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1 LE SPECTACLE 1 Le spectacle A - Le spectacle de rue Le spectacle de rue consiste à se produire dans des endroits publics, en général en échange d’une pièce de monnaie, parfois d’un bien. Cette forme de spectacle est pratiquée dans le monde entier depuis l’antiquité. Le spectacle de rue peut être très varié : acrobaties, musique de rue, théâtre de rue, homme statue, dressage d’animaux, clown, mimes, contorsionnistes, danseurs, cracheurs de feu, jonglerie, magie etc. Le spectacle de rue est un phénomène ancien. Si les montreurs de marionnettes ont la réputation d'être les plus anciens présentateurs de spectacle populaire, c'est aux mimes de l'Antiquité que l'on attribue le rôle d'ancêtre des saltimbanques du Moyen- Age. Ils deviennent au fil des temps des artistes ambulants, allant de fête en fête, civiles et religieuses, et de foire en foire. Les jongleurs, bateleurs, saltimbanques, acrobates sillonnent les pays occidentaux dès le 4e et 5è siècles de notre ère. Les foires investissent l'environnement des gens, s'insèrent dans leur décor quotidien, dans leurs habitudes, et leur présentent souvent des personnages proches d'eux- mêmes. Le spectateur y est interpellé : il devient comédien malgré lui et tout d'un coup peut se retrouver dans le cercle et participer à l'événement. La curiosité, l'étonnement et la surprise font le plaisir de la foule assemblée autour des tréteaux de fortune. Il est l'une des formes d'expression les plus anciennes et les plus populaires. Le spectacle de rue s'attache à intégrer le rêve au quotidien . Un spectacle qui se produit gratuitement dans l'espace public, s'adresse à tous sans discrimination, permet au public d'intervenir, est par définition un art populaire. Le théâtre forain (du latin « foras » qui signifie en dehors) est une institution voyageuse qui sillonne villes et campagnes jusque dans les années 1960. Elle regroupe à la fois les théâtres d’acteurs et de marionnettes. Leur répertoire constitué de drames, de comédies, de pièces lyriques et de vaudevilles, leur permet de s’adapter aux divers publics rencontrés lors de leurs déplacements. 1

LE SPECTACLE 1 Le spectacle A -Le spectacle de rue

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1 LE SPECTACLE

1 Le spectacle  

A - Le spectacle de rue

Le spectacle de rue consiste à se produire dans des endroits publics, en général en échange d’une pièce de monnaie, parfois d’un bien. Cette forme de spectacle est pratiquée dans le monde entier depuis l’antiquité.Le spectacle de rue peut être très varié : acrobaties, musique de rue, théâtre de rue, homme statue, dressage d’animaux, clown, mimes, contorsionnistes, danseurs, cracheurs de feu, jonglerie, magie etc.

Le spectacle de rue est un phénomène ancien.  Si les montreurs de marionnettes ont la réputation d'être les plus anciens présentateurs de spectacle populaire, c'est aux mimes de l'Antiquité que l'on attribue le rôle d'ancêtre des saltimbanques du Moyen-Age. Ils deviennent au fil des temps des artistes ambulants, allant de fête en fête, civiles et religieuses, et de foire en foire. Les jongleurs, bateleurs, saltimbanques, acrobates sillonnent les pays occidentaux dès le 4e et 5è siècles de notre ère.

Les foires investissent l'environnement des gens, s'insèrent dans leur décor quotidien,dans leurs habitudes, et leur présentent souvent des personnages proches d'eux-mêmes.Le spectateur y est interpellé : il devient comédien malgré luiet tout d'un coup peut se retrouver dans le cercle et participer à l'événement.La curiosité, l'étonnement et la surprise font le plaisir de la foule assemblée autour des tréteaux de fortune. Il est l'une des formes d'expression les plus anciennes et les plus populaires. 

Le spectacle de rue s'attache à intégrer le rêve au quotidien .Un spectacle qui se produit gratuitement dans l'espace public, s'adresse à tous sans discrimination, permet au public d'intervenir, est par définition un art populaire.

Le théâtre forain (du latin « foras » qui signifie en dehors) est une institution voyageuse qui sillonne villes et campagnes jusque dans les années 1960. Elle regroupe à la fois les théâtres d’acteurs et de marionnettes. Leur répertoire constitué de drames, de comédies, de pièces lyriques et de vaudevilles, leur permet de s’adapter aux divers publics rencontrés lors de leurs déplacements.

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Depuis le mythique Chariot de Thespis, poète grec du milieu du VIe siècle avant J.-C. en passant par les Italiens de la Foire Saint-Germain, de la Commedia dell’arte jusqu’à l’Illustre Théâtre de Molière, les références sont nombreuses. Jacques Callot, Claude Gillot et Antoine Watteau apportent le témoignage de ces activités dans leurs œuvres picturales. Du XVIe au XIXe siècle, les troupes voyagent de villes en villages, sur les places et les marchés et se produisent sur des tréteaux où l’on joue des pièces farcies de « couplets gras, de tours gaillards » qui font beaucoup rire le peuple.

Parallèlement aux spectacles de l'Opéra-Comique défilaient toutes sortes d'attractions foraines : à côté des marionnettistes et danseurs de corde se produisaient des géants, des nains, des monstres, des colosses, des têtes parlantes, des animaux savants, etc. Peu à peu les spectacles se déplacèrent vers les boulevards, principalement le boulevard du Temple, qui allait devenir au xixe siècle leboulevard du Crime

Le spectacle de rue envahit un espace pour y introduire le sien et ainsi laisse un souvenir dans les mémoires.

Ces artistes, jongleurs et saltimbanques, sont à l’époque les messagers des Dieux et des hommes. Des Dieux, parce qu’ils se surpassent eux-mêmes dans la pratique de leur numéro, des hommes parce qu’ils sont nomades et colportent de contrées en contrées les nouvelles des guerres, des invasions, des naissances, des décès…. Ce sont les « gazettes » de nos temps modernes.

Vers 1750 c'est le boulevard du Temple qui devient célèbre. Acrobates, montreurs de marionnettes, funambules, numéro de force et d’adresse, arracheurs de dent et charlatans s'y produisent et sont particulièrement recherchés.On trouve sur les foires des faiseurs de tours de passe-passe, puis des funambules, des acrobates sur échasses, des montreurs d'animaux savants et de marionnettes. Les premières formes du cirque furent probablement ces cercles de troubadours qui se formaient autour d'un équilibriste ou d'un jongleur sur les places publiques.

A la restauration, les boulevards intérieur de la Madeleine à la rue des Filles du Calvaire, le Boulevard du Temple qu’on appelle Boulevard du Crime à cause des mélodrames sanglants qu’on y joue, une demi-douzaine de théâtres s’y côtoient, ont récupéré les bateleurs, illusionnistes, escamoteurs. Les foires ayant pour la plupart périclitées.

Sous des baraques de bois ou des tentes de toile, vont abriter leurs animaux curieux, leurs acrobates ou leurs phénomènes. A

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l’entrée des théâtres va se perpétuer la commedia dell’arte et le succès des arlequinades, avec le mime Debureau, Auriol etc.

Les boulevards sont associés à un certain état d'esprit de flânerie et de légèreté. Cettevocation au divertissement se manifeste au xviiie siècle par l'installation de nombreuxthéâtres autour de la porte Saint-Martin. L'esprit « boulevardier » se développe dans les théâtres de boulevard, qui donnent des pièces légères et divertissantes, éloignées de l'académisme des théâtres officiels. Le boulevard du Temple reçoit ainsi le surnomde « boulevard du Crime » à l'époque de la Restauration, allusion aux innombrables forfaits commis non dans la rue mais sur les scènes de théâtre. C'est aussi sur les Grands Boulevards qu'aura lieu la première représentation publique de cinématographe.

Théâtre de boulevardÀ partir de la seconde moitié du xviiie siècle, le théâtre bourgeois et populaire s'installa boulevard du Temple, surnommé alors boulevard du Crime en raison des nombreux mélodrames et histoires de meurtres qui y étaient présentés.Outre les attractions les plus diverses (feux d'artifice, pantomimes, tours d'acrobates ou d'animaux, etc.), un répertoire dit de boulevard issu du théâtre de foire se démarquait ainsi du théâtre de la haute société. Puis, à partir du Second Empire, s'y sont joués des vaudevilles et comédies d'intrigue. Le théâtre de boulevard est une entreprise de pur divertissement promue par des théâtres privés.L'émission de télévision Au théâtre ce soir (1966-1985) a diffusé pendant dix-sept ans un grand nombre de pièces de ce répertoire.

Les comédies se basent sur des personnages bien reconnaissables et des caractères stéréotypés, avec une gestuelle riche, parfois emphatique, des dialogues souvent improvisés mais qui pouvaient contenir des tirades apprises par cœur, faisant la satire de différentes conditions sociales et culturelles.Tous les acteurs, à l’exception du couple d’amoureux et des servantes, portent un masque.

Le XIXe siècle oublie peu à peu cet art ancestral. En France, cependant, la famille Deburau reprend les personnages de Pierrot et Arlequin et Colombine, et les intègre à ses mimodrames.

Vers le milieu du XIXe siècle, le romantisme exploite beaucoup le thème du saltimbanque comme figure du héros romantique, au point d’en devenir un lieu commun.

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L'une des causes majeures de la mélancolie des écrivains romantiques est sans doute le renoncement forcé aux ambitions politiques et sociales de leurs aînés. Deux révolutions manquées suffiront à périmer toute "utilité" de la  littérature. Les philosophes et les prophètes s'éclipsent pour laisser place à leurs doubles déchus: saltimbanques, bohémiens,comédiens, jongleurs, clowns, fous du roi. Ces figures, malgré le désarroi dont elles  témoignent, permettent d'animer autour d'elles tout un imaginaire pittoresque, exotique ou archaïque: ainsi en est-il des fous et acrobates médiévaux, des bouffons shakespeariens, des Arlequins et des Pierrots de la commedia dell'arte...  Renonçant résolument à l'honorabilité bourgeoise,le poète maudit invente les haillons somptueux d'une nouvelle dignité - tout en se donnant l'illusion de renouer avec ses origines.

Au théâtre, il est popularisé par le vaudeville « Les Saltimbanques » de Théophile Marion Dumersan, donné au théâtre des Variétés en 1838.

