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1 L’homme à l’école de Dieu : D’Antioche à Nisibe : Profil herméneutique, théologique et kérygmatique du mouvement scoliaste nestorien - Monographie programmatique Par Menahem R. Macina Première parution dans Proche-Orient Chrétien, t. XXXII (1982), pp. 86-124, 263-301 ; et t. XXXIII (1983), pp. 39-103. I. INTRODUCTION Difficultés et inconnues Le caractère éminemment scolaire et composite de la plupart des commentaires nestoriens de l'Écriture n'a pas manqué d'intriguer les trop rares chercheurs qui se sont aventurés dans ce champ encore en friche. Malheureusement, des causes fort diverses, mais aux effets convergents, ont concouru à la désaffection générale des chercheurs pour cette littérature ecclésiastique dont l'épithète ‘schismatique’ qui la qualifie si fâcheusement n'a fait que rendre plus grave encore le discrédit dont elle est l'objet. Et tout d'abord, il faut évoquer l'engouement presque exclusif des savants chrétiens pour l'aspect dogmatique de l'hérésie nestorienne, selon laquelle il y a deux Personnes distinctes dans le Christ incarné, l'une divine et l'autre humaine, contrairement à la doctrine orthodoxe qui tient que le Christ incarné est une seule Personne, simultanément homme et Dieu. Autres facteurs défavorables à une connaissance de l'exégèse nestorienne: la rareté relative des œuvres ou extraits d'œuvres nestoriennes publiées et traduites, ainsi que le manque cruel de monographies dignes de ce nom, ou d'études valables d'auteurs nestoriens de langue syriaque et - cela va de soi - le nombre par trop restreint d'analyses de commentaires scripturaires de la même origine. Circonstance aggravante: un certain nombre d'affirmations plus ou moins tranchées concernant le caractère, l'origine et la qualité de l'exégèse nestorienne, encombrent la littérature spécialisée, sans, le plus souvent, qu'elles aient fait l'objet d'un travail de recherche systématique leur conférant un statut de crédibilité suffisante. C'est ainsi que l'on parle sans cesse du caractère fortement «antiochien» des commentaires scripturaires nestoriens, alors qu'il s'agit d'œuvres composites où la tendance antiochienne ne tient qu'une place relative, et en tout cas ne suffit pas, à elle seule, à statuer sur l'origine de nombreuses traditions qui ne ressortissent absolument pas à ce courant. De plus, le problème de l'École d'Antioche est encore fort loin d'être élucidé; c'est donc éclairer l'obscur par plus obscur encore que de ramener toute l'exégèse nestorienne à celle d'Antioche, et surtout, de considérer cette dernière comme le point zéro de l'origine de la tradition et de la méthode d'exégèse scripturaire nestorienne. Autre affirmation tout aussi peu nuancée et dont il convient de faire justice au plus vite, à savoir: le prétendu caractère de «compilation» des commentaires bibliques nestoriens. Ils sont décrits comme de fastidieux recueils où chaque auteur (généralement appelé «compilateur» par les

L’homme à l’école de Dieu D’Antioche à Nisibe : Profil herméneutique, théologique et kérygmatique du mouvement scoliaste nestorien - Monographie programmatique

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L’homme à l’école de Dieu : D’Antioche à Nisibe :

Profil herméneutique, théologique et kérygmatique du mouvement scoliaste nestorien - Monographie programmatique

Par Menahem R. Macina

Première parution dans Proche-Orient Chrétien, t. XXXII (1982), pp. 86-124, 263-301 ; et t. XXXIII (1983), pp. 39-103.

I. INTRODUCTION

Difficultés et inconnues

Le caractère éminemment scolaire et composite de la plupart des commentaires nestoriens de l'Écriture n'a pas manqué d'intriguer les trop rares chercheurs qui se sont aventurés dans ce champ encore en friche. Malheureusement, des causes fort diverses, mais aux effets convergents, ont concouru à la désaffection générale des chercheurs pour cette littérature ecclésiastique dont l'épithète ‘schismatique’ qui la qualifie si fâcheusement n'a fait que rendre plus grave encore le discrédit dont elle est l'objet. Et tout d'abord, il faut évoquer l'engouement presque exclusif des savants chrétiens pour l'aspect dogmatique de l'hérésie nestorienne, selon laquelle il y a deux Personnes distinctes dans le Christ incarné, l'une divine et l'autre humaine, contrairement à la doctrine orthodoxe qui tient que le Christ incarné est une seule Personne, simultanément homme et Dieu. Autres facteurs défavorables à une connaissance de l'exégèse nestorienne: la rareté relative des œuvres ou extraits d'œuvres nestoriennes publiées et traduites, ainsi que le manque cruel de monographies dignes de ce nom, ou d'études valables d'auteurs nestoriens de langue syriaque et - cela va de soi - le nombre par trop restreint d'analyses de commentaires scripturaires de la même origine. Circonstance aggravante: un certain nombre d'affirmations plus ou moins tranchées concernant le caractère, l'origine et la qualité de l'exégèse nestorienne, encombrent la littérature spécialisée, sans, le plus souvent, qu'elles aient fait l'objet d'un travail de recherche systématique leur conférant un statut de crédibilité suffisante. C'est ainsi que l'on parle sans cesse du caractère fortement «antiochien» des commentaires scripturaires nestoriens, alors qu'il s'agit d'œuvres composites où la tendance antiochienne ne tient qu'une place relative, et en tout cas ne suffit pas, à elle seule, à statuer sur l'origine de nombreuses traditions qui ne ressortissent absolument pas à ce courant. De plus, le problème de l'École d'Antioche est encore fort loin d'être élucidé; c'est donc éclairer l'obscur par plus obscur encore que de ramener toute l'exégèse nestorienne à celle d'Antioche, et surtout, de considérer cette dernière comme le point zéro de l'origine de la tradition et de la méthode d'exégèse scripturaire nestorienne. Autre affirmation tout aussi peu nuancée et dont il convient de faire justice au plus vite, à savoir: le prétendu caractère de «compilation» des commentaires bibliques nestoriens. Ils sont décrits comme de fastidieux recueils où chaque auteur (généralement appelé «compilateur» par les

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critiques) a consigné pêle-mêle tout ce qui lui a paru digne d'intérêt chez ses devanciers. Il faut bien reconnaître que le nombre vraiment énorme de parallèles, d'une œuvre à l'autre, contribue souvent à confirmer le bon droit de cette mauvaise note de «copieurs», infligée aux exégètes nestoriens, sans que nul se soit donné la peine de chercher la raison de cette reproduction inlassable des mêmes motifs, souvent dans les mêmes termes, et sans même qu'on ait tenté d'y discerner des thèmes, des lignes de force, voire une intention générale ou particulière. Enfin, entre bien d'autres causes de manque d'intérêt pour cette exégèse, last but not least, il convient d'insister également sur les conditions concrètes extrêmement défavorables à une connaissance sûre du Sitz im Leben et du caractère d'adaptation sémitique en langue syriaque, d'exégèses initialement pensées et exprimées en grec ; il faut se souvenir, en effet, que l'histoire tant de la période majeure de l'efflorescence nestorienne (IVe au IXe s.), que du lieu de son activité (Mésopotamie du Nord et Perse) sont encore en grande partie terra incognita ; en outre, les Pères spirituels et intellectuels de cette Église schismatique (Diodore, Théodore, Narsaï, etc.) n'ont bénéficié, à ce jour, que de peu d'études sur le plan qui nous intéresse ici 1.

Position du problème

Une lecture attentive des trop rares commentaires bibliques nestoriens publiés, comme d'ailleurs de toute la littérature théologique et spirituelle de cette Église schismatique, ainsi qu'une étude historique des conditions concrètes de la vie de l'Église nestorienne, révèlent quatre caractéristiques fort nettes que nous allons analyser sommairement ci-dessous.

1) Préoccupation «historique» exacerbée

L'insistance inlassable des Nestoriens sur leur manière « historique » 2 d'interpréter les Écritures et, par contraste, leur répudiation systématique de l'interprétation allégorique (deux tendances d'origine nettement antiochienne) sont les deux éléments les plus visibles de leur méthode exégétique; ils ont, bien entendu, été remarqués depuis longtemps par les chercheurs, et ont fait l'objet d'études dont

1 Voir, pour Théodore : Macomber, Theological Synthesis of Cyrus; Wolska, Recherches sur la Topographie ; et Vööbus, Theological Anthropology of Theodore. Pour Diodore: Mariès, Études préliminaires Diodore. Pour Narsaï: Jansma, Étude Pensée Narsai ; et Gignoux: Narsal, Homélies sur la Création. 2 Sur cette technique de l'exégèse historique, voir Mariès, Extraits Préfaces Psaumes Diodore; Mariès, Études préliminaires Diodore 102-104; 133 ss.; Schäublin, Untersuchungen Antioch, Exeg. 84-94; 156-160. Il est à noter qu'il ne faut pas confondre « sens historique » et « sens littéral », quoique les deux conceptions soient liées: l’"historia" impliquant - cela va de soi - le respect de la chose écrite, donc de la lettre du texte. En outre, cette notion étant liée aussi, chez les Antiochiens, à la Theôria, qui permet de rechercher le sens spirituel, typique ou prophétique d'une réalité historique, on consultera avec profit les articles de Vaccari, Theôria di Antiochia; Ternant, Theôria d'Antioche; ainsi que l'important chapitre du 2e tome de la somme de de Lubac, Exégèse Médiévale, Chapitre VII, Le fondement de l'Histoire, 425-487. Sur l'exégèse historique de Théodore, comme opposée à l'Allégorie, voir excellente et brève analyse dans CHB, t. 1, 507-509. À titre indicatif, on comparera la conception du sens historique d'Origène, cf. n. 81. Voir également Daniélou, Theôria Grégoire de Nysse; Kerrigan, Cyril of Alex. Interpret of O.T., 111-112 et passim; Margerie (de), Histoire de l'exégèse, pp. 188-213.

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nous parlerons ultérieurement. Ce terme d'« historique », volontairement affecté de guillemets afin de le distinguer de notre conception moderne de l'approche historique des textes 3, devra être soigneusement analysé à l'aide de nombreux exemples tirés des oeuvres nestoriennes, antiochiennes, patristiques, rhétoriques, voire classiques. En effet, il semble que les nuances fort diverses qu'il inclut, doivent être écartées au profit d'un sens très technique et rhétorique qui n'a pas été suffisamment saisi par les chercheurs. Ce souci «historique» des Nestoriens est servi par une technique d'analyse textuelle, qu'il faudra bien qualifier de scolastique, en ce sens qu'elle trahit les méthodes de l'École, celle du Grammairien, comme celle du Rhéteur 4. Le récit scripturaire est traité par eux comme un document historique digne de foi (et non comme une oeuvre épique ou poétique); toutes les réalités concrètes du texte (actions, détails topographiques, géographiques, ethniques, culturels, cultuels, particularités onomastiques, philologiques, textuelles, stylistiques et autres) sont minutieusement relevées, analysées, reliées au contexte, voire glosées avec une pédanterie savante. En outre, l'aspect événementiel est le plus souvent traité en priorité et avec le plus de soin, le commentateur se donnant beaucoup de peine pour restituer le contexte historique, même si celui-ci sert finalement de point de départ à une spéculation typologique ou spirituelle ultérieure.

2) Souci théologique et pastoral constant

Il va de soi que l'Ancien Testament est relu - comme il est de règle en chrétienté - à la lumière de la nouvelle Économie introduite par la venue du Messie Jésus, mais non pas forcément sur la base du Nouveau Testament 5, et encore moins sous un angle systématiquement christologique 6. A propos de ce dernier point, les chercheurs n'ont pas manqué d'être frappés par le caractère «historique» prononcé de l'exégèse théodorienne des Psaumes et des Prophètes, où fort peu de textes vétéro-testamentaires sont considérés comme s'appliquant pleinement au Christ et à sa messianité. Toutefois, il serait erroné de croire que le traitement exégétique de l'A.T. par les Nestoriens soit dépourvu de cette exégèse dite «anagogique» 7 qui

3 Sur une fausse conception de ce sens historique, voir plus loin n. 38. Voir aussi plus loin, note 97. 4 Excellent résumé de cette technique, accompagné d'illustrations instructives et de références aux œuvres des rhéteurs et des grammairiens, chez Marrou, HEA 249-255; 406-408; cf. Quintilien, Instit. Orat. 11, 5, 1 ss. etc. 5 J’entends par là, qu'à la différence des allégoristes qui veulent retrouver sous chaque détail de l'Ancien Testament les réalités du Nouveau, l'exégèse "historique", au contraire, ne se préoccupe que de mieux saisir l'événement, la notion ou la chose que le récit décrit ou rapporte en la cachant ou en l'ornant, par les tropes et les figures oratoires, en particulier. 6 Ceci ne fait pas double emploi avec le Nouveau Testament. Je veux parler de cette tendance, très répandue dans la littérature ecclésiastique, et portée à son comble chez les allégoristes, d'appliquer à Jésus des passages scripturaires à résonance messianique. Les Antiochiens et, à leur suite, les Nestoriens, font un usage modeste de l'accommodation. Quant aux textes vétérotestamentaires reconnus comme étant essentiellement messianiques et se rapportant à la personne même de Jésus, ils sont extrêmement rares; je les mentionnerai en leur lieu. 7 D'après Mariès, Guillet et d'autres, cette exégèse avait droit de cité à Antioche. En fait le « typisme » est une tradition très ancienne dans l'Église; il remonte d'ailleurs à Paul: « Tout a été écrit pour notre instruction »; voir surtout la typologie d'Agar, préfigurant l'ancienne loi juive. Pour la typologie à Antioche, voir surtout Guillet, Exégèses d'Alexandrie et d'Antioche 279 ss. et passim; Mariès, Études préliminaires Diodore, 136. On trouvera d'excellents résumés concernant la typologie dans l'Église, dans CHB 410-415, 427-428; 435-436; 482-485 et passim.

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se propose de déceler, au-delà de l'historicité des faits, des personnes et de la matérialité des objets, des lieux, des rites, etc., une signification plus haute, annonçant, de façon voilée, les réalités messianiques ou (et) eschatologiques. On trouve même, mais ceci est encore, à ce jour, une question controversée, des commentaires qui, s'ils ne portent pas (ou rarement) le qualificatif honni d'allégorique, en ont néanmoins, sans l'ombre d'un doute, le caractère et la forme. Quoi qu'il en soit, chez les Nestoriens, cette relecture chrétienne de l'A.T. est constante; qu'elle soit nommée par eux Theoria, ou «interprétation spirituelle», ou «selon l'esprit», voire «allégorique» ou «tropologique», le fait est qu'elle affleure partout; toutefois - il faut bien l'avouer - elle est le plus souvent, discrète, voire ambiguë, et ce, nous semble-t-il, en raison du respect de la Tradition, si chère aux Nestoriens.

3) Respect de la Tradition

D'entrée de jeu, il ne semble pas qu'une telle vertu soit l'apanage unique des Nestoriens. Et, en effet, il est clair qu'il n'y a pas, en chrétienté (comme en Judaïsme, d'ailleurs), d'interprétation de l'Écriture en dehors d'une Tradition. Toutefois, on constate chez eux une grande différence dans le traitement des matériaux traditionnels. Tout d'abord, dans leurs Écoles, l'Écriture est lue selon la Tradition de Pères précis; ce sont, bien entendu, Éphrem 8, mais surtout Diodore et Théodore.

Mais, en outre, et ce de l'aveu même d'un de leurs docteurs, Barbadbeshabba 9, les Nestoriens s'appuient également sur une tradition orale qui remonte aux Apôtres et a été fixée surtout dans les écrits de Narsaï. L'insistance sur la distinction entre ces différentes sources semble indiquer qu'il s'agit là d'une nuance importante, qui n'a pas encore été analysée comme il se doit. Et, de fait, on trouve des traces nettes de tension, voire d'antagonisme, entre ces différents courants traditionnels, dans les grands commentaires à allures de compilations, tels celui d'Isodad de Merv 10 et le Commentaire Anonyme 11 qui lui ressemble tant. En outre, on constate, toujours dans les mêmes ouvrages, la présence insolite de nombreux matériaux juifs 12. Certains d'entre eux présentent des affinités frappantes avec des Midrashim et des Aggadoth tels qu'on les rencontre

8 Par lettre en date du 7.12.1981, le professeur A. Guillaumont me faisait remarquer: « Il serait important d'étudier la part à faire à l'influence d'Éphrem sur l'exégèse nestorienne. C'est déjà une exégèse à tendance nettement littérale et anti-allégorique (en réaction, je pense, contre l'usage que les gnostiques faisaient de l'exégèse allégorique). Mais quelles sont les sources de l'exégèse d'Éphrem lui-même? Rapports avec Antioche?... » 9 Barhadbešabba, Fondation des Écoles 382-383. 10 Išo‘dad de Merv, Commentaire, voir liste bibliographique. Vaste commentaire couvrant tout l'Ancien et le Nouveau Testament, de l'évêque nestorien de Hedatta en Mésopotamie (milieu IXe siècle). 11 Voir présentation dans Išo‘dad, Commentaire, I, trad. pp. 1 ss. Ce qu'on appelle le « Commentaire anonyme » est une vaste compilation d'interprétations nestoriennes de l'Ancien Testament, fort parallèle à celle d'Išo‘dad. Sa date de composition est inconnue; d'après Wright, Catalogue p. XXXI, le manuscrit est antérieur au XIIe siècle. Voir description et analyse dans Levene, Early Syrian Fathers 3-31. 12 Sur cette question concernant le Commentaire Anonyme, voir Levene, Early Syrian Fathers; pour le Commentaire d'Išo‘dad, voir Jansma, Investigations Syrian Fathers.

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dans les Talmudim et les recueils de Midrashim juifs; au stade actuel de la recherche (quasi inexistante sur ce point), il n'est pas possible de décider si ces emprunts sont dus à une fréquentation vivante de Juifs contemporains, ou à une lecture de recueils midrashiques existants. Il est également frappant de constater le fréquent usage fait par les commentateurs nestoriens d'oeuvres d'écrivains juifs, tels Josèphe et Philon, et même de matériaux provenant d'auteurs juifs hellénistiques, tels Artapan et Eupolémos 13. Enfin, en maints passages d'écrits nestoriens, on peut discerner la trace de traditions apocalyptiques et eschatologiques, qui semblent bien empruntées à des écrits pseudépigraphiques et apocryphes juifs ou chrétiens disparus, ou dont ne nous sont parvenus que des bribes 14.

4) Mouvement de scolarisation sans précédent dans les annales de l'Église

Certes, les écoles dites «catéchétiques» ont très tôt existé en Chrétienté 15, depuis celle de Pantène à Alexandrie, où enseigna – entre autres personnalités - Origène, jusqu'à l'École Mésopotamienne d'Édesse, en passant par celle de Diodore à Antioche, sans parler d'un nombre assez considérable de petits groupuscules, mal définis et, le plus souvent, sans lieu fixe ni bâtiments particuliers, et s'apparentant davantage au cénacle de disciples attirés par la réputation d'un maître, qu'à une école à proprement parler.

Mais, nulle part comme en Mésopotamie et en Perse, on n'assiste à l'éclosion massive d'écoles, en tous lieux. A en croire les chroniques nestoriennes, elles poussent comme des champignons; mieux, c'est un devoir pour les élèves avancés de l'École de Nisibe, que d'ouvrir à leur tour une École dans un autre lieu (Statuts II, Canon 7) 16.

Certes, toutes ces unités d'enseignement n'avaient pas la taille, ni la réputation de la quasi université nisibienne, tant s'en faut. Certaines, même, semblent avoir été

13 Voir Išo‘dad, Commentaire I, trad. 6, n. 12. Il est à noter qu'Išo‘dad. ne cite pas Eupolémos nommément, mais le fragment sur l'origine de l'Écriture, attribuée à Moïse. Il l'a donc probablement lu chez les Pères grecs qui le rapportent. Pour les références aux Pères, p. 6, se reporter à la note 12 du traducteur, indiquée ci-dessus. La même remarque vaut pour Artapanus dont Išo‘dad cite un fragment qui lui est attribué. Toutefois, une particularité orthographique syriaque de l'un des noms propres cités dans ce passage, semble indiquer qu'Išo‘dad lisait dans une autre compilation que celles des Pères, cf. Išo‘dad, Commentaire II, trad. 2, n. 9. 14 Voir à ce sujet notre article: Macina, Rôle eschatologique d'Élie, dans POC 1981, pp. 71-99, spécialement pp. 85-86, notes 33 et 35; p. 93, note 51. 15 Voir la bibliographie à ce sujet, ici, dans Annexe: E. Documents pour l'Étude du phénomène de la prolifération des Écoles Nestoriennes. 16 Statuti, 190. Voir Statutes, pp. 93-94. Le texte de ce statut est un peu compliqué, voici la traduction de Vööbus (dans HSN 271-272): “The brothers who excel in the learning and further appear (that they are) able to teach others, are ordered by the malpana to go and to teach (and) because of being possessed by the school and the long stay which they have in the town, it is difficult for them to separate, they are not allowed to be in the school, not even to stay in the town.” Mais le sens paraît bien être celui qu'en dégage Chabot (École de Nisibe 68): « Celui qui, après avoir achevé le cours de ses études, paraissait suffisamment instruit pour enseigner les autres, recevait parfois du supérieur l'ordre d'aller faire l'école, sans doute dans les villages ou les nombreux petits couvents qui s'élevaient de tous côtés aux environs de Nisibe. Quand il refusait d'accepter cette mission ‘à cause de ses relations dans l'École ou en ville’, il était chassé de la Congrégation et expulsé de la ville. »

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du genre écoles populaires de village, voire écoles primaires, où était prodigué un enseignement élémentaire, avec cette particularité originale toutefois, que celui-ci s'effectuait sur la base des textes scripturaires, Psaumes particulièrement.

Un tel mouvement, soutenu par de fréquentes exhortations à la culture religieuse, de multiples remarques techniques sur l'organisation de l'enseignement dans ces écoles, sans parler de la mention, très fréquente, du titre d'ancien élève de l'École de Nisibe, de Séleucie, etc. 17, sont le témoignage irréfutable de cette tendance scolastique militante à propos de laquelle il sera nécessaire de déterminer les motivations qui ont présidé à son éclosion, ainsi que ses buts et son rôle dans la christianisation de l'Empire perse.

Il convient de signaler, d'ores et déjà, deux établissements qui ont brillé d'un éclat incomparable : d'abord Jundisapour, qui semble avoir été, avant tout, un centre d'enseignement de la médecine ; et surtout Nisibe 18, la grande École théologique des Nestoriens, rejeton perse de la célèbre école d'Édesse et où se distinguèrent, par leur enseignement ou leurs brillantes études, un grand nombre de ce que le clergé nestorien comptera de patriarches, d'évêques, de théologiens. Enfin, l'on sait que c'est, en grande partie, aux traductions des savants nestoriens que les Arabes doivent d'avoir pu lire, dans leur langue maternelle, les œuvres scientifiques, médicales et logiques des Grecs 19.

Science théologique et vulgarisation pastorale

Parmi les quatre caractéristiques dialectiques sommairement décrites ci-dessus, c'est la dernière qui nous retiendra tout spécialement. Elle concerne ce mouvement scoliaste si puissant et si original qui, on l'a dit, semble bien propre aux Nestoriens et à eux seuls.

Devant un tel phénomène, on se fût, à juste titre, attendu à ce que la production littéraire théologique et exégétique nestorienne se distinguât par un caractère technique, voire savant, fruit d'une élite intellectuelle ecclésiastique, et réservé à son usage interne exclusif. Or, il n'en est rien. Le caractère dominant, tant des commentaires que des divers écrits théologiques, homilétiques et spirituels, est incontestablement celui d'une pastorale, voire d'une vulgarisation ou, si l'on préfère, d'une interprétation populaire des thèmes essentiels de la catéchèse, préalablement dégagés et décantés par les savants exégètes.

Un examen diachronique - même succinct - des principales œuvres exégétiques nestoriennes publiées à ce jour, révèle à l'oeil le moins attentif le retour

17 Par exemple, il est dit de Sahduna (7e siècle) qu'il « s'était exercé à tout le cycle d'études des Écritures à Nisibe ». Ainsi de Gabriel Taorta (7e siècle), Gabriel Rakoda (8e siècle), etc. Voir Assemani, Bibliotheca Orientalis III, 1: 453, 457, 461 et passim. 18 Sur l'École de Nisibe, le maître-ouvrage est, sans conteste, celui de Voobus, HSN. 19 Sur la transmission de la science grecque aux Arabes par les Syriaques, voir surtout O’Leary, HGSPTA. Sur le rôle des Académies nestoriennes dans ce processus, voir Meyerhof, VANB. On trouvera un bon résumé de ce rôle des Syriaques et surtout des Nestoriens, ainsi qu'une bibliographie détaillée sur le sujet, dans Rescher, DAL, Ch. l, surtout 15-25 (voir ma liste bibliographique dans Annexe). Sur les traductions d'Aristote en syriaque et en arabe, voir Georr, Catégories Syro-Arabes. À signaler qu' O’Leary est aussi l'auteur d'une étude encore utile, malgré son ancienneté: Syriac Church and Fathers.

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systématique des schémas stéréotypés suivants:

Les hommes et les anges sont présentés comme des créatures intelligibles sujettes au changement et susceptibles d'instruction. Dieu se fait connaître d'elles par son action créatrice et ordonnatrice de l'univers (natures animées et inanimées).

Dieu apparaît comme l'Éducateur de l'homme qu'il a lui-même placé dans l'École du monde et soumis à diverses épreuves pour l'amener à se déterminer lui-même, et à poser des actes qui révèlent sa nature profonde, avant de le transférer dans le monde d'en haut.

L'Écriture s'exprime selon le langage des hommes; Dieu y est mis en scène de telle façon que l'homme comprenne ce que son créateur veut de lui. Le langage biblique, lui aussi, est éducateur. «Tout est écrit pour notre instruction.» Mais nous sommes des êtres de chair et de sang et des enfants dans la connaissance; c'est pourquoi Dieu s'adapte à nous et nous parle dans nos catégories d'entendement et de comportement. Il est décrit selon les normes humaines, il marche, parle, descend, rit, il réagit comme un homme, il se met en colère, a de la peine, du regret, etc...

En outre, le langage biblique lui-même est peuplé de métaphores, d'hyperboles, de symboles, sa forme affecte celle des discours rhétoriques qu'il importe de déceler, de classifier, d'interpréter par rapport au contexte, afin d'être à même de mieux comprendre l'intention réelle du texte sacré. D'autre part, dans les récits bibliques abondent les contradictions, voire les invraisemblances. Des récits inadmissibles y figurent (inceste des filles de Lot par exemple); Dieu y paraît agir de façon injuste ou cruelle, au point que les dogmes de la Providence et de la Justice divines semblent bafoués. En fait, tout cela n'est que la conséquence de l'impuissance de notre intelligence à comprendre le Plan divin et son Économie.

L'Économie divine est une notion qui revient sans cesse, le plus souvent couplée avec celle de Païdeïa divine. Cet aspect devrait faire l'objet d'une étude particulière. Certes, il a de lointaines et nombreuses racines patristiques; toutefois, dans l'exégèse nestorienne, il prend des proportions de leitmotiv central et, en fait, sert de clé pour l'interprétation d'un nombre considérable de situations bibliques dont le récit littéral est inacceptable (par exemple la bénédiction de Jacob arrachée par ruse à Isaac; l'endurcissement du cœur de Pharaon, etc...)

Dans cet effort systématique pour justifier Dieu et l'Écriture, un appel constant est fait à toutes les ressources de la culture hellénique d'alors, et spécialement aux techniques philologiques et d'interprétation, chères aux Grammairiens et aux Rhéteurs (en particulier, établissement de la version exacte, lecture expliquée du texte, recherche du sens voulu par l'auteur, etc. etc.). Mais il semble aussi qu'on puisse soupçonner, sur cette exégèse, une influence des tendances stoïciennes à l'interprétation moralisante des auteurs 20.

20 Voir Schäublin, Untersuchungen Antioch. Exeg., 36; sur la tendance à l'exégèse moralisante des Stoïciens, voir Marrou, HEA 249, 256; sur l'exégèse allégorique des mythes par les Stoïciens on

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Cosmas, Théodore et l'École de Nisibe

Le summum de la popularisation des thèmes théologiques nestoriens est atteint avec l'ouvrage étrange du nestorien alexandrin de langue grecque, Cosmas Indicopleustès (6e s.). Photius, dans une de ses recensions bibliographiques 21, ne cache pas son mépris pour l'homme et son œuvre. Or, une étude comparative soigneuse de thèmes et expressions employés en grec par cet auteur, et qui trouvent leurs parallèles exacts dans maints écrits nestoriens rédigés en langue syriaque, révèle que non seulement Cosmas n'a rien inventé, mais surtout qu'il est loin d'avoir été le premier à vulgariser. L'impression écrasante de « popularisme » provient tout simplement du regroupement de la quasi-totalité des thèmes catéchétiques et pastoraux nestoriens, et surtout de leur répétition inlassable et, on peut bien l'avouer, agaçante.

Mme W. Wolska 22, à qui nous devons une traduction française de la Topographie de Cosmas, ainsi qu'une thèse passionnante et novatrice sur ce curieux auteur et son œuvre, ayant remarqué les différences d'exposition, voire d'orientation, par Cosmas, des thèmes théodoriens, émet l'hypothèse suivante 23:

Ces gauchissements nous font supposer qu'il a existé entre Théodore et Cosmas, un chaînon intermédiaire. En déclarant expressément qu'il a reçu ses doctrines de Mar Aba, Cosmas nous dirige vers la Perse et vers l'École nestorienne de Nisibe, le plus important des foyers où l'on enseignait, au 6e siècle, les doctrines de Théodore. Une comparaison de la Topographie avec les écrits de Mar Aba et de Thomas, son compagnon et élève, ainsi qu'avec ceux, plus tardifs, de Guiwarguis, confirme les dires de Cosmas. Tous ces écrivains organisent leurs exposés suivant un schéma identique, qu'il s'agisse de la composition ou du contenu. Ils enchaînent leurs idées de la même façon, abordent les mêmes sujets, présentent les mêmes altérations des théories de Théodore. On peut donc supposer que, dans l'intervalle qui sépare Théodore de Mar Aba, il s'est produit en Perse une refonte de l'enseignement de Théodore, une transformation de ses doctrines savantes et complexes en un système facile, accessible à l'ensemble des fidèles.

Cette hypothèse, fort séduisante, il faut bien l'avouer, soulève cependant quelques difficultés. Son point le plus faible est qu'elle se base, pour sa comparaison entre les écrits de Cosmas et ceux de l'Interprète, sur les œuvres aujourd'hui conservées de ce dernier. Or, on sait l'état terriblement lacunaire de notre documentation sur

trouvera un excellent survol chez Decharme, Critique des Traditions Religieuses, au Ch. I, « L'exégèse stoïcienne », 305-353. 21 Photius, Bibliothèque, 36: « Dans son style, il est bas et ne suit même pas la syntaxe courante; en outre il rapporte certains faits inadmissibles en histoire. Aussi est-il juste de tenir cet homme pour auteur de fables plutôt que pour un témoin véridique. Les dogmes pour lesquels il entre en lice sont les suivants: le ciel n'a pas la forme d'une sphère et la terre non plus, mais le premier est une sorte de chambre à coupole, l'autre un rectangle, et les bords extrêmes du ciel sont soudés à ceux de la terre ; tous les astres se meuvent parce que les Anges assurent leurs mouvements et encore d'autres énormités du même genre… » (traduction R. Henry, Photius, Bibliothèque, t. I, p. 21). À noter que Photius ne semble pas connaître le nom de Cosmas; il mentionne seulement l'ouvrage, qu'il intitule Le Livre du Chrétien. 22 La spécialiste de Cosmas est incontestablement Mme W. Wolska. Elle lui a consacré une thèse passionnante et novatrice: voir Wolska, Recherches Topographie Chrétienne. Elle nous a donné également une traduction française de l'œuvre : voir Cosmas, Topographie Chrétienne. 23 Cosmas, Topographie Chrétienne I, 39; voir aussi Wolska, Recherches Topographie Chrétienne, 85.

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le célèbre auteur. En particulier nous manquent un grand nombre d'écrits paré-nétiques et ascétiques dont fait état le moine Dadišo Qatraya 24, par exemple. Il faut donc rester prudent dans nos appréciations de l'expression des thèmes et idées théodoriens, et ne pas nous en tenir uniquement aux formes qui nous en sont restées. De plus, avouer que Cosmas reproduit presque textuellement les thèmes populaires qui se trouvent dans des écrits nestoriens d'inspiration nisibienne, c'est lui attribuer une connaissance de la langue syriaque. Certes, la chose n'est pas impossible (Cosmas était un grand voyageur, et il ne cache pas son admiration pour la Perse), mais elle n'est pas prouvée. Toutefois, et ce semble être l'avis de Mme W. Wolska, Cosmas a pu recueillir ces traditions de vive voix, de la bouche de Mar Aba, qui prêcha à Alexandrie, et qui devait bien savoir suffisamment de grec pour cela. Mais cette hypothèse devrait pouvoir produire des preuves que la fréquen-tation de Mar Aba par Cosmas fut longue; en effet, l'influence des thèses nestoriennes chez Cosmas est totale; on peut bien parler chez lui d'une théologie nisibienne. Une telle empreinte ne peut guère être le fruit d'une rencontre épisodique.

J'ai évoqué quelques inconnues, il y en a d'autres; il reste cependant que, sur un point au moins, Mme Wolska voit juste, ce nous semble, à savoir sur celui d'une refonte populaire des thèses essentielles de Théodore « en un système facile, accessible à l'ensemble des fidèles ». Pour ma part, je l'attribuerais plutôt à Abraham de Bet Rabban 25 qu'à Mar Aba. Nous lisons en effet à son propos 26:

« Il s'appliqua tellement à l'enseignement que non seulement il fit le nécessaire à l'école, comme le demande la règle (taxis) - et par sa parole embellie et fortifiée dans la vérité de l'orthodoxie, parce qu'il expliqua devant les frères pendant de longues années - mais il voulut aussi faire cet (enseignement) par ses écrits. Il vit en effet qu'il était très difficile à beaucoup de frères de trouver le sens des Écritures dans la lecture des volumes de l'Interprète, parce qu'ils étaient hérissés de grec et obscurs, à cause de la grandiloquence de cet homme et des interprètes qui l'avaient suivi (ou : des «traducteurs» postérieurs). Aussi, il en écrivit le plus grand nombre et il les expliqua clairement d'après la tradition qu'il avait reçue de son maître. Comme un père soigneux, il prépara une table bien servie et la mit devant eux. »

Ce texte intéressant appelle plusieurs remarques. Tout d'abord, sous des dehors rhétoriques fleuris, il comporte une critique assez dure de l'Interprète. En effet, Abraham ne dit pas seulement que les élèves avaient des difficultés à comprendre les écrits de Théodore, mais qu'il leur «était très difficile de trouver le sens de l'Écriture» à leur lumière. Accusation fort grave si l'on songe que tels étaient précisément le but et l'ambition des écrits de Théodore qui est appelé par les

24 Sur Dadišo, voir plus loin, note 73. 25 Sur Abraham de Bët Rabban, voir Vööbus, Abraham de Bët Rabban, et Vööbus, HSN, Ch. V', 134-210. Notre hypothèse semble renforcée par la remarque de Cosmas dans sa Topographie, Livre II, 2 (voir Cosmas, Topographie, I, 306): « J'ai été instruit par les divines Écritures et par l'enseignement oral de Patrikios (Mar Abba), homme de Dieu et maître excellent; venu du pays des Chaldéens pour parachever la mission d'Abraham… ». J’ai mis en italiques les derniers mots qui pourraient très bien s'appliquer à Abraham de Bët Rabban, comme le pense N. Pigulevskaja (Mar Abba J, p. 76). En effet Abraham semble avoir été à l'origine de la " campagne d'information " nestorienne en Occident. On rappelle que Mar Abba étudia à Nisibe sous Abraham avant de diriger l'École de Séleucie. Mme Wolska pense que Cosmas entend par Abraham, le patriarche de la Bible; voir Cosmas, Topographie Chrétienne, 306 (2), n. 2. 26 Chez Barhadbešabba 'Arbaiâ, Histoire, II 622.

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Nestoriens l'Interprète (par excellence)!... Autre remarque: il ne s'agit pas, de la part d'Abraham, d'explications orales, mais bien d'une re-rédaction de la majeure partie des œuvres de l'Interprète. Et l'expression cavet patùra: « il (leur) dressa une table », renforce cette impression d'une vulgarisation des œuvres de Théodore, accomplie par Abraham de Bet Rabban; en effet, elle a son exact équivalent dans la tradition juive où Shulhan `arouk 27 veut dire couramment: table mise, mais est utilisé métaphoriquement pour désigner un ouvrage pratique et utilisable par chacun.

Tout ceci ne doit pas nous faire penser qu'à partir de l'époque d'Abraham, l'exégèse nestorienne sera uniquement populaire. Il n'en est rien; coexisteront toujours les deux tendances: la savante, d'une part, qui s'élabore à l'École, la populaire, d'autre part, qui s'épanouit dans les homélies publiques, les discours d'apparat, et même s'introduit dans des écrits théologiques et exégétiques à large diffusion.

École chrétienne et école juive

Sur ce point, s'impose à nous le parallèle frappant entre ce processus et celui que nous constatons dans le monde juif mésopotamien (Babylonie surtout), à l'époque du Talmud et à celle des Gueonim qui suivit.

Une étude des nombreux textes disponibles montre clairement la coexistence, voire l'inextricable imbrication de deux niveaux d'exégèse de l'Écriture (ou Talmud Thora): le technique (appelé «halachique» ou «midrashique» par les spécialistes), et le populaire «aggadique», mais aussi «midrashique»). Le premier est l'apanage des doctes et des scoliastes (Hakhamim et talmidei Hakhamim); il s'exprime dans le cadre scolastique 28 de la Maison d'Étude (Beit-Ha-Midrash). Là, on étudie l'Écriture à la lumière des traditions orales des Pères (avoteinu), des Sages, que leur souvenir soit en bénédiction (Hakhamenu zikhronam livrakhah) 29, et de la codification halachique qui fait autorité : la Mishna de Rabbi.

Le second niveau d'exégèse, l'homilétique, a pour théâtre la maison d'assemblée (Beit-Ha-Knesset). C'est avant tout le lieu de la prière collective et celui de la lecture publique de la Thora, avec son commentaire araméen, à allure de paraphrase, à l'usage du public. Mais c'est aussi le centre de rassemblement populaire de la communauté juive locale pour toutes sortes de festivités et événements exceptionnels: circoncisions, mariages, funérailles, voire conférences de rabbins célèbres. C'est à l'occasion de ces rencontres, non essentiellement

27 Le Shoulhan Aroukh est en effet le code halachique concis par excellence. Il constitue la somme pratique des longs débats de la Mishna, du Talmud et même du code détaillé de Jacob b. Asher, le l’auteur d’Arba‘ah Turim. Il regroupe toutes les pratiques rituelles sans en faire l'historique, et sans un apparat complexe de références. 28 C'est volontairement que j’emploie ici le terme « scolastique », comme d'ailleurs à de nombreuses autres occasions dans ces pages. Ce n'est pas là abus de mots. Je l’ai préféré à « scolaire », qui a une connotation plus élémentaire. De même qu'il ne viendrait pas à l'idée de quiconque de désigner les étudiants d'Université du nom d'écoliers (ainsi qu'on le faisait au Moyen-Age), on ne peut qualifier de ‘scolaire’ l'enseignement sophistiqué qui se donnait dans les Yeshivot juives et les écoles théologiques nestoriennes. 29 Ce sont les formules consacrées par l'usage: avoteinu = nos Pères; Hakhameinu = nos Sages. L'ajout zikhronam livrakhah ou son abréviation z"l (prononcée zal), qui veut dire: « que leur souvenir soit en bénédiction », suivait généralement ces titres.

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liturgiques, qu'étaient délivrés en public de véritables discours à allures d'exercices rhétoriques plus ou moins savants, voire populaires, et où la forme avait au moins autant d'importance que le fond.

