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LE PATRIMOINE LOCAL IMPOSSIBLE : NOSTRADAMUS À SALON-DE-PROVENCE (1980-1999) Stéphane Gerson Belin | Genèses 2013/3 - n° 92 pages 52 à 75 ISSN 1155-3219 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-geneses-2013-3-page-52.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Gerson Stéphane, « Le patrimoine local impossible : Nostradamus à Salon-de-Provence (1980-1999) », Genèses, 2013/3 n° 92, p. 52-75. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Belin. © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 69.206.72.221 - 28/12/2013 04h29. © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 69.206.72.221 - 28/12/2013 04h29. © Belin

Le patrimoine local impossible: Nostradamus à Salon-de-Provence, 1980-1999 (Geneses, 2013)

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LE PATRIMOINE LOCAL IMPOSSIBLE : NOSTRADAMUS ÀSALON-DE-PROVENCE (1980-1999) Stéphane Gerson Belin | Genèses 2013/3 - n° 92pages 52 à 75

ISSN 1155-3219

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-geneses-2013-3-page-52.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Gerson Stéphane, « Le patrimoine local impossible : Nostradamus à Salon-de-Provence (1980-1999) »,

Genèses, 2013/3 n° 92, p. 52-75.

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Distribution électronique Cairn.info pour Belin.

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Le patrimoine local impossible :Nostradamus à Salon-de-Provence (1980-1999)

Stéphane Gersonpp. 52-75

Plusieurs champs de recherche ont contribué ces dernières années à affiner notre compréhension du patrimoine local en France depuis les années 1970. Tout d’abord, historiens et sociologues ont montré combien les politiques

culturelles se sont affranchies de la tutelle de l’État, ouvrant un nouvel espace dans lequel se sont engouffrés de nouveaux acteurs, notamment des municipalités de plus en plus autonomes. D’innombrables villes ont ainsi mobilisé des ressources culturelles inexploitées, créé de nouveaux événements et redessiné leur image pour un public local et étranger. Ce faisant, elles ont participé à une dynamique inter-nationale : une floraison de mises en scène patrimoniales qui soulignent la sin-gularité de la cité afin de se distinguer dans un champ touristique compétitif. Le lieu devient ainsi une destination (Kirshenblatt-Gimblett 1998, Zuelow 2011).

Par la suite, cette municipalisation de la culture a croisé un changement de régime mémoriel en France. Avec l’affaiblissement de la puissance géopoli-tique du pays, la décolonisation, la construction européenne et la mondialisation comme toile de fond, le « roman officiel de la mémoire nationale » a perdu de son emprise au profit de mémoires particulières et locales (Garcia 2000, Michel 2010). La montée de « l’histoire à soi » a renouvelé l’intérêt pour des territoires et des identifications locales qui furent longtemps dévalorisés (Bensa et Fabre 2001). Se détournant d’une histoire des musées historiques, du patrimoine et du grand homme axée sur le sentiment national ou les récits identitaires portés par le centre et des institutions fédératrices, la recherche s’est tournée vers une multipli-cité d’acteurs, de forces sociales et d’investissements idéologiques locaux (Haupt 1998, Thiesse 1999).

Tel qu’il est dépeint dans ces travaux, ce retour au local s’imposerait souvent d’une manière naturelle.

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RD’une part, sans partager les mêmes opinions politiques, les acteurs locaux investis dans le patrimoine s’accorderaient sur son importance à une époque de mutations parfois brutales. Le modèle pourrait en être la ville de Charleston (Caroline du Sud) où, dans un contexte de crise économique, les familles aris-tocratiques, la Chambre de commerce et diverses institutions culturelles créèrent Historic Charleston, un musée en plein air dévolu à l’évocation d’un vieux Sud dénué de violence raciale (Yuhl 2005).

D’autre part, ces travaux analysent fréquemment le local et ses rapports avec des forces externes en termes de situations fixes et de catégories étanches. Le local peut ainsi illustrer le national en célébrant un moment clef ou un personnage notoire. Pour le cas français, c’est le modèle bien connu de la petite et de la grande patrie, la première s’emboîtant dans la seconde. Ailleurs, l’accent est mis sur l’auto-nomie du local face à des attentes et des temporalités extérieures. Du suivisme ou de la miniaturisation, on passe donc à la défiance voire à l’opposition frontale, soit régionaliste, soit rétive à une patrimonialisation imposée. De nombreux habitants de Luang Prabang (Laos) estimèrent ainsi que les consultants touristiques et les experts de l’Unesco qui avaient placé la ville sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité en 1995 – les poussant à restaurer temples bouddhistes et demeures coloniales – accaparaient leur histoire et transformaient leur ville en écomusée enchanté, en retrait de la modernité (Berliner 2010).

Qu’en est-il pourtant des villes où une facette du patrimoine local pose pro-blème et où le rapport avec le monde extra-muros répond à des dynamiques com-plexes et instables ? Si Marcel Pagnol et Abraham Lincoln se sont imposés aisément à Aubagne et à Springfield (Illinois), il n’en est pas nécessairement de même lorsque l’illustration locale est stigmatisée, dans la ville ou en dehors. La notion de stigmate tel qu’Ervin Goffman l’a élaborée a surtout nourri des travaux sur la construction d’identités individuelles dans le cadre de rapports interpersonnels, mais elle peut aussi s’appliquer à des villes qui se mesurent à leurs voisines, entrent en relation avec des instances nationales ou internationales et doivent elles aussi composer avec des normes dominantes (Goffman 1963). Dans ce cas-ci, le stigmate n’est pas une difformité physique ou un défaut personnel mais l’association avec des idées, des valeurs ou des comportements qui sont dévalorisants ou inacceptables dans certains milieux. Entouré de préventions, le patrimoine local prend alors forme au fil de pro-jets hasardeux et de stratégies improvisées, de revirements et de compromis.

Tel est le cas de Salon-de-Provence et des rapports malaisés qu’elle entrete-nait, à la fin du xxe siècle, avec son grand homme Michel de Nostredame, ou Nos-tradamus (1503-1566). L’astrologue et prophète passa les vingt dernières années de sa vie à Salon et y signa ses publications : Maistre Michel Nostradamus Doc-teur en Médecine, de Salon de Craux en Provence. Nostradamus devint célèbre mais, écarté des panthéons et des canons, absent des manuels scolaires, il est demeuré le contraire du grand homme. Depuis sa mort, il n’a guère obtenu de reconnaissance en tant que poète, penseur ou citoyen vertueux. Son nom constitue d’ailleurs un

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terme péjoratif depuis le xvie siècle. Pourtant, Nostradamus s’est maintenu dans la culture populaire et les médias depuis la Renaissance – en France, en Europe et plus tardivement à l’échelle mondiale. Modulables et libres de toute tutelle, le nom et les prédictions se sont prêtés à d’innombrables usages politiques et sociaux (Gerson 2012).

Retracer la présence de Nostradamus à Salon du début des années 1980 à 1999 – année où l’actualité planétaire et le changement de millénaire ravivèrent l’inté-rêt pour ses prédictions – permet de saisir les rapports malaisés entre une ville et un patrimoine qui se révèle à la fois incontournable et irrecevable1. Pareille analyse dévoile les stratégies d’entrepreneurs patrimoniaux locaux, pris entre l’image qu’ils entretiennent d’eux-mêmes et de leur ville, les attentes des autres habitants et des visiteurs et les images qui circulent dans les médias nationaux et internationaux2. Surtout, elle permet de mieux comprendre le jeu d’investissements et de représen-tations à l’œuvre dans un espace patrimonial qui maintint son autonomie tout en s’ouvrant à des forces externes pouvant imposer de nouvelles contraintes et en même temps fournir de nouvelles opportunités commerciales, politiques ou culturelles.

