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Les proc6dures d'exclusiondescolldges professionnels et fun6rairessous le Haut-Empire : pratiques 6pigraphiques, norme collective et non-dits NicolasTran- << Non praetermittam ne illud quidem : M. Furium Flaccum, equitem Romanunt, hominem nequam, Capitolini et Mercuriales de collegio eiecerunt, praesentem ad pedesunius cuiusque iacentem >>1 Je ne dois pas non plus te laisser ignorer cet incident: M. Furius Flaccus, chevalierromain, un malhonndte homme, s'est'v.u expulser de son colldge par les Capitolini et les Mercuriales, alors qu'il assistaitd la seance et se trainait aux pieds de chacun de ses confreres. Dans la langue latine, le terme <<collegium ) est un mot vague, qui s'applique d des entit6s de differentenature. Ainsi, danscet extrait d'une lettre de Cic6rond son frdre Quintus, il d6signe l'entit6 form6e par des pr6tresdu culte public romain, et non des associations de droit priv6. La vie de ces dernidres associations, constitu6es sur un critdre professionnel ou soud6es par l'organisationd'un culte fun6raire, seraI'objet de notre enquOte. Les trois premierssidcles de notre dre,les II'et III'sidcles sutlout,en constitueront le cadre chronologique. En r6alit6, le passagecic6ronien apporte eclairaget6nu pofte, selon des modalit6s propres pr6cieuses informations, mOme si cet genre dpistolaire,sur des collectivit6s lI - Haute-Bretagne, membre de I'UMR 8585 de au x Maitre de conf6rences d'histoire romaine d (CentreG. Glotz). nicolastranfrz,lvoila.fr. ' Crc.. utl Q. Fr.,Il,5, a. 56 av. J.-C. I'universit6 Rennes

Les procédures d’exclusion des collèges professionnels et funéraires sous le Haut-Empire : pratiques épigraphiques, normes collectives et non-dits, dans Les Exclus dans l’Antiquité

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Les proc6dures d'exclusion des colldges professionnels

et fun6raires sous le Haut-Empire :

pratiques 6pigraphiques, norme collective et non-dits

Nicolas Tran-

<< Non praetermittam ne illud quidem : M. Furium Flaccum,

equitem Romanunt, hominem nequam, Capitolini et Mercuriales de

collegio eiecerunt, praesentem ad pedes unius cuiusque iacentem >>1

Je ne dois pas non plus te laisser ignorer cet incident:

M. Furius Flaccus, chevalier romain, un malhonndte homme, s'est'v.u

expulser de son colldge par les Capitolini et les Mercuriales, alorsqu'il assistait d la seance et se trainait aux pieds de chacun de ses

confreres.

Dans la langue latine, le terme <<collegium ) est un mot vague, qui s'applique d desentit6s de differente nature. Ainsi, dans cet extrait d'une lettre de Cic6ron d son frdre Quintus, ild6signe l'entit6 form6e par des pr6tres du culte public romain, et non des associations de droitpriv6. La vie de ces dernidres associations, constitu6es sur un critdre professionnel ou soud6espar l'organisation d'un culte fun6raire, sera I'objet de notre enquOte. Les trois premiers sidclesde notre dre, les II'et III'sidcles sutlout, en constitueront le cadre chronologique.

En r6alit6, le passage cic6ronien apporteeclairage t6nu pofte, selon des modalit6s propres

pr6cieuses informations, mOme si cetgenre dpistolaire, sur des collectivit6s

lI - Haute-Bretagne, membre de I'UMR 8585

de

au

x Maitre de conf6rences d'histoire romaine d(Centre G. Glotz). nicolastranfrz,lvoila.fr.' Crc.. ut l Q. Fr., I l ,5, a. 56 av. J.-C.

I'universit6 Rennes

N. TRAN

diff6rentes de celles que nous 6tudierons. A l'6poque de Cic6ron, les Capitolini et lesMercuriales correspondent d de vieux colldges religieux. Ainsi, c'est ir Camille, organisant en390 av. J.-C. le service des jeux capitolins. que Tite-Live2 attribue la cr6ation du collegiumCapitolinorum. Qtant au collegium mercatorum ot collegium Mercurialium, celui-ci aurait 6t6institu6 dds 495 av. J.-C., au moment de la dddicace d'un temple de Mercure, situ6 au pied deI'Aventin3. Aux ides de chaque mois de mai, des pr6tres c6l6braient I'anniversaire de cetted6dicace. Les premiers desservants auraient 6t6 choisis parmi les marchands de I'Aventin. DemOme, le collegium Capitolinorum orrginel aurait 6t6 constitu6 d'habitants de la colline duCapitole et de l'Arx. De fait, s'il a jamais exist6, ce type de recrutement n'a plus cours audernier sidcle de la R6publique. M. Furius Flaccus est un aristocratea. Chevalier romain, il estd'une condition bien sup6rieure d celle des membres de colldges professionnels ou fun6raires,de son temps et des 6poques post6rieures.

<<M. Furium Flqccum... Capitolini et Mercurictles de collegio eiecerunt >. Cic6rond6crit ici une mesure d'exclusion de manidre d la fois trds explicite, trds vivante et trds rapide.L'anecdote est livr6e au d6tour d'une lettre, sans les d6tails que le lecteur aimerait connaitre.Sans doute le personnage chAti6 6tait-il bien connu de Quintus, ce qui expliquerait la mention deson renvoi. Sans doute cette mesure 6tait-e1le assez exceptionnelle pour faire scandale dans lescercles aristocratiques romains. Quoi qu'il en soit, ne sont v6ritablement d6crites ni lesmotivations des Capitolini et des Mercttriales, ni les modalit6s de leur prise de d6cision. Toutjuste peut-on s'appuyer sur les mots choisis par Cic6ron pour raconter l '6viction de Flaccus.

Qualifi6 de <<neqttam >, de vaurien, ce dernier a dt se rendre coupable d'actes indignes. I1 esttentant de pr6sumer que le jugement moral de Ciceron et les griefs des pr6tres sont 1i6s, d'unemanidre ou d'une autre. N6anmoins, on ignore si Flaccus s'est rendu coupable d'actes indignesau sein m€me du colldge, ou en dehors. Par ailleurs, d travers I'expression << de collegioeiecerunt, praesentem >, se dessine I'image d'une comparution de type judiciaire, aboutissant dl'6nonc6 d'une sentence. Enfin, Cic6ron achdve son trds bref r6cit par une image cocasse, telleque l'dpigraphiste n'en rencontre jamais. N6anmoins, les sources relatives aux proc6duresd'exclusion des colldges professionnels et fun6raires du Haut-Empire parlagent plusieurs pointscommuns avec I'extrait cic6ronien.

Tout d'abord, l'information relative aux mesures de renvoi des colldges s'illustre par sagrande raret€,, et par ses carences qualitatives. Dans la somme historiographique sur les colldgesromains, l'Etucle historique sur les corporations professionnelles publi6e par J.-P. Waltzing dpartir de 1895, la question est trait6e en trois lignes, dans une note de bas de page5. Le sujetm6rite sans doute de plus amples d6veloppements. Toutefois, la pauvret6 des sources est

' L tv . , V ,50 ,4 ; G. Wtssow,q . , kE, 1899, l l l ,2 , s .v . <<Cap i to l in i > , co l . 1529-1530; id . , Re l ig ion und Ku l tus derRcimer, I9I2 (Munich), p. ll7-404; F. CoARELLI , <<Magistri Capitolini e mercanti di schiavi nella RomaRepublicana >>, Index, XV, 1987, p. 175-190.3 FEsr., LL;Lw., 11.27.5; Ov., Fast.699. G. Wtssowa, op. ci t . , p. 305 ; B. Col,reEr-FaRNoux, << Mercure romain,les 'Mercuriales' et f inst i tut ion du culte imp6rial sous 1e Principat augusteen r>, ANRI4/,I I , 17, l , 1981, p. 475-478,r6cuse I'id6e selon laquelle le collegium Mercttrialium, d vocation sacerdotale, peut etre assimile ir un colldgeprofessionnel.o C. NtcorEr, L'ordre 1questre ii I'ipoque rtpublicaine (3 12-43 av. J.-C.),1974 (Paris), tome lI, p. 891.'J.-P. WerrzlNG, Etude historiquesur les corporations professionnelles chez les Romains,l895-1900 (Louvain), I,o . 378" n .4 .

LES PROCEDURES D' EXCLUSION

indeniable : elle invite d conjuguer deux d6marches compl6mentaires. Dans un premier temps, il

convient de dresser l'inventaire exhaustif des pratiques d'exclusion et des cas individuels de

renvoi. Depuis J.-P. Waltzing, le dossier s'est accru au fil des publications 6pigraphiques, mais

il demeure trds mince. Tout indice m6rite d'6tre traqu6 avec minutie. De fait, 1'enqu6te repose

en parlie sur une approche du non-dit, de I'implicite. L'analyse des textes r6vdle parfois que des

proc6dures d'exclusion n'ont pas pu ne pas avoir 6t6 appliqu6es. Aussi, dans un deuxidme

temps, convient-il de s'interroger sur le non-dit, sur I'origine m0me de la pauvret6

documentaire.

Les colldges professionnels et fun6raires du Haut-Empire sont des structures

d'int6gration et se mettent en scdne comme telles. Associations volontaires6, ils donnent accds d

un espace collectif de fr6quentation sociale, oi des individus peuvent accumuler un capital

personnel de respectabilit6. Le groupe intdgre en s6lectionnant de nouveaux membres, attir6s

par ses valeurs et les comportements dictds par celles-ci. Si l'on se fie d la tonalit6 de f immense

majorit6 des textes, l'adh6sion d des structures de convivialit6 et la mise en Guvre collective de

strat6gies sociales communes parait conduire d un consensus hatmonieux. Tel est le discours

6pigraphique 6labor6 par les collegiati. Mais. d y regarder de prds, le colldge apparait aussi

comme un microcosme travers6 par des tensions, et pratiquant I'exclusion. Dds lors, comment

penser la relation entre les m6canismes d'int6gration et les proc6dures d'exclusion propres aux

colldges romains ? Et comment expliquer leur trds in6gale repr6sentation dans la production

6pigraphique des colldges ?

