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Université de Paris X-Nanterre UFR de Littérature, Langage et Philosophie Mémoire de Maîtrise de Sciences du langage L’expression de la référence spatiale en créole mauricien Volume I Le Mémoire Rédigé et soutenu par Guilhem FLORIGNY Sous la direction de M. Rémy PORQUIER Septembre 2003

L'expression de la référence spatiale en créole mauricien. Mémoire de Maîtrise en Sciences du langage, Université Paris X - Nanterre, Septembre 2003 (85 pages)

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Université de Paris X-Nanterre

UFR de Littérature, Langage et Philosophie

Mémoire de Maîtrise de Sciences du langage

L’expression de la référence spatiale

en créole mauricien

Volume I

Le Mémoire

Rédigé et soutenu par

Guilhem FLORIGNY

Sous la direction de

M. Rémy PORQUIER

Septembre 2003

Sommaire

VOLUME I : Le Mémoire

Introduction…………………………………………………………………………..

I Le créole mauricien………………………………………………….….

1.1 Qu’est-ce qu’un créole ?…………………………………………………….….

1.1a Le créole: langue ou dialecte ?……………………………………………….

1.1b Le créole est-il une variété de langue ?……………………………………...

1.1c Différence entre créole et pidgin…………………………………………..…

1.2 Genèse des langues créoles………………………………………………….….

1.2a Genèse des créoles dans le monde…………………………………………...

1.2b Conditions de la création des créoles français…………………………….…

1.3 Etat des langues à Maurice…………………………………………………….

1.3a Historique…………………………………………………………………….

1.3b Etat actuel des langues à Maurice……………………………………………

1.3c Problème de terminologie: le créole comme terme linguistique et comme

. terme ethno-identitaire…………………………………………………….…

1.4 Description du kreol mauricien………………………………………………..

1.4a La phonétique du kreol mauricien…………………………………………...

1.4b La morphologie………………………………………………………………

1.4c La syntaxe……………………………………………………………………

1.4d Le lexique (construction des mots v/s origine)………………………………

II La référence spatiale……………………………………………….….

2.1 Concepts généraux ou comment décrire l’espace……………………...……

2.1a La description géométrique…………………………………………………

2.1b La description logique……………………………………………………...

2.1c La description fonctionnelle………………………………………………..

2.2 Le cadre d’analyse…………………………………………………………….

2.2a L’asymétrie des relations spatiales…………………………………………

2.2b La représentation des objets………………………………………………...

2.2c La structuration de l’espace en sous-espaces………………………………..

2.2d Les sites complexes et les changements de place.…………………………..

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2.3 Méthodes de recueil…………………………………………………………...

2.3a Le déroulement des enquêtes……………………………………………….

2.3b Présentation des informateurs………………………………………………

2.3c Les différentes conventions………………………………………………...

2.4 Description de l’espace en kreol mauricien…………………………………...

2.4a L’accessibilité (isi, laba, a kote ar, parti, parti kot)…………………………

2.4b Les positions sur l’axe vertical (lao, anba)………………………………….

2.4c L’orientation générale (divan / devan, deryer, anfas, anfas ar/ek)…………..

2.4d L’orientation latérale (a gos, a drwat et leurs dérivés)……………………...

2.4e L’accès à la perception (divan / devan, deryer)……………………………...

2.4f L’ordre dans la rencontre potentielle (avan, apre)…………………………...

2.4g La relation porteur/porté (lor, anba)…………………………………………

2.4h La relation contenant /contenu (dan, deor)…………………………………..

2.4i L’emplacement du site (kot)………………………………………………….

2.4j Les relations complexes (ant… ek, otour, toutotour)….……………………..

2.4k Les verbes de mouvement et leurs liens avec certains termes spatiaux……..

Conclusions………………………………………………………………………….

Notes…………………………………………………………………………………

Références bibliographiques…………………………………………………………

VOLUME II : Les Annexes

I Les conventions de transcription…………………………………………..

II Les données………………………………………………………………….

2.1 Les descriptions d’image……………………………………………………...

2.1A Interview de Danen et Kishan…………………………………………...

2.1B Interview de David et Yasin……………………………………………..

2.2 Les indications d’itinéraires : interview de Stéphane…………………………

III Le dessin original utilisé dans les interviews sur la description d’image

et les copies de Danen et David respectivement………...………………...

IV Les cartes géographique de Maurice et de la zone Mascareignes……….

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1

Introduction

Dans les toutes premières heures de la linguistique en tant que science à part entière, Saussure

postula que les langues découpaient le monde selon leurs propres règles, ce qu’il appela

l’arbitraire du signe. Tout le mythe de la tour de Babel en découle puisque, les langues

découpant le monde avec leur moyens propres, l’intercompréhension devient impossible. Les

études européennes, commencées dans les années 80, mirent ainsi trois domaines essentiels à

la communication dans toute langue au cœur de leur analyse : la référence temporelle, la

référence spatiale et la référence aux entités. Avant d’apprendre une langue, il faut que les

moyens mis en œuvre par celle-ci été décrits. C’est dans cette optique que s’insère notre

recherche, dont ce mémoire est le fruit. Aucune description des outils spatiaux dans cette

langue n’ayant à première vue été entreprise, nous avons choisi de travailler sur la référence

spatiale en créole mauricien.

Nous avons, dans un premier temps, supposé que des personnes étrangères à l’île Maurice ne

devaient pas avoir beaucoup d’informations sur ce pays ou sur le créole mauricien, et avons

donc choisi de consacrer notre première partie à cette langue. Nous avons préféré clore

certains débats quant à la nature du créole en faisant quelques distinctions nettes et

précises(1.1) d’entrée de jeu. Ensuite, nous sommes revenus sur les théories concernant

l’origine des créoles(1.2), ce qui nous a permis de recentrer notre propos autour de la question

mauricienne(1.3). Enfin, nous avons procédé à une description sommaire du kreol mauricien

(1.4) pour éclairer le contexte linguistique dans lequel apparaissent les outils spatiaux dans

cette langue.

La référence spatiale est au cœur de notre deuxième partie et nous avons choisi, avant tout, de

repérer les moyens de description mis à notre disposition. Nous précisons aussi quels aspects

de ces relations nous comptons analyser(2.1). Une présentation plus poussée des théories

entourant ce sujet nous semblait alors indispensable(2.2), en accordant une considération

particulière à Vandeloise, Becker et Carroll. Nous définissons ensuite la méthodologie que

nous avons choisie pour recueillir nos corpus (2.3), avant d’entamer enfin notre description

des relations spatiales en kreol mauricien(2.4).

2

I. Le créole mauricien

Le terme “créole” vient du portugais “crioulo” ou de l’espagnol “criollo” qui désigne à

l’origine un enfant né de colons européens dans les îles. Il est plus tard utilisé par métonymie

pour nommer “les pays tropicaux à colonisation blanche et esclavage noir” (Le Petit Robert)

ainsi que la langue parlée par leurs habitants. Le mot créole sert ensuite à désigner tous les

habitants des îles, qu’ils soient descendants de colons ou d’esclaves, et on lui associe souvent

l’idée de paresse ou de fainéantise. Nous ne nous attarderons pas ici à définir la personne

créole mais plutôt la langue puisqu’elle est au cœur du présent travail. Nous nous proposons

de définir dans un premier temps ce qu’est un créole. Nous verrons ensuite quelles sont les

conditions qui ont amené à la création de ces langues, en nous attardant particulièrement sur

le cas des créoles à base lexicale française. Dans une troisième sous-partie, nous recentrerons

nos idées autour du cas particulier de l’île Maurice avant d’entamer enfin une description

d’ensemble du créole mauricien.

1.1. Qu’est-ce qu’un créole ?

Il convient, dans un premier temps, de définir ce qu’est un créole, puisqu’il existe certaines

ambiguïtés quant à l’utilisation de ce terme. Nous ne prétendons pas pouvoir expliquer en

détail ce qu’est une langue créole, ou ce que sont les langues créoles, mais nous donnerons

quelques éléments essentiels quant à la naissance des créoles et à certaines clarifications

concernant le statut de ceux-ci.

Le créole: langue ou dialecte ?

Il nous faudrait, pour commencer, nous demander si le créole est une langue ou un dialecte.

Pour cela, il nous semble utile de définir par avant ce qu’est un dialecte. Selon la Grammaire

d’aujourd’hui (Arrivé, M. et alii 1986), un dialecte serait “la forme spécifique conférée à une

langue par l’évolution diachronique différenciée selon les régions” ou alors, d’un point de vue

sociolinguistique, “un système linguistique de même origine que la langue, mais qui ne

bénéficie pas du statut sociolinguistique de la langue”. La première définition serait juste si

3

les créoles étaient nés uniquement à cause d’un écart géographique marqué avec la langue

d’origine mais les conditions de la naissance de ces langues relèvent plus d’un processus de

créolisation, dont nous parlerons plus tard, que d’une transformation diachronique et

géographique. Il semblerait, par contre, que la deuxième définition soit plus juste puisque les

locuteurs créolophones ont l’impression que le créole est un dialecte ou un patois plus qu’une

langue à part entière, notamment à cause du fait qu’il relève presque exclusivement du

domaine de l’oralité et demeure pour l’instant très peu écrit. De plus, les créoles se retrouvent

presque toujours dans des systèmes de diglossie, dans lesquels il existe un rapport de force

entre une langue européenne, considérée comme langue haute, et le créole, rabaissé au rang de

patois. Marie-Christine Hazaël-Massieux (1999) montre bien qu’un créole ne peut être un

dialecte ou un patois puisque ce dernier est une variété de langue parlée uniquement dans une

zone géographique définie qui n’est jamais qu’une partie d’un état. Prenons pour exemple le

cas du corse, de l’alsacien ou du picard en France. Les créoles sont, par contre, généralement

parlés par l’ensemble d’une population, que ce soit dans les îles, comme les Seychelles ou

Haïti, ou sur le continent, à l’instar de la Guinée-Bissau et d’une partie de la Casamance

sénégalaise.

Le créole est-il une variété de langue ?

On pourrait aussi se demander si le créole ne serait pas une variété de langue, puisqu’il est

parfois perçu comme un dialecte. Or, une variété de langue équivaut à l’usage que l’on fait

d’une langue dans différentes situations. Ainsi, nous pouvons considérer qu’une langue

possède deux variétés de langue, une haute et l’autre basse, que certains linguistes appellent

aussi acrolecte et basilecte, avec entre elles toutes les variétés intermédiaires, dont on fait

aussi référence sous le terme d’interlectes. Or, il est incontestable que les créoles ne sont pas

des variétés basses des langues d’origine, puisqu’elles n’ont pas la même structure syntaxique

ou morphologique que leurs langues lexificatrices. De plus, certains créoles, comme le

Réunionnais, possèdent en leur sein même différentes variétés linguistiques. Les créoles

mériteraient donc le titre de langue au même titre que leurs langues d’origine puisqu’ils

possèdent une structure grammaticale originale, différentes des langues dont ils sont issus, et,

même si l’on peut établir une certaine filiation entre elles, il n’y a pas le moindre doute que

les créoles sont des systèmes linguistiques totalement indépendants.

4

Différence entre créole et pidgin

La limite entre le pidgin et le créole est presque impossible à définir de manière scientifique et

univoque. La linguistique traditionnelle soutient que les pidgins sont des langues secondes

utilisées dans des situations de contact de langues alors que les créoles sont ces langues qui

seraient devenues la langue première de certains locuteurs qui contribueraient alors à

l’enrichissement de cette langue stabilisée. Nous pouvons cependant affirmer que ces deux

systèmes de langue sont le résultat de deux processus linguistiques distincts: la pidginisation

et la créolisation. Dans son exposé présenté lors du 14e festival créole (1999), Mann fait un

bilan de toutes les thèses et définitions fournies par les créolistes et linguistes en ce qui

concerne la genèse des pidgins et de créoles, ainsi que des processus de pidginisation et de

créolisation.

Les pidgins se formeraient a priori dans des situations de contact de langues, qui

correspondent assez souvent à des situations de commerce, souvent entre les populations

indigènes et les européens, commerçants ou colons. Ces langues seraient créées à cause

d’impératifs de communication et seraient apprises comme des langues secondes par les

différents participants à ces situations d’échanges. Elles sont généralement des systèmes

linguistiques simplifiés par rapport aux langues dont elles sont issues, du point de vue de la

structure comme du vocabulaire. La pidginisation serait donc un processus de réduction

fonctionnelle et d’une simplification des matériaux linguistiques disponibles dans les

échanges, processus que Mann définit ainsi:

“pidginization is a process of linguistic adjustment, in situations of (sustained) contact

between two or more structurally (and/or typologically) dissimilar languages, and

constitutes a linguistic reflex to the consequent gap in communication” 1

La créolisation serait, par contre, une phase d’expansion fonctionnelle et linguistique des

données antérieurement simplifiés. Nous assistons donc à une complexification de la forme

simple qu’est le pidgin qui a pour résultat une forme plus élaborée de langue avec un statut un

peu plus élevé que ce dernier, et qui serait un créole. Mann définit alors la créolisation comme

suit :

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“Creolization is that complex process of sociolinguistic change comprising expansion

in inner form, with convergence in the context of extension in use. A creole is the

result of such a process that has achieved autonomy as a norm.”2

Mann établit un schéma assez précis des étapes potentielles de la pidginisation et de la

créolisation: la phase de jargon, la phase de pidgin comprenant plusieurs étapes successives

(le pidgin “naissant”, le pidgin stable, le pidgin étendu, l’étape de pidgin/créole et la

dépidginisation), la phase de créole, la phase post-créole (qui comprend la décréolisation et la

recréolisation). Il nous rappelle cependant que les deux processus peuvent avoir lieu

indépendamment l’un de l’autre, créant parfois des pidgins stables comme le pidgin anglais

du Cameroun, alors que certains créoles se sont créés sans qu’il y ait eu pidginisation

préalable. Il reprend le tableau proposé par Muhlhausler (1980), retraçant la création de trois

créoles à base lexicale anglaise ainsi que d’un pidgin.

Type 1 Type 2 Type 3

jargon jargon jargon

↓ ↓

Stabilized pidgin

↓ Stabilized pidgin ↓

↓ Stabilized pidgin

creole creole creole

(West Indian English creole) (Torres Straits creole) (West African Pidgin English;

Tok Pisin)

Tableau 1. Paths to the creole (Muhlhausler, 1980).

Mann nous rappelle cependant les propos de Ferguson et Debose (1977) qui remarquent, en

s’adressant spécialement à ceux qui cherchent à définir le pidgin et le créole en suivant la

théorie de la linguistique structurale, que :

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“…the pidgin/creole dichotomy represents an idealization that may be useful as a

preliminary means of organizing our research objectives, but it must ultimately give

way to a realization that no definite point of transition from a pidgin to a creole can be

identified.”3

1.2 Genèse des langues créoles

Il nous semble essentiel, dans un deuxième temps, de tenter de trouver l’origine ou les

origines de ces langues puisqu’il existe une véritable polémique dans le monde de la

créolistique autour de ce sujet. Certains pensent qu’il y a eu, à un moment donné, une langue

qui serait la langue-mère de tous les créoles, un peu comme le rapport de “maternité” entre le

latin et les langues romanes. Cette théorie fait ressortir l’idée d’un pan-créole dont les

différents créoles ne seraient que des variantes. La théorie inverse postule qu’il y aurait eu

différents foyers de naissance des créoles, ce qui expliquerait les contrastes saisissants qui

existent entre ces langues dans des zones différentes, tel celui qui existe entre les créoles des

Caraïbes et ceux de l’océan Indien. Nous traiterons cette question dans notre première sous-

partie (1.2a). La deuxième (1.2b) sera consacrée aux conditions de naissance des créoles.

Nous nous attarderons particulièrement sur les théories de Chaudenson et de Baker

concernant les créoles français.

1.2a) Genèse des créoles dans le monde

C’est par le terme “créole” qu’on désigne de nombreuses langues parlées dans diverses

régions du monde, nées principalement au cours des colonisations européennes. Nous tenons

à préciser que ces créoles ne sont pas des variétés d’un créole unique qui se serait par la suite

disséminé à travers le monde. Nous savons que l’idée circule d’un pan-créole, qui serait une

langue issue de la lingua franca, parlée le long des côtes africaines au 16e siècle, et qui serait à

l’origine de tous les créoles, qu’ils soient à base lexicale portugaise, française, anglaise,

espagnole ou néerlandaise. Malgré certaines similitudes linguistiques, un contexte de

naissance plutôt similaire (esclavage, contact de langues) et l’utilisation du terme générique

“créole” pour désigner cet ensemble de langues, il semblerait que la théorie polygénétique,

7

celle de plusieurs foyers d’émergence, se soit imposée parmi les créolistes. Il est aussi à

remarquer que ces variétés linguistiques se situent dans des zones géographiques distinctes et

éparpillées à travers le monde (les Caraïbes, la côte ouest de l’Afrique, l’Océan indien, une

partie d’Amérique latine et même en Asie et dans le Pacifique) et qu’il existe aussi autant de

différences entre ces langues qu’il y a de ressemblances.

On considère souvent ces langues par rapport à la langue dont ils sont issus. C’est ainsi que

l’on classe souvent ces langues comme étant “à base” ou “à base lexicale” française, anglaise,

portugaise, espagnole ou même néerlandaise. Il nous semble préférable d’utiliser le second

terme qui est plus proche de la réalité. Comme le rappelle Mann (1999),

“the recurrence of the terms 'English-based', 'Portuguese-based', etc. - which constitute a misnomer , from the perspective of sheer linguistic considerations - is quite disturbing. This is typical of the persistent and misguided Euro-centrism perpetrated by quite a significant number of European and American pidginists and creolists, many of very high repute, in their perception of these hybrids, especially with regard to endogenous pidgins. When they are not anticipated features of the universals of inner language simplification, most of the structures and grammatical devices of the better-known pidgins and creoles would, clearly, seem to converge with, or be attributable to, the indigenous (African) languages. The European (visitor) language, therefore, is usually no more than a lexifier language, except in some cases of post-creolization, where there is, with time, greater convergence towards the European target i.e. when, and if, a European 'target' is in question”.4

Il propose aussi d’utiliser un terme comme “English-related” par exemple pour parler de ces

langues, ce qui équivaudrait un peu au terme français “à base lexicale”. Sans tomber dans les

extrêmes de la thèse substratiste qui voit les créoles comme étant syntaxiquement des langues

africaines assorties d’un lexique et d’une phonétique provenant de la langue des maîtres,

Mann rejoint en quelque sorte Manessy (1995) qui postule une influence profonde de la

sémantaxe des langues africaines, voire de leurs énonciations, dans les créoles. Nous

garderons cependant le terme “à base lexicale” pour définir ces langues, étant dans

l’incapacité de trouver un terme plus adéquat pour les catégoriser.

Bickerton (1981) propose une autre théorie qu’il oppose à celle de la sémantaxe. Il pense que

tout individu possède à sa naissance une capacité innée, le bioprogramme, qui permet de

structurer la grammaire. Le contexte non-guidé d’apprentissage de la langue et l’apport

linguistique restreint, le pidgin, auraient permis l’activation de cette capacité, donnant ainsi

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naissance aux langues créoles. Le bioprogramme serait une entité innée structurée par des

distinctions sémantiques fondamentales, constitutives de toute langue, du moins dans son état

originel, telles les oppositions état/procès, ponctuel/non-ponctuel, ou encore causatif/non-

causatif.

Nous pensons avec Bickerton qu’il existe un certain bioprogramme qui aurait permis aux

créateurs/initiateurs des langues créoles d’analyser la structure de la langue du maître et de

celles qu’ils connaissaient précédemment, et de choisir une grammaire adéquate à leurs

besoins de communications. Nous rappelons que ce choix est arbitraire et que les créoles ne

sont que quelques solutions possibles à ces situations où il manque une langue commune de

communication.

Nous retrouverons donc parmi les créoles à base lexicale française le créole haïtien, le créole

des Petites Antilles dont il existe deux variétés (le martiniquais et le guadeloupéen), le

réunionnais, le seychellois et le mauricien dont certains, comme Robert Chaudenson, estime

qu’il existe deux variétés, le mauricien et le rodriguais. Parmi les créoles à base lexicale

anglaise, nous citerons le créole jamaïcain, celui de la Barbade, d’Hawaï ou encore de

Guyana. Nous citerons le créole du Cap-Vert, celui de Guinée-Bissau, ou encore ceux des îles

du golfe de Guinée (São Tomé, Principe et Annobon) comme des créoles à base lexicale

portugaise. Il existe quelques rares créoles espagnols dont le palanquero de Colombie ou le

chabacano des Philippines et nous retrouvons même certains créoles d’origine néerlandaise,

dont le negerhollands des îles Vierges américaines, dont le dernier locuteur natif est mort

récemment. Nous tenons encore à ajouter que l’origine de certains créoles semble difficile à

définir, tel le papiamento parlé à Aruba, Bonaire et Curaçao, que certains linguistes

considèrent comme un créole à base lexicale espagnole alors que d’autres pensent qu’il est

d’origine néerlandaise.

