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UNIVERSITÉ PARIS I – PANTHÉON- SORBONNE SCIENCES HUMAINES - SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES LES TERRITOIRES DE LA COMMÉMORATION UNE CONJONCTURE DE L’IDENTITÉ : LE BICENTENAIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE (1989) Thèse pour le Doctorat en Histoire (arrêté du 30 mars 1992) présentée et soutenue publiquement par PATRICK GARCIA Sous la direction de Monsieur le Professeur Michel VOVELLE Jury : Monsieur le Professeur Michel VOVELLE Monsieur le Professeur Robert FRANK Monsieur le Professeur Jean-Clément MARTIN Monsieur le Professeur Pascal ORY octobre 1994

Les territoires de la commémoration une conjoncture de l'identité française : le Bicentenaire de la Révolution française Tome 3 (1994)

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UNIVERSITÉ PARIS I – PANTHÉON- SORBONNE SCIENCES HUMAINES - SCIENCES JURIDIQUES ET

POLITIQUES

LES TERRITOIRES DE LA COMMÉMORATION UNE CONJONCTURE DE L’IDENTITÉ : LE

BICENTENAIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE (1989)

Thèse pour le Doctorat en Histoire (arrêté du 30 mars 1992) présentée et soutenue publiquement par PATRICK GARCIA Sous la direction de Monsieur le Professeur Michel VOVELLE Jury : Monsieur le Professeur Michel VOVELLE Monsieur le Professeur Robert FRANK Monsieur le Professeur Jean-Clément MARTIN Monsieur le Professeur Pascal ORY

octobre 1994

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TOME III
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CHAPITRE 10.

UNE APPROCHE QUANTITATIVE DE LÀ

COMMÉMORATION COMMUNALE : L’ENQUÊTE DU G.R.S.

Introduction Comme le film de Serge Moati, la décision d’ouvrir aux chercheurs sur simple demande les archives de la Mission déposées aux Archives Nationales (Fontainebleau) ou les crédits octroyés à l’I.H.T.P., l’enquête confiée au G.R.S. (Groupe de Recherches Sociologiques) s’inscrit dans le dispositif « mémoire » de la Mission du Bicentenaire de la Révolution française. Il s’agissait, au travers d’un questionnaire volumineux1 (53 questions), adressé à l’ensemble des communes de moins de 15 000 habitants2, de cerner quelles ont été leurs pratiques commémoratives et de croiser ces données avec des indicateurs de type politique (vote Mitterrand au second tour des présidentielles de 1988, tendance politique majoritaire au sein du conseil municipal) culturel et religieux (pourcentage d’élèves fréquentant les écoles privées, présence d’un curé permanent dans la paroisse) ou encore socio-économiques (richesse de la commune, type d’activités des résidents...). L’importance du questionnaire, il fallait pour le remplir, un long temps de réflexion constitue, en elle-même, l’une de ses limites. Elle a dû se révéler dissuasive pour de nombreux maires, notamment ceux dont l’équipe technique est réduite ou qui ont pu le considérer comme négligeable au regard des tâches administratives qui leur incombent. De ce fait, les questionnaires sont souvent partiellement complétés, particulièrement, nous y reviendrons, en ce qui concerne les questions ayant trait à la vie politique.

1 Le texte du questionnaire est repris dans sa totalité en annexe. 2 L’ambition initiale était de mesurer la pratique commémorative en milieu rural.

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Questionnaire à questions fermées, l’enquête comporte des lacunes comme l’absence des C.L.E.F. dans les réseaux mentionnés. Elle est aussi captive de la lecture a priori des cérémonies commémoratives opérée par ses commanditaires. Ainsi la nature même de ce qu’on commémore est toujours posée comme une évidence indiscutable alors que l’on aurait pu demander aux maires si leur objectif principal était de commémorer la Révolution, d’entretenir la mémoire du passé (sans plus de précision) ou bien encore de resserrer ou de créer des liens communautaires3. La méthode employée, elle-même, ainsi que le choix des seuils de sélection du corpus sont discutables. Au lieu d’opter pour la constitution d’un corpus représentatif, l’ambition de l’enquête a été de saisir les pratiques suscitées par le Bicentenaire dans l’ensemble des communes de moins de 15 000 habitants. Or, pas plus que les autres enquêtes dont nous avons pris connaissance, elle n’y est parvenue, comme en témoigne un taux de réponses de l’ordre du tiers des communes sollicitées. De plus, ce questionnaire –sans doute pour éviter de dissuader les maires de le compléter en exigeant de recourir à une documentation– est marqué par l’importance des questions appelant une réponse subjective. Le chercheur se trouve donc confronté à des réponses du type : [commune] «plutôt proche d’une grande ville», «plutôt riche», «une vie associative plutôt active»… Sur quels critères se fonde cette appréciation du dynamisme associatif ? Le nombre d’associations, leur nombre d’adhérents ou encore la fréquence des réunions ? Nous n’en saurons rien. Il aurait été, pour le moins, souhaitable de croiser quelques-unes de ces données avec l’appréciation portée par le maire sur ce dynamisme. De même, la mise en regard du budget alloué aux festivités commémoratives et du budget global de la commune ou des dépenses de type culturel ou festives des années précédentes aurait sans doute permis de mieux juger de la qualité de l’investissement. Le choix d’adresser un questionnaire à l’ensemble des communes de moins de 15 000 habitants, lui-même, prête à discussion. En effet, cette limite ne correspond à aucun critère statistique, géographique ou sociologique. Si l’ambition de l’enquête avait été de mesurer de façon précise la commémoration en milieu rural, il aurait fallu sélectionner les communes de moins de 2000 habitants, critère habituel, bien que critiquable, de la ruralité4. Sans doute, l’étude des communes de

3 Les alternatives ici proposées sont indicatives d’un type de questionnement possible et ne constituent pas un libellé. 4 Parmi les nombreuses publications suscitées par le débat autour de la définition de la ruralité voir : Nicole Mathieu et Jean-Claude Bontron, « Les transformations de l’espace rural. Problèmes de méthode, Etudes rurales, n° 49-50, 1979, pp. 137-155 ou plus récemment : Nicole Mathieu, « Sur

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moins de 15 000 habitants est-elle plus instructive en ce qu’elle permet de mesurer le poids des villes de moyenne importance, mais il ne s’agit pas d’un seuil pleinement opératoire puisqu’il mêle indifféremment des villes-préfecture comme Millau (Lozère) des communes intégrées dans une agglomération comme Ramonville-Saint-Agne (Haute-Garonne) ou encore des villes moyennes n’occupant aucune fonction administrative importante comme Gisors dans l’Eure ou Montataire dans l’Oise. Sans doute aurait-il fallu, au moins, soustraire des communes sélectionnées celles qui, intégrées dans la périphérie d’une grande ville, en constituent la banlieue, appartiennent à une unité urbaine. En effet, peut-on mettre sur le même plan, à effectif égal, une ville de la Creuse et une commune de banlieue ? Il apparaît clairement que la dynamique commémorative d’une ville comme Ramonville-Saint-Agne, qui appartient à notre corpus, située à la périphérie de Toulouse dont elle constitue un quartier résidentiel, avec une forte proportion de cadres moyens et supérieurs –dont un fort contingent d’enseignants– ne répond pas aux mêmes conditions qu’une commune de population identique non incluse dans une agglomération. L’existence de «son et lumière» dans les villes moyennes non intégrées à une agglomération comme Gisors, en ce qu’elle suppose de mobilisation permanente d’un noyau soucieux de l’identité communale, peut témoigner de cette différence. Sans amputer le corpus, un tri croisé géographique aurait permis de mesurer l’effet d’entraînement des grandes villes sur leur périphérie et de différencier les pratiques. Il eût fallu pour cela accorder à l’espace ainsi distingué des critères moins flous que la question purement subjective : «La commune est-elle proche d’une grande ville ?». De plus, comme nous l’avons signalé en introduction de cette partie, le questionnaire n’a pas été testé sur un nombre restreint de communes, avant d’être diffusé. Un tel test aurait conduit à des reformulations afin d’éviter des réponses tautologiques du type : plus la commune est importante, plus elle est riche, plus l’activité touristique est forte et sa vie associative intense, plus elle prend part à la commémoration. De façon plus générale, les informations que nous avons pu recueillir lors de la réunion organisée par le G.R.S., le 28 juin 1993, à laquelle participaient des chercheurs venus de différentes régions de France, nous amènent à formuler plusieurs réserves. La personnalité de celui qui a rempli le questionnaire est aléatoire. Il peut s’agir du maire lui-même, d’un secrétaire de mairie, du responsable de l’office du tourisme… Elle n’est jamais spécifiée. Une non-réponse ne signifie pas forcément l’absence de manifestations. Nous en apporterons la les types d’espaces ruraux en France », L’espace géographique, n° 2, pp. 95-110. Cet article est accompagné d’une riche bibliographie.

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démonstration pour quatre départements. Enfin, la valeur même des réponses, compte tenu de la part très importante des questionnaires incomplètement remplis et du taux de réponses, doit nous inciter à ne pas accorder au corpus ainsi constitué une valeur représentative stricto sensu. À cet obstacle, qui tire ce questionnaire vers le qualitatif, s’ajoute l’usage de catégories-écran (défilé, plantation d’un arbre, spectacle) qui, certes, répondent aux catégories en usage à la Mission du Bicentenaire, mais peuvent avoir des traductions différentes sur le terrain. L’ultime biais est de notre fait. Faute de disposer des crédits nécessaires, nous avons été le plus souvent obligé, dès lors qu’il s’est agi de cartographier et de croiser les résultats, de travailler à une échelle départementale. Par définition cette échelle est mutilante et nous a conduit à passer à côté d’une partie de la richesse de ce corpus. Rappelons que le département ne constitue pas une réalité homogène. Ainsi l’Ardèche, l’Aude, la Corrèze ou les Deux-Sèvres sont, de longue date, divisés en espaces de tempéraments politiques antagoniques. Dans le même ordre d’idée, la présence d’une grande ville et de sa banlieue peut modifier la physionomie départementale. La comparaison des cartographies du vote en faveur de François Mitterrand en 1988, selon que l’on inclut ou non les villes de plus de 15 000 habitants en constitue une ample démonstration (cf. Planche 25.) Par ailleurs, afin de dégager sinon des oppositions, du moins des contrastes, au sein d’un corpus dont les résultats manquent, souvent, de netteté, nous avons construit nos classes en fonction d’un demi écart-type et non d’un écart-type entier ce qui aurait tendu, à l’inverse, à accroître le poids des classes les plus proches de la moyenne5. Enfin, en dépit de l’intérêt d’une analyse spatiale, il convient de rester prudent face à ce que politologues et géographes ont appelé « l’illusion écologique », c’est-à-dire le risque de confusion qu’entraîne une sur-sollicitation

5 De manière générale nous avons distingué quatre classes au sein des réponses. – La première, toujours indiquée dans la couleur la plus foncée (généralement du noir) correspond aux valeurs qui vont du maximum à la moyenne plus un demi écart-type. – La seconde en gris foncé correspond aux valeurs situées entre la moyenne plus un demi écart-type et la moyenne des réponses. – La troisième, en gris plus clair, regroupe les valeurs situées entre la moyenne et la moyenne moins un demi-écart-type. – La quatrième, en blanc, rassemble les valeurs situées entre la moyenne moins un demi-écart-type et le minimum. De façon presque systématique nous avons fait, en outre, figurer une carte de référence soit du taux de réponses, soit des communes mentionnant au moins une activité commémorative. Enfin, pour ne pas abuser le lecteur par le simple jeu des pourcentages, la légende précise à chaque carte le nombre de communes concernées

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d’un repérage géographique. Ainsi la concomitance sur un même territoire de deux phénomènes n’implique pas qu’ils entretiennent entre-eux un lien direct. L’exemple en a été donné au sujet de la géographie de l’illettrisme aux États-Unis. La cartographie qui associe les zones peuplées par des Noirs et celle de l’illettrisme avait conduit à associer les deux données. Or, des enquêtes ultérieures ont montré que d’autres populations défavorisées comme les Latino-américains influençaient de façon déterminante les statistiques et que la population noire était, en moyenne, moins illettrée que d’autres couches défavorisées. Le lien que l’on avait cru pouvoir établir en se fondant sur une analyse spatiale se révélait infondé6. Toutefois, comme le souligne Jacques Lévy, l’illusion écologique ne remet pas en cause la pertinence d’une analyse spatiale. L’espace constitue une dimension de la vie politique qui peut prévaloir sur d’autres critères généralement plus acceptés comme l’appartenance socio-professionnelle. « L’appartenance à l’Alsace, à Marseille ou au 5ème arrondissement, précise cet auteur, a au moins autant de conséquences électorales que l’appartenance à la C.S.P. «Ouvriers» de l’INSEE. […] L’espace n’est pas un biais pour échapper au social, c’est un véhicule pour le parcourir. Si l’on parvient à montrer que des classes d’individus réunis sur un critère spatial ont des comportements similaires et des logiques comparables, on aura fait avancer notre compréhension des sociétés »7. C’est dans cette optique que nous avons conçu notre approche spatiale du phénomène commémoratif. Le recours à une analyse géographique n’est donc pas seulement un expédient pour pallier les carences de construction de notre corpus et les moyens d’exploitation dont nous avons disposé, c’est, d’abord, une grille de lecture propre à dégager des cohérences et des dynamiques. Au terme de cette présentation du corpus C.E.V.I.P.O.F./G.R.S., après avoir fait part de nos critiques et de la nature de notre approche, il convient de faire la part des choses. Quelles que soient les difficultés posées par la construction, la conception de l’enquête, il s’agit d’un matériau riche propre à mieux faire comprendre ce qui se joue lors de la commémoration. C’est pourquoi, en dépit de légitimes réserves, nous ne boudons pas notre bonheur. À tout prendre, ce matériau vaut bien mieux que les coupures de presse, les délibérations de conseils municipaux ou les bilans des préfets que nous avons consultés pour les commémorations précédentes. Cette remarque est d’autant plus fondée que,

6 W. S. Robinson, «Ecological correlations and the behaviour of individuals» American Sociological Review, 15, 1950 p. 351-357. Le terme d’ecological fallacy introduit par Frédéric Bron a tout d’abord été traduit par « fallace écologique ». 7 Jacques Lévy, L’espace légitime. Sur la dimension géographique de la fonction politique, Paris P.F.N.S.P., 1994, p. 257-258.

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comme nous l’avons dit plus haut, 5368 communes ont pris soin de joindre à leur envoi des documents ( coupures de presse, vidéo, livres, délibérations de conseils municipaux, photographies…) qui, même s’ils peuvent aussi prêter à des questions d’interprétation, permettent néanmoins, au-delà des données massives et des catégories proposées, d’avoir une appréciation plus fine des pratiques commémoratives. 1. Position d’un corpus Ces réserves exposées, il convient de procéder à une première approche du matériau ainsi recueilli. 10 773 communes ont répondu au questionnaire soit 29,79% des communes concernées. 536 d’entre-elles (5%) ont joint à leur envoi divers documents concernant la préparation, le déroulement ou l’écho des manifestations commémoratives dans leur localité. En lui-même, sans qu’aucune relance n’ait été effectuée, ce taux de réponses est relativement important. Il témoigne d’une volonté de faire connaître ce qui s’est déroulé au « village » à l’occasion du Bicentenaire. La promesse de publier un livre d’or de l’activité commémorative des communes répondantes n’est peut-être pas indifférente à ce succès9. Sur la base d’un taux de réponses de l’ordre de 30% pour l’ensemble des départements, deux départements métropolitains et les départements d’outre-mer se singularisent. 3 communes du Morbihan (1,2%), 21 de la Moselle (2,3%) et 5 pour l’ensemble des D.O.M. (4,6%)10 ont répondu à l’enquête. Ayant écarté de notre champ d’investigation les D.O.M., nous négligerons ce dernier résultat. Les deux départements métropolitains nous posent un problème plus délicat : comment expliquer un tel écart entre leur taux de réponse et celui des autres départements ? À la lumière de croisements avec d’autres sources (P.A.E., recensement par la Mission des arbres plantés, etc…), il est possible d’affirmer que le faible nombre de répondants ne signifie pas l’absence de toute activité commémorative dans ces deux départements. Il n’est pas le symptôme d’un rejet circonscrit de la commémoration, mais dépend probablement des conditions techniques dans lesquelles l’enquête a été conduite. Comme les promoteurs de l’enquête, nous considérons donc qu’il ne peut s’agir que d’un problème de routage, ce que semblerait confirmer la proximité alphabétique des deux départements concernés.

8 Ces 536 envois représentent plus de 600 municipalités du fait de réponses uniques pour l’ensemble d’un canton ou pour un groupement de communes. Cf. liste et descriptif sommaire en annexe des 413 envois exploitables. 9 La lettre d’accompagnement du questionnaire prévoyait l’édition d’un tel ouvrage. 10 Le document fourni par la société de routage via le G.R.S. ne mentionne que la Martinique.

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L’absence de réponses en nombre équivalent aux autres départements indique que l’enquête n’est pas parvenue à la plupart des communes de ces deux départements ou, en tous cas, qu’elle ne leur est pas parvenue dans une proportion analogue à celle des autres départements. Les investigations de terrain dont nous avons eu connaissance par le biais du G.R.S., comme les indications que nous avons exposées précédemment, l’attestent amplement. Nous avons donc pris la décision d’extraire de nos calculs effectués sur une base départementale la Moselle, le Morbihan, les D.O.M. et le département des Hauts-de-Seine11, lui aussi absent des listes départementales fournies par la société ayant traité le questionnaire. Cette opération n’a pas été possible dès lors que nous avons travaillé sur des tris croisés fournis sans détail départemental. C’est pourquoi d’un tableau à l’autre, les chiffres de référence peuvent varier de 10 773 répondants –ensemble du corpus– à 10 744 –corpus corrigé par retrait des départements incriminés– ce qui donne alors un taux moyen de réponse de 30,61%. L’ensemble des cartes établies à partir de l’enquête l’a été en prenant en compte les données corrigées par soustraction des départements litigieux. Nous avons construit une cartographie qui nous servira de référence pour traiter les différentes informations spatialisables fournies par l’enquête12.

11 Seules trois communes de ce département comptent une population inférieure à 15 000 habitants. 12 Ces cartes reproduites sur plusieurs planches afin de faciliter la comparaison visuelle entre les différentes distributions sont munies d’une numérotation spécifique commençant par zéro.

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La carte 01 représente les taux de réponses départementaux. Le pourcentage de réponses a été établi en fonction du nombre de communes sollicitées par la

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société qui a mené l’enquête13. Les cartes 01.a et 01.b représentent la géographie des réponses positives et négatives à la première question : «Des manifestations (défilé, fête, exposition…) en rapport avec la commémoration du Bicentenaire de la Révolution française ont-ils eu lieu dans votre commune en 1989 ?». Les deux cartes, du fait des questionnaires incomplètement remplis, ne se recoupent pas complètement. Enfin, nous avons construit deux autres cartes en nous fondant, non plus sur les réponses, mais sur la mention au fil des réponses d’au moins une manifestation –indépendamment de la réponse à la question initiale. Ces deux cartes représentent donc l’extension maximale de la pratique commémorative au sein du corpus. La carte 02.bis rapporte les réponses obtenues à la totalité des communes métropolitaines concernées. La carte 02 est construite à partir des seules communes ayant répondu à l’enquête. Elle présente beaucoup de similitudes avec la carte 01.a dont elle accentue les traits. Nous utiliserons essentiellement pour référence la carte 02.bis qui réduit les distorsions résultant des différences entre les taux de réponses et permet d’associer, à la fois, le degré d’unanimité commémorative et celui de représentativité14. Comme l’ensemble des cartes que nous avons établies, ces cinq cartes sont bâties suivant la méthode définie précédemment15. Avant d’étudier la nature des réponses, il convient d’interroger la constitution même de notre corpus. En d’autres termes, comment expliquer l’écart qui existe entre les communes ayant répondu à l’enquête et l’ensemble des communes sollicitées ? 1.1. Une géographie des réponses

À partir des données départementales contenues dans le questionnaire nous avons construit une première approche spatiale des réponses.

