik). Plusieurs grèves de travailleurs municipaux ont attiré l'attention de l'opinion
publique sur ce mode de gestion du personnel municipal. Après celles, anticipatrices, de Kağıthane en
1993, les premières eurent lieu à la municipalité de Pendik, après la vague de licenciements de juin 1994.
Plus largement, le Refah semble acquis au principe de la restriction des attributs la sphère publique. En
effet, il se montre un chaud partisan de la privatisation des entreprises étatiques (comme les arsenaux ou
les ports), de la vente des terrains du domaine public (hazine) ou de leur transfert aux pouvoirs locaux
(yerel yönetimler), prélude à une vente probable23. Ce faisant, il participe à la dissolution, voire à
l'impossible avènement de la notion d'intérêt public en Turquie.
Parallèlement, en matière de logement social on peut dire que les espoirs de justice ont été vite déçus et
que l'impératif redistributeur a vite été supplanté par une logique de profit et de rente. On sait que dans la
7
lignée de la loi de juillet 1984 (n°3030) -qui a accordé une plus grande autonomie financière et de gestion
aux municipalités des principales agglomérations turques-, les directives du VI° "Plan Quinquennal de
Développement" turc, défini et adopté en 1992, ont doté les Municipalités Métropolitaines (M.M.) de
prérogatives nouvelles en vue de la production de logements à caractère social. Citons-en le point 1O26 :
"Les municipalités édicteront les règlements nécessaires pour assurer la production de logements en
propriété et en location, à destination des groupes à faible revenu (alt gelir grupları) en priorité". Ainsi, a
été instituée à Istanbul en mai 1992 une "Direction des projets de logements sociaux"-distincte de la
"Direction du logement et des gecekondu" 24. La première opération réalisée dans ce nouveau cadre, et
présentée par les autorités municipales Refah comme une opération modèle, est celle de la "zone de
logements sociaux" d'İkitelli, développée sur quarante-huit hectares appartenant à la M.M., à proximité de
la "zone organisée pour petites industries" du même nom. Mais en février 1998, sur les douze opérations
de construction de logements sociaux envisagées par la M.M. d'Istanbul -chacune ayant un nom aux fortes
connotations politico-religieuses : Hilâl, Başak... -, seules quatre ont abouti ou sont en passe d'aboutir, qui
représentent seulement un total de 7.540 appartements (sur les 200.000 annoncés!). Plus grave, la finalité
d'origine a été dévoyée : sur l'ensemble des appartements déjà "mis sur le marché", seul un quart a été
effectivement attribué à des nécessiteux. Le reste a été commercialisé (comme par un promoteur privé), et
est même l'objet de spéculation (achat pour revendre ou louer, non pour habiter). La population
nécessiteuse, par définition non solvable, a été oubliée. Autrement dit, sous le noble prétexte de "faire du
social", des hommes du Refah se sont emparés du bien public (hazine) pour spéculer à des fins
personnelles et s'assurer une rente.
En conséquence, rien n'a été fait pour résoudre ou au moins atténuer les disparités sociales les plus
flagrantes. Au contraire, le Refah a même participé à l'accentuation de la ségrégation socio-spatiale à
Istanbul en encourageant les opérations immobilières privées, de standing. Du fait d'une gestion très
libérale - en laissant-faire les acteurs privés, surtout ceux dont il était proche -, le Refah a favorisé le
mouvement d'éclatement de l'espace urbanisé, par la multiplication d'opérations immobilières privées,
non coordonnées. De Pendik à Büyükçekmece, en effet, les cités-"satellite" privées ont proliféré, qui ont
pour effet d'accentuer l'effectivité et la visibilité des contrastes sociaux. Certaines de ces cités -comme
l'Erzurum sitesi à Kadıköy25- se sont même clairement formées, avec la bénédiction du Refah, sur une
base socio-religieuse. C'est-à-dire que pour pouvoir prétendre habiter dans ce type de cité réservée, aux
critères de revenus et de respectabilité sociale s'ajoutent des critères de conformité religieuse. De la sorte,
aux équipements partagés de standing (piscine, tennis...) s'ajoutent des équipements cultuels et familiaux
propres à une certaine idée du modus vivendi (ou de l'habitus) islamique.
