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LE PALÉOLITHIQUE MOYEN EN BELGIQUE MÉLANGES MARGUERITE ULRIX CLOSSET Les Chercheurs de la Wallonie Hors-serie N o 4 Michel Toussaint, Kévin Di Modica et Stéphane Pirson (dir.) 2011

Les sites du Mont Saint-Martin (Liège)

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LE PALÉOLITHIQUE MOYEN EN BELGIQUEMÉLANGES MARGUERITE ULRIX CLOSSET

Les Chercheurs de laWallonieHors-serie No 4

Michel Toussaint, Kévin Di Modica et Stéphane Pirson (dir.)

2011

Bulletin de la Société royale belge d’études géologiques et archéologiquesLes Chercheurs de la Wallonie (A.S.B.L.)

Hors-série No 4

ERAUL 128

études et Recherches Archéologiques de l’Université de Liège

Liège, 2011

Publié avec l’appui de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Service général du Patrimoine Culturel), du Service public deWallonie (Direction générale opérationnelle de l’Aménagement du territoire, du Logement, du Patrimoine et del’énergie) et d’Archéologie Andennaise (A.S.B.L.).

LE PALÉOLITHIQUE MOYEN EN BELGIQUEMÉLANGES MARGUERITE ULRIX-CLOSSET

Sous la direction scientifique de

Michel Toussaint, Kévin Di Modica et Stéphane Pirson

1. Contexte des recherches

Depuis le milieu des années 1990, la mise en œuvre deplusieurs projets immobiliers a conduit le Service publicde Wallonie (SPW) à explorer les dépôts du Pléistocènesupérieur préservés sur le versant méridional du MontSaint-Martin (fig. 1), par l’entremise de fouilles préven-tives réalisées sur les sites dits de la Cour Saint-Hubert etde l’Hôtel des Comtes de Méan, distants d’une centaine demètres l’un de l’autre (fig. 2). Localisé au centre de la villede Liège, le Mont Saint-Martin désigne l’interfluve entrela Meuse, au sud, et un petit affluent de la rive gauche dufleuve, la Légia, au nord. Les rues Saint-Hubert et MontSaint-Martin matérialisent la crête de l’interfluve à proxi-mité de laquelle se trouvent les deux sites. Deux autresgisements fouillés anciennement, Sainte-Walburge

(De Puydt et al., 1912) et Rocourt (Haesaerts, 1978 ;Haesaerts et al., 2011 ce volume), ne sont éloi-gnés du Mont Saint-Martin que d’environ 2 à 3 km,vers le nord.

à la Cour Saint-Hubert, la présence d’artefacts lithi-ques du Paléolithique moyen est attestée depuis 1996,à l’occasion de fouilles préalables à la démolitiond’immeubles anciens (Gustin, 1997). Un sondage de4 m2 (fig. 3) livra, sous près de 4 m de dépôts lœssiques,une petite pièce bifaciale et un nucléus laminairebipolaire (fig. 4). Faute de temps, la séquence stratigra-phique mise au jour ne fit l’objet que d’un rapideexamen par é. Juvigné. La confirmation d’un importantgisement préhistorique à cet endroit remonte à 2003, àla faveur d’une intervention archéologique menéeinitialement sur une maison en pans de bois des XVIe etXVIIe siècles bordant la cour proprement dite à l’est(Mora-Dieu et al., 2004). La réalisation d’un sondaged’environ 1,5 m2 (fig. 3), sous le sol de cave du bâtiment,permit la découverte d’une vingtaine d’artefacts lithiquesau sein et à la surface d’un complexe de sols attribué auPédocomplexe de Rocourt (fig. 5). La stratigraphie dusondage et les 3 m supérieurs encore accessibles d’unecoupe dégagée en 1996 furent relevés et décrits(Haesaerts, 2010).