En littérature, Banville écrit dans les « Pauvres Saltimbanques » 1853 : « Saltimbanques, et pauvres saltimbanques en effet, ces poètes inspirés, ces comédiens ivres de passion, ces voix éloquentes, ces joueurs de violon etces joueurs de lyre, ces marionnettes de génie qui ont pour état de pleurer d’abord, comme le veut Horace, et après de faire pleurer la foule et de la faire rire ! Car s’il vous plait, qu’est ce que le saltimbanque, sinon un comédien indépendant et libre qui fait des prodiges pour gagner son painquotidien, qui chante au soleil et danse sous les étoiles sans l’espoir d’arriver à aucune académie ? »

Kopp : Le bouffon romantique est devenu un héros, le double imaginaire et symbole de l’artiste.

Baudelaire, Champfleury et Gautier se sont beaucoup intéressés à la pantomime. Voir De l’essence du rire.

Champfleury, L’Homme aux figures de cire dans Les Excentriques 1852, Souvenirs desFunambules, 1859Banville, Odes Funambulesques 1856

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Fascination de l’époque pour ces artistes : Théophile Gauthier écrit en 1842 un articlesur Debureau et sur le Théâtre des Funambules, boulevard du Temple : « Shakespeare aux Funambules ». « O grands baladins, sauteurs miraculeux, on est humilié, quand on vous a vu, de marcher sur les pieds et l’on a des envies de s’en retourner chez soi sur les mains en faisant la roue. »Il écrit aussi sur Auriol, le pitre acrobate du Cirque Olympique « s’il ne vole pas, c’est par coquetterie ». pages 21 et 22 de Staro,

Le mélodrame, théâtre destiné au peuple.Alors que le théâtre du peuple ce sont les pantomimes et les spectacles de marionnettes.

B les spectacles dans le recueil

A – Les occurrences du mot «   spectacle   » dans les Petits Poèmes en prose

1 Le confiteor de l’artiste (III)« Et maintenant la profondeur du ciel me consterne ; sa limpidité m’exaspère. L’insensibilité de la mer, l’immuabilité du spectacle, me révoltent… »Tout d’abord c’est le spectacle qu’offre la nature, comme paysage : immobile, insensible

2 Le gâteau : Ce spectacle m'avait embrumé le paysage, et la joie calme où s'ébaudissait mon âme avant d'avoir vu ces petitshommes avait totalement disparu3 Le joujou du pauvre : » Le luxe, l'insouciance et le spectacle habituel de la richesse, rendent ces enfants-là si jolis, qu'on les croirait faits d'une autre pâte que les enfants de la médiocrité ou de la pauvreté. »Ici le spectacle c’est ce qui nous est donné à voir.

4 Une mort héroïque : Tout d'un coup le bruit courut que le souverain voulait faire grâce à tous les conjurés; et l’originede ce bruit fut l'annonce d'un grand spectacle où Fancioulle devait jouer l'un de ses principaux et de ses meilleurs rôles5 idem : Les gentilshommes coupables avaient joui pour la dernière fois du spectacle de la comédie. Dans la même nuit ilsfurent effacés de la vie.

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6 Les vocations : Enfin le quatrième dit : « Vous savez que je ne m’amuse guère à la maison ; on ne me mène jamais au spectacle ; mon tuteur est trop avare ; Dieu ne s’occupe pas demoi et de mon ennui (…).

7 Anywhere out : Puisque tu aimes tant le repos, avec le spectacle du mouvement, veux-tu venir habiter la Hollande, cette terre béatifiante? Idem que la 1

B - Les spectacles de la rue   :

Poèmes dont le thème principal est le spectacle :Le vieux saltimbanqueLa femme sauvageLes bons chiens

1 les concerts publicsLes veuves : « (…) elle s’assit à l’écart dans un jardin, pour entendre, loin de la foule, un de ces concerts dont la musique des régiments gratifie le peuple parisien. »« L’orchestre jette à travers la nuit des chants de fete, de triomphe ou de volupté. Les robes trainent en miroitant ; les regards se croisent ; les oisifs, fatigués de n’avoir rien fait, se dandinent, feignant de déguster indolemment la musique.2 La fête est un plaisir populaireIci rien que de riche, d’heureux ; rien qui ne respire et n’inspire l’insouciance et le plaisir de se laisser vivre.3 la rue : un spectacle gratuitl’aspect de cette tourbe qui s’appuie là-bas sur la barrière extérieure, attrapant gratis, au gré du vent, un lambeau de musique, et regardant l’étincelante fournaise intérieure

Thélot : Le Vieux SaltimbanqueC’est une fête qui est décrite, une liesse. Notion d’oubli aussi, puisque « le peuple oublie tout ».Dans Le Gâteau : violence enfantine, dans le VS le peuple « devient pareil aux enfants ».Extase infantile, oublieuse d’une victime.Le VS c’est un drame, celui de notre histoire.

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C Le narrateur   : acteur et spectateur

A - Le promeneur amateur de spectacles

Au milieu de la foule, les jouissances de l’observateur sont celles d’un spectateur de théâtre : le VS

La notion de « scène », exprimée dans la peinture réaliste comme dans le projet de Balzac (Scènes de la vie privée, Scènesde la vie de province, Scène de la vie parisienne), rejoint, dans une certaine acception, la notion de « tableau », expriméedans « Tableaux parisiens ».Les Petits Poèmes en prose propose également des scènes, des tableaux, des études qui mettent au premier plan l’individu.

La première édition des Fleurs du Mal, en 1857, ne comportait pas la section « Tableaux parisiens », ajoutée pour la seconde,en 1861. Après le procès des Fleurs du Mal, Baudelaire explore un thème original, la ville, et plus particulièrement Paris.Le titre « Tableaux » réfère immédiatement à la peinture, aux paysages et au pittoresque. Mais il faut dépasser ce premier sens pour accéder à celui, plus riche, de tableaux intérieurs en relation avec des tableaux ou des scènes extérieures.

Beaucoup de mots se rapportent au théâtre : l’auteur devient dramaturge et transfigure le réel.

Starobinski« Le monde du cirque et de la fête foraine représentait, dans l’atmosphère charbonneuse d’une société en voie d’industrialisation, un ilot chatoyant de merveilleux, un morceau demeuré intact du pays d’enfance, un domaine où la spontanéité vitale, l’illusion, les prodiges simples de l’adresse ou de la maladresse mêlaient leur séduction pour le spectateur lassé de la monotonie des tâches de la vie sérieuse.De préférence à bien d’autres aspects de la réalité, ceux-là semblaient attendre d’être fixés dans une transcription picturale ou poétique. Mais ces raisons – dont l’implication socio-historique est évidente – ne sont pas les seules. (…) A ce plaisir de l’œil se

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joint un penchant d’un autre ordre, un lien psychologique qui fait éprouver à l’artiste moderne je ne sais quel sentiment de connivence nostalgique avec le microcosme de la parade et de laféerie élémentaire.

A propos de Deburau, voir article Wiki : Le fait est qu'il y avait quatre types de pantomimes distincts sur la scène des Funambules, et que pour chacun Deburau avait créé un Pierrot subtilement ou complètement différent27

La pantomime réaliste : Ce sont les pièces avec lesquelles Despot semble la plus familière. Elles se déroulent dans des lieux banals (boutiques, salons, voie publique) et sont habituellement peuplées de parisiens (boutiquiers, marchands, valets). Pierrot est le centrede l'attention, mais un Pierrot très différent du personnage décrit plus haut. « Libidineux et sans scrupule (écrit Robert Storey), souvent méchant et cruel, il n'est racheté que par sa criminelle innocence30. » Il vole une bienfaitrice, profite outrageusement de l'infirmité d'un aveugle, tue un colporteur pour obtenir les vêtements avec lesquels il espère séduire une duchesse. C'est le Pierrot décrit par Charles Nodier comme un « Satan naïf et clownesque »3. — Exemples : Pierrot et ses créanciers (1836) ; Pierrot et l'aveugle (1841)31.

B - Acteur et spectateur

Acteur : Celui qui joue un rôle, prend une part dans un événementCelui qui représente un personnage dans une pièce de théâtreCelui qui exerce la profession de comédienDifférence entre un acteur et comédien : Acteur est relatif auxpersonnages qui agissent dans une pièce. Comédien est relatif àla professionLe comédien exerce un art.

A une heure du matin : Enfin! la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même.La tyrannie, l’obligation du spectacle social est terminée. Scène où le clown se démaquilleDécor de ville, avec les fiacresEnfin! il m'est donc permis de me délasser dans un bain de ténèbres (l’éclairage de la scène s’éteint, on ne voit plus, nereste que l’invisible)!Comédien harassé d’avoir mal joué dans une mauvaise comédie

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élément d’autodérision ancré dans le dédoublement de soi.

« Le promeneur solitaire et pensif tire une singulière ivresse de cette universelle communion. » il joue ici tous les rôles :acteur, spectateur, il regarde et se regarde en train de regarder = évocation d’une pièce théâtrale parfaite« Il adopte comme siennes toutes les professions, toutes les joies et toutes les circonstances que la circonstance lui présente. »Baudelaire est auteur, acteur et spectateur.Les foules : le narrateur réussit à vivre d’autres vies, par procuration, grâce à l’imagination.Le vieux saltimbanque : il se mêle à la foule, « universelle communion »Le joueur généreux : idem

Le narrateur vit autre vie à travers celle des gens qu’il rencontre, qu’il fabrique, qu’il met en scène, dont il scénarise la vieExemple les fenêtresEx : les foulesIl éprouve un plaisir intense : « Ce que les hommes nomment amour est bien petit, bien restreint et bien faible, comparé à cette ineffable orgie, à cette saint prostitution de l’âme qui se donne toute entière, poésie et charité, à l’imprévu qi se montre, à l’inconnu qui passe. » Il se prend pour Dieu ou bien ?La plaisir que procure le bain dans la multitude est un thème essentiel dans la poétique baudelairienne. En parlant du peintre Constantin Guys, il précise et approfondit cette théorie dans le chapitre 3 de Peintre de la vie moderne : « L’artiste, homme du monde, homme des foules et enfant ». Dansles Etudes sur Poe, il constate chez l’écrivain la même jouissance« A une Heure du Matin » : ici le narrateur « baisse le rideau » sur sa vie privée, ses sentiments personnels. « Enfin ! Seul ! » « Enfin ! la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même. » La face humaine cesse enfin de le regarder, lui de la voir et de se sentir OBLIGE de lui donner le change.Il n’est plus un acteur, il a enlevé son masque.