Or, nous possédons en syriaque de nombreux sermons ou allocutions de ce genre; une au moins a fait l'objet d'une publication et d'une traduction en langue française; il s'agit d'une sorte de harangue d'introduction aux élèves de l'École de Nisibe, au début d'un cycle d'études 30. Ce document est d'une richesse d'informations incalculable pour une meilleure connaissance de l'exégèse et des méthodes d'études nestoriennes; à ce titre, il mériterait une étude particulière.

Certes, dans l'état actuel de nos connaissances, il ne convient pas de trop presser la comparaison entre ces deux formes d'expression théologico-exégétique, la juive et la chrétienne, car l'absence d'études autorisées en la matière en rend l'usage délicat. Il n'en reste pas moins que la ressemblance de structure est frappante. Au Beit-Ha-Midrash juif correspond très exactement le Beit draša nestorien, ou, dans sa transcription grecque fréquente, l'Eskùla; et au Beit-Ha-Knesset, la knùsia syriaque, ou réunion du peuple, assemblée.

Une heureuse synthèse

Un examen honnête et sans parti pris des œuvres nestoriennes publiées révèle, sans le moindre doute, que c'est à l'École, avant tout et surtout, que s'élabore l'étude théologico-exégétique de l'Écriture. Le caractère extrêmement scolastique et savant des plus grandes institutions (Nisibe, Séleucie, Jundisapour, etc.) est attesté par les monuments littéraires émanés de ces centres: Statuts de l'École de Nisibe, par exemple, et une ample littérature exégétique partiellement éditée, ainsi qu'un nombre respectable de traductions d'œuvres grecques incluant ouvrages

30 Intitulé ‘elata dsiam mawtba d'eskula, de Barhadbešabba, fort mal traduit par Mgr Scher, son éditeur et traducteur, en Cause de la Fondation des Écoles (voir Barhadbešabba, Fondation des Écoles). Il s'agit en fait d'une harangue d'introduction, selon la forme rhétorique de l'hupothesis ou aitia, qui consiste en un résumé plus ou moins long de ce qui a donné lieu, ce qui est à la base, ou ce qui sous-tend (hupo-thesis) un ouvrage (discours, commentaire etc.), ou une institution, un fait historique, etc. Pour un bref historique de ce genre dans l'antiquité, voir Raddak, Hypotheseis. La meilleure saisie de ce genre chez les Nestoriens est celle de Macomber, Theologica/ Synthesis of Cyrus, pp. 6-9, qui donne quelques exemples de tels ouvrages. Il y en a beaucoup d'autres: par exemple - pour parler du matériel édité - le Traité d'Isaï le Docteur sur les Martyrs; la Cause du Vendredi d'Or et la Cause des Rogations par Henana d'Adiabène, éditées et trad. en français par A. Scher dans la PO, VII, p. 1-82 (voir Isaï, Traité, et Henana, Traités). Macomber, quant à lui, a publié six 'E/ata de Cyrus d'Édesse, dans le CSCO de Louvain; voir Macomber, Six Explanations by Cyrus Edessa. Aucune des traductions proposées ne nous satisfait: l'Elleta n'est ni une «cause», ni un «traité», ni une «explication», mais il faut avouer qu'il est bien difficile de trouver un équivalent exact de ce genre littéraire qu'au vrai, nous avons du mal à nous représenter. Nous retiendrons comme la plus proche du sens de l'institution, la traduction des éditeurs de la PO dans l'Introduction à l'édition de l' 'Elta de Barhadbešabba, Fondation des Écoles, p. 325), qui proposent « pour le mot ‘Elta, sans préjudice des autres interprétations, le sens d'introduction ou prologue (cf. Payne-Smith, Thesaurus, II, col. 2877) », et voient dans cette œuvrette de Barhadbešabba « un ‘discours d'ouverture’, ou, tout au plus, ce qu'on appelle en Allemagne une ‘dissertation inaugurale’, lue certaine année à l'ouverture des cours de l'école de Nisibe ». Pour ma part, je propose la traduction suivante: Exposé introductif de la Session de l'École (ou des Écoles, selon les manuscrits). Il est superflu d'insister sur l'erreur manifeste de la traduction de Scher pour siam mawtba par « Fondation »: il s'agit bien du fait de « poser une session », c'est-à-dire « siéger », « ouvrir la session », et donc, ici, inaugurer l'année scolaire.

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de médecine, de logique, traités de grammaire, de rhétorique, etc. 31.

Mais, loin de rester l'apanage de l'élite, cette élaboration de la doctrine chrétienne à partir de l'Écriture et de la tradition a pour but essentiel d'instruire le peuple de Dieu et de gagner des adeptes à la foi chrétienne. Une preuve flagrante de cet aspect pragmatique de la catéchèse et du prosélytisme nestorien est, sur le terrain cette fois, l'expansion aussi prodigieuse qu'inexplicable de cette petite Église schismatique 32, isolée des centres névralgiques de la Papauté et des hauts lieux théologiques de l'Occident, où s'élaboraient les dogmes et la discipline de l'Église. Le Nestorianisme n'avait pas - tant s'en faut - de césaropapisme ; il devait se contenter du statut précaire, et toujours remis en question, de «religio licita», souvent mal tolérée, dans un pays étranger dont il semble bien que la majorité de ses fidèles, araméens chrétiens, ne parlaient que fort peu et très mal la langue autochtone 33.

Autre sujet d'étonnement: le rayonnement de l'École de Nisibe hors des frontières

31 Il n'est que de rappeler la fondation par AI-Ma'mün, vers 830, de la célèbre 'Bait al-l;Iikmah' (Maison de Sagesse), décrite par Rescher (op. cit. Rescher, DAL, 21) comme «a sort of Institute for Advanced Studies specializing in translations relating to Greek science and philosophy». Cette institution était placée sous la direction du savant nestorien, Yabyâ (ou Yubannâ) ibn Mâsawaih. Pour bibliographie sur ce sujet, voir Rescher, ibid., p. 23, n. 20. 32 L'ouvrage de base sur l'histoire de l'Église nestorienne est, comme on le sait, celui de Labourt, Le Christianisme dans l'Empire Perse. Malheureusement, cet ouvrage a beaucoup vieilli, et tant sa conception que son apparat de notes ne répondent plus aux critères modernes de l’édition scientifique (cf. opinion identique de J. M. Fiey, OS (1967) p. 561). Il reste qu'il constitue, à ma connaissance, la seule œuvre d'envergure consacrée à la question, et qu'il sert encore d'ouvrage de référence ; mais il convient de compléter et corriger les informations qu'il contient, par la consulta-tion de monographies et articles techniques sur le sujet ou les sujets connexes. En voici quelques exemples: Atiya, Eastern Christianity ; Asmussen, Das Christentum in Iran ; Chaumont, Sassanides et Christianisation de l'Empire Iranien, pp. 165-202 ; Fiey, Histoire de l'Église en Iraq ; Guillaumont, Justinien et l'Église de Perse ; du même, Colloque entre Orthodoxes et Nestoriens; Henninger, Geschichte des Christentums im vorislam Arabien ; Neusner, Conversion of Adiabene to Christianity ; du même, Christianity in Arbela, dans History of the Jews in Babylonia, III, 354-358. 33 Je me fonde, pour cette hypothèse, sur les indications des chroniques nestoriennes, qui semblent aller dans ce sens. En effet, la connaissance du persan y est présentée comme une exception. C'est le fait de savants ou de persans de naissance, tel Mar Aba: « Mar Aba, qui connaissait déjà le persan et le syriaque, apprit aussi le grec » (Histoire Nestorienne, PO VII (2), 155); c'est aussi le cas d'Acace. Le roi ayant exigé que chaque religion rédigeât un traité sur la foi, le Catholicos Acace en chargea Élisée, interprète (c'est-à-dire commentateur) à Nisibe; ce dernier « l’envoya à Acace qui le traduisit en persan et le présenta à Qawad » (ibid., 126). C'est sans doute également le cas de Job (Ayyoub), disciple d'Abraham de Nephtar, qui « traduisit, du syriaque en persan, les règles de Mar Abraham (de Bët Rabban?), et les discours de Mar Abraham de Nephtar » (ibid., 174). Autre preuve de l'exception que constituait la maîtrise du persan : il est précisé, à propos d'Ézéchiel, que « grâce à sa distinction, à son savoir-faire, à sa profession de médecin et à sa connaissance de la langue persane, il eut ses entrées chez le roi et gagna son amitié » (ibid., 178). Toutefois, il ne faudrait pas croire que l'élément persan fût inexistant dans l'Église nestorienne ; loin de là. Il est bien évident qu'une grande part des fidèles étaient des autochtones convertis, ou fils de Perses d'origine convertis. La proportion de ces « Perses », par rapport aux « Araméens », ne nous est pas connue, mais elle devait être assez importante pour avoir justifié la traduction de règles monastiques en persan : voir, ci-dessus, ce qui est dit de Job « qui traduisit les règles (monastiques) de Mar Abraham » (Ces règles ont été publiées par Chabot. Voir Chabot, Regul. Monast. ab Abr. Cond.), et de la rédaction par Ma‘na, « en persan, d'odes religieuses, de poésies et d'hymnes pour être chantées à l'église » (ibid., 117).

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de l'empire Perse. Junilius Afer (VIe s.) 34 ne cache pas son admiration pour Paul de Nisibe et l'École qui l'a formé. Tandis que Cassiodore (VIe s.) 35 inclut dans sa liste d'œuvres choisies pour l'Introduction à l'Étude de l'Écriture, les deux courts livrets de Junilius, qui se veulent un épitomé de la méthode introductive de Paul de Nisibe ; mieux, le grand moine et humaniste décrit avec envie ce haut lieu de l'enseignement public de la théologie qu'est l'École de Nisibe, dans laquelle il voit la réplique moderne de ce que fut jadis le grand centre catéchétique d'Alexandrie 36.

De tels phénomènes attendent encore leur interprétation, et il faut bien avouer que, dans l'état actuel de la recherche, celle-ci semble encore fort éloignée.

Pour ma part, je pense qu'il convient de chercher le secret ressort, l'âme, peut-on dire, de cette fécondité intellectuelle et spirituelle, dans une synthèse particulièrement bien réussie, fruit d'une longue et lente maturation, à la faveur d'un brassage de cultures et de religions sans précédent, entre deux univers apparemment antinomiques. Ici, le monde grec et son incomparable culture, servie par d'efficaces techniques philologiques, rhétoriques et rationnelles qui ont conquis le monde et ont vu l'éclosion d'Écoles célèbres: Alexandrie, Athènes, Constantinople, Gaza, Antioche et autres. Là, le monde sémitique, aux langues beaucoup moins analytiques, aux littératures païennes archaïques, aux catégories d'entendement mythiques, à l'expression fortement concrète et imagée, et invraisemblablement syncrétiste.

L'application rigoureuse des cadres techniques de l'analyse textuelle hellénique, à une œuvre sémitique aussi peu faite pour cela, que l'est la Bible, eût pu conduire à la stérilité ou à l'incohérence.

Le «Quoi de commun entre Athènes et Jérusalem!» de Tertullien 37 ne semble pas

34 Junilius Afer, Instituta Regularia. Sur ce personnage dont on connaît peu de choses, lire Pirot, Junilius Africanus. On trouvera une très brève analyse de cette œuvre de Junilius, dans Foot-Moore, Theological School Nisibis, 26 ss. Mais le maître-ouvrage est Kihn, Theodor und Junilius. 35 Institutiones, Liber primus, ch. X, 1 (voir Cassiodori Institutiones 34): « Primum est post hujus operis instituta ut ad introductores Scripturae divinae quos postea repperimus, sollicita mente redeamus, id est Ticonium Donatistam, sanctum Augustinum de Doctrina Christiana, Adrianum, Eucherium, et Junilium ». Sur Cassiodore et son école monastique, consulter Van de Vyver, Cassiodore et son œuvre. Voir aussi Cassiodore, Institutions et Fondation à Vivarium. 36 Institutiones, Praefatio (Cassiodori Institutiones, 3). J’en propose ici une première traduction française : « Me rendant compte que l'étude des lettres profanes suscitait un grand engouement, au point qu'une grande part de l'humanité pensait que, grâce à ces études, elle parviendrait à la sagesse du monde, j'étais, je le confesse, extrêmement triste de ce que les divines Écritures n'avaient pas de Maîtres publics, alors que les auteurs profanes bénéficiaient incontestablement d'un enseignement des plus distingués. Aussi je n'épargnai aucun effort, avec l'aide du très saint pape Agapet, pour que, à l'instar de ce que nous savons de l'existence fort ancienne à Alexandrie d'un tel usage, et comme, aujourd'hui encore on nous rapporte qu'à Nisibe, ville des Syriens, il est appliqué avec zèle aux juifs (j'ai donc fait tous mes efforts) pour que, sur collectes de fonds pour les dépenses, dans la ville de Rome, ce soient plutôt les écoles chrétiennes qui s'assurent les services de maîtres notoires (professos), en sorte que, d'une part, l'âme (des fidèles) reçoive le salut éternel, et que, d'autre part, l'expression des fidèles soit embellie par une chaste et très pure éloquence ». Sur ma traduction du mot « Hebreis » par un datif et non, comme l'on trouve dans toutes les traductions en langue moderne, « par les juifs » ou « chez les juifs », voir mon article: Macina, Cassiodore et l'École de Nisibe. 37 Tertullien, De praescriptione haereticorum, VII, 9.

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avoir d'équivalent chez les scoliastes nestoriens 38. Certes, le choc était rude entre les discours hiératiques de Moïse, les oracles prophétiques, et la clarté, la rationalité de la réflexion philosophique grecque; mais c'est précisément de cette confrontation féconde que sortira une méthode originale, née d'une exigence humaine légitime d'intelligibilité. Après tout, les Grecs eux-mêmes s'étaient heurtés à ce problème: de Platon à Plutarque, nous voyons leurs penseurs aux prises avec l'expression littéraire épique ou tragique des mythes grecs primitifs. Les systèmes se succèdent, se contredisent, se complètent: interprétation mystique chez Platon, sceptique chez Épicure, théologico-allégorique chez les Stoïciens, ésotérique chez les Pythagoriciens, athéiste et démythologisante chez Evhémère, historique et réaliste chez Strabon et Diodore de Sicile, fidéiste et spirituelle mais anti-superstitieuse chez Plutarque 39.

Dans un ouvrage récent, sur lequel nous reviendrons, Schaublin, l'un des meilleurs connaisseurs de l'exégèse antiochienne, a démontré, de façon très convaincante, combien cette interprétation était tributaire des commentaires d'Homère composés par les lettrés grecs, surtout les grammairiens et les rhéteurs 40. Quand on sait que c'est de l'École antiochienne que les Nestoriens tiennent leur inspiration ou, à tout le moins, leur technique exégétique, il s'avère aussi urgent qu'indispensable d'exploiter cette piste inespérée et d'en tirer tout le profit souhaitable.

Urgence d'un essai d'interprétation générale

Ce tour d'horizon sommaire aura suffi, pense-t-on, pour donner une idée de la complexité et de l'obscurité relatives du phénomène, encore si mal connu, de l'exégèse nestorienne. C'est peu de dire que le temps n'est pas mûr pour une synthèse. On a vu combien le faible nombre d'œuvres éditées et traduites, ainsi que la rareté des études compétentes sur le sujet, rendent difficile, sinon impossible, une description raisonnée et satisfaisante du phénomène.

Est-ce à dire qu'il ne nous reste qu'à attendre un siècle ou plus pour que, le nombre de monographies et de publications s'étant accru, il soit possible de voir plus clair dans ce problème et de s'attaquer enfin à une synthèse ? Il n'en est pas question. Et ce pour deux raisons principales : tout d'abord, nous n'avons aucune garantie que les décades prochaines verront un regain d'engouement pour les études syriaques, comme en connut le dix-neuvième siècle finissant et le début du vingtième. Au contraire, tous les signes indiquent une récession très nette de l'intérêt pour ce secteur de recherche. Deuxièmement, le progrès des études scientifiques modernes a prouvé que les essais de synthèse sont indispensables et féconds, même aux stades les plus élémentaires de développement d'une discipline. Elles doivent être entreprises à intervalles rapprochés, et sous la forme

38 Il semblerait que l’on puisse m’opposer le canon 19 de la 2e série des Statuts de l'École de Nisibe (Statuti, 193), qui déclare qu'on n'étudiera pas les livres de science profane en même temps que les livres saints. Mais ce serait mal comprendre le contexte. C'est malheureusement ainsi que l'ont compris Chabot et Vööbus qui voient, dans cette remarque sibylline, une indication du peu de considération dont jouissait la médecine à Nisibe (Chabot, École de Nisibe 78 ; Voobus, HSN 286). 39 D'après Decharme, Critique des Traditions Religieuses (Livre second: La Religion et les Philosophes à partir de Socrate, pp. 181-501). 40 Schäublin, Untersuchungen Antioch. Exeg., 37 ss. et surtout 60 ss.

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d'une relecture critique des acquis scientifiques accumulés jusqu'alors, à la lumière d'une découverte, voire d'une simple indication nouvelle, de nature à reconsidérer les certitudes antérieures. Elles se présenteront plutôt comme des ajustements périodiques, accompagnés d'une mise à jour de la question, que comme un édifice encyclopédique pesant et érudit.

Il va de soi qu'essayer de procéder à l'interprétation générale d'un phénomène encore mal connu, est une entreprise redoutable et hasardeuse, à plus forte raison lorsque la nature du processus nécessite une approche interdisciplinaire, ce qui est précisément le cas de l'exégèse nestorienne. Toutefois, c'est là le prix indispensable qu'il faut payer pour l'avancement de la science. Le risque à assumer est sans proportion avec les avantages qui résulteront de l'investissement. En effet, il se résume, ce risque, à ce que l'auteur de cette étude courageuse se verra qualifier d'audacieux, ou de trop pressé, ou que ses conclusions seront déclarées inacceptables, quitte à être reprises ultérieurement, avec plus ou moins de retouches, et généralement sans la moindre mention de «copyright», par d'autres chercheurs qui sauront, eux, tirer, des risques pris par leur malheureux devancier, les fécondes conclusions qui s'imposent.

Par conséquent, la prudence et le réalisme scientifiques ne devant pas être confondus avec la pusillanimité, on souhaitera que quelque chercheur courageux s'attaque, sous l'angle qui lui paraîtra le plus adéquat, à un essai d'interprétation générale de l'exégèse nestorienne. Les chapitres qui suivent se veulent un exposé relativement détaillé de la problématique, des pistes de recherche possible, ainsi qu'une description de certaines œuvres et une revue des disciplines complé-mentaires auxquelles on devra faire appel, et des travaux de recherche antérieurs de quelque utilité pour une telle entreprise.

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II. – ANTIOCHE ET LES NESTORIENS

A. L’empreinte de Théodore

Introduction

Avant même d’envisager l’interprétation d’un phénomène d’ordre culturel ou (et) religieux, et de tenter d’en saisir l’esprit, il convient d’en restituer le plus fidèlement possible le contexte historico-sociologique vivant. Or, en ce qui concerne l’exégèse nestorienne et celle dont elle dépend pour une large part, c’est-à-dire l’antiochienne, il nous semble qu’elles ont été traitées jusqu’ici davantage comme un objet de description fossilisé, que comme l’expression vivante d’une foi raisonnée autant que prêchée. Il convient donc d’élargir la perspective.

Le problème de l’exégèse nestorienne ne doit pas être considéré seulement comme un courant de pensée, si original soit-il, mais comme celui d’une Église particulière. En effet, coupée de l’autorité dogmatique de la Grande Église, tant par sa nature schismatique que par les conditions particulièrement délicates du conflit entre les empires byzantin et perse, restée grecque par sa culture et son patrimoine théologique, mais résolument sémite, tant par sa langue que par son origine ethnique, l’Église nestorienne a dû trouver son identité et son expression particulières en marge des principales tendances d’autres parties de la chrétienté.

Toute étude de son exégèse, et même de sa théologie, devra donc tenir de ces conditions spéciales, et l’examen des textes devra toujours être fait à la lumière de la tension dialectique entre la fidélité à des sources et à des traditions chrétiennes occidentales dont le contenu théologique et dogmatique est, dans sa quasi-totalité, partie intégrante de l’héritage nestorien, et un développement original de ces mêmes traditions, en dehors du contrôle de la Grande Église et, pourtant, en liaison, et même en symbiose constantes avec les grands courants culturels qui traversent le monde civilisé d’alors, et qui se moquent des frontières politiques. C’est pourquoi, il conviendra, avant tout, de lever deux hypothèques qui grèvent lourdement toute entreprise de clarification de l’origine et de la nature de l’exégèse nestorienne. Je veux parler de sa dépendance, réputée exclusive, de l’autorité de Théodore de Mopsueste, et de son caractère technique, qualifié d’"historique".

Dans ce premier chapitre, consacré à Théodore, nous nous efforcerons de reconstituer la genèse de l’"empreinte" théodorienne sur les Nestoriens, et d’apprécier son poids réel. Dans le second, nous nous efforcerons de mieux cerner ce que les Nestoriens appellent l’interprétation "historique", et qui n’équivaut pas toujours à ce que nombre de chercheurs comprennent par ces termes 41. Mais,

41 Les chercheurs visés par ma remarque ne sont généralement pas des spécialistes de l’exégèse antiochienne et nestorienne, mais des exégètes et théologiens qui traitent, dans de nombreuses revues, de problèmes d’exégèse, des sens de l’Écriture, avec un grand et saint zèle, mais pas toujours avec la compétence scientifique élémentaire, et en tout cas sans la prudence et la modestie que requièrent certaines affirmations tranchées, particulièrement dans des domaines où

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également, nous tâcherons de prouver que ce serait une erreur grave de considérer l’exégèse nestorienne comme uniquement technique, réaliste et historique, et ce à la lumière de textes et d’affirmations mal comprises. Nous verrons que, non seulement l’exégèse nestorienne, mais l’antiochienne, et plus précisément, celle de Diodore et celle de Théodore, loin d’être uniquement "historiques", sont ouvertes, non seulement à l’interprétation typologique (point généralement admis par les chercheurs), mais également allégorique, sous les noms pudiques d’exégèse spirituelle et de ‘Considération’ (theôria) 42.

Historique

Ce double caractère de l’exégèse nestorienne, à la fois rigoureusement traditionnelle et cependant novatrice, semble bien trouver son origine dans l’œuvre personnelle de Théodore. En effet, il semble que l’affirmation très détaillée de Barhadbešabba, évoquée plus haut 43, doive être prise au sérieux. Nous en donnons ici le texte complet, étant donné son importance pour l’appréciation des conclusions qu’il paraît possible d’en tirer :

Quand Flavien fut consacré évêque, le bienheureux Diodore se retira dans un couvent, où il tint école pendant longtemps 44. Et beaucoup se joignirent à lui de toutes les régions, ainsi que le bienheureux Basile, Jean (Chrysostome), Évagre et Théodore le grand (de Mopsueste) 45. Ils apprirent de lui l’interprétation des Écritures et leurs traditions [c.-à-d. les commentaires et les gloses traditionnels]46.

l’on est tout sauf spécialiste. L’erreur que je dénonce est si couramment commise, que je renonce à fournir des références. Pour ces auteurs, l’exégèse d’Antioche (aucun d’entre eux n’est parvenu jusqu’à Nisibe !) est caractérisée par son « sens de l’Histoire », c’est-à-dire - selon eux, bien entendu – le déroulement des événements de l’Histoire, l’enchaînement, leur cohérence avec le Plan de Dieu ; c’est pourquoi – toujours selon ces interprètes – la typologie est la seule interprétation allégorique qu’elle admet… Et ainsi de suite. Bref, à les lire on se sent plus proche d’une philosophie religieuse de l’Histoire, à la Teilhard de Chardin, que de l’humble réalité toute rhétorique, qui découle bien naturellement du sens étymologique du verbe grec historein : relater, raconter. 42 Voir ici, plus loin, B. Exégèse historique et exégèse spirituelle. 43 Le texte cité est de Barhadbešabba, Fondation des Écoles, 382-383. 44 Sur l’École fondée par Diodore, voir l’article de Leconte, L’Asceterium de Diodore. 45 Il faudra toujours se souvenir de cette empreinte de Diodore sur ces Pères qui – à l’exception de Théodore – sont restés orthodoxes. Certes, il ne faudrait pas en exagérer l’importance, qu’il est d’ailleurs difficile de mesurer ; reste qu’il ne faut pas la minimiser. Peut-être faut-il faire remonter à l’enseignement exégétique de Diodore les parallèles "antiochiens" que nous avons trouvés chez le cappadocien Basile et l’antiochien Chrysostome. Quant à Évagre, le théologien des "spirituels" (c’est-à-dire les ascètes du désert), malgré l’origénisme dont il fut accusé plus d’un siècle et demi après sa mort, il a bien dû garder quelque chose des méthodes rigoureuses de Diodore. En tout cas nous avons peut-être, avec lui, le chaînon qui manque pour rattacher la méthode rhétorique rigoureuse de l’ouvrage de Dadišo Qatraya, dont je parlerai plus loin, et qui, bien que constituant une apologie de l’exégèse selon l’esprit, est construit selon les canons les plus stéréotypés de l’école du rhéteur. 46 Le terme mašlmanuta a pour signification essentielle : tradition, transmission (cf. Payne Smith, Thesaurus Syriacus II, 4193). On prêtera une attention particulière au fait qu’il apparaît ici, avec la terminaison possessive au pluriel, qui se rattache à « Écritures » : Pušaqa daktave wmašlmanuthun. Nous apprenons donc que les Écritures sont pourvues de traditions qui, certes, pourraient bien être la Massore, c’est-à-dire un apparat critique textuel incluant les variantes, les lettres manquantes, les impropriétés orthographiques etc. Mais il semble que ce soit plus que cela, et ceci pour deux raisons : tout d’abord, il ne paraît pas concevable que ces savants déjà adultes, ayant depuis

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Diodore, en effet, était accompli plus que tout autre dans ces [deux domaines]: dans l’enseignement de la philosophie, et dans l’interprétation des Écritures. Ce saint ayant été consacré évêque de Tarse, ses disciples s’en retournèrent chacun chez soi. Il ne resta dans le monastère que le bienheureux Théodore qui assuma la tâche de l’enseignement, lui seul, [et la garda] longtemps. Ce n’est pas seulement par la parole de vérité de l’enseignement qu’il professait, mai aussi par des écrits sur la demande des Pères. Par la force de la grâce, il commenta toutes les Écritures et controversa contre toutes les hérésies. Jusqu’à l’époque où la grâce amena cet homme à l’existence sur la terre des hommes, toutes les parties de l’enseignement, les commentaires et les traditions des Écritures divines, tels les différents éléments dont on fait l’image du roi des rois, étaient dispersées et éparpillées partout sans ordre et sans méthode dans tous les ouvrages des premiers écrivains et Pères de l’Église catholique. Dès que cet homme eut distingué entre le bien et le mal, et se fut exercé dans les écrits et les traditions des premiers [écrivains], alors, comme un habile médecin47, toutes les traditions et tous les chapitres qui étaient dispersés, il les réunit en un corps [ou : de façon concordante] et les combina avec beaucoup d’art et d’intelligence et il en fit un seul remède complet, un enseignement d’une parfaite beauté, qui déracine et supprime des esprits de ceux qui s’approchent avec zèle de son enseignement, les faiblesses [ou : les maladies] de l’ignorance. Certes, notre corps est sujet à bien des maladies et souffrances, mais de toutes les affections il n’en est pas de si mauvaise et si cruelle que celle du non-savoir, pour les âmes des hommes48. Et de même que ceux qui érigent un monument, façonnent

longtemps dépassé le stade élémentaire, se voient enseigner par Diodore, après ou en même temps que le Pušaqa qui est – de loin – le stade le plus élaboré de l’analyse textuelle, les mašlmanuta, à savoir l’apparat critique ! Deuxièmement, la mašlmanuta apparaît bien comme une œuvre littéraire distincte qu’on écrit. Un simple coup d’œil sur le catalogue des œuvres syriaques d’Ebedjesu reproduit et traduit en latin par Assemani, Bibliotheca Orientalis III, 1, p. 215, suffit pour s’en convaincre. Cyriacus (évêque de Nisibe) composa (‘vd) une exposition (pušaqa) de la foi, des sacrements et une hypothèse (‘elta) de la Nativité et de l’Épiphanie et une mašlmanuta de Paul. (Le verbe ‘vd signifie bien ici "composer" et non "transmettre".) Mieux, nous trouvons le mot dans le Payne Smith (Thesaurus Syriacus II col. 4193) comme équivalent pour Mishna et traditions mosaïque et rabbinique, dans les paradigmes suivants : a) « Liber traditionis Seniorum, h. e. liber doctrinae Rabbinorum (sepra dmašlmanuta qašiše) qui Heb. Mishna vocatur », b) Traditio Mosaïca (mašlmanuta musaita) etc. Or nous savons que la tradition mosaïque, avant sa fixation dans la Mishna, puis ses commentaires dans le Talmud, après celle d’Ezra et des Scribes, était l’œuvre des rabbins postérieurs (Tannaïm et Amoraïm), dont on ne cessait d’étudier et de "développer" l’enseignement. Vue sous cet angle, la Tradition est une œuvre que l’on "fait" sans cesse, de génération en génération, et les supercommentaires des Savoraïm, ceux des gueonim, ainsi que les Codes et Commentaires de Commentaires du Moyen-Age ne sont qu’une continuation de cette Tradition qu’on écrit sans cesse en la réinterprétant, en l’adaptant aux circonstances et aux mentalités. Telles nous paraissent être les mašlmanuta. 47 Cette comparaison de l’exégète avec le médecin peut surprendre : il reste qu’elle est fréquente chez les Nestoriens, en particulier, mais aussi chez les Pères de l’Église, en général. En outre l’exemple du médecin est familier à toute l’antiquité et à ses continuateurs. Enfin, sur la comparaison entre l’ignorance et l’erreur avec une maladie, les précurseurs illustres ne manquent pas, de Platon à Théodoret de Cyr, en passant par les stoïciens, tels Chrysippe, par exemple, qui a écrit une Thérapeutique des Maladies de l’Ame ; Évagre et Pallade, Clément d’Alexandrie, et Epiphane, qui a intitulé son traité des Hérésies, la Boîte à Drogues « Pour guérir de toutes les hérésies possibles et imaginables », relate Canivet (Entreprise apologétique, 116-117). Et, plus près des Nestoriens enfin, Diodore de Tarse lui-même qui, dans son Prologue aux Psaumes appelle ces derniers « remède très utile » (chrèsimôtaton pharmakon). Et affirme que ceux qui tombent sont guéris par les Psaumes di’ôn an therapeutheien hoi peripesontes (Diodore, Comment. In Psalm. Prologue, p. 3, 1. 14, 30 et p. 4. 1. 31-32). 48 Cette phrase fait invinciblement penser à Platon, Timée 86, b, cité par Canivet, Entreprise Apologétique 116, dans le même contexte : « Il faut admettre que la maladie propre de l’âme est la démence ; mais il y a deux sortes de démences : l’une est la folie, l’autre, l’ignorance. » (Ce n’est

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séparément et un à un les membres de la statue, et ensuite les assemblent l’un après l’autre, comme l’exigent les lois de [cet] art, [jusqu’à obtenir un monument parfaitement achevé, ainsi également le bienheureux Théodore combina, ordonna, ajusta et posa chacun des membres de cet enseignement dans un ordre qu’il voulait sûr, et en façonna dans tous ses écrits une image parfaite et admirable de l’essence [divine] bénie. En lui s’accomplit ce qui a été dit de Salomon : ‘Il a été plus sage que ceux qui étaient avant et après.’ Il accomplit cette tâche durant cinquante années. Et quand il fut élevé à l’épiscopat de la ville de Mopsueste, il allait constamment se prosterner sur la tombe de Sainte Thècle et lui demandait [son] aide pour recevoir la capacité d’interpréter les Écritures.

Nature de la synthèse théodorienne

Au-delà du style fleuri propre au genre oratoire du discours de circonstance prononcé par Barhadbešabba, où figure ce passage, il semble qu’il faille voir dans ce long exposé du rôle de ‘récapitulateur’ de la Tradition joué par Théodore, bien plus qu’un simple élément panégyrique. L’intention de l’auteur est claire : les aspirants au cycle des hautes études théologiques de l’École de Nisibe doivent savoir, sans la moindre ambiguïté, qu’il y avait un ‘avant Théodore’, et que désormais, après lui, plus rien ne sera exactement comme autrefois, en exégèse. L’exigence sur le rôle ordonnateur de Théodore fait penser aux Sommes du Moyen-âge latin ; et l’équation Théodore = Thomas d’Aquin ne paraît pas ridicule. Certes, nous ne savons pas exactement en quoi consista cette synthèse théodorienne. A prendre le texte à la lettre, il ne semble pas qu’il faille parler de la rédaction, par lui, d’une somme ou d’un traité des techniques d’interprétation. Les "membres de cet enseignement que (Théodore) combina, ordonna et posa", semblent bien l’avoir été - comme l’indique l’orateur – petit à petit, d’œuvre en œuvre. En bref, il semble que Barhadbešabba veuille dire ceci : durant les longues de son enseignement dans le couvent de Diodore (aux environs d’Antioche), Diodore commenta doctoralement toute l’Écriture, pour un cénacle d’élèves, en utilisant le meilleur de ce qu’avaient dit les Pères et les écrivains ecclésiastiques avant lui, mais surtout, en donnant aux traditions intégrées par lui, un ordre, un sens particulier, en faisant d’elles une construction singulièrement efficace.

Causes de la fascination exercée par Théodore

Ceci posé, il faudra bien répondre un jour à une question qui n’a - à mon avis – que trop peu été posée : Pourquoi justement Théodore ? Pourquoi pas Diodore ?... ou un autre. Après tout, de Théodore, nous savons fort peu de choses concrètement. Ce que nous connaissons le mieux, c’est sa théologie, ou plus exactement la controverse dogmatique énorme autour de ce que l’on appelle le caractère pré-nestorien de sa christologie. Autant que nous sachions, rien de commun entre

d’ailleurs pas le seul parallèle, dans cette œuvre de Barhadbešabba, avec les thèses de Platon). Pour Théodoret de Cyr, il paraîtra superflu de rappeler qu’il a conçu son œuvre dans cet esprit, puisqu’il l’a intitulée Thérapeutique des Maladies Helléniques, que Canivet a si excellemment traduite, analysée et illustrée, dans une thèse magistrale, à l’érudition de laquelle ces pages doivent beaucoup. (Voir Théodoret de Cyr, Thérapeutique.)

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Théodore le reclus, le doux, l’humble et le docte, et le fondateur de l’école de Nisibe par exemple, la Harpe du Saint-Esprit, le disert Narsaï (5e s.), ou le puissant réformateur Abraham de Bet Rabban (6e s.). Théodore, s’il a fait école, n’a pas fondé d’écoles, il n’a pas, comme tant de grands Nestoriens, parcouru villes et villages pour ouvrir toujours davantage de petits centres d’enseignement. Avant son affectation à Mopsueste il a surtout vécu comme un savant reclus dans son monastère. D’où vient donc l’ascendant irrésistible de son exégèse, au point que, de son vivant même, ses œuvres commencèrent d’être traduites du grec en syriaque ? L’étonnement est d’autant grand que la lecture des quelques ouvrages de sa main qui subsistent aujourd’hui engendre plutôt l’ennui. On connaît le jugement sévère de l’érudit patriarche Photius49, grand connaisseur en belles-lettres et en théologie :

Dans son style il n’est ni brillant ni très clair ; il évite autant qu’il peut les allégories et s’en tient au commentaire historique. Il se répète très souvent et laisse une impression désagréable et déplaisante. Mais, qui plus est, bien qu’il soit antérieur à Nestorius, c’est sa doctrine qu’il vomit.

C’est encore Barhadbešabba qui nous fournit un témoignage précieux sur la prééminence des écrits de Théodore par rapport à ceux des plus grandes autorités, telle celle d’Ephrem. Il nous raconte50 que l’un des directeurs de l’école d’Édesse, un dénommé Qiyoré ne regrettait qu’une seule chose, c’était que les commentaires de l’Interprète [par excellence, c.-à-d. Théodore] n’étaient pas encore traduits en syriaque51.

À cette époque, il se servait pour commenter, des traditions de Mar Ephrem, celles que l’on dit émanées de l’apôtre Addaï […] D’ailleurs, par ce que nous appelons ‘Tradition de l’école’, nous n’entendons pas les commentaires de l’Interprète, mais ces autres [traditions] transmises de bouche à oreille, dès le commencement, et que par la suite, le Bienheureux Narsaï inséra dans ses discours et dans le reste de ses ouvrages52. Dès là que le que le Commentaire de Théodore fut traduit en syriaque, il passa également à l’Assemblée d’Édesse, pour la plus grande

49 Photius, Bibliothèque, 38 (Traduction Henry, t. I, p. 23) ; cf. aussi ibid., 177 (Traduction Henry, t. II, p. 181). 50 Barhadbešabba, Fondation des Écoles, 382-383. 51 Cette impatience de Qiyoré ne peut s’expliquer que par le fait que ses élèves de l’école d’Édesse, dont la langue maternelle (et la langue d’étude) était le syriaque, ne pouvaient pas profiter de la doctrine de Théodore. Sur l’identité exacte de ce Qiyoré, nous ne savons rien. Scher propose de l’identifier avec Cyrillona (5e s.) (cf. Barhadbešabba, Fondation des Écoles, 382 n. 2). Si l’on en croit l’Histoire Nestorienne, Ma’na traduisit à Édesse les livres de Diodore et de Théodore (cf. Histoire Nestorienne, PO, t.VII, 2, p.116-117, et Duval, Littérature Syriaque, 345). Or Ma’na vivait au milieu du 5e s., ce qui place Qiyoré à la même époque, comme en fait foi sa satisfaction de voir traduites les œuvres de Théodore. Quoi qu’il en soit, cette impatience du docteur témoigne de l’importance grandissante de Théodore sur l’enseignement à l’École de Nisibe. 52 Cette division de la Tradition nestorienne en trois parties nettement distinctes n’a pas reçu - que je sache – l’explication qu’elle mérite ; et il va de soi qu’il n’en a pas été tiré les conséquences qui s’imposeraient si la chose était exacte. a) D’après Barhadbešabba, il faudrait considérer Ephrem comme le transmetteur des traditions apostoliques (émanées d’Addaï). b) L’expression Tradition de l’École (mašlmanuta d’eskula) est à distinguer soigneusement du pušaqa dampašqana, le Commentaire de l’Interprète (Théodore). Il s’agit de la tradition orale, nous dit-on (de quelle sorte est-elle, en quoi se distingue-t-elle de celle des Apôtres que transmet Ephrem ? Nous ne le savons pas). Elle est transmise par Narsaï. c) Enfin le Commentaire de l’Interprète (comme il résulte des distinctions de Barhadbešabba) reste comme une unité en soi, et il n’est pas dit qu’il ait un transmetteur.

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satisfaction de Qiyoré ainsi que celle de toute l’assemblée des frères. Les saints de cette assemblée que nous avons mentionnés plus haut, restèrent longtemps aux pieds de ce bienheureux [Qiyoré], ils reçurent de lui l’interprétation des Écritures divines et leurs traditions53, et étudièrent également les écrits de l’Interprète et s’y spécialisèrent54.