A l'autre extrême, l'attitude dont les équipes Refah ont fait preuve vis-à-vis de l'habitat illégal bas de
gamme a oscillé de la fermeté répressive à la tolérance tactique et politicienne. Mais globalement il
apparaît que l'option dissuasive et destructrice ait prévalu. A cet égard, nombre de maires Refah
s'enorgueillissent d'avoir mis un terme à la construction illégale -de bas standing en tout cas-, grâce à un
contrôle technico-administratif et policier renforcé. De Sarıyer à Tuzla, les équipes spécialisées ont de fait
abondamment rasé, sans état d'âme, les îlots "résiduels" de gecekondu sans étage. De ce point de vue -et
sans doute paradoxalement, compte tenu des promesses faites-, le pouvoir Refah signifie moins de
tolérance et de pitié pour les plus formes précaires d'habitat, surtout dans les "fiefs" des partis politiques
adverses. Dans les quartiers Refah, les références religieuses servent à légitimer (et donc pérenniser) le
bâti illégal : on édifie de petites mosquées pour rendre les appropriations de terrains publics (hazine)
irréversibles ou on dessine des minarets en mosaïque sur les murs d'immeubles indûment édifiés...
Néanmoins, il faut reconnaître que les mécanismes d'attribution des permis de construire ont été clarifiés
dans plusieurs municipalités d'arrondissement, de même que les procédures de contrôle de conformité
technique et juridique des chantiers.
Quant à la démocratie directe promise, elle s'est traduite principalement par la mise en place rapide, dans
les municipalités d'arrondissement comme dans la M.M. du système de la "table blanche" (beyaz masa) .
Il s'agit, sous la forme de bureaux aisément repérables et accessibles, d'un système d'écoute "en directe"
des propositions et récriminations des administrés. En outre, il faut souligner la faible communication
(sinon la franche méfiance) entre instances professionnelles, traditionnellement compétentes (chambres
d'architectes ou de planificateurs urbains), et pouvoirs municipaux Refah. Ces instances -garde-fou contre
les abus de toute sorte, acteurs de régulation et de contrôle-, se plaignent d'être de plus en plus court-
circuitées, ou de voir leurs avis systématiquement non pris en compte. Les nombreux recours juridiques
déposés par l'Union des Chambres d'Architectes et d'Ingénieurs (TMMOB) contre les municipalités Refah
(comme celles de Kağıthane, ou Bahçelievler),- en sont la preuve. A cet état des débats en cours, on doit
8
ajouter la polémique entre la Chambre des Planificateurs et la super-municipalité à propos du troisième
pont sur le Bosphore (Ekinci, 1994) ; les planificateurs estiment effectivement que ce troisième ouvrage
d'art porterait un coup définitif au poumon vert et aux réserves en eau de la métropole, précisément situés
au Nord, en ouvrant aux appétits des spéculateurs immobiliers, ainsi qu'à la prolifération des gecekondu,
les espaces menacés qui séparent encore la mégapole de la côte de la mer Noire. De même, associations et
fondations, expressions d'une société civile en pleine effervescence à Istanbul, ont quelques difficultés
avec le pouvoir Refah, ainsi que l'atteste l'obstination de la municipalité de Beykoz (au nord-est de la
mégapole) à nier la décision prise par le "Fonds de Protection des Richesses Naturelles"26 de soustraire
(enfin!) la côte de la mer Noire à l'urbanisation...
C)D'un clientélisme à l'autre...
De ce fait, du point de vue du fonctionnement interne des pouvoirs locaux, on peut dire qu'il n'y a pas eu
suppression du clientélisme -pourtant hardiment dénoncé-, mais simplement changement dans la
composition des clientèles bénéficiaires des ressources, rentes, retombées et faveurs. Dès les premiers
jours de règne du Refah, les nominations partisanes à tous les niveaux, sans respect des procédures ont
donné le ton27. Un exemple peut être cité, celui du village d'İmrahor, dans l'arrondissement de
Gaziosmanpaşa. En effet, bien que situé en dehors du territoire de compétence de la Municipalité
Métropolitaine, il vient de bénéficier de services et largesses de celle-ci, avec l'ouverture d'un magnifique
boulevard de desserte, 2 X 2 voies avec terre-plein central, à partir d'Arnavutköy, à la fin de l'année 1996.