Bulletin des Chercheurs dela Wallonie, hors-série no 4

ERAUL128

Les sites duMont Saint-Martin (Liège)PIERRE VAN DER SLOOT, PAUL HAESAERTS ET STÉPHANE PIRSON

233000 233500 234000 234500 235000 235500 236000 236500 237000

148500

149000

149500

150000

Légia

Meuse

Mont Saint-Martin

155

155

155

155

120

120

120

120

2 1

0 250 m

FIG. 1Liège − Localisation des sites à industries du Paléolithique moyen dela Cour Saint-Hubert (en 1) et de l’Hôtel des Comtes de Méan (en 2)dans la topographie locale. Les cotes et les courbes de niveau (équi-distance : 7 m) ont été obtenues par la modélisation des donnéesXYZ fournies par l’Institut géographique national, à l’aide du logi-ciel Surfer ©. évocation des cours de la Meuse et de la Légia avantl’industrialisation (d’après LECOUTURIER, 1930; DAO L. Bruzzese, SPW,DGO4, SALg).

Le Paléolithique moyen en Belgique Mélanges Marguerite Ulrix-Closset

2011 : 385-393

38� Pierre van der Sloot, Paul Haesaerts et Stéphane Pirson

COUR SAINT-HUBERT

HOTEL DESELYS-LONGCHAMPS

HOTEL DESCOMTES DE MEAN RUE MONT SAINT-MARTIN

RUE SAINT-HUBERT

RUE BASSE SAUVENIERE

RU

ED

ELA

MO

NTA

GN

E

Boulevard de la Sauvenière

(ancien bras de la Meuse)

FIG. 2Liège – Cour Saint-Hubert et Hôtel des Comtes de Méan. Locali-sation des interventions archéologiques (en noir) ayant permisla fouille des horizons supérieurs du Pédocomplexe de Rocourt(sur extrait du plan cadastral 13e div., Sect. F ; DAO A. Mélon SPW,DGO4, SALg).

1996

2003

0 10 m

RUE SAINT-HUBERT

RUE

DELA

MO

NTAG

NE

FIG. 3Liège − Cour Saint-Hubert. En gris foncé, extension de la fouille(campagne 2009) dans le Pédocomplexe de Rocourt (sur extraitdu plan cadastral 13e div., Sect. F). En noir, position des sondagesde 199� et de 2003 (DAO A. Mélon SPW, DGO4, SALg).

En 2007 et 2008, l’aménagement d’un complexehôtelier à l’emplacement des hôtels particuliers de Sélys-Longchamps et des Comtes de Méan offrit l’opportunitéau SPW d’appréhender, sous le second bâtiment, desdépôts similaires à ceux rencontrés à la Cour Saint-Hubert (Haesaerts et al., 2008 ; fig. 2, 6). Les horizonssupérieurs du Pédocomplexe de Rocourt, fouillés sur unesuperficie de près de 15 m2 par l’entremise de sondagesdéconnectés les uns des autres, ont livré plusieursdizaines d’artefacts lithiques.

387Les sites du Mont Saint-Martin (Liège)

FIG. 4Liège − Cour Saint-Hubert (campagne 199�). Pièce bifaciale etnucléus à lames bipolaire (dessin A. Mélon SPW, DGO4, SALg).

FIG. 5Liège − Cour Saint-Hubert (campagne 2003). Remontage de troisartefacts issus du Pédocomplexe de Rocourt (photo E. van der Sloot,In Situ).

FIG. 6Liège − Hôtel des Comtes de Méan. Vue de la séquence lœssiquepréservée sous le bâtiment (photo P. van der Sloot, Liège On Line).

FIG. 7Liège − Cour Saint-Hubert (campagne 2009). Vue de la séquencelœssique (photo P. van der Sloot, SPW, DGO4, SALg).

