16
Chronique de l’international 229 La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - n o e trimestre 2012 Le soutien social aux enseignants : un facteur de réussite de la démarche inclusive Denise CURCHOD-RUEDI 1 Haute école pédagogique, Lausanne, Suisse Pierre-André DOUDIN 2 Université de Lausanne et Haute école pédagogique, Lausanne, Suisse Résumé : Avec un intérêt particulier pour les interactions sociales favorisant les démarches inclusives à l’école, nous décrivons dans cet article des préoccupations que les enseignants 3 ont à affronter au quotidien dans leur pratique en général mais plus encore lorsqu’ils ont pour mission d’intégrer dans leur classe des élèves présentant des besoins particuliers. Après une présentation de différentes situations problématiques pouvant générer l’exclusion, nous rappelons brièvement ce que recouvrent la psychologie de la santé, la prévention de la santé en milieu scolaire puis l’évolution de la conception du soutien social. Nous nous arrêtons ensuite sur les modalités de soutien social qui représentent un facteur de protection pour des enseignants en situation d’intégrer dans leur classe des élèves aux besoins particuliers et tentons de préciser les mesures que peuvent élaborer les institutions de formation d’enseignants et les établissements scolaires. Mots-clés : Exclusion - Inclusion - Prévention de la santé - Psychologie de la santé - Réseau social - Soutien social perçu. Social support to teachers: a success factor in the inclusive approach Summary: With a particular attention for social interactions helping inclusion at school, this paper describe teachers’ daily concerns in their general practice but even more when they have to integrate pupils with special needs in their class. After a presentation of different problematic situations likely to lead to exclusion, we briefly review the fields of health psychology, school-based health prevention as well as how the concept of social support has evolved. We further address the modalities of social support as a protection factor for teachers having to integrate pupils with particular needs in their class. We finally try to clarify the procedures that teachers training institutions and schools can establish. Keywords: Exclusion - Health prevention - Health psychology - Inclusion - Perceived social support - Social network. 1. [email protected] 2. [email protected] 3. Nous utilisons le masculin dans l’intention d’alléger le texte.

Le soutien social aux enseignants : un facteur de réussite de la démarche inclusive

Embed Size (px)

Citation preview

Chronique de l’international

229La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no e trimestre 2012

Le soutien social aux enseignants :

un facteur de réussite de la démarche inclusive

Denise CURCHOD-RUEDI 1 Haute école pédagogique, Lausanne, Suisse

Pierre-André DOUDIN 2 Université de Lausanne et Haute école pédagogique, Lausanne, Suisse

Résumé : Avec un intérêt particulier pour les interactions sociales favorisant les démarches inclusives à l’école, nous décrivons dans cet article des préoccupations que les enseignants 3 ont à affronter au quotidien dans leur pratique en général mais plus encore lorsqu’ils ont pour mission d’intégrer dans leur classe des élèves présentant des besoins particuliers. Après une présentation de différentes situations problématiques pouvant générer l’exclusion, nous rappelons brièvement ce que recouvrent la psychologie de la santé, la prévention de la santé en milieu scolaire puis l’évolution de la conception du soutien social. Nous nous arrêtons ensuite sur les modalités de soutien social qui représentent un facteur de protection pour des enseignants en situation d’intégrer dans leur classe des élèves aux besoins particuliers et tentons de préciser les mesures que peuvent élaborer les institutions de formation d’enseignants et les établissements scolaires.

Mots-clés : Exclusion - Inclusion - Prévention de la santé - Psychologie de la santé - Réseau social - Soutien social perçu.

Social support to teachers: a success factor in the inclusive approach

Summary: With a particular attention for social interactions helping inclusion at school, this paper describe teachers’ daily concerns in their general practice but even more when they have to integrate pupils with special needs in their class. After a presentation of different problematic situations likely to lead to exclusion, we briefly review the fields of health psychology, school-based health prevention as well as how the concept of social support has evolved. We further address the modalities of social support as a protection factor for teachers having to integrate pupils with particular needs in their class. We finally try to clarify the procedures that teachers training institutions and schools can establish.

Keywords: Exclusion - Health prevention - Health psychology - Inclusion - Perceived social support - Social network.

1. [email protected]. [email protected]. Nous utilisons le masculin dans l’intention d’alléger le texte.

230 La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no e trimestre 2012

4. Si les deux termes d’intégration et d’inclusion sont souvent pris comme synonymes, ils reposent néanmoins sur des présupposés différents. L’intégration propose essentiellement une démarche centrée sur l’élève et la classe qui l’accueille. Dans une démarche inclusive, on ne se centre plus exclusivement sur l’élève présentant des besoins particuliers, mais on se soucie que tout acteur de l’école (élèves comme enseignants) dispose du soutien nécessaire pour y trouver sa place.

INTRODUCTIONDe nombreux travaux s’intéressent aux défis que doivent relever les enseignants de classe régulière dans leur mission d’inclure 4 des élèves ayant des besoins spécifiques. Il convient d’identifier les mesures que peuvent élaborer tant les institutions de formation que les établissements scolaires afin de soutenir les enseignants pour qui l’inclusion représente un défi parfois insurmontable. Ces enseignants risquent de voir leur santé fragilisée et de reproduire des mécanismes d’exclusion au sein même d’une démarche inclusive. Selon nous, dans le cadre d’une démarche d’inclusion scolaire, il est important de s’intéresser à la santé psychosociale des enseignants pour favoriser celle des élèves.

DES SITUATIONS PROBLÉMATIQUESAfin d’investiguer des situations du quotidien scolaire risquant de générer l’exclusion, nous mettons en évidence trois thématiques : l’enseignant face à ses élèves ; la collaboration avec les collègues ou en équipe pluridisciplinaire ; le besoin de reconnaissance pour le travail accompli.