13 Il existe une très faible divergence entre ce dénombrement des communes de moins de 15 000 habitants et celui effectué par l’INSEE dans le cadre du recensement de 1990. 14 Nous attendons par degré d’unanimité le fait que les communes, dans une proportion supérieure à la moyenne du corpus, déclarent avoir organisé une manifestation commémorative. La représentativité renvoie elle au rapport entre le nombre de communes ayant répondu à l’enquête et les communes concernées par celle-ci au sein d’un même département. 15 Lire la description de la méthode employée explicitée en note de l’introduction de ce chapitre.

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Cette carte infirme une première hypothèse. Le taux de réponses n’est pas forcément lié à la densité du maillage communal. Cette information apparaît clairement sur la carte que nous avons établie puisque l’épaisseur des cercles noirs qui figurent la part des communes qui n’ont pas répondu à l’enquête ne varie pas

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de façon proportionnelle avec leur circonférence. Les données chiffrées confirment cette impression visuelle. Les Bouches-du-Rhône qui comptent 105 communes dont la population est inférieure à 15 000 habitants fournissent 29 réponses (28%) alors que la Côte-d’Or qui en compte 709 répond à 38% (268 communes) ou que le Pas-de-Calais, fort de 888 communes, fournit 288 réponses (32%). De manière générale, sur 53 départements comptant moins de 400 communes concernées, 23 ont un taux de réponses inférieur à la moyenne du corpus (43,4%). Sur les 38 qui comptent plus de 400, 18 connaissent le même phénomène (47,4%). L’écart est, somme toute, réduit. L’écart-type de la distribution des réponses au sein du corpus confirme cette constatation. Il est de 6 (5 si on exclut les départements atypiques que sont la Seine Saint-Denis et le Val-de-Marne). C’est donc un écart-type relativement étroit qui indique une certaine homogénéité du taux de réponses des communes, quel que soit le nombre de communes concernées. Notons, enfin, que 7 départements approchent ou franchissent le seuil de 39% de réponses16. La géographie des taux de réponses n’est pas, à ce stade, très indicative. Les départements les moins répondants occupent l’ouest et le nord de Paris, la Bretagne à l’exception du Finistère, le rivage atlantique au sud de la Charente-Maritime, une très large partie de l’Aquitaine et de Midi-Pyrénées, le sud du Massif Central, les départements alpins à l’exception de la Haute-Savoie, la Corse et, enfin, la Haute-Saône et les Vosges. Cette première indication obtenue, il convenait de comparer la physionomie et la composition de ce corpus avec quelques grands traits caractéristiques de la distribution et de la structure des communes françaises de moins de 15 000 habitants. La taille des communes est le premier élément de cette comparaison.

16 Dans un ordre décroissant : le Val-de-Marne, l’Indre-et-Loire, le Cher, la Haute-Loire, le Puy-de-Dôme, l’Aude et la Saône-et-Loire. Le Val-de-Marne est peu significatif puisque seulement 8 communes ont été sollicitées.

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1.2. La taille des communes répondantes Taille (en nombre d’habitants)

Nombre de communes ayant répondu à l’enquête

Distribution par classe au sein du corpus

Nombre de communes françaises de moins de 15 000 habitants17

Distribution par classe de l’ensemble des communes de moins de 15 000 habitants

Taux de réponse par classe

< 100 1062 9,9% 4014 11,5% 26,5% 100-499 5248 48,9% 17117 48,9% 30,7% 500-999 2089 19,4% 6389 18,3% 32,7% 1000-1999 1241 11,7% 3827 10,9% 33,0% 2000-4999 761 7,1% 2535 7,2% 28,5% 5000-9999 246 2,3% 862 2,5% 30,7% 10 000-14 999

76 0,7% 264 0,8% 30,0%

Total 10743 100% 35008 100% moyenne : 30 %

écart-type : 2,3

Répartition par taille des communes répondantes18 Base : 10 743 communes

17 Sont exclues les communes inférieures à 15 000 habitants des Hauts-de-Seine, de la Moselle et du Morbihan. 18 Étant donnée la faiblesse numérique de certaines classes et pour ne pas abuser le lecteur par le simple maniement de pourcentages ou de graphiques fondés sur la stricte répartition des réponses au sein de chaque classe, nous avons tenu, au risque d’alourdir notre exposé, à faire figurer de façon presque systématique, dans le corps du texte, les tableaux exprimant en données quantitatives brutes le nombre de communes concernées.

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Ce premier tableau et sa représentation en histogrammes apportent deux informations essentielles. Alors que le corpus s’est constitué de façon aléatoire au gré des réponses des communes sollicitées, sa physionomie globale est très proche de la distribution globale des communes de moins de 15 000 habitants : l’écart maximal est de 1,6 %. Cette proximité dans la distribution ne permet en aucun cas de dire que nous avons affaire, par le simple jeu du hasard, à un corpus représentatif. Néanmoins, elle exclut d’emblée l’idée d’un corpus dont la composition serait complètement disproportionnée par rapport à la distribution nationale. Le second enseignement est la relative homogénéité du taux de réponse dont témoigne le faible écart-type entre les taux de réponses des communes réparties en classes en fonction de leur nombre d’habitants. Certes, la classe qui regroupe celles qui comptent moins de 100 habitants est la moins « répondante » (26,5%) tandis que celle des communes de 1000 à 1999 habitants est celle qui a le mieux répondu à l’enquête (33%). Néanmoins, aucune des deux n’est vraiment éloignée du taux moyen de 30 % (moyenne des moyennes). La taille de la commune ne semble donc

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pas, à ce stade et dans le cadre d’une approche par classe, constituer un critère discriminant. Pour préciser l’image de notre corpus, nous avons tenté une approche par la moyenne. Il apparaît que 78,3% des réponses émanent de communes de moins de 1000 habitants. Le pourcentage s’élève à 89,9% si le seuil est fixé à 2000 habitants. Le corpus constitué répond donc à l’attente de ses commanditaires, il émane, sinon de la France rurale et semi-rurale, du moins de celle des petites communes. Le faible écart global entre la distribution par classe au sein du corpus et celle des communes dont la population est inférieure à 15 000 habitants aurait pu masquer d’importantes disparités géographiques. Nous avons donc procédé à une double représentation cartographique : l’une de la distribution comparée des communes classées par taille, l’autre de l’écart entre le corpus et la distribution nationale.

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La géographie qui ressort de la répartition des communes ayant répondu à l’enquête par classe de population présente deux indications majeures. La première

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est une certaine concordance entre la distribution géographique du corpus et celle de l’ensemble des communes métropolitaines19. Seule la carte 5 (Planche 17.bis) représentant les communes inférieures à 1000 habitants traduit une relative distorsion due à un taux de réponse plus élevé de cette classe. Elle est aussi un effet de la construction de nos cartes dans la mesure où nous avons choisi de privilégier pour l’expression cartographique un critère interne à la distribution du corpus concerné ce qui modifie, d’une carte à l’autre, les bornes des classes retenues. La seconde indication concerne le corpus lui-même puisque les cartes 1 et 3 (Planche 17) permettent de prendre conscience de la part massive des communes de taille modeste dans le quart Nord-Est de la France (à l’exception de l’Alsace), dans le piémont pyrénéen et au Sud-Est de la vallée du Rhône. Pour affiner notre perception des éventuelles distorsions, nous avons construit une carte des écarts entre la répartition géographique par taille des communes du corpus et la répartition nationale selon le même critère. Nous avons retenu quatre classes : moins de 100, moins de 500, moins de 1000 et moins de 2000 habitants.

19 Pour tester cette impression nous avons eu recours au calcul des coefficients de corrélation. Les résultats sont plutôt probants puisque pour chaque classe le coefficient est très proche de 1 –indice de corrélation linéaire totale– de 0,894 pour la classe 1000–1999 à 0,969 pour celle concernant les communes de 500 à 999.

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D’emblée, comme l’indique l’inscription des écarts-type entre 3 et 4, force est de constater, une nouvelle fois, que la variation est réduite. Pour les communes de

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moins de 100 habitants, sur 91 départements pris en considération20, seuls 16 départements du corpus connaissent une sous-représentation proportionnelle tandis que 10 sont affectés par le phénomène inverse. Un seul département –les Alpes-de-Haute-Provence– s’écarte de plus de 10 points d’un écart nul. Dans 65 départements (74,5%) l’écart est limité dans une fourchette de 2 points autour de 0. Pour la classe supérieure –moins de 500 habitants– 23 départements connaissent une sous-représentation des communes de cette taille tandis que 9 sont affectés par une sur-représentation. Cinq départements –le Tarn-et-Garonne, les Hautes-Pyrénées, les Hautes-Alpes et le Vaucluse– s’écartent de 10 points ou plus d’un écart nul. Là encore, 59 départements (64,8%) oscillent entre + ou - 4% autour de 0. Dès qu’on aborde la classe des communes comptant moins de 1000 habitants l’écart se réduit de nouveau puisque 12 départements présentent une sous-représentation et 16 une sur-représentation proportionnelle. Trois départements –le Territoire-de-Belfort, le Gers et le Vaucluse– s’écartent de 10 points ou plus de 0. 63 départements (69%) sont donc compris dans un écart de 4 points autour de 0. Enfin, la conformité entre la distribution générale et celle du corpus s’affirme encore plus nettement pour la classe des communes dont la population est inférieure à 2000 habitants puisque seuls 8 départements sont affectés par une sous-représentation tandis que 12 connaissent une sur-représentation proportionnelle. Deux départements –le Gers et le Territoire-de-Belfort– s’écartent de plus de 10 points d’un écart nul. 71 départements (78%) se situent dans un écart avec la distribution nationale de référence de 4 points autour de 0. Pour poursuivre cette étude du rapport entre notre corpus et les communes de référence, nous avons recouru à deux autres tests cartographiques se rapportant à la population : l’étude de la population moyenne et celle de la densité. Une première indication globale tend à confirmer le sentiment de forte cohérence entre les communes du corpus et les communes de référence. Cette impression est confortée par la comparaison de la population moyenne des communes du corpus avec celle des communes de référence qui se situent respectivement à 1116 et 1150 habitants.

20 Sont exclus : les Hauts-de-Seine, la Moselle, le Morbihan et Paris. La Corse ne compte que pour un seul département.

371Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

L’analyse départementale ne dément pas cette similarité. Les physionomies des cartes 1 et 2 (Planche 19) sont très semblables. Comme le montre la carte 3 de la même planche, dans près de 50% des départements (45) l’écart entre la

372Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

population moyenne de référence et celle du corpus est inscrite dans un intervalle de 10 points autour de 0. Dans 28 départements cet écart se traduit par une population moyenne moins nombreuse que la population de référence. L’écart-type de 17%, pour être plus important que précédemment, n’en reste pas moins relativement réduit. Peut-on établir un lien entre le taux de réponses ou le degré d’unanimité commémorative et la population moyenne de référence ? Pour le vérifier nous avons procédé à un croisement entre population moyenne de référence et taux de réponses à l’enquête, puis entre population moyenne de référence et les réponses signalant l’organisation d’au moins une manifestation commémorative. Pour rendre le tableau plus lisible nous avons regroupé les classes les plus fortes et les classes les plus faibles de chaque entrée. Population moyenne >

1151 habitants (moyenne des communes de

référence)

Population moyenne < 1151 habitants (moyenne des

communes de référence)

Nombre de départements concernés

Taux de réponses à l’enquête > 31% (moyenne du corpus)

18 (36%)

32 (64%)

50 (100%)

Taux de réponses à l’enquête < 31% (moyenne du corpus)

10 (24%)

31 (76%)

41 (100%)

Nombre de départements concernés

28 (31%)

63 (69%)

91 (100%)

Taux de réponses à l’enquête et population moyenne de référence

La part des départements dont la population moyenne des communes répondantes excède 1151 habitants est proportionnellement plus importante dans le taux de réponse à l’enquête et pour l’organisation de manifestations commémoratives.

373Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Population moyenne >

1151 habitants (moyenne des

communes de référence)

Population moyenne < 1151 habitants

(moyenne des communes de référence)

Nombre de départements concernés

Communes ayant organisé au moins une manifestation > 23% (moyenne du corpus)

19 (40%)

29 (60%)

48 (100%)

Communes ayant organisé au moins une manifestation < 23% (moyenne du corpus)

9 (21%)

34 (79%)

43 (100%)

Nombre de départements concernés

28 (31%)

63 (69%)

91 (100%)

Communes du corpus ayant au moins organisé une manifestation et population moyenne de référence Cette constatation doit néanmoins être nuancée par l’analyse du regroupement des départements en fonction de l’écart entre la population moyenne des communes de moins de 15 000 habitants et celle des communes ayant répondu à l’enquête. Les deux tableaux suivants ont été construits en fonction du classement par écart que représente la carte 3 de la planche 19. Moyenne des

communes du corpus plus haute (>+7%, +41%)

Moyenne des communes du corpus circonscrite dans un écart faible (+7 à -10%)

Moyenne des communes du corpus plus basse (> - 10%, -52%)

Nombre de départements concernés

Taux de réponses à l’enquête > 31% (moyenne)

7 (14%)

26 (52%)

17 (34%)

50 (100%)

Taux de réponses à l’enquête < 31% (moyenne)

14 (34%)

19 (46%)

8 (20%)

41 (100%)

Nombre de départements concernés

21 (23%)

45 (49%)

25 (28%)

91 (100%)

Taux de réponses à l’enquête et écarts entre la population moyenne des communes du corpus et la moyenne départementale de référence

374Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Moyenne des

communes du corpus plus haute (>+7%, +41%)

Moyenne des communes du corpus circonscrite dans un écart faible (+7 à -10%)

Moyenne des communes du corpus plus basse (> - 10%, -52%)

Nombre de départements concernés

Organisation de manifestations commémoratives > 23% (moyenne)

7 (15%)

27 (56%)

14 (29%)

48 (100%)

Organisation de manifestations commémoratives < 23% (moyenne)

14 (23%)

18 (42%)

11 (25%)

43 (100%)

Nombre de départements concernés

21 (23%)

45 (49%)

25 (28%)

91 (100%)

Organisation de manifestations commémoratives et écarts entre la population moyenne des communes du corpus et la moyenne départementale de référence Faute de pouvoir à ce stade établir de façon globale un lien entre le niveau de population et l’attitude face à l’enquête ou à la commémoration, la carte 3 plaide néanmoins en faveur d’une importante concordance entre le corpus et les communes de référence, y compris dans leur distribution spatiale, puisque 49% des départements s’inscrivent dans un écart très faible. Le dernier critère démographique que nous avons retenu est celui de la densité. Pour rendre les indications comparables nous avons effectué un calcul simple, à savoir extrapoler la densité des communes du corpus à l’ensemble des communes du département21. L’indication de conformité est massive. Près de la

21 Le mode de calcul de la densité que nous avons adopté est approximatif puisque nous n’avons pas exclu la superficie des unités urbaines. Pour calculer la densité nationale moyenne nous avons divisé la population départementale –corrigée par soustraction des villes de plus de 15 000 habitants– par la superficie totale du département. Pour obtenir la densité moyenne projetée du corpus, compte tenu de la relative représentativité statistique des communes répondantes, nous avons multiplié la population moyenne des communes répondantes par le nombre total de communes de moins de 15 000 habitants que compte chaque département ,puis nous avons divisé ce nombre par la superficie du département concerné. Une étude plus fine devrait déduire la superficie des unités urbaines. Toutefois, le biais étant identique dans les deux opérations, l’étonnante proximité des deux résultats (69 habitants au km2 pour le corpus, 72 habitants au km2

pour les communes de référence) renforce de façon très nette l’idée d’une conformité statistique

375Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

moitié des départements se tiennent dans un écart de 8 points autour de 022. La densité moyenne des communes de référence est de 72 habitants au km2, la projection de celles du corpus est de 69 habitants au km2. L’écart est réduit à néant si on soustrait les départements atypiques de la région parisienne et le Territoire-de-Belfort. On obtient alors une densité identique de 57 habitants au km2, soit près de la moitié de la densité moyenne de la France toutes communes confondues. L’écart-type de 8,2 indique un faible écart de distribution.

entre les communes répondantes et l’ensemble des communes métropolitaines de moins de 15 000 habitants. 22 Pour ne pas amplifier artificiellement l’écart entre les densités, nous avons choisi d’éliminer les départements de la région parisienne et le Territoire-de-Belfort présentant la caractéristique commune de connaître un écart beaucoup plus fort avec les densités de référence que le reste du corpus. À titre d’exemple, l’écart entre le corpus et de la densité départementale de référence est de -249 habitants au km2 pour le Val-de-Marne, celui des Yvelines et du Val d’Oise de -43, celui du territoire de Belfort de -69. À l’inverse, la densité moyenne projetée des communes répondantes de la Seine-Saint-Denis est supérieure de 80 habitants au km2 à celle de l’ensemble des communes de moins de 15 000 habitants de ce département.

376Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

La comparaison des cartes 1 et 2 de la planche 20 montre que la distribution spatiale des densités au sein du corpus est assez conforme à celle qui prévaut pour

377Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

l’ensemble des communes de moins de 15 000 habitants. L’amplitude des écarts est moins importante que pour la comparaison de la population moyenne et le nombre de départements présentant un écart important lui aussi plus réduit. Suivant la même démarche que précédemment nous avons croisé la densité moyenne des départements –les villes de plus de 15 000 habitants soustraites– avec le taux de réponses à l’enquête et la mention d’au moins une manifestation commémorative en réponse au questionnaire. Densité > 72

hab./km2 Densité < 72 hab./km2

Nombre de départements concernés

Taux de réponses à l’enquête > 31% (moyenne)

13 (26%)

37 (74%)

50 (100%)

Taux de réponses à l’enquête < 31% (moyenne)

11 (27%)

30 (73%)

41 (100%)

Nombre de départements concernés

24 (26%)

67 (74%)

91 (100%)

Taux de réponses à l’enquête et la densité moyenne de référence Densité > 72

hab./km2 Densité < 72 hab./km2

Nombre de départements concernés

Communes ayant organisé au moins une manifestation > 23% (moyenne du corpus)

14 (29%)

34 (71%)

48 (100%)

Communes ayant organisé au moins une manifestation < 23% (moyenne du corpus)

10 (23%)

33 (77%)

43 (100%)

Nombre de départements concernés

24 (26%)

67 (74%)

91 (100%)

Communes du corpus ayant au moins organisé une manifestation et densité moyenne de référence Là encore le poids relatif de chaque réponse est très voisin de celui de la catégorie concernée au sein du corpus. Cette conformité ne doit pas masquer que la plupart des réponses qui nous sont parvenues émanent de la France des faibles densités. Certes, il ne s’agit pas des plus faibles densités que les travaux des géographes et des sociologues ont précisément défini23. L’ensemble géographique que dessinent ces zones ne correspond guère comme le montre les travaux du

23 Voir par exemple Voyage en France par les pays de faible densité, dir Nicole Mathieu et Pierre Duboscq, Éditions du C.N.R.S., 1985 et sa cartographie de synthèse p. 12 et 13 et I.N.R.A./SCEES Le grand atlas de la France rurale, Jean-Pierre Monza, 1992. Comme nous l’a fait remarquer Marcel Jollivet, le terme lui-même de « faible densité » est ambigü puisqu’il recoupe aussi bien les pays de faible densité structurelle que les espaces en crise qui se dépeuplent de façon subite.

378Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

S.E.G.E.S.A. à la distribution spatiale du corpus que nous étudions. Il y manque, en particulier, certains secteurs du sud du Massif Central (Lozère, Aveyron) qui tout en s’inscrivant dans cet espace n’ont guère répondu à l’enquête du G.R.S. Aucune mobilisation différentielle ne s’exprime au travers des données statistiques. La part des départements dans chaque catégorie reflète celle qu’elle occupe au sein des communes sollicitées. Au terme de ce premier parcours cartographique nous pouvons donc conclure que le phénomène dominant, outre une certaine homogénéité, est que, bien que de façon aléatoire, la physionomie du corpus, tant au niveau de la distribution par taille, par population moyenne ou par densité que de la répartition géographique de ces distributions, ne présente pas de différence majeure avec celle des communes de référence. Le niveau de concordance que confirment à chaque étape des coefficients de corrélation élevés est même surprenant et permet de plaider en faveur d’une forte représentativité des communes composant le corpus. Cette première assurance permet de poursuivre l’analyse et de confronter le corpus à d’autres critères. Nous utiliserons successivement celui de la composition sociale et de l’orientation politique. 1.3. La composition sociale des communes répondantes De façon massive, comme les tableaux ci-dessous l’indiquent, c’est bien à une France vieillissante et plutôt rurale que nous avons affaire. La France de l’immobilité dont témoigne, de façon très explicite, l’origine géographique des retraités vivant dans la commune (Cf. tableau ci-dessous). Il convenait, toujours dans cette première approche très globale, de prendre en compte les indications sur la nature des populations des communes ayant répondu à l’enquête. Communes mentionnant

une proportion «importante» de….