La reconquête du Vieux SalonLa résurgence de Nostradamus à Salon aux alentours de 1980 répondait à une

transformation rapide des perspectives économiques et de la politique munici-pale. Pendant près de trente ans, la municipalité centriste du maire Jean Francou (élu de 1956 à 1989) avait conçu l’avenir de Salon dans un cadre régional : le développement technologique et industriel de la Provence autour des installations pétrochimiques de l’étang de Berre, du port de Fos-sur-Mer et d’un nouveau bar-étang de Berre, du port de Fos-sur-Mer et d’un nouveau bar-’un nouveau bar-rage sur la Durance. La ville allait devenir le centre d’une zone industrielle, une station-service régionale et une cité-dortoir. Entre 1960 et 1975, la population salonaise doubla grâce à l’afflux de rapatriés d’Afrique du Nord et d’ouvriers fran-çais et étrangers venus du Nord, d’Alsace, de Lorraine et d’Algérie. La ville se dota d’un nouvel hôpital, d’écoles, de maisons de repos et de milliers d’appartements, y compris de nouveaux logements HLM dans sa banlieue nord (les Canourgues). Nul besoin de tourisme, de provençalisme ou même de politique culturelle au-delà des stades et des bibliothèques. Salon, déclara le maire, ne pouvait plus « dormir autour de son vieux château » situé dans l’ancien centre médiéval, le Vieux Salon (Francou 1959 : 31).

Mais la crise pétrolière mit fin aux rêves de zone industrielle et de station-ser-vice régionales. La population et la part des emplois industriels chutèrent toutes deux ; les rentrées fiscales ne purent couvrir le coût des programmes sociaux ou le remboursement de la dette. Afin d’élargir l’assiette fiscale, la municipalité se recentra sur le réaménagement du Vieux Salon en centre commercial et adminis-tratif3. Ce quartier était alors en transition. En 1964, tandis que que le quartier

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Rn’hébergeait plus qu’une population paupérisée dans des logements sordides, le conseil municipal avait approuvé une vaste opération qui devait détruire de nom-breux îlots, bâtir près de deux cents logements et reloger la plupart des habitants aux Canourgues (d’Agostino 1966)4. La crise ayant interrompu ce projet, le quar-tier comptait, dans les années 1970, nombre d’ouvriers étrangers qui n’avaient pas eu droit à un relogement. En 1974, dans une lettre collective au maire, vingt-et-un petits commerçants se plaignirent que le Vieux Salon s’était transformé en « annexe de la casbah »5. Quelques années plus tard, un éditorialiste local déclara que des enfants d’immigrés descendaient à présent des Canourgues (où le nombre d’étrangers et de Français d’origine étrangère avait augmenté) pour imposer leur loi à une ville qui « n’[était] plus ce qu’elle [avait été] »6. D’un problème sanitaire, la déliquescence du Vieux Salon devenait une question d’identité culturelle et de sécurité, ancrée dans des sentiments de perte et de dépossession. Avec la montée du Front national (21,17 % des voix aux élections européennes de 1984), cette question allait aussi devenir un problème politique pour le maire. Quatre jours après les élections de 1984, celui-ci déclara que les électeurs du Front national étaient « aussi respectables que les autres » et dénonça le laxisme du gouvernement face aux délinquants étrangers7.

La municipalité lança donc une « reconquête » matérielle et symbolique du Vieux Salon pour le transformer en quartier piéton au cours des années quatre-vingt. Ses ruelles, bordées de maisons aux tons pastel, ses marchés et ses festivals folkloriques étaient désormais imbus d’histoire locale, de traditions provençales et de convivialité8. Cette muséification à ciel ouvert répondait en partie à des inci-tations extérieures à Salon, notamment à une politique nationale de rénovation des centres-villes qu’avait lancée le secrétariat d’État à la Culture de Valéry Gis-État à la Culture de Valéry Gis-Culture de Valéry Gis-card d’Estaing. Axée autour des villes moyennes, celle-ci passa de la préservation d’immeubles désignés par des experts à la conservation de quartiers fonctionnels « à l’échelle de l’homme »9. Elle exemplifie aussi la manière dont, sans copier les usages nationaux ou gouvernementaux du passé, des municipalités européennes mobilisèrent le patrimoine et l’esprit du lieu afin d’atteindre des objectifs sociaux et économiques (Ashworth 1994).

Cet élan répondait, enfin, à la transformation du champ patrimonial local, où se côtoyaient désormais anciens et nouveaux acteurs. Ici comme ailleurs, l’autonomi-sation de la politique municipale et la municipalisation de la culture contribuèrent à l’essor d’adjoints capables de forger des coalitions, de trouver de nouvelles ren-trées et de faire de l’action culturelle une source de visibilité et de reconnaissance (Borraz 1994). L’adjoint responsable de la culture, Christian Kert, détermina que seule une politique axée autour du Vieux Salon pourrait redynamiser la ville, redo-rer son image et en même temps tisser un nouveau lien social entre les quartiers10. Pour ce faire, il se tourna vers la poignée d’érudits qui se consacraient depuis des années à l’histoire locale, mais aussi vers une nouvelle génération d’entrepreneurs patrimoniaux. Cadres, commerçants ou même dramaturges, souvent diplômés de

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l’enseignement supérieur, mettraient leur énergie, leurs réseaux sociaux, leurs expé-riences et leurs connaissances en gestion ou en marketing au service de la ville. Certains firent partie du nouvel Office municipal de la culture, fondé par la ville en 1984, où se retrouvèrent élus et directeurs de structures culturelles.

Dans les années quatre-vingt, la municipalité organisa une série de manifestations patrimoniales : conférences, expositions, visites guidées du centre médiéval, bande dessinée contant les deux mille ans de Salon. En 1986, l’Office municipal de la culture lança une reconstitution historique anuelle, consacrée au passé salonais. Pareils événements connaissaient alors une résurgence dans le sillage du Puy-du-Fou où, depuis 1978, on mettait en scène l’histoire de la Vendée. Mêlant spectacles et participation in situ, ils firent de l’histoire locale un mode de légitimation pour la ville et la municipalité, une source de revenus et une mani-festation populaire qui devait mêler des habitants d’horizons disparates11. Cette mise en scène tactile du passé constituait aussi une transfiguration symbolique de la ville – le Vieux Salon comme « nouvel espace à conquérir, à décorer, à animer »12.

Cet espace et l’image de Salon formèrent de même un enjeu politique pour la majorité et pour l’opposition socialiste, qui se targuait, elle aussi, de redéfinir une ville en décomposition et de reconvertir son patrimoine. Dès 1982, les socialistes accusèrent la municipalité de négliger l’image municipale et articulèrent leur pro-gramme autour de la revitalisation du centre-ville et du terroir d’une cité proven-çale. Après leur victoire aux élections municipales de 1989, ils présentèrent l’his-toire et le patrimoine comme le charme authentique de Salon13. Mais aucune des deux municipalités ne put esquiver la question qui taraudait tous ces entrepreneurs patrimoniaux : autour de quel personnage, autour de quel événement historique axer ce retour au passé salonais ?

Nostradamus, encombrant et incontournableAnodine ailleurs, cette question se révéla problématique dans une ville qui avait

de longue date éprouvé du mal à se distinguer d’Aix, d’Arles et d’Avignon, trois sous-préfectures voisines qui hébergeaient des universités, disposaient d’un illustre patrimoine architectural et, après la guerre, avaient étendu leur renommée en orga-nisant des festivals internationaux. Salon ne disposait ni de ce statut administratif, ni de ce capital culturel, ni d’un patrimoine autre qu’un centre médiéval banal. N’ayant été le témoin d’aucun événement marquant, elle était aussi absente de l’histoire de France. La ville souffrait d’un manque criant de visibilité et de lisibilité.

Elle pouvait toutefois se tourner vers deux grands hommes locaux. Le pre-mier, l’ingénieur Adam de Craponne, fut le maître d’œuvre du canal qui avait acheminé les eaux de la Durance et irrigué la plaine de la Crau au xvie siècle. Avec ses prouesses techniques, son abnégation et son optimisme, cet « homme d’utilité publique » incarna au xixe siècle l’image que les négociants en huile d’olive et en

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Rsavon salonais se faisaient d’eux-mêmes et de leur bourgade prospère et moderne. La ville se dota d’un boulevard, d’une statue, d’une société musicale et d’un syndicat agricole portant son nom. Sous les Trente Glorieuses, la municipalité célébra le visionnaire qui avait anticipé l’aménagement de la Durance. Cette célébration trouva un écho au sein de la population. Lorsque le Régional (premier quotidien local) demanda à ses lecteurs d’élire le Salonais le plus illustre en 1949, Craponne arriva en tête14. Véhiculant une représentation collective puissante du passé et de l’avenir de Salon, en phase avec les valeurs et les projets qui avaient dominé l’es-pace public de la cité, cet homme fédérateur conférait un capital symbolique local aux édiles et aux entrepreneurs patrimoniaux qui se réclamaient de lui.