Mais le maire du village est un "compatriote" (Hemşehri) de celui du Grand-Istanbul28 : les accointances
politico-régionalistes ont donc vite fait d'abolir les attributions officielles de compétences... Redéfinitions,
accommodements : tout est possible au nom du régionalisme. A ceci s'ajoute un clientélisme affairiste
plus commun (mais auquel le Refah semble ne pas avoir échappé), comme celui qui consiste à fermer les
yeux sur l'ouverture sans autorisation de nouvelles stations-service (installation d'un bon rapport) par un
affilié (comme à Bağcılar, Beyofilu, Ümraniye et Tuzla). Pire, les municipalités d'arrondissement, comme
la M.M., ont fait preuve d'un esprit partisan en confondant action publique et stratégies de conquête
religieuse. Ce qui alimente la campagne "contre la réaction" (irticaya karşı) conduite avec vigueur depuis
juin 1998. Les chefs d'accusation sont lourds : ils ont trait au favoritisme éhonté manifesté à l'égard de
réseaux religieux -structurés par des cemaat, des cemiyet, des tarikat, des associations (dernek) ou des
"fondations pieuses" (vakf) , liées ou directement affiliées au Refah- et à l'ouverture illégale de cours
coraniques(kur'an kursları) et autres établissements d'enseignement religieux (niveaux collège ou lycée).
En mai 1997, on parlait déjà de la nécessité de fermer 47 cours coraniques ouverts sans autorisation à
Istanbul29 ; et entre début août 1997 et début août1998 la Direction de la Sécurité d'Istanbul a déjà fait
fermer dans le seul département d'Istanbul 19 cours coraniques, 4 clubs de sport et 5 associations illégaux
(i.e. apparus sans autorisation officielle). Ce qui s'ajoute aux 26 cours coraniques "fermés d'eux-mêmes"
durant cette même période30. On sait la prolifération des fondations (qui ne sont en fait pas toutes
pieuses) dans la Turquie contemporaine (depuis 1985, exactement31). A GOP par exemple, les vakf sont à
l'origine de la construction de mosquées (qu'on appelle camikondu quand elles sont édifiées sans
autorisation), de cours coraniques, de lycées "Imam Hatip"32 et même de logements. Parmi ces
interventions, on peut citer, à Ellinci Yîl, le cas d'un "Anadolu Imam Hatip Lisesi" -à l'entrée du
boulevard Mevlâna, tout juste inauguré- dont la construction est financée par la "Fondation au service de
l'humanité"33, émanation d'une très puissante association d'émigrés turcs en Allemagne. Mais c'est la
cemaat de Mahmut Hoca34 qui semble plus que toute autre influente à GOP. A Malkoçoğlu, cette cemaat
édifie, par l'intermédiaire de la "Fondation pour le Bien-être et la Science"35 une imposante mosquée (du
nom de Mescid-i Selam) flanquée de plusieurs bâtiments d'envergure. Mais l'opération la plus
spectaculaire a pour théâtre le quartier Esentepe. Là, l'emprise de la cemaat est extrêmement visible,
puisque à l'immense mosquée (encore sans nom) et à ses annexes éducatives (cours coraniques, foyers et
dortoirs36) s'ajoutent des "blocs" de logements qui dominent le talweg nauséabond du Cebecisuyu et une
grappe de miséreux gecekondu (destinés à être résorbés rapidement?). Ainsi le maire de GOP est-il accusé
à la fois d'avoir cédé à vile prix des terrains publics dans le quartier de Kâzîm Karabekir à une association
religieuse37 (pour la construction d'un cours coranique et d'un collège religieux) et d'avoir utilisé un
terrain réservé à l'édification d'une école publique pour une opération immobilière38. Aussi, parmi les
acteurs (de moins en moins officieux) de l'urbanisation sous le règne du Refah, remarque-t-on
l'importance prise par des groupes d'obédience religieuse, utilisant la législation sur les "fondations
pieuses" pour prendre position notamment dans les territoires (périphériques) en formation. A
Sultanbeyli, c'est "l'Association pour la Propagation de la Science divine" (Ilim Yayma Cemiyeti) qui est à
9
l'origine de la création, en symbiose avec la municipalité, du Lycée religieux (de 7 étages) ouvert à la
rentrée scolaire1995 -pour les garçons seulement. Remarquons que cette association, affiliée à la "Ligue
Musulmane Mondiale", fondée à La Mecque en 1962, est en outre réputée pour son anti-communisme. A
Kartal, également, à la place d'une bibliothèque populaire initialement envisagée, sur des terrains
fraîchement remblayés aux dépens de la mer, la municipalité Refah voulait, fin 1996, édifier une
mosquée39. On est donc entre l'autogestion (prise en charge à la base, par les citoyens-croyants, des frais
de construction de leurs lieux de culte, de leurs écoles religieuses)40, le communautarisme et l'affairisme
(opérations immobilières sous couvert d'œuvres pieuses).