L’enseignant face à ses élèvesLorsqu’un élève présente des difficultés particulières, l’enseignant est amené à prendre un certain nombre de décisions pour lesquelles il ne se sent pas forcément compétent ou légitimé. Comme le relèvent Ramel et Benoît (2011), les renseignements obtenus sur la situation des élèves présentant des besoins particuliers sont de nature médicale ou psychologique et leur utilisation dans la pratique pédagogique relève essentiellement de l’initiative de l’enseignant. Ces auteurs soulèvent la difficulté pour la majorité d’entre eux à se sentir compétents face à la diversité des élèves réunis dans un même groupe.Par ailleurs, certains élèves adoptent des comportements difficiles à gérer dans la collectivité de la classe. L’enseignant peut être alors dépassé et avoir des difficultés à réguler ses émotions. Par exemple, des enfants ayant expérimenté dans le contexte familial des interactions de type violent risquent d’importer en classe des manières de communiquer ingérables pour l’enseignant (Doudin et Curchod-Ruedi, 2010). Indépendamment d’un quelconque handicap, certains élèves ont des difficultés particulières à adopter des comportements pro-sociaux avec leurs pairs en lien avec leur difficulté à reconnaître ou décoder les émotions (les leurs et celles d’autrui) et à contrôler leur impulsivité.De plus, lorsqu’un enseignant est confronté à ce qu’il considère comme un échec en regard des critères ordinaires de réussite dans les apprentissages scolaires, c’est à son propre sentiment d’échec qu’il est confronté et cela d’autant plus lorsque les moyens didactiques adaptés à des élèves ayant des besoins spécifiques sont insuffisamment disponibles. L’impuissance de l’enseignant, si elle ne peut être

Chronique de l’international

231La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no e trimestre 2012

thématisée (Rothenbühler, 2011), renforce le sentiment d’isolement d’autant plus s’il ne peut reconnaître les réelles causes de son sentiment d’échec. Le risque alors est d’adopter des attitudes de repli sur soi : « La plupart du temps, cette impuissance ne peut être verbalisée, car elle est ressentie par ceux qui la vivent comme une forme d’incompétence difficile à assumer » (Ibid., p. 283). Le risque existe alors que l’enseignant explique l’échec scolaire de ses élèves par des causes externes, comme par exemple le manque de réalisme des politiques intégratives et sur lesquelles il n’a aucune prise et aucun moyen d’action pour tenter de modifier la situation de l’élève.

Collaboration avec les collègues ou en équipe pluridiscipinaireEnseigner dans un contexte inclusif suppose des compétences relationnelles permettant de coopérer avec des collègues, avec les membres des équipes pluridisciplinaires mais aussi et surtout avec des enseignants de soutien pédagogique mandatés pour des élèves présentant des besoins spécifiques. De nombreuses recherches ont mis en évidence l’efficacité et les bénéfices du co-enseignement tant pour les élèves que pour les enseignants en relevant toutefois les conditions contraignantes pour que ces bénéfices puissent déployer leurs effets (pour une revue, voir Benoît et Angelucci, 2011). Si ces mesures sont présentées comme facilitantes pour les enseignants titulaires de la classe inclusive, de fait, le co-enseignement est souvent considéré comme un stress supplémentaire. Travailler sous le regard d’autrui, avoir peur d’être jugé, craindre que ses valeurs éducatives ou pédagogiques soient remises en cause, sont quelques-unes des craintes régulièrement évoquées. Cette exigence de co-enseignement incontournable dans une école inclusive représente sans doute l’un des risques d’épuisement et d’exclusion des élèves en difficulté. Selon Meynckens-Fourez (2010), le travail en équipe comporte trois pièges : (1) celui de l’illusion de la perfection possible ; (2) la tentation de s’enliser dans l’affectif et l’émotionnel sans prise de recul ; (3) la tentative de vouloir faire évoluer l’autre par des pressions plus ou moins habiles en se dispensant d’une position réflexive, par exemple cantonner l’enseignant spécialisé intervenant en classe dans un rôle de subalterne, faute de parvenir à instaurer un véritable partenariat. La position réflexive reste toutefois incontournable pour autant que les acteurs puissent accepter que « la santé d’une équipe ne passe pas par l’absence de crise, mais dans sa capacité à les dépasser. Les tensions font partie de la vie institutionnelle, comme le conflit intérieur est inhérent à la condition humaine » (Meynckens-Fourez, 2010, p. 196).

Besoin de reconnaissance pour le travail fourniLes enseignants reçoivent de nombreuses injonctions au fil de multiples réformes scolaires, ils décrivent leurs responsabilités comme écrasantes face aux échecs de certains élèves ou de leurs propres pratiques : cela met à mal leur sentiment de compétence et d’accomplissement personnel, qui constitue d’ailleurs l’une des dimensions de l’épuisement professionnel selon Maslach et Jackson (1986), dimension sur laquelle nous reviendrons. Les conditions permettant le maintien de l’accomplissement professionnel sont multiples et complexes. L’une d’elles, fortement reliée au soutien social, est la reconnaissance au travail.

232 La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no e trimestre 2012

Brun et Dugas (2002) décrivent quatre grandes formes de reconnaissance au travail :1. la reconnaissance existentielle par laquelle le professionnel se voit reconnaître

le droit à la parole et l’influence sur les décisions. Elle se traduit en particulier par une information régulière sur les objectifs et les stratégies et la consultation du personnel. Il suffit de constater combien les enseignants expriment d’insatisfactions face à des réformes qu’ils attribuent essentiellement aux pouvoirs politiques et au monde de la recherche sans prise en compte, selon eux, de la réalité du terrain, pour constater combien la forme existentielle de la reconnaissance au travail est lacunaire dans le monde scolaire.

2. la reconnaissance des résultats du travail par laquelle le professionnel se voit reconnaître la tâche accomplie à l’aide par exemple d’une séance évaluative. Dans le monde scolaire, la reconnaissance des résultats soulève de nombreuses et épineuses questions. D’abord, la « matière première » étant humaine, son évolution ne peut être évaluée en termes de productivité. D’autre part, l’évaluation standard des acquisitions scolaires ne peut que révéler de façon flagrante les lacunes des élèves qui ont des besoins particuliers.

3. la reconnaissance de la pratique du travail touche la manière dont le professionnel effectue sa tâche, son comportement, ses qualités professionnelles et ses compétences. Elle se manifeste par exemple par des commentaires des pairs sur les qualités professionnelles, des sollicitations à une contribution particulière en fonctions de talents professionnels évoqués.

4. la reconnaissance de l’investissement dans le travail ; lorsque les résultats ne sont pas atteints ou alors non évaluables, la reconnaissance peut porter sur l’implication des professionnels ou l’énergie déployée dans des conditions difficiles. Cette appréciation permet de souligner l’apport des professionnels indépendamment de leurs performances. Elle se manifeste par exemple par des remerciements verbaux au professionnel, à une mise en évidence de son implication lors d’une réunion ou encore en une reconnaissance du temps supplémentaire accordé au travail.