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La lumière de la scène s’est éteinte, « Enfin ! il m’est donc permis de me délasser dans un bain de ténèbres ! »Il récapitule els scènes qu’il a eu à jouer : vu des connaissances hommes de lettres, un directeur de revue, avoir serré des main à des inconnus, fait sa cour à un directeur de théâtre (POURQUOI ?), s’être vanté, avoir nié etc. « Ouf ! est-ce bien fini ? »De toute évidence il est très soulagé que ce « cirque » cesse. Il peut réintégrer son propre corps, son esprit. Après la dispersion dans la foule, il se régénère. Après avoir été quelqu’un d’autre toute la journée, il veut réintégrer son principal, peut être, rôle : celui de poète.  : « L’homme des foules se plonge sans cesse au sein de la foule ;il nage avec délices dans l’océan humain. »

Labarthe, à propos d’A une heure du matinMême s’il s’écrie « Enfin ! Seul ! » dans « A une heure du matin ». Il est éprouvé ici par un réel « tyrannique » qui blesse son désir d’idéal. Il dresse ensuite le catalogue des figures intrusives d’un quotidien banal et oppressant : « hommes de lettres », directeur de revue ou de théâtre, bardésde bonne conscience et de muflerie.Le danger pour le sujet est dans la contamination délétère de cette réalité qui le ravale au statut méprisable de ceux dont son orgueil de poète le pousse à s’excepter.Mais en parallèle il se porte lui-même à la rencontre de figures solitaires vis à vis desquelles il se retrouve, non sans ambigüité, en position dominante.De tyrannique, « la face humaine » devient alors maitrisée. Autrui devient le prétexte d’une expansion du moi, livré à cette « excitation bizarre » dont Baudelaire écrit à Sainte-Beuve, en 1865, qu’elle préside à l’écriture des PPP, « qui a besoin de spectacles, de foules, de musique, de réverbères même » (Lettre à Sainte-Beuve du 4 mai 1865, Corr., II, p.493).

Sa volonté obsessionnelle d’assumer tous les destins, en observant l’autre et en participant de loin à sa destinée, en oscillant dangereusement entre vaporisation et concentration, souffre de cette prostitution vécue comme renoncement à soi même, comme fuite devant soi et refuge auprès de l’autre, vécue

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comme trahison du « divertissement » tel que Pascal l’a défini au XVIIe siècle.

Thélot : Asselineau rapporte ceci d’une conversation avec Baudelaire : « Il me disait un jour : « - Toutes les fois que je vois sur un théâtre un acteur costumé en incroyable et coiffé de cadenettes, je l’envie et je tâche de me figurer que c’est moi. » (Charles Asselineau, Charles Baudelaire, Sa vie et son œuvre, in Baudelaire et Asselineau, textes recueillis et commentés par Jacques Crépet et Claude Pichois, Paris, Nizet, 1953, p. 85)Aimer le théâtre à la façon de B, ou alors avoir reçu comme dans Les Foules, « le gout du travestissement et du masque », cela signifie vouloir être un autre, envier l’être de l’autre.

Les quatre garçons incarnent une postulation de poète relative à une étape de son itinéraire personnel : le premier admire la magie et l’artifice du théâtre qui favorise la vie par procuration. Le deuxième fixe l’horizon dans l’attente de Dieu.Le troisième a découvert les émois de la sensualité. Le quatrième rêve de suivre les bohémiens en voyage.Ces quatre enfants témoignent de virtualité, actualisées ou non, de ce que Baudelaire aurait pu être, de ce qu’il est, de ce qu’il regrette d’être ou de ne pas avoir été.

C - Se fondre dans la foule

Le poème « Les foules » définit l’art de jouir de la multitude.Il montre comment le poète réussit à vivre d’autres vies, par procuration, grâce à l’imagination, comment son être étend ses limites, s’abandonne à une expansion enivrante, avant de revenir sur soi.Fusées, II, 3. « Ivresse religieuse des grandes villes – Panthéisme. Moi, c’est tous   ; tous, c’est moi. Tourbillon.   »

Sa « transformation » s’opère lorsqu’il est baigné dans la foule : « Les foules » XII« Il n’est pas donné à chacun de prendre un bain de multitude :jouir de la foule est un art ; et celui-là seul pet faire, aux dépens du genre humain, une ribote de vitalité, à qui une fée ainsufflé dans son berceau le gout du travestissement et du

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masque (…). Multitude, solitude : termes égaux et convertibles par le poète actif et fécond. Qui ne sait pas peupler sa solitude, ne sait pas non plus être seul dans une foule affairée. Le poète jouit de cet incomparable privilège, qu’il peut à sa guise être lui-même et autrui. Comme ces âmes errantes qui cherchent un corps, il entre, quand il veut, dans le personnage de chacun.»

« Moi, c’est tous ; Tous, c’est moi. Tourbillon ». Fusées, II,3.Ce mouvement d’ »universelle communion » et cette volupté de « dépersonnalisation » se retrouvent dans « le vieux saltimbanque », où le poète se mele au peuple de la fete foraine, et dans « Le joueur généreux ». le groupe, marqué par l’emploi du pluriel (« Les veuves », les pauvres » est une variante de la foule dont le poète extrait souvent une figure particulière et allégorique.Cependant, la recherche de la solitude et de l’isolement constitue l’opposé à cette immersion dangereuse au sein de la foule. La vaporisation du moi, la dispersion et l’aliénation guettent le poète, qui doit veiller à ne pas se perdre complètement dans la multitude. C’est pourquoi les individus retienne son attention, lorsqu’ils sont des places qui « à ses yeux méritent d’êtres visitées ».

c’est bien ce par quoi Baudelaire est fasciné : les masses. Dans le poème XII, « Les foules », il le montre bien. Pour lui,le poète a la capacité de ne faire qu’un avec la foule, et doncavec la ville, car la foule est l’essence même de la ville. Cette symbiose est la source de « mystérieuses ivresses », procure au poète une « ineffable orgie », une « sainte prostitution », en comparaison de quoi « ce que les hommes nomment amour est bien restreint, bien petit ». La foule est undes divertissements qui tiennent le spleen à distance, et cet «incomparable privilège » de se mêler aux foules inspire au poète cette poésie urbaine.

Le regard et la voix du poète animent l’espace parisien et poétique, il cherche à se voir/regarder dans ces figures croisées. Il ressent sa propre finitude en déplorant la condition atroce de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants…

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Cette dilatation euphorisante de l’être et l’identification auxautres permet au poète de transcender sa « réalité » personnelle. L’un des prodigieux privilèges de l’art c’est de transfigurer l’horrible en beauté.

Capacité de métamorphose et d’ubiquité. Il peut être « Lui-mêmeet autrui », il devient Don Juan, un « épouseur à toutes mains » de la foule, adoptant comme siennes « toutes les professions, toutes les joies et toutes les misères que la circonstance lui présente ».« Un moi insatiable du non-moi » Le Peintre de la vie moderne, OC, II, p.692

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2 Le spectacle   : révélateur de beauté

Le spectacle de rue a également pour but de montrer une image de la ville que les habitants ne connaissent pas. Il cherche à redonner une autre dimension aux espaces publics. En effet, le décor dans lequel on vit a trop souvent tendance à être considéré comme banal, sans intérêt. Ce genre de démarche incite à l'observer, à le percevoir différemment. L'enjeu est d'animer la ville, c'est-à-dire de lui donner une âme...Les artistes de rue s'opposent à l'ordre de la ville qui exige « une place pour chaque chose et chaque chose à sa place ». Ilscherchent à transfigurer les espaces de la ville en quelque chose de merveilleux ou de surprenant. Il s'agit ainsi de donner au public un regard différent, de lui permettre une relation nouvelle avec son environnement, de montrer que la ville n'a pas seulement une fonction utilitaire  mais qu'elle peut redevenir un espace de contacts, de convivialité.

A - Les fonctions du spectacle

ce que cherche à provoquer un spectacle :la surprise, l’illusion, le rire, la peur, une allégorie de la vie : pour que les gens y voient leur double, se reconnaissent,l’oubli du quotidien et du prosaïque.

La fonction du spectacle : rappeler aux spectateurs leur misèreet leur déréliction face aux forces supérieures du destin, dansune communion collective pour chasser l’angoisse (tragédies), avec farces et comédies, pour mettre à distance cette misère par le rire et l’oubli communicatifs dans la chaleur et le brouhaha des salles ?Les théâtres de foire du XVIIIe siècle faisaient sans doute pendant, comme dans la commedia dell’arte et l’opera buffa, auxcomédies classiques, tragiques héroïques donnés dans les théâtres officiels.

A – Plaire, divertir, oublier

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« Dans l'espérance que quelques-uns de ces tronçons seront assez vivants pour vous plaire et vous amuser » divertissement et monstruosité mêlés

occurrences de divertirFait oublier le présent, « un morceau demeuré intact du pays del’enfance »

le spectacle conjure le réel, conjure le Spleen, pour un moment, un moment seulement

Le confiteor de l’artiste : Plaisir, divertissement à regarder,et noyer   : s’oublier, mourir par le regard 1ere occurrence du mot « spectacle » : ici dans le sens de paysage, immobile

Les baraques des saltimbanques sont des théâtres mobilisant lesdésirs de la foule et la distrayant de la vérité : elles éveillent la terreur et l’enchantement à la fois. Voire tragédie

Partout s'étalait, se répandait, s'ébaudissait le peuple en vacances. C'était une de ces solennités sur lesquelles, pendantun long temps, comptent les saltimbanques, les faiseurs de tours, les montreurs d'animaux et les boutiquiers ambulants, pour compenser les mauvais temps de l'année.

En ces jours-là il me semble que le peuple oublie tout, ladouleur et le travail; il devient pareil aux enfants. Pour les petits c'est un jour de congé, c'est l'horreur de l'école renvoyée à vingt-quatre heures. Pour les grands c'est un armistice conclu avec les puissances malfaisantes de la vie, unrépit dans la contention et la lutte universelles.

c’est la liesse, l’insouciance. Le peuple cesse ce jour là son « travail », oublie sa « douleur », celle de « l’horreur de l’école » pour les « petits » et celle de « la lutte » pour les « grands ».