Nous sommes, aujourd’hui, en fort mauvaise posture pour essayer de nous faire une idée, même sommaire, de la nature de la fascination qu’exerça Théodore sur les scoliastes syriaques de l’École d’Édesse (est-il nécessaire de préciser qu’à l’époque ils étaient loin d’être schismatiques !)55. Fait aggravant : ce qui nous reste des œuvres de Théodore, surtout sur le plan exégétique, est fort peu, comparé à ce qu’il est censé avoir écrit. Mais une chose est certaine : ce n’est pas dans une lecture des commentaires conservés que nous trouverons le secret de cette emprise totale de l’Interprète sur l’exégèse nestorienne subséquente. Nous avons déjà fait remarquer plus haut, que sa prose est fastidieuse, voire indigeste56 ; elle n’a donc rien d’une synthèse claire, simple et attrayante, et le moins qu’on puisse en dire est qu’on n’y distingue d’emblée ni les idées maîtresses, ni les articulations. Nous avons également insisté sur la différence, qu’on peut bien qualifier d’abyssale, entre l’expression littéraire technico-théologique touffue de

53 On retrouve ici l’expression analysée en détail plus haut (cf. note 46) Pušaqa daktave wmašlmanuthun, ce qui nous indique qu’elle est classique. De plus il convient de remarquer que la distinction entre les mašlmanuta de Mar Ephrem et de l’École, et les pušaqe de Théodore, indique bien la proximité de sens et la quasi-identité de contenu des deux termes. 54 La forme ’etdaras, de la racine drs a le sens de : "être entraîné", "avoir une longue pratique", et souvent "être expert". Là aussi, la nuance vaut d’être notée : on étudie également les écrits de l’Interprète ; même si l’on s’y spécialise, ils restent à côté de « l’Interprétation des Écritures et de ses Traditions », comme une lampe peut-être, comme une ligne directrice sans doute, mais certainement pas comme un substitut. 55 Il faut rappeler qu’en ce milieu du 5e siècle où vivait Qiyoré, Théodore était mort depuis une trentaine d’années, et Nestorius venait à peine de quitter ce monde. Certes, les doctrines de ce dernier avaient été condamnées, dès 430, par le pape Célestin, et Cyrille d’Alexandrie s’était fait le champion de l’Orthodoxie et l’exécuteur des hautes oeuvres découlant de la sentence papale ; mais il faudra plus d’un siècle pour qu’intervienne la condamnation définitive des "Trois Chapitres" sous Justinien en 553. On peut penser, toutefois, que l’initiative de Qiyoré et d’autres savants d’Édesse représente un tournant en direction d’une ligne dure de resserrement des rangs autour de Théodore qui fut le maître de Nestorius, et dont les doctrines étaient indirectement visées par la condamnation des œuvres de Nestorius. Cette initiative coïncide avec la constitution, à Édesse, à la suite du Concile d’Ephèse (431), d’un fort courant en faveur de Nestorius, qu’il semble prématuré d’appeler nestorien, au sens dogmatique du terme. On se souviendra qu’Ibas, évêque d’Édesse de 435 à 457, avait jeté tout son poids dans le combat en faveur de Nestorius, à l’occasion de la querelle christologique qui faisait rage autour des doctrines de ce dernier, jugées hétérodoxes. C’est également à cette époque qu’eut lieu, à l’école d’Édesse, la scission définitive entre les adeptes de Nestorius (et de Théodore), qui tenaient pour deux natures dans le Christ, et les partisans de Cyrille d’Alexandrie, qui défendaient l’unicité de nature. Rappelons que Rabbula, précédent évêque d’Édesse, de 412 à 435, après s’être brouillé avec Théodore, avait pris ostensiblement le parti de Cyrille, et avait même fait brûler, à Édesse, tous les écrits de Théodore qu’il avait pu découvrir. C’est en 451 que Narsaï, qui était à la tête de l’école depuis 437, dut quitter Édesse, en proscrit, et s’en vint fonder l’école de Nisibe (ou plus exactement la fit revivre, car Ephrem y avait déjà enseigné jusqu’en 363, époque où Nisibe fut cédée aux Perses par l’empereur Jovien). Ce survol historique d’une situation complexe et même confuse, était indispensable pour mieux situer l’initiative édessénienne, qui eut lieu sous le directorat de Qiyoré, de faire traduire en syriaque les écrits de Théodore. On peut bien parler d’un tournant définitif et irréversible. Il pèsera d’un poids déterminant sur la théologie de la future Église nestorienne. 56 Cf. plus haut p. 21 et note 49, à propos de l’opinion également très péjorative de Photius concernant le style de Théodore.

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l’interprétation théodorienne, et les nombreux passages d’écrits théologiques nestoriens où les mêmes thèmes apparaissent en termes populaires. Que cette refonte remonte à Abraham ou à Mar Abba57, ou qu’elle soit plutôt le fruit d’une rumination séculaire dans les écoles, n’a guère d’importance pour notre objet ; l’essentiel était d’en constater l’existence. Il faut donc aller au-delà, et tenter de donner une réponse, au moins provisoire, à l’énigme de la canonisation des doctrines théologiques et exégétiques de l’Interprète par les Nestoriens, et surtout à la promotion de Théodore au rang d’autorité incontestée, voire de Père de l’Église nestorienne, aux côtés de Nestorius.

Théodore, docteur et lumière de l’Église nestorienne

C’est un fait que les sources confirment de façon évidente : la racine essentielle évidente du différend entre l’Église grecque et la nestorienne, tient à la haine farouche, viscérale de la première pour Théodore et Nestorius. Barhadbešabba, dans son Histoire ecclésiastique58, nous relate le zèle d’Abraham pour l’orthodoxie (entendez : la nestorienne) qui excita tant la bile des "Romains" (entendez : les Grecs) qu’ils

enlevèrent à l’Église de Nisibe et au saint lui-même (Abraham) tous les honneurs que lui rendait alors l’Église d’Antioche59, pour la cause suivante : lorsque certes (tacha) il avait été sollicité d’abandonner sa doctrine et de prendre la leur, que fit alors l’élu de Dieu ? - Non seulement il eut soin de conserver sans tache la vraie foi, mais encore il ordonna de lire dans le Livre de vie60 [les noms de] ceux qui l’avaient prêchée avec évidence, je veux dire les bienheureux Diodore, et Théodore et

57 Je rappelle que W. Wolska attribue une "refonte" populaire éventuelle des théories savantes de Théodore, à Mar Aba 1er, Catholikos (voir ci-dessus p. 8, notes 22 et 23). Pour ma part, je l’attribuerais plus volontiers à Abraham de Bet Rabban, alors que Gignoux l’attribue à Narsaï. (Voir, plus loin p. 55). 58 Barhadbešabba ‘Arbaia, Histoire II, p. 628-630. 59 Si l’on tient compte de ce que tout ceci se passe vers la fin de la vie d’Abraham qui est dit avoir vécu 120 ans, était né en 449 (d’après Barhadbešabba ‘Arbaia, Histoire II, p. 617, n.1) et est mort en 569 (ibid. p. 630, n. 2 ; voir aussi Barhadbešabba, Fondation des Écoles, 380), on peut dater ces graves événements entre les années 550 et 560 environ. Un autre point de repère est fourni par le fait que, dans cette même chronique, il est dit que c’est Abraham lui-même qui envoya Paul pour défendre les thèses nestoriennes, à la cour de l’empereur, cf. Barhadbešabba ‘Arbaia, Histoire II, 630. Or la mission de Paul de Nisibe est datée, de façon à peu près sûre, autour des années 553-554. On voit donc qu’à la fin de la première moitié du 6e siècle, il y a encore une communion entre les Nestoriens et l’Église Grecque, représentée ici par le siège d’Antioche qui – on le rappelle – avait été considéré, jusqu’au 4e siècle, comme le troisième patriarcat de la Chrétienté, après Rome et Alexandrie, bien que la prééminence de Constantinople s’affirmât graduellement, jusqu’à rejeter à l’arrière-plan celle d’Antioche, à l’époque qui nous occupe. 60 C'est-à-dire les diptyques qu’on lisait à haute voix, dans les premiers siècles de l’Église, au cours du Canon de la messe. Y étaient consignés les noms des vivants et des défunts célèbres pour leur sainteté ou leur réputation insigne. L’exclusion de ces diptyques, pour une personnalité religieuse, équivalait à une excommunication. Il va de soi que les noms de Diodore, de Théodore et de Nestorius ne figuraient pas dans les diptyques de l’Église grecque. C’est à la lumière de ce contexte qu’il faut mesurer le pas décisif et lourd de conséquences, que représente la décision d’Abraham : tout autant, sinon plus, qu’un acte de piété et de respect d’une Église locale envers les saints qui lui sont chers, il constituait en fait une rébellion canonique et dogmatique ouverte, sur laquelle ni Antioche ni Constantinople ne pouvaient passer en silence. À propos des diptyques, voir Fiey, Diptyques nestoriens.

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Nestorius, athlètes (athlètès) vaillants qui méprisèrent tous les honneurs du monde et obtinrent (la foi) par leur propre travail.

Sommé de se rétracter et convoqué par César à une controverse publique, Abraham se récuse, invoque son grand âge.

Il mit par écrit ce qui était beau et envoya la doctrine de sa confession, il répondit aussi aux questions (zètèmata) qu’on lui avait adressées. Comme ils furent battus en cela, ils lui dirent : ‘Chasse de l’Église Théodore et Diodore et nous serons d’accord avec toi, et toute l’Église sera une avec un seul pasteur.’

Admirerons au passage la subtilité diplomatique de la tentation, bien dans la façon de la cour byzantine césaropapiste. Au fond, il semble que la Grande Église n’exige pas grand-chose et qu’Abraham soit bien stupidement têtu de tant tenir à ses docteurs :

Quel avantage y a-t-il à faire mémoire des noms de ces hommes pour que vous y teniez tant, nous n’en savons rien, au contraire, (nous ne voyons là) que mépris et injures et tu t’es séparé de l’ensemble.

Cette fois la menace est claire, cette fidélité inconditionnelle aux colonnes de l’Église nestorienne est considérée comme un schisme. Abraham, lui, ne s’abuse pas sur la véritable motivation de cette demande de suppression de la mention des trois noms vénérés :

Le refus (de lire) leurs noms est un véritable reniement de leurs doctrines ; et si nous renions leur doctrine, nous nous mettons, comme vous, en dehors de toute vérité.61

61 On a donc ici la fine pointe de ce coup de force public d’Abraham. La motivation en est fondamentalement doctrinale. Il me semble que cette initiative d’Abraham, davantage que les controverses plus ou moins ardentes entre Grecs et Nestoriens, a dû être l’un de ces derniers coups de boutoir qui ont précipité la confirmation officielle du schisme. Celle-ci fut inaugurée par l’Édit de Justinien dit des "Trois Chapitres" (543-544), c'est-à-dire les trois sujets qui furent condamnés, à savoir la personne et les œuvres de Théodore de Mopsueste, les écrits de Théodoret de Cyr contre Cyrille d’Alexandrie, et la lettre d’Ibas d’Édesse à Mari (il s’agit d’un exposé de ses vues et de sa position concernant la controverse théologique autour des deux natures dans le Christ, et la condamnation des thèses de Nestorius, résumées à l’intention de Mari, évêque de Hardacir en Perse). Après maintes tergiversations, le pape Vigilius, sous la contrainte de l’empereur, dut approuver l’édit, puis se rétracta ; enfin au cinquième Concile oecuménique qui se tint à Constantinople en 553, la condamnation des "Trois chapitres" fut confirmée officiellement. Le schisme nestorien était consommé. Il est à noter que Tisserant passe entièrement sous silence cet événement capital de la lecture publique, dans les diptyques, des noms des "Trois Lumières" de l’Église nestorienne. Il fait porter tout le poids de la responsabilité du schisme sur Barsauma, expert en manœuvres secrètes de caractère politico-religieux en faveur du nestorianisme. Certes, Tisserant a raison de faire remonter à Barsauma le caractère dogmatiquement agressif du diophysisme de cette Église (cf. ses démêlés avec Acace, voir Chabot, Synodicum Orientale, p. 63, trad. p. 312), mais ces événements précèdent d’environ un demi-siècle ceux dont nous traitons à présent. Il convient donc de voir dans cet acte - symbolique en apparence – d’Abraham, un tournant définitif qui, au vrai, constitua peut-être davantage le sceau d’un conflit déjà consommé que la cause de sa condamnation. (Sur le rôle de Barsauma dans le durcissement dogmatique de l’Église nestorienne, et les manœuvres diplomatiques de cet évêque, voir surtout, Histoire nestorienne, PO VII (2), 99-127 ; Labourt, Le Christianisme dans l’Empire Perse, 131-158. On trouvera un excellent exposé sur la querelle des "Trois Chapitres" dans Tisserant, Recueil Tisserant, 159-165 ; voir aussi Amann (DTC) col. 1868-1924, art. (affaire des) « Trois Chapitres » ; Constantelos, Justinian and Three Chapters ; Devreesse, Querelle des Trois Chapitres ; Duchesne, L’Église au VIe siècle, pp. 184-218 ; Hefele-Leclercq, Histoire des Conciles, III, 1e partie, pp. 1-156 et passim. Consulter aussi Guillaumont, Justinien et l’Église de Perse.

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Mais l’épisode le plus significatif est celui du conflit aigu qui eut lieu entre Barsauma62, évêque de Suze, milieu du 7e environ), et son contemporain, le patriarche Iso’yahb II de Gedala63. Ce dernier, apparemment fort doué pour la diplomatie, tant en matière politique qu’en matière religieuse, avait été chargé par l’empereur perse Siroï, d’entreprendre des négociations avec l’empereur d’Occident Héraclius. Il avait réussi également à rédiger un "Symbole de foi" qui gagna l’agrément de l’Église grecque, mais ce succès paraît avoir été acquis au prix de concessions jugées humiliantes par l’évêque Barsauma. Dans une lettre tonitruante64, véritable procès public, Barsauma énumère les chefs d’accusation qui, selon lui, pèsent sur le patriarche, mais le dernier lui semble le pire, et il exprime son scandale en ces termes :

Tu as banni les saints Pères, les docteurs élus, les lampes lumineuses, Diodore, Théodore et Nestorius, en passant sous silence leur mémoire, dans la messe que tu as célébrée dans l’église de cet empereur qui les chasse et les persécute [...] N’as-tu pas tremblé de célébrer la messe, en rayant les noms de tes pères spirituels du chapitre des vivants et du diwan des morts, alors que le diacre osait retrancher leurs noms dans sa lecture ! C’est là l’abîme qui se trouve entre nous et ce peuple65 que tu as flatté, auquel tu as fait des concessions, auquel tu as donné la main, sur l’autel duquel tu as célébré la messe […] Car tu sais bien que notre messe ne sera jamais achevée sans la commémoration des Pères que tu as chassés au moment de ta messe, et bannis au moment de ta prière. Nous autres, qui ne pourrions dire l’office des Vêpres sans y faire mention de ces trois Lumières, comment pourrions-nous parfaire les mystères, la messe et les oblations, sans en faire mémoire ? Et toi, maintenant, ô Père, tu as abjuré ta foi aux Lumières de l’Église, en retranchant leurs noms de l’office de la messe, par une omission que tu as consentie. Puis tu as raconté toi-même comment tu as écrit pour l’empereur ta profession de foi, mais c’était là un piège où le roi t’a fait tomber ; en effet, il en envoya la copie aux confins de l’empire, ce qui fut connu de tous. Tout son but, en présidant la messe que tu disais devant lui, sur son autel, c’était de faire connaître aux chefs de son Église que ta profession et ta croyance étaient semblables à sa profession et à sa croyance.

62 Ce Barsauma, évêque de Suze (7e siècle), ne doit pas être confondu avec Barsauma, l’évêque de Nisibe dont nous venons de parler ci-dessus. 63 Sur la personnalité d’Išo’yahb de Gedala, voir Histoire Nestorienne, PO XIII (4), pp. 554-561. 64 En fait il y a deux lettres d’invectives de Barsauma adressées à Išo’yahb : l’une fut portée à la connaissance du public (Histoire Nestorienne PO XIII (4), pp. 561-570), alors que la seconde ne fut pas publiée (voir Ibid. p. 564-566). 65 J’ai jugé utile de mettre cette phrase en italiques, car elle témoigne de deux choses : premièrement, de ce que cette insertion liturgique par Abraham de Bet Rabban dans les diptyques de l’Église nestorienne, des noms de Diodore, Théodore et Nestorius, n’avait pas été une démonstration de force passagère, mais qu’elle était devenue, un siècle plus tard, traditionnelle. Deuxièmement, ce durcissement de l’attitude nestorienne au moment où des tentatives méritoires et apparemment sincères, étaient faites en haut lieu pour ramener les Nestoriens dans le giron de la Grande Église, semble traduire l’état d’esprit réel de l’Église nestorienne, plus que les subtiles et imprudentes concessions tactiques d’Išo’yahb. Les Nestoriens avaient définitivement compris qu’en cherchant à effacer les noms de leurs docteurs, on voulait les détacher de leur doctrine, qu’ils considéraient comme orthodoxe et comme constituant un développement sain de la tradition apostolique. Le rôle assez déplaisant de zélote presque fanatique, que joue ici l’évêque Barsauma, ne doit pas faire oublier l’enjeu capital de ce marchandage diplomatico-religieux par-dessus des siècles de théologie, de pastorale et de prise de conscience d’une foule de fidèles et d’ecclésiastiques fortement travaillés par un kérygme percutant autant qu’incessant – comme nous l’avons vu plus haut – et intimement persuadés de la pureté de leur doctrine.

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Ainsi, nous constatons que d’Abraham à Iso’yahb II, soit à près d’un siècle de distance, le même acharnement têtu pour ou contre les "trois Lumières" sépare plus que jamais l’Église grecque et l’Église nestorienne. Barsauma n’exagère donc pas en parlant d’« abîme » entre les deux camps. Il a parfaitement raison de démontrer que le patriarche a été victime de l’habileté diabolique de l’empereur Héraclius. Mais, au-delà de ces péripéties historiques et de ces querelles théologiques auxquelles nous sommes peu sensibles aujourd’hui, il reste un fait massif qui semble bien avoir pesé d’un poids décisif dans la formation de la théologie et de l’exégèse nestoriennes : c’est l’intransigeance même des Grecs et leur haine inexpiable pour les "trois Lumières" qui contribueront à faire de ces docteurs, l’autorité par excellence en matière de dogme et d’interprétation scripturaire, pour les Nestoriens.

Après la consommation officielle du schisme, l’Église nestorienne, devenue autocéphale, développera désormais sa doctrine et sa discipline en vase clos. Non qu’elle fût coupée de tout contact avec l’"Occident", ou exempte de la moindre influence extérieure - tant s’en faut – mais en ce sens que l’excommunication de ces théologiens, qui n’étaient au début que des docteurs parmi d’autres, dont on étudiait les doctrines conjointement à celles des auteurs et pères syriaques, tels Ephrem, Aphraate et bien d’autres, ce bannissement inexorable fut précisément la cause de ce que les rangs se resserrèrent autour de ces trois accusés, réputés innocents, faisant d’eux des martyrs, au point que l’intérêt à leur égard devint si grand, que leur enseignement ne tarda pas à éclipser celui des autres docteurs, et à devenir après refonte et systématisation de leurs thèses, la norme de l’enseignement nestorien.

Cependant, la chose n’alla pas sans difficulté et, au lieu de voir dans les défenses ardentes des doctrines et de l’autorité de Théodore, exprimées périodiquement, surtout à l’occasion de Synodes66, un signe de l’attachement traditionnel et indéfectible des Nestoriens pour ce docteur universel, comme l’ont cru certains savants, on pourrait, au contraire, y voir l’indice d’une remise en question périodique de cette "dictature" intellectuelle et théologique, mal supportée par certains. Le fameux schisme de Henana67 est une illustration flagrante de cette hypothèse qu’il faudra vérifier.

66 On trouvera dans l’article de Tisserant, DTC, « Nestorienne (L’Église) Théologie, col. 290-291, un petit résumé pratique (accompagné de références), de ces décisions synodales destinées à renforcer l’autorité de Théodore. 67 Sur ce schisme de Henana, on lira un bref aperçu dans Tisserant, DTC, Nestorienne (l’Église), col. 268. Rappelons que ce docteur dirigea l’École de Nisibe de 572 à 610. Ses doctrines hétérodoxes causèrent un exil dramatique de la quasi-totalité des élèves, que l’Histoire Nestorienne (PO XIII (4), p 510-511) relate de façon théâtrale en ces termes : « Ils sortirent de l’école, distribuant les objets qu’ils avaient ; ils emportaient des évangiles et des croix sur des voiles noirs, avec des encensoirs ; et ils sortirent de la ville en prières et en chantant les hymnes des rogations ; ils étaient environ trois cents. Les habitants de la ville pleurèrent et gémirent de leur départ […]. Il ne resta dans l’École que vingt personnes et à peine autant d’enfants. » La date de cet exode est fixée approximativement par Vööbus, aux dernières années du 6e siècle : « not long after Gregor’s downfall » (Vööbus, HSN 310) qu’il fixe à 594-595 (ibid. 307 n. 30). Le meilleur de ce qui a été écrit sur les réformes exégétiques et théologiques de Henana et sur son schisme se trouve dans Vööbus, HSN 242-264 ; 299-321.

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Conclusion

Au terme de ce débat, il semble qu’il faille avoir le courage de le clore par un aveu d’impuissance. Dans l’état actuel de nos connaissances, il ne paraît ni possible ni honnête de trancher dans cet écheveau d’informations contradictoires concernant l’influence tentaculaire, réelle ou supposée, de Théodore sur l’exégèse nestorienne. Le juste milieu paraît consister en une appréciation qui tiendra constamment compte de la référence traditionnelle et quasi-automatique à Théodore comme à la norme dogmatique, tout en admettant que, dans la vaste bergerie de cette autorité nominale, se presse un troupeau fort disparate, chaque brebis n’ayant parfois en commun avec sa voisine que la marque générique T, indice d’orthodoxie. J’entends par cette parabole, que bien des exégèses, bien des sentences théologiques qui se réclament de l’autorité du Maître par excellence, ou qui ont trouvé place dans les enseignements des Écoles nestoriennes, n’ont certainement aucun lien de filiation même indirecte, avec les enseignements de Théodore lui-même, mais coexistent avec eux, et même lui sont parfois d’autant plus généreusement attribuées qu’on ne prête qu’aux riches. Ainsi couvertes du manteau de l’autorité doctrinale incontestée de Théodore, des idées bien plus originales et très novatrices ont pu naître, se développer et se répandre sans entraves, pour constituer, au fil des générations, cette littérature exégétique à caractère composite, qui cause tant de maux de tête aux savants par trop cartésiens, soucieux de trouver ordre et logique là où il n’y a qu’organicité vivante, complexe, irréductible aux caractérisations trop étroites.

Il reste qu’il serait vain de nier qu’il existe un certain nombre de structures thématiques qui semblent bien remonter à l’enseignement de Théodore, ou à la tradition de sa doctrine. C’est incontestablement le cas pour celle des deux catastases (ou : conditions), et tout ce qui en découle, telle qu’elle est exposée dans l’œuvre populaire de Cosmas et dans d’autres œuvres nestoriennes68. J’y reviendrai en détail plus loin.

Il faut rappeler que le but de l’étude idéale souhaitée ne saurait être du genre : qui a précédé qui, ou quoi a engendré quoi. Une telle enquête devrait plutôt consister en une analyse vivante, et un tableau synthétique fiable de l’exégèse nestorienne in action dans son propre élément. On considérera comme sans importance fonctionnelle les différences d’expressions, ou la rareté des parallèles de détail convaincants entre les lignes maîtresses de l’exégèse nestorienne et ce que nous connaissons des doctrines théodoriennes. Étant donné l’état fragmentaire de la tradition des œuvres de Théodore, on pourra considérer comme relevant de l’esprit du maître antiochien, des thèmes suffisamment originels pour pouvoir lui être référés avec une marge suffisante de certitude. J’entends par motif originel, celui dont on ne peut expliquer la présence simultanée chez plusieurs auteurs par le fait que la simple raison humaine (ou l’imagination) aurait pu les faire parvenir, chacun de leur côté, aux mêmes idées ou conclusions. Une autre condition indispensable sera qu’il puisse être établi avec autant de certitude, que ce thème

68 Cette dépendance de Cosmas, des doctrines de Théodore a été prouvée par W. Wolska, Recherches Topographie Chrétienne, 37-61 ; et Gignoux, Homélies Narsaï Création, 509-514. De même, Gignoux a établi la dépendance des idées théodoriennes dans sa thèse, op. cit., pp. 470-488 et passim. Quant à W. F. Macomber, il a établi la dette de Cyrus d’Édesse (6e siècle) à l’égard de Théodore, Macomber, Theological Synthesis of Cyrus, 5-38.

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ou ce motif n’existaient pas avant celui qui en est réputé l’inventeur et, à ce titre, n’a pu parvenir par d’autres canaux aux écrivains postérieurs chez qui on le retrouve.

Tel semble être le cas de la théorie des deux catastases et des conceptions très particulières qui en découlent. Elle permet de réinterpréter les Écritures sous un angle radicalement novateur, ainsi que nous le verrons ultérieurement, et semble bien remonter à Théodore lui-même. Sur ce point au moins, l’empreinte de Théodore sur les Nestoriens est indéniable, sans préjudice du développement personnel et original, ou de la synthèse que ces derniers ont pu réaliser à partir des thèmes de base du maître.

B. Exégèse historique et exégèse spirituelle

Le problème

Particulièrement significatif est le fait qu’à ce jour, malgré le nombre respectable d’ouvrages et d’articles qui se proposent d’expliquer en quoi consiste la fameuse exégèse "historique"69 des Antiochiens, très peu d’entre eux aient réussi à en donner une définition suffisamment convaincante. Tour à tour qualifiée de ‘réaliste’, ‘rationalisante’, etc., cette exégèse apparaît au moins comme l’antithèse même de l’exégèse ‘spirituelle’, et, cela va sans dire, de l’allégorique. À en croire les chercheurs, l’exégèse antiochienne est ‘avant tout’ historique. Dans ces conditions on peut se demander comment ces historiens, s’ils s’en étaient tenus à cette méthode rigoureusement critique, auraient pu intégrer dans leurs exégèses la perspective néotestamentaire, et réinterpréter, comme ils le font sans cesse, toute l’histoire de la Révélation à la lumière de l’accomplissement plénier du Plan de Dieu à partir de la venue du Messie Jésus. Il est donc évident que leur exégèse n’est pas ‘uniquement’, ni même ‘avant tout’ historique, mais qu’elle a les deux dimensions, à savoir, la réaliste et la spirituelle.

On ne prétendra certes pas que les chercheurs ont supposé l’inexistence, chez les Antiochiens, d’une exégèse spirituelle. Mais il est symptomatique qu’ils la qualifient généralement de "typologique", comme si ce qualificatif exorcisait l’accusation d’allégoriser, voire de spiritualiser, réservée à la faction ennemie et honnie des Antiochiens, et à leur suite des Nestoriens : les Allégoristes. Le fait est que les savants qui ont le mieux analysé l’exégèse antiochienne, ont tellement voulu démarquer son caractère "historique" et souligner son refus viscéral et inconditionnel de l’allégorie, qu’ils en sont venus à pratiquement passer sous silence, consciemment ou non, les fort nombreuses interprétations qu’on ne peut guère qualifier autrement que d’allégoriques ou, si l’on craint le terme, de "spiritualisantes".

La querelle inexpiable entre les critiques tenants de l’existence de deux Écoles antagonistes : Alexandrie, l’allégorisante, et Antioche, l’historicisante, n’a pas cessé de faire couler de l’encre d’imprimerie. Elle s’est d’ailleurs affinée en une subtile joute technique, qui aux yeux des profanes, apparaît sans aucun doute

69 À propos du qualificatif "historique" pour l’exégèse antiochienne et nestorienne, voir ci-dessus n. 2.

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comme aussi abstruse et inefficace que les discussions byzantines interminables sur le sexe des anges, je veux parler de la démarcation que les uns veulent établir, et les autres, abolir, entre theôria et allègoria, la première étant l’apanage des Antiochiens, la seconde celle des Alexandrins70.

Pour résumer, disons que les positions n’ont guère changé depuis Kihn 71 , qui semble être le premier à avoir ouvert le débat à ce sujet, jusqu’à Ternant72 qui le clôt temporairement en passant par Vaccari73, Daniélou74 et surtout de Lubac75 qui le rouvre encore après Ternant, dans son immense enquête érudite sur les Sens de l’Écriture ; sans parler d’un nombre non négligeable d’articles mineurs d’autres chercheurs, et dont certains ne manquent pas d’intérêt. Les antagonistes de ce conflit subtil sont restés sur leurs positions. Le lecteur moderne, quant à lui, reste abasourdi devant ce déluge de mots, et il faut bien avouer qu’il ne se retrouve pas plus avancé pour autant, dans la compréhension de cette problématique. On trouvera un excellent historique de la question dans l’article de Ternant.76

Pour nous, nous tournerons décidément le dos à cette "quaestio disputata" et nous nous garderons bien de prendre position dans un conflit, rendu d’autant plus insoluble qu’il se situe - à notre avis – davantage au niveau de la conception que chaque chercheur a de l’exégèse qu’à celui de la conception qu’en avaient les auteurs étudiés eux-mêmes.

Pour éviter de tomber dans ce piège classique de la projection de nos propres tendances et idées dans le monde révolu du processus historique dont on prétend rendre compte, faisons plutôt appel aux sources historiques elles-mêmes, et nous constaterons bientôt que - comme toujours – elles n’ont pas fini de nous apprendre un grand nombre de choses, humbles mais capitales, à côté desquelles nous sommes passés cent fois sans remarquer l’appel discret qu’elles nous lançaient.

L’exégèse selon l’Esprit

Nous disposons d’un texte inattendu duquel nous devons l’édition et la traduction au regretté savant que fut le père Draguet. Il s’agit du Commentaire des Logoi I à XV d’Abba Isaïe, par Dadišo Qatraya77, moine nestorien du 7e siècle. L’intérêt extrême de cet ouvrage78 est, entre autres, de révéler entre les lignes, et même

70 Pour un aperçu concernant le couple dialectique théôria – allègoria, et quelques indications bibliographiques, se reporter à la note 2, ci-dessus. 71 Voir Kihn, Uber Théôria und Allegoria. 72 Voir Ternant, Theôria d’Antioche. 73 Voir Vaccari, Théôria di Antiochia. 74 Voir Daniélou, Sacramentum futuri. 75 Voir de Lubac, Histoire et Esprit ; et du même, Exégèse Médiévale. 76 Voir Ternant, Théôria d’Antioche, 136-143 et passim. Sur les sens de l’Écriture, en dehors de la somme de de Lubac, déjà citée, on consultera avec utilité Cerfaux, etc. Problèmes d’Exégèse théologique, et Kerrigan, Cyril of Alex. Interpret of O. T., p. 25 ss. ; et surtout Coppens, Harmonies des deux Testaments. 77 Voir Dadišo Qatraya, Commentaire d’Abba Isaïe. 78 Comme l’indique son titre, l’ouvrage de Dadišo, est consacré au commentaire des dires d’Abba Isaïe. Grâce à Dadišo, nous avons quelques précisions sur Isaïe (fin 4e siècle), sa vie et ses écrits. Voir à ce sujet Dadišo, Commentaire du Livre d’Abba Isaïe (Introduction), 15*-16*. (Sur cette dernière question, on lira avec intérêt : Guillaumont, « Kephalaia Gostica » d’Évagre. Il est remarquable que ce commentaire d’un moine, pour des moines, affecte la forme scolastique d’une analyse d’auteur, telle qu’elle se pratiquait chez les rhéteurs.

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parfois explicitement, un conflit qui semble avoir été aigu, entre des scoliastes sourcilleux à l’égard d’une exégèse à fort relent d’allégorisme, et des moines réticents à l’égard de l’exégèse historique, à laquelle ils préféraient incontestablement l’interprétation des Pères du désert, qualifiée par eux de spirituelle, mais qui, il faut bien l’avouer, a tout de l’allégorie. Des nombreux "plaidoyers pro domo" de Dadišo, il ressort que les attaques des scoliastes contre cette tendance spiritualisante durent être rudes79, car le moine éprouve le besoin de justifier cette ligne d’exégèse, en protestant sans cesse qu’elle trouve son appui et même sa justification chez le maître incontesté : Théodore lui-même. Voici tout d’abord un passage essentiel qui constitue, peut-on dire, le credo de Dadišo, en cette matière :

Qu’aucun homme ignorant et inculte ne se moque quand il voit Abba Isaïe ou les Pères solitaires apporter en exemple pour la vertu ce qui est consigné dans les Écritures saintes ou les choses du monde, car la raison pour laquelle les Livres divins ont été écrits, la raison pour laquelle la création du monde et l’économie dont il fait l’objet ont été créées et menées, et la raison de notre venue en ce monde est que, par les enseignements qui en (résultent), et l’économie et la sagesse qui y sont, nous connaissions notre Créateur, le glorifiions et gardions ses commandements afin qu’ainsi nous récoltions au temps convenable le profit qui en (découle) ; c’est pourquoi dans toutes les choses apparentes de l’Écriture et dans toutes les natures du monde est cachée une science selon l’Esprit qui enseigne la crainte de Dieu et la vertu. Sinon, quel profit tirerions-nous de la lecture de l’Écriture divine lorsqu’elle raconte des deux filles de Lot qu’elles couchèrent avec leur père, ou du bienheureux Jacob qu’il ne lui suffit pas de deux femmes mais qu’il (y) ajouta encore deux servantes concubines ; et si Rachel, empêchée d’enfanter, lui donna sa servante Bi ha, quel besoin avait Jacob de prendre Zelpha, la servante de Lia, alors qu’il avait déjà d’elle quatre fils, Rubil, Siméon, Lévi et Juda ? Mais il est manifeste que toutes les choses apparentes et corporelles qui furent exercées par économie80 chez les saints anciens portent le signe des choses intérieures et selon l’Esprit qui sont opérées par les solitaires et les hommes saints dans leurs observances selon l’Esprit, d’après l’explication du bienheureux Paul en ce qui touche Abraham, Sara, Hagar, Ismaël et isaac. Ainsi aussi dans la création du monde et dans l’économie dont il est l’objet, sont cachés de grands mystères qui figurent la crainte de Dieu et la justice, comme dit l’Apôtre : C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme et les deux seront une seule chair ; et il témoigne et dit : C’est là un grand mystère qui est caché dans le Livre et dans le monde, je veux dire touchant le Christ et touchant son

79 Si mon hypothèse émise ci-dessus est exacte, on comprend que les attaques auxquelles était en butte cette "exégèse selon l’esprit", de la part des tenants de la méthode historique, étaient justifiées, du moins du point de vue de ces scoliastes qui se considéraient comme orthodoxes et continuateurs de la méthode historique de Théodore. Cette exégèse avait, en effet, indéniablement la forme allégorique, et les distinctions subtiles de Dadišo ne changent rien à l’affaire. Il reste que la tentative de couvrir l’exégèse spirituelle de l’autorité de Théodore, même si elle n’a guère sur quoi s’appuyer, constitue une preuve évidente de l’orthodoxie nestorienne de Dadišo. Il ne faudrait donc pas voir dans ce commentaire, un ouvrage hétérodoxe nestorien, mais la preuve d’une solide tradition allégorique chez des solitaires pour lesquels la sage exégèse "historique" ne pouvait, en aucun cas, constituer une nourriture spirituelle. Mais, dans Chabot (Synodicon Orientale, 399), on lit que Théodore a commenté Job dans le sens spirituel bhawna druha. 80 Il est notoire que chez Dadišo les expressions « par économie » (bmdabranuta) et « selon l’Esprit » (ruhanait), forment un couple complémentaire fréquent, dont il serait intéressant d’étudier le rôle et d’approfondir la signification et les implications exégétiques et théologiques.

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Église, abba Macaire dit : "Moi je dis81 : touchant le Christ et l’âme sans défaut", - à savoir : dans cette observance du monachisme, lorsque le solitaire a achevé les travaux corporels et qu’il a aussi parfait l’observance de l’esprit et est parvenu à la pureté de cœur, il est favorisé d’abord de voir la lumière de son âme82, et puis, dans cette lumière-là, il voit clairement les sens selon l’Esprit cachés dans les Livres saints et la theoria selon l’Esprit cachée dans les natures du monde, et il est finalement favorisé de la vue de la lumière de Jésus-Christ notre Seigneur par sa manifestation à lui (faite) 83.

(...) Il faut signaler ceci aussi au lecteur. Le bienheureux Théodore l’Interprète, vu qu’il pratiquait l’interprétation historique selon qu’il convient et est avantageux à tous84, n’explique pas selon l’Esprit comme les Pères solitaires, sauf quelques (passages), comme Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu, et Celui qui m’aime et garde mes commandements, mon Père l’aimera, moi aussi je l’aimerai et je me montrerai à lui, et autres pareils ; il savait que peu nombreux sont ceux qui parviennent à la pureté de cœur et qui sont favorisés des manifestations divines. C’est pourquoi, dans la seconde lettre aux Corinthiens, il compare les choses de Moïse avec celles de notre Seigneur Jésus-Christ, en disant : "Moïse mettait un voile sur sa figure, pour que les juifs ne regardent pas la lumière répandue sur son visage ; chez nous il n’en est pas ainsi, mais, quand les justes entrent dans le royaume des cieux, c’est à visage découvert, c'est-à-dire sans voile, qu’ils voient la gloire du Seigneur comme dans un miroir, c’est-à-dire avec éclat et splendeur, car c’est cela le (mot) ‘comme dans un miroir’ et, ‘nous serons transformés à la ressemblance’,- il veut dire que, bien que ce ne soit pas comme

81 Pour comprendre ce « moi je dis », il faut connaître l’opinion d’Ammonius, célèbre commentateur alexandrein d’Aristote, telle que la rapporte le savant nestorien Ibn Al-Khammar (10e -11e siècle), plus connu sous le nom de Al-Hassan ibn Suwar, ou tout simplement Al-Hasan (cf. Rescher, DAL 140-141). Elle figure en tant que glose du manuscrit arabe des Catégories de la Bibliothèque Nationale de Paris (no. 2346 a. f. 882 a), édité pour la première fois par Georr, Catégories Syro-Arabes). La traduction de la glose d’Al-Hasan donné ici, est celle de Georr (Ibid. p. 160) : « Ammonius dit (cf. Ammonius, In Cat., p. 18) : Aristote a l’habitude, quand il rapporte quelque chose que les anciens avaient dit avant lui, de dire legetai comme il le fait à cet endroit (Il s’agit des premiers mots du traité des Catégories 1 a, 1 ‘Omônuma legetai). Il a dit legetai parce que les anciens, avant lui, l’avaient employé […] Mais quand il écrit quelque chose qui n’avait pas été employé avant lui, il dit legô ou kalô, comme lorsqu’il dit dans le (livre) du Syllogisme horon de kalô eis hon dialuetai hè protasis (Anal. Prior, I, 1). On comprend mieux maintenant l’expression de Jésus (Mt 5, 33-34) : hèkousate hoti errethè tois archaiois […] egô de legô.... En disant cela Jésus a conscience d’innover, c’est pourquoi il dit : egô de legô. Pour en revenir à notre texte, Macaire veut donc dire : puisque Paul lui-même (un Ancien) a vu dans une réalité de l’économie du monde, à savoir, le mariage, un grand mystère caché « concernant le Christ et touchant son Églis »", alors moi, m’autorisant de cet illustre précédent, je dis, en innovant « touchant le Christ et l’âme sans défaut ». On voit ici dans quelle lecture, profondément traditionnelle, s’enracinait l’interprétation spirituelle de ces Pères du désert. 82 Nous sommes ici en plein Hésychasme. Sur l’ensemble de ce mouvement et l’opposition qu’il suscita, voir Jugie, Controverse Palamite. Pour une bonne étude de cette méthode de prière, lire Hausherr, Hésychasme et Prière ; et aussi, du même, Aux Origines de la Mystique Syrienne. 83 Cette première partie de la citation est dans Dadišo Qatraya, Commentaire du livre d’Abba Isaïe, 118-119, la seconde, qui vient immédiatement après, ibid., p. 99. 84 En syriaque : kuleh gawa. On serait tenté de voir ici un parallèle à l’expression d’Origène (Origène Traité des Principes, IV 2, 6) : « L’importance et l’utilité de l’interprétation de l’Écriture, que nous avons appelée le sens qui suit le récit, sont prouvées par toute la foule des croyants » (Rufinus : omnis credentium multitudo ; texte grec : ta plèthè tôn pepisteukotôn). Mais il ne semble pas que l’intention de Dadišo ait été de dire que l’exégèse historique est tout juste bonne pour le commun des mortels. En effet, dans le commentaire du discours XI d’Abba Isaïe (Dadišo Qatraya, Commentaire du livre d’Abba Isaïe, 120), Dadišo définit l’« explication historique » de Théodore comme étant « celle qui convient aux scoliastes » (haw l’eskulaie lahem).