C’est sans doute les deux dernières formes de reconnaissance (pratique du travail et investissement dans le travail) qui sont les mieux adaptées au milieu scolaire. Cependant, comme elles ne reposent sur aucune référence standardisée, elles demandent une certaine empathie de la part de la personne qui manifeste sa reconnaissance. De plus, ces formes de reconnaissance peuvent être ambiguës si elles peuvent être interprétées comme de la flatterie ou des stratégies relationnelles en vue d’inféoder le destinataire à une quelconque contrainte ou encore d’asseoir des prises de pouvoir.Par ailleurs, toujours selon Brun et Dugas (2002), la reconnaissance au travail s’articule aux niveaux horizontal et vertical. Au niveau horizontal, la reconnaissance est manifestée par des pairs qui sont les mieux à même de juger de la qualité du travail accompli. Au niveau vertical, cette reconnaissance est manifestée par un supérieur hiérarchique. Elle est efficace lorsqu’elle est exprimée par un supérieur crédible aux yeux de la personne qui en reçoit témoignage. Selon les auteurs, les supérieurs hiérarchiques expriment peu la reconnaissance par manque d’habiletés et de connaissances quant à sa mise en application et ses enjeux. Un lourd

Chronique de l’international

233La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no e trimestre 2012

investissement psychologique conjugué à des récompenses faibles, notamment en termes de soutien, peut avoir des effets néfastes. C’est vraisemblablement le cas pour les enseignants en général et en particulier lorsqu’ils sont fortement sollicités du point de vue psychologique par la mission d’intégrer dans leur classe un ou des élèves présentant des besoins particuliers. Mentionnons encore les risques d’une situation de travail qui se caractérise par une combinaison de demandes psychologiques élevées et une autonomie décisionnelle faible (ce qui est parfois perçu par les enseignants comme une caractéristique de leur profession). Ceci augmenterait le risque de développer un problème de santé physique ou mentale et, notamment, un épuisement émotionnel qui constitue une des dimensions du burnout.

PSYCHOLOGIE DE LA SANTÉ ET PROMOTION DE LA SANTÉLa psychologie de la santé étudie les facteurs sociaux, psychologiques, émotionnels et comportementaux dans la santé physique et mentale. Multifactorielle et intégrative, elle est caractérisée par l’importance accordée aux transactions entre l’individu et son environnement (Bruchon-Schweitzer et Siksou, 2008). Selon ces auteurs, les processus transactionnels les plus étudiés, qui prennent en compte les aspects perceptifs, cognitifs et émotionnels sont le stress, le contrôle perçu, le soutien social perçu « mais aussi les états émotionnels et les affects résultant de la transaction entre un sujet et une situation (états anxieux, états dépressifs, colère) » (p. 29). En psychologie de la santé, les premiers travaux ont étudié l’impact sur la santé physique, mentale ou sociale de divers facteurs environnementaux. L’attention était portée sur la gravité ou la fréquence d’événements pénibles subis. Dans un second temps, l’accent a été mis sur les « petits tracas quotidiens » où c’est davantage la répétitivité d’événements adverses mineurs qui a un impact sur la santé des individus que les événements majeurs de la vie. C’est ainsi que, dès les années quatre-vingt, la psychologie de la santé a mis l’accent sur des facteurs subjectifs comme la notion de « stress perçu » (Lazarus et Folkman, 1984) ou de « soutien social perçu » (Barrera, 1986).L’école est considérée comme un lieu d’intervention privilégié pour promouvoir la santé. La promotion de la santé est décrite comme d’une part, un processus global comprenant des actions visant à renforcer les aptitudes des individus et, d’autre part, des mesures visant à améliorer la situation sociale de façon à diminuer les effets négatifs sur la santé publique et la santé des personnes. Plusieurs études convergent vers un modèle de prévention de la santé basé sur les facteurs de risque et de protection (par ex. Hawkins, Catalano et Arthur, 2002). Ces facteurs se réfèrent aux domaines individuels, familiaux, relationnels entre pairs, communautaires, sociaux et environnementaux. Dans le contexte scolaire, les facteurs de risque sont considérés comme des influences négatives qui augmentent la probabilité d’apparition de comportements préjudiciables à soi ou aux autres. Les facteurs de protection, quant à eux, sont considérés comme des influences positives qui peuvent améliorer la vie des élèves et des enseignants ou la sécurité au sein d’une communauté et compenser les facteurs de risque. Le soutien social des enseignants est considéré comme un facteur de protection privilégié pour prévenir notamment

234 La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no e trimestre 2012

leur épuisement professionnel (burnout) et le risque de violence d’attitude à l’égard des élèves. En effet, de nombreuses recherches démontrent le risque de burnout chez des professionnels en situation de soutien ou d’accompagnement qui supposent un important investissement émotionnel et relationnel (voir Canouï et Mauranges, 2004 ; Truchot, 2004 ; Doudin et Curchod-Ruedi, 2010). Rappelons ici que le burnout est composé de trois dimensions : (1) l’épuisement émotionnel avec le sentiment d’avoir tari son énergie, de ne plus pouvoir donner sur le plan professionnel ; (2) la diminution de l’accomplissement personnel qui se vit comme un sentiment d’insatisfaction et d’échec par rapport à la réussite personnelle dans son travail ; (3) la déshumanisation (ou dépersonnalisation) de la relation avec une représentation impersonnelle et négative des élèves, des parents et des collègues.C’est la dimension de déshumanisation de la relation qui est en lien avec les risques de violence d’attitude. Cette dimension du burnout se manifeste en effet par un émoussement émotionnel, une relation conduite de façon froide, distante, voire cynique, une déficience de la capacité d’empathie, une difficulté à percevoir et comprendre les émotions d’autrui mais aussi une mise à distance de certaines exigences propres à la profession comme la protection de l’élève, le dialogue avec les collègues ou encore la collaboration avec les parents.Exemple : au cours d’une formation continue traitant les spécificités de l’adolescence et les types d’anxiété propres à cette période de la vie, un enseignant prend la parole avec véhémence, dénonçant la tyrannie de l’ « enfant roi » soutenue par la formatrice, ajoutant : « et qui se soucie de nos angoisses, à nous les enseignants ? ». Il raconte alors qu’à l’occasion il « recadre ses élèves » par des remarques assassines (dont nous tairons les détails ici) qui leur « clouent le bec ». Lorsque la formatrice attire son attention sur l’humiliation que supposent de tels propos pour ses élèves, il rit en disant : « Ils l’ont bien cherché ! ».La tonalité provocatrice de ces propos pourrait nous amener à une réflexion sur les attitudes peu matures qu’adoptent parfois les enseignants en formation. Nous retiendrons ici l’absence d’empathie d’un professionnel vraisemblablement exaspéré par le peu de soutien qu’il estime recevoir.Rappelons encore que le burnout est notamment le résultat d’une dissonance entre des idéaux professionnels et la confrontation à la réalité quotidienne. Ce constat met en évidence le risque que représente un discours exagérément idéologique pour une école inclusive, discours qui trouve des échos puissants chez certains professionnels mais qui risque simultanément de favoriser leur épuisement lorsqu’ils peinent à tolérer le fossé entre idéal et réalité. Nous avons mis en évidence (Doudin, Curchod-Ruedi et Moreau, 2011) les liens significatifs entre l’épuisement professionnel et le risque de violences d’attitude à l’égard des élèves de la part des enseignants. C’est ce constat qui nous amène à porter une attention toute particulière aux facteurs de protection de l’épuisement professionnel chez les enseignants et en particulier le soutien social que nous décrivons ci-dessous.