Fête collective et ivresse solitaire subissent, sans la guérir,la même violence. Leur bonheur, comme disent Les Paradis Artificiels (O.C. I, 476), est : « une intermittence dans la fatalité, un jubilé dans le malheur ».

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L'homme du monde lui-même et l'homme occupé de travaux spirituels échappent difficilement à l'influence de ce jubilé populaire. Ils absorbent, sans le vouloir, leur part de cette atmosphère d'insouciance. « Pour moi, je ne manque jamais, en vrai Parisien, de passer la revue de toutes les baraques qui sepavanent à ces époques solennelles. »

Pop : Dans le monde de la foire, le  brouillage des frontières est très attirant pour le poète : ici, plus de séparation commeau théâtre entre tragédie et comédie, entre opéra et drame, entre pièces sérieuses et pièces légères, rien que la vie dans toute sa théâtrale complexité. À la vue de la tragédie affreuseau milieu de la comédie

B - Guérir le SpleenLa femme sauvage et la petite maitresse : guérir de la satiété du bien être et l’accablement du repos : « nous en trouverons peut être le moyen, pour deux sols, au milieu d’une fête, et sans aller bien loin ».

d’oublier les vicissitudes de la vie, le pénible poids du tempsqui passe

Au théâtre, on y rêve, les personnages sont beaux, bien habillés, et on y cherche aussi du mystère.Théâtre : mouvement, son et lumièrePeinture ou photographie : immobilité, silenceIci le narrateur ne se « rend » pas au théâtre : le spectacle est dans la rue, partout, il le rencontre au gré des circonstances, du hasard de ses déambulations.

Londres n’a pas le privilège du spleen, le joyeux Paris connaîtaussi cette noire maladie.Kopp : Le peintre de la vie moderne, O.C, II, p.691 : « Je trouve inutile et fastidieux de représenter ce qui est, parce que rien de ce qui est ne me satisfait. »Surtout, cette réalité est « le séjour de l’éternel ennui ». Car le Spleen de Paris est aussi une façon de dire que Paris est la ville du Spleen. Aussi le flâneur fait tout pour échapper à l’ennui, « ce tyran du monde » ‘Une mort héroïque »,cette « source de toutes (les) maladies et de tous (les)

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misérables progrès » (Le Joueur généreux). Et celui qui fait jaillir l’énergie malsaine qui s’abat sur le poète dans Le Mauvais Vitrier, qui incite le quatrième garçon des Vocations àsuivre les bohémiens, qui nous pousse, enfin, à nous enivrer sans cesse, de vin, de poésie, de vertu.

Le voyage dans les contrées lointaines est à la fois intérieur et extérieur, dans la vile, la multitude ou l’individualité. C’est une tentative d’évasion, une libération su spleen.

Starobinski « L’éblouissement devant la légèreté, ou le triomphe du clown » : « Le cirque peut donc être l’un des hautslieux de la révélation du beau (…), si l’homme y devient tout ensemble plus et moins que l’homme : un génie ailé, un crapaud » : un dieu et un monstre à la fois.

Une phrase extraite d’Une mort héroïque, que Benjamin Fondane met en exergue à son livre, « l’ivresse de l’art est plus propre que toute autre à jeter un voile sur les terreurs du gouffre »,[21] éclaircit un principe esthétique fondamental de Baudelaire. Le jeu de l’art (rimes, rythmes, sonorités, esthétismes de toutes sortes) rend acceptable le « choc » produit par les révélations douloureuses de l’abîme, que le poète a reçu telles quelles, mais qu’il ne peut retransmettre sans l’enveloppe sécurisante d’une certaine beauté.

C- Le beau est toujours bizarre

Exposition universelle, 1855 : « Le beau est toujours bizarre. Je ne veux pas dire qu’il soit volontairement, froidement bizarre, car dans ce cas il serait un monstre sorti des rails de la vie.Je dis qu’il contient toujours un peu de bizarrerie, de bizarrerie naïve, non voulue, inconsciente, et que c’est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement le Beau. C’est sonimmatriculation, sa caractéristique. Renversez a proposition, et tâchez de concevoir un beau banal ! Or, comment cette bizarrerie, nécessaire, incompressible, variée à l’infini, dépendante des milieux, des climats, des mœurs, de la race, de la religion et du tempérament de l’artiste, pourra)t-elle jamais être gouvernée, amendée, redressée, par les règles utopiques conçues dans un petit temple scientifique quelconque de la planète, sans danger de mort pour l’art lui-même ? »

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Cette transformation ou cette défiguration est aussi une recherche de la beauté, une beauté passagère, fugace, celle de la vie présente.

L’anti réalisme de Baudelaire : à ses yeux le beau s’oppose radicalement au vrai, il est toujours bizarre et suppose l’artifice, celui des décors de théâtre, du raffinement dandy, de l’art du maquillage.

L’artiste doit donc s’attacher à chercher la beauté passagère de la vie présente, du particulier mouvant et imprévisible,, y compris dans le premier objet venu, dans le spectacle le plus banal, dans l’individu le moins poétique en apparence : une petite vieille, une prostituée…

Kopp : le flâneur parisien est d’abord à l’affut de ce qui est bizarre, et la grande ville fourmille de bizarreries « quand onsait se promener et regarder » (Mademoiselle Bistouri).

Le poète trouve là une matière formidable à ses rêveries : « Ily a là une pâture certaine. » les veuvesLes veuves : « (…) des allées hantées principalement par les ambitions déçues, par les inventeurs malheureux, par les gloires avortées, par les cœurs brisés, par toutes ces âmes tumultueuses et fermées, en qui grondent encore les derniers soupirs d’un orage, et qui reculent loin du regard insolent desjoyeux et des oisifs. Ces retraites ombreuses sont les rendez-vous des éclopés de la vie. » C’est surtout vers ces lieux que le poète et le philosophe aiment diriger leurs avides conjectures. Il y a là une pâture certaine. » « Ils sont irrésistiblement entrainés vers ce qui est faible, ruiné, contristé, orphelin. »

Deux figures sont au centre du recueil : une figure « bizarre »et « monstrueuse » : la vieille (Le Désespoir de la Vieille), et un double surprenant, provocateur : le chien (Les Bons chiens).Il se reconnaît dans le repli sur soi de la vieille désespérée d’effrayer « ce joli enfant à qui chacun faisait fête, à qui tout le monde voulait plaire », condamnée à une « solitude éternelle » malgré son élan d’amour vers l’enfant innocent.

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Baudelaire, de même que cette femme décrépite, voit son élan d’amour vers les autres brisé par l’incompréhension, sa poésie rejetée et condamnée à cause de sa « monstruosité ».Mademoiselle Bistouri XLVII« Comme j’arrivais à l’extrémité du faubourg, sous les éclairs du gaz (…) »« Quelles bizarreries ne trouve-t-on pas dans une grande ville,quand on sait se promener et regarder ? »

Walter : l’artiste est logiquement haussé au rang de véritable héros de la vie moderne dans la mesure où, au lieu d’être simplement pris dans les fréquentes métamorphoses de la réalité, et de s’y complaire passivement, il cherche à les “représenter” activement, donc à s’en écarter suffisamment pourparvenir à révéler la beauté originale que de telles métamorphoses peuvent receler intrinsèquement, – cette beauté “bizarre”, qui échappe au premier regard tout autant qu’elle s’écarte des canons figés de la beauté classique, pour “satisfaire aux exigences d’un idéal de nouveauté sans cesse renouvelé”. L’esthétique moderne, comme esthétique de la modernité, s’alimente donc à cette tension, repérée et exploitée par Baudelaire avec une lucidité particulière, entre l’idéal et le nouveau, entre l’intemporel et le présent.

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B – Le regardnombreuses occurrences du mot « voir », « contempler », « regarder »l’observateur est à point d’observation fixe : une fenêtre par exemple, ou itinérante : il parcourt un espace qu’il découvre et décritLes veuves : « Un œil expérimenté ne s’y trompe jamais. Dans ces traits rigides ou abattus, dans ces yeux caves et ternes,, ou brillants des derniers éclairs de la luttes, dans ces rides profondes et nombreuses, dans ces démarches si lentes ou si saccadées, il déchiffre tout de suite les innombrables légendesde l’amour trompé, du dévouement méconnu, des efforts non récompensés, de la faim et du froid humblement, silencieusementsupportés. »

Le thème de la ville est inséparable du thème de l’Autre, les divers êtres entrevus ou observés dans la rue, dans un jardin ou derrière la vitre d’une fenêtre.

Covin : Mot : représentation=re-présentation, c’est donc un présent rejoué sur une mémoire de qqchoseDécouvrir dans la banalité la plus ordinaire de la ville, le fantastique le moins contestable. Le masque est-il plus vrai que le visage ?

Labarthe : Dans le théâtre urbain on voit apparaître trois figures féminines : la veuve pauvre, la femme mure, le monstre.Mélange de solidarité et de distance qui caractérise le regard baudelairien. Ouvert aux errants et aux petite vieille, décor de solitudes, le jardin public.Dans « Les Veuves », on trouve l’alliance de l’esquisse et du commentaire, de la « chose vue » et de l’hypothèse ou de la méditation qu’elle induit. Partage de la monstruosité.

Walter Benjamin L’observateur installé dans un café voit les choses très différemment. D’abord, le café est un lieu public, perméable à la foule. Et l’installation de l’observateur est provisoire surtout, et il subira tôt ou tard le flux ou reflux de la masse. Il y retournera donc, acceptant de se perdre en elle.

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L’observation dans le café n’aura été qu’une modulation de la flânerie, et non pas un repli timide sur soi.Le café, même s’il est public, délimite quand même un espace deretrait, mais c’est à peine si, en y entrant, le poète s’aperçoit qu’il a quitté la rue. Le café paraît l’aboutissement de la rue et le pôle d’attraction de toute la flânerie urbaine.La vitre du café= scène de théâtre, où les acteurs sont tout proches.Derrière la vitre, le promeneur parisien est à la fois isolé etdans la foule.