La situation était inverse pour l’autre grand homme local, Michel Nostradamus, célèbre de son vivant mais dépourvu d’ancrage à Salon. Sa présence dans l’espace urbain et dans les représentations locales de la ville était faible et ce, de manière continue depuis le xvie siècle. Ses quatrains s’étaient toujours prêtés à des lectures individuelles plus qu’à des dévotions ou des pèlerinages. Des cordeliers montrèrent son tombeau aux visiteurs qui en firent la demande sous l’Ancien Régime, mais ces derniers n’étaient pas légion. Au xixe siècle, la municipalité donna son nom à une artère mais elle délaissa sa demeure – « rien d’intéressant », déclara le maire en 1818 – et aurait passé le tricentenaire de sa mort sous silence, en 1866, si un artiste provençal n’avait fait don à la ville d’une statue du prophète15. Seuls quelques éru-dits rédigèrent des plaquettes sur l’homme au début du xxe siècle, suivis, dans les années cinquante, par un petit nombre d’hôteliers et de commerçants. L’adjoint au tourisme fit alors apposer des plaques près de son tombeau et de sa maison au cœur du Vieux Salon. Si Craponne représentait Salon – centre agricole, Nostra-Salon – centre agricole, Nostra-damus pouvait représenter Salon – centre touristique. Mais ni la municipalité, ni les édiles et notables, ni la presse locale n’étaient prêts à embrasser le tourisme ou à faire de Nostradamus le symbole d’une ville dont l’image tournait encore autour de la modernité industrielle. L’état de délabrement de sa maison en disait long sur l’estime que la ville portait à son prophète.

Cette posture avait aussi des origines historiques, à la fois locales, régionales et internationales. L’homme avait entretenu de son vivant des rapports difficiles avec une frange de la population salonaise qui mettait en doute sa dévotion. Intempo-relles, géographiquement vastes et rédigées en français, ses Prophéties ne trouvèrent jamais leur place dans la culture provençale (Mistral et les Félibres les négligèrent). Surtout, l’homme et ses prédictions furent l’objet de railleries et de condamna-tions, en France et ailleurs, dès le xvie siècle. Le succès éditorial de Nostradamus, son mélange d’astrologie, de magie et de prophétie, l’opacité de ses prédictions : autant d’éléments qui firent de l’homme et de son nom le symbole de tous les dan- le symbole de tous les dan-gers. Entre le xvie et le xviiie siècle, ses rivaux et des hommes d’église dénoncèrent l’homme et ses prédictions : le piètre astrologue, le faux prophète, le magicien démonique qui menaçait les fondements de la cosmologie, de l’autorité religieuse ou de l’organisation sociale. Si, au xviiie  siècle, philosophes et pamphlétaires

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n’avaient cure du prophète déluré, ils se distancièrent de l’époque prérationnelle qui l’avait enfanté et du peuple qui croyait toujours en de telles superstitions. Un siècle plus tard, ce sont les interprètes contemporains de Nostradamus – des marchands de miracles qui exploitaient sa célébrité afin d’accroître la leur dans une société marchande – que journalistes et savants se mirent à vilipender. Depuis la guerre froide, enfin, Nostradamus incarne la déperdition d’une société apeurée qui, sans institution et sans édifice moral pour la guider et la protéger, succombe aux théo-théo-ries du complot, aux sectes et aux prédictions cauchemardesques. Nostradamus

Illustration 1. Prisunic, premier supermarché à Salon, cultiva une image de modernité (la sienne et celle de la ville) en se démarquant subtilement de Nostradamus, prophète salonais mais anachronique. Source : Le Régional des Bouches-du-Rhône, 7 au 13 décem-bre 1962. Bibliothèque nationale de France.

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Rl’astrologue humaniste a laissé place, dans les journaux et sur les écrans, à un nom et une parole désincarnée qui ne renvoient plus qu’à des échéances crépusculaires.

Hors de la ville, les interprètes, traducteurs, biographes et autres préfaciers qui ont « produit » du Nostradamus depuis le xvie siècle ont le plus souvent été des pamphlétaires obscurs, des prêtres modestes ou des littérateurs qui prirent le risque de s’associer à ce phénomène illégitime pour se faire une place dans un nouveau domaine ou rebondir après un échec. Disposant d’un capital restreint, ils ont lié leur nom à celui d’un personnage susceptible de leur conférer une aura d’expert (fournir la « clef » des Prophéties) ou de les rendre célèbres. De telles stra-tégies se sont révélées impossibles à Salon, où Nostradamus est trop familier pour perpétuer des mystères et trop dévalorisé pour conférer un quelconque capital symbolique. Les enjeux sont aussi autres en termes d’image collective. Depuis l’Ancien Régime, les Salonais se sont vu accuser de charrier des légendes risibles concernant un prophète qui se serait fait enterrer vivant dans son tombeau. C’est ainsi, pour ne citer qu’un exemple, que des journalistes locaux accusèrent Samedi-Soir, en 1951, de faire paraître les Salonais pour « plus benêts qu’[ils n’étaient] »16.

Au début des années quatre-vingt, le responsable de la maison de Nostra-damus déclara que les Salonais ignoraient « superbement » leur astrologue17. Les entrepreneurs salonais auraient donc pu axer leur renouveau patrimonial autour d’Adam de Craponne. Mais la modernité et le progrès technologique qu’il incar-nait n’étaient plus de mise. L’adjoint Christian Kert estima que ce personnage intrinsèquement local, sans portée hors de la ville, ne permettrait pas à celle-ci de se positionner comme destination touristique. Nostradamus, en revanche, était en pleine résurgence médiatique. Nostradamus : historien et prophète, un livre d’inter-prétations qui semblait avoir annoncé dès 1980 l’élection de François Mitterrand et la tentative d’assassinat contre Jean-Paul II, se vendit à 1 300 000 exemplaires en France et fut traduit en douze langues. Des équipes de télévision descendirent à Salon ; l’Office de tourisme reçut d’innombrables appels apeurés. Son auteur, un certain Jean-Charles de Fontbrune, invita Salon à devenir le centre mondial de recherches sur Nostradamus. Que les Salonais le veuillent ou non, le monde extérieur continuait de les associer à leur prophète.

Dans ce contexte, Kert proposa de faire de Nostradamus l’assise du patri-moine urbain et d’une vaste opération touristique. Ce projet obtint l’appui de nouveaux entrepreneurs patrimoniaux. Une responsable de l’Office municipal de la culture invita le maire à l’exploiter pour attirer du monde à Salon18. Un membre de la Jeune Chambre économique estima qu’une politique autour de ce « filon touristico-médiatique » aurait des retombées locales importantes19. Le Bureau économique salonais, fondé en 1982 pour soutenir les entreprises locales, invita la cité à adopter le label « Ville de Nostradamus » tandis que Le Régional consacrait de nombreux articles à celui qui pourrait en devenir le « meilleur agent publici-taire »20. Ces entrepreneurs et la municipalité renforcèrent la présence de Nos-tradamus dans l’espace patrimonial et culturel de Salon : itinéraire fléché sur les

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Illustration 2. Le « retour » de Nostradamus dans les médias et l’imaginaire collectif au début des années 1980. Sciences parallèles, cavaliers de l’Apocalypse, sombres mystères : telles sont les images associées à Nostradamus. Source : L’Inconnu. La revue des phénomènes et des sciences parallèles, septem-bre 1981. Collection Michel Chomarat, Bibliothèque municipale de Lyon.