Notre propos se rapportera exclusivement aux créoles français, famille à laquelle appartient le

créole mauricien. Les créoles français se répartissent en deux zones géographiques distinctes:

la zone américano-caribéenne, avec une subdivision entre Louisianais et Haïtien d’une part et

les créoles des Petites Antilles d’autre part, et la zone de l’océan Indien, où l’on retrouve le

Réunionnais, le Mauricien et le Seychellois. Ces variétés linguistiques sont apparues dans le

sillage de l’expansion coloniale française à partir de 1630 aux Antilles et de 1665 dans

9

l’océan Indien. Il est à noter la naissance d’un autre créole français en Nouvelle-Calédonie

entre 1860 et 1910, le tayo, qui est le seul créole français situé hors des deux zones précitées.

A l’exception de la Guyane et de la Louisiane qui se trouvent sur le continent, toutes les

autres colonies furent fondées sur des îles, ce qui a son importance puisque ces colonies se

retrouvèrent totalement isolées du reste du monde, et notamment de la France.

1.2b) Conditions de la création des créoles français

Différentes théories existent quant aux conditions de naissance de ces langues: certains

créolistes comme Baker (1996) soutiennent qu’il y eut une phase de pidginisation avant que la

créolisation n’intervienne dans la formation des créoles français alors que la thèse inverse est

défendue par d’autres, dont Chaudenson (1977, 1992).

Selon ce dernier, il y aurait eu deux phases majeures dans la création des créoles. Dans un

premier temps, la population « blanche », composée principalement de locuteurs de diverses

variétés de français de l’ouest de la France, et les esclaves partagent les mêmes conditions de

vie, ce que Chaudenson appelle la phase d’habitation. Les esclaves, qui n’ont pas encore

perdu l’usage des langues connues antérieurement, maîtrisent rapidement la langue des

colons. Le développement des plantations sucrières constituera une deuxième phase

primordiale dans la formation des créoles, puisque le manque de main-d’œuvre se fait sentir

et provoque l’arrivée massive d’esclaves appelés bossales, qui ne sont plus en contact direct

avec les locuteurs natifs de français du fait de leur nombre. Ceux-là développent des

approximations de la langue du maître. Selon Valdman (1977) qui épouse la même théorie,

des situations de diglossie se produisent dès les premières phases de la vie coloniale et

diverses variétés linguistiques coexistent: l’hypo-basilecte des bossales, des lectes

intermédiaires et des formes multiples de l’acrolecte, langue des colons, le français. Cette

théorie peut être accréditée par la situation du français dans certains pays francophones

d’Afrique de l’Ouest où il existe souvent deux formes du français: le français standard, variété

haute, et le français national, forme basilectale de français, variété basse dans laquelle on

retrouve des éléments de l’énonciation et de la sémantaxe des langues africaines.

10

Baker (1996) propose quant à lui une version démo-linguistique de la création des créoles.

Pour lui, il existe trois phases dans le processus de créolisation. Le premier événement

démographique se produit quand le nombre d’esclaves, « bossales » et « créoles » (nés aux

îles) réunis, dépasse le nombre de colons. Le deuxième a lieu lorsque le nombre d’esclaves

créoles devient supérieur à celui des colons. Selon lui, si entre ce deuxième événement et le

troisième, la fin de l’introduction des bossales dans la colonie, le nombre d’esclave

fraîchement débarqués est élevé, ce phénomène démo-linguistique entraîne “une

« basilectalisation » du continuum linguistique existant, ainsi que le « gel » ou la

cristallisation d’une langue créole, distincte de la langue des colons.”

Ces deux théories, quoique différentes sur le plan de la perspective, semblent

complémentaires et permettent d’avoir une idée des conditions probables dans lesquels les

créoles ont pu émerger et se détacher des langues européennes. Reste à rappeler la volonté des

maîtres de séparer les esclaves parlant la même langue, dans le but d’empêcher des révoltes

au sein des plantations, et la négation de l’identité originelle des esclaves par les maîtres qui

ne les considéraient pas comme des êtres civilisés voire humains mais plutôt comme des

meubles.

1.3 Etats des langues à l’île Maurice

Pour comprendre clairement les enjeux autour de la question des langues à l’île Maurice, il

nous semble essentiel de faire un rapide rappel de l’Histoire, ce que nous ferons en premier

lieu (1.3a). Nous nous attarderons ensuite à montrer (1.3b) quelle utilisation est faite des

différentes langues à Maurice aujourd’hui avant de revoir (1.3c)toute la terminologie

entourant les termes de la créolistique et de les adapter à Maurice.

1.3a) Historique

Un petit rappel de l’Histoire est indispensable pour comprendre la complexité linguistique de

l’île Maurice, qui semble être unique au monde. L’île Maurice est répertoriée pour la première

fois par des marins arabes sur leurs cartes sous le nom de “Dina Arobin” au IXe siècle

11

(Moutou 1998). Ce fut cependant la ruée vers les Indes dans la course aux épices qui

provoqua, au XVIe siècle, la découverte des îles de l’océan Indien par les navigateurs

européens. Vasco de Gama, un portugais, fut le premier à traverser le Cap de Bonne

Espérance en Afrique du Sud qui sépare l’océan atlantique de l’océan Indien et fut rapidement

suivi de nombre de ses compatriotes, dont un certain Mascarenhas, qui donna son nom à

l’archipel des Mascareignes constitué de la Réunion, de Maurice et de Rodrigues. Bien que

l’île fut connue des hollandais depuis près de quarante ans, ceux-ci ne tentèrent d’établir une

colonie dans l’île qu’en 1638, pour y cultiver de la canne à sucre, pour s’assurer une escale

entre le Cap et Batavia dans l’actuelle Indonésie et surtout pour y récupérer le bois d’ébène

qui constituait une grande partie des forêts de l’île. Lassés des conditions climatiques

auxquelles ils n’étaient pas préparé, des fuites d’esclaves et du peu d’importance de cette

colonie dans le dispositif tactique et politique des dirigeants hollandais, les colons

abandonnèrent en 1710 l’île Maurice, qu’ils avaient nommée ainsi en l’honneur de Maurice

de Nassau, Prince d’Orange, qui était alors un des grands prétendants au trône en Hollande.

En 1715, une expédition française prit possession de l’île au nom du roi de France et la

rebaptisa “Ile de France”. Elle fut administrée par la Compagnie des Indes orientales, qui

commença la plantation de canne à sucre à grande échelle. Vint avec la colonisation française

le temps de l’esclavage, qui devait voir arriver sur l’île des esclaves originaires de

Madagascar, de la côte est de l’Afrique (Mozambique, Tanganyika et l’île de Zanzibar), ainsi

que de la côte ouest-africaine (île de Gorée) et du sud de l’Inde (principalement des Tamouls,

mais aussi quelques bengalis). C’est dans cette période de colonisation française que l’on

situe la naissance du créole mauricien, tout comme celle du créole seychellois, puisque les

Seychelles furent colonisées à l’initiative de Mahé de Labourdonnais, alors gouverneur de la

Compagnie des Indes française dans l’océan Indien et qui donna son nom à Mahé, île

principale des Seychelles ainsi qu’à un gros village à Maurice, appelé Mahébourg. La

révolution française n’eut presque aucun impact sur l’Ile de France à cause de la distance

géographique importante (trois mois de bateau à l’époque) et l’île passa successivement sous

le commandement de la Compagnie des Indes, du roi de France lui-même qui racheta l’île et

enfin sous la tutelle de l’empereur, Napoléon 1er. C’est cependant l’essor grandissant des îles

françaises de l’océan Indien (à travers la culture de la canne à sucre) et les attaques répétées

des navires britanniques par les corsaires français basés à l’Ile de France (dont le plus célèbre

12

est Surcouf) qui provoqueront la chute des Mascareignes au profit des Britanniques en

décembre 1810.

Les Britanniques s’emparèrent de l’île de France le 3 décembre 1810, excédés par ces îles

dont les corsaires les narguaient à chacun de leur passage vers les Indes orientales. Le traité de

Paris de 1814 rendit à la France l’île Bourbon (La Réunion actuelle) alors que les

Britanniques conservaient l’Ile de France, qui fut rebaptisée Mauritius, ainsi que les

Seychelles et Rodrigues. Les Britanniques permirent cependant aux colons de garder leur

langue, leurs coutumes, leur religion et leurs lois, ce qui sera un point de conflit majeur lors

de l’abolition de l’esclavage dans l’Empire britannique en 1835 puisque la France n’avait pas

aboli l’esclavage. Au terme de longues négociations, les colons acceptèrent de libérer leurs

esclaves en échange d’une indemnisation en 1844. Pour pallier le manque de main-d’œuvre

dans les plantations sucrières d’où on avait chassé tous les esclaves, on fit venir des

travailleurs volontaires de l’Inde, à qui l’on avait promis monts et merveilles. Ces derniers

vécurent dans presque les mêmes conditions que les esclaves et leur nombre augmenta

tellement qu’ils étaient plus nombreux que les anciens esclaves trente ans après avoir

commencé à s’installer à Maurice. Il serait bon de noter qu’un petit nombre de chinois

s’installa à Maurice vers la même période mais que la plupart d’entre eux retournèrent en

Chine, ne réussissant pas à s’acclimater aux conditions climatiques extrêmes qui prévalaient

sur l’île.

Maurice accéda enfin à l’indépendance en 1968 sous l’impulsion des indo-mauriciens, alors

qu’une partie de la population créole dite “gens de couleur” ou “mulâtre” s’y opposa, croyant

qu’on assisterait à une indianisation de l’île. Néanmoins, tout au long des colonisations dont

fut l’objet Maurice, nous assistons à une importation continuelle de langues, que ce soit par

les colons, les esclaves ou autres travailleurs immigrés. Comme langue de colonisation, nous

retrouverons le français et l’anglais, alors que les autres populations amenèrent avec elles les

langues malgaches (dialectes austro-mélanésiens et langues propres aux Sakalaves), les

dialectes mozambicains issus du swahili, le wolof venu du Sénégal, le tamil et le bengali

(parlés par les premières populations indiennes venues durant l’occupation française), l’hindi,

le marathi, le gujrati, le telegu et un dialecte issu de l’hindi, le bojpuri (parlés par les

différentes communautés hindoues), l’urdu utilisé par les indiens de confession musulmane et

enfin un dialecte hakka parlé par la minorité chinoise. La présence de ces langues permit la

13

formation du créole, né du contact du français et des langues africaines, alors que le lexique

fut ensuite enrichi de mots tirés des autres langues, et notamment des langues indiennes, ce

qui fait la grande originalité de ce créole par rapport aux créoles français des Caraïbes ou

même de l’île de la Réunion ou des Seychelles où il n’y eut pas d’influence des langues

indiennes à la même échelle qu’à Maurice.

1.3b) Etat actuel des langues à Maurice

Lors de son accession à l’indépendance en 1968, le pays adopte l’anglais et le français comme

langues officielles. La plupart des Mauriciens pensent cependant que seul l’anglais est langue

officielle du fait que la juridiction, l’éducation et l’administration se font exclusivement dans

cette langue. Ainsi, tous les textes juridiques et administratifs sont écrits en anglais alors que

l’éducation est sanctionnée par les examens de la School Certificate (équivalant à la Seconde)

et la Higher School Certificate (équivalant au Baccalauréat), organisés par l’université de

Cambridge. Cependant, bien que l’anglais soit officiellement la langue de l’éducation, dans

les faits, la plupart des cours sont dispensés en français ou en créole. Le lycée Labourdonnais

et le lycée polytechnique ainsi que Le Bocage International School sont les seuls exceptions

puisqu’ils préparent respectivement au Baccakauréat français et au Baccalauréat International.

Le français, dont l’implantation à l’île Maurice remonte au début de la colonisation française

en 1715, a survécu à près de cent cinquante années de colonisation britannique et est relégué

au poste de langue des media et de la communication. Cependant, le français parlé à l’île

Maurice n’est pas le français standard mais se situe quelque part dans le continuum existant

entre ce dernier et le créole à Maurice, à l’instar des français nationaux en Afrique qui se

situent entre le français standard et les langues maternelles africaines. Le créole étant une

langue essentiellement orale, il est quant à lui considéré comme un patois par la majorité des

mauriciens. Cependant, la langue ayant le plus grand nombre de locuteurs natifs est le créole,

suivi du français, alors que l’anglais n’est, en réalité, guère utilisé que dans des situations

formelles.

Les langues asiatiques sont essentiellement utilisées par les différentes communautés

indiennes, qui les considèrent comme faisant partie intégrante de leur patrimoine. Ainsi,

l’hindi, le tamil, le marathi, le telegu et le gujrati sont enseignés dès le cycle primaire en tant

14

que matières optionnelles. Il en est de même pour l’urdu, parlé exclusivement par la

population musulmane et dont des cours sont aussi dispensés dans les mosquées. Le statut de

“langues ancestrales” leur est généralement attribué. Ces langues sont fortement ressenties

comme faisant partie du patrimoine identitaire des différentes communautés socio-ethniques

et religieuses d’origine indienne qui font partie de la société mauricienne et, à cause de cela,

le domaine des langues est généralement un sujet très sensible. Il nous semble important de

rappeler que le problème lié à l’enseignement des dites “langues ancestrales” fut à l’origine de

la chute du gouvernement en 1995, ce qui montre les enjeux de l’apprentissage de ces

langues. La dernière langue considérée comme “ancestrale” est l’hakka qui n’est guère plus

utilisé que par les sphères les plus âgées de la population sino-mauricienne5 alors que le

mandarin, qui n’est cependant pas la langue d’origine de la communauté chinoise à Maurice,

est enseigné dès les premières années du primaire jusqu’en Higher School Certificate (HSC),

au même titre que les langues indiennes. Reste à noter le cas particulier du bojpuri, qui est très

répandu dans les régions rurales à forte concentration indo-mauricienne. Cette langue a le

même statut que le créole auprès de la population mauricienne puisque ce sont deux langues

presque exclusivement orales et donc considérées comme des dialectes ou patois. A

l’exception du bojpuri, les autres langues asiatiques ne sont souvent plus acquises

naturellement, mais apprises dans des contextes institutionnels, comme les écoles primaires,

les collèges secondaires ou même à l’Université de Maurice.

1.3.c) Problème de terminologie: le créole comme terme linguistique et comme terme ethno-

identitaire.

Il existe à Maurice un réel problème de terminologie par rapport au terme “créole”, puisqu’il

sert à désigner la langue utilisée par les mauriciens et propre à ce pays, mais aussi une

communauté socioculturelle composante de la société pluri-ethnique mauricienne.

Parler du créole comme langue, c’est penser la population mauricienne comme acceptant cette

langue comme mode de communication entre les différentes communautés ou ethnies (si l’on

considère une ethnie comme étant un ensemble d’individus que rapprochent des caractères de

civilisation, notamment la communauté de langue et de culture) qui la composent. Cela

tendrait à dire que la langue créole est la langue parlée par tous les Mauriciens.

15

Contrairement aux autres sociétés créoles (nous pensons ici particulièrement aux îles parlant

des créoles à base lexicale française), la communauté Créole est considérée à Maurice comme

étant celle ayant une ascendance africaine, même si cette définition est réductrice et reflète

parfois très peu la réalité. Comme le dit Danielle Palmyre-Florigny (2002):

“La définition du Créole par ses seules sources africaines ou son attachement à la seule Afrique est totalement insatisfaisante. Beaucoup de Créoles sont d’origine afro-indienne ou indo-malgache ; une part aussi des Créoles n’a pas d’ancêtre africain ou malgache du tout. Des métis de toutes sortes trouvent leur place et une identité dans le monde créole. Ainsi on peut être créole parce qu’on se rattache à l’Afrique ou à Madagascar par ses liens ancestraux – même si on ne peut en retracer l’origine exacte; et on peut aussi être créole parce que, de « sangs mêlés » comme on dit, issu de « mariages mixtes », c'est dans le monde créole qu'on se sent plus à l'aise et qu'on peut trouver une place. Le monde créole a été et demeure le lieu d’ancrage de bon nombre d’individus dont le métissage a été perçue comme une menace à l’intégrité des groupes d’où sont issus leurs parents. Toute société distingue et hiérarchise ses composantes pour y mettre de l’ordre. Le métissage est toujours perçu comme un désordre social puisqu’il produit des êtres inclassables. Le monde créole est le seul lieu social où ces individus trouvent un sens d’appartenance et une acceptation de leur condition.”

Il est à noter que le terme “créole” n’a pas toujours servi à désigné cette communauté durant

la courte histoire de l’île Maurice. Ce mot était, il y a à peine trente ans, exclusivement

réservé à la communauté métisse de l’île claire de peau et généralement francophone, souvent

appelée “gens de couleur” ou encore “mulâtre”. Les Mauriciens descendants d’esclaves et

noirs de peau étaient à l’époque nommés les “Mazanbik”, terme venant de “Mozambique” et

qui désignait “ceux aux cheveux crépus”. Or, pendant les années qui suivirent l’indépendance

de Maurice en 1968, la grosse majorité des mulâtres abandonna l’île pour s’établir en

Australie (près de cinquante mille Mauriciens s’y exilèrent en l’espace de cinq ans), laissant

dès lors les Mazanbik s’approprier le terme créole. Une minorité mulâtre habite toujours

Maurice et est souvent considérée comme la partie « bourgeoise » de la communauté créole,

même si nous pouvons nous demander si elle s’assimile à la masse créole, créolophone et

vivant principalement en milieu populaire. La solution pour certains est de séparer les deux

groupes en appelant l'un les Euro-créoles et l'autre les Afro-créoles.

Nous rappelons qu’il est très difficile à Maurice de dissocier catégoriquement la communauté

culturelle, la religion pratiquée et la langue parlée par cette communauté. Depuis une dizaine

16

d’années a surgi à Maurice une revendication identitaire très forte dans le monde créole, bien

que nous soyons presque tentés de dire dans le monde populaire créole, au sein de la

communauté afro-créole. Ainsi, en 1993, Roger Cerveau, prêtre catholique créole, était le

premier à parler ouvertement de “malaise créole”, comme réminiscence de l’esclavage.

D’abord dirigée contre l’Eglise catholique pour son manque d’engagement auprès de la

population créole, cette critique s’attaquera aussi au gouvernement mauricien, accusé de

défavoriser cette communauté dans le secteur public. La mort du chanteur créole Kaya dans

des circonstances étranges en prison et les émeutes qui la suivirent en 1999 agirent comme

catalyseurs et exacerbèrent cette revendication identitaire de la communauté créole, à la

recherche de son identité, vis-à-vis des communautés indiennes qui se réclament de cultures

millénaires, d’où surgit une certaine idée de “sang pur” et de “langue pure”. La langue devint

ainsi un enjeu pour la communauté créole qui réclama un droit de paternité sur cette langue, et

tente de plus en plus de faire assimiler cette langue à sa culture. Nous tenons cependant à les

dissocier totalement et nous proposons d’utiliser la graphie “kreol” pour parler de la langue

parlée par l’ensemble de la communauté mauricienne et la graphie “créole”, quand il s’agira

de faire référence à la communauté socioculturelle.

Ainsi, il y a parfois confusion entre les deux sens du mot “créole”, la communauté créole (qui

n’est qu’une partie de la population) et la langue kreol qui n’est pas le seul apanage de cette

communauté mais est bien utilisée par l’ensemble de la population mauricienne. Afin d’éviter

une assimilation entre ces deux sens, certains, comme Dev Virahsawmy, ont proposé de les

séparer définitivement en changeant le nom de cette langue qui devrait selon eux s’appeler “le

mauricien”.

1.4 Description du créole mauricien

Notre quatrième sous-partie aura la tâche de présenter brièvement la langue kreol. Nous nous

proposons de faire un rapide survol de différents aspects de cette langue, à savoir la

phonétique, la syntaxe, la morphologie et le lexique respectivement, ce qui nous permettra de

montrer en quoi le kreol se différencie de manière significative du français et d’autres créoles

et se révèle comme étant une langue autonome.

17

1.4a) La phonétique du kreol mauricien

Fig. 1: Le système vocalique du kreol mauricien.