Un regard nouveau, celui de l’enfantLabarthe Fancioulle et le petit page sont des enfants.Dans le Peintre de la vie moderne, chapitre III « L’Artiste, homme du monde, homme des foules et enfant ». Baudelaire propose de voir dans l’enfant et dans le convalescent deux des correspondants les plus exacts du « génie » : « Le génie, n’estque l’enfance retrouvée à volonté, l’enfance douée maintenant, pour s’exprimer, d’organes virils et de l’esprit analytique quilui permet d’ordonner la somme de matériaux involontairement amassée. C’est à cette curiosité profonde et joyeuse qu’il fautattribuer l’œil fixe et animalement extatique des enfants devant le nouveau, quel qu’il soit. » OC, II, p.690Dons partagés par le poète et l’enfant : la fraicheur du regard, la vulnérabilité, la « haute puissance imaginative ».

Baudelaire est fasciné par l’enfant, en qui il voit « la faculté de s’intéresser vivement aux choses les plus triviales en apparence. » Il ajoute : « L’enfant voit tout en nouveauté ;il est toujours ivre. » voir Le Peintre de la vie moderneSon imagination et sa curiosité sont deux facultés fondamentales pour « voir » le monde et les hommes autrement, facultés qu’il partage avec le poète et plus largement avec l’artiste.

La ville attire le promeneur à cause des rencontres qu’elle favorise, et non pour les paysages qu’elle offre = transition vers le spectacle.

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La grande ville multiplie les rencontres et les spectacles à l’infini.Ces rencontres se divisent en deux motifs distincts : les foules et les individus.Cette poétique de la circonstance suppose un sens aigu de l’observation : le thème du regard joue un rôle important, que le poète regarde ou soit regardé, seul ou accompagné.Cette observation pose la question de la participation, de la distance ou de la communion, de l’empathie et de la sympathie.Ou, pour reprendre l’expression baudelairienne, de la solitude dans la multitude.En effet le promeneur est à la fois isolé et dans la foule lorsqu’il est derrière la vitre d’un café : il observe et il participe. Il est lui et l’autre.

La chose vueLabarthe : ce recueil mélange les valeurs picturales et sonores. Le narrateur établit un rapport entre un premier plan qui requiert son attention, et un fond visuel et sonore sur lequel s’élève la « chose vue » : le poète isole un fragment deréalité auquel il donne un éclat (lueur), puis il autonomise lascène.C’est donc un instantané prélevé sur le fond sonore et visuel de la capitale : un âne salué par un bourgeois, une causerie dequatre adolescents, un épisode de tir sur fond d’idylle conjugale.

Thélot : La formation grégaire de l’unanimité dépend d’une séduction, celle des images. Ce qui conduit hors de lui même lepoète c’est ce qu’il voit : chaos ou théâtre, concert ou fête, image dans un mouvement tumultueux.Le culte des images « Ma grande, mon unique, ma primitive passion » (Mon cœur mis à nu, O.C. I, 701). Paradoxe : il veut inventer un univers esthétique aux formes intemporelles, même si ces dernières s’enracinent dans la « circonstance ». Le spectacle attire le solitaire vers la multitude.Le promeneur ne manque « jamais » de « passer en revue toutes ces baraques ».

Labarthe : L’alliance de «réalisme anecdotique » et de distancecontemplative et au fondement des petits poèmes en prose.

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Profusion des instantanés.L’intériorisation du spectacle entrevue s’accomplit. Elle dramatise le « réalisme anecdotique » de ces poèmes.

C – Entre laideur et beauté

«J’associerai l’effrayant avec le bouffon, et même la tendresseavec la haine. » lettre du 9 mars 1865 À sa mère, Corr., II, p.223.

La distraction fait donc du poète un flâneur lucide, distinct des autres par cette “faculté de catalepsie” qui le rend particulièrement sensible à la beauté nouvelle qui peut surgir “des chocs et des conflits quotidiens de la civilisation” et dumonde modernes.

Baudelaire est profondément subjugué par l’observation de Parisdans sa globalité mais aussi dans les détails.Il est inspiré par les couches les plus basses de la société parisienne bien plus que par les riches. La béatitude et la médiocrité des riches ne leur confèrent pas la grandeur que donnent l’austérité et la misère sobre aux pauvres, qui sont deplus considérés comme une partie intégrante de la ville.

Donc dès l’exposé de son projet poétique il parle de la « fréquentation des villes énormes », il parle de ces habitants« pauvre vitrier », et du son : « cri strident». Pas une recherche de la beauté classique.« C’est surtout de la fréquentation des villes énormes, c’est du croisement de leurs innombrables rapports que nait cet idéalobsédant»idéal obsédant : « rêv(er) le miracle d’une prose poétique (…) »c’est donc la ville le terreau de l’imagination, la fréquenter elle et ses croisements qui créée de la poésie.+ horrible ville ! horrible vie !

A – Sous la laideur, recherche du beau

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Dans le dernier poème (L), il en appelle à « la muse familière,la citadine, la vivante » (preuve encore de son amour pour la ville) pour l’aider à chanter « les pauvres chiens, les chiens crottés, ceux-là que chacun écarte […] excepté […] le poète quile regarde d’un œil fraternel ». Il trouve un plus grand lyrisme dans le petit peuple, parce qu’ils sont l’essence, le cœur même de la ville.

le mauvais vitrier, rencontré dans la rue, transformer toute latirade suivante dans le sens : sous la laideur, recherche du beauThélot : Comme dans Le crépuscule du soir, ces victimes (à rapprocher du VS, au Désespoir de la vieille, au Plaisant, au rat du Joujou du pauvre, au commerçant du Don des fées, sont maltraitées au hasard d’une « crise ». Contexte : « la lourde te sale atmosphère parisienne ». Puis un« cri perçant, discordant » qui « monte jusqu’à moi ».Le rêveur qui déjà est poursuivi par la haine de lui même « maussade, triste, fatigué d’oisiveté » et qui bute sur ce premier venu incarnant l’existence triviale et niant la Beauté du rêve, s’affole et se sent menacé. Comment poursuivre un rêvequand il y a tant de bruit ? Il est pris à son égard d’une « haine aussi soudaine que despotique ».Pourquoi la haine ? Rencontre du réel, rencontre vraie de la présence d’autrui.Cette « marchandise » du vitrier est son moyen de subsistance, son outil économique. Mais traînée chaque jour sur ses épaules et lourde dans la marche et dans la montée des escaliers, elle figure une Chimère, bête monstrueuse sur le dos du marcheur.Ce vitrier ordinaire, ce premier venu, est mon semblable, mon prochain.Mais il est aussi mon obstacle, l’Autre, la tyrannie de la facehumaine.Le frère est désormais le double du poète. Baudelaire persécuteur et persécuté, modèle et obstacle de l’un comme de l’autre, se représente simultanément dans le narrateur et dans le vitrier.Enfin il parut: j'examinai curieusement toutes ses vitres, et je lui dis: "-- Comment? vous n'avez pas de verres de couleur? des verres roses, rouges, bleus, des vitres magiques, des

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vitres de paradis? Impudent que vous êtes! vous osez vous promener dans des quartiers pauvres, et vous n'avez pas même devitres qui fassent voir la vie en beau!" Et je le poussai vivement vers l'escalier, où il trébucha en grognant.

Les « vitres magiques » bleues et roses comme la rêverie de « La Chambre double ». Elles sont la métaphore de la beauté et de l’harmonie. Le rêveur brutalise le vitrier sans regarder sonvisage parce que le vitrier est incapable de lui fournir les vitres magiques.Le vitrier meurt symboliquement : sa « pauvre fortune ambulatoire » se renverse sous le « choc » du pot de fleurs quelui jette le narrateur, et se brise dans « le bruit ».

B - La quête du spectacle idéalParis capitale capitale théatrale au 19e siècleSiècle avide de distractions. Le spectacle, le théatre, la rue,les marionnettes, les foires, c’est un point de concentration de nombreuses activités sociales.Chaque représentation met en mouvement une culture et une société - société fictive sur scène, société réelle dans la salle et après le spectacle.

Dans ce poème, le Prince peut être considéré comme un double dupoète puisqu’il souffre de la même « excessive sensibilité » maladive :« Amoureux passionné des beaux-arts, excellent connaisseur d’ailleurs, il était insatiable de voluptés. Assez indifférent à la morale, véritable artiste lui même, il ne connaissait d’ennemi dangereux que l’Ennui. »ce tyran cruel, ce monstre, double de Fancioulle, entre dans lavision kaléidoscopique que Baudelaire se construit de lui même : il est à la fois Fancioulle, le Prince, mais aussi le jeune page, siffleur espiègle responsable de la mort du comédien.Là c’est moi : alors que pour certains cette démultiplication illustre parfaitement le phénomène qui caractérise la quête spirituelle de ce recueil : se trouver dans des êtres différents pour accéder à la vérité d’un moi compris comme un foyer de possibles non réalisés biographiquement. Bah moi je pense que…

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C’est pourquoi la cécité du regard introspectif, responsable decette opacité, s’estompe à chaque rencontre anonyme pour conduire Baudelaire à une authentique révélation. Moi je pense qu’il est en quête du spectacle idéal.

Dans « Les Vocations » : chaque enfant est absorbé par le prestige d’une image : le premier par la magie transfigurante du théâtre, le 2e par le retrait de Dieu derrière l’horizon, le4e par la marginalité vagabonde de musiciens en voyage.

Thélot : Les Vocations : Le théâtre fascine l’enfant car il allume en lui un désir d’altérité, c’est à dire de grandeur, depouvoir. Transcendance.Aristote : « Imiter est en effet, dès leur enfance, une tendance naturelle aux hommes, et ils se différencient des autres animaux en ce qu’ils sont des êtres forts enclins à imiter et qu’ils commencent à apprendre à travers l’imitation. » (Aristote, Poétique, Paris, Le Livre de Poche, 1990, p.105)« Etant enfant, je voulais être tantôt pape, mais pape militaire,,, tantôt comédien.Jouissances que je tirais de ces deux hallucinations. » (O.C. I, 702)Les hommes et les femmes qu’admire l’enfant ne sont que des épiphanies : « bien plus beaux et bien mieux habillés que ceux que nous voyons partout ».Même situation dans le VS, les fées, une mort héroïque, perte d’auréole : la convergence des regards du public.Mais l’enfant se trahit : son secret est éventé : son amour du théâtre n’est qu’un amour de soi même.