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celui du Christ que brilleront les corps des justes, chacun d’eux pourtant, selon la mesure de sa justice, brillera de sa lumière, selon qu’il est possible, à la ressemblance de notre Seigneur lui-même, - quant à de gloire en gloire, comme de par le Seigneur Esprit, il appelle ‘gloire’ les arrhes de l’Esprit que nous avons reçus au baptême (et) qui nous glorifie par les merveilles qu’il opère par nous, et il appelle ‘en gloire’ la glorification que les justes doivent recevoir au ciel par la force de l’Esprit de sainteté. Mais Abba Isaïe et les autres Pères solitaires expliquent ces phrases selon l’Esprit...

Or, quiconque se donnera la peine de comparer soigneusement ce que dit Origène sur l’impossibilité d’une interprétation uniquement littérale et historique dans la quatrième partie de son Traité des Principes, sera frappé des ressemblances de contenu, et à tout le moins, d’esprit85

85 C’est du Peri Archôn, ou Traité des Principes, que je cite quelques phrases significatives, dans la traduction française de Mme Harl (Origène, Traité des Principes, pp. 220-223), qui est faite sur le latin de Rufinus, mais dont nous possédons l’équivalent grec qui permet de contrôler les expressions, et ceci sans nous limiter à ce qui concerne uniquement l’"histoire", mais plutôt en mettant l’accent sur la doctrine des trois sens de l’Écriture selon Origène. « Il faut donc que chacun inscrive ‘trois fois’ en son âme le sens des Écritures : alors le lecteur le plus simple sera édifié par ce qui est, pour ainsi dire, le corps de l’Écriture (nous appelons ainsi l’interprétation qui suit le récit) [le latin porte : historialem intellectum, et le grec : kata historian], mais ceux qui ont déjà commencé un peu à progresser et dont le regard peut être plus large, seront édifiés par l’âme de l’Écriture [...] et les parfaits seront édifiés par la ‘loi spirituelle’ (Rm 7, 14). […] De même donc que l’homme est composé, dit-on, d’un corps, d’une âme et d’un esprit, de même aussi est composée la Sainte Écriture, qui a été donnée pour le salut des hommes par la générosité de Dieu. […] Mais il ne faut pas ignorer que dans certains passages de l’Écriture, ce que nous avons appelé le corps, c’est-à-dire la cohérence du sens qui suit le récit [même observation que ci-dessus : il s’agit du sens kata historian] ne se trouve pas toujours [...] et il y a des textes où nous devons comprendre seulement ce que nous avons appelé leur âme et leur esprit […] Ils reçoivent aussi l’interprétation de l’âme et de l’esprit, au sens que nous venons de donner […] quand la lecture peut préserver aussi, pour l’édification, la compréhension corporelle, qui est celle du récit [historia] ». Ensuite, Origène récapitule les trois sens en donnant, pour chacun, des exemples tirés de l’Écriture ; sauf pour le premier, c’est-à-dire l’"historique", qu’il commente laconiquement de la façon suivante : « L’importance et l’utilité de la première interprétation de l’Écriture que nous avons appelée le sens qui suit le récit sont prouvées par toute la foule des croyants qui croit sincèrement et simplement ; ce qui est patent n’a pas besoin d’une longue explication. » On voit que, pour Origène, l’"histoire", c’est la lettre du récit (d’où la traduction de Mme Harl, de « l’interprétation kata historian » par « qui suit le récit », car historein veut dire fondamentalement raconter ou relater). Pour le second sens, celui qu’il a comparé à l’âme de l’Écriture, Origène se contente de préciser que « l’Apôtre Paul nous en a donné de très nombreux exemples ; ainsi tout d’abord dans la lettre aux Corinthiens : "il est écrit, dit-il, tu ne muselleras pas le bœuf qui foule le grain » (1 Co 9, 9, qui cite Dt 25, 4). Ensuite, expliquant comment ce précepte doit être compris, il ajoute : "Dieu se soucie-t-il des bœufs ?... (1 Co 9, 9-10). Et les nombreux autres passages de cette sorte, qui ont interprété la loi de cette façon, dispensent une instruction très importante à ceux qui les entendent ». Cette interprétation équivaut à ce qui est généralement appelé exégèse typologique. Quant au troisième sens, l’explication spirituelle, Origène ne le définit pas davantage, mais il en donne plus d’une dizaine d’exemples tirés des Écritures (surtout du Nouveau Testament qui réinterprète l’Ancien). Il est significatif que la totalité des exemples cités correspondent (il l’avoue lui-même) aux sens figuré, typologique et allégorique de l’Écriture. On voit qu’il serait vain de chercher chez Origène, une théorie rigoureuse des sens de l’Écriture ; reste que son traité constitue le premier essai sérieux, et qui fera école, comme l’étudiera avec érudition le Père de Lubac, dans sa somme sur l’exégèse médiévale. Pour l’objet de cette note, cf. de Lubac, Exégèse Médiévale, t. I, 198-207, et, du même, Histoire et Esprit, 113-125 et passim. De même il conviendra de lire intégralement, et avec soin, tout le chap. IV du Peri Archôn.

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À titre d’exemple voici ce qu’entend Dadišo par interprétation spirituelle86 :

Quant au bienheureux abba Isaïe, selon sa coutume, il met en rapport tout ce qui s’est opéré chez le bienheureux Jacob et chez ses femmes, ses concubines et ses fils avec ce qui a trait à cette observance du monachisme, en montrant que ce qui a été fait extérieurement par lui et à son propos est entendu selon l’Esprit de cette observance. Comme il l’a exposé au long, je rangerai les idées en un bref discours. Il assimile donc le solitaire sortant du monde et venant à l’observance du monachisme, au bienheureux Jacob. De même, c’est-à-dire, que celui-ci ne voulut pas prendre des filles des Cananéens, parce qu’elles étaient en rébellion contre ses parents, mais qu’il alla en Mésopotamie et prit des femmes de la famille de ses parents, ainsi il ne convient pas au solitaire de travailler pour Dieu dans le monde, où se font des péchés en rébellion contre Dieu son Père, mais de s’éloigner et d’aller au désert dans la montagne auprès de ses Pères selon l’Esprit et d’y pratiquer les vertus qui formeront en lui la ressemblance du Père céleste : Soyez pareils, est-il dit, à votre Père céleste. Le bâton et l’huile, que, dit-il, il prit avec lui, sont le type de la miséricorde et de l’assistance : le bâton est le type de l’assistance, l’huile, de la miséricorde. Miséricorde en ceci, que (le solitaire) a donné aux pauvres tout ce qu’il avait et qu’il a suivi son Seigneur, comme il en a reçu l’ordre, assistance, car c’est seulement sur l’espérance de l’aide de Dieu qu’il est sorti du monde. Que d’abord il alla à Béthel, vit une échelle au sommet de laquelle le Seigneur s’appuyait et sur laquelle les anges montaient et descendaient, et que, lorsqu’il revint de chez Laban à Béthel, il fut favorisé d’une vision supérieure à la première et fut appelé Israël, - c’est-à-dire : il a vu Dieu, - montre que, au début de sa sortie du monde, le solitaire a la ferveur et l’amour de la vertu, que la grâce le visite de la joie selon l’Esprit et que son esprit s’éclaire, laquelle joie est les arrhes de cette joie parfaite et de la grande jouissance qu’il acquerra en son âme quand il accomplira les commandements et sera favorisé de manifestations. Que le Seigneur était assis au sommet de l’échelle et que les anges y montaient et descendaient, c’est pour dire : alors que l’homme parvient à la science selon l’Esprit, voit Dieu et jouit de son amour, quand il descend et monte, par les ascensions de l’observance, dans le combat et la difficulté, selon que ‘ils montent’ indique le ciel, et ‘ils descendent’ l’abîme, et que leur âme y est en difficulté. Que Jacob alla cher Laban, prit deux femmes et travailla pour elles pendant sept ans et que l’une avait les yeux faibles et que l’autre était belle, signifie que, bien que la science selon l’Esprit soit plus désirable et plus délectable que la vertu, l’homme n’arrive pourtant pas à celle-là ni à celle-ci s’il n’a pas d’abord accompli et réalisé tous les travaux et combats qu’elles requièrent. Que, bien qu’il aimât Rachel, elle ne lui fut cependant pas donnée avant Lia, et que Rachel ne lui donna pas d’enfant avant que Lia ne lui eût engendré tous ses fils à elle, signifie que, bien que le solitaire aspire à la vision selon l’Esprit, il n’y arrive pourtant pas s’il n’a pas d’abord achevé tous les travaux du corps et de l’âme. Et encore, que Lia donna Zelpha, sa servante, à Jacob enseigne que lorsque l’homme qui travaille dans les travaux extérieurs est loué par les spectateurs et les auditeurs, c’est à condition que la gloire humaine ne lui soit pas agréable, que ces travaux ne lui nuisent en rien mais lui sont au contraire très profitables : Qu’ils voient vos œuvres bonnes, est-il dit, et qu’ils louent votre Père qui est aux cieux. Il appelle les deux fleuves Dèqlat et Pérat ; Dèqlat, il l’interprète ‘discernement’ et Pérat, ‘humilité’. Que le Dèqlat ‘va contre Assour’, c’est pour dire que la vertu tout entière des observances du corps et de l’esprit s’exerce jusqu’à ce que l’homme

86 Dadišo Qatraya, Commentaire du livre d’Abba Isaïe, 122-123. Cette très longue illustration a paru indispensable pour consolider notre thèse selon laquelle ce que ces moines appellent « exégèse spirituelle » ressortit incontestablement à l’allégorie. Ces belles pages rappellent invinciblement Philon d’Alexandrie.

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parvienne à la perfection. C’est par les deux qu’elle se réalise, par le discernement et l’humilité : donc les travaux corporels faits avec science retiennent loin de nous l’assaut des démons et ils nous gardent sans dommage, tandis que l’observance de l’esprit qui se fait dans l’humilité nous rend parfaits dans la vision selon l’Esprit. Que c’est quand Lia cessa d’enfanter qu’alors Rachel enfanta signifie qu’alors l’homme parvient aux choses selon l’Esprit et est consommé dans les fruits de l’Esprit, - la charité, la joie, la paix, etc., - lorsque d’abord il a achevé et parfait les travaux corporels et le combat des pensées. Et encore, c’est lorsque lui fut né Joseph qu’il alla à la maison de ses parents, signifie que lorsque le solitaire s’est rendu parfait dans l’observance et a été favorisé de la vision de notre Seigneur par (sa) manifestation et a joui de son amour, il n’a plus de satisfaction à rester en cette vie-ci, mais il aspire à aller au Paradis auprès des anges et des esprits des justes qui se sont rendus parfaits, en s’écriant dans la joie de son cœur et en disant : Je désire être avec le Christ, et : Nous avons la confiance et le désir de quitter le corps et d’être auprès de notre Seigneur au Paradis, jusqu’à ce que vienne le temps de la résurrection.

Si ce que nous venons de lire ne ressortit pas à l’allégorie, alors c’est que les mots n’ont plus le sens que chacun veut bien leur accorder. Nous reviendrons à Dadišo, ultérieurement, car il nous faut, en attendant, nous tourner vers l’une des trois ‘Lumières’ des Nestoriens, le savant Diodore qui fut le maître de Théodore. Il propose une méthode qui semble originale autant qu’efficace, en ce qu’elle combine l’exégèse historique et la Considération (theôria). C’est elle due nous analyserons maintenant.

Exégèse historique et « considération » chez Diodore de Tarse

Diodore a exposé sa méthode avec beaucoup de clarté en deux endroits de son Commentaire des Psaumes. Tout d’abord, dans la préface générale de cet ouvrage ; deuxièmement dans son Prologue au Psaume 118. Le Père Mariès en a donné une première édition, accompagnée d’une traduction française en 191987. Il serait utile de retraduire ce texte, sur la base de l’édition critique du commentaire de Diodore sur les 50 premiers Psaumes, dans le Corpus Christianorum88, en corrigeant un certain nombre d’inexactitudes d’interprétation de Mariès, et surtout en serrant de plus près le texte ; en maints endroits, en effet, le savant paraphrase plutôt qu’il ne traduit. Comme nous l’avons fait pour Dadišo, nous citerons ici intégralement un long passage qui constitue le credo exégétique de Diodore89 :

…Notre exposé sera historique et strictement littéral, nous n’interdirons pas l’élévation (agôgè)90 ni la considération supérieure (théôria hupsèlotera). Car l’Histoire (historia) ne s’oppose pas à la considération supérieure, au contraire, elle se trouve être la base et le support des conceptions supérieures. Mais il faut prendre garde à ceci seulement que la Considération n’apparaisse comme le renversement du sujet, ce qui ne serait plus Considération mais Allégorie. Car là où

87 Dans Recherches de Science Religieuse, voir Mariès, Extraits Préfaces Psaumes Diodore. 88 Édition J. M. Olivier ; voir Diodore, Comment. in Psalm. 89 Mariès, Extraits Préfaces Psaumes Diodore, 89. 90 Il faut lire, bien entendu : anagôgèn, comme dans l’édition critique. Le manuscrit que lisait Mariès portait agôgè, comme le confirme l’apparat critique du Corpus Christianorum (Diod. Comment. in Psalm., p. 7, 1. 126). Sur l’anagôgè comme méthode scolaire alexandrine, voir ce qu’écrit P. Nautin dans Origène, Homélies sur Jérémie, Introduction, p. 139 et ss.

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il faut chercher à côté du texte un sens étranger il n’y a plus Considération, mais Allégorie. Et, en effet, l’Apôtre n’a nullement renversé l’Histoire en introduisant la Considération et en appelant cette Considération Allégorie. Ce n’était pas chez lui ignorance des termes, mais il a voulu nous apprendre que le terme même d’Allégorie, s’il est déterminé par le contexte, il nous le faut entendre selon la nature de la Considération, sans nuire en rien à la nature de l’Histoire. Mais les novateurs en Écriture sainte, eux qui se croient si sages, ou parce qu’ils étaient impuissants devant l’exégèse historique, ou bien après l’avoir intentionnellement trahie, ont introduit l’Allégorie non pas au sens de l’Apôtre, mais bien selon leur vaine opinion, forçant ainsi le lecteur à entendre à la place l’une de l’autre des choses entièrement étrangères. Par exemple, à la place de ‘abîme’ ils entendent ‘démons’ ; à la place de ‘serpent’ ils entendent ‘le diable’ et ainsi du reste. Je m’arrête pour ne pas être forcé à proférer moi-même des sottises en réfutant des sottises. Tout en rejetant donc entièrement ces explications, nous ne nous interdirons pas de passer à une Considération pleine de respect et d’amener le contexte à une Elévation supérieure. Nous ne nous interdirons pas, par exemple, d’assimiler Abel et Caïn à la Synagogue des Juifs et à l’Église, et d’essayer de montrer que d’un côté la Synagogue des Juifs a été rejetée comme le sacrifice de Caïn, et que de l’autre côté les offrandes de l’Église sont agréées, comme il en fut naguère des offrandes d’Abel, de voir dans l’agneau sans tache et légal le Seigneur. Car ces explications ni ne détruisent l’Histoire ni ne renversent la Considération, mais cette méthode moyenne et empirique, à la fois historique et considérative, nous débarrasse de l’Hellénisme qui énonce l’une par l’autre des choses étrangères et introduit des monstruosités et, loin de condescendre au Judaïsme, elle l’étouffe : car elle oblige à s’attacher à la lettre seule et à la respecter, mais elle permet aussi d’y voir un sens qui va plus loin et plus haut.

Diodore eût été bien surpris de se voir ici pris en flagrant délit d’Origénisme91 - au bon sens du terme, s’entend - ; qu’on en juge en lisant ces lignes du grand Alexandrin 92 :

Que personne n’aille supposer qu’à notre avis aucun récit de l’Écriture n’a eu réellement lieu, parce que nous pensons que certains de ces récits n’ont pas eu lieu ; et qu’aucun commandement de la loi n’est valide selon la lettre, parce que nous disons que certains ne peuvent être observés à la lettre, là ou la raison ou la possibilité matérielle ne le permettent pas ; et encore que les récits concernant le Sauveur, d’après nous, n’ont pas été accomplis de façon sensible, ou que ses commandements ne doivent pas être observés dans leur sens littéral ; aussi faut-il répondre à ces objections que, de toute évidence nous jugeons que dans la plupart des cas on peut et on doit préserver la véridicité de l’histoire. Qui en effet peut nier qu’Abraham ait été enseveli dans la caverne de Chébron (cf. Gn 23, 9.19), ainsi qu’Isaac, Jacob et une seule femme de chacun d’entre eux cf. Gn 49, 29-32 ; 50, 13) ? Qui doute que Sichem ait été donné comme part à Joseph (cf. Gn 48, 22 ; Jos 24, 32) ? ou que Jérusalem soit la métropole de la Judée et qu’un temple y ait été bâti pour Dieu par Salomon ? Et nous pourrions citer d’autres textes innombrables. Il y a, en effet, beaucoup plus de passages historiquement véridiques que de passages contenant un sens purement spirituel93.

91 Qu’on ne se récrie pas ; voir en effet ce qu’a écrit, non sans humour, le Père de Lubac, sur la quasi-identité de contenu de ces différents termes. Voir de Lubac, Histoire et Esprit, pp. 121-125, surtout p. 123. 92 Origène, Traité des Princiles, 228. 93 Il va de soi que nous arrivons ici à la limite extrêmement subtile où la notion d’historicité du récit biblique étant bien la même, tant chez les Allégoristes que chez les Antiochiens, le traitement allégorique du récit historique, chez Origène, est tout autre que celui de Diodore, par exemple. On

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Sur ce cas étrange de cousinage (qui n’est pas unique) entre la Theoria et l’Allegoria, le Père de Lubac a écrit des remarques très fines dans son beau livre Histoire et Esprit94, on se contentera de renvoyer le lecteur à une consultation globale de l’ouvrage, car tout y est important.

Pluralisme des herméneutiques nestoriennes, d’après Dadišo

À propos de l’importance de la psalmodie spirituelle des Psaumes, un texte de Dadišo jette soudain une lumière inattendue sur les divers types d’interprétation

a vu, plus haut, que Diodore est prêt à accepter le symbolisme ou la typologie de quelques faits ou réalités bibliques (Sacrifice de Caïn = Synagogue des Juifs, etc.) ; mais il n’est pas dupe du procédé. Ce n’est là, de son point de vue, que simple accommodation. Pour lui le texte n’a pas été écrit pour cela, et encore moins l’événement n’a-t-il pas eu lieu pour nous servir de symbole. Donc, pour Diodore le récit historique non seulement reste réel, comme l’admet généralement Origène, mais il reste lui-même; il a une signification en soi. Caïn a réellement offert un sacrifice à Dieu, et Dieu l’a réellement rejeté, et cet événement historique a une signification et des conséquences propres et limitées à lui-même. Mais il nous est permis, dans la foi, et par la Considération (c’est-à-dire une réflexion analogique religieuse), de comparer ce rejet par Dieu du sacrifice de Caïn à celui du rejet de la Foi et de la prière de la Synagogue. Le rejet de Caïn devient un type de celui de la Synagogue, mais il est aussi un fait en soi, qui mérite qu’on l’étudie pour lui-même et qu’on en tire un enseignement ; et c’est bien ainsi qu’agiront les exégètes antiochiens et, à leur suite, les Nestoriens. Par exemple, Išo‘dad consacre près de dix pages de commentaires ‘historiques’ au récit du meurtre d’Abel par Caïn. Ce commentaire ne contient pas le moins du monde l’allégorie ci-dessus et, en fait, point d’allégorie ni de tropologie du tout. Tout autre est l’attitude d’Origène à l’égard du récit historique. Dans son Homélie sur la Genèse, il n’a malheureusement pas traité des sacrifices de Caïn et d’Abel, mais on peut recourir à un autre exemple non moins révélateur. Il s’agit de la relation, par l’Écriture, du renvoi d’Agar, concubine d’Abraham. Commençons par Išo‘dad. L’exégète nestorien s’inquiète de savoir si ce n’est pas de la cruauté de la part d’Abraham que de renvoyer Agar et l’enfant sans monture. Il suppose que cet acte avait pour but de rétablir la paix entre Abraham et Sara etc. (cf. Išo‘dad, Commentaire I, trad., 184). Origène, lui, récapitule les circonstances du renvoi d’Agar et, s’appuyant sur Paul (Ga 4, 21-24) qui a déclaré ces choses allégoriques, il questionne rhétoriquement : « Quoi donc ? Isaac ne serait pas né selon la chair ? Sara ne l’aurait pas enfanté ? Il n’aurait pas été circoncis ? En jouant avec Ismaël, il n’aurait pas joué dans la chair ? » Et il donne lui-même cette réponse significative : « Voilà précisément ce qu’il y a d’admirable dans l’interprétation de l’Apôtre : ce qui, à n’en pas douter, s’est passé dans la chair, il le traite d’allégorique. Par là, nous apprenons comment traiter les autres passages, spécialement ceux où le récit historique (historica narratio) ne présente apparemment rien qui soit digne de la loi divine » Hom. in Gen., VII, 2, cité d’après Origène, Homélies sur la Genèse, pp. 198-199). J’ai mis en italiques la dernière phrase, car elle est lourde de conséquences. Origène considère que Paul a instauré une méthode valable pour toute l’Écriture et, dans sa conviction fondamentale que cette dernière, dans sa totalité, a un sens spirituel, il interprétera ce qui, apparemment, dans le récit scripturaire, ne présente aucun intérêt, entendez : aucun enseignement spirituel, moral ou théologique. Le danger de cette ouverture, apparemment bien dans la ligne paulinienne, c’est que l’exégète allégoriste est tout-puissant pour décider de ce qui, dans le récit selon la lettre (ou selon l’histoire), « n’est pas digne de la loi divine ». Une longue fréquentation des œuvres d’Origène m’a convaincu que c’est la quasi-totalité de l’Écriture. Pour l’Alexandrin, l’histoire, le récit ne sont que le corps. Seul l’esprit que recèle ce corps est important. Certes, on reconnaît formellement que, sans le corps historique, il n’y aurait pas d’esprit, mais sitôt cet aveu consenti, on se hâte d’oublier le sens historique, pour lui en substituer un spirituel qui est arbitraire, car il ne procède pas d’une nécessité provenant d’un examen systématique des textes eux-mêmes, de leurs modalités concrètes, historiques, littéraires et autres. On comprend donc la réaction radicale et, elle aussi, excessive des historicisants antiochiens et, à leur suite, des Nestoriens. 94 De Lubac Histoire et Esprit.

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qui varient considérablement, selon les genres littéraires où ils s’expriment, et surtout en fonction des différents auditoires. Voici ce passage dans son intégralité95

Le bienheureux Théodore, l’Interprète, aussi dit des Psaumes de David, que, ‘quand ils sont psalmodiés dans la prière par des hommes saints de la façon qui leur convient, ils chassent les démons d’auprès de nous et font s’approcher de nous les Saints Anges et le Seigneur des Anges, le Christ, notre Seigneur.’ Il est manifeste que par ces mots ‘la façon qui convient aux psaumes’ il ne pas son explication historique à lui (lehu pusaqa tas’itamaya dileh) ni non plus l’explication herméneutique (lehu mtargmanaia) de chez Basile et Jean - car celle-là convient aux scoliastes (l’eskulaie lahem), celle-ci est pour les séculiers l’almaie) - mais il nomme ‘façon qui leur convient’ l’explication selon l’esprit (pusaqa ruhanaia) des psaumes eux-mêmes, celle qui se fait seulement par les solitaires et par las hommes saints au moment du chant des psaumes"96.

Il est donc clair que Dadišo distingue trois niveaux d’exégèse. En bas de l’échelle, la "populaire", destinée aux laïcs ; elle s’exprime dans le Turgama, c’est-à-dire l’homélie ; au-dessus le "commentaire historique", le Pušaqa à caractère technique, réservé aux savants, et aux élèves des grandes écoles théologiques ; et enfin, au sommet, le commentaire spirituel, Ruhanaia qui, bien entendu, a la préférence des solitaires ; c’est pour ce dernier que Dadišo lutte, comme une louve pour ses petits, contre les scoliastes du dehors et leurs complices du dedans, c’est-à-dire ceux de ses moines qui aspirent davantage au savoir qu’à la contemplation.

Pour ce qui est de notre objet, contentons-nous, à ce stade, de constater que, chez les Nestoriens, l’exégèse ‘historique’ n’est qu’un genre d’exégèse parmi d’autres, et que l’exégèse selon est une catégorie d’exégèse non seulement admise, mais même prisée par les moines nestoriens. Toutefois, on reste étonné devant l’attribution à Théodore d’une spécialisation en exégèse historique. Nous reviendrons sur ce dernier point ultérieurement.

L’exégèse "historique" de Diodore

Dadišo nous parle, à propos de Théodore, de son "exégèse historique à lui", semblant lui en attribuer la paternité. Or nous savons que le maître de Théodore, Diodore de Tarse, la pratiquait avant lui, comme en témoigne la citation évoquée plus haut. C’est donc à lui que je vais revenir un instant avant de réexaminer le cas de Théodore lui-même.

95 Dadišo Qatraya, Commentaire d’Abba Isaïe, trad. p. 120 ; texte p.155, 1. 22-27 – p. 156, 1. 1-5. 96 La comparaison avec ce qu’a écrit Diodore sur le même sujet, dans son Prologue à l’Explication des Psaumes, révélera – je pense – de façon éclatante la différence radicale entre la conception du rôle de l’Écriture des Scoliastes, et celle des Solitaires : « J’ai donc jugé convenable de faire de cette Écriture dont nous avons tant besoin, je veux dire du Livre des Psaumes, une exposition succincte, telle que je l’ai moi-même reçue, de marquer les thèmes (hypothesis) qui conviennent à chaque psaume en particulier et d’en donner une explication (hermèneia) littérale. Les Frères, au temps du chœur, ne seront pas ainsi exposés à se laisser entraîner par le chant et, du fait de ne pas les avoir présentes à l’esprit (cette hypothesis et cette hermèneia) à occuper ailleurs leur esprit en des sujets étrangers ; mais se rendant compte de la suite des paroles, ils chanteront avec intelligence, comme il est écrit (Ps 46, 8), c’est-à-dire du fond même de leur cœur, et non pas seulement [avec des sentiments] de surface et du bout des lèvres… » (Nouvelle traduction de Mariès, Études préliminaires Diodore, p. 152. Pour un texte plus sûr, voir l’édition critique Diodore, Comment. In Psalm., p.4, 1. 32-43).

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Dans son prologue au psaume 11897, Diodore dépense beaucoup d’énergie pour expliquer à son lecteur ce que n’est pas et ne veut pas être son commentaire. En bon philosophe, il définit en distinguant. Aucun texte quel qu’il soit - dit-il en substance - n’est exempt de figures de style, de discours figurés, de paraboles, de comparaisons, voire d’énigmes. Mais au-delà de tous ces procédés, il y a le noyau historique irréductible du fait narré. À ce stade, Diodore y va de sa définition : « L’Histoire, elle, est la pure exposition d’un événement qui a eu lieu. » Puis, il ajoute dans un même souffle : « Elle est estimable lorsqu’elle n’est mélangée ni des réflexions de celui qui la rapporte (mot à mot : ‘qui la dit’), ni de digressions, ni d’éthopées, ni de prosopopées, comme l’est par exemple l’histoire de Job... ». Ensuite Diodore précise que le psaume 118 qu’il va commenter contient beaucoup de figures qu’il a jugé utile d’expliquer dans son prologue, et ce à titre d’éclaircissement pour les lecteurs,

« pour qu’ils sachent que telles parties de ce psaume doivent s’entendre à la lettre et que telles autres, au contraire, sont des figures, des comparaisons ou des énigmes. Car, d’allégorie, dans ce psaume, il n’y en a absolument pas, comme l’ont imaginé quelques-uns de ceux qui l’ont interprété, après avoir abandonné le sens historique (kath...), pour introduire, au lieu du texte, des sottises de leur cru98.

Et plus loin :

Un psaume a été dit historiquement (kat’historian) en la personne d’Ezéchias, le psaume 29, lorsqu’il fut délivré de sa maladie et de la guerre des Assyriens qui le pressait.

On nous rapporte que les paroles d’action de grâces qu’il a alors prononcées

convenaient […] à Ezéchias lui-même au moment où il venait d’être délivré de ses épreuves, mais aussi qu’elles conviennent également à tous les hommes quand ils auront part à la résurrection promise…99.

De même, pour le psaume 118, Théodore en rappelle le Sitz im Leben, et ce qui y a donné lieu, en grec : l’hupothesis = l’occasion, l’argument).

Or donc, ce psaume, si grand, si beau, a été dit en la personne […] des saints qui étaient à Babylone : ils désirent retourner à Jérusalem pour y retrouver les saintes lois et les pieux mystères qui se célèbrent là-bas […] Le psaume ayant un tel donné de base […], si quelqu’un dit qu’il convient à tous les saints de partout, et qu’il contient pour tous les temps une demande à Dieu de voir la résurrection générale, comme les Juifs de Babylone demandaient de revoir Jérusalem, qu’ils revirent de fait, il ne dit rien d’inconvenant. Car, étant donné sa grande richesse, ce psaume convenait à la demande des Juifs de Babylone et il convient plus proprement encore aux hommes désireux de la résurrection générale. Mais songer à pareille Considération […], il faut le laisser à ceux qui bénéficient d’une grâce plus abondante; nous donc, disons qu’il s’agit de la prière historique […] des saints concernant Jérusalem100.

97 Le second tome de l’édition critique du Commentaire des Psaumes de Diodore n’étant pas encore paru, se reporter au texte grec de cette préface, publié pour la première fois et traduit par Mariès ; voir Mariès, Extraits Préfaces Psaumes Diodore, pp. 96-97 (Je me suis permis, ici comme plus loin, de corriger la traduction de Mariès, là où cela m’a paru nécessaire). 98 Ibid. 99 Ibid. 100 Ibid., pp. 98-99.

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Après ces citations, il semble que la cause soit entendue. Diodore a donné une démonstration convaincante de ses capacités de ‘typologiste’ ; il ne dédaigne pas la theôria, tant s’en faut, mais il en décline la fonction ; son rôle à lui est de poser le fondement de l’exégèse sur la reconstitution préalable du Sitz im Leben du récit biblique, afin surtout de combattre l’allégorisme pour qui le texte n’est qu’un prétexte. Témoin cette phrase de lui, qui, malgré son laconisme, a tout de la profession de foi : […] tou allègorikou to historikon pleiston hoson protimômen101.

L’exégèse historique de Théodore

Nous avons vu plus haut que Dadišo attribue par deux fois à Théodore l’explication historique comme un système qui lui est propre. Ce qui ne l’empêche pas de citer des propos de l’Interprète qui n’ont rien d’historique, du moins au sens rigoureux et technique du terme. Et pourtant, Dadišo, lui, les appelle des interprétations historiques102.

101 Fgt 57 cité par Schäublin, Untersuchungen Antioch. Exeg., P. 55. 102 Voir deux beaux exemples de commentaire "historique" de Théodore : Le premier a été cité dans ces pages (cf. pp. 31-32 depuis les mots : « (...) il faut signaler ceci aussi au lecteur… » jusqu’à : « expliquent ces phrases selon l’Esprit… » Nous ne savons pas comment Élie et les autres Pères solitaires commentaient spirituellement le voile de Moïse, mais, ce que nous savons, dorénavant, c’est que l’explication "historique" – du moins ce que les solitaires appellent de ce nom – n’a définitivement rien à voir avec ce que nous entendons aujourd’hui pas "sens historique", mais bien plutôt avec ce que suggère l’étymologie du mot grec historein : relater, narrer un fait. Pour quiconque examine cette phrase de Paul (il doit être clair que c’est 2 Co 3, 13 qui est expliqué et non Ex 34, 29-35) ; pour qui maîtrise suffisamment les méthodes des exégètes antiochiens, il est évident que l’interprétation de Théodore est typologique, en ce sens que - comme le constate Dadišo lui-même – « il compare les choses de Moïse avec celles de notre Seigneur » ; et cela apparaît clairement là où commence le commentaire de Dadišo proprement dit (mais pas dans la traduction de Draguet), c’est-à-dire aux mots : « il [c’est-à-dire Paul] veut dire que, bien que ce ne soit pas comme celui du Christ que brilleront les corps des justes, chacun d’eux pourtant, selon la mesure de sa justice, brillera de sa lumière, selon qu’il est possible à la ressemblance de notre Seigneur lui-même... » (Voir Dadišo Qatraya, Commentaire du Livre d’Abba Isaïe, trad. pp. 99, 1. 15-28.) Pour qui est familier des méthodes exégétiques antiochiennes en général, et théodoriennes en particulier, c’est là, sans aucun doute, le maximum de dérogation à la méthode historique qu’un antiochien puisse se permettre. Mais il doit être clair que cette dérogation n’a été possible que sur la base de l’exégèse, elle-même typologique, de Paul à propos de ce passage de l’Exode. Pour s’en convaincre il n’est que de comparer ce que dit Išo‘dad ad locum (cf. Išo‘dad, Commentaire II, p. 77) : « Les mots, ils craignent de s’approcher (de lui) parce qu’un éclat lumineux comme (celui) d’un astre s’attachait au visage de Moïse, et les rayons qui en (émanaient) étincelaient comme les rayons (du soleil) à midi et aveuglaient leurs yeux. En descendant de la montagne, Moïse n’était pas conscient du rayonnement de son visage, jusqu’à ce que le peuple s’effrayât voyant la lumière ; alors il fit un voile. » Il est fort probable que c’est ainsi que Théodore a commenté, ou eût commenté ce verset. Et il ne faut pas nous en étonner ; le commentaire est souvent très proche de la paraphrase, il se contente même, dans certaines circonstances - et c’est le cas ici – de "remplir" ce qui est manquant dans le texte biblique, en tenant toujours compte du texte tel qu’il est écrit, mais surtout de la réalité que l’écrivain a voulu narrer. Le second exemple est plus typique de l’"exégèse historique". Il figure au commentaire du discours XIV, 4, d’Abba Isaïe (Dadišo Qatraya, Commentaire du Livre d’Abba Isaïe, trad. p. 160) : « Le bienheureux Théodore, l’Interprète, en effet, expliquant cette phrase [Lc 17, 21], dit : ‘Ce qu’a dit notre Seigneur aux Pharisiens : Le royaume de Dieu est au-dedans de vous, est ceci : moi, le Christ, je suis avec vous et auprès de vous et j’habite parmi vous ; si donc vous croyez en moi et gardez mes commandements, alors pensez que déjà vous habitez le royaume des cieux, car par moi, vous recevez ici-bas l’espérance du royaume des cieux et, lorsque j’apparaîtrai du ciel, je vous introduirai dans le royaume où, par

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Il est remarquable qu’avec plus d’une trentaine de citations103, Théodore est, en second104, l’auteur le plus cité par le moine nestorien. Or, cette constatation appelle une explication. Il est certain que si Théodore avait interprété spirituellement l’Écriture, Dadišo se fût empressé de produire de telles exégèses spirituelles du maître vénéré, pour justifier cette tendance qui est la sienne et celle des solitaires. Or, il n’en est rien, et tout ce qu’il a pu trouver d’interprétation spirituelle chez Théodore, à savoir sur Matthieu 5, 8 et Jean 14, 15, 21, 23, il s’empresse d’y faire allusion, sans même nous en donner la teneur, sans doute parce que le spiritualisme n’y brillait pas d’un éclat bien convaincant. Il faut bien avouer que c’est peu. Toutefois, même ce peu est suffisant pour constituer une brèche révélatrice dans l’édifice anti-allégorique théodorien apparemment sans fissure105. Et celui qui dira que l’interprétation spirituelle n’est

moi, vous recevrez, par les réalités mêmes, la jouissance parfaite.’ Quant aux Pères solitaires, ils expliquent le royaume des cieux est au-dedans de vous comme suit : ceux qui habitent dans le Christ reçoivent l’Esprit de sainteté par le baptême et cette force de l’Esprit qui est en eux mystiquement et intérieurement par le baptême montre à l’homme [d’une façon manifeste], lorsqu’il a accompli les commandements, le royaume de Dieu en manière de type, par une manifestation de lumière. Cette manifestation de lumière, les Pères solitaires l’appellent royaume des cieux, parce que c’est également la force de l’Esprit opérant la manifestation, que la divine Écriture appelle royaume des cieux, selon ce que dit le bienheureux Interprète : ‘Le royaume des cieux, notre Seigneur le Christ l’appelle, dans l’évangile, parfois royaume des cieux, parfois Message et parfois grâce de l’Esprit reçue par les baptisés’. » On saisit ici la méthode de Dadišo. La première interprétation de Théodore, "historique", n’est pas utile à son propos. Il la relate cependant pour y comparer celle des Pères solitaires. Puis aussitôt il cite à nouveau Théodore – dans un autre contexte que nous ignorons malheureusement, mais qui n’est certainement pas exégétique - pour montrer que même l’Interprète a laissé la porte ouverte à l’interprétation spirituelle. Toutefois, il y a loin de l’équivalence faite par les Pères du désert : Royaume des cieux = « manifestation de lumière » (hésychasme), à l’expression, beaucoup plus réservée, de Théodore : « grâce de l’Esprit », et Dadišo doit recourir à l’Évangile lui-même pour justifier son exégèse (cf. ibid., p. 161). En tout état de cause, ce deuxième passage est proprement un exemple d’interprétation "historique", appliqué cette fois à un contexte qui n’a rien de narratif, mais qui est une déclaration mystérieuse de Jésus. Et pourtant, Théodore la commente "historiquement", c’est-à-dire qu’il s’en tient au texte et à ses conditions d’expression, temporelle et surnaturelle à la fois, à savoir : une affirmation mystérieuse de Jésus (mystérieuse, en ce sens que la réalité affirmée n’est pas constatable concrètement, elle est du domaine d’en-Haut) proférée aux apôtres et un gage d’eschatologie, car Théodore sait, par la Révélation du Nouveau Testament, que le royaume des cieux sera présent en plénitude, lorsque Jésus « apparaîtra du ciel » et que les apôtres recevront, « par les réalités mêmes, la jouissance parfaite ». Ce long excursus était nécessaire pour préciser une fois de plus cette exégèse "historique" de Théodore, si mal saisie par les critiques, et qu’on a si souvent accusée d’être une desséchante analyse philologico-rhétorique. Mais il faut nous y faire, ces deux cas d’interprétation historique de Théodore, qui apparaîtront (surtout le premier) au connaisseur en exégèse nestorienne comme très spirituels, ne le sont pas encore suffisamment aux yeux des solitaires qui, fidèles en cela à la méthode allégorico-spirituelle, cherchent dans l’Écriture une nourriture spirituelle, et cela uniquement. 103 Cf. Dadišo, Commentaire du Livre d’Abba Isaïe, p. 257 (tables). 104 Derrière Évagre, voir ici, n. 297. 105 Voici ce que dit le Prof. Van Den Eynde au sujet de ces « tendances allégoriques » de l’Interprète : « On connaît, en effet, l’opposition radicale de Théodore à l’exégèse allégorisante, et la réserve excessive qu’il mettait à l’application du sens figuratif. Dans la pratique, cependant, il ne se refusait pas à tout usage de l’allégorie. Par les fragments et les attestations qui nous restent de son commentaire sur la Genèse, nous savons que l’interprétation directement messianique qu’il a donnée de Gn 49, 10-12 avait un caractère aussi allégorique que chez Išo‘dad (cf. Théodore de Mopsueste, Fragments sur la Genèse, 645, B-D) ; qu’il a vu dans la constitution du firmament l’image du corps ressuscité (cité d’après Išo‘dad, Commentaire I, trad. p. 29) ; que la théorie des deux stades successifs de l’homme qu’Išo‘dad aime à découvrir dans la Bible, à la lumière du sens

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pas de l’allégorie, nous le renverrons aux exemples éloquents cités plus haut, et si ce n’est pas assez convaincant nous questionnerons ; pourquoi alors, Théodore s’est-il tant abstenu de cette exégèse selon l’esprit ?... Nous verrons que l’on peut répondre à cette objection, et c’est précisément, à notre avis, le point archimédique autour duquel tout peut basculer. Nous y reviendrons bientôt.