0

5 cm

0 3 cm

La mise en route d’un nouveau projet immobilier àl’emplacement de la Cour Saint-Hubert, impliquant lacréation d’un parking souterrain menaçant de destruc-tion les couches archéologiques, fut l’occasion pour leSPW de procéder, de mars à août 2009, à une nouvellecampagne de fouilles (van der Sloot et al., 2009).Contrairement aux interventions précédentes, celle-ci apermis d’explorer le Pédocomplexe de Rocourt sur unesurface relativement vaste (120 m2) pour ce type decontexte urbain (fig. 2, 7). Toutefois, l’extension totaledu gisement n’est pas connue. à l’issue de l’intervention,un peu plus de 1.000 éléments lithiques ont été récoltésdont une partie fut trouvée au sein du Pédocomplexede Rocourt.

2. Cadre stratigraphique et position dumatériel

2.1. Stratigraphie

L’étude stratigraphique des deux sites a permis derestituer des séquences lœssiques de 6 à 7 m d’épaisseur,qui enregistrent les principales périodes du Pléistocènesupérieur (fig. 8). Dans leur section inférieure, uncomplexe de sols apparenté au Pédocomplexe de Rocourta été identifié. Plusieurs pédogenèses de type sol lessivé àgris forestier, attribuées à l’Interglaciaire eemien et auDébut Glaciaire weichselien, s’y trouvent enregistrées.Bien que les enregistrements de la Cour Saint-Hubert etde l’Hôtel des Comtes de Méan présentent tous deux uncertain nombre de similitudes, ils diffèrent sensiblement,en particulier en ce qui concerne la succession des événe-ments associés au Pédocomplexe de Rocourt, la séquencede l’Hôtel des Comtes de Méan apparaissant mieuxdifférenciée.

à l’Hôtel des Comtes de Méan, une bipartition dupédocomplexe a été observée (fig. 8-9). Sa moitiéinférieure (unité G) est caractérisée par un horizonB2t d’un sol lessivé glossique (sous-unité G-2), passantvers le bas à un horizon B en bandes (sous-unité G-3) ;le tout est surmonté d’un horizon glossique à languessub-verticales, associé à une seconde génération d’illu-viation argilo-humique de type sol gris forestier(sous-unité G-1), laquelle affecte également l’horizon B2tsous-jacent. La moitié supérieure (unité F) est constituéede colluvions limoneuses (sous-unité F-2) portant unépais horizon brun sombre à langues glossiques de typeBth appartenant à un sol gris forestier (sous-unité F-1),affecté par un phénomène de fauchage. Un cailloutisassocié à des lentilles argileuses et à de petits chenauxsableux (sous-unité E-5) est postérieur à la phase defauchage et recoupe le sol gris forestier de F-1. L’une desparticularités les plus remarquables de cette séquencetient à ce que la pédogenèse de l’unité F est nettementdistincte et séparée des deux pédogenèses sous-jacentes(unité G).

à la Cour Saint-Hubert, les horizons du Pédocomplexede Rocourt sont également regroupés au sein de deuxunités (G et F ; fig. 8, 10). Ils sont surmontés par la sous-unité E-f, assez hétérogène, laquelle présente, la plupartdu temps, des lentilles sableuses obliques interstratifiéesavec des langues obliques de limon argileux issues del’unité F sous-jacente, une disposition résultant d’undéplacement par solifluxion le long de la pente (fig. 11).à certains endroits, des poches sableuses pluridécimé-triques à métriques ont été observées. Les lentilles et lespoches sableuses correspondent vraisemblablement à deschenaux qui, contrairement à ceux de la sous-unité E-5de l’Hôtel des Comtes de Méan, sont étirés le long de lapente (fauchage). La sous-unité G-a, interprétée commeun horizon illuvié (B2t) d’un sol lessivé glossique, corres-pondrait à un équivalent de l’horizon G-2 de Méan. G-bcorrespond à l’horizon inférieur du sol lessivé et repré-sente vraisemblablement un équivalent de la sous-unitéG-3 de Méan. L’unité sus-jacente (unité F) est un limonargileux non carbonaté au sein duquel une structurelamellaire fine, millimétrique à inframillimétrique,s’observe ; localement, dans la partie supérieure de l’unité,elle cède la place à une structure granulaire fine. Aucuneilluviation n’a été décelée sur le terrain. Une secondegénération de glosses s’ouvre au niveau de l’interface E/Fet pénètre dans l’horizon sous-jacent (G-a). Elle est nette-ment fauchée sur toute l’épaisseur de l’unité F. Plusieurséléments suggèrent que cette dernière correspond à lapartie active d’un sol gelé en profondeur : structuresgranulaire et lamellaire fines, fauchage intense, rupturedans l’inclinaison des fentes de gel fauchées à l’interfaceentre les unités G et F, structure lamellaire épaisse en G(Van Vliet-Lanoë, 1988). L’hypothèse de la présenced’une pédogenèse de type sol gris forestier au sein de cetteunité, suggérée par plusieurs caractéristiques observéesmacroscopiquement, par la position stratigraphique ainsique par la comparaison avec la séquence de l’Hôtel desComtes de Méan, a été impossible à vérifier sur le terrainen raison des perturbations importantes subies par lesédiment lors de la solifluxion ; elle devra être testée enlame mince.