Communes mentionnant une proportion «pas importante» de…

jeunes vivant dans la commune

4279 39,7%

5945 55,1%

retraités vivant dans la commune

7832 72,7%

2397 22,2%

Proportion de jeunes et de retraités vivant dans la commune

379Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Communes mentionnant que les retraités sont : «Plutôt originaires de la commune»

Communes mentionnant que les retraités sont : «Plutôt venus d’ailleurs»

9309 86,4%

972 9%

Origine géographique des retraités vivant dans la commune Communes déclarant que la population active de la commune est à dominante : agricole ouvrière commerçante cadres et

professions intermédiaires

5014 46,5%

4646 43,1%

289 2,6%

1063 9,8%

Catégorie sociale dominante au sein de la commune24

Pour poursuivre la confrontation que nous avons entreprise, nous avons fait figurer sur la planche suivante la part des communes déclarant compter beaucoup d’agriculteurs, d’ouvriers et de professions intermédiaires.25 Nous avons confronté ces cartes avec celle réalisée par Jean-Claude Bontron, fondée sur le recensement de l’INSEE (1982). En dépit de la difficulté qui tient à la comparaison de cartes construites sur des modes de calcul, des procédés graphiques et des unités géographiques élémentaires différents, il en ressort cependant une certaine cohérence. Les départements pour lesquels les agriculteurs apparaissent dans les tons les plus foncés (carte 1, Planche 21) correspondent dans une large mesure avec ceux signalés sur la carte du SEGESÀ (carte 4). De la même façon on retrouve nettement sur la carte 2 (Planche 21) l’empreinte de l’industrie diffuse en milieu rural qui se traduit par la présence d’un grand nombre d’ouvriers. Enfin, même la géographie des communes où les cadres et les professions intermédiaires constituent un pourcentage appréciable se retrouve au travers des réponses au questionnaire.

24 L’écart entre la somme des pourcentages et 100% provient pour chacun de ces tableaux de la part des non-réponses à la question. La base est celle de la totalité du corpus : 10 773. «La catégorie active dominante est-elle à dominante : …» 25 Par le jeu des moyennes départementales un département peut apparaître dans plusieurs catégories à la fois.

380Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

381Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Jusqu’où va cette fidélité à la réalité objective26 de la composition des communes ? Lors de l’échange que nous avons eu avec Jean-Claude Bontron –chercheur au S.E.G.E.S.A.– il est apparu qu’en fait l’empreinte des agriculteurs était sans doute quelque peu décalée par rapport aux évolutions en cours27 telles qu’elles se manifestaient en 1989. En quelque sorte, la cartographie fondée sur des questionnaires établis en 1990 serait plus fidèle à la réalité des années 80 qu’à celle des années 90 marquée par des mutations très rapides, comme si les maires ne prenaient pas vraiment acte des changements en cours ou souhaitaient se conformer dans leur réponse à l’image qu’ils ont de leur propre commune. Le tableau ci-dessous établi par l’I.N.S.E.E. donne une idée du rythme de cette mutation sous-estimée par nos correspondants. Personne de référence

1962 1990

Agriculteurs 27,1 8,3 Salariés agricoles 6,7 1,6 Artisans, commerçants 8,8 6,9 Cadres moyens et supérieurs 3,9 14,9 Retraités des professions non-agricoles 24,9 27,6 Employés, ouvriers 7,1 11,0 Anciens agriculteurs 11,9 24,0 Autres inactifs âgés* 5,8 3,3 Autres inactifs** 3,8 2,4 * de plus de 65 ans en 1962 et de plus de 60 ans en 1990 ** Chômeurs, étudiants, militaires du contingent, sans activité professionnelle N.B. L’ensemble des communes rurales de 1990 est plus restreint que celui de 1962, il est un peu moins «agricole» dans la mesure où les communes rurales de 1962 devenues urbaines en 1990 sont des gros bourgs ou des communes proches de villes. Répartition de 100 ménages ruraux selon la C.S.P. du chef de famille28

Pour achever cette comparaison fondée sur les profils socioprofessionnels des communes ayant répondu à l’enquête, il reste à apprécier la conformité entre la distribution des départements dont les communes répondantes à l’enquête ont indiqué une forte présence de retraités et la géographie des retraités fondée sur le recensement de l’INSEE de 1991.

26 En fonction des critères utilisés par l’I.N.S.E.E. 27 Je remercie vivement Jean-Claude Bontron d’avoir bien voulu se livrer avec moi au jeu de la comparaison de la cartographie du corpus et de celle de la ruralité ainsi que de ses conseils et indications. 28 Source S.E.G.E.S.A./I.N.S.E.E. sondage au 1/4 et au 1/20è.

382Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

En premier lieu, mais cette remarque vaut pour l’ensemble des cartes que nous venons de produire, il ne peut être question d’effectuer une stricte comparaison terme à terme. D’un côté, la carte 2 (Planche 22) est fondée sur les recensements précis de l’INSEE et ne distingue pas les communes qui constituent notre objet d’étude. De l’autre, la carte 1 (Planche 22) est fondée sur une

383Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

appréciation subjective et ne concerne que des communes de moins de 15 000 habitants. Cette précaution réitérée, une fois encore, l’empreinte n’est pas fortement dissemblable. Seuls deux départements pour lesquels l’INSEE recense plus de 26% de retraités en 1991 ne figurent pas dans les valeurs fortes de notre corpus (Hautes-Pyrénées et Gers). Si on étend ce croisement aux deux valeurs les plus fortes trois nouveaux départements s’ajoutent à ce groupe (Pyrénées-Atlantiques, Var et Jura). À l’inverse l’empreinte des communes déclarant au sein du corpus comprendre «beaucoup» de retraités est plus large que celle décrite par le recensement de 1991 tout en s’agglomérant autour du noyau des départements comportant la proportion la plus importante de population âgée. En dépit de la fragilité de nos indicateurs le croisement entre la structure socioprofessionnelle décrite par les communes qui ont répondu à l’enquête et celle des communes françaises de références confirme l’étonnant sentiment de proximité que nous n’avons cessé de ressentir au travers de l’ensemble des confrontations que nous avons opérées avec la structure démographique des communes de référence. Pour asseoir cette impression d’une relative conformité entre la France issue du corpus et quelques données élémentaires concernant la géographie nationale, il importait de se référer à un cinquième –et dernier– élément de comparaison aisément accessible : l’orientation politique. 1.4. Première confrontation avec le politique La géographie des réponses reflète-t-elle, même grossièrement, la géographie politique française ? Pour le savoir nous avons croisé ces données avec celles des dernières élections politiques nationales survenues avant le Bicentenaire. Notre choix s’est porté, tout d’abord, sur les législatives de juin 1988. 1.4.1. Taux de réponses et dynamisme commémoratif en regard des élections législatives de 1988 Pour rendre notre cartographie et sa lecture plus claires, nous avons fait figurer les départements pour lesquels les forces de gauche –entendues au sens le plus large (majorité présidentielle, gauche, extrême-gauche, écologistes)– obtiennent plus de 50% des voix au premier tour des élections législatives de 1988. Nous n’ignorons pas qu’il s’agit de données de type différent. Les élections législatives comptabilisent un nombre de voix à l’échelon départemental, tandis que les questionnaires émanent de municipalités élues lors de scrutins locaux. Qui

384Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

plus est, dans notre corpus, une municipalité, quel que soit le nombre de ses habitants –du moment qu’il ne dépasse pas 15 000 habitants–, compte pour une unité, alors que la totalisation des voix enregistrée au niveau départemental intègre le poids des grands centres urbains. Le biais est donc patent. Néanmoins, les résultats traduisent un état d’esprit des populations à un moment donné qu’il convenait de prendre en compte puisque nous nous ne disposons pas de référent à l’échelon municipale. Pour obtenir une approche assez précise, nous avons réalisé trois cartes dont les données globales sont reproduites sous forme de tableaux. La première carte 1 (Planche 23) croise les taux de réponses négatives les plus forts et les départements ayant accordé plus de 50 % aux forces de gauche. Les cartes 2 et 3 de cette même planche croisent la géographie des communes mentionnant au moins une activité commémorative –ce qui élimine le poids des communes ayant répondu à l’enquête mais n’ayant organisé aucune manifestation– avec la cartographie des législatives. La carte 2 ne prend en compte que la classe la plus forte (26-50%), la carte 3 les deux classes situées au-dessus de la moyenne (23-50%).

385Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

386Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Ces trois cartes récusent l’hypothèse trop simple d’un lien quasi-automatique entre empathie commémorative et choix politique. La géographie de la commémoration n’est pas le produit mécanique des tendances politiques du département saisies à l’occasion des scrutins législatifs. Une analyse plus fine confirme cette constatation globale tout en la nuançant. En premier lieu, le taux de réponses global à l’enquête ne varie guère suivant que l’on considère les départements ayant voté majoritairement à droite ou ceux ayant voté à gauche29. Dans les deux catégories, le pourcentage de départements ayant un taux de réponses supérieur ou égal à la moyenne est identique (55%) et le nombre de départements pouvant être classés dans les «très mauvais répondants» (- de 20%) sensiblement équivalent30. On ne peut, néanmoins, écarter sur ce seul indice l’affirmation, somme toute classique, des rapports noués entre une identité politique et le souvenir de la Révolution. (Ce qui revient à considérer non seulement l’ampleur du geste commémoratif mais aussi la nature de l’objet de la commémoration.) En effet, une distinction intervient dès lors qu’au lieu des seules réponses, on examine le contenu de ces réponses. Le taux moyen de réponses positives à la question sur l’organisation de manifestations commémoratives est de 71% pour les départements où la gauche est majoritaire contre 65 % pour ceux dominés par la droite31. Le pourcentage des réponses négatives passe, respectivement, de 33% à 50%. Le tableau suivant indique la ventilation départementale en fonction de la tendance politique majoritaire lors des élections législatives de 1988.

29 Le taux de réponses des départements ayant donné une majorité à la droite est de 30,25% celui des départements ayant accordé la majorité de leurs suffrages à la gauche est de 31,12%, ce qui, étant donné les valeurs absolues sur lesquelles nous travaillons, ne peut pas être considéré comme significatif. 30 La Corse pour la droite, le Val-de-Marne et le Gers pour la gauche. 31 Dans la totalisation des départements dans lesquels la droite est majoritaire ne sont pas pris en compte : la Moselle, le Morbihan et les Hauts-de-Seine. La Corse compte pour un seul département pour rendre possible une comparaison avec la distribution du corpus dans lequel la différence entre Haute-Corse et Corse du Sud n’est pas faite.

387Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Majorité départementale à l’issue des législatives de 1988

«Non» > 31% «Non» < 31% Totaux

Droite > 50 % 21 (50%)

21 (50%)

42 (100%)

Gauche > 50% 16 (33%)

33 (67%)

49 (100%)

Répartition globale des départements 37 (41%)

54 (59%)

91 (100%)

Ventilation départementale des réponses en fonction de tendance politique majoritaire aux élections législatives de 1988 32

Comme le montre le tableau ci-dessus l’attitude face à la commémoration, selon que la droite ou la gauche est majoritaire, est sensiblement différente. Dans le premier cas les départements sont partagés en deux groupes égaux. Le taux de réponses négatives à la question sur l’organisation de cérémonies commémoratives à l’occasion du Bicentenaire est bien moins répandue dans les départements où les forces de gauche obtiennent plus de 50% des suffrages. Les deux tableaux suivants sont construits sur la distinction entre les départements où les communes répondantes disent avoir organisé des manifestations commémoratives dans une proportion beaucoup plus forte que la moyenne ou simplement supérieure à celle-ci et le croisement de ces indications avec la tendance politique majoritaire lors des législatives de 1988. Majorité départementale à l’issue des législatives de 1988

Plus de 26% des communes ayant organisé une ou plusieurs manifestations

Moins de 26% des communes ayant organisé une ou plusieurs manifestations

Totaux

Droite > 50 % 10 (26%)

32 (74%)

42 (100%)

Gauche > 50% 17 (35%)

32 (65%)

49 (100%)

Répartition globale des départements

27 (30%)

64 (70%)

91 (100%)

Ventilation des départements dont plus de 26% des communes répondantes à l’enquête ont organisé une ou plusieurs manifestations en fonction de la tendance politique majoritaire aux législatives (1988) L’écart en fonction de la tendance politique prédominante lors des législatives est relativement faible même si, une fois encore, les départements où la 32 «Non» indiqué entre guillemets est la réponse à la question 1 de l’enquête : «Des manifestations (défilé, fête, exposition…) en rapport avec la commémoration du Bicentenaire de la Révolution française ont-ils eu lieu dans votre commune en 1989 ?»

388Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

gauche emporte plus de 50% de suffrages semblent plus empressés et plus unanimes à l’égard de la commémoration. Majorité départementale à l’issue des législatives de 1988

Plus de 23% (moyenne du corpus) des communes ayant organisé une ou plusieurs manifestations

Moins de 23% (moyenne du corpus) des communes ayant organisé une ou plusieurs manifestations

Totaux

Droite > 50 % 19 (44%)

23 (56%)

42

Gauche > 50% 29 (59%)

20 (41%)

49

Répartition globale des départements

48 (53%)

43 (47%)

91

Ventilation des départements dont plus de 23% des communes répondantes à l’enquête ont organisé une ou plusieurs manifestations en fonction de la tendance majoritaire aux législatives de 1988

Le changement de seuil renforce la constatation précédente puisque les communes de près de 60% des départements dans lesquels la gauche recueille plus de 50% des voix commémorent plus que la moyenne du corpus, tandis qu’elles ne sont que 44% dans ceux où la droite est majoritaire. Les résultats de ce croisement sont assez nets pour considérer que l’orientation politique est l’un des critères du comportement commémoratif. De leur côté, les cartes 2 et 3 de la planche 23 montrent que la localisation géographique n’est pas indifférente. Les départements dans lesquels le degré d’unanimité commémorative33 est le plus élevé correspondent à une large zone située au sud de Paris s’étendant jusqu’à la Haute-Loire et au littoral méditerranéen auquel s’agrège la Haute-Garonne. La Loire-Atlantique est le seul département de l’Ouest concerné. Cette zone englobe aussi bien des départements qui se sont signalés par un vote à droite en 1988 que par un vote à gauche pour former deux zones assez compactes. Dès lors que l’on prend en compte les deux classes situées au-dessus de la moyenne (carte 3) l’espace commémoratif s’étoffe. Il recouvre 48 départements contre 27 précédemment. D’un point de vue géographique, l’espace commémoratif s’enrichit du Nord-Pas-de-Calais, du rivage atlantique au sud de la Vendée, du Finistère, de la Marne, de l’Alsace et de la Haute-Savoie et, enfin,

33 Nous attendons par degré d’unanimité le fait que les communes, dans une proportion supérieure à la moyenne du corpus, déclarent avoir organisé une manifestation commémorative. Cette notion doit être distinguée de celle de degré de dynamisme commémoratif fondé sur le nombre de manifestations organisées.

389Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

d’une partie de la région parisienne. Cette conquête de nouveaux territoires s’opère essentiellement par agrégation autour du noyau central déjà présent sur la carte 2. Ce premier croisement montre une propension plus forte des départements votant à gauche à commémorer. L’écart de 15 points entre droite et gauche qui résulte de la confrontation entre les résultats des législatives de 1988 et des deux classes «ayant organisé au moins une manifestation» supérieures à la moyenne n’est pas négligeable. Au-delà de ce premier élément, il convient cependant de souligner que la concordance n’est pas entière. 20 départements sur 49 (41%) dans lesquels la gauche est majoritaire demeurent à l’écart de l’espace ainsi délimité34. Cet écart réel, mais somme toute réduit, et qui semble dessiner un espace spécifique n’est-il pas un simple effet de la composition politique des communes répondantes ? En d’autres termes, ne serait-il pas le produit d’un déséquilibre dans la constitution du corpus au profit des communes de gauche qui tendrait à masquer un écart de pratiques beaucoup plus grand ? C’est à cette question que nous allons, à présent, nous attacher. 1.4.2. Les options politiques des municipalités répondantes De prime abord, évaluer le poids de chaque famille politique au sein du corpus n’est pas aisé. Une attitude très répandue consiste à négliger les questions ayant trait à la vie politique. Cette attitude concerne 1260 des 3324 communes (38%) déclarant n’avoir organisé aucune manifestation35. Elle est importante pour l’ensemble du corpus36. Elle est naturellement plus forte dès lors que les questions demandent de rechercher des résultats précis comme le pourcentage obtenu par François Mitterrand au second tour des élections présidentielles de 1988 et s’accroît en proportion inverse de la taille de la commune.

34 Ils sont 22 sur 42 (52%) à droite. 35 Ce chiffre intègre les communes n’ayant pas précisé la tendance politique de leur conseil municipal ou ayant refusé de le faire. Il peut être étendu à la catégorie «apolitique» qui compte, bien que n’ayant pas été proposée au choix, 167 occurrences. 36 Pour les 7 937 mentionnant l’existence de manifestations commémoratives, 2 426 ne déclinent aucune identité politique soit près de 31%. Avec 389 occurrences, la place des «apolitiques» au sein de cette classe est supérieure à celle qu’elle occupe dans la catégorie précédente.

390Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Items Nombre

total Pourcentage

Plutôt à gauche 2313 21,5% Plutôt au centre 2345 21,8% Plutôt à droite 1633 15,1% Gauche et centre 52 0,4% Gauche et droite 37 0,3% Centre et droite 85 0,7% Gauche, centre et droite 269 2,5% Apolitique 522 4,9% Aucune réponse 3517 32,3% Répartition globale du corpus en fonction des tendances politiques déclarées des Conseils municipaux Base : 10 773 communes

L’imprécision se réduit dès lors que l’on travaille sur le sous-corpus des communes déclarant avoir organisé une activité commémorative, mais comme le montre la représentation graphique ci-dessous, elle n’en reste pas moins importante.

Base : 7937 communes déclarant avoir organisé une manifestation37

37 Pour la clarté du graphique nous avons regroupé, sous cette rubrique « divers », les sensibilités peu représentées : gauche et centre; gauche et droite; centre et droite; gauche centre et droite.

391Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Items «Oui» :

nombre. «Oui» : %

«Non» : nombre

«Non » : %

Plutôt à gauche 1849 80% 426 18% Plutôt au centre 1596 68% 720 31% Plutôt à droite 997 61% 619 38% Gauche et centre 39 75% 12 23% Gauche et droite 22 59% 15 41% Centre et droite 60 71% 24 28% Gauche, centre et droite 187 70% 78 29% Apolitique 355 68% 167 32% Sensibilité non-précisée 2185 62% 1263 36% Réponses en fonction de l’appartenance politique déclarée des Conseils municipaux38 Base 10 773 communes ayant répondu à l’enquête

L’ordre de classement (non-précisé, gauche, centre, droite…), la conformité entre l’attitude du centre et celle des «apolitiques» sont, en eux-mêmes, intéressants. Nous y reviendrons lorsque nous envisagerons l’influence des critères d’appartenance politique revendiquée. Le passage de la base «tous répondants» à la catégorie «répondants ayant organisé une manifestation» diminue légèrement la part d’incertitude et profite, essentiellement, à la gauche qui passe de 21,5% du corpus à 23,3%. Le pourcentage obtenu par François Mitterrand au second tour des présidentielles de 1988 fournit un second jalon.