En attendant, un élément peut être établi avec certitude. Si la paternité de l’exégèse historique, comme système propre à l’exégèse antiochienne, remonte indubitablement à Diodore106, il est non moins incontestable que son usage systématique est la spécialité de Théodore et on comprend que Dadišo ait parlé de

figuratif, est un des fondements de la doctrine théologique de l’Interprète (Amann, Théodore de Mopsueste, col. 271-272). C’est donc que celui-ci appliquait avec une certaine souplesse les principes de sa méthode d’exégèse. » (Išo‘dad, Commentaire, I, trad., préface, p. XI). 106 Je précise : « comme système propre à l’exégèse antiochienne », c’est-à-dire comme méthode spécifique et préférentielle, car il est évident qu’ils n’ont inventé ni la méthode ni l’expression. Le terme grec historia pour désigner la technique du "récit historique", c’est-à-dire « récit des circonstances de quelque fait que ce soit » (réel ou mythique, vrai ou supposé vrai), remonte aux plus anciens grammairiens et philologues grecs ; on en trouvera l’historique et la critique chez le sceptique Sextus Empiricus, dans son traité Contre les Professeurs (en grec Pros mathèmatikous), livre I, ch. XII (I. 248-269), intitulé EIS SUSTATON TO HISTORIKON (Ed. Loeb, T. IV, p.138-153). Mais il ne sera pas inutile de préciser et d’illustrer qu’Origène, lui aussi - et, semble-t-il, le premier de façon aussi technique, fait constamment allusion au sens "historique" (le plus souvent pour le déclarer impuissant !) du texte scripturaire qu’il commente. Voici tout d’abord un passage de son Homélie sur Jérémie, où Origène veut bien reconnaître une certaine utilité au sens historique (Origène, Homélies sur Jérémie, SC 232, 199-201) : « Le texte indique le temps de son activité prophétique : quand il a commencé à prophétiser et jusqu’à quand. Si le lecteur n’applique pas son esprit à la lecture et ne recherche pas l’intention du passage qui a été lu : il dira ensuite : ‘C’est de l’histoire, le texte indique quand Jérémie a commencé à prophétiser et après combien d’activité prophétique il a cessé de prophétiser, que m’importe cette histoire ?’ (ti oun pros heme autè hè historia) Quel est donc l’enseignement qui nous est donné par là, si nous appliquons notre esprit à la lecture ? Dieu a condamné Jérusalem à cause de ses péchés et la sentence était de livrer ses habitants à la captivité. Toutefois, le moment venu, Dieu, dans sa philanthropie, envoie encore ce prophète, sous le troisième règne avant celui de la captivité, pour que ceux qui le voudraient réfléchissent et se repentent. […] Il avait chargé le prophète de prophétiser aussi sous le deuxième roi après le premier, et encore sous le troisième roi au temps de la captivité elle-même. […] Nous trouvons donc quelque chose d’utile (echomen oun chrèsimon) dans le passage qui consigne le temps de la prophétie, à savoir que Dieu, dans sa philanthropie, exhorte ceux qui l’entendent pour qu’ils n’endurent pas les souffrances de la captivité. » J’ai mis en italiques les mots-clés du texte. Ils appartiennent tous au vocabulaire préféré des interprètes antiochiens. Mais il est patent que, la plupart du temps, Origène polémique contre le sens "historique", comme étant incapable de rendre compte de tout ce que Dieu veut nous faire comprendre au travers de la lettre et du corps de l’Écriture. Mieux, le récit lui-même nous « avertit » qu’il est impossible de le comprendre tel qu’il est rapporté. Les exemples de cette méthode origénienne sont légion. Je me contenterai de rapporter une dernière citation qui, par son caractère symbolique et allégorique, est pleinement révélatrice de la conception quasi mystique de l’Écriture qu’avait Origène, à savoir : d’une part, rigoureusement réaliste : il y a la lettre de l’Écriture, c’est son corps et « la chair ne sert de rien » ; d’autre part extrêmement spiritualiste : l’Écriture est, comme disait Saint Paul à propos de ses exhortations pastorales, « une démonstration d’Esprit ». Origène écrit encore : « Pour employer un exemple plus simple qui puisse nous amener à voir ce qu’est le ‘prépuce du cœur’, je ferai remarquer que, dans leur premier âge, des opinions nécessairement fausses naissent forcément dans l’âme, car il n’est pas possible que l’homme reçoive dès le début des doctrines vraies et pures. Mais le Verbe de Dieu a veillé à ce qu’il y ait une histoire (historia) et une Écriture au sens littéral (kata to rhèton), afin que l’enfant né à Abraham ‘selon la chair’ soit nourri d’abord de paroles ‘selon la chair’, et que naisse d’abord ‘le fils de l’esclave’, pour que puisse naître, après lui, ‘le fils de la femme libre’, ‘le fils de la promesse’. Si l’on comprend pourquoi cela a été dit, on peut comprendre le prépuce du cœur qui a précédé la circoncision. » (Origène, Homélies sur Jérémie, V, 15, SC 232, pp. 317-319).

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« son exégèse historique à lui ». Il n’est pour s’en convaincre que de lire, même superficiellement, ses deux commentaires qui subsistent aujourd’hui : celui des psaumes, conservé partiellement107, œuvre de jeunesse dont lui-même reconnaîtra les défauts108 ; et celui des douze petite prophètes, conservé dans son intégralité109. Dans ces milliers de lignes pesantes et verbeuses, les mots-clés de l’interprétation historique reviennent à foison : hupothesis, peristasis, historia, historikôs, ek prosôpou, etc.)

De telles œuvres semblent attester que Théodore s’est fait une spécialité de l’exégèse historique, et ce pour des raisons que nous ne ferons qu’évoquer ultérieurement, et dont l’étude dépasserait par trop le cadre et l’objet du présent travail. Restent, évidemment, un bon nombre d’autres inconnues, et surtout celle que constitue l’œuvre de Dadišo Qatraya, au caractère apparemment si anti-scolastique, alors qu’elle-même est composée selon tous les canons de l’analyse de textes des auteurs, chère à l’école de Grammaire et à celle de Rhétorique110 ! De même, on est tenté de se demander si les nombreuses citations de Théodore par Dadišo n’avaient pas pour unique but de désarmer les attaques des scoliastes pourfendeurs d’allégories et d’ignorances, fussent-elles monastiques. En effet, ces citations n’ajoutent rien ou pas grand-chose à l’exégèse spirituelle de Dadišo. D’autre part, comment interpréter le hasard étrange qui fait que la quasi-totalité en soit impossible à identifier111. En effet, ou bien elles sont tirées d’œuvres de Théodore qui ne nous sont pas parvenues, ou bien elles ne figurent pas là où on les attendrait, en fonction du verset vétéro- ou néotestamentaire (commenté) ! Faut-il voir dans ce phénomène troublant la preuve d’une expurgation des œuvres du maître par des anti-allégoristes plus royalistes que le roi ? Ou bien la disparition des ouvrages cités est-elle due à la désaffection engendrée au sein des scoliastes, par leur caractère trop spirituel ou trop parénétique ?...

Poids de la rhétorique dans l’exégèse historique

Quoi qu’il en soit de ces questions sans réponse, il convient de conclure par un essai d’interprétation de ces faits troublants et contradictoires. Et elle nous paraît devoir aller dans un sens plutôt radical. Ni Diodore, ni Théodore ne se sont distingués par leur intérêt pour l’exégèse prophétique, encore moins pour la spirituelle. Ils appartiennent l’un et l’autre à un courant fortement scolaire, et ont reçu une haute éducation intellectuelle. Diodore avait étudié à Athènes et se distinguait par son érudition dans tous les domaines. Théodore, même s’il n’est pas prouvé qu’il fut l’élève de Libanius112, étudia sans conteste chez quelque rhéteur en renom, comme il était d’usage à cette époque pour les garçons doués ou fortunés. Schäublin a bien montré l’influence toute-puissante de la rhétorique sur

107 Édition critique de Devreesse ; voir Devreesse, Théodore, Commentaire des Psaumes. 108 Cf. Devreesse Théodore, Commentaire des Psaumes, Introduction p. IX. 109 Édit. critique de Sprenger, Théodore de Mopsueste, Commentarius in XII Prophetas. 110 Cf. ci-dessus, n. 79. 111 Voir le nombre respectable de points d’interrogation, dans la liste de références de la table de l’ouvrage édité et traduit par Draguet ; cf. Dadišo Qatraya, Commentaire du Livre d’Abba Isaïe, trad. p. 257. 112 Voir Petit, Les Étudiants de Libanius.

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l’époque113. Elle se fait sentir dans tous les écrits exégétiques Antiochiens, et pas seulement chez Diodore et Théodore ; par exemple elle est claire chez les Grands Cappadociens, chez Théodoret de Cyr et bien d’autres.

Parallèlement à cette tendance rhétorique, nous savons qu’il existait, à la même époque, un très fort courant allégorisant, venu d’Egypte (Alexandrie surtout), et dont la faveur était immense, surtout chez les moines114, tandis que son impact et sa séduction étaient indéniables tant auprès des lettrés que du simple peuple. Il semble bien que l’École d’Antioche au sens le plus large de l’expression, c’est-à-dire également l’élément païen d’Antioche, ait réagi globalement contre la tendance allégorisante sous toutes formes, par tempérament, semble-t-il, mais surtout, et sans aucun doute, par atavisme culturel. La rhétorique est un art politique, c’est-à-dire concret. La nécessité d’instruire une cause, puis de la défendre devant les juges, exigeait un réalisme intellectuel et un pragmatisme solides. Ces derniers étaient acquis par des exercices sans fin qui conféraient au rhéteur une technique et un sens critique très sûrs. Formés à une telle école, les exégètes Antiochiens ne pouvaient que transposer, le plus naturellement du monde, dans leurs interprétations, les canons d’une analyse et d’une critique textuelles admirablement entraînées sur les textes d’Homère, hérissés de difficultés philologiques et exégétiques au moins aussi redoutables que celles de l’Écriture.

Une telle empreinte est perceptible dans la technicité même des exégèses antiochiennes, voire parfois jusque dans leur forme, comme semble l’avoir démontré victorieusement Schäublin115. Et c’est précisément cette somme de réflexes culturels acquis depuis l’enfance en buvant le lait de l’éducation hellénique, qui nous paraît avoir déterminé le caractère définitivement marqué, et - peut-on dire – limité, de l’exégèse antiochienne.

L’historique d’abord

Nous avons dit plus haut que se dessinait une solution du problème de l’exégèse historique de Théodore, de façon si radicale qu’on pouvait bien parler d’un point archimédique où tout bascule. Toutefois, il n’est pas question de trancher et de tenter d’enfermer cette solution dans des définitions sclérosantes qui seraient de toute façon prématurées. On se contentera donc d’en esquisser ici les lignes de force. Et tout d’abord, il convient de le préciser, Diodore et Théodore n’ont pas besoin de prouver leur maîtrise dans l’art de l’exégèse typologique, et encore moins dans celui de l’exégèse spirituelle. Ce sont, en somme pour eux, des "arts mineurs". Quoi de plus facile, en effet, que de s’élever au-dessus de la lettre du texte ? Le premier prédicateur venu, le moine le plus inculte le faisaient sans ambages, sans complexe, comme, d’ailleurs, sans aucune compétence. Et c’est bien là ce qui attristait nos savants exégètes. C’est précisément leur respect du caractère sacré des Écritures, conjugué avec leur sens scientifique aigu, supporté

113 Schäublin, Untersuchungen Antioch. Exeg., 37ss. Et surtout 60ss. 114 L’œuvre de Dadišo, déjà citée, en est la preuve. Voir aussi, déjà cité, Guillaumont, Kephalaia gnostica d’Évagre, 2e partie, ch. I « Les Syriens et l’Origénisme », pp. 173-179. 115 Schäublin, Untersuchungen Antioch. Exeg., 37 ss. et surtout 60 ss.

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par une vaste culture, qui leur faisait refuser de toutes les fibres de leur être ces jongleries pseudo-exégétiques, génératrices d’hérésies.

Le seul remède qu’ils trouvèrent à cette épidémie galopante, fut la formation d’une élite ecclésiastique, capable d’appliquer à l’Écriture les critères de la science du temps. Absorbés par cette tâche écrasante, aggravée par le labeur supplémentaire que s’imposaient ces maîtres, en rédigeant eux-mêmes de vastes commentaires sur tous les livres de l’Écriture, Diodore et Théodore n’avaient ni le temps ni le goût de s’exercer à l’exégèse typologique et spiritualisante. Ils avaient posé avec suffisamment de netteté et de science les bases de cette interprétation à deux niveaux où le présent historique de tel passage biblique est signe et type d’une réalité analogique plus haute116, pour ne pas devoir se consacrer ex professo à l’application de ces principes. On a souligné "ex professo", car il semble qu’on oublie trop facilement cette dimension fondamentale du phénomène : Diodore et Théodore sont, certes, des ecclésiastiques, des théologiens, des pasteurs, mais ils, sont avant tout, des docteurs ; en cela réside leur vocation propre. À une époque où fleurissait chaque décade, ou peu s’en faut, une hérésie nouvelle, où l’Écriture était livrée au bon vouloir ignorant d’exaltés, de moines gyrovagues, ou de pseudo-lettrés, se croyant investis du charisme de chefs de communautés, dans les couvents commençait (ou peut-être, continuait) de se développer une réaction lente mais profonde, irrésistible comme une lame de fond, qui devait déferler sur les siècles ultérieurs, et mettrait fort longtemps à perdre sa nature originale en se fondant dans d’autres systèmes.

À notre avis, on aura fait un grand pas dans la compréhension de caractère des commentaires Antiochiens, en général, et théodoriens, en particulier, lorsqu’on aura réalisé l’effort démesuré que représentait leur tentative de restituer à l’Écriture sa dimension historique. Il leur fallait pour cela, et avant tout, établir le texte de façon critique, en démarquer les éléments hétérogènes, en décrypter le sens en le déshabillant de son vêtement rhétorique, de ses figures de style, de ses idiotismes, sans parler de la minutie d’inventaire apportée à expliquer chaque détail concret du récit, chaque objet, à la lumière de la science du temps, ou à l’aide de sources littéraires connexes. Bref, cette entreprise titanesque devait absorber totalement le temps disponible et les énergies de ces savants.

Loin d’être un stérile labeur de philologue pédant, c’était bien plutôt un travail de base, jugé indispensable, un vaste déblaiement de terrain rendu nécessaire par la nature même des documents étudiés, mais surtout par le but supérieur poursuivi ; à savoir : la découverte du Plan de Dieu et de son Économie de Salut concernant le genre humain.

L’analogie qui, certes, a toujours été le stade suprême de l’exégèse, ne pouvait s’établir que sur des bases solides. Et c’est précisément une exigence extrême de certitude dans l’emploi cet outil délicat d’exégèse, qui poussait les interprètes Antiochiens à d’abord établir le plus sûrement possible le sens historique du texte biblique et, pour atteindre ce but, à y consumer une vie de labeurs incessants,

116 Comme excellemment défini par Julien d’Eclane : « Theôria est autem, ut eruditis placuit, in brevibus plerumque aut formis aut causis earum rerum quae potiores sunt considerata perceptio », et sa théorie de l’« excessus » (voir à ce sujet Ternant, la Theôria d’Antioche, pp. 143-145 et 149-150).

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quitte à donner l’impression aux générations suivantes de n’avoir été que des philologues en chambre, ou des exégètes rationalistes.

Quelques points de repère en vue d’une recherche ultérieure

À la lumière de ces réflexions qui, certes, devront être affinées, et dont les hypothèses devront être confrontées aux nouveaux acquis d’études ultérieures, il nous paraît indispensable de souligner les points suivants qu’il serait bon d’avoir présents à l’esprit dans toute recherche sur les exégèses antiochienne et nestorienne :

1) Pour éviter que l’arbre ne cache la forêt, que l’immense effort critique de l’exégèse antiochienne, outre qu’il correspond au temps ainsi qu’à un tempérament et à une culture particuliers, constitue également une réaction saine, quoique souvent excessive, contre une fantaisie et un chaos antérieurs dans le traitement exégétique des textes bibliques117. Malgré les apparences, la recherche du sens historique ne s’effectue jamais au détriment du sens anagogique ; au contraire, par le déblaiement du terrain qu’elle effectue, l’exégèse « historique » prépare la voie à la recherche du sens anagogique, même si ce dernier n’est pas explicitement exprimé.

2) Ne pas s’arrêter à la forme actuelle des commentaires de Diodore et de Théodore, et surtout, ne pas vouloir caractériser l’exégèse d’Antioche comme si elle trouvait là sa forme et son expression ultimes et parfaites, à savoir l’exégèse historique. Ne pas oublier que les œuvres qui nous restent d’eux et que nous ne cessons d’analyser, ne représentent, en fait, qu’une partie relativement faible d’un enseignement oral de plusieurs dizaines d’années, sans parler d’un nombre considérable d’autres écrits perdus pour nous.

3) L’œuvre de Cosmas ainsi qu’un nombre imposant de textes nestoriens, témoignent de l’utilisation postérieure d’un schéma rigide, évoqué plus haut, et qui remonte incontestablement à Théodore, bien qu’il affecte, chez ses successeurs, une forme très populaire, voire simpliste. Il semble qu’il faille voir là le fruit d’une tradition orale véhiculée par les écoles et développée en leur sein. Nous y reviendrons.

117 Ces termes pourront paraître excessifs, aussi dois-je préciser ma pensée. Certes, les Antiochiens n’ont pas trouvé le chaos en ce sens que nul avant eux n’aurait cherché à étudier systématiquement les Écritures. Ce serait faire bon marché de l’œuvre gigantesque d’Origène, non seulement son immense labeur de philologue (Hexaples), mais sa production littéraire exégétique colossale qui n’est qu’une recherche systématique de cohérence. En outre, c’est au grand Alexandrin que nous devons l’une des premières tentatives de déterminer les sens de l’Écriture. (Sur la théorie des sens de l’Écriture, voir ici n. 77). En fait, le chaos dont je parle est celui de la doctrine chrétienne, durement ébranlée par l’hérésie arienne (qui se réclamait d’ailleurs des doctrines d’Origène), aux quatrième et cinquième siècles, alors que, venu des déserts de l’Égypte, déferle sur la Palestine et la Mésopotamie, le puissant courant origéniste. Il semble que la question du sens des Écritures ait été l’une des plus brûlantes, au point non seulement de nécessiter des mises au point ou la composition de traités individuels, mais d’inciter un Théodore à une synthèse à la fois traditionnelle et personnelle, née d’une refonte d’une doctrine des Pères en une théologie simple et bien charpentée dont je reparlerai ultérieurement, assaisonnée d’un système d’interprétation dont les règles obéissaient aux critères de la science du jour : la toute-puissante Rhétorique.

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4) Les deux remarques ci-dessus sont un exemple de la prudence qui doit présider à toute appréciation de l’influence des Antiochiens, en général, et de Théodore, en particulier, sur l’exégèse subséquente. Habitués à juger sur pièces, c’est-à-dire sur textes, nous sommes désemparés quand manque le document susceptible de permettre une comparaison sûre. D’où la tendance à conclure prématurément à l’inexistence d’un lien, en l’absence de parallèles tangibles. Certes, c’est là une difficulté technique objective qui paraît insurmontable. Nous nous efforcerons, plus loin, de proposer, une méthode et une approche qui permettront - espérons-le - de surmonter cet obstacle, au moins en partie.

5) Enfin une dernière remarque en ce qui concerne toute appréciation des deux phénomènes qui ont fait l’objet de ces analyses, à savoir : l’influence réelle ou supposée de Théodore et des Antiochiens et celle de leur méthode d’exégèse historique, sur la théologie des Nestoriens et leur interprétation de l’Écriture. Il faudra constamment et soigneusement distinguer entre l’appel fréquent à l’autorité de Théodore, voire l’espèce de culte dont il est l’objet chez les Nestoriens et l’usage concret qui est fait par eux de ses œuvres et de ses méthodes. On a suffisamment insisté, plus haut, sur les raisons qui ont amené l’Église nestorienne à canoniser les « trois Lumières » (Diodore, Théodore et Nestorius), et à faire de leurs doctrines et de leurs œuvres la norme dogmatique ; on n’y reviendra donc pas. Mais il convient de bien apprécier les limites de leur influence et surtout la part quantitative, relativement restreinte de l’impact des commentaires théodoriens sur l’exégèse nestorienne, du moins si l’on en juge d’après les textes disponibles susceptibles d’être comparés. Il reste que ce devra être l’un des buts d’une étude spécialisée que de tenter d’en mesurer et d’en apprécier le poids qualitatif.

C. Conclusion

Ce sera le but des pages qui suivent que d’essayer de déterminer la meilleure approche pour une étude de l’interprétation scripturaire nestorienne, telle qu’en elle-même. Jusqu’ici on s’est efforcé d’établir, le plus loyalement possible, la démarcation entre l’exégèse des géants Antiochiens et son avatar nestorien. On a vu que les choses sont loin d’être simples. Toutefois, on croit pouvoir affirmer avec un fort coefficient de certitude, que l’exégèse nestorienne présente suffisamment d’originalité pour qu’on se donne la peine de lui consacrer une étude de synthèse. Il convient seulement de ne pas lui demander ce qu’elle n’est pas en mesure de donner. On évitera ainsi l’inconvenance d’un procès d’opinion totalement déplacé, qui surprend sous la plume d’un savant aussi distingué que Mgr Devreesse118. Se

118 Dans l’Introduction à son édition du Commentaire des Psaumes, voir Devreesse, Théodore, Commentaire des Psaumes, Introduction p. XXIX. Depuis la remise de mon manuscrit à POC est parue dans la collection du CSCO l’importante contribution de L. Van Rompay, Théodore de Mopsueste. Fragments syriaques du Commentaire des Psaumes (Psaume 118 et Psaumes 138-148), texte dans CSCO 435/Syr. 190, même année. Cette édition débute par le Traité contre les Allégoristes, très vraisemblablement attribuable à Théodore. Or, quiconque consultera ce texte et voudra bien se reporter aux nombreux parallèles chez Išo‘dad et Bar Konaï, indiqués par Van Rompay dans ses notes, comprendra combien il est dangereux d’émettre des jugements prématurés et à l’emporte-pièce, comme ceux de Devreesse, avant d’avoir en mains les pièces solides permettant de se faire une opinion nuancée. De fait, tant Bar Konaï qu’Išo‘dad, qui nous fournissent

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lamentant sur le peu de secours que lui apporte la tradition syriaque pour la reconstitution du commentaire des Psaumes de Théodore, il s’en prend à Išo‘dad de Merv (milieu du 9e siècle). Le savant reconnaît d’abord, de mauvaise grâce, que

ce qu’il dit, par exemple, des arguments des Psaumes I, VIII, L, de l’usage fait par le Christ ou St Paul de certains versets du psautier, provient à coup sûr, de Théodore ; mais combien réduit, minimisé, mêlé à d’autres à d’autres explications qui n’ont rien à faire avec notre auteur.

Puis, il émet ce jugement amer :

Tout cela est négligeable et intéresse, d’abord, la littérature syriaque ; on y peut voir une suite curieuse d’essais exégétiques à partir d’un modèle démarqué, mais l’aide fournie par toutes ces interprétations à la reconstitution du commentaire de Théodore est absolument nulle. Tout au contraire, c’est l’ouvrage de Théodore remis sur pied à l’aide d’autres éléments qui permet de déterminer ce que les textes syriaques ont emprunté au commentaire de l’Interprète, et le traitement qu’ils lui ont fait subir, ce sera un exemple du mauvais service – le cas n’est pas unique – rendu par la tradition nestorienne au docteur qu’elle a accaparé.

Autant reprocher à chaque écrivain ecclésiastique qui a eu l’imprudence de ne citer qu’un bref extrait de St Paul, sans l’assaisonner de traditions patristiques et de commentaires de son cru, d’avoir « réduit », « minimisé » l’enseignement de Paul, bref de lui avoir fait subir un « mauvais traitement » et d’avoir rendu « un mauvais service » à l’Apôtre en ne citant pas intégralement toute l’Épître – et pourquoi pas toutes les Épîtres pauliniennes ! Certes, si le Commentaire des Psaumes avait été présenté par Išo‘dad lui-même comme étant "selon Théodore", ou comme une synthèse de la tradition théodorienne, la critique acerbe de Mgr Devreesse eût été fondée, mais il n’en est rien. On comprend aisément la déception du savant qui ne trouve pas là ce qu’il cherche ; mais la plus belle exégèse ne peut donner que ce qu’elle a. Reste que l’attaque du savant contre Išo‘dad se mue, à notre sens, en un compliment pour l’exégèse nestorienne. Loin d’être une annexe, une copie conforme de l’antiochienne, et encore moins l’esclave soumise de l’emprise du géant Théodore, elle s’avère, au contraire, très sélective, indépendante et originale et, à ce titre au moins, elle mérite notre respect et notre intérêt.

des florilèges selon leur méthode scolastique et anthologique, s’avèrent extrêmement fidèles, dans l’esprit et parfois jusque dans la lettre, aux principes anti-allégoriques de l’Interprète. À noter enfin que le lecteur trouvera grand profit en complétant ma bibliographie à l’aide de celle, précieuse, de Van Rompay, dans cet ouvrage.

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III. LA THÉOLOGIE NESTORIENNE DE L’ÉCONOMIE ET DE LA PÉDAGOGIE DIVINES, ET L’EXÉGÈSE "HISTORIQUE"

A. Les « Deux schémas »

Existe-t-il une structure-maîtresse de la théologie nestorienne ?

Les longues analyses et illustrations qui précèdent, avaient pour but - on l’aura compris - de dégager vigoureusement l’exégèse nestorienne du giron abusif de l’antiochienne, et d’en démontrer l’originalité et la fécondité intrinsèques, tout en soulignant sa lourde dette à l’égard de la glorieuse famille dont elle est issue, et surtout envers son plus génial représentant : Théodore de Mopsueste.

Le moment est venu maintenant de tenter de dégager une structure suffisamment représentative et révélatrice de l’exégèse nestorienne, et qui permette d’en saisir l’esprit et la théologie.

On ne niera pas la part inévitable d’hypothèse et de construction personnelles d’une telle démarche ; reste qu’elle est indispensable. Malgré sa difficulté, elle est rendue possible par le caractère monolithique et fortement conservateur – pour ne pas dire archaïsant – de l’exégèse nestorienne. Ce fait fondamental, remarqué par quelques rares chercheurs, et dont on n’a pas tiré tout l’enseignement qu’il recèle, est sans doute la conséquence de l’isolement théologique et dogmatique de cette Église schismatique, obligée de se défendre âprement contre l’énorme influence d’une Église grecque, riche d’une tradition ecclésiale dont la quasi-totalité constituait également son patrimoine spirituel propre, mais qu’elle relisait d’une manière jugée inacceptable par la Grande Église.

Peut-être même ce qui apparaît comme original dans la théologie et l’exégèse nestoriennes n’est-il que la reproduction libre ou le développement, non entravé par les ukases de la cour théologique byzantine, de motifs Antiochiens qui n’ont pas survécu, dans leur forme primitive, à la censure orthodoxe, ou dont le développement naturel a été tué dans l’œuf par des conditions défavorables.

Quoi qu’il en soit, on ne pourra donner une interprétation globale du système exégétique nestorien que si l’on parvient à en saisir la structure théologique profonde ou – si l’on préfère – les lignes de force qui présentent une récurrence, suffisamment décelable et significative, au point que l’on puisse raisonnablement parler de système, que celui-ci soit conscient ou inconscient.

Or, à mon avis, une structure existe, sous la forme de deux tendances fondamentales de l’exégèse nestorienne, déjà présentes dans l’antiochienne, quoique à l’état d’ébauche, je veux parler de l’Économie et de la Pédagogie divines. Nous verrons plus loin qu’il ne s’agit, en fait, que de la transposition en catégories théologiques évoluées, des deux pôles de l’exégèse antiochienne : l’historique et la typologique. Mais, avant d’en arriver là, une certaine propédeutique est nécessaire.

Deux études aussi fondamentales que remarquables m’ont ouvert la route pour fonder ma conception de la structure théologique nestorienne, que j’exposerai plus

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loin : celle de W. Wolska sur Cosmas Indicopleustès119, et celle de Schäublin sur l’exégèse antiochienne120. Il s’agit de deux travaux très différents, tant par la méthode que par l’esprit, mais leurs résultats convergent de façon frappante, comme on le verra.

En ce qui concerne Mme Wolska, il convient de préciser que son étude est consacrée avant tout, et l’on peut même dire essentiellement, à Cosmas et à son œuvre composite, et non à l’exégèse nestorienne. Toutefois, en étudiant soigneusement et avec une maîtrise remarquable, la genèse des conceptions théologiques de l’œuvre de Cosmas, l’auteur trace un tableau très instructif des principales conceptions nestoriennes qui s’y expriment avec prolixité. Mais son plus grand mérite est d’avoir découvert, chez Cosmas, un schéma original et d’en avoir établi l’origine indéniable : Théodore et, à sa suite, les Nestoriens.

Je reviendrai plus en détail ci-après sur le contenu de ce schéma, me contentant, pour l’instant, de déclarer qu’il présente le caractère d’une double structure, sous la forme d’un agrégat de conceptions, traditionnelles dans l’Église, mais portant nettement l’empreinte d’une réinterprétation synthétisante, bien dans le style théodorien. Du fait que ce système implique une saisie totalisante des dimensions multiformes du Plan de Dieu sur l’humanité et de sa dispensation historique et cosmique, nous avons intitulé la première structure, « Schéma Économique" (au sens du terme grec oikonomia121, dispensation).

La deuxième structure constatée est le fruit de ma déduction personnelle, mais elle doit beaucoup à la remarquable étude de Schäublin sur l’exégèse antiochienne. Ce chercheur a repris, sur des bases entièrement nouvelles, la question très compliquée de cette exégèse particulière. Il semble l’avoir fait sur une base saine et féconde : celle du milieu culturel particulier à l’époque et au lieu : à savoir, un monde où la rhétorique régnait en maîtresse absolue, et constituait, de fait, le summum de l’éducation. Dans un chapitre remarquable par son esprit de synthèse, intitulé : « Une krisis poièmatôn chrétienne »122, Schäublin fait opportunément remarquer que l’intérêt purement historique pour les textes, qui caractérisait les rhéteurs – et, partant, les Antiochiens, dont Théodore – était absolument incompatible avec le rôle capital que jouait, dans le christianisme, l’interprétation de l’Ancien Testament. Obligés de concilier leur ‘historicisme’ avec la nécessité d’une compréhension globale de l’Écriture, les Antiochiens - selon Schäublin - avaient adopté une conception déjà utilisée par les lettrés grecs et qui est - il faut bien le reconnaître - ingénieuse et féconde : la Pédagogie. Les termes clés sont ici paideusis, didaskalia, ôpheleia, chrèsimon. Pour les Antiochiens, « les écrits de l’Ancien Testament éduquent et enseignent », constate Schäublin123, et aussitôt il remarque qu’il s’agit là d’un réflexe de rhéteur chrétien, emprunté, une fois de plus, au modèle culturel grec païen124 :

119 Op. cit. , voir Wolska , Recherches Topographie chrétienne. 120 Op. cit. , voir Untersuchungen Antioch. Exeg. 121 Et non "providentiel" (pronoia). Il est malheureusement encore assez fréquent de rencontrer cette confusion. 122 Schäublin, Untersuchungen Antioch. Exeg., chap. VEine christliche krisis poièmatôn, pp. 156-170. 123 Schäublin, Untersuchungen Antioch. Exeg., p. 161. 124 Schäublin, Untersuchungen Antioch. Exeg., p. 162.

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Dans leur tentative de sauvegarder le profit, pour la chrétienté, d’un Ancien Testament compris par eux ‘historiquement’, les Antiochiens prenaient une mesure fréquemment adoptée dès l’antiquité pour l’interprétation grecque des poètes : ils se mettaient à l’interpréter de façon moralisante. La conception que le poète doit agir comme maître et éducateur de son public se trouve déjà en substance à la base des revendications d’Eschyle dans les Grenouilles, d’Aristophane.

On verra que les Nestoriens ont largement extrapolé cette conception, pour l’appliquer de façon globale à l’Écriture et à Dieu, qui enseignent l’homme de toutes les manières possibles.

Ayant écarté l’exégèse nestorienne du champ de son enquête, Schäublin n’a pas pu déceler l’ampleur inégalée de ce motif antiochien (et théodorien) par les Nestoriens. Pour ma part, j’y vois la seconde structure remarquable de l’exégèse nestorienne, et je propose, en conséquence, de l’intituler le Schéma Pédagogique. J’y reviendrai plus en détail ci-après. Ce que j’en ai dit jusqu’ici, comme, d’ailleurs, du Schéma Économique, n’avait pour but que de démarquer l’origine antiochienne de ces deux schémas et d’acquitter, à l’égard de Schäublin et de W. Wolska, une dette de reconnaissance, pour m’avoir mis sur la voie d’un essai d’interprétation synthétique de l’exégèse nestorienne, à l’aide de cette structure, comme je l’exposerai plus loin.

Les deux catastases et le « Schéma Économique »

Voici, dans les termes de Mme W. Wolska125, la description du système développé par Cosmas, dans son ouvrage intitulé Topographie Chrétienne :

Au-dessus de toutes choses il y a Dieu. Sa sagesse et sa bonté ineffables, refusant de s’enfermer sur elles-mêmes, aspirent à se communiquer en appelant d’autres êtres à l’existence, pour les associer à ses perfections invisibles. Mais la distance qui sépare la créature de son créateur interdit la réalisation immédiate de ce dessein. Une étape de préparation s’impose, qui acheminera lentement l’homme à l’état de perfection. Ces deux étapes, Cosmas les appelle les deux catastases, deux conditions ou états successifs dont la réunion constitue l’économie divine. Avant même de créer les êtres appelés à le connaître, Dieu décide ces deux catastases, l’une de mort et de changement, faite d’épreuves et de conflits ; l’autre, immuable et éternelle, inaccessible à la souffrance et remplie de la connaissance parfaite. Dieu aménage donc un univers approprié à ces deux états distincts : le monde d’ici-bas, enclos entre la terre et le firmament, sujet à la corruption et au changement ; le monde d’en-haut circonscrit par le firmament et la voûte du ciel supérieur, qui est le royaume des cieux, incorruptible et éternel. L’univers ainsi aménagé, Dieu passe à la création de l’homme, ‘lien de la création’, composé de matière et d’esprit, de visible et d’invisible. Cette dualité, à elle seule, prédestine l’homme aux deux conditions. Placé d’abord dans ce monde-ci, l’enseignement qu’il y reçoit l’habilite à passer dans le deuxième espace, le royaume des cieux. Pour aider l’homme à supporter les épreuves de sa présente condition, Dieu, dès la formation d’Adam, lui fait entrevoir, à travers la figure et la prophétie, la destinée finale de la race humaine, la deuxième condition. L’Ancien Testament apparaît comme la préparation, l’ombre du Nouveau ; celui-ci s’ouvre avec le Christ, initiateur de la deuxième condition, comme Adam l’a été de la première. Le Christ, Dieu et

125 Wolska, Recherches Topographie Chrétienne, pp. 37-38.

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homme, a pour mission de faire passer la race humaine de la première condition à la deuxième. Doué d’un corps soumis au changement et d’une âme passible, il conquiert après avoir subi les pires épreuves de la condition humaine, l’immortalité et l’immutabilité. Sa victoire sur la mort garantit la même transformation à tous les hommes, au jour de la résurrection. Alors, toutes les oppositions s’évanouissent. Dans la personne du Christ la créature accomplit sa destinée : l’immortalité, la félicité exempte de passions ; la fin dernière de la vie est la connaissance parfaite de Dieu, créateur du ciel et de la terre. Ainsi, au terme du circuit on revient à la thèse d’où partent tous les développements : l’accomplissement du dessein de Dieu d’associer d’autres êtres à l’existence et à la connaissance. Les thèmes si divers de la Topographie - les deux conditions, la cosmologie, la révélation, la christologie – conduisent tous à la réalisation de cette économie, dont l’homme est le principal objet, et les deux catastases le principal instrument.

Un système aussi élaboré suppose une tradition antérieure. Nous avons vu plus haut que celle-ci remonte, en fait, à Théodore126 ; c’est également l’opinion de W. Wolska. En effet, dans les extraits des œuvres qui nous restent de Théodore, il est possible de distinguer la majeure partie des éléments évoqués ci-dessus et surtout les deux catastases. Toutefois, comme le suppose de manière plausible W. Wolska, la forme très populaire et systématique qu’affecte ce Schéma, dans l’œuvre de Cosmas, semble indiquer qu’il est le fruit d’une refonte, voire d’une codification nestorienne ultérieure.

L’avantage et l’utilité pour nous de l’œuvre de Cosmas, dans le cadre d’une reconsidération de l’œuvre nestorienne, réside dans son allure de système. Par ses défauts même, ou ce qui nous paraît tel aujourd’hui, à savoir : l’emphase, la vulgarisation extrême, la répétition incessante des mêmes leitmotive, cet auteur nous fournit, de façon inespérée, une exposition abondante des thèses théologiques nestoriennes et, dans une certaine mesure, un échantillon des

126 Toutefois, il ne faut pas écarter la possibilité – improbable dans l’état actuel de notre documentation, et de la recherche, en général – d’une adoption et d’une adaptation par Théodore d’une structure qui était peut-être déjà présente en germe chez Origène et qui fait indéniablement partie de la cosmologie des origénistes, à savoir, celle d’une double création ; la première, qui n’a pas fait l’objet d’une révélation, est celle du monde des êtres invisibles et essentiellement spirituels, la seconde, celle du monde des créatures et êtres visibles, corporels. La première préexiste à la seconde, qui est elle-même une conséquence du « refroidissement » puis de la chute d’une partie des êtres spirituels dans la matière. Cette seconde création est, elle aussi, comme la première (selon Guillaumont, Kephalaia gnostica d’Évagre p. 110), « l’œuvre du même Dieu qui avait créé les natures raisonnables à seule fin qu’elles jouissent de sa science et qui, se faisant ‘providence secourable’, comme dit Évagre (VI, 75), a créé, après leur chute, les corps et les mondes pour leur permettre de remonter vers leur état premier. » Il se pourrait que la théorie des Deux catastases de Théodore soit une réaction à cette construction origéniste, et en prenne le contre-pied exact, en posant, elle aussi, deux catastases, qui - contrairement à celles des origénistes - ne sont pas successives, mais coexistantes. De plus, dans ce système, les notions et les images d’exercice, de stade et d’école de la condition présente, représentent le contre-pied avantageux de cette purification progressive des âmes et de leur remontée à leur condition première. Quoi qu’il en soit de cette hypothèse, qu’il faudra bien entendu vérifier, nous avons un indice de l’extrême intérêt (négatif, certes, mais postulant une intime connaissance de la doctrine combattue) de Théodore pour les thèses origéniennes, par cette brève notice de Facundus, Pro defensione, 602 bc) : « Quod Theodorus multa opuscula edidisset contra Origenem ». Sur la cosmologie des origénistes, en général, et d’Évagre, en particulier, voir Guillaumont, Kephalaia gnostica d’Évagre, pp. 103-113 ; sur celle de Théodore, voir Devreesse, Essai sur Théodore, pp. 8, 25, 25-26, 90 ; et surtout Wolska, Recherches Topographie Chrétienne, pp. 37 ss. Voir aussi, ci-après, Annexe.

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techniques et des thèmes exégétiques de cette Église, mis au service d’un kérygme catéchétique simple et séduisant, et qui a dû être efficace.