Le renvoi d'un colldge d6coule d'une proc6dure strictement d6finie. De fait, les

collegiati donnent ir leurs d6cisions une apparence judiciaire que la correspondance de Cic6ron

semble laisser entrevoir. Leur attitude s'inscrit dans une logique d'organisation : les colldges du

Haut Empire sont r6gis par des rdglements pr6cis, les leges collegiorum. Certes, la port6e de ces

rdglements semble r6duite7. Le juriste GaiusR distingue ainsi la pactio conclue entre sodales de

\a lex publica. Devanr les tribunaux ordinaires, les justiciables ne peuvent sans doute pas se

fonder sur les seules dispositions de la pactio. N6anmoins, l'6laboration de la rdgle communejoue un rdle structurant, qui d6passe de loin la valeur l6gale de 1'6nonc6. Le groupe d6finit sa

norrne, autant que la noffne le d6finit, d6finit ses activit6s, ses ressources et parfois m€me sa

composition. L'int6gration au groupe et 1'acceptation de la norme commune sont

consubstantielles. < Tu qui novos (sic) in hoc collegio intrare vole[s, pJrius legem perlege>>,

affirme la loi du collegium Dianae et Antinoi de Lanuvium. Cette table 6pigraphique c6ldbre,

dat6e de 1'ann6e 136, est une source essentielle de la connaissance des pratiques r6glementaires

6 Les colldges correspondent d des associations volontaires dans le sens ou 1'adh6sion ir un college ne rdpond pas d un

principe d'automaticit6. Que I'engagement dans un colldge ait pu s'imposer de lui-m0me, sous le poids de

d6terminations sociales ind6pendantes des volontes individuelles, est un autre probldme. Certes sans trds grande

limpidit6, la documentation laisse tout de m6me entendre que les nouveaux membres 6taient officiellement admis

dans les colldges aprds en avoir manifest6 la volonte, et aprds l'acceptation de leur candidature. Cf. infra, n. 18.t A. Meconraw, La loi i i Rone. Histoire cl 'un concept, 1978 (Paris), p.46-49; J.-M. Frawaru, u Ei6ments pour

une approche financidre de la mort dans les classes populaires du Haut-Empire. Analyse du budget de quelques

colldges fun6raires de Rome et d'ltalie >>, La mort. Les morts et I'au-delii dans le ntonde romain, 6d. par F. HINARD,

Actes du col loque de Caen (20-22 novembre 1985),1987 (Caen). p.213-214.t D ie . .4 i .22 .4 .

N. TnaN

des colldgese. La ddfinition et la mise en ceuvre de proc6dures d'exclusion procddent donc d'unplus large phdnomdne. La vie coll6giale donne naissance d un cadre d'arbitrage, d la foisextraldgal et congu ad exemplttm rei publicae. La connaissance des proc6dures d'exclusion descolldges peut progresser par l'6tude de ce cadre juridictionnel et de la documentation6pigraphique qui en 6mane.

A la diff6rence de I'extrait 6pistolaire cit6 en exergue, la documentation relative auxcolldges professionnels et fundraires du Haut-Empire n'est pas narative. En I'espdce, l'6crit6pigraphique se distingue du r6cit, pr6sent6 par un commentateur 6tranger d l'6v6nement d6crit.Au contraire, l'6crit 6pigraphique est, d plusieurs titres, partie prenante des proc6duresd'exclusion. Lorsqu'il 6nonce la norme, cet 6crit est une r6ference de type l6gal qui serl dmotiver le renvoi. En aval de la proc6dure, 1'6crit rev6t une fonction d la fois pratique etsymbolique d'enregistrement des sentences, par le biais du martelage.

La loi des ivoiriers et 6b6nistes romains

Un document unique, un seul rdglement coll6gia1, assimile le martelage d'un albumcoll6gial d I'ex6cution d'une sentence d'exclusion. I1 s'agit de la loi des ivoiriers et 6b6nistes dela ville de Rome, des negotiatores eborarii et citriarii r0. Ces fabricants et commergants demobiliers de luxe11 formaient un colldge, dont le siege devait se trouver dans le quartier actueldu Trastevere. Le grand fragment sur lequel ils apparaissent, une table de marbre bris6e dgauche, haute de 52 cm et large de 59, y a 6te d6couvert. Seule la fin du texte est assez bienconser-v6e. Celui-ci formait deux colonnes, surmont6es par un titre inscrit en lettres de plusgrande taille. La trouvaille a 6t6 faite d I'angle de la piazza San Callisto et du vicolo dellaCistema, en 188612. Cerles, la pierre a pu 6tre d6plac6e de son site d'exposition. N6anmoins, ilest vraisemblable que cet emplacement originel 6tait proche du lieu de d6couverte. D'autantplus que la fouille de 1886 a 6t6 fructueuse. I1 est tentant de rapprocher la mention 6pigraphiquede la scholq coll6giale de la mise au jour de vestiges architecturauxrs ldes restes de colonnes, dechapiteaux et d'enduits peints) et d'un fragment de d6dicace d Silvain'0. Sans doute la d6votiond'artisans du meuble envers le dieu des bois peut-elle sembler assez naturelle. Quant dl'architecture de 1'6difice coll6gial, le texte r6glementaire y fait allusion, en 6voquant soncaractdre t6trastyle. Le colldge dispose de ce bAtiment, situe sur l'espace public ou sur unepropri6t6 priv6e, au titre d'un ias conc6d6 par son bienfaiteur ou grdce d son bienfaiteur, Iulius

' CIL,XIy,2112 (D.,7212),I , l8-19. Pour les passages cit6s et traduits de ce document, nous nous appuyons sur letravai l de J.-M. Ft-er,teano, /oc. ci t . ,p.225-234.

" ' c IL ,v t ,33885 (D. , 7214) .t t A. Meu, RE,V,2, 1905, col. 1898, s.v. <<Eborari i >: <Die Zusammenfassung der E. und citr iar l i in einemKollegien erkliirt sich daraus, dass Luxusmobel aus Elfenbien und Citrusholz gemacht wurden und gewiss oft beideHandwerke von deseiben Personen geribt wurden ; beide zusammen bilden die Profession der Luxustischler >.t' Notirin degli scavi cli Antichitd, 1887, p. 18;L. Bonsant, < Di un importante frammento epigrafico rinvenuto nelTratsevere >,BCAR,1887, 3's6r., p. 3-7.; L. RICHARDSIN,A new topographical dict ionarv qfancient Rome,1992(Baltimore), p. 346, s.v. <<schola: citrarii et eborarii ); E.M. SrErNev, Lexicctn topographicum Llrbis Romae, IY,1999 (Rome), p. 253. s.v. << schola : citrarii et eborarii >.tt H. Bottlae.NN, Rorulsclre Vereinshciuser. [Jntersttchungen zu den Scholae cler rcimischen Berufs-, Kult- undAugttstalen-Kollegien in Italien, 1998 (Mayence), p. 270-27 | .

" cL,vl,3lol4: < [sancJto Si lu[ano] >.

LES PROCEDURES D'EXCLUSION

Aelianus. Dans la maison du colldge, se tenaient des banquets pendant lesquels des distributionsavaient lieu. Les epula et les divisiones sportularum visaient d c6l6brer les anniversaires dubienfaiteur, de son fils et de l'empereur: Hadrien, au moment de la promulgation de la lexcollegiit5. L'essentiel du texte conserv6 porte sur ces c6r6monies, tandis que la partie perduefixait sans doute I'organisation de la communaut6.

Les lignes 4 it 6 du texte consery6, qui 6taient dispos6es au d6but de la seconde colonne,posent le principe du renvoi des curatores qui auraient proc6d6 d I'inscription frauduleuse denouveaux membres : << [ItemJ placere, ut si qlius quam negoticttor eborarius aut citriarius /[pJer [frJaudem curatorum in hoc collegium adlectus esset uti curotores eius / [cauJsa ex qlboraderentur ab ordine >16. L'appartenance au colldge est conditionn6e d I'exercice du m6tier. Legroupe perdure par I'int6gration contr6l6e de nouveaux membres. Et les proc6dures d'exclusionrepr6sentent un instrument de contrdle de I'effectif coll6gial. Le groupe semble se pr6munird'intrusions motiv6es par les avantages mat6riels d6coulant de la qualit6 de collegiatus. LaJbmilia Siluani de Trebula Mutuesca, connue par un texte r6glementaire que nous examineronsplus en d6tail par la suite, vient d I'esprit. Une clause du rdglement de ce colldge fun6raire de lafin de l'6poque julio-claudienne condamne la prdsence d'intrus, d'extranei,lors des banquetscommunautaireslT. En outre, les mesures de renvoi du colldge des ivoiriers et des 6b6nistess'appliquent d un type de grief attest6 par ailleurs. Ainsi, dans un fragment conserv6 at Digeste,le juriste Marcien envisage I'accueil d'esclaves dans des collegia tenuiorum,les associations depetites gens. L'adh6sion est frauduleuse lorsque y procedent des curatores qui ne se sont pasassur6 du consentement du maitrer*. Les tribunaux ordinaires saisis par les proprietairesd'esclaves doivent infliger une lourde peine d'amende aux curateurs fautifs. La loi des ivoirierset 6b6nistes, pour sa part, n'6voque que des dispositions internes au colldge.

Autant que le vocabulaire employ6 par les collegiati permet d'en juger, les proc6duresd'int6gration et d'exclusion semblent fond6es sur des principes et des actes analogues. L'entr6edans le colldge prend la forme d'une adlectio. Ce mot, comme d'autres termes utilis6s pourd6crire l'accueil de nouveaux membres dans une associationle, semble indiquer que les

" Hadrien n'est pas qualifi6 de divus. La pal6ographie confirme semble-t-il la datation propos6e.'u u ll a 6t6 d6cid6 que si quelqu'un d'autre qu'un marchand d'ivoire ou d'6bdne 6tait admis dans ce colldge par lafraude des curateurs, alors, pour cette raison, les curateurs seraient ray6s de l'album par I'ordre >.t1 AE,1929, 16l. Pour les passages cit6s et traduits de ce document, nous nous appuyons sur le travail deJ.-M. FLAMBARo, loc. cit., p.221-223. Sur la lex.familiae Siluani, cf. R. PanteEN, < Monteleone Sabino. Iscrizione diun santuario di Si lvano )), ,^/Sl, LI l l , 1928, p.387-397; E. Vrrren, <<Dtefamil ia Si lvani inTrebula Mutuesca unddie sectores materiarum in Aquileja >, Studi aquileiesi olJbrti a G. BRUSIN, 1953 (Aquileja), p. 93-119;M' BuoNoconl, O. DrrteEnro, < L'album de la familia Siluani di Trebula Mutuesca. Nuovi considerazion>>, RpAA,LXXV, 2002-2003, p. 327 -393.