Le système vocalique du kreol mauricien peut être représenté comme sur le tableau 2 ci-

dessus. Nous nous rendons compte que le kreol une langue comprenant neuf voyelles, bien

qu’on puisse se demander s’il ne s’agirait pas de huit voyelles. Il est effectivement très

difficile de différencier radicalement les allophones [e] et [E], tout comme le “o” ouvert et le

“o” fermé en kreol. Cette distinction tend à disparaître de plus en plus suite à une certaine

basilectalisation du créole mauricien. D’autre part, nous retrouvons parfois une voyelle qui se

situerait quelque part entre un [e] et un [~e], mais il s’agit dans la plupart des cas d’une

transformation du [~e]. Il semblerait donc que le système vocalique du kreol soit plus simple

que celui du français qui comporte entre douze et quinze voyelles. En regardant la grammaire

du kreol de plus près, nous verrons par quoi cette langue compense le nombre restreint de

voyelles. A noter aussi que le kreol mauricien n’est pas non plus une langue à tons. Nous

reviendrons sur certains aspects de la phonétique du kreol mauricien dans notre partie

consacrée au lexique, puisque les deux sont extrêmement liés.

1.4.b) La morphologie

Le kreol mauricien est une langue qui ne comporte pas la différenciation morphologique de

masculin et de féminin. Toutes les entités sont a priori neutres puisqu’il n’y a aucune marque

flexionnelle. Nous remarquons cela notamment dans l’utilisation des adjectifs, qui restent

invariables quand on remplace le nom qui en français serait masculin par un autre qui serait

18

féminin. Pour chacune des phrases en kreol, nous proposerons successivement une glose et

une traduction, toutes deux en italique. On pourra ainsi dire:n

1. Sa boug-la mari tipti.

Ce bougre-là très petit.

Cet homme est très petit.

2. Sa fam-la mari tipti.

Ce femme-là très petit.

Cette femme est très petite.

De même, pour marquer le sexe des animaux, on ne retrouve pas de changement du mot

phonétiquement ou graphiquement comme en français. Prenons pour exemple l’entité “chien”

en français qui devient “chienne” au féminin, bien que nous pourrions nous demander s’il ne

s’agit pas ici de deux entités différentes (rappelons-nous l’exemple de “cheval/jument”). Nous

n’aurons pas en kreol “lisyen” [lisj~e] et au féminin “*lisyenn” [lisjEn]. Pour noter la qualité

sexuelle de l’animal, il faudra passer par une périphrase de genre “enn femel lisyen” (une

femelle chien).

Nous nous rendons aussi compte qu’il n’y a aucune transformation morphologique quand on

passe du singulier au pluriel. Daniel Véronique pense qu’il n’existe pas de marques de pluriel

mais plutôt d’ajouts de marqueurs quantifieurs, comme le montrent les exemples ci-dessous:

3. Enn lisyen pe galoupe

Une chien (marqueur Temps-Mode-Aspect ou TMA) galoper

Un chien (est en train de courir, court)

4. Bann lisyen pe galoupe

Bande chien (TMA) galoper

Des chiens (sont en train de courir, courent)

5. Enn bann lisyen pe galoupe

Une bande chien (TMA) galoper

Des chiens (non-spécifiés) (sont en train de courir, courent)

19

On peut donc retrouver dans la phrase 3 une forme de singulier dans laquelle le mot “enn” n’a

pas la valeur d’article indéfini mais plutôt d’unicité de l’entité. Les deux phrases qui suivent

(4, 5) sont toutes deux au pluriel et nous constatons qu’à l’exception de l’arrivée du marqueur

de quantité “bann”, aucune autre transformation n’a altéré ni le nom ni le verbe, qui tous deux

restent invariables à ce changement en nombre. Il existe cependant une nuance entre les deux

phrases de pluriel. Alors que la phrase 4 serait la forme la plus usuelle du pluriel,

correspondant au pluriel de la première phrase (3) de cet exemple, la phrase 5 vient rajouter

un élément puisqu’elle ne remplace pas le marqueur d’unicité par un marqueur de quantité

mais juxtapose les deux. On pourrait donner aux chiens de la phrase 4 une valeur générale

(des chiens en général) ou une valeur spécifique ou définie, dans la mesure où ce seraient des

chiens que l’on connaîtrait. La phrase 5 quant à elle met l’emphase sur le fait qu’on ne connaît

pas les chiens dont on parle, ce que nous appellerons une valeur indéfinie ou non-spécifiée.

Il nous reste encore à parler d’un élément très important dans la morphologie du kreol

mauricien qui concerne les verbes. Nous avons noté dans les trois phrases de l’exemple

précédent un petit mot, “pe”, par le terme “marqueur Temps-Mode-Aspect” ou “TMA”. Le

kreol mauricien, comme la plupart des langues créoles, ne subit pas de flexion comme la

conjugaison. On remplace cela par la présence de marqueurs pré-prédicatifs, qui peuvent

exprimer les temps du verbe, ses modes ou encore l’aspect, comme la dichotomie accompli/

non-accompli. Daniel Véronique (2001) présente et définit très clairement ces marqueurs par

une grille très intéressante sur la valeur des différents marqueurs et de leurs combinaisons

possibles, que nous retranscrivons ci-dessous:

Non-passé Passé

Ø ti

Imperfectif Pe ti pe

Perfectif Finn ti finn

« futur » « conditionnel » « futur antérieur »

Volitif Pou pou finn ati pou

Epistémique Va va finn ti va

Tableau 2. Valeur des marqueurs TMA en créole mauricien (Véronique 2001).

20

Leila Caid (2003) complète ce tableau par son analyse des marqueurs TMA en créoles

réunionnais et mauricien. Pour elle, il existe plus de marqueurs, qui peuvent avoir différentes

formes (une longue et une courte en général) qui n’altèrent pas la valeur de ceux-ci, et qui

possèdent plus de combinaisons que n’en cite Daniel Véronique. Nous présentons le résultat

de ses recherches ci-dessous.

Présent d’habitude Ø + V

Présent continu Ø + pe + V

Passé simple ti + V

Passé progressif ti + pe + V

Présent accompli

(passé composé)

ou passé ponctuel

finn + V ( = finir de)

inn + V (forme contractée)

(pron. pers.) + nn + V (forme contractée)

Sur-accompli (passé composé emphatique) inn + finn + V

nn + finn + V

Plus-que-parfait Ti + finn + V

Tinn + V

Plus-que-parfait emphatique Tinn + finn + V

Futur (présent) Va + V (va)

Ava + V

A + V

Pou + V ( = être pour)

Conditionnel présent

(futur du passé)

(irréel du présent)

+ conditionnel passé

Ti + va + V

Ti + ava +V

Ti + pou + V

Accompli immédiat présent Fek + ale ( = ne faire que de)

Vyenn + ale ( = venir de)

Accompli immédiat passé Ti + fek + ale

Ti + vyenn + ale

Suraccompli immédiat présent Finn { + fek + ale

Inn { + vyenn + ale

Suraccompli immédiat passé Ti finn fek ale

Tinn fek ale

Tinn vyenn ale

Tableau 3. Les marqueurs TMA en créole mauricien (Caid 2003a-b).

21

Dans un dossier d’acquisition du langage d’analyse du récit (Florigny 2003b), nous avions fait

la remarque que cette liste comportait quelques petites erreurs: nous n’avons jamais rencontré

le marqueur “vyenn” en kreol mauricien et il nous semble qu’un marqueur manque dans cette

liste, le marqueur “nek” que nous avions appelé l’“accomplissant immédiat présent”, pour

utiliser une terminologie proche de celle de Leila Caid.

Il arrive aussi que certains marqueurs TMA se contractent et se joignent au pronom personnel

sujet. Ainsi, le “finn” peut être exprimer de trois manières différentes sans que son sens en

soit altéré:

6.a) Mo finn manze

Moi TMA manger

J’ai mangé

6.b) Mo inn manze

Moi TMA manger

J’ai mangé

6.c) Monn manze

(Moi + TMA) manger

J’ai mangé

Malgré ces détails sur les marqueurs qui mériteraient une analyse plus poussée, il n’empêche

que l’originalité du kreol mauricien, en tant que langue créole, tient dans le fait qu’il utilise

des marqueurs pré-prédicatifs pour exprimer le temps, le mode et l’aspect, alors que les

langues romanes usent plutôt de la flexion verbale qu’est la conjugaison pour exprimer les

mêmes notions.

1.4c) La syntaxe

Le kreol mauricien est une langue possédant une structure en SVO. Le sujet est généralement

placé avant le verbe, même dans la structure de l’interrogation où seule l’intonation permet de

la reconnaître quand aucun pronom interrogatif n’est présent dans la phrase. De même, les

22

compléments d’objet ne se placent jamais avant le verbe quand ils sont pronominalisés, à

l’inverse du français. Ces deux traits syntaxiques du kreol sont présentés dans les exemples

suivants:

7. Zan inn manz enn zoranz.

Jean (TMA) manger un orange.

Jean a mangé une orange.

8. Zan inn manz enn zoranz?

Jean (TMA) manger un orange?

Jean a-t-il mangé une orange?

9. Eski Zan inn manz enn zoranz?

Est-ce que Jean (TMA) manger un orange?

Est-ce que Jean a mangé une orange?

10. Eski Zan inn manz li?

Est-ce que Jean (TMA) manger lui (=Pronom personnel)?

Est-ce que Jean l’a mangée?

Le dernier détail sur la structure syntaxique du kreol mauricien dont nous parlerons ici

concerne la notion de possessivité ou d’appartenance, le génitif. Nous retrouvons en kreol

mauricien deux structures: la première, identique à la structure français, met l’entité possédée

avant l’entité qui possède; la deuxième structure fait l’inverse, un peu comme en anglais,

sans qu’on puisse pour autant imaginer une quelconque influence de cette langue sur le kreol

mauricien, la fin du processus de créolisation à l’origine de cette langue précédant de près de

cent ans l’arrivée des anglais et les documents d’archives étant autant d’attestations du peu de

changements dans la structure du kreol dès lors. Il semblerait cependant que la première

structure soit liée au trait “+ non-humain” alors que la deuxième paraît exclusivement utilisé

avec le trait “+ humain”, comme l’indiquent les exemples ci-dessous:

11. Lakaz lisyen touzou deor.

Case chien toujours dehors.

La maison du chien (= la niche) est toujours dehors.

12. * Lisyen so lakaz touzour deor.

23

Chien sa maison toujours dehors

13. Loto gouvernma nwar.

Auto gouvernement noir.

La voiture du Gouvernement est noire.

14. *Gouvernma so loto nwar.

Gouvernement son auto noir.

15. Zan so ser so camwad so mama pe manz enn zoranz.

Jean son soeur son camarade son maman (TMA) manger un orange.

La maman de l’ami(e) de la sœur de Jean mange une orange.

1.4d) Le lexique (construction des mots v/s origine)

Il nous semble indéniable que la grande majorité des mots que l’on trouve en kreol mauricien

sont issus du français. Il est à noter que le système phonétique du kreol est largement inspiré

de celui du français, bien qu’il y apporte de nombreuses altérations phonétiques ou

morphologiques, qui suivent certains schémas bien précis. Il est à noter que les consonnes tout

comme les voyelles sont affectées par ces phénomènes. Concernant les consonnes, nous

citerons certaines transformations parmi les plus courantes. Le [Z] devient systématiquement

un [z] en kreol, tout comme le [S] se transforme en [s] alors qu’il arrive que le [t] se

complexifie en [tS], suivant la prononciation de la région d’où vient le locuteur. Le [d], quant

à lui, est très souvent prononcé [dZ]. Enfin, il arrive que dans quelques mots le [s] devienne

un [h] mais ceci demeure un phénomène récent et restreint à une poignée de mots. Les

voyelles, quant à elles, subissent aussi quelques altérations. La plus usuelle est le [y] qui

devient un [i] ou dans de rares cas [u]. Il arrive aussi que nous assistions à une dénasalisation

de la voyelle [ã] qui se décompose en [am] ou [an]. Il semblerait aussi que dans quelques

mots le [o] ou le [õ] se transforment en [u]. Nous proposons ci-dessous une liste de mots

originellement français accompagnés de leurs avatars kreol, ainsi que de leur prononciation en

alphabet phonétique:

16. Janvier = zanvye [zãvje]

17. Chanter = sante [sãte]

18. Tirer = tire [tSire]

19. Debout = diboute [dZibute]

24

20. Comme ça = koum ha [kum ha]

21. Tube = tib [tib]

22. Décembre = desamm [desam]

23. Descendre = desann [desan]

24. Galoper = galoupe [galupe]

25. Du monde = dimoun [dZimun]

En plus de ces altérations phonétiques, il existe aussi certains phénomènes transformationnels,

notamment d’agglutination, dans la formation des mots kreol à partir du lexique français.

Ainsi, énormément de mots kreol comportent en leur sein l’article français comme préfixe.

Prenons pour exemple l’ensemble « le chien » qui devient en kreol « lisyen » en un seul mot;

de plus cet ensemble se comporte exactement comme un nom puisqu’il accepte la

détermination (nous donnons entre parenthèses une traduction littérale du kreol au français):

26. Un chien = enn lisyen (un le-chien)

27. Trois chiens = trwa lisyen (trois le-chien)

28. Ce chien = sa lisyen (ce le-chien)

De même, le mot « dimoun » de la phrase 25 peut être déterminé et change même de sens

selon qu’il est au singulier ou au pluriel pour reprendre les termes français, bien que cette

notion doive sérieusement être repensée pour le kreol, puisqu’on y retrouve plutôt une notion

de singularité/collectivité-pluralité, une pluralité qui peut d’ailleurs être définie, indéfinie ou

même inconnue. Dans certains cas, le kreol parvient même à dire explicitement quelque chose

que le français sera obligé de traduire par le pluriel, bien que ce soit l’expression du non-

singulier et du non-pluriel:

29. Enn dimoun (un du-monde) = quelqu’un (singularité)

30. De dimoun (deux du-monde) = deux personnes (pluralité connue et définie)

31. De-trwa dimoun (deux-trois du-monde) = quelques personnes (pluralité connue et

indéfinie)

32. Bann dimoun (bande du-monde) = des gens (pluralité inconnue)

33. Enn bann dimoun (un bande du-monde) = quelqu’un ? des gens ? (inconnu)

Le kreol a gardé beaucoup d’archaïsmes français, comme “insinifyan” (énervant), “kokas”

(mignon) ou encore “kokin”, qui n’est plus un adjectif (“coquin”) mais un verbe signifiant

25

“voler”. Ainsi, durant le travail de relexification de la langue, certains mots ont changé de

classe grammaticale. D’autres mots, comme “manze”, “bwar” ou “dormi” ne sont plus

classables comme ils peuvent être tantôt des verbes, tantôt des noms.

Il faut, en outre, noter que le kreol mauricien, comme de nombreux autres créoles, emprunte

une multitude de mots au langage maritime. Ainsi, on utilisera le mot “rise” (du français

« hisser ») plutôt que “tirer”; on préférera “vire” au mot français actuel “tourner”; nous

citerons “larg” pour “lâcher”, “larg lamar” (larguer l’amarre) pour “laisser tomber”, “savire”

(chavirer) pour “se sentir mal” ou encore l’interjection “matlo”.

Comme certaines autres langues créoles, le Mauricien permet les phénomènes de

reduplication et de dédoublement, comme dans les verbes “mars-marse” (“marcher”) et

“manz-manze” (“manger) ou dans certains adjectifs comme “tipti” (“petit”). Une particularité

des créoles est la présence de constructions verbales sérielles (CVS), attestée dans la zone

Caraïbes et dont les créoles de l’océan Indien semblent être dépourvus. Ces constructions sont

attestées dans au moins trois familles de langues d’Afrique de l’Ouest que l’on retrouve au

Togo et au Bénin, notamment les langues Gur, les langues Gbé et le groupe des langues

résiduelles du Togo, comme le montre le projet de recherche dirigé par Colette Noyau et .Ces

constructions sont formées par une série de verbes juxtaposés sans la moindre marque de

coordination, ayant le même sujet et surtout, dont le tout n’exprime qu’un seul sens qui

demeure indivisible au regard des différents verbes qui la composent. Cependant, nous notons

en kreol mauricien quelques exemples de CVS, comme “tourne-vire” qui signifie “s’ennuyer,

faire les cent pas”.

Enfin, la présence de mots issus d’autres langues est aussi à prendre en considération quant au

lexique du kreol mauricien. Nous retrouvons donc quelques mots tamouls et d’origine

indienne comme “marday” (originellement le nom d’une divinité hindoue) dans l’expression

“fer marday” (arnaquer, se moquer de) ou l’interjection “ayo” alors que l’on peut encore

attester de mots d’origine bantoue ou wolof qui se rapportent principalement au domaine de la

nature ou qui reviennent sous formes d’interjections diverses.

26

II La référence spatiale

Vouloir comprendre comment référence est faite à l’espace dans une langue implique

inévitablement qu’il faille analyser la manière, ou les manières, mise(s) en place dans une

langue donnée pour décrire l’espace. Or, ceci ne semble pas être aussi évident qu’on pourrait

le croire à première vue. Faut-il prendre en compte les dimensions (longueur, largeur, hauteur,

profondeur) des objets présents dans l’espace ? Doit-on y insérer un point de vue éventuel ?

Faut-il considérer l’espace comme possédant deux ou trois dimensions en kreol mauricien?

Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre dans cette deuxième partie.

Nous rendrons compte dans un premier temps (2.1) des trois propositions de description faites

par Claude Vandeloise (1986) pour représenter l’espace et de celle qu’il adopte. Nous en

profiterons pour préciser quel domaine de la référence spatiale nous comptons analyser. Nous

resserrerons ensuite (2.2) notre sujet en mettant en avant les théories déjà existantes

(notamment Vandeloise 1986 ainsi que Becker et Carroll 1997) sur la référence spatiale. Nous

utiliserons dans ces deux parties (2.1 et 2.2) des exemples en français pour permettre la

compréhension des concepts auxquels nous ferons référence. Le recueil des données sera au

centre de la partie suivante (2.3) avant que nous ne nous lancions dans l’analyse proprement

dite de la référence spatiale en kreol mauricien (2.4).

2.1 Concepts généraux ou comment décrire l’espace.

Comme le rappellent Becker et Perdue (in Becker et Carroll 1997, 1-11), la référence spatiale

est un des domaines essentiels pour permettre la communication dans n’importe quelle

langue, tout comme la référence aux entités, la référence temporelle et la modalité. Il est à

rappeler que des études longitudinales ont été effectuées dans les années quatre-vingt par la

European Science Foundation sur l’acquisition de six langues par des adultes migrants. Les

domaines sur lesquels furent axées les recherches sont les références temporelle et spatiale

ainsi que le traitement des entités, pour dire à quel point notre sujet d’étude est crucial dans

l’apprentissage d’une langue.

27

Une langue donnée peut utiliser des moyens assez divers pour exprimer où une entité se

trouve, si sa localisation change, d’où elle vient (son origine) ou encore où elle va (son point

d’arrivée). Nous pouvons ainsi retrouver des outils spatiaux tels que les prépositions (dans,

sur, au-dessus), des adverbes spatiaux (ici, là-bas), des noms spatiaux (l’avant, le côté,

l’arrière) ou encore des verbes de mouvement (aller, venir, tourner). Le sens de ses différents

moyens potentiellement utilisables pour exprimer l’espace reflète la complexité de la

conceptualisation de l’espace faite par l’esprit humain. Un locuteur parlant une langue donnée

doit donc connaître ces différents moyens d’expression et il doit aussi savoir comment s’en

servir à bon escient. Notre travail consiste à voir quels sont les différents moyens disponibles

en kreol mauricien et comment ils sont utilisés; en quelque sorte, d’analyser comment

correspondent le signifié (Sé) et le signifiant (Sa) dans le domaine de la référence spatiale en

kreol mauricien.

Porquier, Cammarota et Giacobbe (1986) nous rappellent que la description de l’espace peut

être divisée en trois sous-domaines distincts: la référence topologique (le placement des

entités dans l’espace), la référence projective (les perspectives ou points de vue du locuteur

sur ces entités) et enfin les verbes de mouvement. Nous choisissons délibérément de ne pas

traiter des verbes de mouvement, puisque cela impliquerait d’analyser en détail tous les

verbes de mouvement, ainsi que les rapports et associations existant entre ces verbes et

d’autres moyens possibles de description spatiale, et plus particulièrement l’usage des

prépositions et adverbes spatiaux.

Claude Vandeloise (1986), propose de dépasser les descriptions classiques (géométrique et

logique) de l’espace pour atteindre ce qu’il appelle la description fonctionnelle de l’espace,

axée sur les références topologique et projective. Nous définirons ci-dessous ces trois

méthodes de description, en montrant les limites des deux premières, ce qui pousse

Vandeloise à opter pour une description plus fonctionnelle de l’espace.