Par ailleurs, nos enquêtes nous ont conduit à réaliser que nombre de filières migratoires étaient, en même
temps et indissociablement, des filières religieuses. Ainsi, la cemaat de Mahmut Hoca41(Ustaosmanoğlu)
(lui-même originaire de Trabzon, ¢aykara) fait-elle le lien entre arrondissements de la côte Est de la mer
Noire et Gaziosmanpaşa, via l'arrondissement plus central de Fatih. La confrérie Nakchibendi également,
dont le nouveau leader Esad Çoşan a fait acte d'allégeance au Refah, et toutes ses ramifications est d'autre
part omniprésente. Et cette collusion entre le religieux, l'immobilier et le politique est flagrante chez
certains muhtar, qui sont à la fois tête de filière migratoire, homme du Refah (malgré les interdictions
statutaires) et vaguement agent immobilier (les petites annonces étant affichées sur les murs ou vitres
mêmes de leur local).
Pour toutes ces pratiques, abus de pouvoir et clientélisme, qui ne sont pas le monopole du Rezfah/Fazilet
-autant que pour leurs agissements jugés anti-laïques-, plusieurs maires d'arrondissement islamistes ont à
ce jour (août 1998) déjà été relevés de leur fonction : comme celui de Kartal42 (M. Sekmen), en avril
199843. D'autres sont encore devant les tribunaux (comme ceux de Sultanbeyli, Samandıra, Beykoz et
Gaziosmanpaşa)44, sur un total de trois-cent début juin 1998, pour toute la Turquie (tous partis
confondus)45. Mais on verra aux prochaines élections dans quelle mesure le peuple approuve ou non ces
évictions... Quoi qu'il en soit, le Refah a donc agi tactiquement, comme bien d'autres partis : aux marges
de l'aire urbaine (à Sultanbeyli, Arnavutköy ou Beykoz ou Yalova46), il s'est constitué de véritables
bastions de partisans, par l'achat (ou l'appropriation47) et le contrôle de vastes terrains vacants, cédés
systématiquement et méthodiquement à une clientèle d'obligés et d'affiliés, dûment alimentée par des
filières migratoires elles-aussi organisées.
D)Mais des efforts purificateurs indéniables
S'il est un domaine où la réussite du Refah est indéniable, c'est peut-être en matière d'environnement
(entendu au sens commun), malgré les tensions avec les associations écologistes. Les efforts ont porté à la
fois sur la Corne d'Or, peu à peu purifiée, par l'assainissement de ces tributaires principaux (Alibeyköy et
Kağıthane deresi) qui fonctionnaient comme des collecteurs sauvages d'eaux usées. L'objectif est de peu à
peu réhabiliter les rives de la Corne d'Or, comme lieux d'agrément pour les Stambouliotes. De même, en
matière de distribution de l'eau potable, des progrès notables ont été enregistrés48, qui sont à mettre en
partie à l'actif de la nouvelle équipe de la M.M.49, notamment avec la mise en place de conduites à partir
de la réserve de Terkos (au nord-ouest de la mégapole), plus efficace que les "prières pour l'eau"
organisées durant l'été 1994.