38 Question 43 «Au conseil municipal les élus sont-ils : (une seule réponse) plutôt de gauche/ plutôt du centre/ plutôt de droite ?» La consigne de la réponse unique n’a guère été respectée…L’addition du pourcentage recueilli par le «Oui» et le «Non» ne correspond pas toujours à 100% du fait des questionnaires incomplètement et inégalement remplis.

392Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Ce qui frappe, tout d’abord, à la lecture de ce graphique, c’est la part très importante des réponses incomplètes. Cette caractéristique rend difficile toute analyse trop précise. Le degré d’imprécision des réponses, comme le montre clairement la comparaison des deux graphiques, croît avec la nécessité de mobiliser une documentation. Cela dit, la répartition des communes qui ont accepté d’indiquer le pourcentage obtenu par François Mitterrand39 est assez équilibrée puisque le président-candidat recueille un score inférieur à la moyenne nationale des communes de moins de 15 000 habitants40 (53,81%) dans 3120 communes (53% du sous-corpus) tandis qu’il réalise un score supérieur ou égal dans 2805 communes (47% du sous-corpus). La moyenne recueillie par François Mitterrand auprès des 5925 communes qui acceptent de donner le résultat des élections

39 5925 communes soit 55%, 1483 d’entre-elles –25%– n’ayant organisé aucune manifestation. 40 Ce pourcentage est approximatif puisque nous ne l’avons pas calculé à partir d’un décompte des résultats des communes comptant plus de 15 000 habitants. Pour l’obtenir, nous avons considéré que toute commune comptant plus de 10 000 électeurs inscrits, compte tenu des enfants mineurs et de la population non-inscrite, devait excéder 15 000 habitants. Toutes les vérifications auxquelles nous avons procédé se sont révélées positives. Source : Supplément à Le Monde, Dossiers et documents , « L’élections présidentielles 24 avril/ 8mai 1988, Le nouveau contrat de François Mitterrand », Paris, mai 1988.

393Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

présidentielles est de 52,26% soit un pourcentage inférieur de plus d’un point à la moyenne nationale des communes de référence. Il n’y a donc pas, en se fondant sur le seul critère précis du questionnaire en matière politique, une sur-représentation des communes de gauche au détriment de celles de droite41. Une fois de plus la physionomie du corpus est relativement conforme à celle de la France de 1989. Reste, évidemment, la majorité des communes pour lesquelles les résultats du scrutin sont inconnus (55% du corpus total) et sur lesquelles nous ne pouvons guère extrapoler. Pour celles qui donnent les résultat de cette élection, le croisement avec les tendances politiques prévalant au sein du conseil municipal renforce le sentiment de cohérence qui se dégage de notre étude. L’orientation politique déclarée du conseil municipal ne contredit le score réalisé par François Mitterrand au second tour des présidentielles. La moyenne nationale enregistrée par François Mitterrand n’est franchie que pour les communes se réclamant de la «gauche» (60,2%), de la «gauche et du centre» (56,8%), de la «gauche et de la droite» (55,5%). Seules les communes indiquant une prédominance de la «droite» ou de la «droite et du centre» au sein du conseil municipal annoncent un taux inférieur à la majorité absolue avec respectivement 44,1% et 42,1%. Dans la logique de notre étude nous avons procédé à une représentation spatiale de ces indications. Nous l’avons conduite en deux temps.

41 Cette indication fondamentale est confirmée par les travaux de Pascale Baboulet-Flourens à propos du Lot.

394Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Les cartes de cette planche confirment notre première appréciation globale. Il n’y a pas de distorsion majeure entre les sensibilités déclarées par la partie du corpus qui a pris la peine de décliner son identité politique (et dans laquelle la

395Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

gauche est, certes, légèrement plus représentée) et les tendances qui prédominent au niveau départemental. Comme le montre la carte 1, seule la Corrèze (dont on connaît la géographie politique contrastée), le Vaucluse, le Var, les Bouches-du-Rhône, et dans une certaine mesure, l’Ardèche fournissent un contingent de réponses de communes de gauche sur-représenté par rapport à la physionomie du département. À l’inverse, le poids des communes de droite semble sur-représenté en ce qui concerne le Nord, la Loire-Atlantique, la Saône-et-Loire, le Jura, les Ardennes, la Somme, l’Eure, l’Essonne, le Val d’Oise ou l’Oise. Si on effectue une seconde comparaison en se fondant cette fois sur la carte des majorités des conseils généraux, il est frappant de constater, qu’à l’exception du Nord, de la Seine Saint-Denis42 et de la Haute-Corse, la classe la plus forte des communes se réclamant de la droite ou du centre-droit ne recouvre pas la cartographie des conseils généraux dominés par la gauche. De façon complémentaire, la classe la plus forte des communes se réclamant de la «gauche» et du «centre-gauche» « colle » de façon assez exacte avec la géographie des Conseils généraux dans lesquels la gauche est majoritaire. Parmi les exceptions on trouve, de nouveau, la Corse (pour laquelle le corpus ne permet pas de faire la distinction entre Haute-Corse et Corse-du-Sud), les Hautes-Alpes, le Var, les Pyrénées-Orientales et la Corrèze. Comme le montre le tableau ci-dessous, la concordance entre un fort pourcentage de communes se réclamant de la gauche et la géographie des conseils généraux de gauche est très importante. 70% des départements dont les communes indiquent à plus de 24% que la gauche est majoritaire dans leur conseil municipal se situent dans des départements dont le Conseil général est dominé par la gauche. Sur les 23 départements qui affichent les plus hauts pourcentages de communes de gauche, 19 coïncident avec un Conseil général de la même orientation politique.

42 Rappelons ici que la Seine-Saint-Denis se caractérise par la faiblesse de l’effectif concerné (4) tout comme la Corse (37).

396Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Coïncidence ou divergence avec l’existence d’un conseil général dominé par la gauche*

Départements dont les communes se déclarent à plus de 32% à «gauche»*

Départements les communes se déclarent à plus de 24 % à «gauche» (moyenne du corpus)

Coïncidence 19 (73%)

25 (96%)

Divergence «-» le Conseil général est de gauche, le poids des communes de gauche est plus faible que la catégorie envisagée

7 0

Divergence «+» le Conseil général est de droite, le poids des communes de gauche appartient à la catégorie envisagée

4 11

Nombre total de départements appartenant à la catégorie envisagée

23 36

*Corse exclue. Orientation politique des municipalités et implantation des Conseil généraux de gauche. Achevons cette première confrontation entre les indications politiques livrées par les communes répondant à l’enquête et les indicateurs nationaux disponibles par une comparaison entre la géographie des résultats obtenus par François Mitterrand au second tour des présidentielles de 1988 et celle émanant des résultats fournis par notre corpus.

397Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

La seconde série de cartes ayant trait à la géographie politique (Planche 25) enregistre la moindre performance du candidat Mitterrand auprès d’un corpus composé de villes petites et moyennes. Les départements où le phénomène inverse

398Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

se manifeste sont rares (14 départements –carte 4). Ils n’en constituent pas moins un ensemble géographique significatif qui occupe une large partie des départements du vieux Midi-Rouge méditerranéen. Au contraire, les départements situés au nord de la Seine qui ont apporté un très fort contingent de voix au président-candidat en 1988 sont représentés, dans le sous-corpus des communes qui déclinent les résultats communaux de l’élection présidentielle, par des communes dans lesquelles la victoire de François Mitterrand fut moins importante. Mais surtout, comme le fait apparaître l’étendue du grisé sur la carte 4, ce qui prédomine, une fois encore, c’est la concordance entre les résultats exprimés par le corpus et les performances de François Mitterrand au sein des communes comptant moins de 10 000 électeurs (assimilables à celles dont la population est inférieure à 15 000 habitants). Au-delà de la carte 4 qui met en évidence la faiblesse de l’écart entre le vote des communes comptant moins de 10 000 électeurs et le vote des communes du corpus ayant indiqué le score de François Mitterrand, la carte 3 renforce une caractéristique que nous avons déjà aperçue. Loin de constituer, par un jeu d’auto-sélection, une représentation « gauchie » de la France des petites et moyennes communes, les scores du candidat socialiste, traduits en moyenne départementale, donnent un nombre beaucoup plus important de départements dans laquelle la barre des 50% n’est pas franchie que la carte 2 représentant les résultats des communes comptant moins de 10 000 électeurs. Huit départements dans lesquels François Mitterrand a franchi, dans les communes de moins de 10 000 habitants, la barre des 50% affichent moins de 50% au sein du corpus. deux seulement –l’Aisne et les Alpes-Maritimes– présentent la figure inverse. À ce stade, une comparaison avec la mention de l’organisation d’au moins une cérémonie commémorative s’impose.

399Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Moyenne départementale de F. Mitterrand au sein du corpus

«Au moins une cérémonie commémorative» > 26%

«Au moins une cérémonie commémorative» > 23% (moyenne)

«Au moins une cérémonie commémorative» < 23%

Nombre de départements concernés

< 52% (moyenne du corpus)

8 (22%)

11 (31%)

17 (47%)

36 (100%)

dont < 50% 5 (19%)

9 (35%)

12 (46%)

26 (100%)

> 52% 19 (35%)

10 (19%)

25 (46%)

54 (100%)

dont > 55% 12 (37%)

7 (22%)

13 (41%)

32 (100%)

Nombre de départements concernés

27 (30%)

21 (23%)

42 (47%)

90* (100%)

* Val-de-Marne exclu (aucune indication du score de François Mitterrand parmi les communes répondantes) L’indication du vote Mitterrand et l’organisation de manifestations commémoratives

Ce tableau apporte plusieurs indications. Tout d’abord la part des communes ayant peu commémoré est sensiblement équivalente quel que soit le pourcentage obtenu par François Mitterrand. Elle se situe dans tous les cas de figure au-dessus de 40%43. En revanche, le niveau de vote pèse sur l’importance du degré d’unanimité commémorative dès lors que l’on envisage la classe la plus haute du corpus, puisque la barre des 26% de communes déclarant avoir organisé au moins une manifestation n’est franchie que pour les départements où François Mitterrand dépasse 55%. Il y a donc bien à la marge un lien entre le degré d’unanimité et l’attitude à l’égard du président-candidat. 1.5. Conclusions d’une confrontation cartographique Ces comparaisons successives nous amènent à conclure que l’on ne peut pas, de façon générale, faire état d’une distorsion importante entre le corpus et les communes de références. Cette conclusion est validée par l’examen statistique et géographique du corpus au niveau de sa structure démographique ou socioprofessionnelle. Elle est encore vérifiée par la confrontation avec des critères d’ordre politique. La géographie politique du corpus, compte tenu des réserves énoncées qui tiennent au nombre de communes ayant accepté de décliner leur

43 Rappelons que ces pourcentages sont établis par un rapport entre l’ensemble des communes de moins de 15 000 habitants et les réponses du corpus. Une étude qui prendrait en compte les seuls résultats du corpus (Carte 02, planche 15), sans modifier de façon très importante la géographie des résultats, donnerait des pourcentages bien plus élevés.

400Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

identité partisane ou les résultats de l’élection présidentielle, est plutôt fidèle aux données de la géographie politique nationale. L’échantillon enregistre même, du fait de l’absence des centres urbains et, surtout, de leurs banlieues, des performances moindres de la gauche, prise dans son acception la plus générale, ce dont témoignent les résultats de François Mitterrand. Dans ce cadre, cependant, le Midi méditerranéen se distingue nettement. Faute d’être encore une terre « d’élections », un grenier à suffrages de la gauche, il prend au sein de notre corpus le statut d’une terre de valeurs. Par leurs réponses nombreuses, les communes de gauche de cette portion du territoire font trace. Elles témoignent d’une géographie politique dépassée tout comme leur dynamisme, nous tâcherons de le démontrer, semble induit par une volonté de reconquête dont la célébration du Bicentenaire a pu être ressentie comme un vecteur sinon efficace, du moins nécessaire. Déjà patent dans les chiffres globaux, le relatif équilibre du corpus –réserve faite de la part des répondants qui taisent tout critère politique– semble donc confirmé par la géographie des réponses aux questions de nature politique Une fois établi qu’il n’y a pas de décalage majeur entre l’ensemble constitué par les communes qui ont bien voulu répondre au questionnaire et la physionomie, plus globale, des communes françaises de moins de 15 000 habitants, il importe de rechercher à quelles logiques obéit la distribution de ce corpus. 2. À la recherche d’éléments de cohérence Trouver des éléments de cohérence –c’est-à-dire de différenciation– dans un corpus malgré tout marqué par une certaine homogénéité revient à forcer les contrastes qui apparaissent en son sein. C’est la voie que nous avons, d’emblée, choisie en privilégiant une cartographie fondée sur un demi-écart-type au lieu d’opter en faveur d’un écart-type entier. Le risque de distorsion est donc important. Néanmoins, sauf à renoncer à toute analyse en prétextant de la faible amplitude des écarts ou à se retrancher derrière l’argument, si commode, que le réel est complexe, il nous a paru qu’il fallait assumer l’éventualité d’une possible dérive plutôt que de rester l’arme au pied. Cette position renvoie à un débat plus général autour des infortunes contemporaines de la notion de causalité en histoire. Nous sommes proches du point de vue exprimé par Alain Boureau qui consiste à défendre la notion de causalité comme condition nécessaire au débat en sciences sociales44. C’est dans cet esprit que nous allons poursuivre notre analyse. Pour ce faire, nous prendrons pour point de départ la carte du taux de réponses (carte 01, Planche 15). Cette carte fait apparaître des régions 44 Alain Boureau, « La causalité en histoire », in L’histoire entre épistémologie et demande sociale, pp. 61-78.

401Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

«récalcitrantes» et, au contraire, des ensemble régionaux dans lesquelles la sensibilité commémorative semble avoir été largement partagée. C’est à ces régions «récalcitrantes» que nous allons, à présent, nous intéresser. Pour ne pas éluder la difficulté, nous avons choisi de présenter, dans chacun des tableaux suivants, l’ensemble des résultats départementaux de la région concernée et non de sélectionner ceux-là seuls qui viennent à l’appui de nos conclusions.

2.1. Des régions «récalcitrantes»

Prenons deux seuils : un taux de réponses négatives supérieur à la moyenne, un taux de réponses négatives supérieur à 48% à la question45 : «Avez-vous organisé des manifestations à l’occasion du Bicentenaire ?». Cinq régions ou espaces se distinguent. a) Un Ouest assez large du Calvados à la Loire-Atlantique qui regroupe quatre des départements (soit près de la moitié) qui répondent de façon massive ne pas avoir organisé de manifestations46 auxquels s’ajoutent quatre autres départements dont l’attitude, tout en étant moins nette, comporte néanmoins un taux de réponses négatives supérieur à la moyenne du corpus. Pour ne pas fausser notre approche, nous avons fait figurer sur le tableau la totalité des départements du domaine géographique concerné.

45 Libellé exact de la question 1 : «Des manifestations (défilé, fête, exposition…) en rapport avec la commémoration du Bicentenaire de la Révolution française ont-elles eu lieu dans votre commune en 1989 ?» Oui/Non. 46 Les huit départements pour lesquels le taux de réponses négatives exprimées par les communes est supérieur à 48% sont le Calvados, la Corse, le Lot-et-Garonne, la Lozère, la Manche, l’Orne, le Tarn et la Vendée.

402Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Réponses positives Réponses négatives Ensemble des

réponses Ouest (Morbihan exclu)

OUI/ nbre

OUI/ %

Moyenne des réponses positives du corpus

NON/ nbre

NON/ %

Moyenne des répon-ses négatives du corpus

% de réponses

Taux moyen de réponses du corpus

Orne 56 42% 68% 77 58% 31% 26% 31% Calvados 98 49% 98 49% 28% Ille-et-Vilaine

68 69% 30 31% 28%

Vendée 39 46% 45 54% 30% Mayenne 49 61% 30 37% 31% Manche 86 47% 98 53% 31% Finistère 63 68% 30 32% 34% Maine-et-Loire

77 61% 49 39% 35%

Côtes-du-Nord

66 60% 43 39% 38%

Loire-Atlantique

43 61% 24 34% 40%

Moyenne des départements de l’Ouest

56%

43%

31%

La distinction d’ensemble est nette. 12 points séparent la moyenne des réponses positives de l’Ouest de celle de la France considérée dans sa totalité, alors que le taux de réponses à l’enquête est conforme à la moyenne nationale En dépit de quelques exceptions (Calvados, Ille-et-Vilaine, Finistère) les départements de l’Ouest forment un ensemble distinct. Il est tentant de voir, dans cette région, l’empreinte durable du souvenir, entretenu et réactivé à la veille du Bicentenaire, des insurrections de l’Ouest. Voire, dans les cas de la Manche et de la Vendée, l’existence d’une réponse militante qui se traduit par la volonté d’afficher hautement un choix politique47. b) Deuxième grande région où le taux de réponses négatives est supérieur à la moyenne nationale : un large ensemble Sud-Est allant du Jura aux Hautes-Alpes, incluant la Saône-et-Loire, le Rhône et la Drôme.

47 Voir à ce propos les travaux de Jean-Clément Martin. Nous reviendrons plus loin sur le modèle commémoratif diffusé par le Puy du Fou.

403Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Réponses positives Réponses négatives Ensemble des

réponses

OUI/ nbre

OUI/ %

Moyenne des réponses positives du corpus

NON/ nbre

NON/ %

Moyenne des réponses négatives du corpus

% de réponses

Taux moyen de répon-ses du corpus.

Savoie 43 57% 68% 28 37% 31% 25% 31% Hautes-Alpes 30 61% 19 39% 27% Haute-Savoie 59 64% 33 36% 32% Isère 111 66% 58 34% 32% Ain 90 60% 54 39% 33% Rhône 60 63% 33 34% 35% Drôme 89 65% 48 35% 37% Saône-et-Loire

133 60% 88 40% 39%

Jura 108 52% 99 47% 38% Haute-Loire 60 58% 44 42% 40% Moyenne des départements sélectionnés

61%

38%

34%

L’ensemble qui se dégage est d’autant plus remarquable qu’il se surimpose sur une zone fortement répondante –exception faite des deux départements savoyards. Sans doute convient-il d’aller au-delà de cette impression de bloc homogène pour rechercher, dans l’attitude des différents départements, des raisons spécifiques qui tiennent autant au souvenir de la répression, à une gêne commémorative qu’à la taille et au dynamisme des communes. Cela nous semble particulièrement vrai pour le Jura ou la Saône-et-Loire. c) Le troisième groupe qui se distingue correspond, lui aussi, à la tradition contre-révolutionnaire des « Midi-Blancs » que seule vient briser, comme pendant la période révolutionnaire, l’attitude de la Haute-Garonne entraînée par sa capitale.

404Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Réponses positives Réponses négatives Ensemble des

réponses

OUI/ nbre

OUI/ %

Moyenne des réponses positives

NON/ nbre

NON/ %

Moyenne des réponses négatives

% de réponses

Moyenne du corpus.

Cantal 38 68% 68% 18 32% 31% 22% 31% Aveyron 41 60% 18 27% 23% Hautes-Pyrénées

64 59% 45 41% 23%

Pyrénées-Atlantiques

38 63% 22 37% 25%

Lozère 17 35% 31 65% 26% Pyrénées-Orientales

38 63% 33 34% 27%

Ariège 51 55% 41 45% 28% Dordogne 104 64% 59 36% 28% Tarn 49 49% 51 51% 31% Lot-et-Garonne

51 50,5% 50 49,5% 32%

Moyenne des départements sélectionnés

56%

42%

26%

Ce bloc plus diffus s’appuie, au sud, sur la chaîne pyrénéenne et au nord sur le môle du Massif Central. Une remarque similaire à celle que nous avons émise à propos du groupe précédent s’impose : peut-on expliquer de la même façon l’attitude de La Lozère et celle de l’Ariège ou du Tarn-et-Garonne ? Outre le dynamisme des communes, il faudrait sans doute analyser la mobilisation différentielle des élus locaux face à la proposition commémorative, attitude dont le seul mobile n’est pas seulement le rapport entretenu avec la mémoire de l’événement révolutionnaire… d) Le quatrième groupe serait, de façon encore plus diffuse, le Nord-Est ardennais-lorrain.

405Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Réponses positives Réponses négatives Ensemble des

réponses

OUI/ nbre

OUI/ %

Moyenne des réponses positives

NON/ nbre

NON/ %

Moyenne des réponses négatives

% de réponses

Moyenne du corpus.

Ardennes 73 57% 68% 55 43% 31% 28% 31% Territoire-de-Belfort

18 62% 11 38% 29%

Meurthe 99 59% 69 41% 29% Meuse 83 54% 69 46% 31% Vosges 104 64% 58 36% 32% Marne 136 68% 63 32% 33% Haut-Rhin 73 56% 45 35% 35% Moyenne des départements sélectionnés

60%

39%

31%

e) Enfin, la Corse mérite un traitement à part, du fait de l’importante corrélation entre le plus faible taux de réponses (11%) et le très fort taux de réponses négatives (74%). Deux interprétations conjuguées permettent de rendre compte de cette singularité. En premier lieu, cette situation est le reflet de la pauvreté et du manque de dynamisme de la grande majorité des communes corses, notamment celles de la castegnica. Pour autant, il est aussi tentant de penser qu’il s’agit là d’une manifestation de la conscience nationale corse pour qui, du moins jusqu’en 1799, la Révolution française est un phénomène étranger. Il faudrait assurément associer cette attitude avec la redécouverte de la révolution corse de Paoli et le débat autour du « peuple/nation corse composant(e) de la nation française » qui a marqué les années 1989-1992. Il est difficile d’attribuer une origine identique à l’ensemble des attitudes que nous avons regroupées sous le terme de «récalcitrantes». Certes, ces môles régionaux sont signifiants et le fait qu’ils correspondent, pour au moins trois d’entre-eux, à des zones dans lesquelles les forces révolutionnaires sont intervenues militairement pour réduire à néant les tentatives contre-révolutionnaires ne peut être interprété comme le simple produit du hasard. Toutefois, cela ne peut expliquer l’attitude de l’Ariège, du Territoire-de-Belfort ou encore des Ardennes, pour ne citer qu’eux. Il semble, en fait, que des attitudes qui relèvent d’une signification historique se mêlent à d’autres dont la signification est plus incertaine et qui renvoient peut-être à la taille ou au dynamisme des communes concernées. Ainsi, dans un département aussi petit que le Territoire-de-Belfort, le dynamisme commémoratif du chef-lieu de département n’a-t-il pas pu

406Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

conduire à l’idée que la commémoration se faisait déjà à quelques kilomètres et, qu’après tout, une cérémonie locale ne lui ajouterait rien ? De même, l’enquête de terrain conduite par Pascale Baboulet-Flourens dans le Lot48 –qui ne se singularise pas dans notre corpus par une prise de position négative– fait état d’un bilan de la commémoration très « mitigé ». Elle explique ce peu d’empressement des élus locaux par les liens qui les intègrent dans le tissu départemental, le jeu des réseaux et le souci de ne déplaire à personne –ou, en termes positifs, de convenir à tout le monde, tant au sein de la commune que dans le cadre des jeux d’influence qui structurent la vie politique départementale. Elle associe cette attitude à la tradition opportuniste qui marque ce département. Il est difficile, d’un point de vue national, de rendre compte de façon pertinente des logiques et stratégies à l’œuvre, notamment quand elles ne prennent pas la forme proclamatoire d’une manifestation éclatante ou d’un refus circonstancié. On peut néanmoins mesurer des effets d’entraînement, telle l’influence de Toulouse qui suggère des modes d’organisation et de mobilisation de la commémoration bien au-delà de la Haute-Garonne49. De la même façon, on peut penser que la mobilisation autour du Bicentenaire des États du Dauphiné n’a pas été sans conséquence sur l’attitude adoptée au cours de l’année 1989 dans l’Isère. Ces précautions prises, nous ne pouvions en rester là et ne pas tenter de croiser ces indications avec les critères disponibles. 2.2. Tentatives de croisements Pour réaliser ces croisements et tenter de mettre à jour une logique dans la distribution des réponses, nous avons retenu quatre séries de données. En premier lieu, dans un souci de confrontation avec le passé, nous avons croisé la cartographie du «non» avec celle des prêtres assermentés en 1791 selon les cartes de Timothée Tackett synthétisées par Michel Vovelle.

48 Pascale Baboulet-Flourens Pour qui y-a-t-il commémoration ? Réflexions sur l’utilisation du terme pour rendre compte d’une catégorie de rituels, Mémoire de D.E.A., Université Toulouse-le-Mirail, 1992, dactylographié, aimablement prêté par l’auteur que je remercie vivement. 49 Cf. l’influence du C.L.E.F. 31 perceptible par la reprise de ses publications dans les départements limitrophes.

407Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

408Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Pour 16 départements, il y a effectivement concordance entre un «non» supérieur à la moyenne du corpus et un taux faible ou très faible de prêtres assermentés. Toutefois, ce premier croisement ne fonctionne pleinement que pour les départements de l’Ouest et le pôle du Midi-blanc constitué autour de la Lozère50. Sans nier l’existence de fractures issues de la Révolution française qui ont rejoué au fil des décennies, il ne peut être question de voir dans la cartographie des réponses négatives le simple écho des attitudes pendant la Révolution ou, du moins, de le systématiser. Pour que le souvenir de la Révolution française continue de jouer un rôle d’organisateur de l’espace politique et commémoratif, il semble nécessaire qu’il rencontre d’autres facteurs, qu’il soit inséré dans un environnement spécifique. Peut-on hasarder, ici, en suivant les travaux de Jean-Clément Martin sur la Vendée51, qu’il participe de la définition d’une identité locale ou régionale, étant entendu qu’une identité n’est jamais seulement héritée mais recréée, réactivée, accaparée, défendue, en un mot, présente et non passée. La valeur de cette constatation n’est évidemment pas limitée aux seuls régions où la référence aux combats des « Blancs » peut servir d’élément d’identité. Elle y est tout simplement plus spectaculaire puisque fondée sur la différence. La réunion de la communauté autour de monuments aux morts pacifistes, l’érection d’une statue à une république qui peut se proclamer sociale jouent un rôle identique en pays « bleu ». Cela dit, en dépit des discordances, il convient de souligner que, pour une large part, l’espace central occupé par les prêtres assermentés n’est pas sans évoquer le noyau de la géographie de notre corpus tel que le rappellent les cartes de référence 01 et 02.bis (Planche 15). Même si elle ne peut servir de principe explicatif unique l’empreinte de la tradition politique qui naît des luttes de la période révolutionnaire ne saurait être ignorée. Nous aurons de nouveau l’occasion de mesurer le poids des attitudes héritées lors de la comparaison entre la géographie commémorative et la géographie politique de 1936 à 1965. Pour l’heure, la géographie des pratiques religieuses contemporaines n’étant pas sans lien avec les espaces de résistance à la politique religieuse de la Révolution, nous avons souhaité opérer une seconde confrontation avec la géographie contemporaine du fait religieux.

50 L’Aveyron se caractérise quant à lui par un très faible taux de réponses. Cf. tableau. 51 Voir, notamment : Jean-Clément Martin, La Vendée de la mémoire (1800-1980), Paris, Seuil, 1989.

409Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

410Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Nous avons croisé la cartographie du «non» avec celle de la pratique religieuse telle que la présentent Guy Michelat et Michel Simon52. D’autres choix étaient possibles par exemple celui de la carte des messalisants ruraux produite par Hervé Le Bras53 ou encore de celle des pascalisants utilisée par Michel Vovelle dans une vaste confrontation de la cartographie de la Révolution54. Si, en définitive, nous n’avons utilisé que celle des premiers auteurs cités, c’est qu’aucune différence notable n’intervient entre les différentes cartes et que celle de Guy Michelat et de Michel Simon croise l’ensemble des critères possibles pour élaborer une typologie ternaire autour des notions, à la fois significatives et simples, de pratique religieuse forte, moyenne et faible. D’emblée, comme le montrent à la fois les tableaux et les cartes 1 et 2 (Planche 27) la cohérence paraît beaucoup plus grande qu’avec le croisement précédent. Pratique religieuse «Non» > 31% «Non» < 31% Ventilation

globale Faible 5

(17%) 24

(83%) 29

(100%) Moyenne 14

(40%) 21

(60%) 35

(100%) Forte 18

(67%) 9

(33%) 27

(100%) Ventilation globale 37

(41%) 54

(59%) 91

(100%) Le degré de pratique religieuse et le taux de réponses négatives à l’enquête

52 Guy Michelat et Michel Simon, Classe religion et comportement politique, P.F.N.S.P./Ed. Sociales, 1977. Carte n° 4, p. 479. 53 Hervé Le Bras, Les trois France, Paris, Odile Jacob, 1986. 54 Michel Vovelle, La découverte de la politique, Paris, La Découverte, p. 178.

411Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Pratique religieuse

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives à plus de 26%

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives à moins de 26%

Ventilation globale

Faible 13 (45%)

16 (55%)

29 (100%)

Moyenne 13 (37%)

22 (63%)

35 (100%)

Forte 1 (4%)

26 (96%)

27 (100%)

Ventilation globale

27 (30%)

64 (70%)

91 (100%)

Le degré de pratique religieuse et le niveau d’unanimité commémorative (Part des communes ayant organisé une manifestation > 26%) Seuls 4 départements sur 28 de la carte 1 (Planche 27) portent à la fois la mention d’un taux de réponses négatives supérieur à la moyenne du corpus et celui d’une pratique religieuse faible. Certes, les espaces respectifs ne se confondent pas totalement, mais cette carte permet d’intégrer l’espace Sud-Est qui échappait au croisement précédent. La configuration décrite par la carte 2 de la même planche est encore plus remarquable. Si l’on s’en tient à classe la plus forte, la géographie des «communes mentionnant au moins une activité commémorative» correspond à celle de la pratique religieuse faible ou moyenne à la seule exception du département de la Loire-Atlantique. Les deux tableaux ci-dessus quantifient la spatialisation que nous venons d’observer. Ils montrent combien le degré de pratique religieuse exerce une influence presque proportionnelle sur le taux de réponses négatives ou le faible niveau d’unanimité commémorative. L’impression s’altère sans perdre, pour autant, toute pertinence, si on étend le croisement aux deux classes supérieures à la moyenne (carte 3, Planche 26).

412Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Pratique religieuse

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives à plus de 23% (moyenne du corpus)

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives à moins de 23% (moyenne du corpus)

Ventilation globale

Faible 18 (62%)

11 (38%)

29 (100%)

Moyenne 19 (54%)

16 (46%)

35 (100%)

Forte 11 (41%)

16 (59%)

27 (100%)

Ventilation globale

48 (53%)

43 (47%)

91 (100%)

Le degré de pratique religieuse et le niveau d’unanimité commémorative (pourcentage de communes ayant organisé une manifestation > la moyenne du corpus)

Seules les communes répondantes de 11 départements sur 48 (23%) mêlent pratique religieuse forte et organisation de cérémonies commémoratives. Encore faut-il noter que 6 départements présentent la particularité d’appartenir, à la fois, à la classe où le «non» est supérieur à la moyenne du corpus et à celle dans laquelle les communes du corpus ont «organisé au moins une cérémonie commémorative» dans une proportion supérieure, là encore, à la moyenne. En d’autres termes, des lieux pour lesquels, c’est notamment vrai pour la Loire-Atlantique et le Finistère, la conflictualité entre laïques et catholiques demeurent vive55. Sans doute, ce modèle élémentaire de croisement ne peut suffire à expliquer l’ensemble de la géographie commémorative qui se dégage de la répartition des réponses de notre corpus. 26 départements restent à l’écart de ce croisement notamment les départements situés au nord de la Seine, la Dordogne, le Lot-et-Garonne, le Gers, les Hautes-Pyrénées, l’Ariège, l’Ain, l’Isère et les départements des Alpes du Sud. Le croisement avec l’attitude du corpus que décrivent ce tableau et les cartes 3 et 4 (Planche 27) est encore plus probant puisque l’espace d’unanimité commémorative s’inscrit véritablement en creux de celui de la pratique religieuse forte, avec un nombre de croisements encore plus réduit.

55 Pour ne citer qu’un exemple, en 1993, le maire de Nantes, pourtant issu de la J.A.C. (Jeunesse Agricole Chrétienne), a choisi, de façon assez publique pour que la presse s’en fasse l’écho, de commémorer le 21 janvier 1793 autour d’une tête de cochon dans la plus pure tradition du radicalisme maçonnique militant. Informations fournies par Jean-Clément Martin.

413Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Pratique religieuse

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives dans une proportion supérieure à 80% des réponses positives

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives dans une proportion inférieure à 80% des réponses positives

Ventilation globale

Faible 16 (55%)

13 (45%)

29 (100%)

Moyenne 13 (37%)

22 (63%)

35 (100%)

Forte 3 (13%)

24 (77%)

27 (100%)

Ventilation globale

32 (35%)

59 (65%)

91 (100%)

Le degré de pratique religieuse et le niveau d’unanimité commémorative (Part des communes ayant organisé une manifestation > 80%) –Sous-ensemble des réponses positives–

Pratique religieuse

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives dans une proportion supérieure à 74% des réponses positives (moyenne du corpus)

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives dans une proportion inférieure à 74% des réponses positives (moyenne du corpus)

Ventilation globale

Faible 23 (79%)

6 (21%)

29 (100%)

Moyenne 16 (46%)

19 (54%)

35 (100%)

Forte 7 (26%)

20 (74%)

27 (100%)

Ventilation globale

46 (%)

45 (%)

91 (100%)

Le degré de pratique religieuse et le niveau d’unanimité commémorative (% de communes ayant organisé une manifestation > la moyenne du corpus) –Sous-ensemble des réponses positives– Ces croisements tendraient à prouver qu’en milieu rural le tempérament religieux n’a pas été sans incidence sur l’empressement commémoratif. Cette constatation fait surgir deux hypothèses qui ne sont pas forcément exclusives. 1° Le degré de pratique religieuse induit une antipathie croissante envers l’objet commémoré que le souvenir des violences révolutionnaires peut, le cas échéant, accroître. Le manque d’empressement serait donc la conséquence d’une

414Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

hostilité s’inscrivant dans la continuité des rapports conflictuels entre religion catholique et Révolution française que nous venons d’évoquer pour les départements de l’Ouest. Cette hypothèse aurait le mérite de s’inscrire pleinement dans la logique de l’organisation spatiale du politique telle qu’elle a été mise en évidence pour le XIXème et la première moitié du XXème siècle. 2° Une seconde hypothèse qui n’exclut pas pour autant le facteur « hostilité » mais qui lui prête un rôle second et circonscrit est formulable. Dans les zones de plus forte pratique religieuse, la réaffirmation du lien social, étant appuyée sur d’autres vecteurs, ne nécessite pas l’appel au dispositif commémoratif. Dans cette perspective, le chevauchement observé dans les départements du Finistère, de la Loire-Atlantique, du Maine-et-Loire ou encore des Landes, pour se cantonner à la côte atlantique, ne traduirait pas seulement la pérennité du conflit blancs/bleus, mais aussi l’affrontement autour de deux conceptions de la relation civique. Tandis qu’en Alsace et, plus globalement, dans les départements de l’Est ce même chevauchement serait le produit d’un « civisme de frontière » à forte tonalité patriotique dont l’une des fonctions est peut-être d’affirmer une identité au cœur de la confluence germano-française. La mobilisation aisée de ce critère ancien de la géographie politique française tendrait à souligner qu’en milieu infra-urbain « l’exil catholique » n’est pas aussi révolu qu’on a souhaité le dire en célébrant la fin de « l’exception française ». S’il ne prend plus des formes d’opposition systématique à la gauche, il participe désormais d’une identité locale ou régionale. Pour aller au-delà de cette alternative, il importait de savoir si le socle des départements mentionnant le plus fortement leur participation au geste commémoratif ne coïncidait pas avec le vieux socle du vote de gauche. L’hypothèse ne manque pas d’attrait. Pour la tester, nous avons croisé les réponses négatives à la question sur l’organisation de cérémonie(s) commémorative(s) et la France de « gauche » telle qu’elle s’exprimait lors du second tour de l’élection présidentielle de 1965, avant de conduire la même opération à partir des «communes mentionnant au moins un activité commémorative».

415Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

416Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Pour faciliter la lecture de ces cartes, les tableaux ci-dessous en présentent les données statistiques. Vote Mitterrand en 1965 (en pourcentage des inscrits)

«Non» > 31% «Non» < 31% Nombre de départements concernés

< 34% 17 (85%)

3 (15%)

20 (100%)

< 37% 5 (33%)

10 (67%)

15 (100%)

< 41% 8 (32%)

17 (68%)

25 (100%)

> 41 % 7 (27%)

19 (73%)

26 (100%)

Nombre de départements concernés

37 (43%)

49 (57%)

86 (100%)

Le vote Mitterrand en 1965 et le taux de réponses négatives à l’enquête Ce premier tableau complète l’information fournie par la carte 1 de la planche 28, le socle de gauche et les régions où la droite est la plus forte fournissent des résultats symétriquement opposés. Le même type de configuration est obtenu à partir de la classification de C Leleu56 pour les élections de 1936 et 1946. En 1936, 67% des départements classés «nettement à droite» (18 départements) correspondent à ceux dans lesquels, en 1990, les communes du corpus fournissent une réponse négative à plus de 31%. En 1946, ils en représentent 54% (13 départements). À l’inverse, 68% en 1936 et 75% en 1946 des départements «nettement à gauche» correspondent à ceux dans lesquels, en 1990, les communes du corpus fournissent une réponse négative inférieure à 31%. La permanence des masses et du rapport entre les deux catégories prouve donc que l’attitude face à la commémoration s’inscrit bien dans une tradition politique. C’est ce que confirme l’analyse du degré d’unanimité commémorative.

56 Claude Leleu, Géographie des élections françaises depuis 1936, Paris, P.U.F., 1971.

417Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Vote Mitterrand en 1965 (en pourcentage des inscrits)

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives à plus de 26%

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives à moins de 26%

Nombre de départements concernés

< 37% 6 (17%)

29 (83%)

35 (100%)

< 41% 8 (32%)

17 (68%)

25 (100%)

≥ 44% 12 (44%)

14 (56%)

27 (100%)

Nombre de départements concernés

26 (30%)

60 (70%)

86 (100%)

Le vote Mitterrand en 1965 et le niveau d’unanimité commémorative (Part des communes ayant organisé une manifestation >26%)

En 1936, 3 des 27 départements (11%) classés par Claude Leleu «nettement à droite» se situent en 1989 dans la catégorie la plus élevée. En 1946, ils sont 5 sur 29 (17%). À l’opposé 12 des 16 départements (75%) classés en 1936 dans la catégorie «nettement à gauche» coïncident en 1989 avec les départements dont les communes du corpus manifestent le plus grand degré d’unanimité commémorative. En 1946, ils sont 5 sur 9 (56%) à présenter le même cas de figure. On remarque que les proportions sont presque identiques à celle de 1965. Vote Mitterrand en 1965 (en pourcentage des inscrits)

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives à plus de 23% (moyenne du corpus)

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives à moins de 23% (moyenne du corpus)

Nombre de départements concernés

< 37% 15 (43%)

20 (57%)

35 (100%)

< 41% 14 (56%)

21 (44%)

25 (100%)

≥ 44% 16 (59%)

10 (41%)

27 (100%)

Nombre de départements concernés

45 (52%)

41 (48%)

86 (100%)

Le vote Mitterrand en 1965 et le niveau d’unanimité commémorative (Pourcentage de communes ayant organisé une manifestation > la moyenne du corpus)

418Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Même en prenant pour seul critère le rapport à la moyenne du corpus, la différence d’attitude vis à vis de la commémoration entre les départements les plus favorables à François Mitterrand en 1965 et ceux qui le furent le moins reste très importante. La confrontation avec les élections législatives de 1936 et de 1946 conforte le sentiment de permanence qui fût le nôtre au travers des précédents croisements. Départements dont

les communes ont organisé une ou

plusieurs manifestations

commémoratives à plus de 23%

(moyenne du corpus)

Départements dont les communes ont organisé une ou

plusieurs manifestations

commémoratives à moins de 23%

(moyenne du corpus)

Nombre de départements concernés57

1936 1946 1936 1946 1936 1946 Départements «nettement à droite et à droite»

16 (40%)

21 (47%)

24 (60%)

24 (53%)

40 (100%

)

45 (100%

) Départements incertains

6 (43%)

6 (57%)

8 (43%)

8 (57%)

14 (100%

)

14 (100%

) Départements «nettement à gauche et à gauche»

23 (74%)

18 (69%)

8 (26%)

8 (21%)

31 (100%

)

26 (100%

) Nombre de départements concernés

45 (53%)

45 (47%)

40 (46%)

40 (53%)

85 (100%

)

85 (100%

) Les majorités départementales aux législatives de 1936 et de 1946 et le niveau d’unanimité commémorative (Pourcentage de communes ayant organisé une manifestation > à la moyenne du corpus)

Au-delà des chiffres et de la permanence des oppositions qu’ils indiquent nous avons souhaité mieux identifier le noyau dur de la commémoration de gauche et par comparaison mesurer la prégnance des comportements induits par un vote à droite au cours des trois consultations prises en considération (1936, 1946, 1965). Nous avons donc cartographié en vis-à-vis l’attitude des communes dont les départements ont, selon la classification de Claude Leleu, soit voté à droite de façon constante en 1936, 1946 et accordé moins de 37% des inscrits à François Mitterrand en 1965, soit voté à gauche aux mêmes échéances et accordé plus de suffrages que la moyenne nationale au candidat unique de la gauche. 57 Sont exclus : la Corse, le Morbihan, la Moselle, Paris et la Seine-et-Oise.

419Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Pour la gauche 18 départements ont été retenus. Dans 11 d’entre-eux (61%) les communes du corpus s’inscrivent dans la plus forte classe quant au degré d’unanimité commémorative, 15 (83%) se situent au-dessus de la moyenne du corpus. Ils sont 4 (22%) à répondre négativement à plus de 31% à la question sur l’organisation de cérémonies commémoratives. Si on les considère comme un

420Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

groupe le taux d’ensemble des communes ayant organisé au moins une manifestation commémorative est de 27%, le taux de réponse négative de 24%. Comme le montre la carte 1 de la planche 29 c’est l’empreinte historique de la gauche qui apparaît. Neuf de ces départements sont déclarés en état de siège en 1851 ou sont le foyer d’une activité oppositionnelle rurale58 . On peut même y retrouver des pans entiers de l’implantation de la gauche de 1792 à 1798 telle que la cartographie Lynn Hunt59. On peut donc, sans forcer le trait, indiquer que la géographie de l’unanimité commémorative correspond pour une large part à l’implantation du socialisme rural et au Midi-rouge. La carte 2 de cette planche qui représente, suivant les mêmes critères, l’empreinte traditionnelle de la droite constitue elle aussi, un élément que notre analyse doit prendre en compte. Sur 26 départements classés à droite ou nettement à droite en 1936 et 1946 par Claude Leleu et ayant accordé moins de la moyenne des suffrages à François Mitterrand en 1965 : 13 (50%) s’inscrivent en dessous du degré d’unanimité commémorative moyen de notre corpus, 14 (54%) connaissent un taux de réponses négatives supérieur à la moyenne de l’enquête. Toutefois, dans une proportion plus forte que les bastions traditionnels de la gauche, 6 d’entre-eux (23%) se situent dans la classe la plus forte quant au niveau d’unanimité commémorative. Leur nombre est porté à 12 (46%) si on prend pour critère l’appartenance à la classe située au-dessus de la moyenne. Cette référence à la moyenne du corpus ne doit cependant pas masquer la force des évolutions contemporaines. Alors que l’héritage de la tradition de gauche joue un rôle décisif en faveur de la commémoration de la Révolution, l’attitude des départements traditionnellement à droite est moins nette. Elle traduit la disjonction croissante entre attitude religieuse et attitude civique amorcée depuis le « ralliement », et, aussi, la baisse des pratiques. Si la filiation revendiquée avec la Révolution continue d’être une référence bien vivante à gauche, à droite notre cartographie et l’analyse quantitative du corpus tendraient à prouver que l’hostilité à une Révolution depuis longtemps apprivoisée sous les traits de la république ne fonctionne plus comme pierre angulaire de l’identité politique. La métamorphose de la Révolution en république permet l’expansion du geste commémoratif en dehors des terres traditionnelles de la gauche. Néanmoins, si on considère, comme nous l’avons fait pour ceux de gauche, ces départements traditionnellement de droite en tant que un groupe, la moyenne des communes mentionnant l’organisation d’au moins une manifestation commémorative n’est que de 21% (

58 Selon la cartographie de L’histoire de la France contemporaine, (collectif), Éditions Sociales, 1979, p. 171. 59 Lynn Hunt, Politics Culture and Class in the French Revolution, Berkeley, 1984, p. 123-148 cité par Michel Vovelle, La découverte de la politique, op. cit., 1993, p 214.

421Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

contre 27% pour la gauche) et 38% d’entre-elles répondent négativement à la question sur l’organisation de manifestations commémoratives (contre 24% pour la gauche). Après avoir tenté de trouver dans le passé proche ou lointain des éléments d’explication de la géographie commémorative dessinée par les réponses du corpus, opérons un dernier croisement avec les résultats du référendum pour la ratification du traité de Maastricht qui ont semblé redéfinir la géographie politique française.

422Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Cet ultime croisement complète notre information. Dans la logique de notre étude nous avons fait figurer ci-dessous des tableaux de synthèse.

423Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Vote lors du référendum sur le traité de Maastricht

«Non» > 31%

«Non» < 31%

Ventilation globale

«Oui» > 50% 23 (58%)

17 (62%)

40 (100%)

«Non» > 50% 14 (27%)

37 (73%)

51 (100%)

Ventilation globale 37 (41%)

54 (59%)

91 (100%)

Les réponses négatives à l’organisation de manifestations commémoratives et le vote lors du référendum sur le traité de Maastricht Ce premier tableau conforte l’impression visuelle que procure la carte 1 de la planche 30. Certes la cartographie des réponses négatives à la question d’ouverture de l’enquête ne coïncide pas avec les zones dans lesquelles le «oui» à Maastricht l’emporte. De ce point de vue, le test est moins probant que le croisements avec le niveau de pratique religieuse. Toutefois, alors que la réponse des communes des départements ayant majoritairement voté «oui» au référendum est partagée face à la question de l’enquête, celle des départements ayant voté «non» est sans équivoque : 73% des communes répondent qu’elles ont organisé des manifestations commémoratives contre 62% pour les partisans de Maastricht. On peut donc établir un rapport entre le type de vote émis en 1992 lors du référendum sur le traité de Maastricht et l’attitude de la population à l’égard de la commémoration du Bicentenaire de la Révolution française. Ce rapport, pour respecter l’ordre chronologique, est que plus on a unanimement commémorer en 1989, plus le «non» au référendum est important en 1992. Les quatre tableaux ci-dessous confirment que, sans être aussi opératoire que le degré de pratique religieuse, l’attitude face au traité de Maastricht doit être retenue parmi les éléments permettant de comprendre la géographie de la commémoration intervenue trois ans plus tôt.

424Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Vote lors du référendum sur le traité de Maastricht

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives à plus de 26%

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives à moins de 26%

Ventilation globale

«Oui» > 50% 7 (18%)

33 (82%)

40 (100%)

«Non» > 50% 20 (39%)

31 (61%)

51 (100%)

Ventilation globale

27 (30%)

64 (70%)

91 (100%)

Le degré d’unanimité commémorative et le vote lors du référendum sur le traité de Maastricht (Organisation de manifestation > 26%) Vote lors du référendum sur le traité de Maastricht

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives à plus de 23% (moyenne du corpus)

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives à moins de 23% (moyenne du corpus)

Ventilation globale

«Oui» > 50%

22 (55%)

18 (45%)

40 (100%)

«Non» > 50%

26 (51%)

25 (49%)

51 (100%)

Ventilation globale

48 (53%)

43 (47%)

91 (100%)

Le degré d’unanimité commémorative et le vote lors du référendum sur le traité de Maastricht (Organisation de manifestation > 23% –moyenne–) Vote lors du référendum sur le traité de Maastricht

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives dans une proportion supérieure à 80% des réponses positives

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives dans une proportion inférieure à 80% des réponses positives

Ventilation globale

«Oui» > 50%

8 (20%)

32 (80%)

40 (100%)

«Non» > 50%

24 (47%)

27 (53%)

51 (100%)

Ventilation globale

32 (35%)

59 (65%)

91 (100%)

Le degré d’unanimité commémorative et le vote lors du référendum sur le traité de Maastricht (Organisation de manifestation > 80% –Sous-ensemble des réponses positives)

425Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Vote lors du référendum sur le traité de Maastricht

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives dans une proportion supérieure à 74% des réponses positives (moyenne du corpus)

Départements dont les communes ont organisé une ou plusieurs manifestations commémoratives dans une proportion inférieure à 74% des réponses positives (moyenne du corpus)

Ventilation globale

«Oui» > 50%

14 (35%)

26 (65%)

40 (100%)

«Non» > 50%

32 (63%)

19 (37%)

51 (100%)

Ventilation globale

46 (51%)

45 (49%)

91 (100%)

Le degré d’unanimité commémorative et le vote lors du référendum sur le traité de Maastricht (Organisation de manifestation > 74% –Moyenne du sous-ensemble des réponses positives) Cette similarité n’a rien de très étonnant puisque, comme l’ont remarqué les commentateurs, c’est dans la France démocrate-chrétienne et dans celle des grandes villes que le traité de Maastricht a été le mieux accueilli. C’est ce que prouve le tableau ci-dessous. Pratique religieuse Vote au

référendum sur le traité de Maastricht > 50%

Vote au référendum sur le traité de Maastricht < 50%

Ventilation globale

Faible 1 (3%)

28 (97%)

29 (100%)

Moyenne 19 (54%)

16 (46%)

35 (100%)

Forte 20 (74%)

7 (26%)

27 (100%)

Ventilation globale 40 (44%)

51 (56%)

91 (100%)

Le vote en faveur de Maastricht et le degré de pratique religieuse60 Dans le cadre de cette concordance très importante l’utilisation des résultats du référendum de Maastricht n’est-elle pas redondante ? Nous ne le pensons pas. En effet le recours à la géographie des pratiques religieuses peut paraître fragile. C’est un indicateur qui fait trace dans la géographie politique française du fait de la perte d’emprise de l’Église catholique sur ses fidèles et de la date à laquelle les

60 Nous avons pris en compte les seuls départements concernés par l’enquête.

426Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

données ont été collectées par Guy Michelat et Michel Simon. De ce point de vue les pourcentages départementaux obtenus lors du référendum de 1992 ne peuvent être sujets à la même caution. Au-delà de cet argument technique, il nous semble que Maastricht a révélé des attitudes face à l’avenir, des sentiments de cohésion locale ou régionale fort utiles pour notre propos. Certes il s’agit d’un vote complexe qui associe le rejet d’une « Europe du capital », de « l’Europe des technocrates » et celui de l’Europe tout court. Pas plus que le «oui», le »non» ne constitue un ensemble homogène. Il nous semble néanmoins que ce vote peut-être interprété dans une large mesure comme un critère de confiance face à l’avenir. À ce titre il nous est précieux puisque toute commémoration est, d’abord et avant tout, un message d’avenir délivré au présent au nom du passé. Nous ne pouvons, à cet endroit, que rejoindre les conclusions d’Emmanuel Todd :

« Le vote sur Maastricht a marqué les limites [du] modèle [de disparition des clivages idéologiques violents] en faisant réémerger, dans toute sa force un socle anthropologique et idéologique fondamental. Est réapparue avec Maastricht, la division la plus traditionnelle de l’espace français : d’un côté un espace central, individualiste égalitaire et laïque, un très vaste bassin parisien étiré le long de l’axe Laon-Bordeaux, auquel il faut ajouter la façade méditerranéenne. D’un autre côté, existe une France périphérique attachée aux principes d’ordre et de hiérarchie longtemps de tradition catholique. » Il poursuit : « Si l’on faisait sur Maastricht et [la mobilisation en faveur de] l’école [publique (septembre 1993)] une analyse régionale, on verrait que le plus souvent le « non » à Maastricht et le « oui » à l’école ont touché les mêmes gens61. »

Ajoutons, pour notre part, l’attitude face à la commémoration du Bicentenaire de la Révolution française. 2.3. Première synthèse En comparant les données cartographiques que nous avons recueillies n’avons-nous pas pris le risque de sombrer dans « l’illusion écologique » contre laquelle nous mettions en garde en introduction de cette partie ? Peut-on soutenir méthodologiquement la pertinence de rapports entre des tendances départementales 61 Emmanuel Todd, « Permanence des structures sociales et recomposition politique », in Le Banquet, revue du CERAP, n° 4, 1er semestre 1994, pp. 135-152.

427Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

plus ou moins quantifiables et l’expression en termes départementaux de la moyenne de communes qui ne constituent pas un échantillon représentatif et qui renvoient à des réponses subjectives ? Le saut est incontestablement périlleux d’autant plus que les seuils que nous avons retenus, après examen du corpus, ne permettent pas toujours une singularisation forte. Toutefois le résultat n’est-il pas instructif ? D’une part, nous avons cru pouvoir démontrer que la composition de notre corpus, sans obéir aux lois de la représentativité, n’est pas sans présenter de grandes analogies avec la physionomie des communes françaises tant au niveau national que départemental. D’autre part, il nous semble que ce parcours permet d’ores et déjà d’émettre plusieurs hypothèses qui peuvent guider notre compréhension du phénomène commémoratif. En premier lieu, pour commencer par le thème le plus classique, on trouve bien une chaleur commémorative plus grande au sein des départements où la gauche est majoritaire que dans les autres. Une partie de la cartographie des noyaux durs de la commémoration villageoise telle que le corpus nous permet de la connaître correspond bel et bien à l’empreinte historique de la gauche dans ce pays. Elle couvre une part notable de ce qu’il est convenu de considérer comme les terres du socialisme rural et de celles du Midi-rouge. L’inscription est nette, à tel point que la force de ces permanences n’a pas manqué de nous surprendre. Elle prend même, parfois, la forme d’un témoignage sur une identité politique aujourd’hui malmenée (Midi). Néanmoins, cette référence, à elle seule, n’est pas apte à rendre compte de la géographie commémorative qui se dessine sous nos yeux, fût-elle celle de notre seul corpus. En effet, il est frappant de constater que de façon continuelle, s’agrègent au noyau de gauche des départements que leur identité présente et passée ne prédisposaient pas à ce sort. Ce groupe de départements témoigne de l’acclimatation de la Révolution qui, sous l’apparence de la république, peut transcender les frontières des familles politiques. Au-delà de ce premier élément comme la mobilisation des grandes collectivités locales, et peut-être plus encore, il nous rappelle que le souvenir de la Révolution n’est pas seul en jeu. Que le geste commémoratif, s’il se nourrit du passé, correspond aussi à une recherche d’identité. Il faudrait, ici, pouvoir mieux mesurer le rôle des néo-ruraux dans le dynamisme commémoratif et le poids de leur désir de s’enraciner. Reste à expliquer pourquoi ce phénomène fonctionne au sud de la Seine, dans les départements acquis à la droite et non au nord, dans ceux acquis à la gauche… En troisième lieu, l’espace commémoratif mis en valeur par la géographie du corpus correspond pour une large part à la « France du vide », à la France des

428Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

faibles densités. Ne peut-on induire de cette caractéristique que l’on commémore en proportion de la menace ressentie sur la permanence d’une identité ? En d’autres termes, l’espace de l’unanimisme commémoratif ne transforme-t-il pas la commémoration du Bicentenaire de la Révolution française en incantation conjuratoire de la menace de disparition ? L’hypothèse est tentante même si la cartographie des zones de plus faible densité ne correspond pas pleinement aux contours de notre corpus. Plus que les confrontations statistiques ou géographiques, l’analyse des discours des maires permet, sinon de la fonder, du moins de la formuler. Il est vrai qu’un effet de seuil en limite l’expansion : pour commémorer et, plus encore, pour répondre à une enquête il faut que la commune dispose encore des forces nécessaires pour la mise en place de cérémonies et la municipalité d’une infrastructure minimale. Si la géographie de l’enquête nous permet, à ce stade, d’avancer quelques éléments d’explications à la mobilisation, les croisements se sont plus encore révélés pertinents pour tenter de cerner les régions que nous avons dénommées «récalcitrantes». Précisons-le tout de suite, l’invocation des séquelles de la Révolution nous paraît bien partielle et bien partiale. Certes, elle est rassurante et tendrait dans ce monde où tout bouge, à nous doter d’au moins un repère immuable, même si cette stabilité n’est guère âgée que de deux cents ans. Il ne s’agit pas d’exclure ce paramètre, mais de le conjuguer avec d’autres, de le détourner de sa signification classique qui met l’accent sur la pérennité. Certes, l’empreinte est forte. Mais elle n’est jamais aussi forte là où elle n’a cessé de rejouer, de participer à une délimitation territoriale, à la construction d’une identité. L’exemple en est, évidemment, la Vendée et l’entreprise de Philippe de Villiers, l’aventure emblématique62. Le recours au critère de la pratique religieuse s’inscrit dans le même esprit. Là encore, nous ne souhaitons pas aborder le Bicentenaire comme un nouveau round du combat opposant l’Église et la Révolution. Il faudrait alors prouver que c’est bien de ces deux objets qu’il est vraiment question –au niveau local– lorsqu’on commémore ou qu’on s’abstient de le faire. Pour autant, la complémentarité des cartographies est assez étonnante. Nous proposons donc de l’envisager comme une concurrence dans la construction du lien social ce qui est, après tout l’une des acceptions étymologiques de religion (religare). La caractéristique des zones «récalcitrantes» ne serait-elle pas de ne pas vivre aussi fortement que les autres un déficit d’identité ? Cette dernière piste nous semble confirmée par le vote lors de la ratification du traité de Maastricht. Il nous semble

62 Une entreprise toute aussi significative est la mobilisation des P.M.E. vendéenne, autour du film Vent de galerne décrite par Jean-Clément Martin (Mots, n°31, juin 1992, pp. 56-57). Produire de l’identité est aussi un moyen d’améliorer la lisibilité de la région, condition première, en termes de marketing, pour susciter l’intérêt des investisseurs.

429Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

que le vote de rejet constitue un amalgame des craintes les plus diverses et du refus d’une logique capitaliste, tandis que celui en faveur du traité prend des aspects de pari sur l’avenir, exprime une relative confiance amalgamée, elle aussi, à une adhésion aux principes du libéralisme économique. À partir de cette trop brève description, ne peut-on risquer l’hypothèse que la large concordance entre les zones de tiédeur commémorative et le vote en faveur de Maastricht traduit, là encore, un certain rapport à l’identité, la chaleur commémorative pouvant être liée à un besoin de réassurance identitaire ? Avant d’aller plus avant dans ce questionnement, il convient d’entrer dans les logiques internes du corpus telles que les réponses permettent de les saisir. Le premier élément consistant à tâcher de comprendre la nature des non-réponses à l’enquête. 3. Une représentativité sujette à caution En suivant ce chemin d’une lecture globale des résultats et en dépit du fait que nos données ne peuvent être considérées comme représentatives, nous avons pris le risque de sur-interpréter des résultats, par ailleurs, très fragiles. Le bilan de ce parcours nous paraît assez riche pour justifier cet écart méthodologique. Pour autant, nous n’en sommes pas quitte avec l’identification du corpus et, surtout, avec cette question centrale : la « non-réponse » est-elle le signe d’une absence de cérémonies ? D’ores et déjà, des exemples de villages ayant fortement « commémoré » –nous mettons pour l’heure en réserve la question de la signification de ces commémorations– et qui n’ont pas répondu nous sont connus, tels ceux de la petite commune de Surgy dans la Nièvre ou du village de Montsecret dans l’Orne. Nous prendrons quatre exemples celui de l’Ardèche pour lequel l’association «Mémoire-Temps-Présent» a édité une brochure très complète rendant compte de son activité; celui de la Drôme dont le directeur des Archives départementales, président du comité départemental en 1989, a adressé au G.R.S. une liste des communes ayant planté un arbre de la liberté; celui du Loiret pour lequel les services préfectoraux ont effectué le relevé exhaustif de toutes les cérémonies ayant eu un écho dans la presse; enfin, celui du Lot où Pascale Baboulet-Flourens a pratiqué une vaste enquête de terrain dont elle nous a aimablement communiqué les premiers résultats.

430Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

3.1. Quatre tests départementaux La recension proposée par le directeur des archives de la Drôme provient d’un questionnaire adressé à l’ensemble des maires du département auquel une centaine d’entre-eux ont répondu. Elle fait état de la plantation d’arbres de la liberté dans 71 communes. Le nombre de réponses au questionnaire du G.R.S. est supérieur puisqu’il s’élève à 137 dont 88 déclarent avoir planté un arbre de la liberté. La confrontation des deux listes est néanmoins éclairante puisque 40 communes ayant planté un arbre et ayant répondu au questionnaire local ne figurent pas dans la liste des communes ayant répondu au G.R.S. Dans le Loiret, 73 correspondants du G.R.S. déclarent avoir planté un arbre, alors que 119 communes sont recensées dans la presse locale. Là encore, l’écart n’est pas négligeable.

Le troisième exemple est celui de l’Ardèche qui a connu une intense activité commémorative à l’initiative d’une association locale «Mémoire d’Ardèche-Temps-Présent» soutenue par la F.O.L. (Fédération des Œuvres Laïques)63 et subventionnée, comme nous l’avons vu au chapitre précédent, pour un million de francs par le Conseil général. Cette association a publié un bilan de la commémoration dans ce département64. Selon l’enquête du G.R.S., à laquelle ont répondu 86 communes, 64 déclarent avoir organisé une ou plusieurs manifestations à l’occasion du Bicentenaire dont 19 ont organisé un spectacle. Si l’on se réfère au Bilan édité par le Comité départemental, elles sont 54 à avoir produit un spectacle… L’examen de la liste des réponses et de celle des communes organisatrices de spectacles –le programme étant détaillé– montre que 24 communes ayant monté un spectacle n’ont pas répondu au questionnaire. Il ne s’agit pas des moindres spectacles puisque 18 d’entre-elles ont reçu des subventions soit, directement, pour l’organisation du spectacle soit, de manière indirecte, pour le fonctionnement d’un comité local. Le montant total de ces subventions atteint 296 200 francs, soit 32,57% des subventions accordées aux associations pour les années 1988-1989. Notons, pour conclure, que certaines municipalités qui n’ont pas répondu au questionnaire ont déployé une activité commémorative intense à l’exemple d’Annonay, de Bourg-Saint-Andéol, du Teil ou encore de Thonon-sur-Rhône.

63 Fédération des Œuvres Laïques. Cette fédération a privilégié la structure locale mise sur pied précocement aux C.L.E.F. initiés plus tardivement par les deux Ligues. Cf supra. 64 « Bilan de la commémoration du Bicentenaire de la Révolution française en Ardèche », Comité départemental pour le Bicentenaire de la Révolution en Ardèche, Lettre du Bicentenaire, n° 4, Privas, mai 1990.

431Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Alors que l’on peut remarquer des ressemblances entre les cartes géopolitiques départementales établies par André Siegfried et la géographie des commémorations telle qu’elle ressort des documents cartographiques inclus dans le Bilan, rien de semblable ne se dégage de la comparaison de ces documents avec la carte des réponses au G.R.S. (carte 3, Planche).

432Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Pour établir un lien entre l’appartenance religieuse et le comportement électoral et plus précisément le vote à gauche, André Siegfried avait croisé la carte des élections de 1936 et la répartition des protestants en Ardèche. Le recoupement est manifeste puisque, sous la IIIème République, l’ensemble des cantons où

433Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

dominent les protestants accordent majoritairement leurs suffrages à la gauche (carte 1, Planche 31). La comparaison avec l’activité commémorative telle que la cartographie le Bilan de l’association «Mémoire d’Ardèche-Temps-Présent» n’est pas moins suggestive puisque l’on voit que celle-ci se concentre essentiellement dans la partie orientale du département c’est-à-dire dans celle qui est acquise de longue date à la gauche (cartes 2, Planche 31)65. En revanche, cette logique marquée par la vigueur des héritages ne semble guère affecter la répartition globale des réponses faites au G.R.S. même si l’ouest du département est dans l’ensemble peu répondant. L’enquête de Pascale Baboulet-Flourens repose sur un croisement très méticuleux des réponses au sondage du G.R.S. et de ses propres investigations pendant et après le Bicentenaire, sur les pratiques commémoratives dont le Lot a été le cadre. Elle en conclut que « les communes qui ont le plus répondu au questionnaire ont été les communes de faible importance administrative et démographique66 ». Ce sont les communes les plus déprimées économiquement et démographiquement qui ont le plus répondu. Celles aussi, sans doute, où l’intérêt pour l’enquête comme moyen de faire trace, de faire connaître ce qui s’est fait a été le plus grand. Pour Pascale Baboulet-Flourens ce premier critère que nous avons mis en lumière au plan national à travers la cartographie de la population moyenne et des densités est le plus important. Le critère politique n’intervient qu’en second lieu : « Il semble que les communes aient eu d’autant plus de facilité à exprimer les raisons de l’absence de commémoration sur leur territoire qu’elles aient été de droite. Comme on pouvait s’y attendre, les communes qui disent avoir commémoré sont plutôt de gauche. Ce ne sont pas toutefois les communes les plus à gauche. Ce ne sont pas non plus celles qui sont situées dans les zones traditionnellement de gauche. Par contre, les communes qui ont organisé des manifestations en 1989 [indépendamment des communes constituant le corpus de l’enquête] se situent dans les zones plutôt économiquement développées du département. Les variables sociales, économiques et démographiques semblent avoir primé sur les variables politiques67. »

65 Ajoutons pour être complet que la partie orientale est la plus peuplée. 66 Pascale Baboulet-Flourens, Note de synthèse sur les communes ayant répondu à l’enquête du G.R.S., mai 1994. Document transmis par l’auteur. 67 Pascale Baboulet-Flourens, ibidem.

434Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Faut-il conclure, en dépit des différents tests que nous avons pratiqué, à un corpus aléatoire constitué au gré des disponibilités des maires ou du zèle des secrétaires de mairie dont certains –quelques exemples nous l’ont appris– ont considéré qu’il convenait de ne pas donner plus de travail à un maire déjà surchargé ? Les quatre exemples que nous venons d’évoquer doivent, pour le moins, nous appeler à une certaine prudence dans l’interprétation et attirer l’attention sur les conséquences d’un changement d’échelle dans l’observation. Si toutes les communes ne répondent pas en proportion de l’activité commémorative déployée, toute non-réponse ne peut être imputée à la négligence ou au désintérêt des maires. De ce point de vue, l’explication avancée par Pascale Baboulet-Flourens, sans correspondre à l’ensemble des conclusions que nous avons tirées de la cartographie nationale et de ses croisements avec d’autres phénomènes, confirme l’idée que le corpus de l’enquête conduite par le G.R.S. est représentatif, pour partie, d’une France du vide qui ressent la modernité comme une menace et qui, en répondant à l’enquête, tente d’affirmer son existence. En quelque sorte, les réponses à l’enquête pourraient être regroupées, comme nous l’a suggéré Philippe Dujardin, sous le titre générique : « Il était une dernière fois la France… ». Si la possibilité de justifier l’absence de manifestations par des engagements idéologiques est peu utilisée, quelques lettres parvenues au G.R.S., en marge des réponses prises en compte par la société qui a traité les données, expriment une position contre-commémorative (quasi-absente des réponses analysées) ou motivent le refus de répondre à l’enquête. 3.2. Une explication des non-réponses Dans 18 cas qui n’ont pas tous été pris en compte par l’Institut de traitement, une explication de non-réponse est parvenue au G.R.S.. Cette explication se présente sous deux formes. Dans la première (10 cas), le questionnaire est renvoyé, surchargé d’une écriture qui peut être rageuse. Parfois même, il a été déchiré avant d’être réexpédié. Dans la seconde, c’est une simple lettre qui est adressée aux enquêteurs. À l’intérieur de la première catégorie trois réponses sont anonymes alors que les autres sont identifiables –tampon de la mairie ou numéro I.N.S.E.E. très lisibles. L’argumentaire peut se subdiviser en deux catégories : un questionnaire ubuesque ou policier et/ou une référence violemment exprimée aux victimes de la Révolution.

435Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

3.2.1. Un questionnaire inutile ou policier Neuf réponses s’inscrivent dans cette catégorie. Le thème de l’inutilité constitue une première entrée. L’adjoint au maire de Dury (1634 habitants, Somme) estime que cette enquête confirme un article du Point relatif aux « extravagances de certaines Institutions dont l’utilité ne saute pas aux yeux ». Celui de Mareil-Marly (Yvelines) évoque « un inventaire à la Prévert » et « les services désœuvrés de Monsieur J. Lang ». Le maire d’une commune non mentionnée de l’Eure écrit rageusement : « Ras-le-bol du Bicentenaire. Il serait grand temps de dissoudre la mission. À quand la commémoration du Bicentenaire ? ». Le gâchis financier engendré par ce questionnaire est souligné à plusieurs reprises : « Tout le pognon que doit toucher votre fondation68« (Mantet, Pyrénées-Orientales). Le maire de Saint-Fortunat-sur-Eyrieux (Ardèche) lui fait écho : « Nous n’avons pas les moyens, ni le droit de gaspiller les deniers publics alors que la moitié de la commune n’a pas l’eau sur l’évier. Nous sommes dans un pays sous-développé ». Dans un registre plus sobre, celui de Royat (Puy-de-Dôme) souligne la difficulté de sa charge : « J’ai le regret de vous faire connaître que l’importance et l’urgence des tâches administratives de mes services ne leur permettent pas d’y donner suite ». Au-delà des récriminations, ces lettres témoignent d’une profonde méfiance. Quel est l’objet exact de l’enquête ? Ne serait-ce pas la constitution d’un « gigantesque fichier » des opinions politiques des petites communes ? (Niafles, Mayenne) : « Vu que certaines de vos questions ne semblent pas en rapport avec la commémoration de 1789, Monsieur le Maire... ». Le maire de Thillois (246 habitants, Marne) s’en plaint aussi : « Surtout votre enquête est très personnalisante des municipalités à partir de la question 3569 […] Il y en a assez de cette division sournoise entre les bien-pensants et les mal-pensants ». Pour sa part, le maire de Mareil-Marly assure : [qu’importe la couleur politique d’un conseil municipal] « il a été élu pour servir ». La critique la plus directe est énoncée par celui de Mantet : [ il s’agit, en fait de constituer] « insidieusement un fichier politique et religieux […] Demandez aux R.G ! » conclut-il. De façon moins véhémente le maire de Breuillet (7185 habitants, Essonne) refuse de répondre aux questions à cause de la question 20 qui cherche à identifier les éventuels réseaux auxquels les municipalités ont pu faire appel.

68 Le questionnaire portait mention de la Fondation Nationale de Sciences Politiques et devait y être retourné. 69 À partir de la question 35 –«Diriez-vous que votre commune est plutôt» riche/pauvre ?– débute la liste des questions destinées à caler l’échantillon. Cf. annexe.

436Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Bien qu’ayant retourné le questionnaire complété avec une longue lettre pour retracer les péripéties de la commémoration du Bicentenaire dans sa commune, le maire de Thones (Savoie) n’en conclut pas moins sa missive en ces termes :

« Pour terminer, je tiens à attirer tout particulièrement votre attention sur le caractère discutable de certaines parties de votre questionnaire, qui me semblent relever davantage d’une enquête des Renseignements Généraux et me fait douter quelque peu de votre indépendance de jugement par rapport au pouvoir politique. »

La récurrence du propos est aussi frappante qu’étonnante. Alors que les lois de décentralisation ont rendu les maires plus libres qu’ils ne l’ont jamais été depuis la période 1790-1792, on a l’impression que le questionnaire a été reçu comme aurait pu l’être une enquête conduite par un préfet du Second Empire. Elle renvoie l’image du national comme instance de contrôle étatique et place toute tentative de caractérisation politique du côté d’une démarche inquisitoriale, policière. L’idée qu’il puisse exister une recherche universitaire autonome ne semble pas effleurer ces correspondants. Il faut évidemment se garder d’extrapoler à partir d’un nombre si réduit d’indices mais il est frappant que les questions d’ordre politique soient celles qui ont reçu le moins de réponses au point de rendre presque vain tout traitement national sous cet angle et que la possibilité de justifier l’absence de cérémonies commémoratives par l’existence d’une tradition politique contraire ait aussi peu été saisie. Il est, à cet égard, remarquable que le directeur des Archives du Gard s’associe au soupçon qui entoure les questions « politiques » du questionnaire. Dans sa réponse à la lettre circulaire adressée par le G.R.S. à l’ensemble des dépôts départementaux, il déclare :

« […] Je ne sous-estime certes pas l’intérêt de votre questionnaire. Je dois avouer cependant qu’une partie de vos interrogations me semble toucher à des domaines fort sensibles au sujet desquels beaucoup de communes ne voudront pas vous adresser de réponses précises. Ma remarque vise notamment les paragraphes 20, 37 (la fréquentation respective des écoles publiques et libres) et surtout 43 ( la couleur politique des élus locaux). C’est peu connaître la mentalité rurale –veuillez m’excuser de ma franchise brutale– que de demander aux édiles des petites localités s’ils sont « plutôt de gauche, du centre ou de droite ». Ce constat somme toute réaliste et en tout état de cause justifié par les résultats de l’enquête se conclut par une véritable profession de

437Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

foi. « Je ne saurais accepter qu’un service public soit associé à ce genre d’enquête et je regrette de devoir refuser mon concours pour une éventuelle ‘relance’ des mairies ».

Certes, il convient de ne pas omettre que, pour les Français, les élections locales ne sont pas, d’abord, des élections politiques et que cette tendance à la « dépolitisation » des élections municipales n’a cessé de croître au cours des années précédant le Bicentenaire. Si, en 1983, 51% des Français pensent encore que les élections municipales sont des élections politiques et 38% des élections locales, en 1989 la proportion est inversée, 35% considérant les municipales comme des élections politiques tandis que 55% leur attribuent le statut d’élections locales. Pour les communes qui nous intéressent l’évolution est encore plus saisissante puisque de 1983 à 1989 on passe pour la tranche des communes de 2000 à 9000 habitants de 50 à 34% en faveur d’élections politiques et pour celles de moins de 2000 habitants de 30 à 13%70. Les quelques lettres que nous venons d’examiner sont donc aussi, en un sens, porteuses d’une sensibilité largement répandue, sinon face au Bicentenaire, du moins, face au questionnaire lui-même. En contrepartie l’affirmation d’une position fondamentalement anti-révolutionnaire est plutôt rare dans le groupe répondant. Trois lettres seulement se réclament, de façon claire, des victimes de la Révolution.

3.2.2. Au nom du respect des victimes de la Révolution

La première émane de M. de Chabot71, maire de Wailly-Beaucamp (Pas-de-Calais). Elle est des plus explicites.

« Aucune manifestation ! je suis vendéen et ma 72 mémoire collective m’interdit d’oublier cette boucherie humaine et de faire une danse macabre dans le sang de tant d’innocents massacrés, torturés, noyés ou envoyés dans des camps d’extermination comme ces quatre cents prêtres que l’on a fait mourir de faim dans des conditions d’hygiène pires que

70 Enquête Figaro SOFRES du 4 au 9 février 1983, enquête groupe de journaux de province-SOFRES du 18 au 22 février 1989. citées par Olivier Duhamel « Des élections enfin municipales » in Élections municipales 1989, Résultats, analyses et commentaires, Le Figaro/Études politiques, Paris 1989, pages 13-14. 71 Jean-Clément Martin nous a indiqué que ce maire appartenait vraisemblablement à une famille de la noblesse vendéenne. 72 Souligné dans le texte.

438Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

les camps allemands dans des bateaux accrochés aux pontons de Rochefort. Aucune cause ne justifie de tels actes. »

Dans un style moins élaboré, le maire de Génainville (Val-d’Oise) déclare : « Devons-nous aussi célébrer la Terreur, les centaines de milliers de victimes, d’innocents assassinés au nom de la liberté, le génocyde (sic) vendéen et les 327 millions que cela a coûté aux contribuables ! » Quant à celui de Rosay (Yvelines) « On ne commémore pas les événements honteux de l’histoire de France ! Rosay a eu deux guillotinés. » Nous sommes face aux thèses développées par Philippe de Villiers dont la lecture est quelques fois recommandée par des édiles mécontents du ton des cérémonies. S’il reste plus modéré, le maire de Montécouvé (Aisne) se fait l’écho d’un article paru dans Le questionnaire du maire, qu’il joint à son envoi pour compléter l’information de l’enquêteur, reprenant l’argumentation de René Sédillot sur le coût de la Révolution. Enfin, un maire de Picardie (commune de 162 habitants) nous livre un mixte idéologique assez étonnant.

« Il est regrettable qu’au nom de la liberté des terroristes plus cruels que ceux d’aujourd’hui ont guillotiné des milliers de personnes et souillé les pavés de Paris du sang d’innocents. Quel malheur que de voir cette populace assoiffée de vengeance et de haine parader dans les rues de Paris avec des têtes au bout de piques. Aujourd’hui c’est encore pareil –la liberté n’existe pas. Ceux qui se réclament des droits de l’homme ne sont que de vulgaires fumistes. Quant aux syndicats et partis politiques, il sabotent notre économie, n’agissent pas en démocrates et mieux, ils veulent changer un couplet de la Marseillaise. Qui sont donc ces républicains ? –et dire que la Picardie a fêté le millénaire des premiers capétiens. »

Il précise sur le questionnaire que, le 14 juillet, une cérémonie a été organisée avec les enfants des écoles au monument aux morts. Au-delà de cette dernière missive qui, par bien des aspects, s’apparenterait aux ambiguïtés constitutives de l’identité des électeurs du Front National, la force des clichés est surprenante. Ces lettres témoignent d’une sensibilité écorchée face au souvenir de la Révolution que nous ne retrouverons que rarement dans le reste de l’enquête. Il convenait donc de ne pas les évacuer de notre champ d’investigation.

439Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Violence en moins, le maire de Languevoisin (215 habitants, Somme) évoque le débat suscité par le Bicentenaire au sein du Conseil municipal et la façon dont il a rejeté l’idée d’une quelconque commémoration.