Les méthodes de description spatiale: géométrie, logique et fonctionnalité.

2.1a) La description géométrique…

La première manière de décrire l’espace est selon Claude Vandeloise (1986) de suivre les lois

géométriques. Faire appel à la géométrie implique que l’on utilise des outils spatiaux tels que

les angles, les mesures ou encore les lignes droites. Le fait de choisir des outils, neutres par

28

nature, indique une tendance à vouloir objectiver la description ainsi faite, puisqu’une telle

description se veut indépendante autant du contexte et du locuteur que de la fonction des

objets localisés dans l’espace.

Nous retrouvons selon cette description trois axes transversaux: l’axe vertical et les directions

frontales et latérale (voir la figure 2, ci-dessous). L’utilité de ces notions dans la description

de l’espace est incontestable, quelle que soit la langue dans laquelle on s’exprime.

Fig. 2: les trois axes transversaux de l’espace.

Cependant, nous nous rendons rapidement compte que la notion d’axe ou de direction n’est

pas forcément la plus appropriée. Ainsi, dire qu’un objet est devant soi n’implique pas

inévitablement qu’il soit à la hauteur du regard ou directement face à la personne qui en parle.

Un oiseau peut-être devant quelqu’un alors qu’il vole à plus de dix mètres du sol ou une

rivière peut aussi se trouver devant la même personne, à cinquante mètres en dessous, dans

un ravin. Pour cela, Vandeloise (1986) préfère à cette notion de direction celle plus complexe

d’orientation, qui est une ressemblance de famille.

Vandeloise nous rappelle, de même, que si les trois directions de l’espace cartésien donnent

une assez bonne approximation de la façon dont le langage décrit l’espace, il n’existe pas de

prépositions spatiales qui puissent exprimer la distance absolue. Les notions de proximité et

d’éloignement ne dépendent que des moyens dont on dispose pour atteindre une entité. Un

même endroit peut se révéler proche ou éloigné dépendant de l’accessibilité ou de

l’inaccessibilité du site, pour reprendre les termes utilisés par Vandeloise. Ainsi, Toulouse

peut se révéler proche ou loin de Paris, si on y va à pied, en vélo, en voiture ou en avion. Il

manque donc, dans une description géométrique de l’espace, certains aspects primordiaux

pour la référence, qui sont la prise en compte du contexte et des moyens disponibles.

Axe

vertical

Direction

latérale

Direction

frontale

29

Enfin, il nous reste à parler de la dimensionnalité des objets dans une description géométrique

de l’espace. Faut-il considérer les entités comme ayant une, deux ou trois dimensions ? C’est

une question que soulève Vandeloise puisqu’en français les mêmes prépositions spatiales

peuvent servir pour décrire des entités uni-, bi- ou tri-dimensionnelles. Il prend ainsi pour

exemple les phrases suivantes :

34. Les bijoux sont dans la boite

35. la vache est dans la prairie

36. le curé est dans la file

Il semblerait, à première vue, que la préposition “dans” serve à introduire des entités aux

nombre de dimensions différent. Pour cet exemple, il conclut en disant que le rôle qu’y joue la

dimensionnalité est indirect et secondaire et que l’usage de la préposition “dans” est créé par

le fait que les trois entités possèdent la capacité d’être des contenants potentiels. Ainsi, il

semble donc inutile de se poser des questions sur la dimensionnalité dans l’étude de la

description de l’espace: ce qui importe vraiment est d’établir une correspondance entre la

description linguistique de l’espace (les mots utilisés) et la connaissance extralinguistique

qu’on en a.

Une dernière question reste à notre esprit: “La taille des entités est-elle d’une importance

quelconque dans la description de l’espace?” Or, il semblerait que la grandeur des dimensions

d’un objet ne soit pas vitale dans la référence spatiale. Cependant, il ne nous faudrait pas

mélanger grandeur et importance puisque l’importance d’une dimension peut être

significative dans la description. Ainsi, on associe souvent l’épaisseur à la plus petite

dimension, alors qu’il faudrait plutôt la rapprocher de son degré de résistance et de sa densité.

L’épaisseur d’une vitre peut être minime et pourtant suffire à protéger quelqu’un du froid en

hiver ou un banquier d’éventuelles attaques: elle devient donc vitale en bien des sens.

Vandeloise finit son exposé sur la dimensionnalité en concluant que:

“Parce qu’elle s’attache aux apparences sans chercher leurs causes, une analyse géométrique en termes de dimensions prioritaires n’associe l’épaisseur qu’aux facteurs dont dépend habituellement la résistance. Elle néglige les facteurs qui affectent moins

30

régulièrement la solidité du corps ou se contente de les citer en les mettant sur le compte de l’arbitraire.”

2.1b) La description logique

La deuxième méthode de description de l’espace est la description logique. Elle implique une

idéalisation des termes de la relation. La logique n’admet pas d’ambiguïté: ainsi, un mot qui

serait n fois polysémique devrait être représenté dans la langue par n symboles différents. Ceci

reprendrait le postulat de Saussure qu’un signifié n’a qu’un signifiant et inversement. Or, il

semblerait qu’un mot puisse avoir plusieurs sens, et donc différentes perspectives. Vandeloise

utilise pour démontrer cela deux phrases que nous reproduisons ci-dessous, accompagné de la

scène:

Fig. 3

37. la chaise est en dessous de la table1

38. le papier est en dessous de la table2

La première phrase (37) indique que la chaise est située sous la partie supérieure de la table,

mais se révèle fausse si l’on parle de la totalité de l’objet, comme est le cas dans la phrase 38.

Nous devrions donc avoir, si nous respections les règles de la logique, deux mots distincts

pour différencier les deux conceptions de la table que présentent les deux phrases ci-dessus.

Vandeloise conclut sa démonstration en disant que:

“La multiplicité des symboles attachés à un même mot ne lui pose évidemment aucun problème technique. Elle montre cependant combien la complexité des relations spatiales et de notre perception des objets est sous-estimée par les descriptions logiques de l’espace.”

Vandeloise (1986) continue son exposé sur la description logique des prédicats en analysant

quels genres de rapports entretiennent entre eux le sujet et l’objet dans une phrase servant à

décrire l’espace. Il semblerait qu’il y ait une asymétrie dans cette relation puisque le sujet se

révèle être toujours la cible (l’entité qu’on tente de situer dans l’espace) alors que l’objet est,

31

inévitablement le site (l’entité par rapport à laquelle on se situe). Il prend pour exemple les

phrases ci-dessous:

39. La pierre est devant la maison

40. * La maison est derrière la pierre

La phrase 39 est correcte puisque la cible (la pierre) est le sujet de la phrase alors que le site

est l’objet (la maison). Cependant la phrase 40 n’est pas correcte bien qu’elle semble, à

première vue, respecter les mêmes règles. Vandeloise nous ramène à la définition de la cible

et du site, qui se révèle très utile pour décrire l’espace, en ces termes:

“Cette asymétrie est due à la fonction de ces prépositions [devant, derrière] qui situent un objet petit et mobile de position inconnue (la cible) par rapport à un objet plus grand et plus stable de position connue (le site). La cible est toujours le sujet de la relation spatiale et le site, son objet. La phrase [40] semble bizarre parce qu’elle viole cette contrainte[…]. Les descriptions effectuées en logique des prédicats ignorent généralement les contraintes sur la cible et le site.”(p20)

Ainsi pour Vandeloise, un tort majeur de ce type de description est qu’il fait totalement

abstraction du contexte et, donc, de certaines contraintes imposées sur les différents acteurs de

la relation spatiale. Nous reviendrons sur la définition du site et de la cible dans notre

prochaine partie (2.1a).

2.1c) La description fonctionnelle

Après avoir analysé ces deux genres de description et en avoir montré les limites, Vandeloise

propose de “décrire les mots spatiaux par rapport à des concepts fonctionnels liés à la

connaissance extralinguistique de l’espace que partagent les locuteurs d’une même langue”

(p22). Il existe pour lui cinq groupes de traits universaux, qu’il appelle les “primitifs

indéfinissables”. Ceux-ci jouent un rôle crucial dans la description des mots spatiaux et que

nous décrirons ci-dessous.

Le premier groupe de traits essentiel à toute description spatiale est la forme du corps humain.

Nous ne pouvons nier le caractère anthropomorphique de la référence spatiale, puisque la

symétrie et la fonction du corps humain régissent les orientations frontale et latérale. La

symétrie du corps humain est clairement à l’origine de l’orientation latérale et les termes

32

utilisés dans différentes langues pour faire référence à un côté ou l’autre du corps humain sont

provoqués par la fonction des mains, et notamment le complexe du gaucher. En français, le

côté droit est appelé ainsi à cause de la main droite (adroite), alors que le côté gauche est

nommé ainsi à cause de la fonction de la main gauche (malhabile). De même, en anglais, les

termes utilisés pour faire référence à ces mêmes côtés sont dus respectivement à “the right

hand” (la bonne main), et “the left hand” (la main qui reste, l’autre).

La physique naïve est à l’origine de notre deuxième groupe de traits puisque tous les usagers

d’une même langue semblent, à première vue, partager certaines croyances sur le monde, ce

qui a amené Saussure à postuler que les langues découpent le monde de manières différentes.

Vandeloise cite les relations de porteur/porté et de contenant/contenu qui régissent l’usage de

certaines prépositions en français.

Vient ensuite l’accès à la perception, puisqu’il semblerait que nombre de prépositions

spatiales soient régies par cela. Vandeloise ajoute que seules deux prépositions fonctionnent

ainsi en français du fait de la non-perception qu’elles décrivent, derrière et sous. Ainsi, un

objet placé dans le dos de quelqu’un sera derrière lui. Par contre un autre objet placé devant

lui, mais caché à sa vue par un mur, sera dit derrière le mur. Ainsi, ce qui relie ces deux objets

est qu’ils sont tous deux hors du champ de vision de la personne qui parle d’eux, ce qui

pousse Vandeloise à dire que:

“Dans cette commune imperceptibilité se trouve le pont pragmatique qui relie les deux versions de la préposition derrière et qui motive le choix d’un même mot pour caractériser deux régions différentes de l’espace, un choix qui serait autrement jugé arbitraire.” (p25)

Le quatrième groupe de traits essentiel dans la description de l’espace est la rencontre

potentielle. Savoir qu’une entité est en mouvement et se dirige vers un but peut s’avérer

essentiel dans des énoncés de description spatiale. Ainsi, dire que Lance Armstrong (le

vainqueur du Tour de France) est avant Richard Virenque signifie qu’il est situé plus près de

la ligne d’arrivée que son concurrent. On ne peut parler de mouvement potentiel que s’il est

dirigé vers un but précis.

Enfin, le dernier point susceptible de capter notre attention est l’orientation générale et

l’orientation latérale. L’orientation générale est un concept beaucoup plus large que la

33

direction frontale, qui englobe aussi bien celle-ci, que la ligne du regard et la direction du

mouvement. L’orientation latérale, quant à elle, a pour traits principaux la direction latérale et

la perpendicularité à l’orientation générale. Cependant cette liste n’est pas exhaustive et il

serait tout à fait possible d’y rajouter d’autres traits.

Nous nous proposons de décrire l’espace de manière fonctionnelle en gardant en tête les

aspects positifs des descriptions logique et géométrique, dont nous avons vu les limites. Nous

avons aussi décidé de ne pas traiter des verbes de mouvement bien que, dans notre analyse

des localisations topologique et projective, nous soyons peut-être amenés à les y intégrer.

2.2 Le cadre d’analyse.

Nous analyserons dans cette partie comment fonctionnent les relations spatiales en mettant

l’accent sur leur asymétrie(2.2.a) et la représentation des objets (2.2b) telles qu’elles sont

présentées par Vandeloise. Nous terminerons cette partie par la structuration de l’espace

(2.2c), traitée ici essentiellement du point de vue de Becker et Carroll.

2.2a) L’asymétrie des relations spatiales.

Dans cette partie, nous montrerons que les relations spatiales ne se font pas de n’importe

quelle manière: certaines règles et lois régissent ces relations, en donnant des rôles et des

emplacements spécifiques à chaque entité qui participent à leur création.

Les relations entre la cible et le site

Il est entendu qu’il s’avère impossible d’effectuer la moindre description de l’espace sans

qu’il y ait, au préalable, un point de référence. Vandeloise dit qu’un “objet dont la position est

incertaine ne peut être localisé sans référence à une entité dont la position est mieux connue”

(p34). Cette entité par rapport à laquelle pourra se faire la référence est ce que nous appelons

le site. D’autres linguistes utilisent les termes de “ground” (Talmy) ou encore de “landmark”

(Langacker). L’objet que l’on tente de situer dans l’espace est, lui, la cible que Talmy appelle

“figure” et Langacker, “trajector”.

34

Dans des phrases bien formées, la cible est toujours le sujet alors que le site est l’objet de la

relation. Il nous est généralement facile de reconnaître la cible du site dans les relations où ils

interviennent puisqu’ils possèdent chacun leurs propres caractéristiques. Ainsi, on dira de la

cible qu’elle est mobile ou susceptible de bouger. Elle est plus souvent petite ou difficile à

repérer. A cause de cela, la position de la cible est une information nouvelle. Le site est, quant

à lui, massif et donc facile à distinguer, et demeure immobile et stable. Sa position n’est

souvent pas une surprise et demeure une information ancienne. Ainsi, dans les phrases 41 et

42 ci-dessous, les cibles seront “l’arbre” et “l’arrêt de bus” respectivement alors que les sites

seront “l’église” et “la maison”. La phrase 43 peut nous surprendre puisque les

caractéristiques de la cible et du site semblent être interverties. Cette phrase demeure

néanmoins acceptable du fait que l’arrêt de bus peut être considéré comme un point

stratégique de passage sur une route donnée et qu’il devient ainsi un point de repère, à partir

duquel il devient alors possible de se situer.

41. L’arbre est près de l’église

42. L’arrêt de bus est près de la maison

43. La maison est près de l’arrêt de bus

Les relations entre le site et le locuteur

Nous nous intéresserons ici aux relations existant entre le site et le locuteur qui l’utilise

comme point de référence, en mettant en exergue que ces relations sont particulièrement

sujettes au point de vue ou à la perspective du-dit locuteur. Il semblerait ainsi que plus la

localisation est égocentrique, moins on a d’informations sur le site, qui est parfois totalement

absent de la phrase, comme le montre l’exemple 44. Au fur et à mesure que la localisation

s’objective, nous assistons à une complexification de la phrase, comme le montrent les

exemples 45 et 46 ci-dessous.

44. Paris est près

45. Paris est près de Saint-Denis.

46. Paris est près par rapport à Saint-Denis

35

Dans la description qu’il est en train d’effectuer, le locuteur a le loisir de choisir son niveau

d’engagement dans la relation qu’il entretient avec ce dont il parle. Du stade le plus

égocentrique, et donc subjectif, au stade le plus indépendant du locuteur, plusieurs niveaux de

participation de celui-ci ont été remarqués. Les étapes suivantes ont été notées par Vandeloise

(1986) sur le niveau d’engagement du locuteur francophone:

a) Site inexprimé référent à la position réelle du locuteur.

b) Site inexprimé référent à la position virtuelle du locuteur.

c) Site exprimé introduit par la préposition de, traduisant un détachement partiel du site

et du locuteur.

d) Site exprimé introduit par l’expression par rapport à, traduisant le détachement total

du locuteur et du site qui devient un point de référence délibérément adopté.

La description qu’un locuteur fait de l’espace peut aussi être influencée par le point de vue

qu’il adopte, ce que Vandeloise (1986) appelle le “principe de transfert”. Il définit ce principe

comme “la faculté que possède le locuteur de se déplacer mentalement en tout point utile à la

perspective selon laquelle il conçoit la scène objective qu’il décrit”. Le transfert peut être

total, dans le cas où le locuteur adopte la position du site et son orientation, ou partiel, quand

le locuteur structure l’espace par rapport à l’orientation latérale du site tout en gardant sa

propre orientation générale. Nous reprenons l’exemple proposé par Vandeloise pour montrer

ces deux possibilités de transfert à travers les phrases 47 et 48, auxquelles correspondent les

figures 4 et 5:

47. La table est à gauche de la chaise

48. La table est à gauche par rapport à la chaise.

Fig. 4 Fig.5

36

Les prépositions directionnelles et les prépositions fonctionnelles

Nous avons vu que la description relève essentiellement d’une relation à deux termes, le site

et la cible. Cependant, nous avons aussi remarqué qu’un troisième facteur, le locuteur,

s’immisce parfois dans cette relation, qui devient ainsi une relation tripartite. Les relations à

deux termes caractérisent généralement la position de la cible par rapport au site selon des

directions précises, respectivement verticale, frontale et latérale. Vandeloise les appelle des

“relations directionnelles”, qui sont introduites en français par les couples de prépositions au-

dessus/en dessous, devant/derrière et à droite/à gauche. Les relations à trois termes, ou

“relations fonctionnelles”, décrivent la manière dont les termes s’organisent spatialement

selon n’importe laquelle de ces directions: un ordre leur est donc attribué selon la perspective

du locuteur. Ces relations fonctionnent en français avec des couples de prépositions tels que

avant/après et devant/derrière.

2.2b) La représentation des objets.

L’objectif de cette sous-partie est de montrer comment sont perçus les deux termes d’une

relation spatiale, le site et la cible. Comme ces relations semblent très complexes, un

phénomène de simplification se produit parfois, et les objets se trouvent souvent idéalisés en

fonction de la perspective selon laquelle on veut les considérer. Nous verrons rapidement en

quoi ce phénomène d’idéalisation peut se révéler erroné dans la description de l’espace. Nous

verrons ensuite quelle(s) orientation(s) est(sont) donnée(s) aux entités composant les relations

spatiales.

Idéalisation des termes de la relation spatiale

Comme nous venons de le mentionner, un phénomène d’idéalisation se produit quand les

relations spatiales semblent trop compliquées. Cependant, il nous faut être vigilant car ce

genre de raisonnement peut être simpliste. Nous en profitons pour rappeler que les termes

d’une relation spatiale ne sont pas forcément des objets et qu’ils peuvent tout aussi bien être

des gaz, des liquides, ou encore des entités géographiques ou des trous. Nous reprendrons

l’exemple proposé par Vandeloise avec les deux phrases ci-dessous :

37

37. la chaise est en dessous de la table1

38. le papier est en dessous de la table2

Nous avions vu précédemment que la table était parfois considérée dans sa totalité et parfois

partiellement dans la description de l’espace. Dans la phrase 37, la table n’est conçue que

dans la perspective de sa surface supérieure, alors que la phrase suivante (38) comprend la

table dans son entièreté. Ainsi se révèle la créativité de la perception qui se permet parfois de

ne considérer un objet que comme une partie d’un tout, par métonymie. Refuser la polysémie

induite par l’expression prépositionnelle en dessous de dans ces deux exemples serait réduire

le langage à quelque chose de figé et, finalement, de peu inventif. Il serait donc plus judicieux

de ne pas catégoriser les termes de la relation spatiale, sans prendre en compte le contexte

dans lequel ils sont placés. Une telle perspective relève plus d’une approche pointilliste que

d’une approche globale au premier abord, mais elle permet une meilleure compréhension de

la manière dont les acteurs de la relation interagissent l’un sur l’autre.

L’orientation intrinsèque des objets

Certains objets et entités possèdent, de par leur nature, une orientation qui demeure

inamovible. Prenons pour exemple le corps humain ou une voiture. Tous deux possèdent

certaines caractéristiques qui résultent d’une conceptualisation anthropomorphique de leur

essence propre. Le corps humain, comme la voiture, possède un avant et un arrière qui sont

régis par un certain nombre de traits de famille, tels que la direction du mouvement, la ligne

du regard ou une face garnie d’un plus grand nombre de détails. Ainsi, même si un homme

marche en reculant et en tournant la tête d’un côté, ou qu’une voiture recule, cela n’affectera

pas l’orientation de la voiture ou de l’homme. Personne ne pourra dire que le côté où se

trouve ses yeux, son buste et la pointe de ses pieds est l’arrière de sa personne s’il marche à

reculons, tout comme nul ne viendra remettre en cause le fait que l’avant de la voiture est

celui vers lequel le conducteur est dirigé, même si cet engin est propulsé vers l’arrière.

Vandeloise (1986) propose de trouver une règle qui explique ce fait indéniable que certains

objets possèdent une orientation propre et il l’appelle “le principe de fixation”. Il définit ce

principe en ces termes: “un objet peut être qualifié par rapport à sa position usuelle, même si

sa position diffère au moment de l’énonciation”(p50).