" Dig',47.22'3.2'. <<Seruos quoqlte licet in collegro tenuiorum recipi uolentibus jontinis : ut curatores horumcorporum sciant, ne inuito aut ignorante domino in collegium tenuiorum reciperent, et infttturum poenq teneantur insingulos homines aureorltm centum > ; < Aux esclaves aussi, il est permis d'6tre regus dans le collegittm tenuiorum, sileurs maitres y consentent. Pour que les curateurs de ces corps sachent qu'ils ne doivent pas recevoir un esclave dans1e collegitrm tenuiorum contre 1a volontd du maitre ou d I'insu de celui-ci, ils seront tenus, d I'avenir, ir une oeine decent pidces d'or pour chaque homme. >'9Outre <<adlegere>, lesverbes <<atlrogare>>,<<atlsciscere>,<<recipere>>,<<adsumere>>et<<suscipere>,employ6sdans des inscriptions et dans des fragments de la jurisprudence, semblent transcrire cette m6me realit6. Cf.J.-P. WarrznG, op. ci t . , I , p. 355-356.

N. TneN

collegiati avaient d se prononcer sur des candidatures. Pour cela, les collegiati devaient se r6uniren assembl6e d6lib6rative et s'exprimer par le biais de leurs suffrages20. L'expression <<abordine > signale probablement que les ivoiriers et les 6b6nistes proc6daient de la mOme manidrepour prononcer des renvois. << Ordo > d6signerait ici le groupe coll6gial lui-mdme, dans sescaractdres circonscrit et hi6rarchis6. De manidre g6ndrale, et dans l'6pigraphie du phdnomdneassociatif en parliculier, le mot << ordo ) est cefies polys6mique. N6anmoins, le sens que luidonnent les ivoiriers et 6b6nistes se laisse saisir ais6ment, semble-t-il. Un autre rdglement, la loid'un colldge d'Esculape et d'Hygie, offre un paralldle solide2r. Ce document, provenant deRome lui aussi, est datd de 153. Or, les d6vots d'Esculape et d'Hygie emploient troisexpressions remarquables, par leur 6quivalence s6mantique : << in conuentu placuit uniuersis >>(ligne l6), << ordo collegi nostri decreuil ) (ligne 20) et < hoc decretum ordini nostro placuit inconuentu pleno >> (ligne 23). Le conuentus plenus et l'ordo renvoient ici d la mdme r6alit6 :l'assembl6e des soixante membres du colldge dont la tenue vise d l'6laboration de d6crets. Defait, dans la loi des ivoiriers et des 6b6nistes, I'expression <<ab ordine > suppose trdsvraisemblablement la promulgation d'un d6cret coll6gial de renvoi.

La mise en ceuvre de la d6cision est mat6rialis6e par le martelage de la liste officielledes collegiati. << Ex albo raderentur >> (< qu'ils soient ray6s de l'qlbum >). Le verbe << rqdere >>d6signe cet acte solennel de d6ch6ance, par effacement du nom. Aussi Tacite s'en sert-il dansson r6cit de la disgrdce de Pison : lAurelius Cotta] << nomen Pisonis radendum fastis censuit >>22.Selon un proc6d6 g6n6ral des plus courants, les collegiali s'approprient une pratique, dedamnatio memoriae en I'occurrence, 6labor6e et codifi6e par l'6lite, pour elle-m6me. Lapublicit6 6pigraphique du nom fonde le prestige, d'autant plus qu'une liste hi6rarchique, surlaquelle les dignitaires sont distingu6s de la pldbe du colldge, en est le vecteur. L'acte solennel,qui d6truit la publicit6 du nom, est une infamie qui s'abat sur les curatores d6faillants. Descoupables sont punis par la privation de ce qu'ils recherchent.

La destitution d'un responsable est signal6e de manidre plus explicite sur une listecoll6giale qui fait 6cho d la loi des ivoiriers et 6b6nistes. Sur les fastes dits de < Sainte-Praxdde n", l" registre des magistri quinquennales du colldge des charpentiers romains, 1eremplacement des d6funts, des excus6s et des r6voqu6s 6tait mentionn6. Lors du dix-septidmelustre du colldge, entre 74 et 78 ap. J.-C., un confrdre a 6t6 6lev6 d la prdsidence des fabritignuarii, <<in loc(o) Fla[ui ---], / summo[tiJ >. Dans son acception concrdte, <<submouere>>signifie < d6loger >24. Ainsi, le verbe est employ6 d propos des philosophes expulsds hors de laVille. Dans une acception plus abstraite, << submouere > recdle une id6e d'exclusion et de renvoi.Par exemple, il appartient au censeur de << submonere a re publica >>. Le magister quinquennalisdes fabri tignuarii a 6t6 d6mis de sa charge ; et il est assez vraisemblable que sa destitution ait

20 l t l . , ibid., I , p. 356, n. 5.t t cIL,yr, 10234 (D.,7213).

" Tec., Ann., lll, I 7, 4. Devant le s6nat, le consul Aurelius Cotta propose, notamment, que le nom de Pison soit ray6des fastes. Le prince fait preuve d'une cl6mence relative en epargnant le nom de Pison d'un outrage que le nomd'Antoine n'avait pas subi : < ne nomen Pisonis fastis eximeretur > (id., ibid., III, 18, 1).

" C. PrerReucEll, < Frammento dei fasti del collegio romano deifabri tigntrurii >, BCAR, LXVII, 1939, p. 106-107(AE, 1941,71) ; H.L. RovotN, The magistrates of the Roman professionol collegia in ltaly, 1987 (Pise), p. 129 etr 60.to oLD,p. 1845.

1 a A

Lgs pRocrouREs D'EXCLUSIoN

6t6 accompagn6e de son exclusion du colldge. Lesmots ce que les ivoiriers et 6b6nistes affichent parnom et au souvenir de responsables fautifs.

fastes des charpentiers expriment par desla violence symbolique qu'ils infligent au

Les martelages sur les listes des colldges d,Ostie

Conscient de I'existence de telles pratiques, l'6pigraphiste est conduit d un r6examendes listes 6tablies par les colldges professionnels et fun6raires du Haut-Empire. Ainsi, trois listesprovenant d'Ostie laissent observer des maftelages, trds probablement issus de proc6duresd'exclusion. Un quatridme document peut sans doute leur 0tre adjoint. Une interpretationalternative de ces ratures, 6trangdre d I'id6e d'exclusion, est-elle possible ? L'hypothdse d,unemise d jour de I'album, au fur et d mesure des d6cds de confrdres, ne parait pas resrster pas dl'analyse25. Dans de telles circonstances, les colldges d'Ostie avaient l'habitude de faire graverun <0 > d cdtd du nom des disparus, en r6ference d la lcLvclros. De tels signes apparaissent,entre les ann6es 150 et 230, sur les listes des bateliers ducorptrs lentmcttlariorum tabulctriorumauxiliariortt*tu, des charpentiers de marine du corpus fabrum nctualittm portuensium2T et desd6vots dt corpus fontanorum2s. Des < 0 > figurent aussi sur un fragment d'album r6dig6 par uncolldge ind6termin62e.

Le document martel6 le plus spectaculaire est malheureusement perdu30. L'album, gravesur une table de marbre, apparait dans la littdrature 6rudite au XVI" sidcle. La piene a 6t6examin6e d plusieurs reprises, d proximit6 de 1'6glise saint-Pierre acl uincula, puis de l'6glisedes Saints-Ap6tres ou le pape Jules II l'avait d6plac6e. On perd sa trace d la fin du sidcle. Cettedisparition est frustrante, mais la tradition manuscrite, sur laquelle repose la conservation dutexte, est concordante et solide. Celle-ci livre les noms des 178 individus formant l, orclocorporatorum qui pecuniam ad ampliand(um) templttm contuler(unt). La date consulairecorrespondant d I'an 140 a et6 grav6e au sommet de la table, mais la liste a 6t6 compl6t6e au fildes ann6es, au fil des 6lections au poste de quinquennalis enparticulier. L'6num6ration desdignitaires, distingu6s de la plebs collegii, se cl6t par la mention de M. Magius Marsus,qttinquennalis en 172. L'ordo corporatorum a d,onc constitu6 une entit6 p6renne. Cette donn6eapparait de manidre plus nette encore, d la lumidre d'un fragment d'album r6dig6 par la m6mecollectivit6, d partir de 135 au plus tard3r. Pouftant, m€me si le groupe a conserv6 la m6med6nomination pendant toutes ces ann6es, H.L. Royden postule I'existence d'un d6calage entreI'identit6 r6elle de l'ordo et la raison d'€tre que celui-ci met en avant32. En effet, I'historienam6ricain identifie les corporati qui pecuniqm qd templum amplianclum contulerunt d, des

25 A propos des martelages de C1t, Xlv,246, cf. J.-P. Welrznc, op. cit., ilI, p. 616: (quant aux trois nomsmartel6s, on peut expliquer ce fait de deux manidres : ce sont les noms de membres d6c6d6s ou bien exclus de lacorporatlon ).tu crL,xtv,25o, IV, 45.t7 CL,xlv,256, l ignes lg0, 192,214.28 crL,xrv,45i3, I I ,2 .to c IL,xrv,5370, I I , 3 , 5.30 ctL,xrv,216.3t crL,xrv,53i4.r r H.L. RcryotN, op. c i t . ,p .33-36.

N. TRAN

bateliers d'Ostie : plus pr6cis6ment, aux membres du corpus lenunculariorum traiectus Luculli.Plusieurs arguments sont avanc6s. Le plus foft tient au fait qu'un certain P. Sulpicius Hera,quinquennalic(ius) enregistrd sur I'album dat6 de 140, quinquennalis recens6 sur le fragmentdat6 de 135, est cit6 par une troisidme inscription en qualitl quinquennalicius corporislenunculqriorum traiectus Luculli33. Or, ce grade coll6gial est attest6 de manidre rarissime. Et,sur les trois pieres, P. Sulpicius Hera est mentionn6 en compagnie d'un m6me colldgue :L. Naevius Saecularis. H.L. Royden se fonde aussi sur l'identit6 des patrons del'ordo. Plusieursd'entre eux ont assum6 le patronat d'autres colldges de bateliers d'Ostie. Enfin, le templum del'ordo corporatorurn se confond peut-Otre avec l'opus que le corpus lenunculariorum traiectusLuculli a fait bAtir sous le principat de Trajan3a.

Quelles que soient la nature et la composition exactes de I'ordo corporatorurz, les troismartelages rep6r6s stnl'album coll6gial m6ritent que I'on y pr€te attention. Ils ont 6t6 signal6ssur trois colonnes diff6rentes de 1'album, d des lignes distantes les unes des autres. Entre le II" etle XVI' sidcle, le texte n'a pas subi d'alt6rations, si ce n'est d I'extr6me fin de l'6num6ration.Sur la pierre, la position des lacunes et celle des martelages sont 6loign6es I'une de I'autre.L'authenticit6 de ces martelages semble donc ind6niable. Aussi l'ordo aurait-il exclu troiscorporati, pour des raisons qu'il est impossible de d6terminer avec certitude. N6anmoins, pourqui ne se rdsout pas d f ignorance totale, une hypothdse parait moins th6orique que les autres. Legroupe souligne en effet l'obligation de cotisation qui s'imposait d ses membres. De manidreg6n6rale, une partie imporlante des ressources financidres des colldges provenait de telsversements3t. Et, comme nous le verrons, les difficult6s de leur recouvrement sont un 6l6mentbien attestd par les rdglements des colldges. Face d,l'album des corporati qui pecuniam qd

ampliandum templum contulerunt, il ne semble donc pas tout d fait vain d'imaginer que desrenvois ont pu 6tre prononc6s pour des raisons pdcuniaires.