C - Une ville en imaginationMême si tous les poèmes ne sont pas des spectacles à proprementparler, ils pourraient être représentés au théâtre, joués par des personnages.Exemple : un plaisant, la chambre double, chacun sa chimère, lefou et la Vénus, à une heure du matin.

Haussmann crée une nouvelle ville le rôdeur témoigne d’un Parisqui se transforme d’un temps qui meurt : Boulevard du Crime Hypothèses : Baudelaire nous emmène sur le Boulevard du Crime, il nous emmène voir des pièces de théâtre cruelles ou

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fantaisistes, que l’on peut voir dans l’ordre ou le désordre (le serpent décrit à Houssaye)Il se promène, incognito, au milieu de représentations de pièces qu’il a écrites.

JP Richard : la prose peut le renvoyer au tableau parisien, ou au poème en prose : car la peinture d’un univers brisé réclame une rhétorique de la rupture.Le poète y «trébuche sur les mots comme sur des pavés » ; il juxtapose sans lien interne de petits tableautins subtilement dissonants, donc chacun peut exister à part.

Laure : le poète nous invite à « trébucher sur les mots comme sur les pavés » où il nous présente ses « pièces ».

Tableaux parfois immobiles, parfois muets, mais souvent pleins de bruits.Tous ces bruits nous ramènent à l’idée de pouvoir jouer les poèmes.Le silence est souvent associé au tragique ou au dramatique : le vieux saltimbanque ou FancioulleLe bruit est souvent associé à la foule, à la liesse populaire

Peintre de la vie moderne, Eloge du maquillage : « C’est cette infaillible nature qui a crée le parricide et l’anthropophagie,et mille autres abominations que la pudeur et la délicatesse nous empêchent de nommer. »

Le fou et la Vénus : « un de ces fous artificiels » : l’adjectif est d’un emploi fréquent chez Baudelaire. Il s’oppose en général à « naturel ». Le mot « artifice » vient d latin artificium, formé de ars, « art » et facere, « faire ». Il désigne l’art, le métier. L’artificiel est alors ce qui est fait avec art, ce qui résulte de l’effort, du travail. Art, artiste, artificiel, artifice, appartiennent à la même famille et traduisent le labeur difficile et ingrat du créateur.

Même quand le spectacle n’est pas réel, il en parle avec un vocabulaire théâtral.La chambre spirituelle delà Chambre double est le théâtre d’unevie somnambulique.Décor luxueux patiné par le temps.

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3 Le spectacle selon Baudelaire   : la violence

Baudelaire et la violence, va à l’encontre de la mode du moment.Charle : On sait combien les mécanismes économiques du marché du spectacle, la modification toujours en partie mystérieuse des goûts dominants, sont déterminants dans « la recherche du succès ». A Paris, la tendance est à l’effacement progressif des distinctions de genres au profit de la « dénomination vaguede pièce » (p. 224) dans un contexte général de déclin du drame et du sujet sérieux.

A – La violence sociale

A - La nécessité

Kopp : Parmi les projets de romans et de nouvelles, on trouve cette note : « Supposer un pauvre affamé voulant profiter d’unefête publique et d’une distribution de vivres pour manger. Il est bousculé et assommé par la multitude. »

La nécessité jusqu’à l’extrême : La femme sauvage et la petite maitresse XI« Il a enchainé sa femme légitime comme une bête, et il la montre dans les faubourgs, les jours de foire (…) ».La corde XXXScène qui se passe dans l’atelier d’un peintre, qu’on suppose être dans la ville. Extrême nécessité de l’enfant.

Labarthe : il y a aussi chez l’enfant la violence irrépressibledans Le Gâteau. L’enfant est entre la naïveté et la vilenie.Le satanisme de l’enfant est dans sa voracité naturelle, dans son caractère brut et animal : les « glapissements » dans « LesPetites Vieilles », dans « les rires étouffés » du petit page..Baudelaire compare le sourire des enfants « au balancement de queue des chiens ou au ronron des chats » (De l’essence du rire, 1855).

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Dans « Les yeux des pauvres »le plus petit devant le café rutilant : « trop fascinés pour exprimer autre chose qu’une joie stupide et profonde ».

A l’opposé, le rire de l’enfant est comparé au « balancement dequeue des chiens ou au ronron des chats. Et pourtant, remarquezbien que si le rire des enfants diffère des expressions du contentement animal, c’est que ce rire n’est pas tout à fait exempt d’ambition, ainsi qu’il convient à des bouts d’homme, à des Satans en herbe. » Cette « animalité » se remarque dans les cris ou les attitudes des enfants entrevus dans « Le Désespoir de la Vieille » ou dans « Les Veuves ».De plus la vie moderne corrompt l’innocence enfantine, qui disparait derrière la violence ou l’ambition. Les « petits sauvages » affamés du « Gâteau » ou le petit page espiègle dontle coup de sifflet provoque la mort de Fancioulle démentent la thèse rousseauiste selon laquelle la bonté est naturelle chez l’homme, ainsi que l’innocence chez l’enfant. Pourtant la fraternité et l’égalité demeurent possibles, comme le montre lejeu de l’enfant riche et du petit souillon dans « Le Joujou du Pauvre ».

Figure de l’enfant dans « La Corde » : marionnette entre les mains du peintre.La dernière figure allégorique nous est proposée dans « La Corde », mais dans un registre tragique. Le modèle, que le peintre a représenté « tantôt en petit bohémien, tantôt en ange, en Amour mythologique », portant « le violon du vagabond,la Couronne d’Epines et les Clous de la Passion, et la torche d’Eros » résume, dans la vie réelle et la « vie picturale » quilui sont prêtées par l’auteur, de multiples aspects de la personnalité de l’auteur : l’amour pur ou charnel, le musicien vagabond, l’ange, le Christ proche de la crucifixion. Mais, souffrant « de crises singulières de détresse précoce (…)il manifesta bientôt un gout immodéré pour le sucre et les liqueurs », qu’il volait pour calmer ses crises d’angoisse. Menacé d’être « chassé du paradis » que représentait pour lui l’atelier, il se pendit.

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« Pourquoi donc reste-t-elle volontairement dans un milieu où elle fait tâche si éclatante ? Mais en passant curieusement auprès d’elle, je crus en deviner la raison. La grande veuve tenait par la main un enfant comme elle vêtu de noir ; si modique que fût le prix d’entrée, ce prix suffisait peut être pour payer un des besoins du petit être, mieux encore, une superfluité, un jouet. »Le peu d’argent qu’elle a, elle veut sans doute le consacrer à un DIVERTISSEMENT pour l’enfant : un jouet, dérisoire mais essentiel pour un enfant. Elle sacrifie bien sûr son plaisir à elle d’écouter de la musique, pour le plaisir de l’enfant tout à fait ingrat.

Labarthe : La Corde : « histoire extraordinaire » selon Blin, « conte cruel » selon R. Kopp, est un fait divers : le suicide du petit Alexandre, modèle de Manet pour L’Enfant aux cerises ou l’estampe Le Garçon et le chien.Réalisme outré, « une ficelle fort mince qui était entrée profondément dans les chairs » et qu’il faut, « avec de minces ciseaux », aller chercher « entre les deux bourrelets de l’enflure ».Le peintre du poème : « Il a posé plus d’une fois pour moi, et je l’ai transformé tantôt en petit bohémien, tantôt en ange, tantôt en Amour mythologique. Je lui ai fait porter le violon du vagabond, la Couronne d’Epines et les Clous de la Passion, et la Torche d’Eros. »Bohémien, ange, Cupidon, Christ aux outrages, il n’est guère d’avatar que le maitre n’ait imposé à l’enfant, dans une utilisation esthétique restée aveugle à la souffrance de l’enfant.Cet enfant a été, ne l’oublions pas, l’objet d’un troc : achetépour le charme de sa « physionomie ardente et espiègle », nettoyé, dans un accès de bienheureuse philanthropie, de la « répugnante patine de la misère ». Il devient, dans la variétédes poses, un hochet entre les mains du peintre.Telle est la logique cruelle qui a mené l’enfant au suicide : souffrant la torture d’une privation d’amour, il a répondu à l’occulte violence dont Il était l’objet en incarnant tragiquement ce qui n’était que pose d’atelier.Il ne s’agit que d’un homicide involontaire.

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B - Le rire

Le rire est un effet cherché par le divertissement, mais le rire est aussi une violence faite à l’autre.De l’essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques 1855Le rire est en principe pour Baudelaire satanique : il est incompatible avec la sagesse. Le satanisme du rire réside pour Baudelaire dans l’orgueil qui en est la source inconsciente ou non. Si il m’arrive de rire de quelqu’un qui trébuche au bout d’un trottoir parce qu’il a l’esprit ailleurs, cela a sa racinedans mon sentiment de supériorité, dont je ne suis peut-être pas conscient mais que la réflexion peut dévoiler : moi je ne tombe pas moi je marche droit.Cette interprétation du rire et loin d’être nouvelle : on trouve chez Platon l’idée que le rire exprime la méchante joie qu’on peut éprouver du mal d’autrui. « Le rire d’un public est toujours plus ou moins d’ignorance et de faiblesse » Il est toujours explicitement ou implicitement collectif « Notre rire est toujours le rire d’un groupe ».Le rire est une arme qui sert la société : il corrige les écarts il est une marque de dissidence qui relève de la distraction mais également de l’excentricité.Ironie : par le biais de l’antiphrase, de l’humour, de la raillerie, de la cruauté.Utilisation de l’autodérision avec les figures du double : Le fou et la Vénus, La chambre double, Les bons chiensL’ironie est une marque essentielle de la modernité (absente dans la poésie classique, qui célèbre la beauté universelle et intemporelle). Attitude qui permet de conjurer le tragique de l’existence et l’absurde du « néant vaste et noir ».Occurrence du sourire et du rire« un de ces grands abandonnés, au rire éternel condamné, et quine peuvent plus sourire »connivence ?moquerie ?joie, gaieté ?

Le grotesque – dont la caractéristique principale est justementla violence

De l’essence du rire : Avec une plume, tout cela est pâle et glacé. Comment la plume pourrait-elle rivaliser avec lapantomime ? La pantomime est l’épuration de la comédie ; c’en

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est la quintessence ; c’est l’élément comique pur, dégagé et concentré.