38

L’orientation contextuelle des objets

D’autres objets, enfin, ne possèdent pas d’orientation propre, tels les arbres, sphères ou autres

objets cubiques. Leur orientation leur est fournie par le locuteur qui, dans un contexte donné,

situera les objets par rapport à sa propre position ou par rapport à un site intrinsèquement

orienté. D’autre part, il est à rappeler que toutes les langues ne situent pas les objets de la

même manière.

Fig. 6 Fig.7

Nous nous rendons compte, par exemple, que le français et le hausa, langue d’Afrique

occidentale, ne structurent pas l’espace de la même manière. Alors qu’un francophone

orientera l’arbre face à lui, le hausa l’orientera inversement. Cependant tous deux lui

attribueront leur orientation latérale. La première orientation est dite “en miroir” et la seconde

“en tandem”. Alors que l’orientation en tandem semble être généralement due au mouvement

de l’objet, il semblerait que l’orientation en miroir soit provoquée par des raisons

anthropomorphiques. Lorsqu’un meuble est placé dans une pièce, la face où il y a le plus de

détails, ou celle sur laquelle se situent d’éventuels tiroirs ou portes (le devant

anthropomorphique), est la face qui est tournée vers le locuteur. Ainsi, le devant se trouve être

face au locuteur alors que ce dernier attribue sa propre orientation latérale au meuble en

question. Vandeloise conclut donc que le premier mode d’orientation des objets est

anthropomorphique, auquel succède l’étape positionnelle, qui se produit ensuite dans le seul

but d’orienter les objets dont l’asymétrie était insuffisante.

français

Le

devant Le

derrière

Le

derrière Le

devant

hausa

D

G

D

G

39

2.2c) La structuration de l’espace en sous-espaces.

Becker et Carroll (1997) traitent longuement de la manière dont l’esprit humain structure et

conceptualise l’espace. Elles font la distinction entre deux types de sous-espaces: les sous-

espaces topologiques, qui constituent une structuration élémentaire de l’espace, et les sous-

espaces qui sont définis pas un système d’axes coordonnés. Nous ne reparlerons pas des

systèmes d’axes coordonnés, puisque cette partie de leur cadre d’analyse correspond à nos

parties sur l’asymétrie dans les relations spatiales (2.2a) et de la représentation des objets

(2.2b). Nous ne parlerons donc ici que des sous-espaces topologiques, qui ont été traités dans

le détail par Becker et Carroll (1997).

En premier lieu, il nous faut rappeler que le terme “topologique” s’applique à un type

spécifique de structuration de l’espace qui présente des propriétés que l’on retrouve en

topologie mathématique. Becker et Carroll définissent la topologie en ces termes:

“Topology is the study of properties of collections of related physical or abstract elements which are retained under deformation like bending, stretching and squeezing.” 6

Ainsi, il apparaît que la forme, la taille et la distance sont hors de propos dans la topologie,

puisque l’objet d’étude est plutôt lié à la “connectivité” de l’entité. Les configurations de la

topologie sont plutôt considérées comme des ensembles de points et chaque espace

topologique est décrit en termes d’ensembles de points, de groupes de sous-ensembles définis

comme des ensembles ouverts et d’opérations d’unions et d’intersections présentes entre ces

ensembles. Le concept du point de limite est d’une importance fondamentale, comme le

disent Becker et Carroll (1997):

“A point p is called a limit point of the set S if every open set containing P also contains some point(s) of S. For example, if M is the set of all points enclosed by a triangle T, then every point of T is a limit point of M; also every point of M is a limit point of M. But no point exterior to T is a limit point of M. Limit points comprise inner points and boundary points. ” 7

Un ensemble ne peut être fermé que si son complément est un ensemble ouvert. Un ensemble

qui ne contient que des points intérieurs est un ensemble ouvert. C’est uniquement en ajoutant

les points frontière aux points intérieurs que l’ensemble devient fermé. Un ensemble de

40

“points limite” (points intérieurs et points frontière) est donc fermé puisque son complément

(l’ensemble de points extérieurs) est un ensemble ouvert. On obtient ainsi la structure suivante

des espaces topologiques: un ensemble de points limite, un ensemble de points intérieurs, un

ensemble de points frontière et un ensemble de points extérieurs.

Les langues font une autre subdivision de l’espace intérieur qui ne joue pas de rôle dans la

topologie mathématique (bien qu’une définition en termes topologiques soit possible). Les

entités sont conçues comme ayant un “voisinage” qui constitue une sorte de “région

d’interaction”. La figure 8, ci-dessous, représente schématiquement la structure des sous-

espaces:

Fig. 8 Les sous-espaces topologiques (Becker et Carroll 1997)

Les sous-espaces topologiques sont déterminés par rapport à l’emplacement du site. La

conceptualisation de l’emplacement du site et de ses sous-espaces est lié aux concepts d’un

objet qui prennent en compte la forme de l’objet, son importance, sa fonction, etc. Nous

présenterons le point de vue de Becker et Carroll (1997) qui traitent ces sous-espaces sous cet

aspect.

Le concept de sous-espace intérieur est particulièrement flexible et peut être attribué à des

entités aux formes très différentes. Le site peut être creux ou connecté matériellement (eg.

dans la bassine / dans l’eau), il peut aussi être fermé ou partiellement ouvert (eg. dans la

boite / dans la cage) et peut aussi être idéalisé comme ayant deux ou trois dimensions (eg.

dans le désert / dans la maison). Il n’existe pas une caractéristique spécifique, concernant la

forme, qui puisse réaliser le concept d’un espace intérieur, mais plutôt une combinaison de

Espace

extérieur

Espace

intérieur

Frontière

Espace

avoisinant

Espace

frontalier

41

caractéristiques. Les objets à trois dimensions, creux et fermés ont un espace intérieur

archétypique et ils servent généralement de conteneurs. La probabilité que l’on donne un

espace intérieur à de tels objets est très forte. Becker et Carroll ajoutent que la probabilité de

la conceptualisation d’un sous-espace alternatif et de variations trans-linguistiques augmente,

au fur et à mesure que les caractéristiques concernant la forme de l’objet s’estompent.

La frontière enferme le sous-espace intérieur. Elle peut être représentée comme une surface à

deux dimensions (eg. sur la table) ou comme un bord unidimensionnel (eg. sur le bord de la

falaise), selon la forme de l’objet. Dans les exemples précités, la frontière constitue la surface

externe du site. Un objet peut posséder une surface uniforme continuelle ou une surface

structurée en termes de côtés, comme par exemple une balle ou un cube, respectivement. La

surface peut être horizontale, verticale ou diagonale, bien que les surfaces horizontales servent

plus généralement de support aux autres entités, à cause des lois de la gravité. Le concept

spatial de surface est donc intimement lié au concept fonctionnel de support, nous rappelle

Vandeloise (1986). Une localisation relative à la frontière implique la contiguïté de la cible et

du site. Enfin, la surface peut être structurée en termes de côtés. Le concept de côté est plus

complexe que celui de frontière, en ce qu’une première distinction est faite entre les côtés

intérieurs et extérieurs et qu’un côté peut est spécifié, en ce qui concerne les directions, en

côté droit ou gauche, avant ou arrière, et au-dessus ou en dessous.

Le “voisinage”, en tant que sous-espace, entoure l’emplacement du site. Il constitue une sorte

de “sphère d’influence” dans laquelle une interaction avec le site est possible. L’attribution

d’un voisinage présuppose que le site soit lié ou inamovible, ce qui ne sera pas le cas d’une

entité comme l’air, par exemple. Le voisinage s’étend jusqu’à la frontière, sans pour autant

l’englober. Dans une perspective topologique, le voisinage s’étend dans toutes les directions,

bien qu’on se rende compte qu’il existe des restrictions entourant le voisinage sur les plans

horizontaux et verticaux. Ainsi, la représentation de l’étendue du voisinage varie énormément,

dépendant d’un certain nombre de paramètres tels que l’étendue du domaine spatial, la taille

du site et de la cible, l’importance des entités. Vandeloise (1986) propose une définition de ce

principe de “voisinage” en ces termes :

“Un point acquiert la qualification d’un autre point aussi longtemps qu’il n’est pas plus proche d’un point qui porte une qualification contradictoire”.

42

La frontière enferme l’espace intérieur et constitue de même un espace extérieur. Il est le

complément de l’espace intérieur, ce qui signifie qu’il commence à la frontière et s’étend en

principe, de là, jusqu’à l’infini. Le fait que la localisation, concernant ce sous-espace, est

considérée comme utile, sans prendre en compte son étendue gigantesque, est causé par des

raisons pragmatiques. La localisation implique toujours un contraste entre un sous-espace

intérieur et un autre, extérieur. Ainsi, une description comme le chien est hors de la cour

donne une indication sur l’emplacement de la cible, mais souligne aussi le fait qu’elle n’est

pas située dans un sous-espace intérieur.

Quelques langues possèdent la capacité de situer la cible par rapport à l’emplacement du site,

sans que la spécification en sous-espaces soit nécessaire: ceci est la relation topologique la

plus neutre qui puisse être. Enfin certaines expressions de localisation établissent un sous-

espace qui comprend l’emplacement du site et de son voisinage. Ce sous-espace, appelé

région, est centrale pour la description du sens des adverbes déictiques. Ici localise la cible

dans la région du locuteur alors que là-bas la situe hors de ce périmètre.

2.2d) Les sites complexes et les changements de place.

Les seuls éléments qui nous semblent encore manquer à notre présentation des théories sur la

description de l’espace sont les sites complexes et les déplacements. Ils nous semblent

essentiels puisque nous les retrouvons dans les tâches que nous avons choisies pour recueillir

nos données, à savoir les descriptions d’image et indications d’itinéraire dont nous parlerons

plus longuement plus tard (2.3a).

Les sites complexes

La plupart des expressions spatiales impliquent une relation entre une cible et un sous-espace

se référant à un site unique. Cependant, nous retrouvons des outils spatiaux, comme les

prépositions anglaises between et among ou les prépositions françaises entre et parmi, qui

requièrent des sites “complexes”, composés d’entités disjointes. Becker et Carroll (1997)

rappellent la définition que fait Klein pour un “espace entre”, divisé en deux composants :

“If v and w are two places and if A(v,w) is the smallest place which contains v and w,

then Z(v,w) is equal to A(v,w) minus the places v and w themselves.”8

43

Les changements de place

Toutes les langues font certainement la différence entre une localisation statique et un

changement de localisation, en ce qui concerne la cible. C’est à travers le sens des verbes, le

sens des outils spatiaux et, dans certaines langues, les flexions casuelles que l’on peut savoir

s’il y a déplacement ou pas. Les verbes de position (comme être debout ou s’allonger)

s’opposent aux verbes de mouvement (comme aller ou mettre), les outils spatiaux statiques

(comme at, en anglais) aux dynamiques (comme to, en anglais). Il arrive cependant que

certains outils spatiaux puissent contenir les deux fonctions. La distinction se fait alors à

travers les flexions casuelles, le verbe ou le contexte. Dans le présent travail, nous avons

décidé de ne pas traiter des verbes de mouvement. Il s’avère cependant que nombre de ces

verbes, combinés à d’autres outils spatiaux, sont d’une importance capitale aux descriptions

topologique et projective en kreol mauricien. Nous parlerons de ces verbes et de l’interaction

existant entre eux et d’autres outils spatiaux dans notre analyse de la description spatiale en

kreol mauricien (2.4j).

44

2.3 Méthodes de recueil

Afin de parvenir à notre objectif, qui est de montrer comment s’effectue la localisation dans la

description spatiale en kreol mauricien, nous avons sélectionné certaines tâches, que nos

informateurs ont eu à accomplir. Porquier, Cammarota et Giacobbe (1986) proposent une

grille fort intéressante qui recouvre la caractérisation de certaines tâches spatiales et que nous

reproduisons comme suit:

Description d’appart.

Indication d’itinéraire

Indications scéniques

Description d’image

Récit de film

Conversation « objet caché »

1. Tâche spécialisée

+

+

+

+

-

-

+

2. Tâche guidée - +, - + ( + ) ( + ) - ( + ) 3. In situ - - + + + ( - ) + 4. Co-présence des

interlocuteurs

+

+, -

+

+

+

+

+ 5. Référent visuel/

spatial connu de l’enquêteur

( - )

+, -

+

-

( - )

( - )

+

6. Pragmatique DEC EXP, DCF DDF DEC NAR (NAR) IND, DDF 7. Deixis P P O ( P ) ( P ) ( P ) O 8. Relations

topologiques

+

+

+

+

+

+

+ 9. Relations

projectives

( + )

( + )

+

+

( + )

( + )

+ 10. Verbes de

mouvement

( - )

+

+

( - )

+

( + ) -

(+) Oui en principe, mais peut-être non selon les circonstances ou le mode d’exécution de la tâche (-) Non en principe, mais peut-être oui selon les circonstances ou le mode d’exécution de la tâche +, - Les deux cas se présentent

1. Tâche spécifique ment destinée à fournir des expressions spatiales. 2. Tâche pour laquelle sont fournies des indications préalables précises, servant de stimulus, de support ou de cadre à

l’expression par l’informateur de relations spatiales spécifiques. 3. La référence spatiale renvoie à l’espace perceptuel immédiat. 4. Co-présence physique ( - dans le cas d’échange téléphonique). 5. L’espace décrit ou évoqué est connu, ou non, ou partiellement de l’enquêteur. 6. Caractérisation approximative, mais suffisamment distinctive : DEC = décrire, EXP = expliquer, DCF = dire comment

faire, DDF = dire de faire, NAR = narrer, IND = indiquer 7. P = deixis am Phantasma, O = deixis ad oculos. Voir 3, 4 et 5. 8. Ne prennent pas en compte l’origo. 9. Prennent en compte l’origo dans un axe sagittal, horizontal ou vertical.

10. Verbes de mouvement-déplacement normalement requis ou prévisibles dans une tâche donnée.

Tableau 4 : Caractérisation des tâches spatiales (Porquier, Cammarota et Giacobbe 1986)

45

Après mûre reflexion et de nombreuses discussions avec M. Porquier, nous avons décidé

d’opter pour les descriptions d’image et les indications d’itinéraire. Ces deux tâches ont pour

avantage de permettre à l’enquêteur d’être en contact (physique) avec les informateurs. Elles

sont spécialisées et guidées, ce qui donne à l’enquêteur la possibilité de diriger la discussion

dans le sens des informations qu’il désire recueillir. Elles permettent enfin de recouvrir les

relations topologiques et projectives, qui caractérisent l’aspect de la référence spatiale sur

lequel nous avons choisi de porter notre étude.

2.3a) Le déroulement de l’enquête

Les descriptions d’image.

En guise de support pour cette tâche, nous avons pris une image proposée par M. Porquier,

qui a de surcroît déjà été utilisée dans des enquêtes similaires à celle que nous effectuons.

Nous donnons une copie de cette image représentant une scène sur un grand boulevard de

Paris en annexe (p.66).Cette image est très intéressante dans la perspective d’une description

car elle foisonne d’éléments: des personnages, des rues, des bâtiments et autres objets. Ceci

permet aussi de vérifier si les informateurs considèrent cette image comme un espace biplane

( l’espace de la feuille) ou comme un espace à trois dimensions (la scène en elle-même). Elle

est aussi révélatrice du point de vue de l’informateur, ce que Vandeloise (1986) appelle dans

son chapitre « la relation entre le site et le locuteur » (37-41) le principe de transfert, à savoir

si le locuteur se déplace mentalement dans l’espace auquel il fait référence pour le décrire ou

demeure un descripteur en recul.

Durant le premier interview où nous avons utilisé la description d’image comme tâche

spatiale, nous avions demandé à deux amis de bien vouloir se prêter au jeu, sans leur avoir dit,

au préalable, en quoi consisterait l’interview, qui a eu lieu le jeudi 6 février 2003 à la

résidence Lucien Paye, à la Cité Internationale Universitaire de Paris dans le 14e

arrondissement. Les deux informateurs, Danen, et Kishan, étaient chez Danen ce jour-là et

une amie à eux, Kovisha, y était aussi. Cette présence contrariait un peu notre projet de

travail, puisque nous n’avions prévu de rencontrer que nos deux informateurs, mais nous

46

avons commencé notre entretien, non sans avoir demandé à la dite demoiselle de participer le

moins possible, pour permettre le bon déroulement de la tâche.

Il nous semble important de donner un plan sommaire de la chambre de Danen pour

comprendre et apprécier les conditions et l’espace dans lesquels s’est passé l’interview.

Fig. 9 : Plan de la chambre de Danen

Nous avons dans un premier temps demander à Danen et Kishan de s’asseoir comme sur le

dessin, en leur expliquant qu’un d’entre eux devrait à décrire une image que l’autre aurait

ensuite à dessiner sans pour autant la voir. Après une longue discussion et de nombreuses

négociations pour savoir lequel des deux dessinait le mieux, Danen a finalement accepté

d’assumer le rôle de dessinateur, alors que Kishan décrirait l’image. Assise à côté de lui,

Kovisha voyait le dessin proposé sans avoir la moindre idée de l’esquisse composée par

Danen, sous les indications de Kishan. Nous avons préféré nous tenir en retrait par rapport

aux deux informateurs, afin de ne pas voir les dessins et de ne pas avoir la tentation de les

diriger à tout bout de champ durant la tâche. Il nous semblait plus approprié d’écouter ce qui

se disait entre eux en intervenant le moins possible, ce qui avait le double avantage de leur

laisser le maximum de liberté quant à l’interaction autour de l’image à décrire et de nous

concentrer sur les échanges verbaux plus que sur l’image, que nous connaissions déjà. Le

résultat fut plutôt satisfaisant, l’interview se déroulant presque normalement malgré la

présence d’un magnétophone. Certains passages sont malheureusement inaudibles et nous

Placard Fenêtre Porte Lavabo

Table

Armoire

Lit

Etagère

Danen

Kovisha

enquêteur

Kishan

47

proposons une transcription de l’interview en annexe (p3-27), ainsi qu’une copie du dessin de

Danen (p.67).

La deuxième interview utilisant la description d’image comme mode de recueil

d’informations a eu lieu le mercredi 19 mars 2003 au bâtiment L. de l’Université Paris X-

Nanterre, dans une cage d’escalier puisque nous n’avons malheureusement pas pu trouver de

salle de libre par faire passer notre entretien. Nous ne connaissons pas très bien David et

Yasin et ne pourrons donc en faire une présentation détaillée dans la deuxième phase de cette

sous-partie (2.3b). L’ambiance était plutôt tendue entre les informateurs et le dictaphone

semble avoir paralysé Yasin au départ. Nous avons eu à intervenir entre les informateurs plus

souvent que lors de la première interview et les résultats obtenus cette fois-ci furent parfois

très différents de ce que nous avions recueilli dans le premier entretien. Cela nous a permis de

nous lancer sur d’autres pistes puisque Yasin, dans sa description de l’image, a eu recours à

certains moments à des termes anglophones. Y aurait-il donc un problème pour décrire

l’espace en kreol mauricien qui relèverait d’une inadéquation des termes disponibles en

kreol ? Ou alors, faut-il mettre ce choix de passer par l’intermédiaire d’une autre langue, que

fait Yasin, sur le compte du stress ? Nous tenterons de répondre à ces questions dans notre

analyse (2.4). Nous avons cependant eu de réelles difficultés à retranscrire cet entretien

puisque nous n’entendons pas toujours Yasin sur l’enregistrement. Ceci explique le fait que

nous donnerons de larges extraits de cet entretien en annexe. Le dessin fait par David est

donné en annexe (p.68), tout comme la transcription de l’interview (p28-57).

Les indications d’itinéraires.

Lors d’un passage à Londres en début d’année, nous avons profité de l’occasion pour

interviewer Stéphane le dimanche 2 mars. Nous étions chez sa tante, dans le sud de Londres,

et nous lui avons proposé de faire un court entretien. Nous avons décidé de lui demander

certains itinéraires que nous connaissions tous deux, en insistant pour garder sa maison

comme point de départ. Nous prenions nos informations en posant des questions de

type: « Comment fais-tu pour aller chez/à X ? ». Un peu interloqué au départ par nos

questions, du fait que Stéphane savait pertinemment bien que nous connaissions les itinéraires

en question, il a finalement joué le jeu, non sans difficultés. Il faut noter que la présence du

48

dictaphone a surpris l’informateur qui a néanmoins surmonté son trac initial pour répondre à

nos questions. Nous avons aussi dû reformuler nos questions sous la forme: « Si A est chez

toi, comment lui expliques-tu la route à prendre pour aller chez/à X ? » A cette question,

Stéphane a été beaucoup plus réceptif et nous a donné nombre d’informations très précises sur

l’itinéraire, en indiquant les directions et noms de rues. Nous donnons une transcription de cet

entretien en annexe (p58-65)

2.3b) Présentation des informateurs

Pour des raisons de commodité, nous avons choisi d’interviewer en priorité des personnes

habitant de préférence sur Paris ou la région parisienne, tous mauriciens ayant quitté Maurice

ces deux dernières années, ce qui est le cas de quatre de nos cinq intervenants dans les

descriptions d’image. Nous avons tenu à respecter ce dernier critère parce qu’il nous semble

indispensable que nos informateurs aient un souvenir assez présent de leur expérience

(socio)linguistique à Maurice. Nous avons aussi profité d’un court séjour à Londres pour

interviewer Stéphane, qui est au Royaume-Uni depuis novembre 2002 et dont le profil est

assez différent de celui de nos autres informateurs, ce qui nous permet de voir comment la

diversité socioculturelle de ces mauriciens influe sur les moyens qu’ils mettent en œuvre pour

décrire l’espace.