Enfin, l'accent a été mis sur la réintroduction d'arbres et sur l'aménagement de parcs familiaux de
quartiers. Il est à signaler cependant qu'un certain nombre de surfaces affectées à ces espaces verts par les
"plans d'application" (uygulama planları) à l'échelle des arrondissements du plan général d'aménagement
(à l'échelle du Grand Istanbul) ont été en fait cédées à des fondations ou associations (religieuses) proches
du Refah ; ceci constituant un détournement caractérisé de bien public.
Au terme de cette brève analyse, l'idée de la promotion d'un nouvel ordre urbain, irréductible
aux formes précédentes d'administration et de développement urbains, ne tient plus. Malgré tous les effets
de discours, toutes les innovations apparentes, et quelques réelles différences et initiatives, on doit
conclure à une étonnante continuité avec les équipes municipales antérieures dans les modes de gestion.
L'exercice et l'épreuve du pouvoir urbain nivellent, indifférencient les formations politiques : à cet égard,
l'abandon par le Refah de la dimension "défense des humbles" de son programme de 1994 est par trop
significatif. La brève alliance au niveau national de juin 1996 à juin1997, dans un gouvernement de
coalition (dit "Refahyol"), avec le parti libéral DYP a d'ailleurs mis un terme à toute illusion sur cette
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"composante sociale". En définitive, le cas d'Istanbul permet de voir comment le Refah -loin d'être du
côté de l'archaïsme exaltant les sociétés préurbaines ou du côté de la diabolisation de l'urbain- a participé
à et intégré l'urbanisation de la société turque, tout en amalgamant divers discours et théories de la gestion
urbaine. Tout ceci renvoie aux spécificités du "terreau turc" - pour faire référence à l'expression de M.
Burgat -, qui donne aux pratiques de l'islam des colorations et dynamiques qu'une approche essentialiste
et crispée ne peut que manquer. Il n'est pas de "nouvel ordre urbain" à Istanbul. L'ordre de la justice
divine n'a pas été instauré ; la recherche individuelle de la rente maximale et la difficulté à faire émerger
et reconnaître un intérêt commun, garant d'un bien public, sont encore des constantes, lourdes de menaces
pour l'avenir. La référence à Dieu ne peut donc inspirer et nourrir une politique urbaine ; elle peut servir
d'alibi, plus souvent pour le pire que pour le meilleur. Elle ne dispense pas d'une authentique
démocratisation des mécanismes de gestion et de contrôle urbains, qui tarde encore être instaurée, avec ou
sans Refah/Fazilet50 d'ailleurs.
Bibliographie :
-AMMOUR L (1994), "Les élections municipales du 27 mars 1994 dans les grandes métropoles et à
Istanbul", Lettre d'information, Observatoire Urbain d'Istanbul, IFEA, Istanbul, p. 9-13.
-ÇAKIR R. (1990, 1ère éd.), Ayet ve Solgan. Türkiye'de Islami OluŞumlar, Istanbul, Metis.
-ÇAKIR R. (1994), Ne Şariat ne Demokrasi. Refah partisini anlamak, Istanbul, Metis, "Siyahbeyaz", 248
p. (voir chapitre 13, "Istanbul'un Refahlı Belediyeleri").
-EKINCİ O. (1994), İstanbul'u sarsan on yıl 1983-1993 (les dix années qui ont ébranlé Istanbul),
Istanbul, Anahtar Kitaplar.
-EKINCI O. (1995), İstanbul Dosyaları, Istanbul, Anahtar Kitaplar.
-ELIÇİN-ARIKAN Y. (1997), "Municipalités métropolitaines et d'arrondissement en Turquie", Cahiers
d'Études sur la Méditerranée et le monde turco-iranien, n°24, juillet-déc.1997, p.71-104.
-PETRUCCIOLI A. (1990), Dar al-Islam, Bruxelles, P. Mardaga, "Architecture+Recherches", 192 p.
-SERJEANT R.B. (éd.) (1992), Islâm Şehri, Istanbul, Afiaç Yay., 291 p.
-ÜNAL A. (1996), "Habitat II etrafında değerlendirmeler (2)", Zaman, Istanbul, 13/06/1996.
-YALÇIN S. (1994, 2° éd.), Hangi Erbakan, Ankara, Başak Yayınları, 350 p.
*"Littérature grise" :
-İstanbul Bülteni, İstanbul Büyükşehir Belediyesi Yayın Organı (organe de presse de la Municipalité du
Grand Istanbul, bi-hebdomadaire, puis mensuel).