1ere occurrence : la vieille2e : chambre double3 : le flaconLa chambre double : Dans ce monde étroit, mais si plein de dégoût, un seul objet connu me sourit: la fiole de laudanum; une vieille et terrible amie; comme toutes les amitiés, hélas! féconde en caresses et en traîtrises.Le laudanum comme ticket d’entrée au théâtre, vers un monde de traitrise, de mensonge, de caresses1er sourire : sourire du traitre, pas du bonheur

Occurrence : un de ces bouffons volontaires chargés de faire rire les rois quand le Remords ou l'Ennui les obsède, affublé d'un costume éclatant et ridicule, coiffé de cornes et de sonnettes, tout ramassé contre le piédestal, lève des yeux pleins de larmes vers l'immortelle Déesse.Chargé de faire rire : distraire et dire la vérité à la fois : alliance du beau et du grotesqueMais l'implacable Vénus regarde au loin je ne sais quoi avec ses yeux de marbre. Yeux aveugles absence du regard, la beauté s’est détournée du spectacle affligeant du bouffon

Occurrence : Et le chien, en frétillant de la queue, ce qui est, je crois, chez ces pauvres êtres, le signe correspondant du rire et du sourire

C - La condition de l’artiste

Kopp : la figure de l’artiste et les problèmes d’esthétique occupent une place importante dans les PPP. Plusieurs pièces sont consacrées à la condition de l’artiste (Le Chien et le flacon, Le Vieux Saltimbanque, Une mort héroique) ou à l’attitude de celui-ci face à la Beauté (Le Fou et la Vénus).

L’assimilation au Vieux saltimbanque abandonné et prostré dans l’attente de la mort, enrichit encore le poète en proposant

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d’autres dimensions, plus en rapport avec sa condition d’artiste.« Je viens de voir l’image du vieil homme de lettres qui a survécu à la génération dont il fut le brillant amuseur ; du vieux poète sans amis, sans famille, sans enfants, dégradé par la misère et par l’ingratitude. »Le fou, « un de ces fous artificiels, un de ces bouffons volontaires chargés de faire rire les rois quand le Remords ou l’Ennui les obsède », au pied d’uns statue de Vénus, symbolise toujours l’artiste cette fois ci en quête de béate idéale, maisignoré par l’altière et indifférente déesse. Cette attitude du suppliant traduit bien la recherche périlleuse et souvent décevante de l’absolu. Fancioulle le mime, divin et muet, incarne le destin tragique dl’artiste dont la chute mène irrémédiablement à la mort, puisque le retour à la réalité s’impose dans une nudité brutaleet fatale, et montre le caractère illusoire de l’art

La nécessité extrême est aussi celle de l’artiste : la chambre double : « (…) ce taudis, ce séjour de l'éternel ennui, est bien le mien. Voici les meubles sots, poudreux, écornés; la cheminée sans flamme et sans braise, souillée de crachats, les tristes fenêtres où la pluie a tracé des sillons dans la poussière (…) Et ce parfum d'un autre monde, dont je m'enivraisavec une sensibilité perfectionnée, hélas! il est remplacé par une fétide odeur de tabac mêlée à je ne sais quelle nauséabondemoisissure. On respire ici maintenant le ranci de la désolation.»

Labarthe : LES FIGURES DE L’ARTISTEDramatisation extrêmement de l’énonciation : presque tous les poèmes racontent un échange. Le je ne cesse de se diviser en une série de personnages ou de voix, qui sont autant de masquesde l’artiste : l’étranger, le solitaire, l’homme des foules, letyran mélancolique, l’enfant.Il ce cherche au travers des silhouettes de vieux saltimbanque,de fou, de mendiants et de pauvres. On peut y voir soit des tableaux, soit des pièces de théâtre à mon avis.Entrer dans la modernité, c’est entrer dans l’horreur : l’étranger et la vieille sont, au seuil de la journée du flâneur parisien, les représentants d’une humanité hors course.

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L’enfant a qui la vieille veut plaire lui oppose un hérissementde terreur.

et nous faisons horreur aux petits enfants que nous voulons aimer!

personnage trivial : femme et pauvreEnfant comme double de la vieille « comme elle sans dents et sans cheveux » – enfant=public (à qui l’on veut plaire) et vieille=écrivain (qui veut plaire mais qui est rejeté), voir LeVieux Saltimbanque

1ere occurrence du mot « risette » : la vieille cherche à plaire, comme l’artiste cherche à plaire au public

Rejet de l’enfant : scène de violence « nous faisons horreur »,le public rejette l’artisteL’enfant glapit : 1ère interaction, 1er rejet, 1er regard, 1ere incommunicabilité, 1er cri Jeu de regard, mais répulsion.« femelle » : ramène à l’animalité de la vieille, à sa laideur puisqu’elle fait peurScène sans décor : on ne sait pas où on est, pourtant on imagine la rue derrièreLa vieille est un monstre puisqu’elle est pauvre et exclue et moche

B – Scènes de violence physique

La Femme sauvage évoque un de ces spectacles de foire auxquels Baudelaire aime à conférer une signification symbolique (les foules, les veuves, le vs). Le personnage de la femme sauvage était fort répandu à l’époque. Il figure dans « Paris, ou le Livre des cent et un » 1831, article « Charlatans, jongleurs, phénomènes vivants, etc. » où « unefemme sauvage mange de la viande crue ». Sur la scène du Vaudeville : voir la pièce Les Saltimbanques de Dumersan et de Varin, crées en 1838).

Staro : Une mort héroïque : « La relation du bouffon et du prince, dans ce récit, est de nature sadique, la cruauté appartenant à titre égal à chacun des deux héros. Fancioulle a trempé dans une conspiration où l’on projetait d’abattre le prince. Le bouffon, bien qu’il fût presque un des

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amis du prince, s’est laissé attirer, comme Baudelaire en 1848,par l’ivresse d’une aventure révolutionnaire. Dénoncé, arrêté, apparemment gracié, il n’est plus entre les mains du prince quela victime d’une vengeance raffinée. Ce prince artiste va chercher à tromper son ennui en organisant une exécution hors du commun. Il promet à Fancioulle la vie sauve à condition que celui-ci joue à la perfection l’un de ses meilleurs rôles. Bienque le récit évoque une renaissance imaginaire, l’art de Fancioulle est celui de Debureau : rôles muets ou peu chargés de paroles…Fancioulle se surpasse. Mais un enfant, aposté par le prince, fait soudain entendre un coup de sifflet. Ce signe brutal de désapprobation interrompt Fancioulle dans un de ses meilleurs moments.

La femme sauvage et la petite maitresse XI« Il a enchainé sa femme légitime comme une bête, et il la montre dans les faubourgs, les jours de foire (…) ».

Meurtre de la femme dans Portraits de maitresse. Motif : la perfectionPresque meurtre dans Le Galant Tireur

ce qui participe de la violence : les sons, les cristragédie : on cherche à se reconnaître dans les drames vécus par les autres.On exorcise les peurs en les montrant.Etymologie du mot : monstre= transition vers Les monstres« La Femme sauvage et la petite-Maitresse »extrême violence dans ce poème, violence physique et morale du « spectacle » proposé.« cette solide cage de fer derrière laquelle s’agite, hurlant comme un damné, secouant les barreaux comme un orang-outang (…)ce monstre poilu dont la forme imite assez vaguement la vôtre. Ce monstre est un de ces animaux qu’on appelle généralement « mon ange ! », c’est à dire une femme. »elle est une « bête féroce » qui « déchire des lapins vivants et des volailles piaillantes », dont les « boyaux dévidés restent un instant accrochés » aux dents.

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A la fin, exaspéré, il pense en toute simplicité à la jeter parla fenêtre, où à la battre comme plâtre comme le mari de la femme sauvage….

Thélot : fête est comme un mal contagieux : un désordre organisé, ce « délire officiel d’une grande ville ». Sa force d’attraction est telle qu’elle emporte le solitaire « lui-même ». Idée d’un délire « fait pour troubler  le cerveau du solitaire le plus fort» (dans « Un plaisant »). Rien ne résisteà cette foule délirante. Triomphe du mimétisme, de l’indifférenciation contagieuse.« Une mort héroïque » représente cette contagion de la violence. Quand Fancioulle subjugue ses spectateurs sur sa scène de fin du monde, « le Prince lui-même », « enivré, mêla ses applaudissements à ceux de la cour ».

Thélot : La fête selon Baudelaire est le recommencement du chaos, « lumière, poussière, cris, joie, tumulte ».La bâton est une arme, qu’il soit bâton de sucre dans le VS ou véritable dans « La femme sauvage », « qui n’est pas un bâton de comédie », avec lequel l’homme martyrise sa femme.

Covin, transition : un critique nommé Desjardin : « Baudelaire est plus préoccupé d’enfoncer l’image dans le souvenir que de l’orner et de la peindre. Orner, peindre, réclame du temps. Le temps long d’une exhibition et d’une représentation. Orner et peindre sont incompatibles avec cet art de l’instantané dont ona vu qu’il devançait même, avec Baudelaire, les possibilités techniques de la photographie.« Enfoncer l’image dans le souvenir » : cela exige la vitesse, la transcription rapide, grâce à quoi l’image gardera toute sa puissance d’impact. Mais c’est au prix d’une certaine brutalité : l’image qui entre dans la mémoire est une image brute. L’image ne trouve donc jamais le temps de se représenter, dans les deux sens du terme : mise en scène et recommencement. Elle n’est qu’entrevue.

Violence subie

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De nombreux critiques parlent de la cruauté, voire du sadisme de Baudelaire à l’égard des autres.Les relations qu’il entretient avec ses semblables sont effectivement complexes et ambiguës.

Labarthe : UNE DUALITE ESSENTIELLE : LYRISME/CRITIQUEPlus Baudelaire avance dans les PPP, plus se fait violent le scepticisme qui mine l’ordre du rêve, et cela au nom de la « finitude » qui confronte à tous les modes de « l’Irrémédiable ».Les dualismes s’exaspèrent : rêve/réalité, Dieu/Satan, « horreur de la vie »/ »extase de la vie », mysticité/sadisme, envol, chute, « surnaturalisme »/ « ironie ».Exemples :L’étranger/Le Soupe et les nuagesLaquelle est la vraie ?/Les bienfaits de la luneLe plus souvent, cette tension se retrouve dans La Chambre double : elle oppose brutalement la chambre spirituelle et la semonce du réel.Dans Le Vieux Saltimbanque, dans Les Yeux des Pauvres, même tension, « goinfrerie » contre « guenilles ». Aigreur du constat opposé aux embardées du rêve.Dans le Tir et le Cimetière : l’estaminet offre aux vivants un avant gout trivial du divin repos. Calembour d’une « bière » bue en face des tombes, paradoxe d’une luxuriance des éléments naturels, comme si l’ivresse de l’estaminet avait, par expansion, gagné l’acteur cosmique sourde « musique » des corpsen décomposition qui fait contrepoint à l’éclat frivole d’une humanité en mal de « divertissement ».