Danen, homme de 25 ans, de nationalité mauricienne, est étudiant en 2e année de Génie des

systèmes industriels à Evry (BAC +4). Il habite à la Cité Internationale Universitaire de Paris

depuis son arrivée en France en septembre 2001. Il a pour langue première le créole mauricien

et pour langue seconde le français et l’anglais.

A l’île Maurice, Danen utilisait presque exclusivement le créole pour toutes les situations,

qu’elles soient formelles ou pas. Bien qu’il soit issu d’une famille d’origine tamoule, Danen

n’a pas de réelles connaissances en “tamil”, dont il ne reste dans son vocabulaire que quelques

mots ou expressions figées, qui n’apparaissent d’ailleurs que dans certains contextes très

spécifiques (milieu familial ou avec des personnes ayant les mêmes références socio-

culturelles). Le créole est la langue dans laquelle il s’exprime tant en usage privé que dans les

institutions scolaires qu’il a fréquentées. Il faudrait noter que le parcours scolaire de Danen

49

est assez particulier puisqu’il a été dans le système mauricien (calqué sur le système

britannique) jusqu’en Seconde avant d’intégrer le lycée polytechnique français où il a suivi

une formation qui s’est achevée par un Brevet Technique Supérieur (BTS). Enfin, lors de ses

stages en entreprise, le créole était la langue de communication entre collègues et avec les

supérieurs et il semblerait que le français et l’anglais n’aient été utilisés que comme des

supports écrits dans des situations formelles.

Depuis son arrivée en France, Danen utilise beaucoup plus le français dans ses échanges

puisqu’il est moins exposé à des situations où l’usage du créole est possible. Que ce soit dans

son université, dans l’entreprise où il fait son stage ou à la Cité universitaire, Danen s’exprime

en français, comme c’est la langue usitée par la plupart des gens qu’il est amené à rencontrer.

Cependant, il côtoie quotidiennement des Mauriciens, ce qui fait qu’il est toujours en contact

avec cette langue, contrairement à beaucoup de Mauriciens étudiant à l’étranger.

Kishan est un jeune homme de 25 ans qui a grandi dans le Nord de Maurice, à Crève-Coeur,

en région rurale. Il connaît Danen depuis de nombreuses années puisqu’ils ont fréquenté le

même établissement, à savoir le Lycée Polytechnique, où il a obtenu son BTS. Venant aussi

d’une famille d’origine et de culture tamoules, il semble comme Danen avoir quelques

notions en “tamil”, bien que l’on puisse affirmer avec certitude que sa langue maternelle est le

kreol mauricien.

Son profil ressemble donc énormément à celui de Danen, comme tous deux viennent de la

même communauté socio-ethnique, qu’ils ont le même âge et les mêmes activités scolaires.

La particularité majeure qui les sépare est que Kishan vient d’un petit village isolé, alors que

Danen a grandi en ville. Cependant, cela ne semble pas avoir de répercussions significatives

sur leurs habitudes linguistiques qui auraient pu les différencier radicalement.

Kishan est depuis deux ans étudiant en Génie des Systèmes Industriels à St. Quentin, en

Picardie. Le contact quotidien avec la langue française ne semble pas avoir altéré le

moindrement ses capacités à s’exprimer en kreol, bien qu’il n’ait aucun contact avec des

créolophones à St. Quentin. Il faudrait ajouter que Kishan vient environ une fois par mois à

Paris, pour rencontrer Danen, chez qui il demeure deux à trois jours, et il garde donc un

contact assez régulier avec la langue kreol.

50

Kovisha est une jeune demoiselle de 25 ans qui vient aussi du groupe socio-ethnique tamoul.

Elle a grandi à Quatre-Bornes, tout comme Danen, et a fréquenté le Queen Elizabeth’s

College, réputé pour être le meilleur collège pour filles de l’île. Après avoir passé brillamment

sa Higher School Certificate de Cambridge, elle a étudié la biologie pendant trois ans à

l’Université de Maurice avant d’obtenir une bourse d’étude de deux ans pour la France. Elle

fait toujours des études de biologie à l’Université de Paris Sud –Orsay.

Bien que le kreol mauricien soit sa langue première, Kovisha ne semble pas avoir de

difficultés à s’exprimer en français ou en anglais, langues qu’elle pratique assez couramment.

Tout porte à croire qu’à l’Université de Maurice, Kovisha s’exprimait en français ou en kreol,

bien que la totalité des cours soit officiellement assurés en anglais. Elle préfére le kreol pour

discuter avec des Mauriciens et s’exprime généralement en français dans ses interactions

verbales avec des Français ou des étrangers.

David a 23 ans et il étudie la psychologie à l’Université de Paris X-Nanterre depuis son

arrivée en France en septembre 2002. Il habitait à Curepipe avant cela et fréquentait le

Collège du Saint-Esprit, collège d’élite pour garçons. Il a le kreol comme langue maternelle et

fait partie de la communauté créole mauricienne. Il parle tout aussi bien le français et

l’anglais.

Yasin est domicilié à Baie-du-Tombeau, près de Port-Louis, à Maurice et était au St.

Barthelemy’s collège où il a obtenu sa HSC. Il étudie les mathématiques depuis un an à

l’Université de Paris X-Nanterre. Sa famille est d’origine indienne et de confession

musulmane. Il possède quelques notions d’urdu, et a pour langue première le kreol. Il est aussi

bilingue en français et en anglais.

Habitant Sainte-Croix, quartier créole aux abords de la capitale Port-Louis, à Maurice,

Stéphane a grandi plongé dans un univers créolophone. Il nous semble important de faire

remarquer que les habitants de Sainte-Croix et des quelques quartiers créoles environnants,

dont il nous faut citer Roche-Bois et Cité La Cure, se sentent investis d’une mission de

propagation et de renouvellement de la langue kreol, comme ils estiment avoir un rapport de

paternité avec celle-ci . Il est important de souligner que la plupart des nouveaux mots et

51

expressions en kreol sortent de ces quartiers. De plus, les Créoles de ces quartiers ont

l’impression d’être les détenteurs d’une langue pure, le kreol mauricien, et ont le même

rapport avec cette langue que les mauriciens d’origine asiatiques face aux langues orientales.

Après l’équivalant d’une Quatrième dans le système scolaire français, Stéphane quitte le

collège pour une école polytechnique, l’IVTB, où il suit des cours de mécanique. Après avoir

eu son diplôme, il retourne au collège pendant trois années qui se concluent par l’obtention de

la School Certificate de Cambridge (équivalant à la Seconde française). Il travaille comme

mécanicien, maçon et même dans un supermarché avant d’atterrir chez sa tante, dans le sud de

Londres en novembre 2002, à presque 25 ans. Il s’exprime désormais presque exclusivement

en anglais, alors que ses contacts avec cette langue étaient quasi-inexistants avant son départ

de Maurice.

Nous pouvons donc affirmer que le parcours scolaire de Stéphane diffère totalement de nos

cinq premiers informateurs. Il s’est toujours exprimé en kreol, que ce soit au primaire, au

secondaire ou dans multiples métiers qu’il a exercés jusqu’à présent. Son usage du français se

réduit à ses contacts avec des français de Métropole ou des Réunionnais, bien qu’il soit

locuteur de français depuis des années. Par contre, ses connaissances et contacts avec l’anglais

se limitaient aux cours suivis jusqu’au collège, sans qu’il lui ait été nécessaire de s’exprimer

dans cette langue. Comme tous les autres informateurs, il pratiquait plus souvent l’anglais à

l’écrit qu’à l’oral. Cependant, il a parfois du mal à trouver ses mots en kreol, comme en

témoigne l’interview qu’il a passée.

2.3c) Les différentes conventions

La graphie.

Il existe à Maurice une vaste polémique autour de la graphie du kreol mauricien. Certains

pensnt qu’il faudrait la normaliser alors que d’autres soutiennent le contraire, arguant que les

matériaux nécessaires pour cela à Maurice ne sont pas encore réunis. Il est à noter que seuls

deux pays ont, jusqu’à présent choisi de normaliser leur kreol, à savoir Haïti et les Seychelles,

alors que la plupart des autres pays créolophones en sont encore à l’élaboration d’une graphie,

dans les cas les plus avancés de reconnaissance du kreol comme langue. Il faudrait noter le

52

cas particulier des petites Antilles françaises, la Guadeloupe et la Martinique, et de la Guyane

française pour lesquels il existe depuis deux ans un CAPES de kreol.

Pour l’instant, il semblerait que trois graphies soient en usage dans la mise en écrit du kreol

mauricien. La première est celle proposée par Baker et Hookoomsing (1987) pour leur

dictionnaire trilingue créole/anglais/français. Cette graphie est cependant très peu utilisée

même si ce dictionnaire est le plus complet qu’on puisse trouver sur le kreol mauricien. La

deuxième graphie est celle utilisée par Ledikasyon pu Travayer (LPT) dans son dictionnaire

(1985), qui a été le premier écrit sur le kreol mauricien, et est celle qui demeure la plus

utilisée. La troisième graphie est celle proposée par l’Eglise catholique pour sa traduction de

la Bible et est en grande partie empruntée à la graphie LPT. Nous noterons encore que

quelques écrivains proposent aussi leur graphie dans leur choix d’écriture du kreol mauricien,

comme Dev Virasawmy qui préfère utilisé une graphie plus proche de l’alphabet phonétique

international, dans ses nouvelles et traductions de pièces de Shakespeare et Molière. Cette

graphie est généralement considérée comme un kreol pour intellectuels, presque illisible,

voire incompréhensible faute d’habitude, pour la plupart des Mauriciens, qui lui préfèrent la

graphie plus étymologisante de LTP.

Le double problème dans le choix d’une graphie est d’une part une certaine standardisation et

d’autre part la lisibilité. D’autre part, nous sommes réticents à vouloir entrer dans le débat

polémique et trop souvent politisé autour de la graphie du kreol mauricien. Nous proposons

ainsi les conventions ci-dessous pour la graphie du kreol mauricien. Nous sommes conscients

de laisser quelques imperfections quant à une standardisation systématique qui voudrait qu’un

symbole n’ait qu’une prononciation et qu’un phonème n’ait qu’un symbole pour le

représenter mais il nous semble que la lisibilité prime sur la rigueur parfois excessive que

peuvent avoir les linguistes. Ainsi nous ne différencions pas à l’écrit le [e] du [E] mais nous

pouvons dire que tous les “e” présents dans la transcription se prononcent [e], sauf ceux suivi

d’une consonne ou d’une semi-voyelle dans la dernière syllabe ou ceux suivi de deux

consonnes consécutives dans toutes les autres syllabes qui composent un mot, qui dans ces

deux cas se prononcerons [E]. Nous tenons encore à préciser que cette distinction tend à

disparaître à cause d’une certaine basilectalisation du kreol mauricien et qu’il est donc inutile

de la montrer à l’écrit. D’autre part, nous préférons garder deux graphies différentes pour

noter le phonème [~e]. Nous donnons ci-dessous le tableau montrant nos choix pour la

53

graphie du kreol mauricien accompagnés d’exemples mettant en valeur les phonèmes

concernés, qui sont écrit en gras:

Voyelles :

[a] mwa, galoupe, ena

[e] pena, perse, enpe

[E] nek, perse, bel

[i] vini, fini, pei, ai

[o] mo, kreol, korek

[u] boukou, kouma, partou

[ã] dan, konpran, zanfan

[~e] enpe, anfin, bizin

[õ] konpran, rakont, montre

Semi-voyelles :

[j] ledikasyon,vizyon, travay

[w] mwa, krwar, zistwar

Consonnes:

[p] pa, konpran, parski, top

[t] twa, santi, et

[k] korek, ankor, fek

[b] bizin, anba,disab

[d] donn, dan, swadizan

[g] gete, gayn

[f] fek, anfin

[s] sori, aswar, asize, laglas

[v] vini, divin

[z] zistwar, lakaz, zoranz

[l] li, galere, bel

[R] rouz, pran, enkor

[m] mwa, amenn, famm, fim

[n] bonomm, pennding, finn

[ŋ] pennding,

[h] ha, he

[t∫] tchake, tchal, tchak

Tableau 5 : Conventions pour une graphie du créole (Florigny 2003b)

Autres symboles utilisés dans la transcription :

’ pour signaler l’élision d’une consonne, qui est souvent remplacée par le [h] en début

de mot.

- pour relier un nom à un morphème qui lui sera toujours acollé, comme le “la” par

exemple. Cela peut parfois permettre de différencier un “la” déterminant d’un “la”

locatif ou temporel.

Il faudrait noter que le phonème représenté en français par “j”, [Z], ainsi que les voyelles [y],

[œ], [ø] et le “e” muet n’existent pas en créole mauricien. D’autre part, certaines lettres ne

54

sont guère utilisées que dans certains noms propres et gardent la même prononciation qu’en

français. Ainsi le “J” dans “Jésus” et le “Q” dans “Queland” (“qu” = [k]). Le “ch” sera quant à

lui toujours prononcé [tS] quand il sera utilisé dans des noms propres : ainsi “Charlie” sera

prononcé [tSarli].

La transcription

Au-delà des problèmes liés à la graphie, il nous semble important de définir une méthode à

adopter pour la transcription. Nous avons préféré un découpage en énoncés ou propositions de

sens. Chaque proposition ou énoncé est présenté sur trois lignes consécutives: la première

ligne est la transcription de l’interview en kreol, la deuxième est une glose qui traduit

littéralement chaque mot créole, la troisième enfin consiste en une traduction du récit du

créole au français. Cela permet ainsi une compréhension et une lisibilité de ce qui est dit, tout

en permettant de voir à quoi équivalent ou d’où viennent la plupart des mots. Nous

préciserons en début d’interview à qui correspondent les signes (I1, I2, I3) désignant nos

informateurs.

Il nous reste encore à dire un mot concernant les symboles utilisés dans la transcription. Nous

nous sommes appuyés sur les conventions utilisées par l’équipe de recherche en Acquisition

du langage de l’Université de Paris X-Nanterre en y rajoutant une ou deux conventions

utilisées par l’équipe de CNRS “ESA 6060” (GARS). Les conventions de transcription

utilisées sont comme suit :

E enquêteur

I1, I2, I3 informateur n°1, informateur n°2, informateur n°3

nnnn séquence inaudible

[fonetik] séquence transcrite phonétiquement

/ auto-interruption

\ hétéro-interruption

<<RIRE>> comportement non-verbal

*…* mots issus d’autres langues (L1, L2, L3, etc)

55

2.4 Description de l’espace en kreol mauricien

L’objectif de cette sous-partie est d’analyser les moyens dont dispose le kreol mauricien pour

décrire l’espace, compte tenu des théories et règles énoncées jusqu’à présent. Nous

reprendrons les concepts spatiaux proposés par Vandeloise (1986) dans notre analyse, et

verrons comment la richesse du kreol se révèle à travers la référence spatiale. Nous

montrerons aussi en quoi les concepts spatiaux mis en avant par Vandeloise s’avèrent

inefficaces pour décrire certains outils spatiaux, comme kot ou kote.

2.4a) L’accessibilité (isi, laba, a kote ar, parti, parti kot)

Nous traiterons en premier lieu des relations spatiales liées à l’accessibilité puisqu’elles

présentent l’avantage d’être indépendantes de la direction et d’être, pour cela, considérées

comme les relations les plus simples. Elles sont le plus souvent décrites en fonction de la

distance entre le site et la cible, évaluée par rapport à une distance normale. Nous montrerons

que cette “norme” est consécutive aux règles de structuration de l’espace, prenant en compte

l’espace intérieur et le voisinage pour décrire la proximité.

La première chose qui nous a surpris dans notre corpus est l’absence presque totale d’outils

spatiaux comparables aux prépositions françaises pour décrire l’éloignement dans des

relations topologiques. Nous retrouvons plutôt des mots comme laba ou la, équivalant à des

adverbes spatiaux français. Nous préférons ne pas traiter ici de la valeur du la, puisque c’est

un mot polysémique qui peut servir de référent spatial ou temporel, de déictique ou encore de

déterminant postposé au nom auquel il se réfère. Pour de plus amples détails sur le la, nous

vous renvoyons à l’article de Didier de Robillard (2000). Il serait bon de noter que le laba

s’oppose au isi quand nous entrons dans des relations projectives, dans lesquelles

l’emplacement du locuteur joue un rôle primordial puisqu’il nous devient impossible de

pouvoir nous situer hors contexte.

Notre deuxième surprise a été de ne pas retrouver d’opposition dite explicitement entre

proximité et éloignement concernant les relations spatiales dans nos entretiens. Il est vrai que

nous nous attendions à trouver des équivalents aux près de et loin de français en kreol

56

mauricien mais nous n’avons pas trouvé d’attestation d’un tel antagonisme. Après de

nombreuses lectures et relectures de notre triple corpus, nous nous sommes rendus compte

qu’il existe une expression qui remplit un rôle important quant à la proximité: a kote ar. Cette

expression se traduit littéralement “à côté de” et nous pensions, à première vue, qu’il

s’agissait d’un élément de description fonctionnant uniquement sur l’orientation latérale.

Cependant, nous nous sommes aperçus que le sens de cette expression allait bien au-delà de

ce que nous voyions au premier abord et qu’elle signifie aussi “près de”, impliquant ainsi que

la cible se trouve à proximité du site, dans une direction latérale non-spécifiée. Prenons, par

exemple, ce court dialogue extrait de notre entretien avec Danen et Kishan (p10-11, l.379-

389):

49. me, li (la tour) dan V, li !

50. Non, li pa dan V, li !

51. Li a kote ar V-la

Nous comprenons, dans cette extrait, que la tour dont il est question n’est pas située dans

l’espace intérieur du V (l’intersection), mais qu’elle en est proche et est située quelque part

sur un des côtés de la-dite intersection. A kote ar est donc utilisé, non seulement pour situer

une cible sur l’axe latérale par rapport à un site, mais aussi pour donner une indication sur son

accessibilité, puisqu’il permet de conceptualiser la cible dans le voisinage du site.

Nous pensions n’avoir trouvé dans notre corpus aucun indice sur un élément qui puisse agir

comme contre-poids de a kote ar quand notre attention fut retenu par une expression dont

nous ne trouvions pas le sens depuis le début de notre travail d’enquête: parti ou parti kot.

Nous pensions qu’il n’y avait pas de différence entre elle(s) et kot. En relisant les

transcriptions de nos interviews, nous nous sommes rendus compte qu’elle n’était utilisée que

pour désigner des endroits perçus comme étant loin du lieu auquel on se réfère, le site. Au fur

et à mesure de notre réflexion, nous avons enfin trouvé une traduction pour cette expression:

“du côté de (chez)”, ce qui nous a fait rire à la pensée que si Proust avait été Mauricien, il

aurait appelé son premier livre Parti kot Swann! L’expression parti (kot) sert donc pour

désigner la notion d’éloignement et s’oppose ainsi à a kote ar.

57

2.4b) Les positions sur l’axe vertical (lao, anba)

L’axe vertical est le deuxième domaine que nous avons choisi d’aborder, parce que, des trois

dimensions, il est le plus facile à décrire, car il est indépendant du locuteur. D’autre part, il est

clairement régi par des lois inamovibles (sauf dans certain usages douteux que nous ne

prendrons pas en compte du fait de leur marginalité): celles de la gravité. Vandeloise (1986)

préfère éviter d’avoir recours à la gravité parce que son but est de décrire la connaissance que

les locuteurs ont de leur langue, et ceux-ci ont appris à maîtriser les outils spatiaux servant à

décrire la verticalité bien avant la découverte historique de la gravité ou sa reconnaissance par

l’enfant. Vandeloise définit cet axe en ces termes :

“L’axe vertical est donc une ligne droite infinie parallèle à une direction définie par une ressemblance de famille comprenant parmi ses traits la direction des murs, des arbres et des hommes fiers en marche vers leur destin. Elle peut être parcourue dans les deux sens et je n’étonnerai pas les théologiens si j’appelle positive la direction du ciel et négative celle de la terre.”