-Habitat Days (Istanbul Newsletter, published by the greater municipality of Istanbul) : 4 pages, publié le
temps de la conférence d'Habitat II, 3-14/06/1996.
1Seule la municipalité de Bahçelievler, acquise au Refah avant les élections de mars 1994, a changé de
mains à l'occasion de ces élections, connaissant un mouvement inverse au mouvement général. 2Nous entendons ici par islamiste un parti qui instrumentalise plus que les autres partis autorisés la
référence à l'islam -tout en s'appuyant sur des réseaux religieux dans son organisation interne-, à des fins
de conquête, puis de conservation du pouvoir. Ce qui n'exclut pas le recours à d'autres idéologies de
mobilisation de l'électorat, comme la nation, la liberté ou le marché. 3C'est ainsi que Beşiktaş et Kadıköy, arrondissements centraux ayant échappé à l'emprise du Refah, furent
présentés comme des refuges ou des bases de repli par ceux qui redoutaient le supposé ordre moral à venir
du Refah. 4Cf.İstanbul-İlimiz ve Bölgemiz, Tam Eğitim Yayınları ; cf. Cumhuriyet, 19/09/1997, "İlkögretim ve
İslambol". 5L'Istanbul Bülteni, bulletin d'informations édité par la Municipalité Métropolitaine depuis avril 1997 en
est un bon exemple.
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6Publié par le réseau de Fethullah Hoca, il revendique 70.000 exemplaires pour toute la Turquie ; cf.
Cumhuriyet Hafta, 14/08/1998, p.17. 7Cet Arnavutköy -il en est plusieurs à Istanbul- est situé à la périphérie, dans les mücavir alanî, de
l'arrondissement de Gaziosmanpaşa, sur la vieille route d'Edirne. 8Par exemple, le précédent maire "social-démocrate" (à la turque) d'Istanbul, N. Sözen, après son élection
en 1989 avait procédé à la distribution gratuite de lait ; ce qui lui avait valu le surnom de "Doktor süt
versin" ; cf. Hürriyet, 27/04/1994. 9Le supplément "local" du quotidien Zaman tient une chronique précise de ces distributions ; par
exemple le 1/01/1997, l'action (distribution de charbon) du maire de Bahçelievler est vantée. 10On rappellera que pour les élections de mars 1994, comme pour celles de décembre 1995, le Refah a
particulièrement visé cette population avec notamment des affiches qui représentaient un Kurde
archétypal (par son vêtement et sa coiffe) prenant à parti l'électeur et lui demandant (démagogiquement)
"Dois-je avoir honte d'être de l'est?". 11Ce système s'inspire du projet "SE-DE" (Seçtiklerinizi denetle, c'est-à-dire "contrôlez ceux que vous
avez élus") du candidat Refah aux premières élections métropolitaines d'Istanbul, en 1984, Bahri Zengin ;
cf. Çakır, 1994, p. 192-194. 12Cf.Milli Gazete, 18/10/1991, p. 7. 13Cf. Hürriyet, 2/08/1996, p. 19. 14C. Hürriyet, 25/03/1994 ; où le futur maire du Grand Istanbul déclare, sûr de lui : "Je suis décidé. Les
bordels seront sans faute fermés". 15A cet égard la catastrophe d'Ümraniye en 1993 -l'explosion d'une décharge qui fit plus de 30 morts- a
constitué un véritable traumatisme, que n'a pas hésité à exploiter le Refah. 16Comme celle, pure provocation érigée en 1997, qui jouxte le cimetière du quartier Gazi (dans l'arrondissement
de Gaziomanpaşa). 17Cf. Cumhuriyet, 10/02/1998. 18Cf. Cumhuriyet Hafta, 23-29/12/1994, p. 17. 19Cf. Milliyet, 23/06/1997. 20Belde, qu'on pourrait traduire par bourgade (?), est un statut administratif intermédiaire entre village
(köy) et municipalité (belediye). Les trente-cinq belde du département d'Istanbul aspirent être promus au