Dans l’ensemble, la signature pédosédimentaire desunités G et F reconnues au Mont Saint-Martin autoriseune comparaison avec les événements associés auPédocomplexe de Rocourt en Moyenne Belgique(Haesaerts et al., 1999 ; Haesaerts & Mestdagh, 2000 ;Pirson et al., 2009). Selon ce schéma, la double pédoge-nèse de l’unité G serait à mettre en parallèle avec les solsd’Harmignies et de Villers Saint-Ghislain A, respective-ment attribués à l’Interglaciaire eemien (S.I.M 5e) et aupremier interstade du Début Glaciaire weichselien (Saint-Germain I ; S.I.M 5c). Dès lors, le sol gris forestier préservédans la partie supérieure de l’unité F sous l’Hôtel desComptes de Méan serait un équivalent du sol de VillersSaint-Ghislain B, lequel correspond à la dernière phase depédogenèse du Pédocomplexe de Rocourt attribuée à l’épi-sode de Saint-Germain II (S.I.M 5a). Quant au Complexe

388 Pierre van der Sloot, Paul Haesaerts et Stéphane Pirson

humifère de Remicourt, qui fait suite au sol gris forestierdans la plupart des coupes de Moyenne Belgique, il neserait pas préservé ici.

2.2. Position dumatériel archéologique

Pour chaque site, plusieurs ensembles d’artefactslithiques, issus de contextes stratigraphiques distincts, ontété identifiés (fig. 8). Une majorité de pièces provient ducailloutis et des chenaux présents à la base de la couver-ture limoneuse sus-jacente au Pédocomplexe de Rocourt.Toutefois, ce dernier contient un nombre non négligeable

389Les sites du Mont Saint-Martin (Liège)

FIG. 8Liège – Mont Saint-Martin. Corrélation des séquences lœssiques del’Hôtel des Comtes de Méan et de la Cour Saint-Hubert. Les maté-rialisent la position des artefacts.

d’artefacts (environ 60 sur quelque 230 à l’Hôtel desComtes de Méan et près de 350 sur plus de 1000 à la CourSaint-Hubert).

Le canevas chronostratigraphique permet de situer cesensembles par rapport aux principales industries duPaléolithique moyen de Hesbaye (Haesaerts et al.,1999 ; Haesaerts & Mestdagh, 2000 ; Pirson et al.,2009). Suivant ce schéma, les pièces récoltées à l’interfacedes sous-unités G-1 et G-2 à l’Hôtel des Comtes de Méanpourraient être rapportées à l’épisode froid postérieur à lapédogenèse du Sol d’Harmignies (S.I.M 5d). Ce pourraitaussi être le cas des pièces issues de la sous-unité G-aà la Cour Saint-Hubert mais, à ce stade de la recherche,il ne peut être exclu qu’il faille les rattacher à la phasede sédimentation en contexte froid antérieure àl’Eemien (S.I.M 6).