SOUTIEN SOCIAL : DÉFINITIONSIl convient d’abord de définir plus précisément ce qui est entendu par « soutien social ». En effet, les termes de « réseau social » et de « soutien social » ont

Chronique de l’international

235La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no e trimestre 2012

souvent été utilisés de façon interchangeable. Alors que le réseau social est la structure des relations sociales entre individus, le soutien social est le processus par lequel l’individu se sent reconnu, valorisé et relié à un groupe organisé. Pour Farmer et Farmer (1996), le soutien social serait constitué des processus d’échanges sociaux qui contribuent à l’élaboration des modèles de comportements, de la cognition sociale et des valeurs. Cette définition met l’accent sur l’importance du soutien social reçu par les individus dans l’élaboration de leurs valeurs, de leurs systèmes de croyances et même de leurs processus de pensée. De ce point de vue, les personnes en carence de soutien (que ce dernier soit absent ou peu perçu) pourraient éprouver des difficultés à développer des comportements socialement appropriés et des conceptions précises de leur efficacité sociale.Relativement au soutien social étudié par la psychologie de la santé, l’approche contextuelle classique a largement étudié l’intégration sociale de l’individu. Afin de lever certaines confusions propres à ce concept, Barrera (1986) a catégorisé le soutien social. Il en étudie les trois grandes dimensions que sont l’intégration sociale, le soutien reçu et le soutien social perçu. C’est sur ce dernier que sera mis l’accent ultérieurement lorsqu’il a été démontré que la présence de relations sociales n’est pas suffisante, en soi, pour constituer un facteur de protection de la santé. Le soutien social perçu consiste en l’évaluation subjective qu’une personne fait du soutien qu’elle a reçu d’autrui. En effet, mettant en évidence la supériorité du modèle transactionnel sur les modèles de causalité directe ou linéaire, Bruchon-Schweitzer (2002) conclut que « si le réseau social a quelques effets protecteurs directs sur la santé, les effets du soutien social perçu sont beaucoup plus marqués » (p. 328-352). La prise en compte de l’interaction entre l’individu et son environnement permet d’observer les stratégies que le sujet peut adopter pour ne pas subir passivement les situations aversives. Ces stratégies peuvent être de type perceptivo-cognitif, affectif, comportemental et psychosocial. Les plus étudiées par le mouvement de la psychologie de la santé sont le stress perçu, le contrôle perçu, le soutien social perçu et le coping. Toujours selon ces auteurs, ce modèle est suffisamment flexible pour s’adapter à la prédiction de critères de nature très différente tels que notamment le burnout ou les performances scolaires et professionnelles.Pour en revenir au contexte scolaire inclusif, le soutien social a été décrit comme un facteur de protection de l’épuisement professionnel des enseignants et nous allons en examiner les spécificités ci-dessous.

LE SOUTIEN SOCIAL POUR UNE ÉCOLE INCLUSIVEDes recherches menées ces dernières années visent à identifier des moyens de préserver la santé psychosociale des enseignants (Curchod-Ruedi et Doudin, 2009 ; Doudin, Curchod-Ruedi et Moreau, 2011 ; Blanchard-Laville, 2011). L’un des facteurs de protection le plus étudié et sans doute le plus efficace est le soutien social. Face aux situations professionnelles complexes et aux risques d’épuisement professionnel qu’elles peuvent engendrer, il convient d’identifier les aspects du soutien social qui le rendraient efficace. Si le soutien social constitue une aide pour les enseignants, son intérêt premier est surtout qu’il leur procure

236 La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no e trimestre 2012

un encadrement suffisamment sécurisant afin qu’ils puissent, à leur tour, le dispenser à leurs élèves, en particulier ceux qui sont les plus fragilisés dans la poursuite de leur scolarité. Issue de l’approche systémique, cette notion d’un encadrement transférable provient des deux concepts que sont les résonances et l’isomorphisme. Les résonances (Elkaïm, 1995) sont des phénomènes observés dans tout travail relationnel et se traduisent par l’assemblage d’éléments communs à différents individus ou systèmes humains. Ces éléments semblent résonner sous l’effet d’un facteur commun. Quant au terme d’isomorphisme (par ex. Meyckens-Fourez, 2010), il est à l’origine un concept mathématique qui signifie que chaque élément d’une structure correspond à un élément d’une autre structure, chacun de ces éléments jouant le même rôle dans leur structure respective. La transposition de cette notion aux systèmes humains met l’accent sur la correspondance des relations à l’intérieur des différents systèmes. C’est en effet dans la rencontre de plusieurs systèmes dans un contexte particulier comme l’école par exemple, que des comportements, des règles ou des formes de communications deviennent isomorphes. Une école qui intègre des élèves présentant des besoins particuliers est confrontée à la proximité avec les problématiques liées à l’échec, la crainte de l’exclusion, la peur du jugement d’autrui par exemple. Or, selon ce modèle, l’école n’échappe pas à la répétition de ce que vivent les élèves qui lui sont confiés. À leur tour, les enseignants risquent de voir amplifiées leurs craintes d’échec, d’exclusion ou du jugement d’autrui.Exemple : au cours d’une séance réunissant plusieurs enseignants, l’objectif est de trouver une solution pour F. un élève de 13 ans en échec scolaire. Monsieur V, jeune enseignant de français se plaint du comportement de cet élève, précisant que ce dernier arrive en retard, n’a pas ses affaires scolaires, ne rend pas les travaux demandés et peut se montrer grossier à l’égard de ses camarades mais également parfois avec l’adulte. Madame T, enseignante expérimentée, affirme aussitôt qu’elle ne rencontre aucun problème avec cet enfant, qu’il a seulement besoin qu’on lui inculque la discipline pour que ses performances scolaires s’améliorent. Afin d’étayer son propos, Monsieur V. tente de décrire les difficultés récurrentes de F, ce qui entraîne des réponses disqualifiantes de la part de Madame T. Le jeune enseignant se tait alors, ne participe plus du tout à la séance et se met à pianoter sur son ordinateur portable ce qui ne manque pas de provoquer une remarque de Madame T quant à l’incivilité des jeunes enseignants.Au cours de cette interaction, les deux enseignants, par isomorphisme et sans doute inconsciemment, rejouent le scénario de l’élève en échec, l’exclusion et l’impuissance plutôt que de parvenir à se centrer sur les solutions à construire. Loin d’être exceptionnelle, cette situation illustre les jeux relationnels dysfonctionnels dans lesquels les professionnels peuvent être pris lorsque les résonances émotionnelles prennent le pas sur les démarches cognitives. Il est fondamental de développer des capacités à identifier activement ces processus plutôt que de les considérer comme inacceptables. Par ailleurs, lorsqu’un groupe d’enseignants peut développer des capacités d’entraide, de cohésion, de reconnaissance mutuelle ou de sollicitation de soutien, le processus d’isomorphisme peut devenir un facteur de protection non négligeable pour leurs élèves.