rang de belediye. 21Cf.Cumhuriyet Hafta, 3/04/1998, p.3. 22On parle de kadrolaşma pour ces nominations partisanes. 23Cf."Erdoğan İstanbul'u satıyor" ("E. vend Istanbul"), Cumhuriyet, 6/01/1997. 24Toutes les informations relatives à cette opération pionnière sont tirées d'un rapport (non publié) daté de
juin 1994, grâcieusement fourni par le "coordinateur des nouvelles implantations" de la G.M. 25Cf."Ideolojik siteler", Hürriyet, 13/12/1996, p.12. 26Cette institution, mise en place au début des années 1970, a pour vocation de définir des secteurs à
protéger (appelés SIT) en raison de leur intérêt écologique, floristique ou faunistique; le premier SIT
défini fut le Bosphore...en 1974 ; c'est dire l'efficacité de cette politique pourtant bien intentionnée. 27Cf. Cumhuriyet, 10/07/1997. 28Cf. entretien avec le muhtar d'İmrahor, 23/02/1997. 29Cf. Milliyet, 2/05/1997. 30Cf. Cumhuriyet Hafta, 14/08/1998, p.6. 31Voir l'hebdomadaire Nokta, 16-22 février 1997, pp.34-37, qui estime le nombre de vakîf à 2.700. Faik Bulut,
pour sa part, l'estime à 5.800 (dont 4.500 "à contenu religieux") ; cf. Cumhuriyet Hafta, 28/03/1997, p.4.
Pourtant, au moment de leur inscription auprès de la "Direction Générale des Vakîf", les vakîf doivent disposer
d'un capital d'au moins 400 millions de Livres Turques. 32Mais attention : le premier İmam Hatip Lisesi de GOP, à Küçükköy (dans le quartier de Kazım Karabekir),
date de 1977. Pour l'ensemble de la Turquie, leur nombre est passé de 372 en 1980 à 454 en 1994 (ils scolarisent
plus 500.000 jeunes désormais) ; et les créations récentes se sont faites dans les plus grandes agglomérations ;
c'est l'İlim Yayma Cemiyeti qui préside à cette diffusion ; voir le quotidien Cumhuriyet, 27/12/1995, p. 12 &
16/12/1994, p.16 et Cumhuriyet Hafta, 28/03/1997, p.7. 33Ou İnsanlığa Hizmet Vakfî ; sur le panneau du chantier il est précisé "avec la participation de compatriotes
bienfaisants" (hayırsever). 34Cf. Çakır, 1995, p. 60-65. 35Ou Hayır ve Ilim Vakfı. 36Ou talebhane.
12
37En l'occurrence L'Evliya Çelebi Kurs ve Taleblerine Yardım Derneği. 38Cf.Cumhuriyet, 10/07/1997. 39Cf.Cumhuriyet, "Kent haberleri", 30/12/1996. 40On a dénombré une vingtaine de mosquées en chantier dans les quartiers Nord de GOP ; pour l'achèvement de
chacune il était fait appel à la générosité des croyants. Beaucoup des habitants rencontrés se sont plaints de la
démission de l'État en matière de construction de lieux de culte... qui rend nécessaire une mobilisation de la base. 41Cf. Çakır, 1995, op.cit., pp. 60-65. 42Cf. Hürriyet, 1/04/1998, p. 10. 43Cf. Hürriyet, 2/04/1998. 44Cf. Hürriyet, 1/04/1998, p. 7 45Cf. Hürriyet, 2/06/1998, p. 6. 46Où N. Erbakan possède une villa édifiée en 1984, sur un terrain en bord de mer d'une superficie de
40.000 m2 ; cf. Yalçın, 1994, op.cit., p. 268. 47En mai 1996, la presse turque révélait que près du tiers des terrains du petit arrondissement de
Sultanbeyli appartenait au frère de N. Erbakan, le leader du Refah... ; sans parler de ces possessions à
Samandıra, Kartal et Beykoz. 48Pour le détail de ces réalisations voir le n°spécial "bilan" d'Istanbul Bülteni, n°93, juin 1998. 49Nous n'allons pas ici entrés dans d'infinies querelles de paternité à propos de tel ou tel équipement ; cf.
Cumhuriyet, 28/03/1997. 50Cf. Cumhuriyet Hafta, 18-24/08/1995.