Je résume donc ici le Schéma des 4 thèmes, dégagé par W. Wolska127, en le récapitulant, comme elle, et en n’hésitant pas à répéter certains éléments qui figurent dans le plus ample énoncé cité plus haut :

Le thème Cosmologique : « L’existence de l’Univers y apparaît […] comme la partie intégrante d’un dessein divin formé dès le commencement. Destiné à loger les deux ‘conditions’, l’univers est réparti en deux espaces superposés, l’espace inférieur réservé à notre condition actuelle, et l’espace supérieur préparé pour la condition future. »

Le thème Anthropologique ; « Ces deux conditions ont été créées pour servir d’étapes à l’évolution humaine : l’étape d’apprentissage et de perfectionnement qui a lieu dans le premier espace, l’étape d’aboutissement, d’immortalité et de connaissance parfaite qui va s’opérer dans le second. »

Le thème Prophétique : « Pour soutenir l’homme durant les épreuves de la première condition, Dieu, dès la création du premier homme, lui a fait entrevoir, à travers prophéties et figures de l’Ancien Testament, la condition future qui allait débuter avec la venue du Christ. »

Le thème Christologique : « En dépit de virtualités innées et de dispositions mises en œuvre pour le préparer à son état futur, le passage de l’homme d’une condition à l’autre ne peut s’opérer qu’à la suite d’une intervention divine. C’est le Christ, Dieu et homme, qui a pour mission de faire passer l’humanité d’un état à l’autre. Son humanité, devenue immortelle et immuable, à la résurrection, garantit le même sort à tous les humains. »

À mon avis, c’est ce schéma-type qui devrait servir de référence ou d’étalon, auquel il sera indispensable de rapporter et de comparer toute synthèse nestorienne, ou réputée telle, afin de vérifier si elle correspond à cette structure traditionnelle et, si elle s’en écarte, de tenter de déterminer s’il faut voir dans l’œuvre hétérogène, une simple variante, ou l’indice de l’existence, chez les Nestoriens, d’autres courants théologiques ou exégétiques.

L’homme à l’école de Dieu et le « Schéma Pédagogique »

Il est un autre thème, non moins puissant et tenace, qui court tout au long des œuvres exégétiques et théologiques nestoriennes. Il y a été fait allusion à plusieurs reprises jusqu’ici, et l’on comprendra que ce n’est pas par hasard qu’il constitue l’élément central du titre de cette étude. On a pu voir, par ce qui a été dit plus haut, que cet engouement nestorien pour l’École n’a rien à voir avec un mouvement élitiste, stérile et orgueilleux, coupé de la masse et n’écrivant et n’enseignant que pour lui. Tout au contraire, on l’a précisé, ce mouvement s’est concrétisé par l’ouverture massive d’écoles en tous lieux, et surtout par un enseignement religieux à caractère généralement populaire, dispensé aux masses chrétiennes (comme également aux non chrétiennes, semble-t-il) avec un grand

127 Cosmas, Topographie Chrétienne, Introduction, p. 37.

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succès, s’il faut en croire le nombre considérable d’écrits produits par ces écoles. Sans oublier le témoignage irréfutable que constitue l’expansion prodigieuse de l’Église nestorienne (Mésopotamie, Perse et jusqu’en Mongolie et en Chine) qui reçurent la visite des intrépides missionnaires nestoriens128.

Mais tout cela est loin de constituer l’aspect le plus frappant de cette quasi-mystique de l’École. Ce qui étonne le plus, c’est la présence intensive, tout au long des œuvres nestoriennes, du thème de l’enseignement de l’homme par Dieu, non seulement comme motif moral ou édifiant, mais comme système théologique.

Certes, le motif lui-même a des racines patristiques anciennes129, et les Antiochiens (Théodore entre autres) en usent largement. Mais, chez les Nestoriens, il atteint véritablement le niveau d’un code. La racine ilp ainsi que ses synonymes hkm, id‘, sm‘, etc., reviennent sous toutes les formes et des centaines de fois dans

128 Dans Histoire Nestorienne, PO VII, 2 p. 117, on lit que Ma’na (5e siècle) « envoya les livres qu’il traduisit [œuvres de Diodore et Théodore] aux pays maritimes et aux Indes », ce qui prouve que, déjà à cette époque les Nestoriens étaient établis loin de la Mésopotamie. Sur l’expansion des Nestoriens, voir, entre autres, Tisserant, Recueil Tisserant, pp. 187 ss. ; voir aussi Nau, L’expansion nestorienne ; Dauvillier, Les provinces chaldéennes "de l’extérieur", pp. 261-316, et Saeki, Nestorian Monument ; du même, Nestorian Documents ; Enoki, Nestorian Christianism in China, etc. 129 On le trouve de façon diffuse mais nette, chez Basile, Chrysostome et bien d’autres. Mais c’est surtout chez Origène qu’il abonde. C’est le seul écrivain ecclésiastique qui puisse, si l’on peut dire, rivaliser avec les Nestoriens, pour l’usage extraordinairement abondant qu’il fait de la notion de pédagogie et d’enseignement divins. Le livre de Koch, Pronoia und Paideusis, consacré à Origène, est très instructif à cet égard. J’ai déjà évoqué ci-dessus (n. 126) l’hypothèse d’une "contrefaçon" des théories d’Origène par Théodore, une espèce de prise de contre-pied par choix des mêmes thèmes en les inversant ou en en changeant le contexte. Or, voici que, pour le motif de l’Enseignement, cette thèse se renforce singulièrement ; dans son Peri Archôn, ou Traité des Principes (II, 11, 6), Origène écrit : « Je pense en effet que tous les saints, en quittant cette vie, resteront en quelque lieu situé sur la terre, que l’Écriture divine appelle ‘Paradis’ (Gn 2, 8 ss. ; Lc, 23, 44), comme en un lieu d’instruction et, pour ainsi dire, dans une salle ou une école des âmes [velut in quodam eruditionis loco et ut ita dixerim, auditorio vel schola animarum] ; là ils recevront un enseignement sur tout ce qu’ils avaient vu sur terre… » (trad. française de Mme Harl, Origène : Traité des Principes, p. 146) Nous ne disposons malheureusement pas de textes explicites analogues de Théodore, mais nous avons ceux de ses disciples, par exemple, Cosmas, dans sa Topographie Chrétienne V, 59 (voir Cosmas, Topographie Chrétienne I, pp. 94-95) cité plus loin (n. 134) ; Cf. aussi ibid. V, 64 (Cosmas, Topographie Chrétienne I, pp. 98-99) ; V, 248 (ibid. p. 362-363) ; VII, 72 (ibid. III, pp. 134-135) et Išo‘dad, Commentaire III, trad. p. 234 (sur Ecclésiaste, Introduction) cité plus loin (n. 125) ; cf. aussi sur Prov. 13, 23 (Išo‘dad, Comment. ibid., p. 190). La lecture de tous ces textes donne réellement l’impression que Théodore et ses successeurs se moquaient d’Origène, et ramenaient sur terre ce que l’autre avait placé au Paradis. Il est intéressant de noter que Basile de Césarée, que Guillaumont considère comme « le moins origéniste des Cappadociens » (Kephalaia gnostica d’Évagre, p. 138) et qui aurait, aux dires de Philopon, été blâmé par Théodore pour « avoir fait des puissances spirituelles l’objet d’une première création, antérieure à celle du monde visible racontée dans la Genèse » (Guillaumont ibid., p. 183 et n. 29), nous donne ce texte singulièrement théodorien : « hote ge edexei loipon kai ton kosmon touton epeisachthènai tois ousi prohègoumenôs men didaskaleion kai paideutèrion tôn anthrôpinôn psuchôn. » (Basile de Césarée, Homélies sur l’Hexameron, p. 106). Notons que le motif de l’Enseignement ne manque pas dans la littérature rabbinique. Le culte de l’École (Yeshiva, Beit-Midrash) y est très ardent. Mais si l’on parle bien au mode figuré et lyrique du beit midrash shel ma‘lah (l’École d’en-Haut, c’est-à-dire du ciel), où Dieu et les élus "étudient" la Thora, on ne trouve pas, pour autant que je sache, le motif du monde considéré comme école et lieu d’exercice (voir aussi n. 126, ci-dessus, et, dans l’Annexe, paragraphe 7. « L’origénisme », ci-après, pp. 98-99).

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les écrits les plus divers. En voici quelques exemples, limités aux commentaires des premiers chapitres de la Genèse :

Dieu diffère sa création pour l’instruction des êtres raisonnables130.

C’est pour instruire (liulpanhun) les êtres célestes que Dieu fit entendre la parole : « Que la lumière soit ! »131.

Même le péché d’Adam est présenté comme une expérience d’instruction : « pour qu’Adam, par l’épreuve, apprît (dni’lap) la volonté de son Seigneur »132

Quant à l’Écriture, les exemples de son "enseignement" sont légion ; en voici un particulièrement significatif, d’après Išo‘dad de Merv :

Ce n’est pas sans intention que l’Écriture a raconté l’histoire des filles de Lot, mais premièrement, afin de nous apprendre (dni’lap) que les Ammonites et les Moabites descendent d’elles…, etc. 133.

Mais qu’on n’aille pas croire que l’utilisation du thème pédagogique chez les Nestoriens se limite à cela. Non seulement tout est matière à enseignement dans le déroulement des événements bibliques, mais le monde lui-même est un beit duraša (=paideutèrion).

Voici deux textes frappants à cet égard ; le premier est de Cosmas :

Dès l’abord, ayant déterminé cette condition (katastasin), dont il se servit comme d’une école utile (paideutèriôi chrèsimôi), pour notre avantage, Dieu la fit mortelle et changeante afin que nous puissions, par notre faculté de discerner et de raisonner, obtenir une participation aux choses bonnes et nous détourner des mauvaises134.

Le second exemple est d’Išo‘dad de Merv :

…le Créateur a disposé ce monde comme une école et un lieu d’exercice (beit duraša wenupaqa) pour les êtres spirituels afin que tout ce qui (existe) dans le monde serve à l’éducation (tarbita) des êtres spirituels135.

Enfin nous trouvons, chez Cosmas à nouveau, une formulation plus théologique de l’Éducation, dans un contexte d’oikonomia divine136 :

C’est d’après les dispositions prises à l’égard de l’homme (ek tôn de kata ton avthrôpon oikononoumenôn) que les Puissances [spirituelles] invisibles apprennent à connaître ce qui concerne Dieu. Comme l’homme est en quelque sorte le lien de la création tout entière et l’image de Dieu, les dispositions prises à son égard (ta peri auton oikononoumena) forment une école (paideutèrion) aussi bien pour lui que pour tous les êtres [spirituels] (c’est-à-dire les anges).

Il faudrait également citer la quasi-totalité des six Homélies de Narsaï, publiées, traduites et étudiées par Gignoux. Ce docteur, transfuge de l’École d’Édesse et

130 Voir Narsaï, Homélie I, 10 (Narsaï, Homélies sur la Création, p. 526). 131 Voir Narsaï, ibid., I, 12 (Narsaï, Homélies sur la Création, p. 526). 132 Voir Narsaï, ibid., I, 476 (Narsaï, Homélies sur la Création, p. 554). 133 Išo‘dad, Commentaire, Genèse I, trad. p. 180 ; texte p. 166, 1. 29. 134 Topographie V, 59 (cf. Cosmas, Topographie Chrétienne I pp. 94-95). 135 Išo‘dad, Commentaire III, trad. P. 234 ; texte p. 198, I. 6-7. 136 Topographie V, 73 (voir Cosmas, Topographie Chrétienne, pp. 110-113).

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fondateur de celle de Nisibe, est, à ma connaissance, l’auteur d’expression syriaque qui utilise le plus le thème théodorien des deux catastases, et cela d’une façon tellement massive et systématique que Gignoux137 en vient à penser que la refonte des théories de Théodore en un système « simplifié et mis à la portée des esprits de culture moyenne », que Wolska138 attribuait à Mar Abba, et que pour ma part, j’aurais volontiers assigné à Abraham139, serait due, en fait à Narsaï lui-même ; et il faut bien avouer que l’examen de ces homélies semble donner raison à Gignoux.

Quoi qu’il en soit, on ne saurait surestimer l’importance de ces documents pour une étude des thèmes chers à Théodore et de leur évolution ultérieure. De même, les allusions à l’Économie et à la Pédagogie divines peuplent littéralement ces homélies, preuve supplémentaire, semble-t-il, qu’elles remontent à Théodore.

Il existait même une version rhétorique intensive du thème, à l’intention des scoliastes. Elle trouve son expression dithyrambique dans le discours d’inauguration d’une session de l’école de Nisibe, de Barhadbešabba, déjà évoqué plus haut140, et intitulé de manière inexacte par son traducteur Cause de la Fondation des Écoles. Pour comprendre les quelques allusions que nous allons évoquer ci-après, il faut savoir que les ouvrages techniques nestoriens, les statuts de l’École de Nisibe en particulier, mais également maints écrits historiographiques, nous apprennent qu’il existait, dans les écoles, un certain nombre de fonctions de direction et d’enseignement141 ; ce sont, respectivement, celle, générale, de Maître (malpana), de Directeur de l’École (rabbaita d’eskula), de Lecteur (maqriana), de Répétiteur ou Maître d’expression orale (mhagiana), d’Inspecteur ou Scrutateur (baduqa) et de Scribe ou Maître d’écriture (sapra). Dans ce discours, nous assistons à la projection naïve et imagée, dans toutes les étapes de la Révélation et de l’enseignement divins, des techniques scolaires de l’École de Nisibe. Et afin de suggérer aux auditeurs l‘origine divine de cette institution de l’enseignement, on met en scène Dieu lui-même exerçant pour les anges tour à tour les fonctions de Scribe, de Lecteur, de Maître de Rhétorique et - bien entendu - de Maître d’enseignement. L’Eternel remplit les mêmes fonctions pour Adam au paradis. Mieux, la tradition pédagogique se poursuit : Abraham, Moïse et les Prophètes tiennent à leur tour école sur le modèle de Dieu ; et Jésus, le maître par excellence, se voit doté par l’orateur extasié d’un maître de lecture (maqriana) en la personne de Jean Baptiste, qui fait également fonction d’Inspecteur ou Scrutateur (baduqa), alors

137 Narsaï, Homélies sur la Création, p. 510. 138 Cf. POC 32 (1982), p. 116. 139 Cf. ibid. et n. 22. 140 Cf. n. 30, ci-dessus. 141 Toutes ces dénominations recouvrent des fonctions bien réelles. C’est notre conviction, mais elle devra faire l’objet d’une étude qui pourrait très bien trouver place dans le cadre des pistes de travail suggérées dans ces pages. En son temps, Labour avouait son ignorance de ce que recouvraient les termes de mehaggiane et baduqe (Le Christianisme dans l’Empire Perse, p. 297). Chabot est plus prolixe mais guère mieux renseigné (École de Nisibe, pp. 63-65). Enfin les éditeurs de la PO (IV 4) sont plus techniques et plus précis, voir Barhadbešabba, Fondation des Écoles, pp. 398-399. (L’opinion de Vööbus me paraît fausse, voir Vööbus, HSN p. 100, n. 4 ; pour les autres fonctions, il hésite lui aussi, ou tourne court ; voir ibid., pp. 101, 104, 107). On préférera : Segal, Diacritical Point, p. 9 ; et Merx, Hist. Art. gram. ap. Syros, p. 28ss.

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que Pierre est le Majordome, l’Intendant de l’École (rabbaita d’eskula)142)… J’arrête là les citations.

Mon opinion est que dans la conjugaison de ces deux structures, à savoir : les deux Catastases et le Schéma Économique, d’une part, l’Éducation de l’homme par Dieu, et le Schéma Pédagogique, d’autre part, nous avons l’ossature, la charpente de toute la conception nestorienne de l’Histoire du Salut. Mieux, cette double structure fondamentale sert aux pasteurs nestoriens de paramètre-type auquel se réfère tout le système de leur exégèse scolastique, et qui en justifie le caractère dualiste, à la fois résolument historique, comme étant fondé sur les méthodes de la rhétorique, mais aussi non moins résolument typologique, car enraciné sur la tradition ecclésiale d’une relecture, à la lumière de la foi chrétienne, de la Révélation vétérotestamentaire. Dans la relecture nestorienne, l’Histoire n’est pas seulement le récit d’un passé révolu, mais le type éducateur d’un Futur qui en exploitera tous les enseignements pour son présent, et réalisera pleinement toutes les virtualités que ce passé recélait encore, et que la Foi et la Prophétie révèlent à ceux qui ne cessent de se laisser enseigner par Dieu.

Théologie de l’« Économie » et de la « Pédagogie » divines et exégèse historique

Les deux schémas-types évoqués ci-dessus, à savoir, l’Économique et le Pédagogique, correspondent, en fait, de manière frappante, aux deux dimensions essentielles de la création, à savoir : l’existentielle et la conceptuelle (ou intellectuelle)143. Certes, les deux dimensions sont un donné imposé par Dieu, un donné de nature, mais selon la conception nestorienne (qui semble avoir des racines traditionnelles), elles doivent être assumées volontairement et consciemment par la créature. Cet aspect de l’autodétermination de la créature par ses actes144 et par une adhésion consciente au Plan de Dieu sur l’univers, semble être la clé de voûte de l’anthropologie religieuse nestorienne. L’homme (comme l’ange, d’ailleurs) est sommé de prendre parti, d’agir. Mais, pour ce faire, il doit être conscient, il doit comprendre. À la première dimension que j’ai

142 Barhadbešabba, Fondation des Écoles, pp. 348-352, 352-354, 355 ss., 367-368. 143 Je rappelle que la terminologie syriaque pour les hommes et les anges, est : « êtres dotés de raison », équivalent du grec logikoi. 144 Voir, par exemple ce que dit Išo‘dad sur Gn 2, 16 : « [Cet arbre] est appelé l’arbre de la connaissance du bien et du mal, en raison de la loi imposée à Adam pour manifester sa capacité de discernement. C’est, en effet, pour avoir mangé de son fruit en transgressant le commandement, et attiré sur soi le châtiment de la mort, qu’il connut ce qui est bien et mal… » (Išo‘dad, Commentaire, Genèse, trad.. p. 65). Nombreux autres exemples similaires dans la littérature nestorienne. L’idée remonte à Théodore. En effet, on trouve un thème semblable dans un extrait du Commentaire de la Genèse (Théodore de Mopsueste, Interprétation de la Genèse, p. 60). Théodore y explique que ce sont les hommes qui firent des tuniques, « Dieu leur ayant jeté dans l’intelligence comment on doit faire cela » ; puis il généralise : « À cause de cela, et de façon humaine (’našait), on dit qu’elles sont (?) l’œuvre de Dieu, parce que c’est de lui qu’ils apprirent à opérer ainsi ; ainsi le bienheureux Job (?) dit : Qui a donné à la femme cette sagesse (de tisser) ? Parce que c’est (l’affaire) des femmes, cet office, mais que c’est lui (Dieu) qui leur a donné le dessein de cet office ; de même ici encore, ce « Dieu fit » enseigne ceci : qu’il leur infusa la pensée et leur donna l’impulsion (?) et la sagesse de distinguer quels arbres ont des écorces qui conviennent à cet usage, et pour les décortiquer. » (Voir parallèle très consonant chez Išo‘dad, Commentaire, Genèse I, trad. p. 96).

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qualifiée d’existentielle, appartient le premier schéma : l’Économique. C’est le domaine de l’action, de la praxis. Sa pierre de touche est l’épreuve, l’exercice ; son aiguillon : la nécessité vitale, le désir ; son fruit : la maturité.

À la seconde dimension, que j’ai qualifiée de conceptuelle (ou intellectuelle), appartient le second schéma, le Pédagogique. C’est le domaine de la réflexion, de l’intellection. Sa pierre de touche est la représentation intellectuelle, l’imagination ; son aiguillon : la curiosité, la soif de savoir ; son fruit : la connaissance, la prise de conscience.

Ces deux dimensions sont aussi inséparables l’une de l’autre que l’âme du corps. En effet, chacune informe l’autre, et le silence de l’une rend l’autre aveugle et impuissante.

Dieu agit sur l’homme en jouant sur ces deux registres. Son Économie se manifeste dans le cadre des deux conditions (ou : catastases) : celle de la terre, la présente, l’humaine, avec toutes les péripéties de son histoire, c’est la demeure provisoire où l’homme doit s’exercer, avant de parvenir à sa demeure définitive, celle du ciel. Mais l’enchaînement apparent des causes et des effets, dont le secret demeure, en ce bas monde, inaccessible à notre intelligibilité, nous induit en erreur, nous entraîne au mal ; pire, il nous incite à douter de l’existence d’une Providence suprême, maîtresse de l’histoire et du sort final de l’univers et de l’humanité. Les souffrances de l’existence, les fautes, les échecs, incitent l’homme à se tourner sans cesse de sa dimension, qui est celle de sa corporéité, vers la dimension conceptuelle, qui l’apparente à l’ange et à Dieu ; celle-ci à son tour, informée par l’action, se tourne vers le seul « oracle » divin dont elle dispose : l’Écriture, le livre de Dieu où doit se trouver la réponse à ses problèmes.

Mais là aussi règne un apparent désordre, un chaos même ; l’invraisemblable y côtoie l’obscur, et il semble au lecteur que ces histoires d’un passé mythique et d’un peuple aujourd’hui méprisé, après avoir été élu par Dieu, n’aient rien à voir avec les problèmes des hommes de sa génération.

C’est alors qu’intervient l’exégèse ‘historique’ nestorienne, flanquée de sa conception d’un Dieu éducateur de l’homme, en général, et du peuple juif historique, en particulier. Le récit biblique ayant été débarrassé de sa gangue littéraire particulière (style biblique, procédés rhétoriques, figures grammaticales, etc.), apparaît alors le contenu ‘historique’ réel, l’hupothesis, le fondement du texte ; nous atteignons l’événement ou la réalité de la chose dont nous voulons apprendre. Le plus souvent, l’enseignement consistera en une glose savante, une précision linguistique, stylistique, topographique, ou un rappel de tel fait ou de telle péripétie qui y sont narrés. Parfois pourtant, jaillira, inattendue et rafraîchissante comme un jet d’eau vive, dans ce quasi-désert scientifique, l’interprétation typologique, voire spirituelle, qui nous rappellera que, si nous sommes à l’École, c’est tout de même une école chrétienne.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : il n’y a rien là de comparable à ce que nos modernes appellent : « actualisation de l’Écriture ». L’idée n’en a même pas effleuré les docteurs-prédicateurs nestoriens. Pour eux, l’Écriture s’inscrit dans une histoire concrète ; et si certains événements, certaines prophéties recèlent une redondance que l’Économie divine y a volontairement incluse,

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l’accomplissement plénier, s’en est réalisé sous les Maccabées145, ou, à la rigueur (mais c’est vraiment l’exception !), lors de la nouvelle Économie inaugurée par le Christ.146

En conséquence, il n’y a pas de fondamentalisme chez les exégètes nestoriens, et très peu d’apocalyptique et de prophétique, et surtout - chez les scoliastes tout au moins – s’affiche un refus systématique de l’allégorie.

On peut se demander alors quelle nourriture trouvaient ces schismatiques dans l’étude de l’Écriture. C’est mal comprendre la mentalité sémitique d’une part, celle du scoliaste chrétien, d’autre part. Pour les Sémites que sont les Nestoriens - et en cela ils sont très proches de la position juive - le récit biblique n’est ni un mythe, ni un oracle, ni un récit allégorique, mais une histoire réelle ; ce qui n’implique nullement qu’il ne soit qu’un ensemble de faits totalement révolus. Pour un Nestorien, l’histoire est un événement ; ce n’est pas une chose morte, mais un processus vivant concernant des personnes réelles qui ont vécu à une époque et dans des conditions données et, à ce titre, il est signifiant, en ce sens qu’il a toujours valeur d’exemple, de témoignage ; il représente pour nous, au-delà du temps, une expérience par personnes interposées dont nous pouvons et devons toujours apprendre. Si bien que la masse énorme d’événements que constitue l’histoire humaine en général, et celle du peuple juif en particulier, et qui est consignée dans la Bible - même si la totalité de ses virtualités ne s’est pas encore accomplie - ne constitue absolument pas un matériau figé, dépourvu de vie et de signification. Au contraire, cette histoire nous apprend de quelle nature est Dieu, ce qu’il veut de l’homme ; elle déroule devant les yeux de notre esprit et ceux de notre imagination le Plan de Dieu, son Économie, nous révélant que cette première partie de l’histoire humano-divine jouée par le peuple juif, n’est pas le point final de ce grand drame du Salut, mais qu’elle attend au contraire un accomplissement dans une eschatologie inévitable.

C’est à ce stade que le scoliaste chrétien prend le relais, armé de l’équipement du rhéteur, formé aux disciplines classiques de l’analyse historico-philologique des textes, mais aussi détenteur du code secret qui ouvre le sens de la nouvelle Économie : le Nouveau Testament. Seule cette double approche dialectique de

145 Par exemple, Išo‘dad considère la lamentation d’Isaïe sur Jérusalem, Car la ville forte, isolée, sera dévastée, (Isaïe 27, 10), comme ayant été accomplie au temps des Maccabées sous Antiochus Épiphane (Išo‘dad, Commentaire IV, Isaïe, p. 41). Ou encore Isaïe 65, 20, si souvent interprété comme relatif à l’époque messianique, qui est commenté par Išo‘dad en ces termes : « Les mots, À l’âge de cent ans il mourra et… sera maudit. Certains (auteurs) entendent cette (parole) du temps après le retour. Cent années durant leur prospérité a persisté et alors, les rois macédoniens se sont levés contre eux ; on le sait clairement par le livre des Maccabées » (Išo‘dad, Ibid, p. 78). Le dernier passage que j’ai choisi de citer a l’avantage de comporter un parallèle dans le Commentaire des Prophètes, de Théodore, sur Zacharie 11, 4, qui nous est parvenu : « Et ensuite (le prophète) se met à parler des événements qui arriveront au temps des Maccabées : Pais les brebis chétives. Le mot pais, savoir : (le prophète) annonce que ces brebis seront délaissées, loin des bergers justes, savoir, aux jours des Maccabées, et qu’elles seront livrées aux mains de bergers qui les égorgeront et disperseront. » (Išo‘dad, Commentaire, ibid., p. 165 ; parallèle : Théodore de Mopsueste, Commentaire in Oseam, etc., 572 A 12-14). 146 Sur le traitement des prophéties, spécialement celles qui sont traditionnellement considérées par l’Église comme messianiques, voir les Introductions du Père Van den Eynde comme suit : Išo‘dad, Commentaire I, trad. Préface pp. VIII-IX ; Išo‘dad, Commentaire II, trad. Préface pp. IV-VI ; Išo‘dad, Commentaire III, trad. Préface pp. II-III ; Išo‘dad, Commentaire IV, trad. Préface pp. I-VII ; Išo‘dad, Commentaire V, trad. Préface, p. V à X.

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l’Ancien Testament peut expliquer l’ambivalence de l’exégèse nestorienne, qui oscille sans cesse entre la pédanterie scientifique apparente d’un commentaire encyclopédique, et le souci pastoral et théologique, qui nous valent ces citations de traditions contradictoires à propos du même verset, ou ces réflexions sincères, et parfois frémissantes, de l’exégète en quête de la dimension spirituelle, prophétique, ou simplement morale, d’un texte.

Pour conclure, on peut dire que, s’il fallait résumer en quelques mots la charte de l’exégèse de cette Église, il faudrait reprendre la citation paulinienne que l’on peut lire en filigrane, tout au long des œuvres des interprètes nestoriens successifs : « Ce qui a été écrit l’a été pour notre instruction » (Rm 15, 4 ; cf. 1 Co 10, 11).

Certes, on pourra objecter que c’était là la charte de tout exégète. Origène, dira-t-on, avait sans aucun doute le sentiment qu’avec son exégèse allégorique, il avait mis en pratique cette maxime paulinienne en dévoilant le sens caché des Écritures, seul susceptible de nous instruire réellement sur Dieu et sa volonté à notre égard.

L’objection vaut qu’on s’y arrête. Elle nous oblige à préciser ce qui sépare radicalement le scoliaste nestorien de son confrère alexandrin, et le distingue même de ses lointains modèles Antiochiens.

B. L’exégèse ‘historique’ et la catéchèse des « Deux Schémas »

Antioche et Nisibe contre Alexandrie

Il est symptomatique que l’un des plus fameux scoliastes nestoriens, l’évêque Išo‘dad de Merv, qui, tout au long de son vaste commentaire de l’Ancien Testament, a toujours sous la plume le mot « enseignement » et les termes apparentés, s’il n’invoque pas directement la fameuse phrase de Paul citée ci-dessus, en cite cependant le parallèle en 1 Co 10, 12, dans un contexte que je crois utile de rapporter, car il illustre excellemment la pratique des exégètes nestoriens, capables, à propos du même verset, de faire preuve d’un souci presque pédant de l’historique et, concurremment, d’envisager bravement le sens typologique quand le contexte semble y inviter. Voici la citation147 :

Il faut savoir encore que toute l’économie (mdabranuta) accomplie auprès des Israélites, soit par l’intermédiaire de Moïse, soit par les prophètes successifs, comme (celle qu’il accomplit) auprès de Balaam, etc., ne fut pas disposée par Dieu uniquement pour Israël mais encore pour que soient instruites (rd’) les nations, et qu’elles reconnussent leur Créateur et eussent en horreur l’idolâtrie ; comme (Dieu) l’a dit à Pharaon : À cette fin je t’ai établi, pour te montrer ma puissance et pour que mon nom soit publié par toute la terre, etc. Et à un autre endroit Dieu a dit : Ce n’est pas à cause de vous que j’agis, Fils d’Israël, mais (c’est pour mon nom). Et il est manifeste qu’il en est ainsi, du fait que si tu cherches dans les archives des royaumes du siècle, des Égyptiens, des Perses, etc., tu trouveras la relation de chacun des prodiges qui se sont accomplis de tout temps en faveur du peuple [juif]. De même, tous les (événements) qui (sont arrivés) là, soit l’élection

147 Išo‘dad, Commentaire II, trad. pp.196-197, texte p. 146.

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des (Israélites), soit leurs lois, soit les miracles (accomplis) en leur faveur, étaient la figure (tps) des (événements) qui s’accompliraient) dans le Christ : Toutes ces choses leur sont arrivées pour nous servir de figure (tupsa), et elles ont été écrites (pour notre instruction, marduta dilan) [cf. 1 Co 10, 11], etc. ; et, La Loi à l’ombre, etc. Et cela est manifeste par le fait que (Dieu), ayant élu le peuple israélite d’entre les nations, sépara des tribus la tribu de Juda, et de Juda, la maison de David, à laquelle (furent accordées) les promesses et dont (descend) le Seigneur des promesses.

Ce texte est précieux, car il comporte les deux mots-clés de la structure des Deux Schémas analysés ci-dessus : Économie (mdabranuta) et Instruction (marduta), ainsi que l’utilisation de la méthode typologique, avec mention explicite de la forme verbale (tps).

On remarquera également l’administration de la "preuve historique", introduite par l’expression classique du vocabulaire logico-philosophique : « Il est manifeste que… (yidi‘a’ hi), et ce dans les deux cas : le premier, celui de l’Économie, à conséquence pratique (c’est-à-dire : historique), est prouvé par les « archives des Égyptiens et des Perses », alors que, pour le second, celui de la typologie christologique, il est fait appel au fait biblique "historique" de la mise à part de la tribu messianique de Juda (en vue du Messie).

Toutefois, il faut le souligner une fois de plus, il n’y a rien de commun entre cette exégèse typologique et l’allégorie alexandrine. Un exemple supplémentaire tiré du Commentaire d’Išo‘dad, suivi de sa contre-épreuve origénienne, suffira, me semble-t-il, pour qu’apparaisse la différence abyssale entre l’interprétation allégorique alexandrine et l’interprétation typologique nestorienne.

À propos de Gn 25, 23 : « Rébecca s’en alla interroger le Seigneur » (parce que les deux jumeaux qu’elle portait se débattaient dans son sein), Išo‘dad, en rhéteur consciencieux, nous relate les realia de l’événement148 :

Il est probable que, sous l’impulsion de la grâce, l’idée lui était venue que c’était le présage de quelque lutte entre les enfants. Aussi se rendit-elle à l’endroit qui était réservé (aux gens d’Abraham) pour le culte, où Dieu leur apparaissait comme (autrefois) à la maison d’Abel. [...] D’autres disent qu’elle se rendit auprès de Melchisédech même, parce qu’il n’y avait personne, sauf lui, qui fût plus que son beau-père et que son mari… etc.

On remarquera que c’est là ce que les Nestoriens eux-mêmes appellent l’exégèse « historique ». Il faut s’y faire même si cette conception de l’« historique » n’est pas la nôtre aujourd’hui. On voit cependant que, malgré ces précisions - qui témoignent d’ailleurs d’une grande maîtrise des traditions bibliques les plus diverses -, Išo‘dad n’oublie pas pour autant le caractère surnaturel de l’Écriture, comme en témoigne l’expression : « sous l’impulsion de la grâce ». Point de rationalisme non plus chez lui. Et pourtant la tentation scientifique était grande de ramener le heurt des enfant, dans le sein de cette femme à des problèmes classiques de grossesse. Or Išo‘dad ne fait rien de tel ; au contraire, il évoque, discrètement certes mais sans ambiguïté, la portée symbolique de l’événement, et nous parle du « présage de quelque lutte entre les enfants ». On ne peut exiger plus grande fidélité au caractère prophétique du récit biblique. On notera cependant la réserve du commentaire et son refus d’exploiter le merveilleux.

148 Išo‘dad, Commentaire I, trad. p. 193.

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Tout autre est l’interprétation d’Origène, au même endroit149. Malgré sa longueur et sa verbosité, il vaut la peine de la citer ici intégralement, ne serait-ce qu’aux fins d’illustration définitive (et pour n’y plus revenir) de l’incompatibilité d’humeur viscérale et irréconciliable entre Antioche (et Nisibe) et Alexandrie :

Voyons plutôt maintenant ce que signifie cette parole : ‘Rébecca s’en alla interroger le Seigneur’. Elle s’en alla. Où alla-t-elle ? D’un lieu où le Seigneur n’était pas s’en alla-t-elle vers un lieu où il était ? Car c’est ce que semblent indiquer ces mots : ‘Elle s’en alla interroger le Seigneur.’ Le Seigneur n’est-il pas partout ? N’a-t-il pas dit lui-même : ‘Je remplis le ciel et la terre, dit le Seigneur ?’ Où donc Rébecca s’en alla-t-elle ? Je pense qu’elle ne s’en alla pas d’un lieu à un autre, mais qu’elle passa d’une vie à une autre, d’une action à une autre, du bien au mieux, qu’elle progressa de l’utile au plus utile, qu’elle se hâta de ce qui est saint à ce qui l’est davantage. Car il est absurde de penser que Rébecca, qui avait été formée dans la maison du sage Abraham sous un mari de la plus haute instruction, Isaac, était assez simple et ignorante pour croire que le Seigneur était enfermé en quelque lieu et pour y aller l’interroger sur l’agitation des bébés en son sein. Mais veux-tu constater que c’est une habitude chez les saints, lorsqu’ils voient que Dieu leur montre quelque chose, de dire qu’ ‘ils s’en vont’ ou qu’ ‘ils passent’ ? Moïse, voyant le buisson brûler se consumer, regarde la vision avec étonnement et dit : ‘Je passerai et je verrai cette vision’. Il ne voulait certes pas dire qu’il allait franchir une certaine distance, escalader des montagnes ou dégringoler les pentes abruptes des vallées. La vision était toute proche, devant lui, sous ses yeux. Mais il dit : ‘Je passerai’, pour montrer qu’il est invité par la vision céleste à s’élever à une vie supérieure et à ‘passer’ de l’état où il était à un état meilleur. Ainsi donc, notre texte dit maintenant de Rébecca, qu’elle s’ ‘en alla interroger le Seigneur’, et l’on doit interpréter, comme nous avons dit, que ce n’est pas avec les pieds qu’elle marche pour s’en aller, mais avec les progrès de l’esprit. Toi aussi, par conséquent, si tu te mets à fixer les regards, non sur ‘les choses visibles, mais sur les ‘invisibles’, c’est-à-dire, non sur les choses charnelles mais sur les spirituelles, non sur les choses présentes mais sur les futures, on dira de toi que ‘tu t’en es allé interroger le Seigneur’. Si tu t’arraches à ton ancienne conduite et à la fréquentation de ceux avec qui tu vivais dans l’indignité et l’infamie, et que tu participes à des actes honnêtes et religieux, quand on te cherchera au milieu de compagnons de honte et dans les bandes d’individus malfaisants et qu’on ne t’y trouvera pas, on dira de toi aussi : ‘Il s’en est allé interroger le Seigneur.’ Ainsi donc, les saints ne s’en vont pas d’un lieu à un autre, mais d’une vie à une autre, des premiers enseignements à des enseignements supérieurs.150

149 Origène, Homélies sur la Genèse, pp. 295-297. 150 Il ne faudrait cependant pas croire qu’Origène n’a aucun sens du commentaire littéral du texte. Tant s’en faut. Mais il est visible que celui-ci ne l’intéresse pas, au moins pour l’instant. (Il s’agit d’une homélie, c’est-à-dire d’un genre oratoire populaire, et le public n’est pas un public de scoliastes). D’ailleurs, le début même de cette homélie prouve qu’Origène n’était pas dupe de son procédé. « La lecture présente rapporte qu’Isaac fit une demande pour Rébecca, son épouse, parce qu’elle était stérile ; Dieu l’exauça et elle conçut. Et ses enfants, dit l’Écriture, s’agitaient dans son sein. […] Il serait trop long maintenant d’examiner en détail l’agitation des enfants demeurant encore dans le sein (maternel). Il serait trop long de citer les explications et les paroles énigmatiques de l’Apôtre à ce sujet : quelle part de mystère, quelle part de motifs contiennent-elles, pourquoi avant que ne naissent les enfants ou qu’ils n’aient rien fait dans ce monde aucun bien ou aucun mal, est-il dit d’eux : Un peuple l’emportera sur l’autre et le plus grand servira le plus petit, pourquoi, avant qu’ils ne sortent du sein de leur mère, lit-on chez le prophète : J’ai aimé Jacob et j’ai haï Esaü ? - Tout cela dépasse mon langage et votre entendement. » (Origène, Homélies sur la Genèse, pp. 293-295).

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Aucun doute qu’Išo‘dad, dans le passage cité ci-dessus, se montre un digne élève de Théodore et des Antiochiens. Mais en est-il toujours chez lui comme chez les autres Nestoriens ? Nous allons voir ci-après que ce n’est pas le cas.

Nisibe n’est plus Antioche

Dans la préface du Commentaire de la Genèse d’Išo‘dad de Merv, le Père Van den Eynde, spécialiste de cet exégète nestorien, fait la remarque suivante151 :

Il faut bien le reconnaître, le sens dit allégorique tient une large place dans l’exégèse d’Išo‘dad. Il n’y a pas non plus à nier que l’application qui en est faite, soit à la destinée humaine soit aux détails des faits, prête souvent à l’arbitraire ; l’exégèse du sacrifice d’Abraham, par exemple en fait foi. Et de même, l’application des prophéties aux faits concrets de l’histoire d’Israël ou de la vie du Christ tourne plus d’une fois à l’allégorie, comme lorsque ‘l’eau bouillante’ dont parle Jacob est expliquée par la passion de Ruben152, ou que ‘le vêtement lavé dans le vin’ auquel le même patriarche fait allusion, est entendu de la passion sanglante de l’humanité du Sauveur. Išo‘dad aurait-il donc renié les principes de l’Interprète ?153.

À quiconque voudra se convaincre que le savant éditeur d’Išo‘dad n’exagère pas, on conseillera de lire les textes mêmes, dans son volume de traduction ; le lecteur trouvera d’ailleurs plusieurs autres exemples du même acabit.