390 Pierre van der Sloot, Paul Haesaerts et Stéphane Pirson

FIG. 9Liège − Hôtel des Comtes de Méan. Vue du Pédocomplexe de Rocourt(unités F et G). Au sommet du pédocomplexe, on distingue la sous-unité E-5. Les bouchons bleus matérialisent la position strati-graphique de quelques artefacts (photo P. van der Sloot, LiègeOn Line).

G-b

E-eE-f

F

G-a

FIG. 10Liège − Cour Saint-Hubert (campagne 2009). Vue du Pédocomplexede Rocourt (unités F et G), avec les deux générations de glosses.Au sommet du pédocomplexe, on distingue l’interstratification deslentilles sableuses de la couche E-f dans l’unité F (photo S. Pirson,SPW, DGO4).

Quant aux deux ensembles lithiques issus de l’unité Fà l’Hôtel des Comtes de Méan, respectivement au tiersinférieur du limon F-2 et dans l’horizon humifère F-1,ils appartiendraient à la phase de sédimentation qui

accompagne l’épisode froid séparant les pédogenèsesVSG-A et VSG-B (S.I.M 5b) ; ces ensembles occuperaientde ce fait une position similaire à celle des industries àfaciès laminaire de Remicourt et de Rocourt. Ce pourraitêtre également le cas des pièces issues de l’unité F de laCour Saint-Hubert (fig. 11), mais la corrélation entrecette unité et le sol de VSG-B doit encore être confirméepar l’étude micromorphologique. à la Cour Saint-Hubert,quelques artefacts proviennent aussi des fentes de gels’ouvrant au sommet de l’unité F (fig. 12).

Enfin, les artefacts issus du cailloutis et des petitschenaux sableux (sous-unité E-5 à l’Hôtel des Comtes deMéan ; sous-unité E-f et base de E-e à la Cour Saint-Hubert) sont incontestablement en position secondaireet proviennent de concentrations lithiques situées plushaut sur le versant, remaniées au cours de la phase d’éro-sion active au début du Pléniglaciaire inférieur. Il en va demême des objets issus des fentes de gel qui s’ouvrent ausommet de l’unité F et dans lesquelles le matériel remaniéa pu glisser. à la Cour Saint-Hubert, plusieurs remontagesont été réalisés, d’une part entre des artefacts de F et deE-f et, d’autre part, entre des artefacts de E-f et des fentesde gel. Ceci indique qu’une partie au moins des artefactsde l’unité E provient du remaniement de matériel situéinitialement dans l’unité F, plus haut sur le versant.L’existence de remontages au sein de l’unité F et entrecelle-ci et l’unité G doit être testée prochainement.

3. Données archéologiques

Vu l’état embryonnaire de l’étude de la documentationarchéologique, les paragraphes suivants se limitent à desconsidérations très générales, communes aux deux sites.

Seule une composante lithique a pu être identifiée,principalement sous la forme de plusieurs variétés desilex probablement collectées aux alentours des sites encontexte autochtone secondaire (sensu Turq, 2005)comme l’indiquent les surfaces corticales émoussées. Unlien a pu être établi entre le degré d’altération des arte-facts et leur contexte sédimentaire. Ainsi, les artefactsissus de l’unité E sont globalement plus altérés (patineet/ou lustre) que ceux issus du Pédocomplexe de Rocourt.