La chambre double : Brutale dictature : la réalitéComme un bœuf : animalité sordide, bourrique, esclave, réalité comme une damnation…

C – Vers la fin d’un monde

A – Un monde passé

Images d’un monde passé ou d’un monde en construction :Les yeux des pauvres : « Le soir, un peu fatiguée, vous voulûtes vous asseoir devant un café neuf qui formait le coin

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d'un boulevard neuf, encore tout plein de gravois et montrant déjà glorieusement ses splendeurs inachevées »Le vieux saltimbanque : « Je viens de voir l'image du vieil homme de lettres qui a survécu à la génération dont il fut le brillant amuseur; du vieux poëte sans amis, sans famille, sans enfants, dégradé par sa misère et par l'ingratitude publique, et dans la baraque de qui le monde oublieux ne veut plus entrer! »

Walter : Le poète moderne se fait donc l’allégoricien d’un monde en crise, en ruines même, dont il cherche à capter la redoutable contingence, à saisir l’essence transitoire. Car si la réalité se donne désormais sous la forme de morceaux épars, de traces d’où toute aura s’est absentée, il ne reste plus au poète qu’à laisser son auréole “dans la fange du macadam” et à se faire “chiffonnier”, inlassable récupérateur et collectionneur dérisoire des fragments de la vie moderne : « Voici un homme chargé de ramasser les débris d’une journée de la capitale. Tout ce que la grande cité a rejeté, tout ce qu’elle a perdu, tout ce qu’elle a dédaigné, tout ce qu’elle a brisé, il le catalogue, il le collectionne. Il compulse les archives de la débauche, le capharnaüm des rebuts. Il fait un triage, un choix intelligent. Il ramasse comme un avare un trésor, les ordures qui, remâchées par la divinité de l’industrie, deviendront des objets d’utilité ou de jouissance[60] .

Kopp : Les Projets, 2 textes profondément modifiés en vue de lapublication dans La Presse, qui n’a pas eu lieu. Voici le textede 1857 : « Mais à quoi bon de si beaux décors ? (…) Pourquoi cette vaste mise en scène ? (…) Le rêve ! Le rêve ! toujours lerêve maudit ! - il tue l’action et mange le temps ! »

Fin du monde dans Une mort héroique : le bouffon meurt au moment où il veut démontrer la toute puissance de l’art, dont le coup de sifflet dénonce le caractère illusoire.

Kopp : La fin du monde, thématique qui apparaît plus d’une foisdans les projets de romans (Un roman sur les derniers hommes, Les dernières palpitations du monde) : vu dans la Liste des projets

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Fusées : « Le monde va finir. (…) La mécanique nous aura tellement américanisés, le progrès aura si bien atrophié en nous toute la partie spirituelle (…) »

On peut apparenter ce recueil à un témoignage dont le but est de ne pas oublier : fixer un souvenir

Mémoires du baron Haussmann : « Je n’ai jamais arrêté le tracé d’une voie quelconque et à plus forte raison d’une artère principale sans me préoccuper du point de vue qu’on pouvait luidonner. » (II, p.185)Haussmann, est, à sa manière, un observateur. Il refait Paris comme le poète veut le refaire. Mais comme le remarque Pierre Lavedan dans sa « Nouvelle histoire de Paris », Haussmann est un classique. Son souci de la perspective n’est pas, comme chez le poète baudelairien, unefaçon de vivre la situation, mais au contraire de s’en préserver par la distance.Haussmann veut fixer dans la pierre le nouveau genre urbanistique.Pierre Lavedan énumère les caractéristiques du style haussmannien : rectitude, ordonnance, perspectives. Ainsi, le baron veut transformer la ville en tableau classique.Baudelaire lui veut plutôt sortir de tout tableau pour rentrer dans la vie, transformer la vie en poésie, et la ville en situation.

Les signes encore visibles du vieux Paris  provoquent la nostalgie de Baudelaire, tandis que les nouveaux décors haussmanniens servent tout au plus de repoussoir à la misère des pauvres qui les contemplent sans en jouir.

B - Une beauté perdue, une nouvelle à inventer

Kopp : Baudelaire explore les possibles voies d’une nouvelle poésie. Une poésie en prose qui ne soit pas simplement une prose poétique, mais la poésie d’un monde irrémédiablement devenu prosaïque. Un monde pour lequel ce que l’on appelait naguère « beauté » n’est plus qu’un souvenir.

O.C., II, p.168 : jusque vers un point assez avancé des temps modernes, l’art, poésie et musique surtout, n’a eu pour but que

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d’enchanter l’esprit en lui présentant des tableaux de béatitude, faisant contraste avec l’horrible vie de contention et de lutte dans laquelle nous sommes plongés. »

Charle : Le XIXe siècle a engendré la première société du spectacle.

Charle : Le spectacle est une invitation au rêve dans le temps et dans l’espace : ce siècle est celui du théâtre historique etde la féerie, de la pièce à effets spéciaux et de la revue à couplets où l’actualité se transforme en un carnaval des vanités de bons mots.

Staro : On reconnaît, dans cette idée, l’une des grandes nostalgies primitivistes du romantisme : les arts populaires, dans leur ingénuité anonyme, capteraient les sources vitales del’inspiration ; ils seraient l’expression spontanée du génie dela communauté. Un reste de grandeur épique y subsisterait. (…) Mais c’est là aussi un monde finissant, un phénomène en voie dedisparition, dont il faut se hâter d’aller gouter les derniers feux. La Commedia dell’Arte est morte ; il n’y aura bientôt plus de Pierrots, plus de spectateurs pour leur faire fête. (…) Dès la Restauration, (…) des écrivains (Charles Nodier et ses amis) fréquentent le théâtre des Funambules et rêvent de sauvercet univers féerique, menacé par le comique de mœurs. L’on constate, parmi le public bourgeois, des signes de désaffection ; l’on voudrait prêter main forte, enrichir et anoblir le répertoire de la pantomime. Nodier compose le Songe d’Or en 1829 ; ce sera ensuite le tour de Gauthier, puis de Champfleury (…). A la fin du siècle, le théâtre populaire sera définitivement mort (…). » fin du II

Mais on assiste à une confrontation de plus en plus réaliste ausordide, au ridicule, au dramatique de personnages plus ou moins proches de ceux qui les regardent. On y ressent la hargnequ’inspire le présent ou le désir d’oublier par la grâce de voyages dans les airs avec les saltimbanques.

Voir Théodore de Banville, Odes funambulesques, 1857.Page 26 « qu’il soit un héros sublime ou grotesque…….. il marche au dessus des fronts de la foule ».

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Envol de Ganymède : page 27 « je vois encore des boursiers, descritiques, des réalistes, plus haut ! plus loin ! de l’air ! dubleu ! » parallèle avec le mauvais vitrier « la vie en beau ! »Baudelaire prend ses distances avec cette poésie dans sa noticesur Banville : « Tout, hommes, paysages, palais, dans le monde lyrique, est pour ainsi dire apothéosé. » à lire

Le romantisme au théâtre diffère profondément de la modernité théâtrale fin de siècle.Les principes hugoliens discutent bien le canon classique le plus rigide, mais conservent nombre des conventions antérieures : la distance entre le personnage et le temps présent (préférence donnée aux pièces historiques), sa grandeurmorale, la passion qui l’habite, et, pour certains, leur rang social éminent créent une distance supplémentaire avec le spectateur ordinaire.Tout le contraire de Baudelaire.

Perte d’auréole : exprime le divorce du « poète », figure idéale, d’avec le « moi », figure réelle.

C - Un langage à réinventerStaro « Une acclimatation culturelle s’est ainsi effectuée, préfigurant ce qui se passera au XXe siècle pour « l’art nègre », pour le jazz, pour le music-hall. (…) L’on s’engoue d’un monde encore primitif ; on y cherche l’énergie archaïque, on y découvre des inspirations qui permettraient de rajeunir le« grand art ». (…) Les images archaïques, introduites dans le langage de l’art moderne, apparaitront comme les reflets d’un monde perdu (..).Laure : en renouvelant le langage, Baudelaire renouvelle les images et les « actualise », les ancre dans son présent.

Labarthe : Baudelaire dans « Fusées » : « Concevoir un canevas pour une bouffonnerie lyrique ou féerique, pour une pantomime, et traduire cela en un roman sérieux. Noyer le tout dans une atmosphère anormale et songeuse, - dans l’atmosphère des grandsjours. Que ce soit quelque chose de berçant, - et même de serein dans la passion. – Régions de la Poésie pure. » OC, I, p.664

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Ce précepte noue donc le « grotesque » et le « tragique », repose sur le projet d’une fusion des contraires qui définit aupremier chef « le réel du fantastique ».Rappel : le merveilleux est sans mystère mais le fantastique, lui, suppose la solidité du monde réel, pour mieux le ravager.

Comment la poésie est-elle encore possible dans un monde de la technique et du commerce, dans un monde qui se concentre dans les villes, dans une société où s’imposent les valeurs de la bourgeoisie ?La modernité de Baudelaire s’affirme comme une esthétique de rupture, d’innovation, d’avant-garde : il interroge et dépasse les formes traditionnelles, les genres et les codes littéraires.Il conteste l’autorité et la légitimité des modèles et s’engagesur la voie du neuf, de l’expérimental. Le poète aiguise la faculté de voir dans le désert de la grandeville et y reconnaît une mystérieuse beauté, jusque là inconnue. Il explore les voies qui peuvent conduire la banalitédu réel quotidien au mystère.

Le nouveau langage est peut être celui de la presse.Vaillant : Le journal, c'était le symbole même du monde moderne, c'est-à-dire de la décadence spirituelle. Il signifiait la disparition de la poésie, la substitution de l'utile au beau, de la technique à l'art, le culte de la matière, l'abolition de toute transcendance 

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