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Rpas du grand homme, expositions, colloques, nouvelles plaques, affiches pour les stands routiers, gamme de produits estampillés. Chaque été, les reconstitutions historiques mettaient en scène l’entrée de Catherine de Médicis à Salon et son entrevue avec Nostradamus en 1564. La municipalité acheta sa maison, la rénova et la rouvrit en 1984 en tant que musée et en fit une pièce maîtresse de la recon-quête du Vieux Salon. Des contraintes budgétaires limitèrent la portée de cette reconquête, mais le nouveau maire socialiste signa un partenariat avec le Musée Grévin six ans plus tard pour créer la Maison Nostradamus, un musée de cire dont les dix scènes mariaient émotion et compréhension afin de « faire connaître et rat-tacher ce personnage à la ville »21. Sur ce plan, le clivage gauche-droite ne structura pas mécaniquement le rapport entre Salon et son prophète.

Ce fut donc au croisement de deux conjonctures et de deux temporalités que Nostradamus redevint le mage de Salon.

D’une part, il y eut un regain d’intérêt médiatique et populaire extérieur à la ville, non sans rapport avec l’essor de l’astrologie et des parasciences et la trans-formation de la pratique religieuse, qui s’éloignait des églises traditionnelles pour générer des systèmes de croyance individuels où se mêlaient raison occidentale, religions monothéistes, spiritualités asiatiques et domaine paranormal (Hervieu-Léger 1999). Fontbrune en fut un vecteur à Salon, l’exégète international étant également proche de nouveaux entrepreneurs patrimoniaux tels que Kert. La ville répondit aussi aux injonctions du conseil régional des Bouches-du-Rhône, qui prônait des animations permanentes ainsi que des fêtes et des musées novateurs afin d’attirer plus de touristes22.

D’autre part, la conjoncture locale – remise en question du modèle écono-mique municipal, projets d’avenir incertains, image floue de Salon face aux villes voisines, tensions sociales – conduisit la municipalité à épouser une figure dont elle s’était jusqu’alors défiée. La nouvelle génération d’entrepreneurs patrimoniaux,

Fil conducteur des reconstitutions dès leur apparition en 1986 : un défilé nocturne représentant l’entrée de Catherine de Médicis à Salon. Des centaines de figurants traversent le centre-ville jusqu’à la porte de l’Horloge, où jadis Michel Nostradamus accueillit la reine mère et prédit l’avenir de ses fils : « Le plus fabuleux cortège de l’histoire de France fit halte à Salon ». Les organisateurs montent un spectacle historique différent chaque année : « Le siècle de Nostradamus » passe de la peste aux guerres de religion ; « Nostradamus aux étoiles » retrace la vie et les principales prophéties de l’astrologue ; « Nos-tradamus, devin du passé » conte l’histoire de Salon. À

ces manifestations s’ajoute un Village Renaissance qui, avec ses échoppes et ses tavernes, sa léproserie et ses saltimbanques, promet aux visiteurs un voyage dans le temps. Parfois, on y introduit une cour des miracles avec cracheurs de feu et montreur d’ours. D’autres années, c’est un festival de saltimbanques, un tournoi médiéval, un banquet Renaissance ou même un match de soule (dépeint comme ancêtre provençal du rugby). La soule, explique Le Provençal en 1994, est « cette tranche de virilité consensuelle basée sur la seule bonne humeur ». Le sinistre Nostradamus exprimerait de la même manière cette solidarité et cet entrain provençaux.

Les reconstitutions historiques de Salon

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qui avaient souvent fait des études et parfois travaillé hors de Salon, recourut à de nouvelles techniques de communication, accorda autant d’importance au tourisme qu’aux dimensions sociales du patrimoine local et s’ouvrit vers le monde exté-rieur et un « imaginaire » qui pourrait réintégrer la ville dans un espace national et international23.

Une réhabilitation à contre-courantImprégnés de cet imaginaire et de ce que le monde semblait attendre d’eux,

certains entrepreneurs patrimoniaux locaux empruntèrent des représentations extérieures à la ville. « Il est impossible d’être insensible à l’œuvre de celui qui, voilà quatre siècles, était maître d’une science dont les frontières aujourd’hui ne sont pas encore définies », affirma Françoise Mercier, responsable de l’Office municipal de la culture, en présentant les Journées Nostradamus en 1985. Cet événement devait constituer la première étape vers la transformation de Salon en « haut lieu de ren-contres ésotériques »24. Cette manifestation autour du paranormal faisait suite à un week-end sur Nostradamus et la parapsychologie, organisé par la Jeune Chambre économique, durant lequel la voyante Madame Mo avait souligné les facultés extrasensorielles et les dons de clairvoyance du prophète. En quête d’un autre « signe fort sur Nostradamus » en 1985, la municipalité fit peindre une énorme fresque de l’homme près de sa demeure. Elle choisit une gravure du xviiie siècle le représentant en sorcier inquiétant et accablé par les affres futures qu’il avait entre-vues. La fresque puisait dans la légende, l’imagerie populaire et l’iconographie qui accompagnait désormais les articles alarmistes sur Fontbrune et Nostradamus dans Paris-Match25. Fontbrune fut d’ailleurs convié à Salon l’année suivante afin de présenter son ouvrage et d’organiser une exposition sur Nostradamus à l’hôtel de ville. Un an plus tard, il participait à la rédaction du programme de la première reconstitution historique.

Les Journées Nostradamus attirèrent peu de visiteurs – en partie parce que le phénomène Nostradamus n’avait jamais requis de présence in situ – et n’eurent que de faibles échos au sein de la population salonaise. Des objections se firent d’ail-leurs entendre. Le Régional dénonça le catastrophisme à la Paris-Match comme incompatible avec l’ethos de la ville : « Les Salonais eux, ils en ont entendu d’autres à propos de Nostradamus ! » Des érudits désavouèrent pareilles représentations comme contraires à l’histoire et à leur conception de l’humaniste sérieux. L’un d’eux, guide à la maison de Nostradamus, interpella Fontbrune : « Si ça continue, le nom de Nostradamus, les Salonais ne pourront même plus le sentir. » Le biblio-phile qui avait fondé une Galerie Nostradamus en 1964 – il y organisa des expo-sitions sur Nostradamus, la Renaissance et l’art provençal – déclara que la fresque et la Maison Nostradamus dénaturaient le « patrimoine salonais »26. Aux tensions entre Salon et la culture médiatique internationale s’en ajoutèrent d’autres entre

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Illustration 3. La fresque dépeignant Nostradamus au cœur du Vieux Salon, inspirée d’une gravure de Christian Friedrich (1712-1774). © Cliché de l’auteur.

entrepreneurs patrimoniaux de générations différentes. Les plus anciens n’étaient pas nécessairement férus de Nostradamus – le guide de la maison de Nostrada-mus préféra Craponne « car il a[vait] donné du concret à la Provence »27 –, mais ils

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s’estimaient dépossédés de leur autorité et de leur savoir par les entrepreneurs plus jeunes et par des acteurs non salonais qui détournaient Nostradamus et l’image de Salon afin d’attirer des foules.

Or, ces nouveaux entrepreneurs patrimoniaux entretenaient eux-mêmes un rapport malaisé avec Nostradamus. Françoise Mercier collabora pendant un temps avec Fontbrune mais expliqua plus tard qu’elle était trop rationaliste pour devenir « fan de Nostradamus et d’élucubrations dans lesquelles [elle ne se sentait] pas à l’aise »28. Kert tint des propos similaires dans un entretien ultérieur29. Ces acteurs circulaient dans le même milieu social : Mercier était l’épouse d’un méde-cin ; Fontbrune était fils de médecin et cadre dans le secteur pharmaceutique ; Kert était diplômé en droit et cadre lui aussi ; Fontbrune et Kert s’étaient rencontrés à la Jeune Chambre économique d’Aix. Mais tandis que Fontbrune se lançait dans une carrière médiatique nationale, voire internationale, Mercier et Kert circons-crivaient leur action à un champ local au sein duquel une réputation de nostrada-misant exalté ne leur conférerait aucun avantage. Leurs propos dévoilent donc un malaise face à une figure qui ne correspondait ni à leurs convictions ni à l’image intime ou publique qu’ils entretenaient d’eux-mêmes et de Salon en tant que ville jeune, moderne, accueillante et optimiste – une ville qui se distinguait toujours de ses voisines par sa qualité de vie. Pour ces entrepreneurs comme pour les érudits, Salon ne pourrait se redéfinir face au monde extérieur et fédérer ses habitants en participant à ce qu’on appelait alors « le marché de la peur »30. Se faire connaître comme la cité du sulfureux prophète confirmerait son statut de ville dominée dans le champ régional.