Parce qu'elles sont conserv6es dans un 6tat fragmentaire, les deux autres listes d'Ostiecomportant des traces de martelage 6manent de collectivit6s inconnues des modemes. Toutefois,la nature coll6giale de la premidre collectivit6 est stre. Dat6 de 1'ann6e 262,1'album est pr6sent6conrme un registre de << nomina corporatorum >>'u. Il conserve les noms de trente-six<pl6b6iens>> et de sept patrons du corpus. Or, parmi les corporali ordinaires, I'abondanced'individus rdpondant au pr6nom et au patronyme ( Titus Tinucius > est remarquable. Plusieursde ces personnages, identifiables par leurs cognomina et parfois par I'indication d'un rapport defiliation, figurent sur d'autres fragments de listesrT. Il est probable que ces Titi Tinucii, sur-repr6sent6s dans leur association et ne portant pas un gentilice trds courant, 6taient unis par des

" AE,1989, 128 : << L(ucio) Aelio Commo[do VeroJ, / imp(eratoris) Antonini Aug(usti)[Pii p(atris) p(atriae)] fit(io), /Naeuius Saecula[ris eJt / [P(ublius) Sul]picius Hera, Augustaflis, quinJ/quennalicius corporis [lenunculariorum] /traiectu[s L]uculli, sua p(ecttnia) p(osuit). >'o CIL, XIV,5320: < [N]umini domus Aug(ustae), / [coJrpus lenunculariorum / traiectus Luculli pecunia sua /

firmiori et cultiori opere /.fecerunt (sic) / [per]missu Tib(erii) Iuli Ferocis, curatoris aluei / Tiberis et riparum>>. SurTi. Iul ius Ferox, cf. PlF,I,306.tt J.-P. WALrzrNG, op. cit., 1, p.451-452 et 464-465, distingue les cotisations r6gulidres et les cotisationsextraordinaires.36 c IL ,x rv ,5357.

" C\L,XIV,4586,5358 :cf. T. Tinucius Rufus iun(ior), T. Tinucius Euanthus iun(ror).

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Lgs pRocrouREs D'EXCLUSION

liens de parent6, biologique etlou d'affranchissement. Leur corpus, qui donne I'image d'uncertain dynamisme dans la cit6 ostienne du milieu du III' sidcle, semble avoir 6vinc6 I'un de sesmembres' Sans doute appartenait-il d la n6buleuse des Tinucii. De fait, le membre radi6apparaissait au onzidme rang des corporati, entre T. Tinucius Montius et T. Tinucius Diogas.Or, il est courant que, structur6es par I'anciennet6 dans le colldge, les listes d'Ostie mentionnentdeux, trois, voire quatre individus de mOme gentilice, les uns d la suite des autres. Lacomposition del'album parait refl6ter alors un mode collectif, familial au sens laree. d"adhesionau colldge.

Le second fragment est plus modeste, par ses dimensions et par les informations qu'ilcontient3s. Cinq morceaux de marbre forment un ensemble mesurant 34 cmsur 48. Le texte nelivre que le pr6nom et le gentilice de neuf individus. Le nom d'un personnage qui figurait endixidme position a 6t6 martel6. Enfin, en plus des trois listes 6voqu6es et de leurs martelages, undernier fragment 6pigraphique d'Ostie peut retenir I'attention3e. Il s'agit d,un fragment demarbre mutil6 d gauche, servant de support d une liste nominative. Celle-ci 6tait sans douteinstallde dans la schola des cultores larum et imagintrm dominorum nostrorLtm. Une autre tablefragmentaire, dat6e de 205, fait allusion au locus occup6 par ces ctrltoresao. L. Wickerlar noteque les deux documents sont du mdme marbre et se caract6risent par de semblables cassures dgauche. Or, sur le fragment de liste, le nom d'un des possibles cultores a ete grav6 sur un espaceprealablement mar1el6. On ne lit plus que le surnom < Onesimus >. Le pr6nom et le gentilice dupersonnage apparaissaient sur la parlie perdue de la table de marbre. Il n'est pas impossible que,dans le colldge et sur l'album, cet onesimus ait pris la place d'un confrdre renvoy6.

Le martelage : une pratique 6pigraphique des collectivit6s intra-municipales

Au total, le martelage dpigraphique apparait comme une pratique av6rde des colldgesprofessionnels et fun6raires du Haut-Empire. Certes, les attestations du ph6nomdne sont trds peunombreuses. Toutefois, cette pratique coll6giale ne se r6duit pas aux proc6dures de renvoi.Ainsi, dans le milieu portuaire d'Ostie, le corpus lenunculariortrm tabulariorum auxiliariorum aproc6d6 d deux maftelages qui d6coulent d'6v6nements 6trangers d la vie coll6gialea2. Lepremier r6sulte d'ttne damnatio memoriae, an sens strict du terme. En effet, la datationconsulaire d'un album du colldge a 6t6 modifi6e aprds la chute de Commode. Les mentions<< Imp(eratori) Caes(ari) L(ucio) Aelio Aurelio Commoclo Aug(usto) VII >> et << ImperatoreCaesQre Augusto) se sont succ6d6es I'une d I'autre, le septidme consulat de Commodedisparaissant au profit de la seule r6f6rence au second consulat de perlinax. Or, le secondmartelage, qui apparait quelques centimdtres plus bas sur la table 6pigraphique, d6coule sansdoute du m6me contexte politique. Les corporali ont effac6 un patronat de la m6moire dugroupe' en faisant mafteler le nom du premier patron de rang s6natorial recens6. Est-il possible

38 cL,xrv,5372.'o c IL,xrv,457t .10 cIL,xrv,4570.o' cIL, s. n..' 2 cL , x r v ,25 l .

N. TnaN

que les corporati se soient d6barrass6s d'un patron ind6licat ? L'hypothdse parait bien moinsprobable que celle-ci : on est tent6 d'imaginer ce patron d6chu dans la posture d'un grandpersonnage emport6 par la chute du dernier Antonin.

Une autre attestation de martelage d'album concerne un personnage d'une 6poque plusrecul6e, et d'une condition sociale bien inferieure d celles du patron des lenuncularii.l s'agit und6nomm6 L. Mamilius Celer, membre d'une soci6t6 fun6raire de Teate Mamrcinorum, aumilieu du premier sidcle de notre drea3. Ce socius monumenti n'a pas 6t6 renvoy6 de saconfr6rie '. ses tria nomina n'ont subi aucun outrage. En revanche, les lettres indiquant sa qualit6de selectus ont fait I'objet d'un martelage, tout en restant assez lisibles. Ce titre, et la fonctionqu'il recouvre, sont trds 6nigmatiques : leur interpr6tation a suscit6 des hypothdsescontradictoires. Ce titre n'est sans doute pas de nature coll6gialeaa. Et il semble encore plusimprobable que L. Mamilius Celer ait 6t6 vers6 dans I'une des cinq d6curies de juges romains,parmi les iudices selecti ex quinque decuriisas. Ce titre de selectus parait correspondre d unedignit6 civique, h6las ind6termin6e, mais attribu6e par le municipe de Teate Mamrcinorum.Dans l'6num6ration des socii monumenti,la qualit6 de selectus se place sur le mOme plan que les6virat augustal dont dix socii ont 6t6 titulaires. Il va de soi que ces individus ont assum6 cettefonction au sein des institutions civiques. Au-deld de la critique interne du documenr, unedpitaphe de m6me provenance met en scdne un pd,re, sevir Augustalis, et un fils poftant les titresde <<selectus et decurio >. Or, aucun 616ment du texte ne fait allusion dun contexte coll6gial, cequi renforce dans la conviction que la cit6 de Teate attribuait le titre de selectusa6. De fait, cettehypothdse oriente les possibles interpr6tations du martelage de la liste. 11 n'est pas impossibleque les socii aient ent6rin6 un acte de destitution, inflig6 d 1'un des leurs, mais dont ils n'6taientpas les auteurs. En r6alit6, de multiples collectivites municipales ou < intra-municipales >mettent en cuvre des proc6dures d'exclusion mat6rialis6es par des martelages 6pigraphiques.

L'6pigraphie des colldges professionnels et fun6raires du Haut-Empire peut $trereplac6e dans un ensemble documentaire plus vaste. En effet, d'autres collectivit{s de tailleinf6rieure aux cit6s, agissant parfois dans des contextes chronologiques ou g6ographiquesdistincts de ceux envisag6s jusqu'ici, se sont livr6es d des proc6dures de renvoi et d despratiques de martelage. Ainsi, les collegiali d'Ostie, par leur recrutement social et leursaspirations sociales, 6taient proches des Augustales de la colonie. Or, il n'est pas impossiblequ'un fragmentaT conserye la trace d'une 6viction du corps des Augustales. << Rqsura an laesura,[effacement volontaire ou alt6ration du temps] mihi incertum >> ecrivait L. Wickert d propos decette pierre. En dehors d'Ostie, d Herculanum, on conserve d'autres fragments d'une liste de

* 'A. MARINUCcI, <Iscrizioni del museo nazionale di Chiet i >>, RAL, XXVII, 1973,p.500-503; M.Bur.rr, tctcctnl,< Ricerca onomastica su]un collegium.funeraticium di Chieti ,r, MGR, VII, 1980, p.429-446 (AE, 1980,368);Sl II,1 7 .oo Contra S. DluouctN, < Les juges des cinq d6curies originaires de I ' l tal ie >>, Ancient Sociel,- ,Vl, lg75,p. 144,n.6;N. Tn-qN, les collegiati dans la soci2ft de I'Occident romain (Italie, Gaules, Germanies). Le rang social clesmemhres d'association sous le Haut-Empire, Thdse d paraitre, paris IV (2003), p. 503-507.a5 Contra M. BuoNocoru , SI, lI, I7 , p. 179.., CIL,IX.3O2O.^7 crL,xry.4561" 2. l . 8.

t ) a

LES PROCEDURES D,EXCLUSION

grande tai11ea8. Pendant longtemps, celle-ci a 6t6 consid6r6e comme l'album des Augustaleslocaux, mais les sp6cialistes ne retiennent plus cette interpr6tationon. Les quelques 400 nomsenregistr6s sont trop nombreux pour n'avoir concern6 que l'ordo Augustalium. Sans percer ici lemystdre de ce document, on peut remarquer la pr6sence de plusieurs ratures sur ces fiagments.Trois d'entre elles50, au moins, avaient vocation d €tre r.ues de tous, tandis que les noms de deuxindividus5r ont 6t6 grav6s sur des espaces pr6alablement mar1el6s. or, l'un des trois maftelagesaffich6s figure juste en dessous de la mention << adlegerun / >>. Comme dans la loi des ivoiriers etdes 6b6nistes, le contr6le exerc6 par le groupe sur sa composition se trouve exprim6, et parl'id6e d'une adlectio prdsidant d I'admission de nouveaux membres, et par des martelages quisemblent exprimer un droit souverain d exclure.