Chronique de l’international

237La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no e trimestre 2012

Exemple : cet établissement scolaire du primaire accueille une forte proportion d’élèves issus de milieux familiaux vivant dans des conditions précaires. La direction de cet établissement a annoncé que les enseignants qui étaient confrontés à des situations particulièrement difficiles ne devaient pas rester seuls avec cette lourdeur. Une permanence a été instaurée et chaque enseignant peut appeler un membre de la direction en cas de difficulté ou de problème à résoudre. De plus, la direction a proposé aux enseignants une formation visant d’une part à formaliser une difficulté afin de la partager avec des collègues, d’autre part à réfléchir en groupe sur les difficultés récurrentes posées en particulier dans l’intégration d’élèves ayant des besoins particuliers. Le groupe d’enseignants participant à cette formation a construit des compétences à présenter les situations non plus dans la plainte mais sous forme de problème pour lequel il s’agit de dégager une piste d’action, aussi minime soit-elle. Le grand bénéfice a été d’une part une diminution du sentiment d’impuissance et d’autre part, le renforcement du soutien mutuel et de la cohésion dans le groupe d’enseignants.Dans ce sens, le soutien social des enseignants peut être considéré comme un levier puissant pour faire évoluer un contexte scolaire vers une meilleure inclusion des élèves lorsqu’il vise à fournir aux enseignants un encadrement suffisamment sécurisant afin qu’ils puissent, à leur tour, en faire bénéficier leurs élèves.

SOUTIEN SOCIAL ET TRAVAIL COLLABORATIFLa distinction entre travail collaboratif et soutien social est essentielle. En effet, le travail coopératif fait partie des compétences attendues chez les enseignants et peut représenter en tant que tel aussi bien un facteur de protection qu’un facteur de risque pour eux. Toute réforme au sein du système scolaire suppose une pratique collaborative entre professionnels. Tout en relevant la difficulté à s’entendre sur les termes de coopération ou collaboration, ces auteurs définissent ces concepts selon le degré d’interdépendance entre les membres des groupes de professionnels.Ils relèvent qu’une réelle collaboration suppose un niveau élevé d’interdépendance professionnelle comprenant partage de connaissances, d’expertises, d’expériences et de compétences. Cependant il y a de nombreux obstacles à la collaboration en milieu scolaire, notamment le manque de temps, l’horaire éclaté, les cloisonnements disciplinaires mais aussi le sentiment d’épuisement de certains professionnels, les difficultés de communication et une culture individualiste fortement ancrée dans le milieu scolaire.Le manque de formation à la collaboration peut expliquer les résistances aux pratiques collaboratives tout comme la dynamique difficile du travail interdisciplinaire lorsqu’entre partenaires se jouent des jeux de pouvoir ou d’expertise stériles. Meynckens-Fourez (2010) relève les pièges émotionnels et relationnels dans lesquels peuvent être pris des professionnels pourtant parfaitement motivés à collaborer.Cela explique pourquoi le travail collaboratif n’est, de loin, pas forcément perçu comme un soutien social et peut même être considéré comme un facteur de pénibilité supplémentaire. En effet, il véhicule des contraintes en termes de temps, de disponibilité, d’affirmation de son point de vue tout en étant ouvert à des points

238 La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no e trimestre 2012

de vue divergents. Il implique aussi de supporter d’éventuels conflits d’idée, voire des conflits relationnels (Meyckens-Fourez, 2010).

LE SOUTIEN SOCIAL COMME FACTEUR DE RISQUEPar ailleurs, certaines recherches (pour une revue voir Truchot, 2004) montrent que le recours au soutien social peut être considéré comme une menace à l’estime de soi si la personne en conclut qu’elle dépend excessivement d’autrui pour affronter les difficultés professionnelles. Selon Truchot (2004), la sollicitation de l’aide peut être considérée comme un aveu d’incompétence et donc provoquer la désapprobation de la part des collègues, en particulier si la résistance au stress est considérée comme socialement désirable. Plutôt que de se confronter au regard d’autrui en le sollicitant, certains professionnels préfèrent affronter seuls les difficultés et le soutien proposé peut alors être considéré comme une difficulté supplémentaire à gérer. On trouve cela dans des catégories professionnelles à tradition individualiste comme c’est le cas en particulier pour les enseignants alors que, dans d’autres contextes où le travail en équipe fait partie de la culture et des habitudes professionnelles, cette crainte est moins présente. C’est le cas par exemple des éducateurs spécialisés ou des équipes psychiatriques pour qui l’évocation de situations complexes du point de vue émotionnel ou relationnel fait partie des habitudes. Buunk et Schaufeli (1993) ont montré que des professionnels avec un risque élevé d’épuisement professionnel ont tendance à éviter la présence de leurs collègues, et cela d’autant plus lorsqu’ils jouissent d’une faible estime d’eux-mêmes. Dans ce cas de figure, le soutien social des collègues pourrait menacer l’estime de soi jusqu’à renforcer le burnout. Pour Truchot (2004), le support reçu peut encore produire des effets négatifs en provoquant des sentiments de manque d’équité. La personne qui reçoit du soutien social de la part de ses collègues peut avoir l’impression de contracter une dette sans avoir les moyens de la réciprocité. En revanche, le soutien dispensé par les supérieurs serait, de ce point de vue, plus acceptable par les professionnels puisque le soutien fait partie du rôle du supérieur.Cela nous montre l’impérative nécessité de bien définir les modalités et les conditions d’un soutien social qui soit protecteur pour les enseignants et le risque que comporterait une attitude de sollicitude peu différenciée, en particulier pour des enseignants en difficulté professionnelle majeure.