La mise en œuvre du silex se caractérise par la coexis-tence d’une composante technologique à éclat,notamment Levallois (fig. 13), et d’une autre laminaire(fig. 14). Chacune est attestée au sein du pédocomplexe(sans distinction d’unité à ce stade) et dans le cailloutissus-jacent. Rappelons qu’une petite pièce bifaciale asymé-trique a également été trouvée à la Cour Saint-Hubert en1996 mais sa position stratigraphique (F ou E-f) est incer-taine (fig. 4). Les différentes étapes de la chaîneopératoire paraissent représentées même si l’outillageau sens typologique du terme est assez pauvre. Dansl’ensemble, l’impression générale relative au gabarit desartefacts est celle de pièces de dimensions plutôt

391Les sites du Mont Saint-Martin (Liège)

FIG. 11Liège − Cour Saint-Hubert (campagne 2009). Vue de la transitionentre les unités F et E. On remarque une poche et des lentillessableuses (couche E-f ) interstratifiées dans le limon argileux del’unité F. Au centre de la photo, sous la poche sableuse, on distingueun artefact dans l’unité F (photo P. van der Sloot, SPW, DGO4, SALg).

FIG. 12Liège − Cour Saint-Hubert (campagne 2009). Artefact en silextrouvé au sein d’une fente de gel s’ouvrant au sommet de l’unité F :vue générale (A) et de détail (B) (photos P. van der Sloot, SPW,DGO4, SALg).

B

A

restreintes, leur plus grande longueur n’approchant quetrès exceptionnellement une dizaine de centimètres.Cette observation doit être mise en relation avec les choixopérés, en amont de la chaîne opératoire, dans la sélec-tion des matrices, lesquelles correspondent ici à des

rognons de calibre souvent peu volumineux, globalementirréguliers et de faible qualité.

En plan, la répartition des artefacts place la Cour Saint-Hubert et l’Hôtel des Comtes de Méan dans la catégoriedes sites caractérisés par une nappe de vestiges peu dense(absence d’amas de débitage) mais relativement continue(Depaepe, 2010). Les raisons à l’origine d’une telle dispo-sition de la documentation — anthropiques, naturellesou une combinaison des deux — doivent encore êtreéclaircies. On soulignera toutefois la difficulté d’appré-hender la répartition spatiale du matériel archéologiquedans le cadre de sites de plein air fouillés sur des surfacespeu importantes. Ceci est clairement attesté dans le nordde la France où la multiplication des fouilles extensives adémontré une complexité d’organisation des occupationshumaines qui n’aurait pu être mise en lumière parl’exploration de superficies réduites (Depaepe, 2010).

4. Conclusion et perspectives

Les données actuellement à disposition soulignent d’oreset déjà la richesse et la complexité du potentiel stratigra-phique et archéologique des dépôts lœssiques préservéssur le versant sud du Mont Saint-Martin. Comme pourla plupart des sites archéologiques, l’un des enjeuxmajeurs de la recherche à la Cour Saint-Hubert et à l’Hôteldes Comtes de Méan tient à l’évaluation du degré d’inté-grité et d’homogénéité de la documentationarchéologique. Dans ce contexte, il fait peu de doute quela solifluxion a eu un impact sur la position originelled’une partie des objets mais nous n’en connaissons pasl’ampleur à ce stade de la recherche. Il en est de mêmequant à la portée du ruissellement à l’origine de laprésence d’artefacts à la base de l’unité E. En consé-quence, et tenant compte de la répartition des artefactsau sein de plusieurs unités stratigraphiques, se pose laquestion du nombre minimal de phases d’occupationauxquelles se rapportent les pièces. Pour répondre à cesinterrogations, en plus du recours aux opérations « clas-siques » de remontage, d’étude typo-technologique dumatériel et des matières premières, les analyses micro-morphologique, des fabriques (sensu Bertran et al.,1997) et de la granulométrie archéologique (sensuBertran et al., 2006) sont envisagées.

Parallèlement, il s’agira d’affiner la corrélation entre lesséquences stratigraphiques de la Cour Saint-Hubert et del’Hôtel des Comtes de Méan, en portant une attentionparticulière à l’intégration de la documentation archéo-logique au sein du canevas stratigraphique. Dans cecontexte, la position des occupations au sein des diffé-rentes phases climatiques de la fin du S.I.M. 6 et duS.I.M. 5 devra être discutée.