Une autre inscription campanienne, d'une 6poque bien ant6rieure d notre champ derecherche, refldte l'image d'une collectivit6 souveraine, capable de rejeter des dirigeants fautifs.Le texte se rapporte d I'un des colldges de Capoue qui, entre le rdglement de la Seconde GuerrePunique et la colonisation c6sarienne de 59 av. J.-C., suppl6ent l'absence de veritablesinstitutions municipales. L'une de ces communaut6s avait son sidge dans le temple suburbain deDiana Tifatina52' Elle apparait d travers une inscription de 99 av. J.-c., qui fait ltatde travauxpublics financ6s << de stipe Diqnae ), par le biais de contributions vers6es au sanctuaire deDiane53. Or, les dotze magislri charg6s de 1'op6ration semblent s'€tre r6v6l6s d6faillants. Leursnoms, qui occupaient cinq lignes et demie, ont 6t6 soigneusement effac6s.

En dehors de l'aire g6ographique de notre enqu€te, dans la parlie orientale de I'Empire6tudi6e par Onno van Nijf, deux pierres attesteraient I'existence de damnationes memoriaeprononc6es par des colldges5a. Deux notables en auraient 6t6 les victimes, aprds avoir trahi laconfiance des communaut6s qui les avaient choisis comme protecteurs. Le premier 6tait unjeune notable d'Aphrodisias de Carie, emporiarque de la cit6, au II' ou au III" sidcless5. Uneassociation d'artisans du lin I'avait honord en faisant sculpter er graver une petite stdle

^8 cIL,X, 1403;G. GueoacNo, <Frammenti inedit i di albi degl i Augustal i t , , BC\E,v:I^, 1977,p. lra-123 (AE,1978, l t9 b) ; AE, 1992,286.te G CeltooecA, ( Per una riedizione dell'archivio ercolanese di L. Venidius Ennychus >>, cronache ercolanesi,XXXII, 2002, p.263.t o c l L , x , 1 4 0 3 , c . , 1 3 ; A E , 1 9 7 8 , 1 1 9 a , I . 7 e t I I " 5 .t ' c t L , x , t 4 0 3 . d . . 2 0 - 2 Is2 J' HruRcow, Recherches sur I'histoire, la religion et la civilisntion de Capoue prd-romaine des origines ti laDeuxiime Guerre Punique, 1970 (Paris), p.299-329. Le temple se situait sur les pentes sud-ouest du Mont Titata, aud6bouch6 du Volturne et d 4 km environ de capoue. I1 regoit les lib6ralites du consul Ser. Fulvius Flaccus en135 av' J -C , puis de Sylla en 83 av. J.-C.. Diane dispose de son tr6sor, de fermiers, d'affranchis. A l,6poque deSylla, le vicrs voisin du temple formait une circonscription ind6pendante dont le praeJectus iure 4icundo montisDianae Tfatinae avait la charge. Auguste, puis vespasien, en ont fait dresser le cadastre.53 clL,(,680: x,3781 (D., 5561 ; ILLRp,717): <<tt--- l l M.Antonio, / A. postumio co(n).s(trr ibus), / heiscemag(istreis) murum ab grad/u ad calcidic(um) / et portic(um) ante culin(am) tong(am) p(ecles) ... / et signamarm(orea) Cast(oris) et Pol(lucis) / et loc(um) priuat(um) de stipe Dian(ae) / ementlum [et flaciendum /coerauer[eJ ' > L'espace destin6 d exprimer 1a longueur, en pieds, a 6t6 laiss6 en blanc : cette mention a peut-6tre 6t6ajout6e d la peinture. L'inscription a 6t6 d6couvert e << atl radices montis Tfata prope antiquam Cupuam >>.5a O. van Nt:r, Ifte civic worlcl of professional associations in the Rctman East, 1997 (Amsterdam), p. 126-127.t' Joyc" M RevNoI-os, < The linen-market of Aphrodisias in Caria >, Arculiana. Recueil d'hommages olferts d HansBdgli, 1995 (Avenches), p. 523-528.

N. TRAN

rectangulaire. Le texte 6pigraphique encadrait un portrait en buste, repr6sentant le jeune hommedans une h6roique nudit6. Or, de I'avis d'Onno van Nijf, ce sont les arlisans qui, de d6pit,auraient fait effacer le nom de ce personnage. Toutefois, cette interpr6tation ne convainc pasJoyce Reynolds : celle-ci ne se r6sout pas d imaginer une demnatio memoriae sans destructiondu portrait. La seconde inscription sur laquelle se fonde Onno van Nijf provient de Yalova enBithynie, dans la parlie m6ridionale du golfe de Nicomedieso. Ayant pour support une stdled'une cinquantaine de centimdtres de c6t6, orn6e d'une couronne sculpt6e, elle chantait leslouanges d'un pr6tre, agonothdte et gymnasiarque, avant que le nom et la filiation de cetindividu ne soient effac6s. Selon Louis Robeft, I'hypothdse la plus probable consiste d penserque ces titres ont 6t6 d6livr6s par une communaut6 de taille restreinte : un village ou uneassociation. Or, l'existence de confr6ries religieuses est attest6e d Yalova. Y sont connus desBrontaistes, des d6vots de Zeus Brontaios, qui ont pris la r6solution d'honorer un homme en lui6rigeant une stdle portant des couronnes d'or. Sans doute est-ce une collectivit6 comparable qui,aprds avoir organis6 la petite gloire d'un bienfaiteur, a tent6 d'en effacer la trace par martelaee.

L'exclusion des colliges : un non-dit perceptible

Dans l'6tude des proc6dures de renvoi des colldges de l'Occident romain, le sentimentfrustrant de rarete documentaire peut donc s'estomper quelque peu, si nous ins6rons nos maigresdonn6es dans un contexte documentaire plus large et d6veloppons une analyse serr6e des textes.Il arrive en effet que ces procddures ne soient perceptibles qu'en filigrane. Les indices quiconduisent d cette perception peuvent 6tre t6nus, mais la r6alit6 des mdcanismes d'exclusion nepeut 6tre mise en cause. Des documents indiquent que des 6victions officielles n'ont pas pu nepas 6tre prononc6es.

Dans leurs actions, les collegiali sont guid6s par I'esprit chicanier qui les animent, etqu'ils prdtent aux individus 6vinc6s par eux. Ces dispositions psychologiques transparaissentavec une grande nettet6 d I'examen d'un document provenant d'Alburnus Maior, en Dacie57.

'o Louis ROBERT, < Inscriptions de la r6gion de Yalova en Bithynie >>, Hellenica, vII, 1949, p.30-44.t ' C I L , l l J , p . 9 2 4 ( F I R A , I I I , n ' 4 1 , p . 1 1 4 - l l 5 ) . P o u r l e s p a s s a g e s c i t 6 s e t t r a d u i t s d e c e d o c u m e n t , n o u s n o u s

appuyons sur le travail de J.-M. Frer,rsano, loc. cit., p. 239-241 .<< Descriptum et recognitum.factum ex libello, qui propositus / erat Alb(urno) Maiori ad statione(m) Resculi, in quoscriptum erat / id quod i(nfra) s(criptum) est : / Artemidorus Apolloni, magister coltegi(i) Ioui Cerneni, et / ValeriusNiconis et Olfas Menofili, qu(a)estores collegi(i) eius/dent, posito hoc libello publice testantur. /Ex collegio s(upra) s(cripto), ubi erant ho[m(ines)] Lilll, ex eis non plus / rema(n)sisse atJ Alb(urnum) quam quoth(omines) XVII ;Iulium Iuli quoque, / commagistrum suum, ex die nagisteri(i) sui non accessisse / ad Alburnum neq(ue) in collegio ;seque eis qui pr(a)e/sentesJuerunt, rationem reddedisse, et si quit / eorum (h)abuerat, reddedisset siue funeribus, // etcautionem suam, in qua eis cauerat, recepisset. /Modoque autem neque funeraticis sulficerent / neque loculum ft)aberet, neque quisquam tam magno / temporediebus, quibus legi continetur, conuenire / uoluerint aut conferre funeraticia siue munera. /Seque i[dJcirco per hunc libellum publice testantur / ut, si quis defunctus fuerit, ne putet se colle/gium (h)abere autab eis aliquem petitio/nemJitneris (h)abiturum. /

t ? n

Lps pRocgouREs D'EXCLUSION

Toutefois, il faut reconnaitre que ce document, 6clairant, n'6voque directement aucune mesured'exclusion, au sens strict du terme. Il correspond d des tablettes de cire qu'un college a faitinciser le 9 f6vrier 167. Celui-ci 6tait probablement compos6 de mineurs, de statut servile pourIa plupart. En tout cas, les magistri et les deux quaestores cit6s en qualit6 de responsables de laconfr6rie sont des esclaves. Par ces tabellee ceratae, le magister Arlemidorus donne uncaractdre officiel d la dissolution du collegium louis Cerneni. Au-deld de son attachement dcette divinit6' la collectivit6 avait pour objectif principal I'organisation de cultes fun6raires.C6l6br6s devant les loculi dont les collegiati dtaient propri6taires, ces cultes etaient financ6s parle versement de cotisations qualifi6es defuneraticia.