Ces entrepreneurs patrimoniaux étaient donc confrontés à un triple défi : faire de Nostradamus l’ossature de leurs projets patrimoniaux et touristiques tout en maintenant une distance et en répondant à une stigmatisation qu’exacerbait la dernière vague nostradamienne. C’est pourquoi le sinistre devin s’estompa rapide-ment dans l’espace patrimonial local : fin des manifestations autour du paranormal, divorce entre Fontbrune et les organisateurs de reconstitutions, avertissements de la Maison Nostradamus contre les interprètes peu scrupuleux et les « dérives sec-taires »31. Cela dit, les stratégies qui avaient prévalu au cours des siècles précé-dents – le silence, l’oubli, la dissimulation de la source du stigmate – se révélèrent impossibles, vu l’omniprésence du phénomène et la nouvelle politique culturelle municipale. Il était nécessaire d’élaborer d’autres approches.

Certains entrepreneurs patrimoniaux choisirent de nommer ce stigmate, présentant l’étrange Nostradamus comme un phénomène de société curieux et fascinant : « Haï ou craint pour ses divinations, suspecté pour ses connaissances occultes, [Nostradamus] ne laisse personne indifférent »32. On pouvait s’y intéres-ser sans sombrer dans l’irrationnel. Mais la stratégie dominante tournait autour de la « réhabilitation » d’un homme qui serait dorénavant « moins prophète mais plus homme ». Il fallait lui donner chair afin que « les gens ne voient pas seulement un barbu antédiluvien » (Kert)33. Nostradamus devint un « super-génie » : humaniste

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polyglotte et poète philologue, philosophe historien qui avait conseillé Catherine de Médicis, catholique qui avait cohabité avec la Réforme, homme d’affaires et voyageur, médecin des corps et des âmes qui lutta contre la peste et les angoisses de ses concitoyens.

Illustration 4. La réhabilitation du Vieux Salon, telle que la dépeint la municipalité en 1988. La fresque surplombe la « cité de Nostradamus » mais le personnage catastrophiste demeure flou dans cette ville conviviale et commerciale. Source : Gilbert Bouchard, Salon 2000 ans d’idées. Paris, Carrefour B.D. [1988]. © Archives municipales de Salon-de-Provence.

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La ville et ses entrepreneurs patrimoniaux s’octroyaient la responsabilité d’ap-prendre au monde à quel point ce personnage hors du commun avait été moderne et fédérateur. Sa « polyvalence culturelle » caractérisait d’ailleurs non seulement un homme mais aussi une ville qui allait redevenir un carrefour européen34. S’ins-pirant des plaquettes biographiques rédigées par des érudits locaux sous la Troi-sième République, Kert, Mercier et d’autres associèrent l’homme Nostradamus à la volonté, à l’initiative et à l’énergie intellectuelle et commerciale de la Renais-sance. Cette époque devint d’ailleurs la métaphore dominante dans l’espace public salonais, « le mot d’ordre de tous ceux qui ont en main les destinées du centre-ville ». Étendues à Salon, les qualités de Nostradamus amorceraient « une véritable renaissance de l’esprit nostradamique » dans une ville qui surmonterait la crise et recouvrirait sa modernité35. Les réhabilitations du prophète, du Vieux Salon et de l’image de la ville allaient de pair.

Durant les années quatre-vingt, Nostradamus incarna ainsi les valeurs néo-libérales que la municipalité imaginait pour Salon : le développement et l’entre-prenariat, le volontarisme et la vitalité, l’innovation et l’ambition. « Nostradamus : une autre façon de mobiliser les ardeurs », déclara une journaliste36. Après tout, l’homme avait créé un nouveau genre littéraire, combattu des fléaux et soutenu de jeunes talents tels que Craponne, dont il finança en partie le canal. Au début des années quatre-vingt-dix, après la victoire des socialistes, Nostradamus se mua en homme du peuple, à l’écoute des gueux et des pestiférés. Les municipalités vou-laient toutes deux faire de la reconstitution historique un outil social axé autour de la participation spontanée, du bénévolat et de la mixité, mais ce fut sous le mandat socialiste que les organisateurs transformèrent la manifestation en œuvre « d’intégration permanente ». Ils invitèrent des détenus, des handicapés mentaux, des sans domicile fixe et surtout des habitants et associations des Canourgues à y participer37.

Sous une municipalité comme sous l’autre, ces nouveaux entrepreneurs patri-moniaux répondirent à la stigmatisation de Nostradamus en le localisant. Comme les érudits, ils dépeignirent un citoyen épris de sa ville, un méridional de cœur qui scrutait le ciel de Provence de nuit en humant ses parfums. « Venez vous perdre dans le Vieux Salon et visiter sa Maison Nostradamus », déclara l’Office de tou-risme ; « Venez vous plonger dans l’intimité d’un homme et d’une ville et découvrir le quotidien de ce grand savant » (Office de tourisme de Salon, 1991).

Cette redécouverte ou plutôt cette réinvention de l’homme Nostredame prit place au sein d’une relation ambiguë avec le monde extérieur.

D’une part, elle rejoignait le tournant patrimonial à l’œuvre dans d’innom-brables villes françaises et étrangères – la fidélité historique fondant la pureté et l’authenticité de nouvelles destinations touristiques (Urry 1992). Ce retour à Nos-tradamus rencontrait aussi un intérêt balbutiant pour l’astrologue et le poète dans le monde universitaire français. Des spécialistes de la Renaissance tels Jean Céard (Paris XII Créteil) et Michel Simonin (Rennes II) commencèrent à s’intéresser

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Rà l’homme et à son œuvre (Céard 1982)38. En quête de légitimation scientifique, l’Office municipal de la culture et la Maison Nostradamus invitèrent ces spécia-listes à des tables rondes sur Nostradamus et son époque.

D’autre part, le registre historique des entrepreneurs salonais s’opposa aux légendes et aux interprétations apocalyptiques que les médias français et interna-tionaux ne cessaient de leur imposer. S’ils évoquaient les prédictions de Nostra-damus, c’était pour montrer que des « images d’apocalypse » s’estompaient derrière des « visions de paix, d’espace et de rêve »39. Les considérations locales primaient : nouvelle image interne de la ville, politique urbaine et sociale, projet collectif fédé-rateur, statut des entrepreneurs patrimoniaux, attentes de la population salonaise. Le monde extérieur avait réintroduit Nostradamus à Salon, mais il ne pouvait lui dicter la marche à suivre. Tout en participant à des dynamiques qui la dépassaient, la ville se traça une voie singulière, délinéant un personnage et des moments historiques qui, comme l’entrevue entre Nostradamus et Catherine de Médicis, n’avaient guère de résonance hors de Salon mais semblaient capables, sur place, de rassembler sa population et en même temps de fournir du « patrimoine local » aux visiteurs.