LES SOURCES DE SOUTIEN SOCIAL EN MILIEU SCOLAIREL’une des composantes du soutien social est constituée par le réseau d’aide qu’une personne peut solliciter lorsqu’elle est confrontée à des situations professionnelles problématiques. Hobfoll (2001) distingue le soutien émotionnel (des manifestations de confiance, d’empathie, d’amour ou de bienveillance qui permettraient de consolider l’enseignant et de renforcer ses capacités de régulation émotionnelle) du soutien instrumental (une assistance technique, une réflexion à propos de difficultés surgissant dans le contexte professionnel, des informations pertinentes, des conseils sous forme de rétroaction quant au travail fourni ou à la situation décrite). Un soutien émotionnel est habituellement prodigué par des proches (amis, famille, conjoint) alors qu’un soutien instrumental est plutôt offert par des professionnels

Chronique de l’international

239La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no e trimestre 2012

(membres de la direction, de l’équipe santé, formateurs) bénéficiant de compétences complémentaires à celles de l’enseignant et permettant une approche enrichie de la situation problématique. Un soutien dit « mixte » (Doudin, Curchod-Ruedi et Moreau, 2011) est prodigué par des professionnels (généralement des pairs) avec lesquels l’enseignant entretient des liens d’amitié (par ex. un collègue ami ; une mère enseignante). Ce type de soutien allie régulation des émotions et réflexion sur la situation problématique.Pour Hobfoll (2001), les enseignants auraient tendance à privilégier le recours à un soutien émotionnel plutôt qu’à un soutien instrumental. Or, comme le relève Halbesleben (2006), les personnes qui fournissent un soutien émotionnel s’avèrent souvent incapables de fournir une aide tangible permettant de résoudre un problème, contrairement aux personnes qui apportent un soutien instrumental. De ce point de vue, le soutien émotionnel constituerait un facteur de protection pour la santé de l’enseignant, mais pas pour les élèves. Cette affirmation mérite cependant d’être nuancée puisque le soutien émotionnel favoriserait le maintien d’interactions enseignants-élèves respectueuses de l’éthique relationnelle et représente donc un facteur de protection pour les élèves. Doudin, Curchod-Ruedi et Moreau (2011) quant à eux, mettent en évidence qu’un soutien faisant intervenir une dimension instrumentale est le plus fréquemment sollicité lorsque des personnes ressources sont disponibles dans ou en périphérie de l’établissement scolaire. La dimension du soutien exclusivement émotionnel est peu fréquente ainsi que l’absence de soutien. L’analyse par type de situation montre une certaine diversité du type de soutien sollicité. Ainsi, dans des situations où l’enseignant rencontre des problèmes avec un élève ou avec un collègue, c’est surtout le soutien instrumental qui est sollicité. Bien que peu sollicité dans toutes les situations, le soutien émotionnel est néanmoins plus fréquent dans des situations où le professionnel rencontre des problèmes de collaboration avec ses collègues. L’absence de soutien est évoquée le plus fréquemment dans des situations problématiques avec des collègues ou avec sa hiérarchie. Pourtant, relativement au risque d’épuisement professionnel, le type de soutien social n’est pas déterminant. En effet, selon Doudin, Curchod-Ruedi et Moreau (2011), le type de soutien sollicité, qu’il soit instrumental, émotionnel ou mixte, n’a pas de lien significatif avec le burnout. C’est la dimension du soutien social perçu qui est déterminante dans la prévention de l’épuisement professionnel des enseignants, dimension que nous allons développer maintenant.

LE SOUTIEN SOCIAL PERÇU EN MILIEU SCOLAIREDéjà mis en évidence par l’approche de la psychologie de la santé, la capacité à percevoir et à bénéficier du soutien social disponible est plus déterminante comme facteur de protection de la santé que la présence effective de relations sociales. Cela peut s’expliquer par les stratégies de coping élaborées par un individu qui est prêt à « faire des efforts pour solliciter et obtenir l’aide d’autrui » (Bruchon-Schweitzer, 2001, p. 75) et dont il tirera évidemment plus de profit qu’un individu qui se voit contraint, soit par sa hiérarchie soit parce que les conditions l’exigent, d’accepter un soutien social dont il n’attend finalement pas grand-chose. Ainsi, Doudin, Curchod-Ruedi et Moreau (2011) ont étudié le soutien social perçu dans une population d’enseignants

240 La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no e trimestre 2012

par la dimension de la satisfaction du soutien. Ils relèvent que la satisfaction globale des enseignants par rapport au soutien social reçu est généralement très élevée. Cette étude met en évidence que la satisfaction la plus élevée porte sur des situations problématiques liées à la relation enseignant-élève. À l’opposé, la satisfaction du soutien reçu la moins élevée porte sur des situations problématiques avec des collègues (difficulté de collaboration, rupture possible avec un ou une collègue proche, conflit de valeurs). Le type de situation où le professionnel ressent le besoin d’être reconnu pour la qualité de son travail se situe entre les deux extrêmes. Par ailleurs et en accord avec les résultats mis en évidence par les études sur la psychologie de la santé, cette étude démontre que c’est la satisfaction du soutien social reçu qui révèle un lien significatif sur un plan statistique avec le risque de burnout. Ainsi, un haut niveau de satisfaction du soutien social reçu est lié à un bas niveau à l’échelle de déshumanisation et à un haut niveau à l’échelle d’accomplissement professionnel. Au contraire, un bas niveau de satisfaction du soutien social reçu est lié à un haut niveau à l’échelle de déshumanisation et à un bas niveau à l’échelle d’accomplissement professionnel. Une évaluation positive du soutien social reçu semble donc constituer un facteur de protection de l’épuisement professionnel. Une évaluation négative du soutien reçu peut constituer un facteur de risque d’épuisement professionnel. Cependant, ces deux affirmations doivent être nuancées. Ainsi, lorsque l’individu est en burnout, il peut rencontrer des difficultés à solliciter un soutien social et à le percevoir comme satisfaisant. En effet, recourir au soutien social suppose des habiletés relationnelles qui sont difficilement disponibles lorsqu’il y a déshumanisation de la relation avec le besoin de mettre à distance aussi bien les élèves, les collègues que les personnes disponibles en périphérie de l’école. Ainsi, les enseignants qui auraient le plus grand besoin d’aide sont ceux qui seraient le moins à même de solliciter du soutien social et de le percevoir comme efficace.