Une fois n'est pas coutume : la vie coll6giale n'apparait pas d travers le prisme d,undiscours 6pigraphique convenu, visant d I'affirmation consensuelle d'un sentiment derespectabilit6. Au contraire, la production d'6crit d6coule ici de tensions, de conflits potentiels.Les membres du colldge cherchent d se pr6munir d'attaques 6ventuelles, plac6es sur le tenainjudiciaire <<Seque i[dJcirco per hunc libellum publice testantur>tt. Les tablettes, relides aumoyen d'une ficelle, formaient un triptyque. Le texte, qui comporte une liste de t6moins, a 6t6grav6 deux fois : I'une des versions se trouvait dans la partie ferm6e et cachet6e du triptyque.Ainsi congu, le document 6tait vou6 d servir de preuve judiciaire, aprds la dissolution ducolldge. Ce demier ne se met pas en scdne comme un corps < trds splendide > ou << trdshonorable >, d l'image de collectivit6s qui usent de l'6pigraphie lapidaire pour se presentercomme tels. Au contraire, le colldge d'Alburnus Maior apparait comme une collectivit6d6clinante, incapable d'assurer sa survie financidre. La caisse du colldge n,a pas regu lescotisations indispensables d l'organisation du culte fun6raire et des autres activit6s coll6giales.Trop de collegiati ont choisi de se distancier de la vie coll6giale : < Neqtte qtrisquam tam magnotempore, diebus quibus legi continetur, conuenire uoluerint aut conferre Juneraticia siuemunerT>>5e' Iulius, le commagister d'Aftemidorus, titulaire d'une charge on6reuse, se voitreprocher ses absences : ( ex die magisteri sui non accessisse acl Alburnum neq(ue) incollegio'uo' En sonune, le colldge a 6chou6 dans les deux objectifs que se donnaient lescollectivit6s de ce type : les collegiati n'ontpas reconnu en lui le cocon chaleureux, pemettantaux plus distingu6s d'accroitre leur honorabilit6.

<< Si quis defunctus fuerit, ne se putet se collegium <h>abere aut ab eis aliquempetitionem funeris <h>abituru. >ut. que les h6ritiers des collegiari d6faillants ne r6clamentrien d ceux qui ont cru plus longtemps d la vie et aux id6aux communautaires ! Voild quis'expriment par le biais de ces tablettes. Or, ce noyau dur a proc6d6 d un enregistrement desd6fections que I'on peut imaginer ou interpr6ter comme une forme d'6viction officialisee. < U6ierant ho[m(ines)] LilII, ex eis non plus rema(n)sisse ad Alb(urnum) quam quot h(omines)WII>>62. Les confrdres ont tenu un compte pr6cis de leur effectif. A l'instar des colldses

Propositus Alb(urno) Maiori, V ldus Febr(uctrias), Imp(eratore) L(ucio) Aur(elio)c.o(n)s(ulibust. Acr(um) A!b{urno.) Maiori. >,'n . C'est ce que l'on fait savoir au public par ie pr6sent acte >." < Depuis longtemps, personne n'a voulu se r6unir aux jours fix6s par la loi du colldge, niprestations exig6es >.

i, < Denuis.le iour de son. €lection, [il] n'a pas paru d Albumus ni dans le colldge >.

"' < Si quelqu'un vient d mourir, qu'il ne s'imagine pas que le colldge exi"ste encore, etr6clamer quelque chose >.o'< Ld oi ltaient 43 hommes, il n,en reste plus que 17 d Albumus >.

Vero III et Quadrakt

payer les cotisations ou

qu'il a le droit de leur

N. TnaN

proc6dant ir des exclusions, le colldge d'Albumus Maior apparait comme une entit6 circonscrite,affichant une maitrise l6gitime sur son effectif. Cette maitrise elle-m0me, que les collegiaticongoivent comme fond6e en droit, peut induire des proc6dures d'exclusion, pr6cis6mentcodifi6es, m6me si les commentateurs modernes ne les pergoivent parfois que de manidreindirecte.

Dans les rdglements coll6giaux, I'id6e de privation des droits, encourue par les confrdresd6faillants, suppl6e parfois l'absence de description des m6canismes d'exclusion63. L'une desclauses de la loi du colldge de Lanuvium stipule ainsi : < item placuit, ut quisquis mensib(us) /contin[uis seJx non pariauerit et ei humanitus acciderit, eius ratio funeris non habebitur, /etiamsi [test]amentum factum habuerit >u*. Il s'agit ld d'une disposition jug6e si essentielle,qu'elle apparait presque en t€te de la lex collegii, juste aprds la premidre clause relative dI'entr6e dans la communaut6. Le colldge craint que des h6ritiers ne r6clament la somme de troiscents sesterces qu'il d6boursait d'ordinaire, pour les obsdques de ses membres. Il est question deces h6ritiers importuns dds le pr6ambule du rdglement. Les candidats d l'entr6e dans le colldgesont invites d prendre connaissance de la loi, << ne postmodum queraris aut heredi tuo /controuer[siJ am reliqua,s )), pour ne pas r6clamer par la suite et ne pas laisser un objet de litige dun h6ritier.

Compte tenu de I'esprit juridique que les collegiati parlageaient avec beaucoup de leurscontemporains, il semble probable que I'application de la rdgle g6n6rale, la privation des droitsde collegiattts, prenait la forme d'une proc6dure d'exclusion individuelle. Les d6vots de Dianeet d'Antinoiis craignent les controuersiae qut pouraient les opposer d,tn collegiarus dlfalllantou d ses hdritiers. Le terme employ6 est polysdmique : il peut d6signer un procds en bonne etdue forme, ou bien rev6tir un sens plus impr6cis pour d6signer un ddsaccord et un conflit, eng6n6ral. Mais quel que soit le sens d donner ici d ce mot, le colldge fait montre de son soucid'assurer au mieux sa d6fense, ftt-ce devant un juge ou un individu inddlicat. Poursuivant cetobjectif, le colldge devait non seulement rappeler la rdgle, mais il devait aussi cerlifier que celle-ci s'6tait effectivement abattue sur le collegiatus nlgligent. Ici r6side I'utilit6 d'officialiser lesmises d l'6cart, en les matdrialisant - le cas 6ch6ant - par un martelage de la liste des membres.C'est en cela que la tablette d'Alburnus Maior et la loi de Lanuvium se r6pondent I'une d1'autre.

Une autre inscription, celle-ci campanienne, signale encore une relation entreI'obselance d'une rdgle cofilmune et la jouissance d'un droit d6coulant d'une appaftenancecoll6giale65. Th. Mommsen I'attribue d l'6pigraphie de Pouzzoles, sans en avoir la pleinecertitude. La pierre mentionne en effet tn corpus Heliopolitanorum, alors qu'une confr6rie de

o3 J . -P . War rz rNc, op . c i t . ,1 ,p .378.oo CIL, xrv,2112 (D.,7212), 1,22-23. ( I1 a 6t6 d6cid6 que celui qui ne se sera pas acquitt6 pendant six moiscons6cutifs [de sa cotisation] et que ce soit un fait habituel de sa part, n'aura pas droit d la prime fun6raire. m6me s,i1avait institu6 [un h6ritier] par testament ).ut CIL, X, l57g (D., 4291) : < Hic ager iug(era) VII, cunt cisterna / et tabernis eius, eorttm possessorum / iuris est quiin culttr corporis Heliopolita/norunl sunt eruntue ; atque ita is ac/cessus iusq(ue) e,\to per ianuas itineraque / etusagri qui nihil aduerstts le<g-C>em / et conuentionem eius corporis facere / perseuerauerint >>.

I 1 . )

LES PROCEDURES D, EXCLU SION

cultores Iouis Heliopolitani Berlttenses qui Puteolis consistunt est attestee6t. Th. Mo-msen et

H. Dessau semblent admettre que les Heliopolitani et ces cultores ne forment qu'une seule et

m6me collectivit6. Ces personnages sont les possessores d'un champ de sept jugdres, ainsi que

d' ume cisterna et de tabernae attenantes d celui-ci. La jouissance du bien immobilier est d6finie

cofitme un ir.rs possessorum, que conserveront ceux qui ne commettront aucun acte contraire au

rdglement du colldge, << nihil aduersus le<g>em / et conuentionem eius corporis >. L'individu

qui contreviendrait d la lex perdrait son statut de possessor. Peut-on pr6sumer, avec quelque

vraisemblance, que le fautif ait perdu par-ld sa qualit6 de collegialus ? Formant un ias

sp6cifique, les interdits 1i6s au champ ont dir €tre int6gr6s au rdglement coll6gial aprds

l'acquisition de ce bien. Sans cela, on ne comprendrait pas que l'inscription fasse allusion d la

lex corporis. Ces interdits pourraient d6couler, par exemple, de conditions fix6es par un

donateur. Une inscription lucanienne livre un paralldle, par lequel apparait le souci du donateur

de se pr6munir de toute mancuvre dolosiveot. Sur le titre de possession des Heliopolitani, les

pr6occupations d'un tel personnage auraient 6t6 centr6es sur le statut de possessor et non sur

celui de corporatus. Mais, le possible donateur aurait ressenti comme une garantie f int6gration

d, la lex corporis du ius possessorum. Cela suppose que la loi apporle aux responsables du

corpus un pouvoir disciplinaire, d mdme d'exercer une contrainte sur les corporati. Dans cette

perspective, il semble possible que la perte du droit de possessor implique la destitution de la

qualit6 de corporatu,s, ou induise une proc6dure disciplinaire susceptible de mener in Jine it

l 'exclusion du colldge.

Le riglement coercitif des litiges et le recours ir I 'exclusion

Sans nul doute, le renvoi du groupe correspondait d une mesure disciplinaire parmi

d'autres. Les colldges devaient probablement se r6soudre d cet acte ultime, lorsqu'ils n'6taient

pas parvenus d soumettre un confrdre au respect de la rdgle commune. En r6alit6, la

documentation indique, de manidre fugace, comment les colldges s'organisaient pour imposer le

respect des rdgles, et dans quelles situations ce respect pouvait €tre bafou6.

Les dignitaires coll6giaux se voyaient confier des pr6rogatives juridictionnelles et

recevaient parfois le titre de iudex. Seules deux inscriptions tdmoignent peut-€tre de l'existence

du titre de juge coll6gial, mais la raret6 de ces attestations est assez compr6hensible. Il est

probable que les dirigeants ordinaires des colldges exergaient des fonctions de type judiciaire.

Leur r6le consistait sans doute d instruire les affaires et d soumettre leur rdglement ir I'assembl6e

g6n6ra1e du colldge. Sur une inscription de Pola, il est fait allusion d, tn iudicatus, exercl

(semble{-il) par deux responsables dt collegium.labrum local68. Aquilius Rufinus et Tacitius

, . CIL,X, 1634.u' CIL, x,444 : cf . <<, sine dolo malo >>.u' CIL,Y , 8143 : Inscr. It., X, 1 , 618 : < Setiditts Ossat(us) l/en (sic) Seridia F/rontonila, fratres, tri(u)us, ex iudic/ato

Aquili Rufi iten (sic) Taciti Seaila/ris, ex col(l)egio.fabrum tribtmato, / sita arca mortis tt(iui) ius(serunt). > Le texte

pose des probldmes de compr6hension. Sans doute serait-il plus intelligible si l'on retablissait << ex col(l)egi<i>

fabrunt tribtmato >, ir la 4" ligne, en tenant compte de I'ofthographe et de la grammaire approximatives du r6dacteur.