Certes, il n’est pas question d’un réel antagonisme entre les deux courants si tributaires du même esprit rhétorique, d’autant que les pages précédentes ont suffisamment mis en lumière l’énorme dette culturelle et théologique que les Nestoriens ont envers Antioche. Toutefois il reste que nombreuses sont les interprétations qui s’écartent de la rigueur historique des modèles antiochiens, à en juger du moins par celles qui figurent dans la vaste compilation d’Išo‘dad. Il est vrai que cette dernière est tardive (milieu du 9e siècle) ; mais c’est le seul commentaire de cette ampleur à avoir survécu, à l’exception du Commentaire Anonyme déjà cité, et qui lui est si parallèle154. Aussi, en l’absence d’un document similaire très largement antérieur qui puisse servir de point de comparaison, il paraîtrait peu prudent de fonder des certitudes sur ce témoignage isolé. En effet, à part Bar Konaï155 dont les Scholies sont souvent parallèles au contenu des commentaires d’Išo‘dad, et présentent des traces d’interprétation à caractère allégorique (mais ce scholiaste n’est que d’un demi-siècle antérieur à Išo‘dad), on n’a pu détecter de phénomène analogue chez les écrivains nestoriens antérieurs à Išo‘dad. Toutefois, compte tenu du manque d’originalité dont il a tant été fait grief à cet exégète tardif, on penchera plutôt pour l’opinion qu’Išo‘dad n’a fait, là

151 Išo‘dad, Commentaire I, trad. Introduction p. X. 152 Išo‘dad, Commentaire I, trad. p. 230. 153 Išo‘dad, Commentaire I, trad. p. 234. 154 Il est de toute façon postérieur à Išo‘dad qu’il cite plusieurs fois. Sur ce Commentaire, voir Levene, Early Syrian Fathers ; et du même, Remarques ; voir aussi Introductions de Van den Eynde, Išo‘dad, Commentaire, vol. I, trad. p. V ; vol. II, trad. pp. II, III, XII-XV, XXIV-XXV ; vol. III, trad. pp. XXVII, XXVIII, XXXV, XXXVI. La date proposée pour la composition du Commentaire Anonyme varie entre 900 selon Mingana (Catalogue I, p. 1024) et le 12e siècle selon Mgr Scher (cf. Baumstark, Geschichte syr. Literatur, p. 290), qui lui attribue comme auteur Sabriso bar Paulos (d’après Van den Eynde, dans Išo‘dad, Commentaire II, trad. Introduction pp. II, III). 155 Bar Konaï, Liber Scholiorum, édité par Mgr Scher, trad. française : R. Hespel et R. Draguet, voir ci-après n. 167.

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aussi, que transmettre fidèlement des traditions qui sont parvenues jusqu’à lui, et l’on voudra voir, dans ce phénomène, un état plus tardif de l’exégèse nestorienne, à une époque où se sont apaisés les conflits violents dus au « schisme allégorisant » de Henana d’Adiabène.

Il semble, en effet, que le caractère fortement kérygmatique de la théologie nestorienne ait contribué à accentuer le caractère "dualiste" de son exégèse que j’ai tenté d’illustrer dans ces pages. J’entends par là, d’une part le zèle rhétoricien consacré à dégager le texte de son conglomérat littéraire, voire légendaire ou mythique, pour retrouver, au-delà des tropes, des paraboles et autres figures de style, la situation historique telle qu’en elle-même. Et d’autre part, une non moins grande objectivité scrupuleuse apportée à rendre compte - le cas échéant - du caractère surnaturel ou spirituel du texte et - quand le caractère objectif du texte le permettait - à en démarquer le sens typologique, voire prophétique.

La raison de cette "voie moyenne" me paraît s’imposer à la lumière de la double structure découverte, analysée plus haut : l’exégèse nestorienne est au service d’une théologie fortement kérygmatique et pastorale, autant, sinon plus, que savante : celle des « Deux Schémas » de l’Économie et de la Pédagogie divines, qui gravitent autour de la notion centrale des deux catastases, reçue de Théodore lui-même. Cette dimension nouvelle, ou, à tout le moins - si on la croit traditionnelle - privilégiée, sans détruire ni combattre la dimension "historique" de l’exégèse nestorienne (son côté antiochien), ne l’en détrône pas moins de son rang de reine incontestée où l’avait placée l’école antiochienne. Mais qu’on ne s’y trompe pas, la dimension "historique" est toujours présente. Quantitativement, elle l’emporte même, et de beaucoup. Elle constitue incontestablement le fond et la trame du vaste commentaire d’Išo‘dad. Ce qui a changé, vis-à-vis d’elle, c’est la relation. L’exégèse historique ne concurrence plus le sens spirituel ou typologique, elle lui est parallèle. Dans certains contextes, il semble même que les deux sens soient indépendants, presque étrangers l’un à l’autre. Certes, la chose peut s’expliquer par le caractère de compilation du commentaire d’Išo‘dad, et il faudra contrôler nos assertions présentes par un examen attentif des textes ; mais, même si c’était le cas, ce phénomène n’en révélerait pas moins l’intention rédactionnelle du compilateur lui-même qui a choisi ses interprétations en fonction d’un but qui semble bien plus pastoral et kérygmatique que purement scolastique.

C. Conclusion

Sans nous arrêter pour l’instant à la structure des Deux Schémas, découverte plus haut, et sur laquelle nous reviendrons, on soulignera, au terme de cette partie consacrée à l’influence de la structure des Deux Schémas sur l’exégèse ‘historique’, que les analyses ci-dessus nous invitent instamment à un réexamen soigneux des théories concernant l’évolution de l’exégèse nestorienne. On a constaté précédemment le phénomène de l’exégèse spirituelle chez des solitaires du 7e siècle. L’examen sommaire de l’œuvre de Dadišo a révélé que cette tendance allégorisante a soulevé l’hostilité des scoliastes de l’époque. On en déduira, avec une certaine vraisemblance, qu’au 7e siècle, l’influence théodorienne – ou, si l’on préfère, la ligne dure du nestorianisme –, était encore puissante, sinon toute-

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puissante. Elle ne semble d’ailleurs pas avoir inquiété outre mesure les solitaires contre lesquels elle s’est élevée, puisque Dadišo - les sources en font foi - est resté un nestorien orthodoxe.

Quand on arrive à Bar Konaï (fin du 8e siècle) et à Isodad (milieu du 9e siècle), on constate une coexistence sereine des deux tendances exégétiques, bien qu’il ne convienne pas de parler d’allégorisme à propos d’un Nestorien en y mettant le contenu d’une exégèse alexandrine façon Origène ou Didyme l’Aveugle ! Je l’ai répété à plusieurs reprises : l’exégèse ‘historique’ prédomine largement. Les deux Commentaires bibliques conséquents dont nous disposons (celui d’Išo‘dad et celui du Commentaire Anonyme) sont les témoins d’une composition orientée à des fins catéchétiques. Les conflits entre Allégorie et Histoire y sont estompés. Lorsque l’auteur polémique, c’est contre des interprétations qu’on me pardonnera de qualifier de « grossièrement allégoriques ». Par exemple, on trouve chez Išo‘dad la raillerie, classique chez les Antiochiens, à l’adresse d’Origène, pour lequel les eaux qui sont au-dessus du firmament (Gn 1, 7) sont des anges, parce que le Ps 148, 4-5 dit : « Que les eaux au-dessus du ciel louent le nom du Seigneur » !156.

Au demeurant, Išo‘dad lui-même n’a pas de réflexes victimaires. Nul n’a semblé l’inquiéter pour son éclectisme. On en conclura donc que son époque et les époques subséquentes sont caractérisées par la tolérance (ou l’apathie ?). Il n’est pas indifférent de constater que ce que nous savons de la fortune de son Commentaire, tant dans l’Église nestorienne que dans la jacobite, permet de le considérer, en toute sécurité, comme fortement représentatif de l’exégèse traditionnelle syriaque, à condition de le "contrôler" à l’aide d’écrits antérieurs de la ligne dure des Nestoriens, tel surtout Narsaï. J’y reviendrai.

156 Cf. Išo‘dad, Commentaire, Genèse I, trad. p. 30.

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IV. JALONS POUR UNE TENTATIVE DE DESCRIPTION GÉNÉRALE DE L’EXÉGÈSE NESTORIENNE

A. Une piste séduisante et… plausible : le Commentaire de l’Ancien Testament, d’Išo‘dad de Merv

Définition de l’objectif de la recherche envisagée

Comme chacun sait, il faut respecter la nature des choses, et il ne convient guère, quand on aborde un problème non encore travaillé par la recherche antérieure, de vouloir en résoudre d’un coup toutes les inconnues. Pourtant, j’ai parlé à plusieurs reprises dans ces pages, de la nécessité urgente d’une « étude de synthèse de l’exégèse nestorienne ». J’ai exprimé le désir de lire, un jour prochain, un ouvrage compétent qui fournirait une image cohérente et vivante de l’activité des scoliastes nestoriens, tout en faisant découvrir au lecteur le secret de leur ‘pierre philosophale’, c’est-à-dire le ressort encore caché pour la recherche, de la prodigieuse vitalité de leur Église, et de l’incroyable fécondité de leur production littéraire religieuse.

Espérant avoir aiguisé les curiosités, et en supposant qu’ait été trouvé le chercheur prêt à relever le gant de ce défi passionnant ? encore faudra-t-il qu’il ne manque pas sa recherche. Les quelques propos qui suivent se proposent de lui "assurer" le terrain, dans la mesure du possible.

Et tout d’abord, avant de s’atteler à quelque entreprise que ce soit, il convient de se définir à soi-même, le plus clairement possible, l’objectif que l’on croit pouvoir raisonnablement se fixer, puis de décider de la méthode et des moyens à mettre en œuvre pour parvenir à un résultat optimum.

Je propose donc la définition suivante de l’objectif : Tentative d’une description générale de l’exégèse nestorienne, et de la part qui revient, dans sa formation, à l’École Scolastique, de caractère fortement rhétorique, en s’efforçant de cerner ce qui en fait l’âme, à savoir, une structure théologique à caractère fortement synthétique mais à la formulation simple, voire populaire, et de caractère éminemment kérygmatique, qui semble due à Théodore de Mopsueste : celle des « Deux Schémas », l’Économique et le Pédagogique.

Critères pour le choix de l’œuvre la plus représentative de l’exégèse nestorienne

Tel, celui qui parvenu au pied de la montagne, hésite encore et se demande par quel versant il en abordera l’ascension, le chercheur que séduira le défi de cette performance difficile, fera bien de se méfier de la tentation classique des débutants, et d’éviter de prendre la difficulté de front, en attaquant, par sa face la plus vertigineuse, cette problématique trop lisse de n’avoir pas été fréquentée.

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Il devra donc résister au désir bien légitime – et qui procède d’une intuition fondamentalement juste – d’aller directement aux manuscrits non encore édités, espérant ainsi découvrir l’aspect capital encore caché, le point d’Archimède rêvé, à partir duquel tout bascule et se révèlent enfin les belles avenues de la certitude scientifique. Tout d’abord, il n’est pas prouvé que ce chercheur aura cette chance ; ensuite, s’il n’a pas suffisamment d’expérience, voire de compétence, pour distinguer l’essentiel de l’accessoire, il risque de se perdre dans la masse vraiment énorme des œuvres qui attendent encore dans l’ombre des bibliothèques leur découvreur éventuel.

Délaissant donc, pour l’instant l’inédit, et conscient qu’il ne convient pas de chercher si loin ce qui se trouve peut-être à portée de main, je préconise qu’on se limite à chercher, dans le nombre non négligeable des documents édités – et, le plus souvent traduits, grâce au labeur méritoire de nos devanciers – l’ouvrage idéal qui réponde, si possible, aux six critères suivants : 1) Commentaire suivi de l’Écriture ; 2) Orthodoxie nestorienne et représentativité de son exégèse ; 3) Abondance textuelle maximale ; 4) Ancienneté des traditions exploitées ; 5) Édition critique, de préférence accompagnée d’une traduction fiable ; 6) Auteur le plus ancien possible.

Ce sont-là beaucoup d’exigences, dira-t-on peut-être, et rares sont les textes qui présentent simultanément ces critères idéaux. Pourtant, la perle rare existe, et il est dommage qu’à ce jour, elle n’ait encore suscité aucun travail doctoral ou magistral. On veut parler du vaste commentaire de l’Ancien Testament par Išo‘dad de Merv, déjà évoqué à plusieurs reprises dans ces pages. Son éditeur et traducteur, le Père Van den Eynde, de l’Université de Louvain en Belgique – décédé depuis –, y a travaillé près de trente années et a gratifié la recherche de l’intégralité de ce qui semble être le plus beau fleuron de la littérature exégétique syriaque157.

Raisons du choix du commentaire d’Išo‘dad

L’œuvre d’Išo‘dad correspond à tous les critères proposés ci-dessus, sauf au dernier, mais comme on le verra plus loin, c’est un handicap qui peut être surmonté. Il s’agit d’un commentaire suivi de l’Écriture. Il procède livre par livre et verset par verset, sauf exception. Quant à son orthodoxie, elle a semblé devoir être mise en question, à cause de l’indépendance relative d’Išo‘dad par rapport à Théodore, et du fait que son attitude est plus traditionnelle vis-à-vis de certains livres de l’Écriture, décrétés dénués d’inspiration par l’Interprète (tels Job et le Cantique des Cantiques). Le Père Van den Eynde a prouvé, de façon qui semble

157 Le P. Van den Eynde ne s’est pas contenté de cela, mais il a tenu à pourvoir son édition et sa traduction d’un apparat critique minutieux, de notes philologiques précieuses, de nombreuses références aux parallèles éventuels et aux sources, d’index et de tables analytiques très détaillées et claires, sans parler d’Introductions érudites à chaque partie de l’ouvrage publié, en tête des volumes de traduction, et dont chacune est une petite monographie de l’exégèse nestorienne. En voici la liste détaillée : Vol. I, Genèse : CSCO 156 (1956), pp. VII à XXI ; Vol. II, Exode-Deutéronome : CSCO 176 (1958), pp. III à XVI ; Vol. III, Livres des Sessions: CSCO 230 (1963), pp. II à XXX; Vol. IV, Isaïe et les Douze : CSCO 304 (1969), pp.I à XI ; Vol. V, Jérémie, Ezéchiel et Daniel : CSCO 329 (1972), pp. V à XXVI.

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convaincante, qu’Išo‘dad est un nestorien orthodoxe, et que ce qui apparaît, dans son oeuvre, comme des déviations ou des libertés audacieuses par rapport aux méthodes et conceptions de Théodore, existait déjà avant lui, et constitue plutôt le résultat de l’évolution originale de l’exégèse nestorienne158. Pour ce qui est de l’abondance textuelle, exigée dans mon troisième critère, on sera bien servi : comme dit plus haut, Išo‘dad a commenté toute l’Écriture, à l’exception de quelques livres, non canoniques chez les Nestoriens, soit au total six volumes et près de 1200 pages de texte syriaque dans l’édition moderne du CSCO159. Notre quatrième critère a trait à l’ancienneté des traditions. Il n’est que de se reporter aux Introductions du Père Van den Eynde, pour se convaincre que le Commentaire d’Išo‘dad est un réservoir inépuisable des traditions les plus vénérables. Voici quelques noms : Flavius Josèphe, Philon d’Alexandrie, Aphraate, Ephrem, Narsaï, Mar Abba 1er Catholicos, Abraham de Beit Rabban, Jean de Beit Rabban, Henana d’Adiabène, Epiphane de Salamine, Évagre, Michel, Gabriel (ou Ahob) de Qatar, Iso Bar Noun, Paul de Nisibe, Théodore de Mopsueste, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Jean Chrysostome, Cyrille, Basile, Théodoret de Cyr, etc. Ceci pour les autorités nommément désignées, donc sans compter les fort nombreuses traditions citées anonymement. Mon cinquième critère est admirablement rempli, je l’ai dit : nous disposons en effet, de l’édition et de la traduction de la totalité du Commentaire d’Išo‘dad par le Père Van den Eynde, paru dans la collection du CSCO de Louvain. Quant au dernier critère, j’ai déjà reconnu qu’il est le seul à ne pas être rempli. Mar Išo‘dad a vécu entre la fin du 8e siècle et la seconde moitié du 9e siècle. Le seul jalon chronologique sûr que nous ayons à son propos, est qu’il occupa – peu de temps semble-t-il – le siège épiscopal de Hedatta, près de Mossoul, vacant depuis 852, avant d’en être évincé par les intrigues d’un médecin du calife d’alors, au profit de Théodose, métropolite de Jundisapur. Je laisse au meilleur connaisseur de ce commentaire, à savoir son éditeur et traducteur, le P. Van den Eynde, le soin de le résumer drastiquement160 :

L’œuvre est hors pair pour notre connaissance de l’exégèse nestorienne. Vraie somme de doctrines, d’interprétations et d’histoires qui circulaient dans les écoles sur les sujets les plus divers, elle reflète l’esprit nestorien qui les animait. […] Les sources tant syriaques que grecques, du commentaire, sont le témoin des influences subies par l’exégèse nestorienne au cours des siècles. »

Ayant constaté que ce milieu du 9e siècle où fut rédigée cette œuvre

appartient à une période de stagnation, durant laquelle les clercs de l’Église nestorienne se bornèrent à collectionner et à codifier le legs littéraire du passé",

le savant éditeur et traducteur ajoute :

Ce que d’autres entreprirent sur le terrain de l’histoire de l’Église, de l’histoire du monachisme, du droit ecclésiastique et du droit civil, Išo‘dad le fit pour l’exégèse.

158 Voir Išo‘dad, Commentaire I, trad. Introduction pp. X à XII. 159 Voici, dans l’ordre, les publications du P. Van den Eynde pour Išo‘dad de Merv : vol. I, Genèse : texte CSCO 126/Syr. 75 (1655) ; vol. II, Exode-Deutéronome : texte CSCO 80 (1958), trrad. 176/Syr. 81 (1958) ; vol. III, Livre des Sessions : CSCO 229/Syr. 96 (1963) ; vol. IV, Isaïe et les Douze : CSCO 303/Syr.128 (1969), trad. 304/Syr. 129 (1969) ; vol. V, Jérémie, Ezéchiel et Daniel : CSCO 328/Syr. 146 (1972), trad. 329/Syr. 147 (1972) ; vol. VI, Psaumes : CSCO 433/Syr. 185 (1981), trad. 434/Syr. 186 (1981). 160 Išo‘dad, Commentaire I, Genèse, trad. p. I.

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Avantages, limites et inconvénients de l’œuvre d’Išo‘dad

Remarquons tout d’abord que le handicap indéniable de l’âge tardif de cet ouvrage monumental est amplement compensé par l’antiquité et la valeur des sources qu’il cite, malheureusement trop souvent de manière anonyme. Toutefois, il reste un bon nombre d’attributions explicites qui peuvent aider le chercheur à se faire une idée assez claire de l’évolution des traditions exégétiques nestoriennes.

Mais beaucoup de difficultés attendent quiconque entreprendra l’étude de cette œuvre. Apparemment la table est mise et il n’y a qu’à s’y installer, à collationner tels quels, et à analyser les matériaux exposés. En fait, la situation est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, à cause, surtout, du caractère d’anthologie qu’affecte, la majeure partie de ce Commentaire. En effet, il n’est pas rare de trouver à la suite l’une de l’autre, pour un même verset, plusieurs interprétations divers, voire contradictoires, citées anonymement, sans qu’il soit toujours possible de déterminer celle d’entre elles qu’Išo‘dad considère comme orthodoxe, ou, à tout le moins préférable.

Certes, il convient de préciser que le but de la recherche envisagée n’est pas de procéder à une monographie spécifique concernant les sources, la méthode et le traitement des traditions par Išo‘dad, mais de se référer à son œuvre comme à un témoin représentatif, un réservoir de thèmes et de techniques nestoriens, à partir duquel on cherchera à retrouver, en remontant aux sources, la théologie et l’esprit nestoriens tels qu’en eux-mêmes. Il n’en reste pas moins qu’il faudra être attentif aux inconvénients signalés et redoubler de prudence dans les appréciations – et surtout les extrapolations – qui seront faites à partir des éléments fournis par ce Commentaire à fort caractère de compilation.

Dans le même ordre d’idée, il faut noter que l’immensité même de ce commentaire, qui fera la joie du glaneur de traditions nestoriennes, constitue par contrecoup, une difficulté sérieuse pour toute entreprise visant à maîtriser cette masse d’éléments disparates, à les classifier, et à en dégager les principales caractéristiques et lignes de force.

On verra plus loin, dans le chapitre consacré à la méthode préconisée, que nombre d’inconvénients énumérés ci-dessus peuvent être palliés par l’usage systématique de la comparaison textuelle. Il existe, en effet, plusieurs ouvrages qui présentent avec ce commentaire de tels parallèles qu’ils permettent de compléter l’anthologie d’Išo‘dad, voire d’identifier ce qui est anonyme chez lui, et vice versa. Je veux surtout parler du Commentaire Anonyme nestorien qui apparaît à première vue comme une copie conforme de celui d’Išo‘dad, mais s’avère être, en fait, une compilation originale161 des questions choisies d’Iso Bar Noun162, des scolies de Bar Konaï163 et, dans une moindre mesure, du Commentaire de l’Ancien Testament, rédigé en arabe par Ibn-at-Tayib164 (11e s.), prêtre et médecin nestorien.

161 Voir ce qu’écrit à ce sujet le P. Van den Eynde, Išo‘dad, Commentaire II, trad., Introd. pp. XIV-XV et XXIV-XXV. Voir aussi L. Van Rompay, A hitherto unknown nestorian Commentary on Genesis and Exodus 1 – 9, 32, in the Syriac Manuscript (olim) Dijarbekr 22, dans Orientalia Lovaniensa Periodica, 5, Louvain 1974, pp. 53-78 162 Éditées par Clarke, voir Išo Bar Noun, Selected Questions. 163 Éditées par Mgr Scher, voir Bar Konaï, Liber Scholiorum. 164 Édité par Sanders, voir Ibn at-Taiyib, Commentaire sur la Genèse.

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L’avantage de ces documents parallèles, comme d’ailleurs d’autres œuvres et extraits qui lui seront comparés, consiste en ce que les parallèles dont la récurrence s’avérera constante permettront probablement de dessiner les lignes de force, les articulations maîtresses et, partant, de reconstituer l’esprit et la méthode de l’exégèse nestorienne.

Nécessité d’une étude thématique : les « Deux Schémas »

Outre les considérations qui précède, il ressort – me semble-t-il – avec évidence, que l’entreprise envisagée comporte un risque d’enlisement ou de dissipation dans le multiple, rendant difficile, sinon impossible, la synthèse, et non concluants les éléments amassés sans l’aide d’un principe directeur. Il conviendra donc de centrer cette recherche sur un thème, choisi comme suffisamment représentatif et intégrateur, susceptible de focaliser autour de lui à la façon d’un champ magnétique, la "limaille" foisonnante des traditions exégétiques les plus diverses, conférant ainsi à ce chaos apparent une cohérence qui résulte de la saisie intellectuelle de l’essentiel.

Il semble que le rôle de thème central serait heureusement tenu par la structure des Deux Schémas, longuement analysée dans les pages précédentes. Rappelons-en la substance. Le premier, que nous avons convenu d’appeler le Schéma Économique, prétend voir, dans l’ordre même de l’Univers, et dans le dévoilement progressif du mystère de la Révélation au cours de l’histoire humaine, la preuve de l’existence d’un Plan divin. Il remonte à la théorie théodorienne des deux catastases qu’il adopte intégralement. Il présente le caractère d’une véritable philosophie chrétienne de l’existence, et est orienté surtout vers l’action et le comportement moral de l’individu qui doit s’intégrer harmonieusement à la mystérieuse économie divine dont le schéma pédagogique lui fournit la clé.

Le second schéma, que j’appelle Schéma Pédagogique, découle d’une saisie de Dieu comme éducateur de l’homme. Cette conception permet à la créature de discerner le Plan divin et sa dispensation inexorable et providentielle, non seulement dans la marche du monde cosmique et dans les péripéties de l’histoire humaine, mais aussi dans l’Écriture inspirée de Dieu. Dieu nous enseigne sans cesse par ces trois dimensions : Cosmos, Histoire, Révélation, et même les désordres du monde et nos fautes constituent une propédeutique et une pédagogie qui nous permettent de récupérer, sous forme d’expérience positive et de prise de conscience purificatrice, les échecs humains, et de nous en servir comme d’un tremplin pour une vie meilleure, dans l’école de la catastase (condition) d’ici-bas, en attendant d’être transférés dans la catastase définitive : celle d’en-haut. Il est incontestable que le noyau de cette conception de Dieu, éducateur de l’homme, remonte à la pus ancienne tradition ecclésiale (elle est également présente dans la tradition juive), mais il reste qu’elle prend chez les Nestoriens, les allures d’un système que je n’ai personnellement rencontré nulle part sous une forme aussi extensive. Ce schéma présente le caractère d’une véritable recherche systématique du sens des événements, de nature fortement théorique (au sens étymologique du terme grec theôria). Il est surtout orienté vers la contemplation et l’interprétation. Il va sans dire qu’il s’harmonise à merveille avec le sens de l’histoire et les exigences des méthodes rhétoriques de la critique littéraire, qui sont les outils indispensables mis au service d’une recherche inlassable

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d’intelligibilité, et qui caractérisent de façon si marquante l’exégèse scolastique nestorienne.

C’est donc sous l’angle de cette double structure, incluant les deux schémas ci-dessus résumés, qu’il paraît utile de mener la recherche envisagée. Reste à consacrer quelques lignes à la méthode.

B. Exécution technique suggérée

Délimitation du matériau principal retenu pour la recherche envisagée

Le commentaire d’Išo‘dad, je l’ai dit, est d’une telle ampleur qu’il ne paraît pas raisonnable, ni même possible, d’en embrasser tous les aspects, ni d’en exploiter toute les ressources en une seule étude. J’ai donc cherché quelle en était la partie susceptible de convenir idéalement à l’objet fixé.

Or, des vérifications approfondies auxquelles j’ai procédé, tant sur le Commentaire d’Išo‘dad que sur les matériaux comparatifs retenus qui seront définis plus loin165, ont montré, de façon qui paraît sûre, que le récit de la Création s’avère le lieu le plus fréquent de l’exposition par les Nestoriens du thème des deux catastases. Il y a d’ailleurs une grande cohérence dans cette tendance. Tout d’abord il s’agit du premier livre du canon de l’Écriture ; enfin, ce n’est pas par hasard qu’il est appelé « Genèse » (en hébreu, « Au commencement »). C’est précisément à propos de la création du Cosmos, des Anges et de l’Homme et à l’occasion de la faute originelle, que peuvent s’exprimer les conceptions fondamentales évoquées ci-dessus. Le fait est que les Homélies de Narsaï sur le récit de la création – comme on l’a dit plus haut – ne sont qu’un tissu des thèmes de la Pédagogie divine et de son Économie. Le concept des deux catastases (et son parallèle, les deux demeures) y revient sans cesse également ; le tout étant habilement exploité pour exposer ex cathedra, mais avec la grâce du mètre166, les principaux dogmes nestoriens.

C’est également parmi les œuvres de Théodore, dans les fragments conservés de ses commentaires de la Genèse, et plus précisément dans la partie qui concerne la création, que l’on trouve le plus de parallèles de mêmes motifs, ce qui atteste qu’ils remontent bien à l’Interprète. Il en est de même chez Išo‘dad et dans le Commentaire Anonyme. Quant aux documents comparatifs, ceux qui traitent du récit de la création présentent, de loin, la plus grande récurrence des thèmes évoqués ci-dessus. Et, pour ce qui est des autres documents qui n’ont rien à voir avec la Genèse, il est significatif que les meilleurs parallèles pour nos thèmes sont de petits épitomés des principales conceptions nestoriennes concernant les deux catastases, et qu’ils synthétisent la condition de l’homme dans le Plan de Dieu, le plus souvent dans les termes exacts où ils figurent dans les commentaires nestoriens du récit de la création167.

165 Voir, ci-après, p. 72 et ss. 166 Pour mémoire, les écrits de Narsaï auxquels je fais allusion sont écrits en vers. 167 Ceci ressort clairement de la comparaison de textes effectuées par Mme Wolska à propos de trois auteurs : Cosmas, Thomas d’Édesse Giwargis, voir Wolska, Recherches Topographie Chrétienne, pp. 73-85.

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Quoi qu’il en soit de la genèse de ce processus – qui mériterait une étude particulière –, cette disposition naturelle des sources ne peut qu’aller à la rencontre de l’exigence de limitation quantitative des matériaux, qui est l’abc de la recherche.

Je suggère donc de fixer pour cadre à l’étude proposée et souhaitée, le récit de la création avec, comme limite, le meurtre d’Abel, c’est-à-dire de Gn 1, 1 à 4, 16.

Toutefois, il va de soi qu’un cadre aussi restreint ne pourrait en aucune façon permettre de rendre un compte objectif de la méthode rhétorique de l’exégèse nestorienne en général, et de celle du commentaire d’Išo‘dad en particulier. On conviendra donc que, pour cet aspect de la recherche, il sera nécessaire de glaner tout au long de ce vaste document, et sans exclure a priori aucun livre de l’Écriture, les éléments qui paraîtront significatifs pour la recherche. Mais il est bien évident que celui qui les utilisera devra tenir compte du contexte d’où il les a tirés, dans l’interprétation qu’il proposera de leur rôle éventuel, et de leur place dans le système exégétique d’Išo‘dad.

Description des étapes

Sans entrer dans les détails trop techniques des méthodes que chaque chercheur déterminera lui-même, selon ses tendances personnelles et en fonction des données objectives des problèmes à résoudre, je suggère les étapes suivantes :

Établissement d’une liste de termes caractéristiques des Deux Schémas, par exemple : ‘économie’, ‘enseignement’, ‘faire savoir’, ‘école’, ‘stade’, ‘demeure’, ‘épreuve’, etc.

Démarquage des figures de style, ou tropes, systématiquement utilisées par les auteurs dans leurs explications des textes bibliques, et dont l’impact exégétique est suffisamment significatif ; par exemple, lorsque l’Écriture est dite s’exprimer « causalement » (‘eltanaït), de façon humaine (‘našaït), historiquement (taš’itanaït), métaphoriquement (š’ilaït), spirituellement (ruhanaït), allégoriquement (peletanaït), etc. etc.

Regroupement par thèmes des textes significatifs où figurent ces mots-clés et ces figures de style, et également ceux où ils ne figurent pas explicitement, mais qui seront reconnus, soit comme relevant des mêmes procédés, soit comme appartenant à l’esprit des Deux Schémas.

Essai d’interprétation des données pour Išo‘dad seul.

Études de parallèles dans tous les textes nestoriens et antiochiens retenus comme significatifs (voir plus loin : Définition des matériaux comparatifs), en remontant le plus haut possible dans la tradition et jusqu’à Antioche.

Contre-épreuve par un examen des textes jacobites comparables, pour déterminer avec sûreté si les Deux Schémas sont l’unique apanage des Nestoriens.

Contre-épreuve par un examen des textes patristiques comparables, le cas échéant.

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Essai de détermination de la "paternité" des Deux Schémas168.

Interprétation générale de la signification pour le Nestorianisme, en particulier, et pour l’histoire de l’exégèse, en général, de cette double conception de l’Économie et de la Pédagogie divines.

Il va de soi qu’au cours de cette étude, devront être consolidées les hypothèses formulées ici sur les caractères de l’exégèse nestorienne, et particulièrement sur son originalité et sur sa dette antiochienne, mais aussi sur son caractère de kérygme catéchétique populaire.

En outre, on s’efforcera d’établir si cette exégèse est vraiment le fruit d’une lectio divina active, dans le cadre de l’École, en vérifiant au passage la nature exacte des ressemblances de structure, sinon de méthode, qu’on aura constatées, avec l’étude juive de l’Écriture en Bateï-Midrash. Enfin, on démarquera soigneusement la part de la méthode rhétorique sur le caractère des grands commentaires, en général, et de celui d’Išo‘dad, en particulier.

Je rappelle qu’il ne s’agit ici que de suggestions. D’autres pistes sont évidemment possibles. Nous avons suggéré celle-ci parce qu’elle nous paraît "sage" et praticable. En effet, le centrage sur un seul thème (celui des Deux Schémas, de l’Économie et de la Pédagogie divines), et sur une seule œuvre (le Commentaire de l’Ancien Testament, d’Išo‘dad), devrait permettre de procéder à un tour d’horizon nuancé et significatif des divers aspects de l’exégèse étudiée, grâce au fructueux glanage qui résultera de l’examen des mille passages de ce vaste commentaire. Tout en s’acquittant au mieux de ses obligations de recherche en ce qui concerne le thème central, à savoir les Deux Schémas comme structure essentielle de l’exégèse nestorienne, le chercheur aura cependant l’occasion de faire ample moisson de bien d’autres informations de nature à éclairer d’un jour nouveau l’exégèse nestorienne, encore si mal connue, et peut-être même à contribuer à une meilleure connaissance de la théorie des sens de l’Écriture, en général169.

Il reste à démarquer les sources ainsi que les documents comparatifs indispensables à une telle étude. Ce sera l’objet du prochain paragraphe.

Définition des matériaux comparatifs

Sans préjudice des vérifications indispensables qui devront être effectuées dans tous les secteurs évoqués plus loin, dans l’Annexe intitulée Documents et données pour servir à l’étude de l’exégèse nestorienne, on trouvera ici la liste des écrits, (nestoriens et antiochiens uniquement) qui se sont révélés porteurs de riches et significatifs parallèles dans le cadre des thèmes déterminés ci-dessus.

Toutefois, il convient de signaler que cette liste n’est pas limitative ; elle a été constituée en fonction de mes lectures et vérifications personnelles, et représente

168 À la suite des hypothèses formulées plus haut (n. 126 et 129) ; et voir aussi Annexe : L’origénisme, ci-après, p. 98-99), il faudra examiner soigneusement la question d’une éventuelle empreinte d’Origène sur ses détracteurs et ses opposants, et particulièrement sur Théodore, sous la forme d’un « choc en retour » et de l’élaboration d’un contre-système à éléments fortement semblables. 169 Sur la théorie des sens de l’Écriture, voir ici n. 76.

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une stricte sélection. N’y trouvent pas place, par exemple, et ce uniquement pour des raisons de commodité, les nombreuses chroniques syriaques et arabes, ainsi que les œuvres théologiques, exégétiques ou homilétiques où il est possible de glaner de multiples références exégétiques consonantes avec les thèmes étudiés170, ainsi qu’un grand nombre d’indices et de détails historiques susceptibles d’aider à mieux préciser la nature du vaste mouvement scolastique nestorien et son expression particulière au sein des Écoles.

Je propose donc la liste suivante (dans l’ordre chronologique) :

Théodore de Mopsueste, 4e-5e siècle (surtout les extraits de ses commentaires sur la Genèse)171

Narsaï de Nisibe, 5e siècle (surtout ses Homélies sur la Création)172

Barhadbešabba, 6e siècle, Cause de la Fondation des Écoles173

Thomas d’Édesse, 6e siècle, Traité sur la Nativité174

Cosmas Indicopleustès, 6e siècle, Topographie Chrétienne175

Georges (Giwargis) I, catholicos, Lettre à Mina, Chorévêque perse176

Bar Konaï, 8e siècle, Livre des Scolies (sur l’Écriture)177

Commentaire Anonyme de l’Ancien Testament (intitulé Commentaire Anonyme)178

Homélie (anonyme) sur la Création du Monde179

Homélie (anonyme) sur la Chute d’Adam180

170 Se reporter à l’Annexe, plus loin, rubriques correspondant aux genres littéraires sous revue. 171 Voir, ci-après, Bibliographie et Abbréviations, sous Théodore de Mopsueste, Extraits du Commentum ; Fragments sur la Genèse ; Fragments sur l’Épître aux Romains ; Fragments sur l’Incarnation ; Fragments sur le péché originel ; THMS ; THMV ; Interprétation de la Genèse ; Commentaire de Paul ; In ep. ad Galatas ; Commentarius in ev. Johannis ; Commentarius in ev. Johannis Apostoli ; Commentaire sur la Prière du Seigneur ; Commentaire sur le Symbole de Nicée ; Commentaire sur les Sacrements ; Contra Apollinarum ; Contra Augustinum ; Contra Macedonianos ; Homélies Catéchétiques ; Théodorus in Jonam ; Psalmenkommentar ; Adversus ; Contra Eumonium ; Contra Julianum. Consulter aussi le volume récemment édité et traduit par L. Van Rompay, Théodorus de Mopsueste, Fragments syriaques du Commentaire sur les Psaumes (Psaumes 118 et Psaumes 138-148), dans CSCO 435/Syr. 189 (1982) ; trad. française 436/Syr. 190 (1982). 172 Voir Narsaï, Homélies sur la Création, et Narsaï, Homiliae et Carmina. 173 Voir Bibliographie et Abbréviations, sous Barhadbešabba, Fondation des Écoles. 174 Voir Bibliographie et Abbréviations, sous Thomas d’Édesse, De Nativitate. 175 Voir Bibliographie et Abbréviations, sous Wolska, Recherches Topographie Chrétienne, et Cosmas, Topographie Chrétienne. 176 Voir Bibliographie et Abbréviations, sous Giwargis, Lettre à Mina. 177 Voir Bibliographie et Abbréviations, sous Bar Konaï, Liber Scholiorum ; trad. française par R. Hespel et R. Draguet (+), Théodore Bar Konaï, Livre des Scholies (recension de Séert). I. Mimré I-IV, dans CSCO 431/Syr.187 (1981) ; II. Mimré VI-XI, CSCO 432/Syr. 188 (1982). 178 Voir Bibliographie et Abbréviations, sous Levene, Early Syrian Fathers. Consulter également l’article de L. Van Rompay cité ci-dessus, note 161. 179 Jansma, Homélie Anonyme Création. 180 Jansma, Homélie Anonyme Adam.

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Ibn at-Tayib, 11e siècle, Commentaire sur la Genèse181.

Il va de soi que les motifs exégétiques qui se rapportent aux Deux Schémas ne représentent parfois que quelques lignes ou quelques pages des œuvres ou extraits d’écrits cités dans cette liste, si bien que l’enquête n’aura pas des dimensions démesurées comme on pourrait le craindre a priori.

Je rappelle que, selon moi, seul le Commentaire d’Išo‘dad devrait faire l’objet d’une analyse plus fouillée et méthodique, pour ce qui est, surtout, des méthodes d’exégèse et des techniques rhétoriques, bref, tout ce qui permet de caractériser l’exégèse nestorienne ; les autres servant de contrôle, de référence, voire de contre-vérification, le cas échéant.

Bref aperçu bibliographique

Il ne m’a pas paru utile de rappeler ici les sources syriaques majeures, ni les collections, ni les ouvrages de base concernant la littérature syriaque, chacun pouvant aisément se reporter aux manuels et traités de littérature syriaque devenus classiques, de Duval, Wright et surtout Baumstarck, ainsi qu’à la Bibliotheca Orientalis d’Assemani. De même, comme le lecteur s’en sera sans doute aperçu, je me suis gardé de faire étalage d’érudition et de référencer bibliographiquement chaque nom, chaque terme, chaque allusion, chaque ouvrage évoqués, ce qui eût conféré à cette brève monographie les allures et le volume d’une thèse doctorale.

Cependant, le lecteur trouvera dans les nombreuses notes qui jalonnent ces pages, un bon nombre d’éléments bibliographiques qui pourront servir éventuellement de point de départ pour une recherche plus approfondie du genre de celle que nous préconisons ici.

Je me contenterai donc se contentera, dans ce paragraphe, d’indiquer les ouvrages monographiques et articles scientifiques ayant quelque rapport avec la recherche thématique que je souhaite voir entreprise.

Tout d’abord, je précise qu’il n’existe pas - à ma connaissance – d’étude magistrale portant précisément sur le thème des Deux Schémas nestoriens, ni sur ceux de l’Économie et de la Pédagogie divines chez les Nestoriens 182 ; pas plus d’ailleurs qu’à part les Introductions du Père Van den Eynde citées plus haut 183, et quelques articles sporadiques que j’évoquerai, il n’a été réalisé d’étude descriptive ou de synthèse sur l’exégèse nestorienne.

En ce qui concerne l’École d’Antioche et ses principaux représentants, Diodore et Théodore, il faudra lire Kihn184, Mariès185, Greer186, Pirot187, Schweizer188,

181 Ibn at-Taiyib, Commentaire sur la Genèse. 182 Il convient de préciser que Mme Wolska et P. Gignoux ont tous deux relevé et démarqué le thème de l’enseignement dans les deux catastases, sans toutefois en remarquer la présence massive chez les Nestoriens. 183 Cf. ci-dessus, n. 157. 184 Kihn, Theodor und Junilius. 185 Mariès, Études préliminaires Diodore. 186 Greer, Theodor of Mopsuesta.