DISCUSSIONL’importance du soutien social à l’école est fréquemment évoquée sans que la complexité de ce qu’il suppose ne soit prise en compte. Une présence bienveillante, voire des encouragements ou encore des injonctions argumentées ne constituent pas un soutien social protecteur pour les enseignants et leurs élèves. Si, intuitivement, chacun a une représentation de ce qu’est ou devrait être le soutien social, les recherches sont encore balbutiantes quant à ce qu’il recouvre dans le milieu scolaire, qu’elles soient d’obédience sociologique ou psychologique. Le fait que différentes recherches montrent que le soutien social perçu est plus déterminant que le soutien effectivement existant interroge les développements d’approches qui seraient exclusivement contextuelles, puisque la manière dont l’individu interagit avec son environnement procède pour beaucoup de ses stratégies de coping. L’école et les chercheurs ne pourront éviter de s’intéresser aussi aux enseignants qui résistent à se remettre en question relativement aux pratiques inclusives, s’épuisent, s’excluent eux-mêmes et sont réticents à demander de l’aide. Des processus d’intégration sont à mettre en place pour ces enseignants les plus vulnérables tant dans les institutions de formation que dans les établissements scolaires.

Chronique de l’international

241La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no e trimestre 2012

5. Les études sur la métacognition distinguent d’une part, la connaissance que le sujet a de son propre fonctionnement cognitif et/ou de celui d’autrui, et d’autre part, sa capacité à prendre en charge un certain nombre de fonctions intervenant dans des tâches de résolution de problèmes, notamment et surtout le contrôle et la régulation de ses propres procédures de résolution.

6. Par méta-émotion, on entend la compréhension que le sujet a de la nature de ses émotions et de celles d’autrui (identification de l’émotion ressentie), des causes ayant provoqué l’émotion, des conséquences générées par les émotions et la régulation (contrôle et modification) de ses émotions tant sur le plan des émotions ressenties (par ex. réduire sa peur) que manifestées (par ex. cacher sa peur).

Nos réflexions portent actuellement sur la recherche de modalités de formation et de collaboration susceptibles de représenter un soutien social pour les enseignants les plus vulnérables. Le facteur à examiner est, comme nous l’avons démontré, la perception du soutien social reçu. Deux pistes non exhaustives de réflexion peuvent être explorées et nous les présentons ci-après.

Développer la perception du soutien social par la formationLa première piste s’inscrit dans la formation initiale et continue des enseignants. Elle consiste à identifier les ressources de l’école en termes de soutien mais également à développer chez les étudiants à l’enseignement et les enseignants la perception des ressources disponibles. Cet aspect est favorisé par la réflexion en groupe qui constitue une expérience de collaboration. Cela peut se dérouler dans des démarches d’analyse de pratique ou de supervision où, dans un cadre sécurisé, chacun a la possibilité d’exprimer ses questionnements, ses doutes, voire ses échecs. C’est surtout la possibilité de formaliser une situation pour parvenir à faire de la difficulté un objet de réflexion. C’est cette première étape qui permet ensuite à l’étudiant ou à l’enseignant de mettre en évidence et de verbaliser en quoi ce travail sur la situation complexe a représenté un soutien dont il peut bénéficier. Cette approche, éloignée des bavardages ou de la plainte est une construction métacognitive 5 (Doudin, Martin et Albanese, 2001) et méta-émotionnelle 6 (Pons, Harris et Doudin, 2004). Toutefois, cette procédure de formation ne peut pas se construire selon des grilles prédéfinies puisqu’elle suppose, afin que les participants puissent s’approprier la réflexion, de se dérouler selon un processus propre à chaque situation et contexte. Il conviendrait toutefois d’affiner la recherche théorique et la réflexion sur les invariants propres à cette démarche, de manière qu’ils soient aussi peu contraignants que possible afin d’éviter d’enfermer les participants dans ces standardisations qui, nous l’avons vu, s’accordent mal avec les nouveaux processus de pensée nécessaires à la construction d’une école inclusive.

Clarifier le réseau de communication dans les établissements scolairesLa deuxième piste appartient aux établissements scolaires. Compte tenu de la complexité des systèmes scolaires, il devient difficile de procurer de manière structurée le soutien dont doivent bénéficier les enseignants. La tentation de prôner des attitudes bienveillantes ou conviviales risque d’être un leurre dès le moment où le stress atteint un certain niveau. Toutefois, des clarifications des structures relationnelles peuvent avoir un impact positif sur l’ensemble des interactions entre les professionnels. Des réseaux de communication clairement identifiés et visibles

242 La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no e trimestre 2012

à l’intérieur et vers l’extérieur peuvent par exemple représenter des facteurs de sécurisation pour les différents acteurs. La clarification des fonctions des différents professionnels, de leurs rôles et de leurs limites ainsi que leur légitimation par les supérieurs hiérarchiques permet la création d’un tissu relationnel qui atténue et contient les dysfonctionnements comportementaux et permet un climat plus paisible. En effet, un groupe peu organisé, caractérisé par l’absence de règles et d’organisation interne et par la rareté des interactions entre les individus favoriserait l’apparition de clans et de boucs émissaires, donc de phénomènes aigus d’exclusion, comme si le groupe ne disposait pas de moyens plus élaborés pour organiser les interactions.

CONCLUSIONLe mouvement de la pédagogie de l’inclusion scolaire qui vise à « répondre à la diversité des besoins individuels de tous » (Benoit, 2012, p. 68) suppose une appréhension de sa complexité tant psychosociale que psychologique. C’est le défi des recherches à venir que de faire évoluer les développements scientifiques récents sur les bienfaits de l’inclusion vers sa réalisation sur le terrain. De notre point de vue, il n’est pas envisageable de faire l’économie d’étudier la diversité au sein de la population enseignante et de s’interroger sur les enjeux, les facteurs de risque et les facteurs de protection d’une population qui reste le vecteur essentiel des démarches inclusives de l’école. Que ce soit dans les démarches de formation ou dans l’organisation des établissements scolaires, une politique qui ne serait qu’injonctive ou persuasive ne saurait assurer les conditions nécessaires à une école plus inclusive.