N. TneN

Saecularis semblent avoir rendu un arbitrage relatif d la jouissance d'une concession fun6raire.Le formulaire 6pigraphique laisse d penser qu'ils ont 6td saisis dans le cadre du traitement d'unlitige. Sans doute faut-il voir en eux des iudices, mais il n'est pas str que les.fabri leur avaientexpress6ment attribu6 ce titre. Ils pourraient avoir agi en tant que dirigeants ordinaires.

De leur c6t6, les instances dirigeantes du colldge des charpentiers romains ont 6lev6T. Flavius Hilario au rang de << iudexs inter elect(os) XI ab orcline lust(ro) XXII >>6e. L'orclo(dans le cas parliculier de ce colldge d I'effectif pl6thorique, le comit6 form6 par les d6curions etles anciens pr6sidents) a install6 une commission judiciaire de douze membres, en poste entre94 et 99. Le titre attribud d ces hommes souligne le caractdre 6lectif de fonctions judiciaires,attribu6es au sein d'un groupe maitrisant sa destin6e. En la personne de Hilario, les .fabritignuarii ont choisi un sage, habilit6 d jouer un r61e d'arbitre, fort de sa grande anciennet6. Eneffet, Hilario avait entam6 sa longue caridre coll6giale trente ans auparavant, en quittant lestatut de collegiatus ordinaire pour le d6curionat; il avait occup6 la pr6sidence du colldge entre74 et79. La documentation permet d'imaginer quel type de litiges Hilario a 6t6 conduit d juger.

En rassemblant les donn6es 6parses foumies par nos sources, un ensemble de litiges,soumis au jugement des dignitaires institu6s en qualit6 de juges, se dessine. En r6alit6, derridreces cas de litiges, les probables motifs de renvoi semblent se laisser entrevoir. Tout d'abord,conilne nous l'avons vu, les colldges rencontrent des difficult6s dans le recouvrement descontributions exigdes de leurs membres ; et les d6fauts de paiements devaient aboutir d desrenvois. Les motifs de bien des exclusions 6taient probablement d'ordre financier.

En outre, il 6tait reprochd d certains responsables des fraudes de nature administrative.La question des adh6sions ill6gales, d6jd pos6e, reldve de ce type de griefs. Sans doute des casde fraude 6lectorale sont-ils venus compl6ter ce sous-ensemble. La conjecture n'est pas tout dfait gratuite, car elle peut s'appuyer sur I'existence de charges de surveillance des 6lections ausein des colldges. L'dpitaphe de T. Flavius Hilario, la titulature dtoffee qu'elle donne d admirer,recdle encore de pr6cieux 616ments. Le faber tignuarius a 6t6 < nltngentus ad subfrag(ia) >>,entre 68 et 73, avant de revOtir d deux reprises la fonction de <<censor ad mag(istros)creando(s) >, affect6 aux 6lections de 84 et 89. Le colldge des charpentiers romains s'6tait munid'instances de contr6le de la validit6 des candidatures et de surueillance des votes. Il n'est pasimpossible qu'il ait tent6 par ld d'emp6cher des fraudes. Enfin, des fautes pouvaient €trecommises dans 1'exercice de missions, 6lectives ou non, confi6s par les colldges. Le magistersummotus du collegiumfabrum tignuariorum vient d nouveau d l'esprit ; et l'on imagine que lagestion financidre des colldges pouvait €tre I'objet de litiges70. Dans le colldge de Lanuvium, laquinquennalitas << intdgre ) apporte des r6compenses en sortie de charge71. Cela implique

6e cIL, l{IV ,2630 (D., 7237) : << T(ito) Ftauio T(iti) lib(erto) Hilarioni, / decur(ioni) colt(egii) fabr(unt) ex lustro w,/ nungento ad subfiag(ia) lustro XVI, / mag(istro) quinq(ennali) colt(egii) fabr(um) tignarior(um) / lustro Xl4I,honorat(o) ex lttstro XIIX, / censor(i) bis ad mag(istros) creando(s) btst(ro) XIX et XX, / iutlexs inter elect(os) XII abordine lust(ro) XXII, / Claudia Ti(beri) f(ilia) Prisca uiro optimo, / et Flauia T(iti) f(itia) priscilla patri optinto. >>7{ )Quantauco l ldged 'A lbumusMaior ,ce lu i -c i

demanda i tunecaut iondLsesmagis t ra ts (C1I , l l l , p .924, l igne9:< ,<e tcautionent suam, in qua eis cauerat, recepisset I : < [qu']il a repris la caution qu'on avait exig6 de lui par s0ret6 >).1t CIL, XIV,2ll2 (D.7212),I1,21-22 '. << Item placuit, ut quisquis quinquennalrtatem gesserit integre, ei ob honorempartes se[squiJ/plas ex omni re dari. >>'. < Il a 6t6 d6cid6 que quiconque aura 9616 la pr6sidence de manidre intdgrerecevra en recompense une part et demie lors de toutes les distributions. >

' t 1 A

LEs pRocEoUREs D'EXCLUSION

I'existence d'une proc6dure de reddition de comptes, pouvant donner lieu d des poursuitesdisciplinaires. Les mdmes cultores Dianae et Antinoi' avaient aussi coutume d'envoyer trois desleurs proc6der aux fun6railles des confrdres qui d6c6daient d plus de vingt milles de leur ville.Les trois d6l6gu6s partaient avec la somme n6cessaire d l'ex6cution des rites : menac6s d,uneamende du quadruple, ceux-ci devaient rendre compte de leur action72. Le colldge craint que descollegiati, se rendant coupables defraus et de dolus malus, ne pr6ferent empocher l,argent etlaisser les malheureux d6funts sans s6pulture.

Une troisidme s6rie de griefs pourraient 6tre qualifi6s de comportementaux. En ef1et, lesrdglements communautaires r6velent une volont6 de faire des colldges le cadre de rencontrespolic6es' Mais ce d6sir, qui d6coule de I'image respectable que les colldges souhaitent donnerd'eux-mdmes et de leurs membres, ressemble d un veu pieux. Tertullien, d6crivant les 6glises dla fois par analogie et par opposition vis-d-vis des colldges paiens, n'insiste-t-il pas sur lasobri6t6 et sur la bonne tenue des assembl6es chr6tiennesT3 ? Or, vers 60 ap. J.-C., la loi de lafamilia Silvani de Trebula Mutuesca condamne les rixes, susceptibles d'6clater lors desbanquets confraternels: <<Nequis litiget / neue rixam.faciat neue extrane/um inuitet ea die; siita fecerit d(are) d(ebeat) HS XX >>74. De mOme, dans le colldge de Lanuvium, sont mis dI'amende les mauvais convives qui se ldvent pour causer du d6sordre (<<seclitionis causa>>) etmanier I'insulte (<< in obprobium alter alterius clixerit >). La peine encourue est plus s6vdrelorsqu'un quinquennalls est victime de l,outrase75.

De fait, les colldges font 6tat, beaucoup plus volontiers, des amendes r6clam6es auxmembres fautifs, que de l'6ventuel renvoi de ces derniers. Une clause de loi de TrebulaMutuesca dnonce ainsi : < ex cuius decuria deliquerit / eorum curct erit tollere ; si ita nonJbceritd(are) d(ebeat) HS X >>76. Le colldge semble faire implicitement allusion d des renvoisindividuels, en ne pr6sentant de manidre explicite que I'amende encourue par ceux qui nerompraient pas avec les exclus. Les colldges se pr6sentent comme des groupes d'integration,

" cIL, XlV,2112 (D. 7212), l, 26-29: <item placuit quisquis a municipio ultra milliar(ium) w decesserit etnuntiatum fuerit, eo exire debebunt / electi ex corpore n(ostro) homines tres quifuneris eius curam agant et rationemprtpulo reddere debebunt / sine dokt mfalJo ; et .si quit (sic) in eis fraudis causa tnuentum Jiterit eis multa estoquadrupltrm' > : < il a 6t6 d6cid6 que, si quelqu'un vient d d6c6der dans un rayon de vingt milles autour du municipeet que la declaration en a 6t6 faite, trois hommes choisis au sein de notre corps devront se rendre sur le lieu du decdspour s'occuper des fun6railles ; qu'ils en rendront compte et devront en faire la preuve, sans qu'aucune malversationne soit constat6e; si quelque faute est 6tab1ie, ils seront frapp6s d'une amende 6ga1e au quadruple de la somme qurleur aura 6t6 assign6e. >73 TeRr , Apol.,38-39; voir, en particulier, le passage 3g.5-6.'' AE' 1929,161, lignes 6-10. < on ne se querellera pas et on n'en viendra pas aux mains ; on n,invitera pas non plusd'etrangers au colldge cejour-ld : au cas oi cela se produirait, le coupable devra verser vingt sesterces ).1t cL, xlv , 2112 (D.' 7212),II, 25-28 : < item placuit ut quisquis seditionis causa de loco in alium locum transteritei multa es/to HS IIII n(ummum) ; si quis outem in obprobrium (sic) alter alterius dixerit aut tu[mulJ/tuatus/uerit eimtrlta esto HS XII n(ummum) ; si quis quinquennali inter epul[asJ / obprobrium (src) aut quid contumeliose 4ixerit eimulta esto HS xx n(ummum) > ; < il a 6t6 d6cid6 que quiconque aura quitt6 sa place au banquet pour causer dud6sordre sera frapp6 d'une amende de quatre sesterces. celui qui insultera un confrdre ou cr6era du d6sordre, qu,itsoit frapp6 d'une amende douze sesterces. celui qui aura outrag6 un quinquennal ou se sera mal conduit envers luisera frapp6 d'une amende de vingt sesterces. )76 AE, 1g2g,161, 14-15. < si q,ielque membre vient d se mettre en faute, on ne s'occupera plus de lui: si les autresmembres ne s'ex6cutent pas, ils verseront chacun l0 HS >.