Entre microcosme et macrocosmeCette réhabilitation ne fut pas sans effets. Elle conféra à Salon un certain capi-

tal symbolique et amplifia sa visibilité. Le ministre de la Culture François Léotard (de passage à Salon en 1988) et des magazines tels que Télé Loisirs louèrent ainsi le médecin et l’astrologue salonais40. Cette réhabilitation reconfigura aussi l’espace urbain. Les reconstitutions historiques attirèrent jusqu’à 80 000 spectateurs au début des années 1990 et formèrent un nouvel univers social au sein duquel des centaines de bénévoles estimaient échapper aux contraintes du quotidien, tisser des liens étroits avec d’autres concitoyens et délinéer de nouvelles identités terri-toriales. Un bénévole (un policier municipal) se dit ravi d’y avoir noué de nouvelles amitiés avec des agriculteurs, des enseignants et des fonctionnaires – « des gens de Salon »41. D’autres bénévoles évoquèrent un voyage dans le temps qui géné-rerait un nouveau « lien avec l’histoire […]. Quand on sortait des cours, on avait l’impression de passer une barrière temporelle »42. À une époque qui se démarquait des grands récits et avait du mal à rattacher l’avenir au passé et à l’imaginer comme horizon collectif (Nora 2002), Nostredame l’humaniste salonais et Nostradamus l’astrologue promettaient de ralentir le temps et en même temps de lui donner une nouvelle consistance. Quand les organisateurs des reconstitutions déclaraient que « Nostradamus bouscul[ait] la temporalité, entraînant dans une grande transmu-tation Salon et ses habitants » (Reconstitution 1995 : 8), ils esquissaient une trans-formation collective du temps qui, au-delà de la vision du passé comme refuge, débouchait sur un présent enraciné dans l’histoire mais capable de conduire à un avenir riche de possibilités.

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Loin de se murer dans un passé sclérosé, les organisateurs et les participants ébauchèrent de nouvelles manières de se mouvoir et de se situer dans leur cité. Ce fut notamment le cas du quartier des Canourgues, dont la distance symbolique avec le Vieux Salon paraissait s’accroître aux alentours de 1990 (Grandjonc 1996). S’estimant exclus d’un centre-ville avec lequel ils n’avaient guère de liens affectifs, certains Canourguais se tournèrent vers le patrimoine et le grand homme pour prendre possession de la ville. Une pharmacienne du quartier expliqua que, pour une population qui n’était que « consommatrice » du Vieux Salon, participer aux reconstitutions permettait de « s’approprier l’histoire de la ville. On était la ville, on était propriétaires de la ville, de l’espace public. On installait nos cabanes, nos tavernes dans la ville. C’était à nous ça, et quelque part, après, on ne la regarde plus comme avant. On a vécu des moments heureux dans un espace qui est à nous »43. Imaginé par des entrepreneurs patrimoniaux proches du centre institutionnel de la ville, le Nostradamus salonais était désormais réinvesti par des individus et des associations qui, relégués à ses marges sociales et territoriales, prenaient au pied de la lettre les injonctions à reconquérir le Vieux Salon.

Certains d’entre eux réinventèrent d’ailleurs le personnage à leur façon. L’asso-ciation Nejma, créée aux Canourgues en 1984 par des étudiants d’origine algé-rienne pour favoriser l’intégration par l’école, la formation et la culture, participa à la reconstitution quelques années plus tard. « C’était pas mal qu’on nous recon-naisse un peu », expliqua un membre, « on se montrait ouvertement au centre-ville »44. Se montrer consistait à articuler ce qu’elle appelait une « biculture », mêlant les origines maghrébines de ses membres et le patrimoine local. L’associa-tion monta un souk arabe et un marché d’esclaves du xvie siècle dans le Village Renaissance et appréhenda Nostradamus comme un personnage cosmopolite qui, comme le montraient son penchant pour les épices africaines et son réseau de correspondants étrangers, s’était ouvert à d’autres cultures. Une reconquête qui, pour certains, avait eu pour toile de fond la protection de la culture provençale face à l’immigration permettait aussi à des Salonais issus de cette immigration de lutter contre l’exclusion et le racisme. Le personnage réhabilité participa ainsi à un combat contre une autre stigmatisation.

Pourtant, ce retour à Nostradamus demeura inabouti. Les propos de François Léotard font figure d’exception hors de Salon (et reflètent peut-être la proximité locale du ministre, qui était aussi maire de Fréjus à cette époque). La Maison Nostradamus attira peu de touristes ou de Salonais ; le nombre de spectateurs, lors des reconstitutions historiques, baissa au cours de la décennie. Tout ceci résultait de multiples facteurs, parmi lesquels la monotonie de spectacles répéti-la monotonie de spectacles répéti-tifs, qui avaient du mal à se renouveler, et les priorités divergentes qu’exprimaient partisans de la préservation et adeptes d’un développement touristique. D’autre part, un antagonisme croissant entre la mairie centriste, qui réclamait un audit des comptes des reconstitutions historiques, et certains organisateurs de gauche, qui craignaient une mise sous tutelle, aboutit à une scission et deux événements

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Illustration 5. Le Vieux Salon transformé en village médiéval en 1988. Nul besoin de Nostradamus dans cette composition consacrée à la sociabilité, à une cité harmonieuse à visage humain et à l’esprit provençal que symbolisent les épis de lavande. Source : carte postale diffusée par « Histoires de Salon », Salon-de-Provence, Imprimerie Amigon, 1988. Collection de l’auteur.

annuels concurrents à partir de 1999, l’un à Salon et l’autre dans la commune voisine de Grans (Crivello 2001). Un journaliste parla d’une « guerre des Nos-tradamus »45. Il y avait donc un décalage entre le discours public des principaux organisateurs concernant une communion retrouvée – discours repris par certains participants – et des tensions sous-jacentes, non seulement politiques mais aussi

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sociales. Des bénévoles issus de milieux populaires décidèrent ainsi de participer à la reconstitution, mais uniquement au sein de la troupe des gueux. « On était vraiment entre nous », expliqua l’une d’entre eux ; « Je ne me voyais pas noble ». Un autre bénévole ne put davantage imaginer incarner un chevalier. En tant que « gueux », il « exprimait la misère, la difficulté qu’on pouvait ressentir à cette époque mais d’une façon narquoise »46.

Surtout, la réhabilitation de Nostradamus ne put gommer les aspérités du per-sonnage. Si quelques médias jetèrent un regard complaisant sur le grand homme salonais, un plus grand nombre continua d’évoquer un prophète de malheur – « la star d’Apocalypse Now » (Sunday Times)47. Cette tendance s’accentua à la fin des années deux mille, grand moment de frayeurs millénaristes. Un quatrain de Nostradamus prédisait l’arrivée d’un grand Roy « deffraieur » en 1999 ; Fontbrune annonça une guerre mondiale entre l’Occident et l’Islam. Selon une chaîne de télévision américaine, nulle part le prophète n’inspirait plus de peur que dans sa propre ville. Cette affirmation est à la fois erronée (dans la mesure où les Salonais ne craignaient pas dans l’ensemble la fin du monde) et exacte, vu qu’un grand nombre d’entre eux redoutait que leur ville ne devînt ce que Paris-Match appelait « La Mecque de l’occulte »48. Alors que la machine Nostradamus s’emballait à nou-veau, les entrepreneurs patrimoniaux se divisèrent entre une minorité qui pouvait imaginer Salon comme « capitale mondiale d’un mythe » et une majorité qui se méfiait toujours de cette image49. La reconstitution historique de 1999 marqua donc un compromis difficile entre « l’homme pluriel » qui symbolisait la Renais-sance provençale, le défilé de la population salonaise au temps de Nostradamus et le retour de Madame Mo. Tandis que Fontbrune dédicaçait son dernier ouvrage dans le centre-ville, le dossier de presse dénonçait les interprétations « parfois condamnables » des Prophéties50.

Si l’opposition entre entrepreneurs de générations différentes – les uns portés sur l’érudition, les autres sur l’animation populaire – se maintint, elle n’explique pas tout. Cette tension illustre aussi la difficulté, pour une petite ville, de surmonter une stigmatisation qui s’exprime à la fois en son sein et en dehors. La ville de Salem (Massachusetts), célèbre pour les jeunes filles qui y furent accusées de sorcellerie et pendues au xviie siècle, a établi autour de cet épisode violent un centre touristique qui, en mêlant commémoration, édification et registre ludique, attire jusqu’à un mil-lion de visiteurs par an (Gatchet 2008). Elle y est parvenue parce que cet événement fournit des victimes et des héroïnes avec lesquelles tous peuvent s’identifier, parce qu’il se prête à un récit édifiant et universel autour de la persécution et enfin parce qu’il fait désormais partie de l’histoire et de la littérature américaines. Retourner le stigmate s’avère plus ardu lorsque : (1) l’événement historique ou le personnage patrimonial auxquels il se rattache ne disposent que de faibles appuis institutionnels hors de la ville (enseignement, politique, religion, production culturelle légitime) ; (2) il est difficile de tirer une leçon morale de cet événement ou du personnage ou de les insérer dans un récit historique national ; (3) l’actualité internationale réactualise

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Rrégulièrement le stigmate et le rattache à des phénomènes sociaux contemporains ; et (4) cette stigmatisation freine l’éclosion d’un attachement collectif à l’événement ou au personnage au sein de la population locale.