Enfin, la qualité des données archéologiques et del’information chronostratigraphique enregistrées surles deux sites démontre la nécessité de poursuivre la

392 Pierre van der Sloot, Paul Haesaerts et Stéphane Pirson

FIG. 14Liège − Hôtel des Comtes de Méan. Quelques produits laminai-res issus de la sous-unité E-5 (A) et de l’unité F (B) (photosE. van der Sloot, In Situ).

FIG. 13Liège − Cour Saint-Hubert (campagne 2003). éclat de type Levalloisissu du Pédocomplexe de Rocourt (photo E. van der Sloot, In Situ).

0 3 cm

0 3 cm

B

A

surveillance archéologique sur l’ensemble du Mont Saint-Martin dont le potentiel demeure largement inexploité,particulièrement en ce qui concerne son versantseptentrional.

Bibliographie

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393Les sites du Mont Saint-Martin (Liège)

Table des matières4

Table des matières

6 Remerciements

7 Avant-propospar Michel Toussaint

Première partie

Marguerite Ulrix-Closset, biographie et hommages

15 Marguerite Ulrix-Closset, vie et œuvre d’une préhistorienne liégeoisepar Michel Toussaint et Kévin Di Modica

33 Marguerite, la mèche au ventpar Marcel Otte

35 Lettre de reconnaissance d’un fouilleur à Madame Marguerite Ulrix-Clossetpar Önhan Tunca

36 Mooie en dankbare herinneringen aan Marguerite Ulrix-Clossetpar Pierre M. Vermeersch

37 Mine de rien ! Un exemple de filiation académique en archéologiepar André Gob

39 Marguerite Ulrix-Closset et les « Chercheurs de la Wallonie », un demi-siècle de symbiosepar Jules Haeck et Michel Toussaint

41 Marguerite au « Musée de la Préhistoire en Wallonie »par Fernand Collin

43 Marguerite Ulrix-Closset et le Rubané en Belgiquepar Anne Hauzeur

47 L’enseignement de la Technique des fouilles à l’Université de Liègepar Pierre Noiret

54 Deux représentations de la grotte de Spy par le peintre Paul Delvauxpar Gaëtane Warzée

56 Aspects lithiques des Moustériens en Belgique. Hommage à Madame Marguerite Ulrix- Clossetpar Marcel Otte

Deuxième partie

Le Paléolithique moyen en Belgique, quatre décennies après la thèse de Marguerite Ulrix-Closset

75 La documentation du Paléolithique moyen en Belgique aujourd’hui, état de la questionpar Kévin Di Modica

105 Position chronostratigraphique des productions lithiques du Paléolithique ancien en Belgique :un état de la questionpar Stéphane Pirson et Kévin Di Modica

149 Les Néandertaliens du Bassin mosan belge : bilan 2006-2011par Michel Toussaint, Patrick Semal et Stéphane Pirson

197 The Early Middle Palaeolithic of Belgiumpar Ann Van Baelen et Caroline Ryssaert

213 Variabilité des systèmes d’acquisition et de production lithique en réponse à une mosaïqued’environnements contrastés dans le Paléolithique moyen de Belgiquepar Kévin Di Modica

Table des matières 5

229 Regards sur le Paléolithique moyen de France septentrionale et de Belgiquepar Jean-Luc Locht et Pascal Depaepe

239 Les productions bifaciales du Paléolithique moyen sur le territoire belge.Présentation d’industries entre deux mondespar Karen Ruebens et Kévin Di Modica

261 Les pointes foliacées et les changements techniques autour de la transition duPaléolithique moyen au supérieur dans le Nord-Ouest de l’Europepar Damien Flas

277 Tool Use and Hafting in the Western European Middle Palaeolithicpar Veerle Rots

Troisième partie

Présentation des principaux sites paléolithiques fouillés depuis 1975

291 Le Paléolithique ancien de La Belle-Roche (Sprimont, province de Liège)par Jean-Marie Cordy

297 Le Trou de l’Abîme à Couvinpar Pierre Cattelain, Damien Flas, Rebecca Miller, Marcel Otte, Stéphane Pirson et Michel Toussaint