N. TNnN

soucieux d'inculquer des normes comportementales d des adh6rents volontaires, et non commedes collectivitds pratiquant I'exclusion. Pourtant, il parait difficile d'envisager ces deux mesuresdisciplinaires, I'amende et le renvoi, comme alternatives et exclusives l'une de l'autre. Par quelsmoyens un colldge pouvait-il imposer aux membres r6calcitrants le paiement d'une amende ? Ilne pouvait pas user lui-m6me de la contrainte par corps. Peut-Otre pouvaient-ils menacer lescollegiati r6calcitrants de poursuites devant les tribunaux ordinaires. Par exemple,ind6pendamment des dispositions du rdglement coll6gial, une cofllmunaut6 pouvait, sans doute,menacer les ivrognes brutaux d'une plainte pour coups, blessures et outrages publics. Mais,d'un point r,ue interne, que pouvait faire un colldge face d un individu refusant de se soumettre dla rdgle cofi[nune, par son compoftement puis par son refus d'en assumer les cons6quencesdisciplinaires ? Il parait vraisemblable que le colldge devait se r6soudre d prononcer I'exclusionde l'insoumis, lorsque ce dernier se montrait < irr6cup6rable >77. La mise a I'amendecorrespondrait, somme toute, d une main tendue 6vitant de se s6parer d6finitivement d'unconfrdre. Les associations d vocation fun6raire disposaient d'un moyen d'un r6el moyen depression en laissant pr6sager aux fautifs la perspective d'une morl sans s6pulture. Mais il paraitfort improbable qu'un terrain de conciliation ait toujours 6t6 trouv6. Dds lors, le colldge nepouvait se contenter d'une rupture de fait, sans lui donner un caractdre officiel. Ce caractdreofficiel de I'exclusion avait une double fonction, symbolique et concrdte. R6uni en assembl6ed6lib6rative, le groupe affirmait son autorit6 avec d'autant plus de solennit6 que celle-ci avait6t6 mise d mal. Il prenait une posture d'autorit6 en condamnant des individus qui, parfois,devaient avoir le sentiment de s'6tre exclus d'eux-m€mes. Ce faisant, sur un plan pratique, il sepr6munissait de toute r6clamation future concernant la jouissance des droits de collegiatus,venant de I'exclu ou de ses h6ritiers.

Pourquoi, cependant, les colldges se sont-ils gard6s de d6crire ces proc6dures demanidre aussi explicite ? A nouveau, deux niveaux d'interpr6tation sont peut-€tre possibles. Enpremier lieu, les colldges avaient le souci d'assurer leur survie, sur plan humain et financier.C'est 12r I'un des principaux enseignements du triptyque d'Alburnus Maior. Sans doute, lescolldges ne se pennettent-ils pas de brandir la menace de l'exclusion trop ouveftement, parcequ'ils ont le sentiment que leur existence est pr6caire. La r6ussite de I'entreprise collective passepar la bonne volont6 des collegiali. Ceux-ci ont choisi d'adh6rer d un colldge dont la p6rennit6d6pend de leur d6sir de continuer d s'investir dans la vie collective. Dans ce cadre,l'autoritarisme et les discours menagants sont de mauvaise strat6gie. On touche ici au secondniveau d'interpr6tation. Soucieux de l'image qu'il veut donner de lui, le colldge refused'afficher aux yeux de chacun l'6ventualit6 d'un 6chec.

Ftt-elle le plus souvent consign6e dans I'univers clos de la schola, la production6pigraphique des colldges ne peut t6moigner de l'6chec collectif. Les tensions existent, car elles

' ' A. MAGDELAIN, op. cit., p. 47 : < On admet en g6ndral que la /e:r d'un colldge ne lie que ses membres et, pow sefaire respecter, ne doit compter que sur elle-m6me. Seuls les membres et non les tiers seraient frapp6s par lesamendes qu'elle pr6voit (la formule multa esto est fr6quente) et jug6s selon la proc6dure qu'elle organise. Lajuridiction statutaire aurait tout au plus une valeur arbitrale. L'Etat ne preterait pas son concours pour assurer lerecouvrement de ces amendes et le respect de ses sentences. Et le colldge serait r6duit aux moyens de contrainterelevant de son autonomie : refus des honneurs et des avantages comoratifs ou exclusion de la communaute. >

LES PRoCEDURES D'EXCLUSION

sont humaines ; le colldge ne les nie pas, bien que cette donn6e soit contraire d la vie d,agr6mentqu'il entend proposer d ses membres. Toutefois, les seules traces durables qu'il est convenablede laisser paraitre ont trait au rdglement de ces tensions. La lex collegii n'organise pas lapublicit6 du d6sordre et des dysfonctionnements. Elle met le colldge en scdne, dans sa capacit6 dimposer un respect de I'ordre et des convenances, entre gens de bien. L'exclusion d6montre ceque le colldge ne peut ouvertement avouer : les individus admis dans le colldge ne sont pas tousdes gens de bien, toujours dignes du respect de chacun. Le renvoi fait figure de tabou6pigraphique, car le colldge s'interdit toute n6gativit6 dans I'image qu'il entend donner aulecteur de ses inscriptions. Il parait vouloir tendre vers un id6al : que les exclus potentiels eux-memes n'aient pas conscience, ne s'autorisent pas ii avoir conscience, de l'6ventualit6 de leurrenvoi. Quelles sont donc les dispositions d'esprit des collegiali qui refusent de se conformer dI'autorit6 morale du groupe ?

L'envers de la sociabilit6

L'exclusion, en g6n6ral, et les proc6dures de renvoi des colldges, en particulier, donnentir voir I'envers de la sociabilit6 : la propension des groupes et des individus d d6faire les liensqu'ils avaient tiss6s. De fait, s'exclure, adopter un comportement dont on est cens6 savoir qu,ilmdne au renvoi, s'apparente d un refus, plus ou moins conscient, de la sociabilitd. A traverscelle-ci, les acteurs sociaux sont d la recherche d'une sensation : la << douceur d'etre inclus >6voqu6e par Michel Morineau, en pr6ambule d un important colloque sur la sociabilit6Ts. Lanotion est ici associ6e d une inclination humaine et personnelle d aller vers I'autre ; le fait d,€tresociable g6ndre la constitution de groupes en grande partie soud6s par la valeur affective queleur reconnaissent leurs membres. Ainsi d6finie, dans sa relation aux affects, la sociabilit6 estplac6e sur un terrain trds subjectif. La relation de I'individu au groupe est envisag6e par le biaisde sentiments personnels, variables par essence. En effet, la m6me inclusion dans un groupe etcette ( douceur >> m€me d'6tre inclus peuvent 6tre ressentie de manidre diff6rente, voireoppos6e. Le consensus respectable, l'harmonie conviviale et les convenances de bon aloi cr6entun climat chaleureux pour certains, une atmosphdre doucereuse et insupportable pour d,autres.La vie coll6giale apporte des satisfactions et des avantages que les sources laissent saisird'embl6e. Mais, d n'en pas douter, elle pouvait provoquer aussi la r6pulsion violente, I'ennuiagac6 ou encore l'envie d'en tirer parti de manidre r6prdhensible. De ces sentiments, 6trangers dla tonalitd des textes 6pigraphiques, naissent le go0t de I'agitation, la lassitude de payer sescotisations et la tentation de la fraude. Le colldge 6labore des normes, un ordre qu,il entendimposer, mais auxquels certains refusent de se plier. Entit6 hi6rarchis6e, lieu d'exercice d,uneforme de pouvoir, le colldge cr6ait des rapports de domination que tous n'acceptaient pas... augrand dam des quinquennales insult6s.

'o M' MORTNEAU, La douceur d'6tre inclus, Sociabilite, pouvoirs et socitlte,6d. par F. THELAMoN, Actes du colloquedeRouen(24-26novembreI9B3),1987(Rouen),p. 19-32; c.VrNceNr, Lesconfrdriesm,di ivalesdansleroyaumede France 6nf -nt sidcles),1994 (Rouen), p. 13, reprend l'expression.

N. TnaN

Les colldges professionnels et fun6raires laissent observer des m6canismes d'int6grationet d'exclusion qu'ils partagent, en fait, avec d'autres entit6s collectives, pr6sentes dans lessoci6t6s du monde romain. Ainsi, la tendance des colldges ir s'approprier le champ lexical de lafamille a souvent 6t6 soulignde. Or, les structures et I'expression 6pigraphique des colldges,d'une part, et des familles, d'autre part, comportent des analogies. Par exemple, bien des6pitaphes familiales c6ldbrent la < douceur d'Otre inclus >>. Au II" sidcle, on le sait, les superlatifsaffectueux fleurissent sur des inscriptions fun6raires qui exaltent la pi6t6 envers les siens etI'ind6fectible concorde. Ces louanges fundbres, d6clarations sincdres ou propos decirconstances, forment une masse documentaire consid6rable. Seul un petit nombre de textesd6tonne. Tel affranchi, abominable. s'est l'u interdire l'accds au tombeau familialTe. Untel aacquis une concession fun6raire qui accueillera les d6pouilles de tous ses proches, d I'exceptionde ceux d qui son testament aura refus6 cet avantageto. La famille romaine correspond d unensemble hi6rarchis6, plac6 sous I'autorit6 d'un pdre de famille ; des individus de statutinf6rieur doivent s'y soumettre. L'affection familiale, les hommages rendus aux pdres, auxpatrons et aux maitres, peuvent avoir 6t6 sincdres, mais les bons sentiments n'6taient pas

exclusifs de tous les autres.

En somme, de petits mondes, familiaux ou coll6giaux, se dessinent ori l'expression dubonheur d'6tre ensemble masque d'in6vitables tensions. En elle-m€me, I'expression de cebonheur peut constituer un acte de soumission au pouvoir d'un sup6rieur hi6rarchique et d lanorne sociale qui conforte le pouvoir de celui-ci. Or, l6gitimement ou ill6gitimement, desindividus refusent de se soumettre. Ils pr6fdrent parfois €tre exclus que de suivre la rdgle6nonc6e par le groupe, relay6e (le cas 6chdant) par la soci6t6. Le mince dossier des proc6duresde renvoi des colldges conduit d cette conclusion. La volont6 de faire respecter des rdgles de viecornmune et des nonnes de comportement social a impos6 autx collegiati le recours dI'exclusion. La menace du renvoi devait Otre brandie, et parfois mise d ex6cution, mais ellen'6tait pas affich6e de manidre trds ostensible. La norme de l'inclusion dans le groupe,int6rioris6e et affich6e, masque une anorrnalit6 qui menace le groupe dans ses fondements.

'n AE, lg7g,94: AE, 1981, 157 : <<D(is) M(anibus), / C(aius) Voltitlius Felicissimus /Jecit sibi, se uiuo, et suts /libertis libertabusque / posterisque eorum, / excepto Hilaro, liberto / meo abominando, ne / in hoc monimento /aditum habeal. ) M. CEBEILLec-Gr,nvesoNt, < Un ex6crable affranchi dans une inscription inedite d'Ostie ),Miscellanea di studi classici in onore di Eugennio Manni, 1980 (Rome), tome II, p. 451-461.to CZ, XIV, 1437 : << D(ecimus) Otacilius Felix fecit sibi et / Otaciliae Hilarae, collibertae, / D(ecimo) OtacilioHilaro, l(iberto), / D(ecimo) Otacilio Eudoxo, l(iberto), // in consilio / mannmisso // Luriae Musae, uxori, / ceterislibertis libertabusque meis / omnibus posterisque eolum, praeter / quos testamento meo praeteriero ; / in front(e)p(edes) XW, in agr(o) p(edes) XW. >