« Pour compléter ce questionnaire, je dois dire que la raison [du rejet de toute commémoration] m’est strictement personnelle. Dans mon Conseil municipal composé de onze membres, dont six assez sûrement de gauche, seulement deux conseillers (un de gauche et un de droite) m’ont demandé une action pour « fêter » le bicentenaire de notre triste révolution. Le conseiller municipal de droite a demandé que soit planté un arbre de la liberté, ce à quoi je n’ai pas souscrit. Le conseiller municipal de gauche a demandé un crédit supplémentaire pour la fête du village, ce à quoi le Conseil Municipal n’a pas souscrit. En dehors de cela : rien. Il est certain que nous eussions pu organiser une ou plusieurs manifestations sur ce sujet et qu’elles auraient eu le succès de toutes les fêtes selon leur qualité intrinsèque et celle de leur organisation. C’est donc uniquement parce que la Révolution de 89 ne me semble pas être une action à prôner qu’il ne s’est rien passé dans notre petite commune bien picarde et bien française. M’excusant de vous avoir ennuyé avec mes propos de paysan d’un autre âge, je vous prie d’accepter… »

On ne peut guère être plus clair quant aux motivations qui ont conduit ce maire à ne pas commémorer le Bicentenaire. S’il se désigne lui-même, avec une distance ironique, comme un « paysan d’un autre âge », il a soin de montrer qu’en dépit d’une majorité relative de gauche au sein du Conseil c’est son opinion qui a prévalu. Façon de dire que ce débat ne suscita guère l’engouement des conseillers municipaux, fussent-ils de gauche ou de montrer son propre poids au sein du Conseil municipal. L’explication peut-être encore plus sommaire sans pour autant laisser de doute sur sa signification. Ainsi la commune de Chiché (Deux-Sèvres) envoie pour toute réponse un article relatant l’exécution de vingt-quatre chichéens pendant la période révolutionnaire. Enfin, l’abstention peut se passer de tout motif idéologique revendiqué. La commune de Plouëc-du-Trieux (1106 habitants, Côtes-du-Nord) signale, de façon très laconique et sans exprimer le moindre motif l’absence de toute manifestation. « Plouëc-du-Trieux est une commune rurale. Nous n’avons pas pris de dispositions

440Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

particulières à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française ». La ruralité, en quelque sorte, suffit amplement à justifier cette attitude. À Taillepied (Manche) le commentaire est encore plus succinct puisque le livret est retourné, assorti de la mention « néant » frappée du cachet de la mairie…

3.2.3. Questions à un corpus

Réponses incomplètes et aléatoires, auto-censurées si on considère que les quelques lettres présentes révèlent une attitude peut-être fréquente face à un questionnaire associé à l’Autorité, poids matériel d’un questionnaire à la fois très lourd et très dirigé… affiner les résultats exige assurément de nouvelles études de terrain. Certaines sont d’ores et déjà lancées73 Pour l’heure, nous ne pouvons donc que proposer une conclusion provisoire. Le corpus résultant de l’enquête lancée par le G.R.S. associe deux caractéristiques. Il ne peut pas vraiment être considéré comme un échantillon représentatif de la façon dont la France des villages et des petites villes a commémoré le Bicentenaire. En même temps, il ressort de sa composition et du croisement de la géographie globale des réponses avec la nature de ces réponses une cartographie significative sur le double plan historique culturel et politique. Dans l’attente d’études de terrain complémentaires il est difficile d’aller au-delà de ces deux remarques. Pour autant, sans négliger aucune des précautions qu’un tel corpus impose, il apparaît que plusieurs pistes peuvent être suivies dans l’état de nos connaissances. La première piste serait une question adressée aux 10 773 communes répondantes : «Quelles sont les conditions pour qu’une décision de commémorer soit prise ?», la seconde : «Y-a-t-il un rapport entre le type de commémoration mise en œuvre et la tendance politique de la municipalité ? ». Cette dernière question, qui nous introduira dans le domaine des pratiques commémoratives et de leur signification, sera notre angle d’approche du matériel qualitatif joint aux envois.

73 Normandie sous la direction de Claude Mazauric, Vendée sous la direction de Jean-Clément Martin, Rhône-Alpes sous celle de Philippe Dujardin,...

441Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

4. Les conditions du déploiement commémoratif Dès que l’on se plonge dans la lecture de l’ensemble des réponses faites aux questions de l’enquête, un phénomène apparaît très clairement : la massivité sinon l’uniformité des réponses. D’emblée, les motifs évoqués pour expliquer l’absence de manifestations commémoratives prennent le contre-pied de la lecture que nous avons tenté de conduire précédemment. Ainsi, le manque de moyens et la taille de la commune sont les explications les plus fréquemment fournies pour justifier l’absence de cérémonies commémoratives, y compris dans les départements où cette abstention revêt un caractère massif. À l’opposé, nous y reviendrons, la tradition politique est singulièrement négligée et peu évoquée. Ainsi sur les 3324 communes qui déclarent n’avoir organisé aucune cérémonie : 70,3% (2336) se justifient par la faible taille de la commune, 51% (1696) par des moyens financiers insuffisants et seulement 1,2% (39) par l’existence d’une tradition politique qui l’interdirait.

442Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Tendan-ce politique et représen -tation dans le corpus

Total

Trop petite

Mo-yens insuf-fisants

Person-ne n’y a pensé

Aucun volon-taire pour l’orga-niser

Tradi-tion politi-que s’y oppose

Change -ment de maire

Change-ment de majorité

Autres raisons

Non préci-sé

Gauche (21%)

426 13%

300 70%

231 54%

33 8%

80 19%

16 4%

14 3%

25 6%

42 10%

Centre (22%)

720 22%

519 72%

358 50%

59 8%

156 21,5%

15 2%

25 4%

18 3%

64 9%

69 10%

Droite (15%)

619 19%

422 68%

309 50%

81 13%

166 27%

15 2%

27 4%

27 4%

51 8%

59 10%

Divers (4%)

129 4%

91 71%

73 57%

8 6%

21 16%

3 2%

5 4%

4 3%

14 11%

13 10%

Apoliti-que (5%)

167 5%

109 65%

101 61%

16 10%

33 20%

7 4%

3 2%

22 13%

15 9%

Non-précisé (33%)

1263 38%

886 71%

618 49%

94 7%

181 14%

6 0,5%

41 3%

28 2%

77 6%

151 12%

Totaux 10 773 (100%)

3324 31%

2336 70%

1696 51%

292 9%

641 19%

39 1%

122 4%

94 3%

254 8%

351 11%

Divers : Gauche et centre; gauche et droite; centre et droite; gauche centre et droite Les raisons invoquées pour n’avoir organisé aucune cérémonie commémorative selon l’orientation politique de la municipalité74 Base : totalité du corpus, 10 773 communes. Comment apprécier ce résultat ? Les arguments techniques ont toujours été les plus facilement mobilisables pour répondre d’une inertie face à des consignes qui émanent de l’autorité centrale. Or, nous l’avons vu précédemment, c’est bien ainsi que cette enquête est ressentie. En ce sens, il s’agit assurément d’arguments-écran. Pour autant, cette attitude semble partagée au-delà des clivages politiques. Même si on peut noter que proportionnellement au poids relatif de chaque sensibilité politique la non-organisation de cérémonies commémoratives est plus forte à droite (+ 4%) et pour ceux qui refusent de décliner une quelconque identité politique (+ 5%) alors qu’à gauche elle est inférieure (-8%).

74 Question 2, «S’il ne s’est rien passé, est-ce parce que : la commune est trop petite, la commune n’a pas les moyens suffisants, personne n’y a pensé, personne n’a été volontaire pour s’en occuper, la tradition politique de la commune s’y oppose, le maire a changé, la majorité du conseil municipal a changé, autre raison ?» Oui/non, plusieurs réponses possibles.

443Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Il conviendrait, pour une mesure plus exacte, de croiser à la fois les indicateurs politiques et ceux concernant la taille ou les moyens financiers disponibles. L’exercice est difficile, sinon impossible, puisque les plus petites communes sont aussi celles qui sont le plus évasives quant à leur coloration politique. Cette attitude est néanmoins cohérente avec le jugement produit sur la commémoration elle-même. Loin des affrontements parisiens, le Bicentenaire « au village » est réputé ne pas produire de clivages. À la question 8 «La population a-t-elle fait preuve d’un grand consensus en faveur de la commémoration du Bicentenaire ou a-t-elle été divisée sur la question de la commémoration ?» 5883 communes soit 74,1% choisissent la première alternative. 1375 soit 17,3% ne répondent pas. 679 soit 8,6% déclarent que la commémoration a divisé la population. La répartition géographique des réponses ne permet de tirer aucune indication précise. Les conditions de déploiement du geste commémoratif telles que les présentent les communes du corpus correspondent avant tout au bon sens élémentaire. Laissons de côté, pour l’instant, les critères politiques ou religieux. Cinq autres critères décisifs ressortent : la richesse, la taille, la fonction administrative, la proximité d’un centre urbain important (une «grande ville»), enfin, la vitalité associative locale. 4.1. La richesse L’évaluation de la richesse, comme la plupart des questions posées, relève d’une appréciation très subjective puisque non chiffrée75. 75,6% des communes répondantes s’estiment plutôt pauvres, tandis que 13,6% s’estiment plutôt riches. Seules 318 (21,7%) communes plutôt riches n’organisent pas de festivités tandis qu’elles sont 2702 (33,2%) à ne pas le faire parmi celles qui s’estiment plutôt pauvres. L’indication semble claire. Mais la plantation d’un arbre pour lequel chaque commune pouvait recevoir une subvention de 100 francs nécessite-t-elle vraiment d’être riche ?76

75 Question 35 , «Diriez-vous que la commune est (une seule réponse) : plutôt riche/plutôt pauvre ?» 76 À cette aide nationale dont on bénéficié plus de 8000 communes s’ajoute l’initiative prise par plusieurs Conseils généraux de financer une plantation ou même d’offrir un arbre à toutes les communes le désirant (Hérault, Yvelines, Seine-et-Marne, etc…).

444Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

4.2. La taille Le critère de la taille semble déterminant. Le nombre de 100 habitants joue un rôle de seuil. En dessous de 100, la majorité des communes n’organisent aucune manifestation (57,7% soit 613 contre 429). Franchi ce seuil, le pourcentage est toujours supérieur à la moitié et croît régulièrement avec la taille de la commune, de 57,1% pour celles qui vont de 100 à 249 jusqu’à 93,2% pour celles qui égalent ou dépassent 10 000 (76 cas dans cette classe). La croissance de la pratique commémorative en fonction de la taille ressort de ce tableau établi à partir du dernier recensement (1985).

Nbre total

< à 100 h

100 à 249 h

250 à 499 h

500 à 999 h

1000 à 1999 h

2000 à 2999 h

3000 à 4999 h

5000 à 7499 h

7500 à 9999 h

10 000 h et plus

Total

10773

1064

2782

2473

2098

1265

445

319

165

84

77

Communes ayant seulement planté un arbre

1564

215

583

407

244

83

25

6

1

0

0

Communes n’ayant pas seulement planté un arbre

6373

302

1233

1435

1458

982

374

287

150

80

72

Communes ayant organisé au moins une manifestation

7937

517

1816

1842

1702

1065

399

293

151

80

72

Communes n’ayant organisé aucune manifestation

2836

547

966

631

396

200

46

26

14

4

5

Organisation de manifestation(s) commémorative(s) suivant la taille de la commune Base totalité du corpus 10 773 communes

Ce tableau appelle une remarque. À partir de 500 habitants le pourcentage des communes n’ayant organisé aucune manifestation est inférieur au poids de ces

445Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

communes dans le corpus. Dans le même temps, la commémoration devient plus diversifiée et l’arbre ne joue plus le rôle d’acte commémoratif unique. C’est ce montre de façon encore plus nette le graphique ci-dessous réalisé à partir d’une classification différente des communes selon leur taille.

Base : 10733 communes répondantes. Ce graphique fait apparaître très nettement la double barre des 100 et 500 habitants. En dessous de 100 habitants, plus de la moitié des communes répondantes n’ont rien organisé pour commémorer le Bicentenaire. De 300 à 399 habitants, la pratique commémorative s’inscrit dans la moyenne nationale de l’échantillon. Au-delà de cette classe, la moyenne est dépassée ce qui signifie une pratique commémorative supérieure au poids de ces communes dans notre échantillon. La commémoration elle-même se diversifie avec la croissance de la taille de la commune concernée.

446Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Base : 7937 communes ayant organisé une ou plusieurs manifestations.

Ces graphiques permettent d’établir un constat qui ne surprend guère : plus la population est nombreuse plus la commémoration est importante et diversifiée. Le seuil à partir duquel la commémoration rencontre les conditions optimales pour se déployer, d’après les réponses parvenues au G.R.S., se situe entre de 400 et 500 habitants. 4.3. La fonction administrative La fonction administrative semble aussi constituer un critère pertinent. Il n’est pas sans liens avec la taille de la commune dont nous avons relevé l’importance.

447Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Type de communes

Communes déclarant avoir organisé des manifestations commémoratives

Communes déclarant n’avoir organisé aucune manifestation commémorative

Non chef-lieu 6598 (66%)

3228 (32%)

Chef lieu de canton 652 (86%)

94 (12%)

Chef-lieu d’arrondissement

40 (95%)

2 (5%)

Organisation de manifestation(s) commémorative(s) suivant les fonctions administratives de la commune Base 10 773 communes Cette corrélation traduit-elle l’ampleur des ressources humaines et financières, ou exprime-t-elle la force des sollicitations qui ont pesé sur le maire ? Par exemple, la présence d’un instituteur que sa hiérarchie propre invite à s’investir, la mobilisation d’une opinion publique ou plus simplement l’idée qu’une partie de l’opinion publique pourrait se mobiliser77 ? La réponse, à ce stade, est complexe. L’ensemble de ces raisons peuvent se conjuguer. On peut supposer que, sauf à montrer des convictions politiques très affirmées et être sûr que son attitude ne nuira pas pour une prochaine élection, la tendance naturelle des maires a du être assez proche du conformisme. En ce sens, l’extension de l’espace public, son degré d’ouverture sur l’extérieur quels que soient, par ailleurs, les sentiments propres des édiles municipaux a joué en faveur de la commémoration, comme l’existence d’une structure technique développée joue en faveur de la réponse au questionnaire. 4.4. La proximité d’une grande ville La situation géographique de la commune et son inclusion dans le réseau d’attraction d’une ville de quelque importance semblent aussi jouer un rôle non négligeable. Les questions de l’enquête confirment le rapport étroit entre un espace public développé et une activité commémorative importante.

77 Nous verrons à propos de Bédoin (Var) comment une telle mobilisation peut infléchir l’attitude de la municipalité. Toutefois, une municipalité qui s’est fait « forcer la main » répondrait-elle à ce questionnaire ?

448Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Situation géographique de la commune

Communes déclarant avoir organisé des manifestations commémoratives

Communes déclarant n’avoir organisé aucune manifestation commémorative

Proche d’une grande ville 984 (79%)

254 (20%)

Assez proche d’une grande ville

3156 (70%)

1275 (28%)

Éloignée de toute grande ville 2966 (63%)

1667 (35%)

Organisation de manifestation(s) commémorative(s) selon la situation géographique de la commune78. Base totalité du corpus.

Total79

Proche d’une grande ville

Assez proche d’une grande ville

Éloignée de toute grande ville

Nombre total de communes concernées

10773 (100%)

1253 (12%)

4502 (42%)

4685 (43%)

Communes ayant seulement planté un arbre

1564 (100%)

122 (8%)

545 (35%)

828 (53%)

Communes n’ayant pas seulement planté un arbre

6373 (100%)

929 (14%)

2846 (45%)

2452 (38%)

Communes ayant organisé au moins une manifestation

7937 (100%)

1051 (13%)

3391 (43%)

3280 (41%)

Communes n’ayant organisé aucune manifestation

2836 (100%)

202 (7%)

1111 (39%)

1405 (50%)

Type de manifestation(s) commémorative(s) selon la situation géographique de la commune Base totalité du corpus Ce dernier tableau montre qu’en dehors de tout autre critère l’éloignement d’une grande ville joue un rôle décisif puisque cette catégorie est la seule pour laquelle les réponses négatives ou limitées à une manifestation sont supérieures au poids relatif de la classe concernée. Cette situation est visualisée par le graphique suivant.

78 Question 44, «Votre commune est-elle (une seule réponse) : dans la proximité immédiate d’une grande ville/ assez proche d’une grande ville/ éloignée de toute grande ville ?». La différence entre le pourcentage obtenu et 100% provient des questionnaires où la réponse à cette question n’est pas précisée. 79 La différence entre la somme des pourcentages et 100% provient des réponses incomplètes.

449Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Base : 7 937 communes ayant organisé une ou plusieurs manifestations

L’influence de la dynamique urbaine, l’écho des actions menées dans la préfecture ou la sous-préfecture semblent être importants et jouer un véritable rôle d’entraînement qu’il serait souhaitable de mesurer précisément à l’échelle de quelques départements et dont une cartographie précise, à l’échelle communale, pourrait sans doute nous donner la clé. Au-delà de la simple projection d’un modèle commémoratif, la présence de rurbains ou néo-ruraux, comme l’attestent les études sur le Lot ou nos propres investigations dans plusieurs départements, a pesé lourd en faveur du déploiement d’une commémoration dynamique. Cette piste serait intéressante à suivre pour mieux saisir les demandes sociales spécifiques produites par la rurbanité. Faute d’avoir, pour l’heure, les moyens de conduire cette enquête, nous poserions volontiers l’hypothèse que les rurbains sont un élément structurant du désir de « communauté rêvée » qui s’exprime avant tant de force depuis les années 1978 dans les «Sons et Lumières», les éco-musées, les comités des fêtes… Il ressort donc, de ce parcours, qu’à l’exception de deux grandes régions qui coïncident avec la géographie des résistances à la Révolution, sans pour autant la recouvrir complètement, l’appétit et le bon-vouloir commémoratifs sont d’abord fonction de la taille, des fonctions administratives et de la richesse de la commune.

450Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Son inclusion dans un pôle dynamique et l’effet d’entraînement de la ville voisine semblent aussi déterminants. Le questionnaire envisageait aussi l’appréciation portée sur la vitalité de la vie associative locale. Comme pour les critères que nous venons d’évoquer les réponses des communes ne sont guère surprenantes.

4.5. La vitalité de la vie associative L’alternative proposée aux communes était simple puisqu’il s’agissait de choisir entre une vie associative «active» ou «peu active». De façon assez massive 6522 communes se sont définies comme possédant une vie associative active soit 61,33% de la totalité des répondants. La corrélation entre le dynamisme de cette vie associative et la décision d’organiser des manifestations est forte. Vie associative Organisation d’au moins une manifestation Aucune manifestation Active 5481

(83%) 1142

(17%) Peu active 2255

(59%) 1573

(41%) Non précisé 201

(62%) 121

(38%) Organisation de cérémonie(s) commémorative(s) selon le dynamisme associatif80.

80 Question 53, « Dans la commune, la vie associative est : (une seule réponse) active/ peu active ?».

451Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

Base : 10 773 communes répondantes L’influence du dynamisme associatif est particulièrement importante sur le mode de commémoration. En d’autres termes, plus le tissu associatif est dense, actif, plus la commémoration est diversifiée. Vie associative active Vie associative peu active Non précisé Seulement un arbre planté

750 (48%)

749 (48%)

65 (4%)

Pas seulement un arbre

4731 (74%)

1506 (24%)

136 (2%)

Aucune manifestation

1142 (40%)

1573 (56%)

117 (4%)

Type de cérémonie(s) commémorative(s) selon le dynamisme associatif

Base : 10 773 communes répondantes De fait, même s’ils présentent l’apparence d’une plus grande netteté, ces résultats sont parfaitement concordants avec les précédents puisque que l’importance de la vie associative croît, pour notre corpus, avec la proximité d’une grande ville et avec la taille de la commune. Cette caractéristique renforce, bien

452Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

évidemment, l’hypothèse émise au sujet du rôle des rurbains comme facteur de dynamisme communautaire.

Au total, les réponses des communes répondantes à l’enquête prennent une forme quasi-tautologique qui élimine toute référence possible à une sensibilité ou une géographie particulières. Au-delà de cette donnée-écran qui masque les logiques à l’œuvre quelquefois indépendamment de la claire conscience des acteurs81, les réponses nous invitent aussi à parcourir la diversité des pratiques suscitées par la commémoration.

81 Nous n’ignorons pas que cette position de « surplomb » est aujourd’hui fort mal portée dans les sciences sociales. Pourtant faire place à ce que les acteurs disent de leurs actions –nous le ferons largement dans le chapitre consacré aux documents envoyés conjointement au questionnaire– et les croire sur parole nous parait une attitude différente. Pour reprendre le modèle élaboré par Luc Boltanski et Laurent Thévenot, les acteurs justifient leurs actions en fonction des valeurs de la « cité » d’où ils s’expriment. Une chose est d’analyser la logique du propos ou des actes à partir des valeurs de cette « cité », une autre est d’y adhérer, comme tend à le suggérer une nouvelle vulgate

453Chapitre 10 Une approche quantitative de la commémoration communale : l’enquête du GRS

5. Jours de fête Les réponses enregistrées nous éclairent aussi sur les conditions du déroulement des manifestations du Bicentenaire. Elles permettent de dresser un cadre que précisera l’analyse qualitative.

analytique qui ne considère les individus que comme les acteurs rationnels porteurs de choix et de stratégies délibérés dans le droit fil de l’idéologie libérale. Cf. Luc Boltanski, Laurent Thévenot, De la justification, Paris, Gallimard, 1991. Pour une présentation globale du contexte sociologique actuel voir EspacesTemps, n°49/50, «Ce qu’agir veut dire» pp. 5-61, 1992.

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