Tout comme l’individu stigmatisé qui, étant constamment renvoyé à sa diffé-rence, entretient une relation ambivalente avec son identité et son appartenance sociale (Goffman 1963), la collectivité salonaise a eu du mal à nouer un lien affec-tif avec un personnage qui ne ravive ni souvenirs personnels ni mémoire collective, ni leçons scolaires ni légendes transmises au sein de la famille. Contrairement au Puy-du-Fou, où certains bénévoles ont pu revivre des scènes qu’ils avaient connues ou du moins reçues en héritage collectif et intériorisées (Martin et Suaud 1996 : 140), ces investissements patrimoniaux autour de Nostradamus demeurent distants, ponctuels et souvent superficiels. D’ailleurs, nombre de participants aux reconstitutions historiques s’intéressaient moins à l’homme qu’au « temps de Nos-tradamus »51. Si la politique patrimoniale de Salon conduisit certains habitants à découvrir ce personnage hors du commun, d’autres se plaignirent qu’« on en avait assez d’entendre parler de Nostradamus à Salon, on préférait parler de Craponne. On ne savait pas ce qu’il représentait, on racontait n’importe quoi autour de lui ». Une bénévole (employée dans un petit commerce) regrettait que ce ne soit plus « que du commercial » : « On voit du Nostradamus partout. Arrêtez, quoi ! »52.

C’est pourquoi Nostradamus fut en définitive à la fois omniprésent et introu-vable à Salon, pourquoi la constitution d’un patrimoine historique et d’une image de la ville durable autour du grand homme local se révéla impossible. Nostrada-mus devint le centre absent de Salon : ses habitants ne pouvaient lui échapper tandis que les visiteurs recherchaient en vain le sinistre prophète. Tiraillée entre l’authenticité historique et la mythologie, entre une mémoire locale et une com-mercialisation qui s’accordaient difficilement, Salon ne parvint pas à un consensus sur les contours de son patrimoine, que ce fût parmi ses entrepreneurs patrimo-niaux ou au sein de sa population. Cette ville déjoue ainsi toute analyse en termes de schéma unique, que ce soit la muséification locale spontanée ou le clivage entre l’espace local et le monde extérieur. Elle s’éloigne des images convenues de villes qui anticipent les attentes des touristes en incarnant des rôles convenus dans un simulacre historique ou, au contraire, rejettent catégoriquement pareilles imposi-tions. Les convergences ou les divergences entre le local et des forces nationales ou internationales s’estompent derrière un entrelacs de manœuvres concomitantes : réhabilitation mêlant réinvention et effacement, emprunts et réappropriations, refus incertains et détournements.

Le musée, le culte du grand homme, la reconstitution d’un grand moment de l’histoire locale peuvent ainsi constituer des interventions dans l’espace municipal – se prêtant à de multiples usages sociaux dans la cité et ses banlieues – et en même temps répondre (même partiellement) à des forces qui naissent hors de la ville. Si les images médiatiques de Salon et de son grand homme et les conjonctures nationales et internationales ont remodelé l’espace patrimonial local, c’est toujours via une série

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de filtres qui les reflètent et les réfractent : le rapport que la ville entretient avec ses voisines ; le statut de ses divers entrepreneurs patrimoniaux ; le champ politique local et l’enjeu qu’y représente la culture ; la topographie physique et sociale de la ville ; et enfin l’histoire des représentations de cette ville et de son patrimoine. Ce n’est qu’en intégrant ces diverses dimensions que, d’un artefact figé ou façonné par une dyna-mique unidirectionnelle, le patrimoine local peut apparaître comme processus à la fois autonome et hétéronome. Ses retours, ses replis et ses nouvelles configurations en disent moins, finalement, sur le microcosme ou le macrocosme en tant que tels que sur leurs rapports fluctuants à une époque qui réinvestit le local tout en s’ouvrant volontairement ou non à des forces transnationales.

Ouvrages cités

Anon. 1981. « À Salon-de-Provence, on prépare le musée Nostradamus », Historiques : l ’histoire des mystères, n° 12 : 34—. 1995. Reconstitution historique. Salon-de-Provence. 10e édition. Salon-de-Provence.

AppeL, Violaine. 2008. « La mise en culture des territoires », in Violaine Appel et al. (éd.), La mise en culture des territoires : nouvelles formes de culture événementielle et initiatives des collectivités locales. Nancy, Presses Universitaires de Nancy : 13-24.AsHwortH, Gregory J. 1994. « From History to Heritage – From Heritage to Identity : In Search of Concepts and Models », in Gregory John Ashworth and Peter J. Larkham (éd.), Building a New Heritage : Tourism, Culture and Identity in the New Europe. Londres, New-York, Routledge : 13-30.BACKouCHe, Isabelle. 2013. Aménager la ville. Les centres urbains français entre conservation et rénovation (de 1943 à nos jours). Paris, Armand Colin.BeCKer, Howard Saul. 1994 [1963]. Outsiders. Sociologie de la déviance, trad. par Jean-Pierre Briand et Jean-Michel Chapoulie, Paris, Métaillé (éd. orig. Outsiders. Studies in the Sociology of Deviance. New-York, Free Press).

BensA Alban et Daniel FABre (éd.). 2001. Une histoire à soi : figurations du passé et localités. Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme.BerLiner, David. 2010. « Perdre l’esprit du lieu : les politiques de l’Unesco à Luang Prabang (RDP Laos) », Terrain, n° 55 : 90-105.BorrAz, Olivier. 1993. « Le changement dans le mode de gouvernement des villes », in Sylvie Biarez et Jean-Yves Nevers (éd.), Gouvernement local et politiques urbaines. Grenoble, CERAT : 319-337.BusCAtto, Marie. 2006. « Voyage du côté des �perdants� et des �entrepreneurs de mémoire� », Ethnologie française, vol. 36, n° 4 : 745-748.CéArd, Jean. 1982. « J. A. de Chavigny : le premier commentateur de Nostradamus », in Istituto nazionale di studi sul Rinascimento, Scienze, credenze occulte, livelli di cultura. Florence, Leo S. Olschki : 427-442.CriVeLLo, Maryline. 2000. « Comment on revit l’Histoire. Sur les reconstitutions historiques, 1976-2000 », La pensée de midi, vol. 3, n° 3 : 69-74.—. 2001. « Du passé, faisons un spectacle ! Généalogies des reconstitutions historiques de Salon et Grans en Provence

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Notes

Pour leurs réflexions sur cet article, je tiens à remer-cier Vicki Caron, Herrick Chapman, Paul Cohen, Sarah Gensburger, Suzanne Kaufman, Anne-Marie Thiesse et le comité de rédaction de Genèses. Merci aussi à Françoise Pelé et Guy Bonvicini des Archives municipales de Salon-de-Provence, ainsi qu’à Françoise Wyss-Mercier pour l’accès à ses archives personnelles. Ce travail a bénéficié du sou-tien de l’American Historical Association, l’Ame-rican Philosophical Society et l’Institut Remarque de New York University.

1. Sur le patrimoine local et le grand homme stig-matisé, voir Fabiani 2001.

2. Je m’inspire des travaux récents sur les entrepre-neurs de mémoire, ces groupes et individus issus de la société civile qui, à l’image des entrepreneurs de morale étudiés par Howard Becker (1995), opèrent des sélections dans le passé collectif afin d’imposer ou de faire reconnaître des normes et des identités collectives tout en renforçant leur propre légitimité dans l’espace public. Le terme d’entrepreneur patri-monial me paraît plus pertinent pour désigner des acteurs qui, à Salon, mobilisèrent un patrimoine local mais eurent du mal à délimiter une mémoire collective autour de Nostradamus. Voir Becker 1994, Buscatto 2006 et Gensburger 2010.