Le kreol mauricien se réfère à ce pôle positif par le terme lao, alors que anba sera utilisé pour

faire référence au pôle négatif. Le principe de voisinage trouve ici une application puisque les

points les plus proches des pôles seront ceux dont les qualités propres aux pôles

s’appliqueront le plus clairement. La phrase de Kishan ci-dessous (p21, l.898-905) nous

donne un exemple d’utilisation de lao dans une relation topologique :

52. madam ek enn panye fler-la, dan so kote gos enn tigit pli lao

ena enn lot madam pe marse

Nous nous rendons compte que le terme lao sert à définir l’emplacement de la dame qui

marche par rapport à la dame au panier de fleurs sur le pôle positif de l’axe vertical. On peut

ensuite affiner le degré de verticalité auquel elle se situe à l’aide de termes comme enn tigit

pli. Les mêmes principes s’appliqueront pour anba, dans la référence au pôle négatif de l’axe

vertical. Nous notons que Yasin a eu des difficultés à appliquer ces principes de référence

verticale à l’espace de la feuille sur laquelle se trouvait le dessin et a eu recours à l’anglais à

plusieurs reprises (l.364, 771, 938) pour se référer à l’espace situé en haut de la page. Nous

pensons que ceci est dû au fait que l’enseignement est officiellement anglophone à Maurice et

que les enseignants utilisent des termes anglais pour se référer à l’espace dans les manuels et

58

autres livres scolaires. Nous concevons assez aisément une scène où un professeur

demanderait à un élève de lire le texte situé *on top of the page*.

2.4c) L’orientation générale (divan/devan, deryer, anfas, anfas ar/ek)

La notion d’orientation générale est décrite par une ressemblance de famille dont les traits ne

sont pas forcément des conditions nécessaires et suffisantes pour son usage. Parmi les traits

qui définissent l’orientation générale, nous noterons son parallélisme avec, entre autres, la

direction frontale, la direction du mouvement, la ligne du regard, la direction dans laquelle

sont dirigés les autres organes de perception (l’odorat, l’ouïe, etc.) et les directions de

nutrition. Le sens du mouvement, la ligne du regard, le front et le menton, etc. définissent son

orientation positive, alors que la nuque, les talons, etc. déterminent son orientation négative.

Trois de ces traits sont cependant essentiels quand il s’agit de définir les orientations positive

et négative, à savoir la ligne du regard, la direction du mouvement et la direction frontale.

Nous sommes ici en présence d’une référence projective, puisque cette orientation ne trouve

son sens que par rapport au point de vue d’un locuteur. Nous prenons le parti de ne pas traiter

des orientations marginales, comme notre objet est de voir quels moyens sont utilisés par le

kreol pour décrire l’espace, plutôt que de rentrer dans des détails, certes importants, mais peu

utiles dans le cadre de notre travail, puisque ils n’ont pas d’influence sur les moyens

sémantico-syntaxiques mis en œuvre dans la référence à l’espace.

Le terme kreol pour désigner le côté positif de l’orientation générale est devan ou divan, alors

qu’on se référera à sa partie négative à l’aide de deryer. Kishan utilisera devan pour décrire

l’espace où se tient le vieux monsieur, dans l’orientation générale positive de la dame et du

petit garçon, dans sa phrase (p18, l.75-761) :

53. Aster, zis devan sa madam ek enn ti garson-la, la,

ena enn misie (…)

Nous n’avons malheureusement pas d’exemple dans nos corpus qui puisse montrer deryer

comme référant de l’orientation générale négative, bien que nous retrouvions ce référant

spatial dans nos interviews. Nous reparlerons des autres usages de deryer et devan/divan dans

notre description de l’accès à la perception.

59

Il existe encore une expression spatiale en kreol mauricien, anfas (ar/ek), servant à décrire un

aspect de l’orientation générale positive: la direction frontale. Prenons pour exemple la figure

10 ci-dessous. Alors que l’orientation générale positive pourra servir à désigner

indifféremment les deux cylindres ou le cube, seul le cube pourra être situé dans la direction

frontale du locuteur et désigné par l’expression anfas (ar/ek) en kreol. Nous tenons à préciser

que les mots ar et ek (tous deux dérivés du français avec) n’ont aucune influence significative

sur l’usage de anfas. Nous remarquerons par contre qu’il n’existe aucun moyen de

différencier l’orientation générale négative et la direction frontale située derrière le locuteur

ou l’entité dans laquelle le locuteur se transfère. La croix sera ainsi toujours désignée par le

terme deryer en kreol mauricien.

Fig.10 Orientation générale et direction frontale en kreol mauricien

2.4d) L’orientation latérale (a gos, a drwat et leurs dérivés)

L’orientation latérale est une ressemblance de famille dont les principaux traits sont la

direction latérale et la perpendicularité à l’orientation générale. La direction latérale peut être

représentée par différents traits comme la parallèle aux épaules, la parallèle aux sourcils, etc.

Nous sommes ici aussi confrontés à des relations projectives puisque cette orientation est

dépendante du point de vue du locuteur. La règle gouvernant cette orientation permet de

diviser en deux parties notre champ visuel, appelé gos et drwat en kreol mauricien

correspondant à la gauche et la droite en français respectivement. Nous faisons le choix de ne

pas nous étendre sur les traits de la ressemblance de famille permettant d’identifier la droite et

la gauche, et préférons vous renvoyer à l’analyse qu’en fait Vandeloise (1986, p129-143),

60

puisque ce qui nous intéresse ici est plutôt de voir les différents moyens dont dispose le kreol

mauricien pour faire référence à ces deux zones.

Il semblerait qu’on utilise les termes a gos et a drwat quand il s’agit de définir la zone dont on

parle, sans entrer dans des relations projectives. Ce type de référence à l’orientation latérale a

été utilisé principalement dans la tâche d’indication d’itinéraire, dans laquelle il est possible

de donner des directions sans référence à quoi que ce soit. C’est ce que fait Stéphane au début

de l’entretien(p59, l.43-65) et qui remet en cause la raison d’être de la tâche elle-même,

puisque ces pseudo-indications d’itinéraire ne sont d’aucune utilité dans la description de

l’espace. Cependant, a gos et a drwat seront utilisés pour répondre à des questions du type: -

“X ki kote?” (De quel côté est X ?) Si nous reprenons les théories énoncées par Vandeloise,

nous pourrions dire que a gos et a drwat relèvent de la manière la plus égocentrique de se

référer à l’espace.

La deuxième étape dans la réalisation d’une relation spatiale, un peu moins égocentrique,

serait donc atteinte par l’utilisation des termes dan gos/drwat et lor gos/drwat. Assumant

qu’un signifiant n’a qu’un signifié, et vice versa, nous avons d’abord cru que la différence

entre ces deux types d’expressions se situait dans le domaine du nombre de dimensions en jeu

dans ces relations. Nous avons fait cette assomption à cause du fait que dan (dans) représente,

à première vue, des relations à trois dimensions alors que lor (sur) semble idéaliser des

relations à deux dimensions. Cependant, en voulant vérifier cette hypothèse dans nos corpus,

nous nous sommes rendus compte que nous nous trompions, puisque les deux expressions

sont, semble-t-il, utilisées indifféremment par nos informateurs. Nous avons ensuite pensé que

dan gos/drwat apparaît quand on situe une cible statique par rapport à un site alors que lor

gos/drwat est utilisé quand la cible est en mouvement ou quand l’idée d’un mouvement

potentiel est exprimée. Une fois encore, les corpus ont démenti cette impression que nous

avions. La preuve en est que les deux expressions peuvent être utilisées indifféremment pour

situer une même cible. Regardons par exemple ces deux phrases émises par Danen :

54. Be, pye-la, kot sa? Enn lor gos, enn lor drwat ? (p7, l.211)

55. Ale, be kan mo get lantre metro-la, pye-la kote ?

dan gos dans drwat ar lantre-la? (p8, l.240-246)

61

Nous avons relevé une variante de l’expression dan drwat/gos qui peut aussi être dite dans

drwat/gos ar X (“dans la droite/gauche avec X”) qui sert aussi à situer la cible par rapport à

un site. Cependant, nous n’avons pas trouvé d’occurrence de cette variante pour l’expression

lor drwat/gos (“sur la droite/gauche”). Il existe donc une différence entre ces termes

puisqu’une d’entre elle accepte une variante que l’autre refuse.

Nous ne sommes malheureusement pas parvenus à décider d’une règle qui expliquerait de

manière univoque la différence sémantique entre ces deux expressions et, aux vues des

résultats obtenus dans nos corpus, nous avons dû abdiquer. Nous pouvons cependant affirmer

que dans ces deux cas, le locuteur situe la cible par rapport au site, en gardant son point de

vue. Bien que les corpus nous montrent que ces deux expressions servent à introduire des

relations liées à la latéralité presque de la même manière, nous gardons quand même

l’impression que l’expression lor drwat/gos servira plus facilement à exprimer le déplacement

(potentiel) que l’expression dan gos/drwat, qui, elle, exprimera plus aisément des relations

dans lesquelles la cible demeure statique.

Le dernier couple d’expressions que nous avons trouvé est composé de dan kote gos/drwat et

de lor kote gos/drwat. Nous n’arrivons toujours pas à faire une distinction nette entre les deux

expressions mais nous pouvons dire qu’elles atteignent le degré le plus complexe de référence

dans l’orientation latérale. Nous assistons ici à une réalisation du principe de transfert puisque

le locuteur adopte totalement le point de vue du site.

2.4e) L’accès à la perception (divan / devan, deryer)

Vandeloise appelle “bisémique” un mot gouverné par deux règles d’usage, ce qui est le cas de

nos outils spatiaux divan et deryer. Ils servent, dans un premier temps à désigner des entités

dans l’orientation générale, ce que nous avons vu précédemment (2.4c) mais ils servent aussi

à définir des relations spatiales liées à la perception. Ainsi, Vandeloise (1986, p147) présente

une règle unitaire pour expliquer le fonctionnement de ce type de relation, comme suit:

62

“a est in front of / in the back of b si la cible se trouve du côté positif / négatif de la direction frontale du site”.

Cette règle décrit correctement les emplois des prépositions divan / deryer dans les quatre

phrases en kreol qui suivent la figure 11 et que nous avons traduites en français sur les mêmes

lignes.

Fig.11

56. A deryer lokiter (A est derrière le locuteur)

57. B divan lokiter (B est devant le locuteur)

58. B divan C (B est devant C)

59. C deryer B (C est derrière B)

Nous retrouvons ainsi ces outils spatiaux dans nos entretiens, en tant que marqueurs de

l’accès à la perception dans les relations qu’entretient le locuteur avec la cible et le site. Nous

donnons ci-dessous deux exemples de telles relations, comme elles sont présentées par Yasin

(p53, l.1234) et Kishan (p10, l.372-373) respectivement:

60. Devan metro-la, to gayn… ena de-trwa madam pe diboute

61. ek *moulin-à-vent*-la li zis deryer sa gro pye ki tonn desine a kote latour-la

2.4f) L’ordre dans la rencontre potentielle (avan, apre)

Certaines relations spatiales sont perçues comme ayant un but. C’est ainsi que nous

expliquions plus tôt (2.1c) la relation liant Lance Armstrong et Richard Virenque dans une

course cycliste. Cependant le but à atteindre n’est pas forcément une entité concrète et peut

tout aussi bien être une abstraction, comme l’ordre des lettres dans l’alphabet. Nous

cherchions dans notre corpus d’éventuelles traces de telles relations et n’en avons trouvé que

A B C

63

très peu. Bien que nous ne doutions pas qu’il existe deux termes pour désigner ces relations,

nous n’avons repéré qu’une expression, apre, qui serve à les introduire. Les seules

occurrences de ce terme dans un sens spatial sont toutes deux émises par David:

62. Li apre metro-la, boulvar-la ? ou apre ? (p41, l.644)

63. We, li zis apre madam-la. (p54, l.1294)

Il semblerait que les informateurs que nous avons rencontrés ne conçoivent pas ces relations

dans le sens de la proximité par rapport au but à atteindre et qu’ils ne les décrivent qu’en

partant de l’élément le plus éloigné du but, dans la trajectoire menant à celui-ci. Nous nous

rendons, par ailleurs, compte que ce terme est aussi utilisé pour décrire ce type de relation

dans la temporalité, comme le montre la phrase de Danen :

64. Bon, be, mo met enn asterisk la, apre mo avoy li isi (p16, l.653)

Cependant, nous n’avons pas trouvé d’entités qui servent de repère – le but à atteindre – à ce

type de relations. Il semble, par contre qu’elles s’alignent dans la direction du regard du

locuteur balayant l’espace, que ce soit celui de la feuille ou de la scène. Ainsi, la phrase 62

sert à demander où se trouve le boulevard par rapport au métro, suivant la direction du regard.

Nous nous demandons même si nous n’assistons pas ici à une variante de la relation d’accès à

la perception puisque apre sert à situer une cible B placée derrière un site A dans une même

orientation, mais qu’il nous est possible d’apercevoir. Il parait même concevable de remplacer

apre par deryer dans cette phrase sans que l’orientation des deux entités en soit altérée : c’est

le point de vue sur l’objet B qui changerait puisqu’il serait alors inaccessible à la perception.

Il nous semble cependant plus probable que l’entité B soit située plus loin que l’entité A à

partir de la position du locuteur, en projection de la direction du regard. Nous représentons la

relation entre A et B dans la figure 12 ci-dessous:

Fig.12

Direction

du regard

A

B

64

Par contre, il apparaitrait que la phrase 63 ne suive pas cette règle puisqu’elle suit un

mouvement linéaire qui parcourt l’espace de la page, dans une orientation latérale, et que rien

ne permet de dire que la rue est située à une distance plus importante que celle entre le

locuteur et la dame. Dans les deux cas, nous nous rendons compte que ce ne sont pas les

entités qui sont en mouvement vers un but, mais que c’est plutôt la direction du regard sur un

axe qui provoque l’usage de apre. Notre expérience de locuteur de kreol nous permet

d’affirmer qu’il existe un pendant à ce terme, avan, qui sert à décrire l’antériorité temporelle,

mais aussi une certaine proximité dans la rencontre potentielle entre la direction du regard et

l’entité. Notre règle unitaire concernant l’emploi de apre et avan serait alors schématisée

comme le montrent la figure 13 et les phrases 65 à 68 (et leurs traductions) ci-dessous:

Fig. 13

65. X avan Y dan mouvman regar B

(X est avant Y dans le déplacement B du regard)

66. Y apre X dan mouvman regar B

(Y est après X dans le déplacement B du regard)

67. Y avan Z dan mouvman regar D so kontinyasyon

(Y est avant Z dans la projection du déplacement D du regard)

68. Z apre Y dan mouvman regar D so kontinyasyon

(Z est après Y dans la projection du déplacement D du regard)

Balayage B

du regard

Direction D

du regard Locuteur

X

Y

Z

65

2.4g) La relation porteur/porté (lor, anba)

La relation porteur/porté, introduite par les termes lor et anba en kreol mauricien, sert

à définir des relations généralement placées sur l’axe vertical, sans qu’elles le soient

systématiquement. Elles s’opposent souvent à la relation lao/anba, qui sert exclusivement à

situer une cible par rapport à un site sur l’axe vertical. Nous excluons de cette analyse les

utilisations de lor dans d’autres expressions concernant, entre autres, la latéralité ou les verbes

de mouvement. Cette relation de famille est composée de cinq caractéristiques, qui ne sont

pas des conditions nécessaires ou suffisantes pour décrire ce type de relations, ce que nous

allons montrer après les avoir énumérées. La première caractéristique décrite est la relation

unissant la cible et le site sur l’axe vertical. Lor implique généralement que la cible est placée

plus haut que le site, alors que anba sert à introduire une relation dans laquelle la cible serait

plus bas que le site. Ceci est complété par la deuxième caractéristique qui montre qu’il y

toujours contact quand on utilise lor, même si ce contact est indirect. De plus, il existe des

contacts horizontaux, ce qui représente la majorité des cas, ou des contacts verticaux.

Ces contacts peuvent être directs ou indirects, comme le montrent la figure 14 et les phrases

69 et 70 ci-dessous. Alors qu’on voit clairement que le livre Proust est en contact avec la

table, on utilisera le même terme lor pour parler de la relation entre le livre Ulysse et la table

alors qu’il n’y a pas contact direct entre eux. Cependant, il existe un contact entre eux, à

travers le livre Proust, et c’est cela qui provoque l’utilisation du terme lor dans les deux cas.

Fig.14

69. Proust lor latab

70. Ulysse lor latab

Les autres traits de cette relation de famille sont que la cible est généralement plus petite que

le site, que l’action du site sur la cible s’oppose à l’action de la pesanteur sur la cible quand on

utilise lor, et que la cible est généralement rendue inaccessible à la perception par le site

Ulysse

Proust

66

quand on utilise anba. Yasin et Kishan nous donnent deux exemples de l’utilisation de lor,

mettant en évidence les contacts horizontaux et verticaux dans ces relations dans les phrases

ci-dessous :

71. Ta, li a drwat lor to paz (p32, l.194)

72. ena de misie pe lir lafis ki ena lor la (20, l.840)

Comme nous le disions plus tôt, aucune de ces caractéristiques n’est obligatoirement

indispensable pour que cette relation soit viable. Nous pouvons, par exemple, considérer la

phrase “la nappe est sur la table”. Il est tout à fait concevable que la surface de la nappe soit

plus grande que la surface de la table et la recouvre donc entièrement. Bien que la troisième

caractéristique de cette relation soit donc niée dans cette phrase, cela ne remet pas en cause la

valeur de la relation entre la cible et le site, puisque les quatre autres caractéristiques sont

respectées.

Nous notons, par contre, que anba servait déjà à définir le pôle négatif sur l’axe vertical et

qu’il est maintenant utilisé pour décrire le pôle négatif sur l’axe vertical dans les relations

porteur/porté, et révèle ainsi son aspect “bisémique”, pour reprendre le terme proposé par

Vandeloise (1986). Nous voyons ainsi que le pôle négatif sur l’axe vertical est toujours

associé à la notion d’inaccessibilité de la perception, du fait que ce soit le même terme, anba,

qui serve à décrire deux types de relations spatiales. C’est justement le double rôle de anba

qui permet à Danen (p22, l.955-965) de faire un jeu de mots des plus grossiers :

73. Anba sa madam-la, ena de ti zanfan pe zwe.

(Sous cette dame, il y a deux enfants qui jouent)

74. Pe zwe ar sousout, sa, gogot !

(Ils jouent avec le sexe de la femme, enculé !)

75. Li dir anba sa madam-la enn-de ti zanfan pe zoue

(Il dit que en-dessous de cette dame, il y a un ou deux enfants qui jouent)

Nous retrouvons encore quelques usages de lor qui semblent ne pas avoir de rapports avec

cette relation porteur/porté. Danen dit, par exemple, qu’il est “top lor design” (p14, l.584).

Cependant, nous ne trouvons pas ce type de relation ici, puisque lor signifie ici “en ce qui

concerne”. De même, nous ne nous expliquons pas l’utilisation de ce terme dans la phrase de

67

Kishan: “ena, lor sorti, lor metro, kot so sorti, enn misye enn madam pe mont leskalye” (p15,

l.617-622), dans laquelle il signifie “à (l’emplacement de/du)”. Nous pensions, à première

vue, que Kishan concevait cet espace comme possédant deux dimensions, mais il semble que

nous nous soyons fourvoyés. Il semblerait que Kishan perçoive le métro dans son entièreté

dans un premier temps avant que son regard ne se focalise sur une partie précise de l’entité

“métro”, entraînant par là même une description plus détaillée, introduite par kot. Le même

usage de lor est fait plus tard quand Danen parle des fêtes à la Cité Universitaire (p20, l.844-

850).

2.4h) La relation contenant/contenu (dan, ladan, omilye, deor)

Vandeloise (1986) décrit un certain type de relations introduites en français par dans et hors

de comme des relations ayant un rapport de contenant et de contenu. Pour lui, le rapport

d’inclusion ne suffit pas pour expliquer tous les usages de ces deux prépositions: elle n’en est

qu’un des traits de famille. Même si l’inclusion joue un rôle capital dans la conception de

cette relation, elle n’en est pas indispensable.