305 La grotte de Spy (Jemeppe-sur-Sambre ; prov. Namur)par Patrick Semal, Cécile Jungels, Kévin Di Modica, Damien Flas, Anne Hauzeur, Michel Toussaint, Stéphane Pirson,Gennady Khlopachev, Damien Pesesse, élise Tartar, Isabelle Crevecoeur, Hélène Rougier et Bruno Maureille

323 La grotte Scladina : bilan 1971-2011par Dominique Bonjean, Kévin Di Modica, Grégory Abrams, Stéphane Pirson et Marcel Otte

335 Le Trou Al’Wesse : du Moustérien au Néolithique dans la vallée du Hoyouxpar Rebecca Miller, Fernand Collin, Marcel Otte et John Stewart

343 Les occupations moustériennes de la grotte Walou (Trooz)par Christelle Draily

353 A Middle Palaeolithic site with small bifaces at Oosthoven−Heieinde (Northern Belgium)par Karen Ruebens et Philip Van Peer

359 Le gisement paléolithique de la Sablière Gritten à Rocourt (province de Liège)par Paul Haesaerts, Kévin Di Modica et Stéphane Pirson

375 Le gisement paléolithique de Remicourt−En Bia Flo Ipar Dominique Bosquet, Paul Haesaerts, Freddy Damblon, Paula Jardón Giner et Caroline Ryssaert

385 Les sites du Mont Saint-Martin (Liège)par Pierre van der Sloot, Paul Haesaerts et Stéphane Pirson

395 A diachronic perspective on the Palaeolithic occupations at Kesselt−Op de Schanspar Ann Van Baelen, Jeanne-Marie Vroomans et Philip Van Peer

399 The Middle Palaeolithic Open-air Sites at Veldwezelt−Hezerwaterpar Patrick M.M.A. Bringmans

407 Le Paléolithique moyen en Belgique, essai de synthèse 2011par Kévin Di Modica, Stéphane Pirson et Michel Toussaint

414 Liste des auteurs

ArchéologieAndennaiseASBL

Quel est, en cette fin 2011, l’état des connaissances relatives au Paléolithique moyen en Belgique ? C’est à cettequestion que de nombreux spécialistes tentent de répondre dans cet ouvrage, dans des domaines aussi variés que lachronostratigraphie, la paléoanthropologie et la préhistoire.

Après une présentation du corpus des découvertes du Paléolithique moyen e ectuées en Belgique, les sitessu samment documentés du point de vue chronostratigraphique sont décrits et analysés.

Un chapitre dresse ensuite un état actuel de la recherche paléoanthropologique relative aux Hommes de Neandertaldécouverts dans huit grottes du bassin mosan belge.

La préhistoire est envisagée dans une série d’articles qui synthétisent les multiples facettes de la discipline, tanttypologiques et technologiques qu’en matière de tracéologie et d’étude des matières premières. Les chapitres quicomposent cette partie centrale de l’ouvrage s’échelonnent des origines du Paléolithique moyen régional auLincombien-Ranisien-Jerzmanowicien qui marque la transition avec les phases anciennes du Paléolithique supérieur.

Une série de présentations des principaux sites fouillés et réétudiés depuis une trentaine d’années termine le volume.

Celui-ci est par ailleurs dédicacé à Marguerite Ulrix-Closset à l’occasion de ses neuf décennies sur terre, enhommage à son œuvre archéologique emblématique Le Paléolithique moyen dans le bassin mosan en Belgique (1975),publication monographique de sa thèse de doctorat en préhistoire (Université de Liège, 1970). À cette fin, la partieinitiale de l’ouvrage résume sa vie, ses activités archéologiques et sa bibliographie avant de proposer dix courtshommages de collègues et d’anciens étudiants qu’elle a contribué à former.