Références bibliographiquesBARRERA (M.), “Distinctions Between Social Support Concepts, Measures, and Models“, American Journal of Community Psychology, n° 14 (4), 1986, p. 413-445.BENOIT (H.) « Pluralité des acteurs et pratiques inclusives : les paradoxes de la collaboration », La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, n° 57(1), 2012, p. 65-78.BENOÎT (V.) et ANGELUCCI (V.), « Réflexions autour du concept de coenseignement en contexte inclusif » in L. PRUD’HOMME, S. RAMEL et R. VIENNEAU, « Valorisation de la diversité en éducation : défis contemporains et pistes d’action », coord., Éducation et francophonie, n° 39 (2), 2011, p. 105-121.BLANCHARD-LAVILLE (C.), « Pour un accompagnement clinique groupal du travail enseignant », Nouvelle revue de psychosociologie, n° 11, 2011, p. 131-147.BRUCHON-SCHWEITZER (M.), « Le coping et les stratégies d’ajustement face au stress », Recherche en soins infirmiers, n° 67, 2001, p. 68-83.BRUCHON-SCHWEITZER (M.), Psychologie de la santé. Modèles, concepts et méthodes, Dunod, Paris, 2002.

Chronique de l’international

243La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no e trimestre 2012

BRUCHON-SCHWEITZER (M.) et SIKSOU (M.), « La psychologie de la santé », Le Journal des psychologues, n° 260, 2008, p. 28-32.BRUN (J.-P.) et DUGAS (N.), La reconnaissance au travail : une pratique riche de sens, Document de sensibilisation Québec : Centre d’expertise en gestion des ressources humaines, 2002. <http://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/publications/reconn-trav_02.pdf> Source internet visitée le 27 novembre 2012.BUUNK (B.-P.) et SCHAUFELI (W.-B.) “Burnout : a perspective from social coparison theory“ in W.-B. SCHAUFELI et M. HEWSTONE, Ed, European Review of Social Psychology, n° 10, 1993, p. 260-291.CANOUÏ (P.) et MAURANGES (A.), Le burn out : le syndrome d’épuisement professionnel des soignants : de l’analyse aux réponses, Masson, Paris, 2001.CURCHOD-RUEDI (D.) et DOUDIN (P.-A.), « Leadership et émotions à l’école : fonction encadrante, compréhension et régulation des émotions dans le contexte scolaire » in L. LAFORTUNE et B. GENDRON, Eds., Leadership et compétence émotionnelle dans le changement, Presses de l’université du Québec, Québec, 2009, p. 120-145.DOUDIN (P.-A.) et CURCHOD-RUEDI (D.), « La compréhension des émotions comme facteur de protection de la violence à l’école » in L. LAFORTUNE, S. FRECHETTE, N. SORIN, P.-A. DOUDIN et O. ALBANESE, Eds., Approches affectives, métacognitives et cognitives de la compréhension, Presses de l’université du Québec, Québec 2010, p. 127-145.DOUDIN (P.-A.), CURCHOD-RUEDI (D.) et MOREAU (J.), « Le soutien social comme facteur de protection de l’épuisement des enseignants et enseignantes » in P.-A. DOUDIN, D. CURCHOD-RUEDI, L. LAFORTUNE et N. LAFRANCHISE, La santé psychosociale des enseignants et des enseignantes, Presses de l’université du Québec, Québec, 2011, p. 9-37.DOUDIN (P.-A.), MARTIN (D.) et ALBANESE (O.), Métacognition et éducation, Peter Lang, Berne, 2001.ELKAÏM (M.), Panorama des thérapies familiales, Seuil, Paris, 1995.FARMER (T.-W.) et FARMER (E.-M.-Z.), “Social relationships of students with exceptionalities in mainstream classrooms: Social networks and homophily“, Exceptional Children, n° 62, 1996, p. 431-450.HALBESLEBEN (J.-R.-B.), “Sources of social support and burnout: A meta-analytic test of the conservation of resources model“, Journal of Applied Psychology, n° 91, 2006, p. 1134-1145.HAWKINS (J.), CATALANO (R.) et ARTHUR (M.), “Promoting Science-Based Prevention in Communities“, Addictive Behaviors, n° 27 (6), 2002, p. 951-976.HOBFOLL (S.-E.), “The influence of culture, community, and the nested-self in the stress process: Advancing Conservation of Resources theory “, Applied Psychology - an International Review - Psychologie Appliquee - Revue Internationale, n° 50 (3), 2001, p. 337-370.LAZARUS (R.) et FOLKMAN (S.), Stress, appraisal, and coping, Springer Publishing Company, New York, 1984.MASLACH (C.) et JACKSON (S.-E.), Maslach Burnout Inventory Manual, 2nd ed. Consulting Psychologists Press, Palo Alto, CA, 1986.

244 La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no e trimestre 2012

MEYNCKENS-FOUREZ (M.), « Au-delà des pièges qui paralysent les équipes, comment construire un espace de confiance ? », Thérapie familiale, n° 31 (3), 2010, p.195-214.PONS (F.), HARRIS (P.-L.) et DOUDIN (P.-A.), « La compréhension des émotions : développement, différences individuelles, causes et interventions » in L. LAFORTUNE, P.-A. DOUDIN, F. PONS, D.-R. HANCOCK, Ed., Les émotions à l’école, Presses de l’Université du Québec, Québec, 2004, p. 8-31.RAMEL (S.) et BENOÎT (V.), « Intégration et inclusion scolaire : quelles conséquences pour le personnel enseignant? » in P.-A. DOUDIN, D. CURCHOD-RUEDI, L. LAFORTUNE et N. LAFRANCHISE, Ed., La santé psychosociale des enseignants et des enseignantes, Presses de l’université du Québec, Québec, 2011, p. 203-223.ROTHENBÜHLER (I.), « Favoriser le bien-être des acteurs : thérapeutique du lien, pédagogie du conflit » in P.-A. DOUDIN, D. CURCHOD-RUEDI, L. LAFORTUNE et N. LAFRANCHISE, Ed., La santé psychosociale des enseignants et des enseignantes, Presses de l’université du Québec, Québec, 2011, p. 275-298.TRUCHOT (D.), Épuisement professionnel et burnout : concepts, modèles, interventions, Dunod, Paris, 2004.