3. Archives municipales de Salon-de-Provence (AMS dans les notes suivantes), 3  T 7. Bureau d’études et de réalisations urbaines, « Salon de Provence. Étude du centre. Note de travail », 8 novembre 1974.

4. Archives départementales des Bouches-du-Rhône (ADBR dans les notes suivantes), O 12 2320. Jacques Van Migom, « Plan d’urbanisme directeur des quartiers de L’Empéri et de Craponne. Plan de détail », 26 février 1964.

5. AMS, 3  T 7. Lettre collective de vingt-et-un signataires au maire Jean Francou, 14 juin 1974.

6. Le Régional des Bouches-du-Rhône, 27 septembre 1984 et 28 février 1980.

7. Jean Francou, « La gauche désavouée », Le Régional des Bouches-du-Rhône, 21 juin 1984.

8. Le Régional des Bouches-du-Rhône, 9 mars 1989.

9. AMS, 3  T 6. Lettre de Michel Guy (secrétaire d’État à la culture) à Jean Francou, 25 septembre 1974. Voir aussi Backouche 2013.

10. « Christian Kert : �retrouver l’esprit de fête et de culture collectives� », Paris-Match, supplément Salon-de-Provence, 1er novembre 1988 : x-xii.

11. AMS, 166 W 14/4. « Dossier de présentation : Reconstitution historique de Salon-de-Provence, 4, 5, 6 et 7 juillet 1991 », s.d. Voir aussi Appel 2008.12. AMS, 181 W 40. « Horizons 1994 », Mémoires et légendes 1994. Bulletin, n° 4 : 5.13. Voir Vallet 1982 et profession de foi du maire André Vallet, Le Régional des Bouches-du-Rhône, 25 mai 1995.14. Le Régional des Bouches-du-Rhône, 23 décembre 1949. Sur ce qui précède, voir aussi AMS, DD 126, fol. 216-18. Discours du maire de Salon à l’inauguration du monument Craponne, 22 octobre 1854 ; et Jean Blanchard, « L’œuvre d’Adam de Craponne », L’Empéri, n° 41, 1967 : 10.15. ADBR, 6  M 1610. Joseph François Megy, « Notice sur Michel Nostradamus », 7 février 1818.16. Le Régional des Bouches-du-Rhône, 27 avril 1951.17. Voir Anon 1981.18. AMS, 7  M 6/2. Note confidentielle de Françoise Mercier à Jean Francou, mai 1985.19. Michel Roux, « Une activité touristique grâce à Nostradamus. Pourquoi pas ? », Le Régional des Bouches-du-Rhône, 30 juin 1988.20. Le Régional des Bouches-du-Rhône, 20 août 1981 et 8 avril 1982.21. AMS, 312 W 3. « Propositions d’axes de déve-loppement touristique concernant le pays de Salon-de-Provence », 1994.22. Conseil général des Bouches-du-Rhône, « Schéma départemental de développement du tourisme et des loisirs. Livre blanc ». Marseille, s. éd., 1989.23. AMS, 166 W 2/3. Rapport du délégué à l’ani-mation-jeunesse sur le Musée Nostradamus, 1990.24. Françoise Mercier, « Les premières journées de Nostradamus », Le Régional des Bouches-du-Rhône, 9 mai 1985.25. Procès-verbal de la réunion du conseil muni-cipal de Salon du 22  avril 1985, Le Régional des Bouches-du-Rhône, 2  mai 1985 ; et entretien avec Christian Kert, réalisé à Paris le 31 mars 2004.26. Le Régional des Bouches-du-Rhône, 10 septembre 1981 et 10 juin 1982 ; André Cheinet, « N’altérons pas le patrimoine salonais », Salon Centre : Bulletin du comité d’intérêts du quartier centre-ville, n°  1, 1985 : 2 ; et Médiathèque de l’Art et du Patrimoine, 81/13/77. Pétition envoyée au ministre de la Culture Jack Lang, 6 février 1992. Sur pareils conflits entre

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Rérudition et nouveaux usages de l’histoire locale, voir Laferté 2000.27. Le Provençal, 2 juillet 1982.28. Entretien avec Françoise Mercier (désormais Wyss-Mercier), réalisé à Salon le 25 novembre 2003.29. Entretien avec Christian Kert. D’autres organi-sateurs dirent la même chose : entretiens avec Léon Rech, réalisé à Salon le 15 novembre 2003 ; et avec Catherine Casanova, réalisé à Salon le 13  janvier 2004.30. Le Point, 24-30 août 1981.31. AMS, 312 W 2. Jacqueline Allemand, « Maison de Nostradamus. Réalisations novembre 1995 ».32. AMS, 166  W 14/4. « Dossier de présentation : Reconstitution historique de Salon-de-Provence, 4, 5, 6 et 7 juillet 1991 », s.d.33. Entretien avec Christian Kert et Le Régional des Bouches-du-Rhône, 28 juin 1990.34. AMS, 7 M 6/2. Dossier de presse des Journées Nostradamus, avril ou mai 1985.35. Le Régional des Bouches-du-Rhône, 22 avril 1982 et 20 août 1981.36. Le Régional des Bouches-du-Rhône, 5  janvier 1984.37. AMS, 181  W 35. Lettre de Jo Stofati au pré-sident du conseil régional des Bouches-du-Rhône, 30 décembre 1993. Je m’appuie également sur mes entretiens avec Christian Kert et Jo Stofati, réalisés à Salon le 19 janvier 2004.38. Le seiziémiste Jean Dupèbe édita sa cor-respondance chez Droz en 1983. Soulignons aussi l’appui du collectionneur lyonnais Michel Chomarat, auteur d’une bibliographie critique sur Nostradamus. Dix ans plus tard, la Maison Nostradamus tissa des liens avec l’Université de Provence autour de la Renaissance.39. AMS, 181  W 35. Procès-verbal de la réunion publique de l’association Mémoires et Légendes du 15 avril 1994, Mémoires et Légendes. Bulletin, n° 2, 1994 : 3.

40. Le Régional des Bouches-du-Rhône, 31  mars 1988 ; et « Salon : la Provence de Nostradamus », Télé Loisirs, 23 septembre 1991.41. Entretien avec Bruno (pseudonyme), réalisé à Salon le 18 mars 2004.42. Entretien avec Georges (pseudonyme), réalisé à Salon le 25 novembre 2003.43. Entretien avec Catherine Casanova, réalisé à Salon le 13 janvier 2004. Sur ce clivage spatial, voir Grandjonc 1996 : 189.44. Entretien avec Aïcha (pseudonyme), réalisé à Salon le 22 janvier 2004.45. Le Régional, 9-15 juillet 1998. Voir aussi AMS, 267  W 52. Communiqué du maire André Vallet, 24 mai 1996.46. Entretiens avec Bruno (pseudonyme) et avec Claire (pseudonyme), réalisés à Salon le 25  novembre 2003. Pareilles reconstitutions ne furent donc pas les espaces de convivialité dépeints dans Rouxel 1995 et Crivello 2000  : la représen-tation sincère ou ludique de l’harmonie sociale y côtoya la mise en scène des clivages sociaux.47. Sunday Times, 4 juillet 1999.48. AMS, 7 M 6/2. Jacques Bouisset, « Sur les pas de Nostradamus », Paris-Match Provence, coupure non datée [1979].49. « Nostradamus, atout économique », Salon mensuel, n°  36, 1995 : 5 ; Le Régional des Bouches-du-Rhône, 27  août-3  septembre 1998 ; et AMS, 267 W 89. Procès-verbal de la réunion de l’Office de tourisme de la ville et du pays de Salon-de-Provence, 30 octobre 1998.50. Programme Les Nostradamiques de Salon-de-Provence, 1999 ; et AMS, 312  W 4. Dossier de presse des Nostradamiques, 1999.51. Le Provençal, 29 mars 1989.52. Entretiens avec Bruno, Georges et Claire.

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