I II III IV V

Fig.15

Vandeloise propose cinq schémas représentant les positions relatives de l’ensemble des points

limite de la cible et du site dans les relations contenant/contenu, que nous reproduisons ci-

dessus. Nous pourrions donner ces exemples de phrases qui serviraient respectivement

d’exemple pour chacun des schémas:

76. ena enn moustik dan bokal

(il y a un moustique dans le bocal)

68

77. ena enn sigaret dan pake

(il y a une cigarette dans le paquet)

78. ena enn lisyen dan lakaz lisyen - en assumant qu’il ait la tête dehors

(il y a un chien dans la niche)

79. ena larak dan mo ver

(il y a du rhum dans mon verre)

80. ena enn mous dan mo ver – en assumant qu’elle volète au-dessus du rhum

(il y a une mouche dans mon verre)

Il semblerait donc que le terme dan réalise ces cinq possibilités en kreol mauricien.

Cependant, le terme kreol utilisé pour situer la cible en dehors du site ne répond pas aux

mêmes exigences que son pendant français. Ainsi, Vandeloise considère qu’on n’utilise le

terme “hors de” non seulement pour représenter une cible à l’extérieur d’un site, mais aussi

pour signifier que la cible était située précédemment dans le site et qu’elle n’y est donc plus.

Or, dans nos corpus nous avons trois occurrences de deor, qui ont chacune un sens différent :

81. Kan to pase, ena enn fam deor, li pou dir twa sipa to anvi rantre (p13, l.519)

82. Deor metro, to gayn enn dimoun vann pistas griye, la (p51, l.1180)

83. So de lame deor ? (p56, l.1398)

Dans la phrase 81, il semblerait que deor possède les mêmes caractéristiques que le “hors de”

français, à savoir un emplacement extérieur de la cible par rapport au site et l’idée

subconsciente que la femme se trouvait précédemment dans le « pensionnat ». Par contre, ce

terme prend un nouveau sens dans la phrase 82, puisqu’il ne dit que l’emplacement extérieur

de la cible. La phrase 83 nous semble la plus originale des trois, parce qu’elle utilise une

métonymie pour faire référence aux paumes de la main, sans les nommer. On conçoit ainsi

assez facilement la phrase, et la position des mains du monsieur, avec les paumes tendues vers

l’extérieur, devient compréhensible une fois qu’on a décodé le sens donné au terme deor ici.

Nous retrouvons encore dans nos corpus deux termes faisant référence à cette relation

contenant/contenu: ladan et omilye. Ladan n’apparaît qu’une fois dans notre corpus (p5,

l.125) et ne joue pas de rôle dans une quelconque relation du fait qu’il est le site et le terme de

la relation. Cela est rendu possible au regard de son étymologie: ladan est un enfant direct de

l’expression française “là-dedans”, qui relie un déictique à une préposition spatiale.

69

Nous ne savons s’il est préférable de placer omilye dans cette catégorie de relations ou dans

les relations complexes (2.4j). Nous choisissons finalement de l’analyser ici, comme elle fait

référence à un type d’inclusion totale, qui demeure le seul trait suffisant dans les relations

contenant/contenu. Les quelques occurrences de omilye (p17, l.710; p23, l.994; p42, l.710,

717; p43, l.744; p54, l.1308, 1320) dans nos corpus présentent la cible comme étant incluse

dans le site, à un emplacement proche du centre, ou n’ayant, du moins, aucun contact avec la

frontière de ce site, qui sépare son sous-espace intérieur de son voisinage.

2.4i) L’emplacement du site(kot)

Nous parlions plus tôt de la capacité que possèdent certaines langues à situer la cible par

rapport à l’emplacement du site, alors que certaines expressions établissent des sous-espaces

que nous avions appelés la “région”, qui inclut l’emplacement du site et son voisinage. Nous

avons montré dans notre description de l’accessibilité que isi et laba servaient à instaurer cette

notion de “région” et de ce qui lui est extérieur en kreol mauricien. Nous n’avons cependant

pas parlé des termes exprimant la co-occurrence de la cible et du site.

Il existe un terme utilisé pour décrire cette relation entre la cible et le site : kot. Il ne faudrait

pas confondre kot avec kote, même si nous sommes conscients de la proximité existant entre

ces deux termes. De plus, il arrive que kote ne soit pas le terme dont nous parlions plus tôt

dans la description des relations liées à l’accessibilité (2.4a) ou à l’orientation latérale (2.4d),

mais qu’il soit une agglutination de “kot e” ou “kot li ete” signifiant “où il est (?)”.Kot remplit

différente fonctions en kreol puisqu’il sert aussi d’interrogatif de lieu. Il serait, dans ce cas,

l’équivalent du “où” français, comme le montre l’exemple ci-dessous, auquel nous rajoutons

sa traduction :

84. fam ar fler-la, kot li ete, aster, li? (p15, l.587)

la femme aux fleurs, où elle est maintenant, elle?

Kot sert donc à marquer l’emplacement d’une cible qu’il nous faut situer par rapport à un site

donné. Cependant, il n’a pas toujours un rôle interrogatif et peut être utilisé pour signaler que

la cible se trouve exactement à l’endroit où est le site. Il ne faudrait pas associer kot à son sens

70

étymologique (“côté”) puisqu’il ne situe pas une cible dans le voisinage du site mais bien à

l’emplacement de ce dernier. Il n’est donc plus question, dans son utilisation, de se référer à

des sous-espaces puisque la cible n’est pas dans le voisinage du site ou dans l’espace extérieur

à ce dernier. Ce terme est très utilisé en kreol comme le montre le nombre impressionnant

d’occurrences de ce dernier. Nous donnons deux exemples de simultanéité de la cible et du

site dans les phrases ci-dessous, tirées de l’interview de Danen et Kishan :

85. Pye-la, li kot lantre metro (p.6, l.184)

L’arbre, il est à l’entrée du métro

86. E, kot sa *deux chemins* la fer V-la, to ena… to ena lakaz (p.9, l.291-300)

Et, là où ces deux chemins font un V, tu as… tu as des maisons

2.4j) Les relations complexes (ant… ek, otour, toutotour)

Nos corpus nous mettent en présence de certaines relations spatiales généralement considérées

comme complexes du fait qu’elles mettent en scène plus d’une cible et d’un site. Nous

retrouvons ainsi le cas de figure où nous sommes confrontés à une relation mettant en jeu une

cible et plusieurs sites, et qui est introduite par ant… ek, ou encore l’inverse dans lequel

plusieurs cibles sont situées par rapport à un site unique, qui est mis en relief par les

expressions otour et toutotour.

Dans les relations mettant en scène une cible et plusieurs sites introduites par ant… ek, les

traits de famille servant à caractériser ce type de relations sont nécessaires et suffisants, en ce

qu’ils mettent en scène des acteurs de la référence spatiale qui sont sujets à un certain nombre

de contraintes. Le premier trait dont nous parlerons est le fait qu’on se situe généralement par

rapport à deux sites. Il semble cependant concevable d’imaginer cette expression comme

introduisant plus de deux sites. Quand la référence se fait par rapport à deux sites, la cible se

situe toujours dans l’espace intérieur entre eux sur un axe donné. Cependant, lorsqu’il est

question de plus de deux sites, l’utilisation de ant… ek n’est plus soumise au fait que l’espace

intérieur relève d’un seul axe, mais il devient possible de situer la cible par rapport aux trois

orientations simultanément.

71

De ce fait, nous pouvons nous demander si cette relation, puisqu’elle est régie par une notion

d’espace intérieur, n’est pas une variante de la relation contenant/contenu. Nous avons relevé

quelques occurrences de cette expression dans nos corpus (p15, l.628, p40, l.615, 628, p42,

l.706, p53, l.1344), et nous remarquons qu’elle est toujours utilisée en référence à deux sites,

que ce soit par Danen ou Yasin. Néanmoins, nous exemplifions les deux possibilités créées

par cette expression à l’aide des figures et des phrases qui correspondent respectivement à

chacun des deux cas présentés ci-dessous. Nous en profitons pour faire remarquer que

l’utilisation du la n’est pas anodine: il ne se réfère pas obligatoirement au dernier terme qui

lui est antéposé, mais à toutes les entités ayant la même fonction dans la relation spatiale.

Ainsi, dans la phrase XXX, les deux la permettent de reconnaître la cible (“serk-la”) d’une

part, et le groupe site (“kare ek triang”) d’autre part. De même, dans la phrase XX, le

deuxième la se réfère au groupe site “kare, triang ek lakrwa”.

Fig.16 Fig.17

87. Serk-la ant kare ek triang-la

Le cercle est entre le carré et le triangle

88. Serk-la ant kare, triang ek lakrwa-la

Le cercle et antre le carré, le triangle et la croix

Nous retrouvons aussi le cas inverse, dans lequel plusieurs cibles sont situées par rapport à un

site, à l’aide des expressions otour et toutotour. Les traits principaux régissant cette relation

tiennent premièrement au nombre important de cibles présentes dans celle-ci. D’autre part, il

faut que les cibles soient situées dans le voisinage du site, parce qu’il existe un rapport de

proximité entre les cibles et ce dernier. Enfin, il semble indispensable qu’elles soient réparties

de manière plus ou moins égale dans le voisinage du site, de sorte à l’entourer. Elles agissent

un peu comme un contenant dans cette relation puisqu’il n’y aucun point limite situé à

72

l’extérieur de l’espace fermé créé par les cibles. La seule différence que nous avons

remarquée entre otour et toutotour réside dans le fait que la deuxième expression semble

mettre un peu plus l’emphase sur le caractère égal de la distribution des cibles dans le

voisinage du site. Nous représentons ce type de relations à travers les schémas et les phrases

ci-dessous, qui montrent les usages et limites des termes otour et toutotour :

Fig.18 Fig. 19 Fig.20

89. *dan desin 18, bann serk-la otour kare-la

*dans le dessin 18, les cercles sont autour du carré

90. dan desin 19, bann serk-la otour kare-la

dan le dessin 19, les cercles sont autour du carré

91. dan desin 20, bann serk-la toutotour kare-la

dans le dessin 20, les cercles sont tout autour du carré

2.4k) Les verbes de mouvement et leurs liens avec les termes spatiaux (zwenn, tom, terminn,

vinn, al, vir, tourn, retourn + lor, sort + dan/lor, mont, desann + drwat/ drwat lor)

Il existe enfin, en kreol mauricien, une quantité de verbes servant à signaler des déplacements

dans l’espace. Nous parlerons dans un premier temps des verbes mont et desann, qui

présentent une caractéristique assez particulière du kreol mauricien. S’il nous fallait traduire

ces verbes en français, nous ne pourrions utiliser les faux-amis étymologiques “monter” et

“descendre”, quoique la tentation demeure toujours. Ces deux verbes possèdent effectivement

une propriété liée à une certaine verticalité, mais relevant plutôt d’usages dérivés ou

minoritaires. Il ne semble pas concevable, par exemple, de prendre en compte l’éventualité

d’une référence par rapport à l’axe Nord-Sud géographique, dans l’utilisation de ces verbes.

Nous avons ensuite tenté d’imaginer la possibilité que l’axe sur lequel ils fonctionnent relève

73

de l’altitude. Il semblerait que la majorité des occurrences de mont et desann agissent en

prenant en compte cette règle, comme le montre le dessin 21 et les phrases 92-95 ci-dessous :

Fig.21

92. *X dir : “Mo desann Quatre-Bornes.”

*X dit : “Je descends à Quatre-Bornes.”

93. X dir : “Mo mont Quatre-Bornes.”

X dit : “Je monte à Quatre-Bornes.”

94. Y dir : “Mo desann Port-Louis.”

Y dit : “Je descends à Port-Louis.”

95. *Y dir : “Mo mont Port-Louis.”

*Y dit : “Je monte à Port-Louis.”

Nous nous rendons compte que les phrases 93 et 94 respectent la règle de l’altitude et sont

donc acceptables alors que ce n’est pas le cas des phrases 92 et 95. Port-Louis étant la capitale

de Maurice, cela exclut aussi la règle française qui permet de dire que l’on “monte à la

capitale du pays”. Il existe cependant quelques règles concernant l’utilisation de ces verbes

que nous n’avons pas encore bien saisies. Il semblerait qu’un autre trait associé à ces verbes

est la distanciation par rapport à la mer. Ainsi, nous avons entendu certains locuteurs utiliser

mont en parlant d’un déplacement vers un endroit, alors que le chemin pour s’y rendre était

clairement en pente descendante d’un bout à l’autre du trajet. Nous avons aussi remarqué que

les endroits vers lesquels se dirigeaient ces locuteurs étaient plus éloignés de la mer que

l’emplacement des-dits locuteurs.

Ces verbes, mont et desann, fonctionnent aussi avec le terme drwat, qui n’a pas ici la valeur

de latéralité que possède l’expression a drwat. Drwat sert ici à signaler la prolongation d’un

mouvement dans l’orientation frontale et serait l’équivalent du “tout droit” français. Nous

trouvons, dans notre interview de Stéphane, un nombre impressionnant de drwat juxtaposés

Port-Louis

Quatre-Bornes

X

Y

74

les uns aux autres. Le nombre de reduplication de ce terme ne semble servir qu’à accentuer la

distance à parcourir à travers la longueur de l’expression utilisée pour la décrire.

Un autre fait qui nous a surpris dans notre description de dan et lor est leur utilisation avec le

verbe “sort”, tel qu’utilisé par Stéphane dans les phrases ci-dessous:

96. Mo sort lor Piéton (p58, l.22)

97. Mo sort dan Piéton (p61, l.140)

Un peu comme dans l’analyse des relations latérales, nous nous sommes retrouvés face à ce

couple de termes au sens ambigu, aux vues de leur apparente polysémie. Nous nous sommes à

nouveau demandés si la différence entre les deux relevait d’une conception bi- ou tri-

dimensionnelle de l’espace de la rue. Il s’est avéré que ce n’était pas le cas et nous avons alors

formulé l’hypothèse suivante: alors que sort lor signifie “sortir (hors d’un endroit pour aller)

sur” X , il semblerait que sort dan possède le sens de “sortir de dans X {=hors de X} ” (pour

aller ailleurs).

Zwenn, tom, et terminn sont trois verbes qui fonctionnent presque exclusivement avec lor

quand ils servent à désigner un déplacement. Alors que tom lor (p36, l.421) et terminn lor

(p36, l.425, p48, l.1006) signalent tous deux un mouvement dont on connaît la fin, zwenn lor

(p4, l.76) vient dire que deux entités ou plus se rencontrent à un point dont on connaît

l’emplacement. Nous avons trouvé une autre occurrence de tom dans la phrase “Pye-la, li tom

dan mem kote ar metro-la” (p38, l.518). Nous ne pouvons dissocier tom de dan mem kote ar

ici, puisqu’il signale le fait que l’arbre et le métro sont situés pareillement par rapport au

boulevard.

Vir, tourn et retourn + a/dan/lor gos/drwat désignent des changements de direction, de la

direction frontale à la direction latérale. Il n’y a pas grand-chose à dire sur ces verbes puisque

nous avons traité des termes dan/lor gos/drwat dans notre analyse de la référence à

l’orientation latérale. Le seul élément susceptible de capter notre attention par rapport à ces

verbes concerne retourn. Le préfixe “re-” sert souvent, en français, à noter des verbes de

mouvement inverse. Ainsi, le verbe “revenir” signale un retour d’une entité d’un point B vers

le point de départ A, suite à un déplacement de A à B, comme le schématise la figure 22 ci-

dessous :

75

A B

Fig. 22

Bien qu’il est vrai que retourn peut servir de verbe de mouvement inverse en kreol, il ne

semble pas que cela soit le cas dans l’utilisation de retourn telle que la formule Stéphane

(p59, l.58). Le préfixe “re-” sert ici à signaler la répétition d’un mouvement, qui peut être

redoublé à l’infini. Les procédés de redoublement/reduplication et de dédoublement sont

assez courant en kreol mauricien, comme nous l’avons vu précédemment concernant drwat.

Nous pourrons ainsi dire tourn, retourn, reretourn, rereretourn, rerereretourn, etc.

Enfin, les verbes vinn et al introduisent les relations spatiales les plus simples quant à leur

utilisation puisqu’ils peuvent remplacer n’importe quel verbe dans les relations que nous

venons de citer dans cette partie (2.4k).

76

Conclusions

Les recherches que nous avons effectuées cette année, et dont nous avons présenté les

résultats dans ce mémoire, nous ont permis de comprendre certains fonctionnements du kreol

mauricien en ce qui concerne la référence à l’espace dans cette langue. Nous avons pu

confronter certaines théories, qui s’appliquent à la langue française et que décrit

Vandeloise(1986), à notre corpus. Il semblerait que la référence spatiale en kreol mauricien

suivent certaines règles qui lui sont propres (nous pensons, entre autres, aux emplois des

termes kot et apre, ou des expressions a kote ar et parti kot). Il a été très instructif d’analyser

les moyens dont dispose le kreol pour créer son propre environnement à l’aide de ces

expressions.

Nous sommes cependant conscients que certaines améliorations ou d’autres choix auraient pu

être effectués, notamment du point de vue de la méthodologie. Ainsi, nous avons choisi de

partir des théories existantes pour analyser les outils spatiaux. Cependant, nous nous

interrogeons sur les résultats que nous aurions pu obtenir si nous avions pris comme point de

départ les outils spatiaux pour voir leurs différentes applications. De même, nous nous

sommes rendus compte que certains d’entre eux changent de sens quand ils sont associés à

des verbes de mouvement. Alors que nous avions décidé de ne pas traiter ces verbes, nous

nous sommes vu obligés de les aborder. Nous nous en sommes tenu le plus possible aux

limites imposées par le cadre que nous avions fixé au départ de ce travail. Nous laissons la

porte ouverte à des analyses plus poussées sur le sens de certaines expressions, en rapport

avec l’étymologie et la sémantique. Il nous semble que notre travail offre une synthèse assez

complète de l’expression de la référence spatiale en kreol mauricien. Celle-ci pourra encore

être exploitée à l’avenir.

77

Notes :

1 Traduction: “La pidginisation est un processus d’ajustement linguistique, dans des

situations de contact (soutenu) entre deux langues ou plus, structurellement (et/ou

typologiquement) différentes, et qui constitue un réflexe linguistique à une lacune de

communication résultant de cette situation.”

2 Traduction: “La créolisation est ce processus complexe de changement

sociolinguistique comprenant une expansion dans la forme innée, avec une convergence dans

le contexte de l’extension en cours. Un créole est le résultat d’un tel processus qui a atteint

une autonomie comme norme.”

3 Traduction: “La dichotomie pidgin/creole représente une idéalisation qui peut être

utile comme moyen préliminaire d’organiser des objectifs de recherche, mais qui doit

finalement laisser la place au fait qu’aucun point défini de transition entre un pidgin et un

créole ne peut être identifié.”

4 Traduction: “La récurrence des termes “à base anglaise”, “à base portugaise”,etc. - qui

est une mauvaise nomination, aux vues de considérations purement linguistiques – est assez

perturbante. Ceci est typique d’un eurocentrisme persistant et mal inspiré perpétré par un

nombre assez considérable de pidginistes et de créolistes européens et américains, dont

certains sont très connus, dans leur perception de ces langues hybrides, spécialement quand

on pense aux pidgins endogènes. Quand ils ne sont pas des traits anticipés des universels de la

simplification innée du langage, la plupart des structures et des mécanismes grammaticaux

des pidgins les mieux étudiés semblerait clairement converger vers, ou être attributifs des

langues indigènes (africaines). La langue européenne (celles des visiteurs) n’est généralement

rien de plus qu’une langue relexificatrice, sauf dans certains cas de post-créolisation, où il y a,

après un certain temps, de plus grandes convergences vers la langue-cible européenne, c’est-

à-dire quand, et si, une langue “cible” européenne est en question.”

5 Il faut comprendre les termes “sino-mauricien” ou “indo-mauricien” comme signifiant

“population mauricienne ayant une origine chinoise ou indienne”. Il en est de même pour les

termes “afro-mauricien” ou “franco-mauricien”.

78

6 Traduction : “La topologie est l’étude de propriétés de collections d’éléments

physiques ou abstraits reliés entre eux, qui sont conservés sous l’effet de déformations,

comme quand on les plie, les étire ou qu’on les presse”.

7 Traduction : “Un point p est appelé un « point limite » de l’ensemble S si chaque

ensemble ouvert contenant p contient aussi un(des) point(s) de S. Si M est, par exemple,

l’ensemble de tous les points contenus par un triangle T, donc chaque point de T est un point

limite de M ; chaque point de M est aussi un point limite de M. Mais aucun point extérieur à

T n’est un point limite de M. Les points limites comprennent les points intérieurs et les points

frontière”.

8 Traduction : “Si v et w sont deux endroits et que A(v,w) est le plus petit endroit qui

puisse contenir v et w, donc Z(v,w) est égal à A(v,w) moins les endroits v et w eux-mêmes”.

79

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