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Devreesse189, Dilthey190, et celui qui les récapitule tous, Schäublin191, plusieurs fois évoqué dans ces pages.

À propos de l’École d’Édesse et de la Mésopotamie, à Duval, que j’ai déjà cité, il convient d’ajouter Hayes192

Sur l’École de Nisibe, voir Vööbus193, déjà cité lui aussi, et qui est incontournable.

Le meilleur sur Narsaï me semble avoir été écrit par Jansma194 et Gignoux195.

Cosmas a été traité doctoralement par Mme Wanda Wolska196, déjà citée aussi.

Išo‘dad, enfin, comme je l’ai dit, a trouvé dans le Père Van den Eynde, son éditeur, son traducteur et son spécialiste. Toutefois, il ne faudrait pas négliger les articles du Père Vosté197, qui fut le premier à déceler l’importance pour l’histoire de l’exégèse, de ce commentaire. Certaines de ses remarques ont vieilli, étant donné les progrès dans l’analyse de l’esprit et des méthodes qu’ont permis de réaliser les instructives conclusions du Père Van den Eynde, mais certaines pages peuvent encore être très utiles.

Les deux catastases ont été traitées avec bonheur par W. F. Macomber198, W. Wolska199 et Gignoux200.

En ce qui concerne la Theôria et l’Allegoria, j’ai déjà évoqué et la problématique et ses principaux protagonistes, à savoir : Kihn201, Vaccari202, Daniélou203, de Lubac204, Ternant205 ; mais je précise que, sauf erreur, aucun de ces savants n’a abordé ce problème dans l’exégèse nestorienne.

187 Pirot, L’œuvre exégétique de Théodore. 188 Schweizer, Theodor als Exeget. 189 Devreesse, Anciens Commentateurs Grecs de l’Octateuque ; Essai sur Théodore ; La méthode exégétique. 190 Dilthey, Entstehung der Hermeneutik. 191 Schäublin, Untersuchungen Antioch. Exeg. 192 Duval, Testament de St Ephrem ; Hayes, L’École d’Édesse. 193 Vööbus, History of the School of Nisibis. 194 Jansma, Étude sur la pensée de Narsaï. 195 Narsaï, Homélies sur la Création. 196 Wolska, Recherches Topographie Chrétienne. 197 Vosté, L’œuvre exégétique de Théodore au IIe concile de Constantinople ; Vosté, Introduction Išo‘dad aux livres de l’A. T. ; Vosté, La Table ethnographique de Gn X d’après Išo‘dad ; Vosté, Le Protoévangile selon, l’exégèse d’Išo‘dad. 198 Macomber, Theological Synthesis of Cyrus, pp. 5-38. 199 Wolska, Recherches Topologie Chrétienne, pp. 37-61. 200 Narsaï, Homélies sur la Création, pp.440-458 et surtout 478-490. 201 Kihn, Über Theoria und Allegoria. 202 Vaccari, Theôria di Antiochia. 203 Daniélou, Sacramentum Futuri. En dehors de cette synthèse, il ne sera pas inutile de consulter ses travaux antérieurs : Traversée de la Mer Rouge et Baptême ; La Typologie d’Isaac ; Origène. L’Unité des deux Testaments ; Divers sens de l’Écriture ; Origène. 204 Outre sa somme déjà citée, de Lubac, Exégèse Médiévale, on consultera avec profit ses ouvrages antérieurs : Origène, Homélies sur la Genèse (Introduction) ; Typologie et Allégorisme ; Origène, Homélies sur l’Exode (Introduction et notes) ; La doctrine du « quadruple sens » ; Histoire et Esprit. 205 Ternant, Theôria d’Antioche.

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En outre, la Païdeïa divine étant au cœur de la recherche souhaitée, il conviendra de prêter attention aux remarques pertinentes de Jaeger206 sur l’idée de la Païdeïa chrétienne chez les Pères des quatre premiers siècles (Antiochiens exceptés)207. De même, il ne faudra pas négliger l’important ouvrage de Koch208 sur le même motif chez Origène, ce qui semble attester que ce schéma était traditionnel dans l’Église.

Sur Origène lui-même, étant donné l’ambivalence des réactions qu’il suscite dans l’exégèse, la théologie et la spiritualité nestoriennes, il conviendra de consulter attentivement les ouvrages de de Lubac209 sur l’exégèse origénienne et sa postérité, ainsi que l’excellente thèse de Guillaumont210 sur Évagre et l’histoire de l’origénisme chez les Grecs et les Syriens.

Enfin, je précise que, dans un article très original sur l’aspect rhétorique inattendu de la notion d’oikonomia chez les Pères de l’Église, J. Reumann211 signale deux thèses que je n’ai malheureusement pu consulter, et qui semblent de nature à éclairer cet aspect trop peu étudié. La première est celle de O. Lillge212, consacrée à l’histoire et à la signification du terme oikonomia chez les Pères de l’Église. La seconde est la sienne propre213, qui est consacrée à l’usage du même terme dans les sources grecques païennes, en vue d’éclairer son usage ultérieur chez les Pères.

C. Conclusion générale

J’espère avoir établi, avec suffisamment de vraisemblance, l’originalité relative de l’exégèse nestorienne. Certes, des recherches ultérieures devront vérifier de nombreux points – qui n’ont été qu’effleurés ici – et même, le cas échéant, contester certaines de mes hypothèses dont je reconnais bien volontiers qu’elles sont parfois fragiles, là surtout où l’état lacuneux, voire l’absence de documents ou d’études autorisées ne permettent guère que la construction personnelle sans le contrôle d’un point de repère sûr. J’espère seulement n’avoir pas commis de grave contresens dans l’interprétation des données traitées. Le risque existe. En effet, je suis parvenu à ces conclusions concernant le caractère de l’exégèse antiochienne, à la suite de nombreuses lectures comparatives et sans le secours d’ouvrages faisant autorité sur ce sujet précis (qui, s’ils existent, me sont restés inaccessibles) et sans l’aide de spécialistes, totalement absents de la région où j’écris ces lignes.

Enfin, on voudra excuser le caractère abrupt de nombre de mes affirmations qui procèdent de certitudes acquises par un long travail de recherche personnelle, et qui eussent nécessité d’ennuyeuses digressions, accompagnées de nombreux exemples et citations dont je n’ai déjà que trop abusé pour ce qu’il m’a paru essentiel d’illustrer.

206 Jaeger, Early Christianity and Greek Païdeia. 207 Jaeger n’en ayant, hélas, pas traité. 208 Koch, Pronoia und Paideusis. 209 De Lubac, Exégèse médiévale. 210 Guillaumont, Kephalaia gnostica d’Évagre. 211 Reumann, Oikonomia as “Ethical Accommodation” in the Fathers. 212 Lillge, Das Patristische Wort Oikonomia. 213 Reumann, The use of Oikonomia and related terms in Greek Sources.

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Au terme de ce vaste tour d’horizon, il me reste à espérer que cet essai de mise au point ne contribuera pas à rendre plus compliquée une problématique qui ne l’est déjà que trop.

Et il va de soi que je me considérerai comme largement dédommagé de la peine que je suis donnée à écrire ces pages, si leur teneur contribue à susciter quelque vocation aux études syriaques, en général, et/ou aux Nestoriens en particulier.

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ANNEXE

DOCUMENTS ET DONNÉES POUVANT SERVIR A L’ÉTUDE DE L’EXÉGÈSE NESTORIENNE

On trouvera ci-après une liste non exhaustive des secteurs et sujets connexes, dont les éléments peuvent contribuer à une meilleure re-situation de l’exégèse nestorienne et constituer des pistes variées et fécondes. Tous ne sont pas d’égale importance, tant s’en faut. Je n’ai pas la prétention de n’avoir rien oublié. J’espère seulement que des points essentiels ne m’ont pas échappé.

A. Quelques formes littéraires

Le terme générique d’exégèse est une dénomination fort large et aux frontières si imprécises que bien des étrangers se sont infiltrés dans ses domaines, tandis qu’elle-même s’est coulée dans tous les genres littéraires ou peu s’en faut. Je n’évoquerai ici que les catégories d’œuvres susceptibles de recéler suffisamment de traditions exégétiques pour qu’il vaille la peine, pour le chercheur, de les inventorier et de les sonder. Dans le même esprit, j’en signalerai éventuellement les avantages et les inconvénients.

Les commentaires suivis de l’Écriture (pašaqe)

Les recensions bibliographiques nestoriennes témoignent qu’ils furent très nombreux, malheureusement il en subsiste fort peu à l’état complet, et la majeure partie est encore manuscrite214. Le texte y est suivi pas à pas, souvent verset par verset, dans l’ordre des livres de l’Écriture. Le commentaire a souvent l’allure d’une compilation. Avantage : concentration de matériaux nombreux et variés à

214 Jusqu’ici, trois grandes compilations exégétiques nestoriennes ont bénéficié de l’intérêt de la recherche. La première est celle d’Išo‘dad de Merv, souvent citée dans ces pages et qui porte sur toute l’Écriture ; elle constitue aussi le plus ancien des commentaires exégétiques suivis que nous connaissions (voir Išo‘dad, Commentaire). La quasi-totalité en a été éditée et traduite en français par le Prof. C. Van den Eynde, de Louvain (voir, ci-dessus, note 159). La seconde compilation dans l’ordre chronologique lui est très semblable ; il en a été également fait état ici, à plusieurs reprises ; il s’agit de la vaste compilation (portant elle aussi sur toute l’Écriture) intitulée Commentaire Anonyme, car son auteur nous est inconnu. Malheureusement, fort peu de chose en a été publié. Sauf erreur, seul Levene en a édité et traduit une faible partie (le commentaire des dix-sept premiers chapitres de la Genèse) ; voir Levene, Early syrian Fathers. La troisième et dernière compilation est le Gannat Bussame, vaste chaîne exégétique de toutes les leçons bibliques, qui remonte aux environs du 10e siècle. Mais elle n’est malheureusement pas encore publiée. On trouvera une brève description de l’œuvre et de son contenu dans Vosté, De la besogne pour les jeunes syriacisants, pp. 180-183 ; du même, Le Gannat Bussame ; du même, Date du Gannat Bussame. Dans une lettre personnelle du 14 avril 1980, le Professeur A. Guillaumont me signalait que « G. J. Reinink, de l’Instituut voor Semiteitiek enArcheologie de Groningen, a entrepris un travail (qui doit aboutir à une édition) sur l’importante compilation exégétique nestorienne, appelée Gannat Boussame ». (À noter que Van den Eynde conteste l’originalité du G. Bussame : voir Išo‘dad de Merv, Commentaire II, pp. XXVI-XXVII). On attend aussi avec intérêt les résultats de la recherche de L. Van Rompay sur le Commentaire nestorien du Pentateuque non encore publié, et à propos duquel il a rédigé l’article cité ci-dessus (n. 161).

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propos du même verset, facilitant au chercheur la tâche d’appréciation des thèmes et de leur classement. Inconvénients : impossibilité de distinguer et d’assigner les traditions (le plus souvent anonymes), et inconséquence de l’interprétation, due à la citation d’opinions contradictoires, de sources diverses, à propos du même passage scripturaire.

Les homélies (mi’mre, madraše, turgame)215

Qu’elles soient en vers ou en prose, elles abondent. Les catalogues font état d’un nombre extrêmement élevé de ce genre d’œuvres. Narsaï y excella (il est réputé avoir rédigé 360 homélies en vers216, une pour chaque jour de l’année : une bonne partie d’entre elles nous sont parvenues)217. Dans ce genre de littérature, les exégèses sont noyées dans une masse de fleurs de rhétorique et d’élévations spirituelles, ce qui rend leur détection et surtout leur restitution historique dans la

215 Il convient de mettre un peu d’ordre dans ces termes, qui sont trop souvent confondus. Et tout d’abord, on distinguera a) L’Homélie (mimra), « poésie destinée à être lue et non chantée, elle vise à instruire et à édifier, non par l’accent lyrique comme les madrôse, mais plutôt par la forme narrative et épique » (voir Puyade, Composition interne de l’office syrien, OS 3 (1958), p. 46. Les homélies de Narsaï sont de cette catégorie ; b) L’Hymne (madrasa), Duval précise que « les Syriens ne connaissaient pas ce terme [mais] appelaient ces hymnes des instructions (madrase). C’était en effet […] par des hymnes que Bardesane répandait dans le peuple ses doctrines, et saint Ephrem suivit son exemple couronné par le succès », Duval, Littérature Syriaque, p. 14). Comme dit ci-dessus, le caractère de l’hymne est décidément lyrique. Le rôle doctrinal de ces compositions a été souligné par Duval, qui l’illustre d’une citation du biographe d’Ephrem où il nous est dit que pour contrebalancer le goût immodéré des habitants d’Édesse pour la danse et les jeux, le saint composa des « hymnes et instructions spirituelles » si bien tournées que « toute la ville se réunit autour de lui et que les adversaires furent couverts de honte et disparurent » (ibid., p. 14-15) ; c) Le Turgama ou Interprétation (aux deux sens du terme : traduction et commentaire) est un genre exégétique particulier. À notre avis, il n’a pas fait l’objet d’une distinction assez nette d’avec le pusaqa. En effet, le Turgama n’est pas un commentaire au sens plénier du terme, mais plutôt une interprétation scripturaire immédiate, et semble-t-il de vive voix, analogue au Targum juif de la synagogue. (Assemanius le traduit par « Glossa » et commente : « Est autem Turgama Homilia in Evangelium, seu Festum diei currentis, soluta numeris oratione. » Assemani, Bibliotheca Orientalis, III 66, n. 2 ; Duval mentionne le terme de St Ephrem qui « écrivit des homélies exégétiques et des interprétations (turgame) sur différents versets bibliques » ; Duval, Littérature Syriaque, p. 64). Il ne sera pas inutile d’examiner maintenant trois emplois particulièrement significatifs du verbe et du substantif chez Ephrem, Narsaï et Išo‘dad. (1) Ephrem commente de la sorte le premier verset de la Genèse : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre : « Qu’on ne s’imagine pas qu’il y a une interprétation (turgama) aux réalisations des six jours » (Ephrem, in Genesim, texte p. 8, 1. 18-19). (2) Narsaï, dans une Homélie sur la Création (I, 261), rapporte ainsi la réponse du serpent à Eve : « Ce n’est pas le poison de la mort qui est caché dans l’arbre, interpréta (targem) le serpent » (Narsaï, Homélies sur la Création, pp. 152-152. (3) Išo‘dad, dans son Commentaire sur la Genèse I, 3, 3, affirme, à la suite de Théodore de Mopsueste, que ce n’est pas par Satan que les Anges et les hommes ont appris le nom de Dieu, mais que « Dieu lui-même, de sa bouche sainte, a interprété (targem) ce nom » (Išo‘dad, Commentaire I, trad. p. 21). Si l’on récapitule toutes ces acceptions, il semble que se confirme mon hypothèse, évoquée plus haut, que le turgama est une interprétation explicative et non un commentaire ; de ce fait il se rapprocherait, me semble-t-il de la paraphrase targumique, mais aussi, fort probablement, de l’homélie en prose, faite à l’Église durant l’office (cf. Assemani, déjà cité). 216 Il s’agit cette fois de mimre, c’est-à-dire d’homélies métriques destinées à être lues. 217 On trouvera dans la thèse de Gignoux (voir Narsaï, Homélies sur la Création, pp. 424-429) un état très détaillé de ce que nous possédons de Narsaï en manuscrits, et de ce qui est édité, avec toutes les références bibliographiques nécessaires.

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chaîne de la tradition, fort difficile, sinon impossible. De plus, les textes vétéro- ou néotestamentaires sont rarement cités en clair ; le plus souvent, un mot ou deux suffisent au prédicateur pour son envolée lyrico-théologique. Parfois même, seuls l’idée ou le thème de tel ou tel passage scripturaire subsistent dans le texte homilétique, si bien qu’il est facile de "sauter", sans les voir, par-dessus de précieuses traditions exégétiques.

Les recueils de questions et réponses (šuale wašraie) et les scolies (’eskawlion)

Le genre est attesté, quoique de façon moins massive. On en a au moins deux échantillons fameux édités : les Scholies de Théodore Bar Konaï218 et les questions et réponses du patriarche Išo bar-Noun219. Nous sommes ici plus près du premier genre, à savoir le commentaire suivi de l’Écriture, au moins sur le plan de l’ordre suivi pour le traitement des apories, qui est généralement celui de l’Écriture. Toutefois, comme c’est l’usage dans ce genre littéraire, bien qu’ils pullulent dans l’Écriture, peu de problèmes herméneutiques, techniques, philologiques, historiques et autres sont abordés. En outre, le but essentiel de ces œuvres étant de préciser et d’éclairer des mots et des expressions qui ont fait problème, leur texte est généralement extrêmement succinct, et il n’a que très rarement l’allure de large exposé exégético-théologique, qu’affectent, le plus souvent, les grands commentaires proprement dits. Toutefois, il serait erroné de croire que ces recueils sont inutiles pour la connaissance de l’exégèse nestorienne. Au contraire, ils peuvent en particulier jeter une vive lumière sur la méthode d’étude à l’École. En effet, maints passages présentent le caractère d’échanges vivants, de dialogues réels entre un maître et son disciple : les exclamations n’y sont pas rares, voire les invectives, tous éléments qui semblent indiquer des circonstances concrètes et vécues, et complètent heureusement les informations, parfois arides et fastidieuses, des commentaires en chambre. Enfin, on ne peut qu’être frappé des consonances fréquentes entre les thèmes, voire les formes littéraires de ces scolies et leurs parallèles plus étendus dans d’autres œuvres nestoriennes. À ce titre leur contenu peut fournir des témoignages précieux et servir de point de repère chronologique et thématique, dans la chaîne de la tradition nestorienne.

La littérature théologique, scolastique et canonique

La première est immense. Elle comporte aussi des genres fort divers et, principalement : le Mimra ou traité, discours sur toutes sortes de sujets religieux. Le Turgama, déjà évoqué plus haut et qui semble être une sorte d’homélie (voir rubrique ci-dessus). Le draša220, etc.

Pour ne pas multiplier les catégories, j’inclus dans cette section, sous l’appellation de « genre scolastique », les nombreux traités appelés par les Syriaques « Causes »,

218 Bar Konaï, Liber Scholiorum, trad. française (2 vol.), par Hespel et Draguet, op. cit., ci-dessus, n. 177. 219 Išo-Bar Nun, Selected Questions. 220 Le drasa est une sorte de "disputation". Là aussi, le terme est cousin de l’hébreu, surtout dans l’expression beit drasa, c’est-à-dire maison d’étude, école, laquelle correspond à l’hébreu beit midrash, où les débats talmudiques avaient réellement tout du débat et de la controverse.

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ou plutôt « Hypothèses » (‘elata)221 et qui sont de véritables exercices d’école, sur le mode rhétorique. On aurait tort de négliger la valeur de témoins de ces compositions fleuries ou dithyrambiques. Au-delà de leur forme scolaire artificielle, selon les canons du genre, elles renferment une mine de thèmes théologiques, de strates exégétiques et mille autres informations très précieuses tant pour le théologien que pour l’historien de la pensée religieuse.

La vaste littérature canonique est un réservoir sans fin d’informations222. Surtout utilisée pour écrire l’histoire de l’Église et celle de la pensée religieuse, elle renferme, en fait, beaucoup d’autres éléments intéressants. Pour notre objet, il ne sera pas inutile de préciser que la lecture patiente de milliers de lignes d’une littérature peu passionnante par nature sera fructueuse pour la recherche exégétique. En effet, au hasard des professions de foi, des mises en garde dogmatiques, des discours parénétiques, et surtout des instructions concrètes à propos de l’étude de l’Écriture, de la formation des clercs et des laïques, et des nombreuses apologies en faveur de Diodore et Théodore, on trouvera souvent des détails très révélateurs de l’exégèse nestorienne, de ses orientations et de ses thèmes, de ses techniques aussi. Il arrive aussi, quoique plus rarement, que s’y trouvent de véritables parallèles, souvent mot pour mot, de traditions exégétiques qui reviennent dans les grands commentaires ou dans d’autres œuvres proprement exégétiques. Enfin, il paraît presque superflu d’insister sur la nécessité absolue d’une étude approfondie des statuts de l’École de Nisibe223. Ils sont malheureusement fort difficiles à interpréter et à exploiter concrètement, à cause de leur extrême laconisme et de l’absence quasi-totale d’éléments de comparaison sous la même forme. Leur importance est capitale pour une meilleure saisie de la vie des Écoles, de leur théologie et de leurs méthodes d’étude, en Iran Sassanide, aux 5e et 6e siècles.

Les hexamérons224

Ce genre littéraire me paraît mériter une rubrique particulière. En effet, il s’apparente aussi bien au genre de l’exégèse suivie qu’à celui de l’homélie, du traité, ou du discours parénétique. Sa spécialité est le récit de la Création (en grec, hexahèmerôn c’est-à-dire ‘six jours’). Les plus mémorables sont ceux de

221 Pour une description sommaire de ce genre littéraire de l’‘elta, voir plus haut n. 30. 222 On trouvera une bonne quantité de canons de l’Église nestorienne et d’autres documents ecclésiastiques émanés de synodes, dans l’inestimable collection réunie, éditée et traduite par J.-B. Chabot (voir Chabot, Synodicon Orientale) ; voir aussi les Canons et Résolutions d’évêques nestoriens traduits par Nau (voir Nau, Canons et Résolutions canoniques) dans sa collection Ancienne Littérature Canonique Syriaque, fasc. II. Le professeur Vööbus a édité et traduit (en anglais) de nombreux documents de la tradition canonique syriaque occidentale ; voir, plus loin, la Bibliographie sous Vööbus, West Synodicum. Pour la tradition apostolique, voir ibid. Vööbus, Didascalia. Il sera également utile de consulter son important travail (en allemand) sur les sources canoniques syriaques et leurs collections : Vööbus, Syrische Kanonensammlungen. Enfin on ne saurait se passer de l’article fondamental : « Chaldéen (droit) », du DDC, t. 3, col. 292 ss. De Vööbus encore, il sera utile de consulter sa plus récente édition dans ce domaine : The Canons ascribed to Maruta of Maipherqat, dans CSCO vol. 439/ Syr. 191 ; trad. anglaise vol. 440/ Syr. 192. 223 Voir Bibliographie, Statutes ; Chabot, École de Nisibe ; et Vööbus, HSN pp. 90 ss. ; 93 ss. ; 269 ss. 224 Sur cette littérature en général, on consultera Robbins, Hexameral Literature ; Mangenot, Hexaéméron.

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Basile225 et d’Ambroise226, chez les Pères grecs et latins, et, chez les écrivains syriaques, ceux de Jacques d’Édesse et Jacques de Saroug227 ; le premier est incontestablement un monophysite ; le statut du second n’est pas clair, les spécialistes sont divisés sur le fait de savoir s’il adhéra officiellement au monophysisme. Quoi qu’il en soit, éduqué à Édesse, son œuvre trahit indéniablement les termes et les thèmes caractéristiques que l’on retrouve tout au long des œuvres exégétiques et théologiques nestoriennes.

Le caractère lyrique des hexamérons en rend l’exploitation moins facile que celle des commentaires. Mais une fois dépouillés de leur vêtement rhétorique et homilétique pompeux, il reste un bon nombre de traditions fort instructives pour l’histoire de l’exégèse et de la théologie.

La littérature ascétique et spirituelle228

Elle aussi est luxuriante, mais force est de reconnaître qu’elle présente beaucoup moins d’intérêt pour la recherche envisagée (du moins, si l’on s’en tient aux matériaux publiés), à cause de l’absence, ou tout au moins, la très faible présence des thèmes et des méthodes si caractéristiques de l’interprétation antiochienne. On a vu plus haut qu’elle en serait plutôt aux antipodes. Toutefois, l’exception flagrante que constitue le traité de Dadišo Qatraya229 doit nous rendre prudents, tant qu’une sérieuse vérification n’aura pas été entreprise dans les matériaux non encore édités, afin de s’assurer qu’il n’existe pas d’autres œuvres présentant les mêmes caractéristiques.

En effet, comme je l’a signalé plus haut, les tendances à l’exégèse allégorisante et la revendication énergique du droit à l’exégèse spirituelle qui s’y révèlent d’une façon que l’on peut bien qualifier d’agressive, trahissent incontestablement une controverse qui paraît avoir été fort rude, avec les scoliastes, nestoriens eux aussi, à propos de la légitimité de l’exégèse allégorique (appelée « spirituelle » dans l’œuvre de Dadišo). Certes, l’exégèse ‘historique’ est reconnue comme étant l’apanage de Théodore – donc orthodoxe – mais Dadišo et, semble-t-il l’ensemble des moines de son temps, forts d’une vénérable et solide tradition ascétique remontant aux Saints Pères du désert, lui préféraient indéniablement, et ce de façon explicite, l’exégèse spirituelle.

225 Basile de Césarée, Homélies sur l’Hexaéméron. 226 Ambroise, Hexaéméron. 227 Pour Jacques de Sarug, l’éditeur est Bedjan (voir Jacques de Sarug, Hexaméron). On consultera avec profit la belle étude de T. Jansma, qui comporte une traduction partielle de quelques passages de cette œuvre et une analyse de ses sources et de la méthode d’exégèse de l’auteur (voir Jansma, L’Hexaméron de J. de Sarug). Pour Jacques d’Édesse, son Hexaméron a été édité et traduit en latin dans le CSCO (voir Jacques d’Édesse, Hexaméron). 228 Pour un aperçu de cette littérature chez les Nestoriens, je me limite à renvoyer à la brève bibliographie du P. Draguet, en tête de son volume de traduction du Commentaire d’Abba Isaïe (voir Dadišo Qatraya, Commentaire du Livre d’Abba Isaïe, pp. 18* à 21*, ainsi qu’à la précieuse bibliographie de Guillaumont, dans Kephalaia gnostica d’Évagre. 229 Voir, ci-dessus, le chapitre L’exégèse selon l’Esprit, et les notes correspondantes.

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La liturgie230

Les formes de cette littérature sont nombreuses et très différentes, depuis des hymnes (‘uniate) et canons (qanune) jusqu’à la liturgie eucharistique elle-même (’raze) et la prière sacerdotale (sedra). Il s’agit là d’un domaine délicat, et de traitement fort difficile pour notre objet. En effet, cette forme de littérature sacrée renferme peu d’éléments proprement exégétiques, à tout le moins sous la forme explicite, et il faut vraiment "gratter" les textes, si l’on ose s’exprimer ainsi, pour y deviner une allusion à, ou une influence des thèmes exégétiques typiquement nestoriens. Parfois c’est un mot révélateur du vocabulaire de l’Économie ou de la Pédagogie divines qui accrochera le regard du chercheur ; mais, là aussi, il conviendra d’être prudent ; en effet, les mêmes termes, voire les mêmes expressions, existent peut-être également dans d’autres liturgies qui n’ont rien de nestoriennes. Par contre l’avantage incomparable d’une découverte éventuelle de telles strates serait dans la confirmation inespérée qu’elle constituerait de la canonicité indéniable du motif démarqué. En effet, il n’est pas de plus grande preuve du caractère vénérable d’un thème, de sa diffusion, et surtout de son incarnation organique irréversible dans le corps d’une tradition, que son insertion dans les formules liturgiques consacrées. Il va de soi qu’une telle recherche doit être entreprise.

Plus aisé est le domaine de la poésie liturgique231, mais il est extraordinairement vaste. Les principales formes en sont les Memre poétiques, les Madraše, les Homélies poétiques ou Turgame et les Sugiata. C’est surtout dans les deux premiers qu’on pourra trouver quelques éléments exégétiques, mais il faudra remuer beaucoup de matériaux lyriques pour trouver quelques paillettes d’or, et plus encore pour découvrir quelque pépite !

B. La tradition apostolique et les "autorités" patristiques et théologiques

Tradition apostolique

230 Donner une bibliographie adéquate sur ce point est l’affaire du spécialiste. Je me contente d’indiquer ce qui est connu et semble suffisant pour l’objet de la recherche envisagée : Maclean, East Syrian Offices ; Siman, L’Esprit dans la tradition d’Antioche ; Connoly, Expositio Officiorum ; du même, Liturgical Homelies, Narsaï ; Badger, The Nestorians and their Rituals. À cette liste on ajoutera un ouvrage récent, qui, s’il ne traite pas ex cathedra de liturgie orientale et syriaque, aborde pourtant à maintes reprises ces sujets, avec des vues audacieuses et novatrices, voir R. Murray, A Study in early Syriac Tradition, Cambridge 1975 (recension de G. G. Stroumsa dans RB 83 (1976), pp. 442-444). En outre il conviendra de consulter les différentes « Causes » (‘elata) des fêtes, c’est-à-dire les discours de circonstance ayant pour objet l’une des féries du calendrier liturgique, ou un mystère ou une cérémonie s’y rapportant, pour celles qui sont éditées, voir, ci-dessus, n. 30) 231 Je me limite ici à évoquer les meilleurs articles de l’excellente revue L’Orient Syrien, qui, tout en traitant de la composition des Offices, abondent en détails concernant les différentes formes d’expression hymnique et poétique qui s’y manifestent. Voir, entre autres, Raes, Les deux composantes de l’Office Syrien ; Dalmais, Églises Syriennes et Hymnographie Chrétienne ; Puyade, Composition interne de l’Office Syrien ; Gelineau, Données liturgiques dans 7 Madrose d’Ephrem. On consultera aussi avec profit la vaste bibliographie que fournit I. Ortiz de Urbina, dans sa Patrologia Syriaca, pp. 27-30.

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Les écrivains syriaques ont très tôt traduit quantité d’œuvres non canoniques telles la Didascalie des Douze Apôtres, la Didachè, la Doctrine d’Addaï232, etc. Il pourrait être fructueux de tenter de déceler les traces, au moins à l’état d’ébauche, des thèmes révélateurs qui nous intéressent.

Il est bien évident que leur présence éventuelle dans ces écrits vénérables, malgré le caractère apocryphe de ces derniers, confirmerait leur caractère de "tradition", outre qu’une telle découverte serait de nature à relativiser la médiation de Théodore en tant que transmetteur et organisateur des thèmes signalés, ceux-ci ayant très bien pu parvenir directement aux Nestoriens dans leurs traditions internes et être développés par eux.

Il reste que c’est là pure hypothèse, et que nos vérifications personnelles ne confirment guère la possibilité d’une telle piste.

Les "Pères" syriaques

Ce sont surtout Aphraate et Ephrem233 (j’exclus les œuvres de Bardeisan à cause de leur caractère hétérodoxe et de leur non-canonicité en milieu nestorien). Les mêmes observations faites ci-dessus à propos de la littérature patristique, s’appliquent bien entendu ici. Et si l’on constate la présence des motifs révélateurs de l’exégèse nestorienne proprement dite, il faudra envisager de réviser complètement la question du rôle médiateur de Théodore. Sur ce point également, mes vérifications personnelles semblent bien indiquer que tel n’est pas le cas. Reste qu’il faudrait consacrer à ce problème au moins une monographie.

Les "Pères" Antiochiens

J’ai suffisamment disserté, dans ces pages, sur Diodore de Tarse et Théodore de Mopsueste, pour qu’il suffise de n’ajouter à ce qui a été dit que quelques remarques méthodiques.

Il n’est plus question d’aborder les œuvres exégétiques antiochiennes sans tenir compte de la thèse radicale de Schäublin234 qui en reconsidère la problématique, l’esprit et la technique, sur la base de leur insertion culturelle rhétorique. J’ai déjà parlé de cet aspect de la question, je n’y insisterai donc pas.

Une bonne approche du traitement de ces matériaux pourrait consister en un survol des thèmes déjà fréquemment évoqués dans ces pages. Une fructueuse étude des formes pourrait être faite, en comparant l’expression grecque antiochienne de ces

232 On trouvera dans le précieux article de B. Botte un sommaire succinct documenté et bien référencé sur les collections primitives de canons (voir Botte, Anciennes Collections canoniques). Il convient d’ajouter deux des quatre fascicules intitulés Ancienne littérature Syriaque, publiés par Nau ; ils contiennent respectivement : (1) la traduction française de la Didascalie des Douze Apôtres (voir Nau, Didascalie) ; 2) la traduction de la version syriaque de l’Octateuque de Clément (Nau, Octateuque de Clément). Voir aussi Vööbus, Didascalia, et ci-dessus note 222. 233 Pour Aphraate, voir Aphraates, Demonstrationes. Et pour Ephrem, voir Ephrem, In Genesim et in Exodum. Pour ce dernier, voir, ci-dessus, note 8, et ici, dans Bibliographie et Abbréviations : Ephrem, Bibliographie. 234 Schäublin, Untersuchungen Antioch. Exeg.

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motifs avec la syriaque nestorienne, et en en mesurant l’évolution thématique et formelle.

En outre, malgré la place, de loin préférentielle, attribuée à Diodore et Théodore235 dans la tradition nestorienne, il ne faudrait pas, pour autant, considérer comme nulle, l’influence éventuelle d’autres Antiochiens, tels surtout Théodoret de Cyr et Jean Chrysostome 236. Ce dernier, on s’en souvient, étudia avec Théodore aux pieds de Diodore de Tarse237. En outre, tous ces écrivains ont en commun la culture et les méthodes rhétoriques. Enfin, nous savons qu’ils ont été lus et utilisés par les Nestoriens, surtout Chrysostome238. Il y a donc un intérêt certain à détecter, chez eux, les thèmes et mots-clés déjà signalés, que l’on retrouve aussi chez les Nestoriens. Des vérifications sporadiques effectuées par mes soins ont révélé des parallèles certains et fréquents.

Enfin, il va de soi que bien d’autres Pères grecs ont été mis à contribution par les Nestoriens, mais il sera utile d’examiner surtout l’influence éventuelle d’Epiphane et d’Eusèbe d’Emèse239.

Les chaînes et florilèges240

C’est un domaine immense et encore mal exploré. Tant que n’auront pas été éditées les principales chaînes, l’exploitation de leurs données restera délicat, étant donné que les attributions d’auteurs n’y sont jamais absolument sûres.

Il va sans dire que c’est un champ d’une richesse fabuleuse en thèmes et en doctrines ; malheureusement, trop peu d’extraits de ces chaînes ont fait, à ce

235 Pour Diodore, la référence unique, quand il sera intégralement publié, sera son Commentaire des Psaumes (actuellement est parue l’édition des Ps. 1 à 50) ; voir Diodore, Comment. in Psalm. Toutefois il existe un certain nombre de fragments d’authenticité plus ou moins douteuse ; on les trouvera dans les ouvrages suivants : Deconinck, Chaîne de l’Octateuque ; Devreesse, Commentateurs Grecs de l’Octateuque ; du même, Anciens Commentateurs Grecs de l’Octat. et des Rois ; Pauluskommentare, pp. 83-112. En ce qui concerne Théodore, il a été donné plus haut une large bibliographie de ses œuvres ou fragments d’oeuvres éditées (voir ci-dessus, n. 171). 236 Pour Théodoret, je me limite à évoquer son œuvre exégétique concernant la Genèse (voir Théodoret, Questiones in Genesin). De même pour Jean Chrysostome (voir Chrysostome Homiliae in Genesin). 237 Voir Barhadbešabba, Fondation des Écoles, p. 377, 1. 13 du texte français. 238 Nous savons que Henana, le fauteur de schisme, préférait l’exégèse de Chrysostome à celle de Théodore, à cause de sa moins grande rigidité à l’égard de l’emploi de l’allégorie (voir Vööbus, HSN, pp. 244-246). De plus, à en juger par le nombre de manuscrits qui survivent encore, de nos jours, des œuvres de Chrysostome en traduction syriaque, la lecture de ses œuvres devait être répandue (voir Assemani, Bibliotheca Orientalis III (1) p. 25-26). 239 Epiphane, Epiphanius Treatise ; De mensuris et ponderibus ; Panarion ; Eusèbe d’Emèse, L’héritage littéraire (à compléter et corriger par Devreesse, Anciens Commentateurs Grecs, pp. 55-103). 240 Sur les chaînes exégétiques, consulter : Deconinck, Chaîne de l’Octateuque ; Devreesse, Chaînes exégétiques grecques ; du même, Introduction à l’étude des manuscrits grecs, pp. 176-189 ; du même, Anciens Commentateurs Grecs de l’Octateuque et des Rois, pp. VII à XV. F. Petit s’est surtout occupée des fragments de Philon disséminés dans les chaînes, mais elle a, à cette occasion, rédigé deux articles fort clairs et détaillés sur le problème confus des familles de chaînes, dont le travail de classement fondamental est dû à Karo-Lietzmann, Caten. Graec. Catalogue. Consulter dans Bibliographie et Abbréviations : Petit, Fgts grecs Livre VI Philon ; de la même, Catenae.

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jour, l’objet d’une édition critique. On peut toutefois profiter des rares publications partielles qui existent, spécialement dans le Corpus Christianorum, Série Grecque241.

En ce qui concerne les florilèges, la publication et la traduction en anglais, par L. Abramowski et A.E. Goodman, d’un florilège de textes christologiques nestoriens242, est une excellente illustration des fructueuses surprises que nous réserve l’inédit.

Apocryphes, légendes juives, histoires fabuleuses

C’est surtout dans le Commentaire d’Išo‘dad sur l’A. T. que l’on constate un large usage de légendes apocryphes, voire de récits fabuleux. La chose est surtout évidente dans le récit de la Création, dont certains passages du commentaire d’Išo‘dad révèlent des parallèles avec des compilations tardives telles que la Caverne des trésors (6e s.) et le Livre de l’Abeille (13e s.). Dans d’autres parties du commentaire, on constate des parallèles avec des récits fabuleux tels que les Vies légendaires des prophètes ; et une utilisation, explicitement reconnue, du Livre des Jubilés, qui, toutefois, semble différent de l’œuvre classique du même nom . Enfin signalons qu’Išo‘dad cite explicitement et utilise les écrits de Josèphe.

Il n’est pas possible d’entrer ici dans les détails, mais il faudra examiner avec attention ce phénomène d’une utilisation, qui paraît fort large, de ce genre de littérature243.

C. Documents pour la connaissance du milieu historique nestorien

L’historiographie religieuse et les chroniques (syriaques, grecques et latines)244

241 Le trop peu d’extraits publiés, que je déplore, concerne, bien entendu, les éditions critiques qui, elles, sont rarissimes ; par contre, un grand nombre de fragments plus ou moins longs arrachés aux chaînes inépuisables, ne cesse de voir le jour au fil des revues et des publications spécialisées. Il faut renoncer à en faire un inventaire à jour. Devreesse (dans Introduction à l’étude des manuscrits grecs, pp. 176-189) en a fait un recensement fort détaillé ; malheureusement, il date des années 50 et demande à être sérieusement mis à jour. La collection Corpus Christianorum (Series Graeca) s’emploie à éditer des œuvres ou fragments d’œuvres d’écrivains ecclésiastiques grecs encore enfouis dans les chaînes. C’est le cas du Commentaire des Psaumes, de Diodore de Tarse, déjà cité, ainsi que des extraits de Philon sur la Genèse et l’Exode (cf. note précédente : Petit). 242 Voir dans ma Bibliographie, ci-après, Nestorian Christological Texte. 243 Voir dans ma Bibliographie, ci-après : Caverne des Trésors ; Abeille (Livre de l’) ; Schermann, Propheten- und Apostellegenden ; Prophetarum Vitae fabulosae. Sur les Jubilés, voir Tisserant, Fgts Syr., Livre Jubilés et les remarques importantes de V. den Eynde, Išo‘dad, Commentaire III, trad. pp. XV-XX. Pour Josèphe, voir Antiquités, Guerre Juive. 244 En ce qui concerne les chroniques syriaques, en dehors des nestoriennes maintes fois citées ici (Barhadbešabba ‘Arbaia, Histoire II ; Histoire Nestorienne), je n’indique, ci-après, que des œuvres en syriaque et en arabe (qu’elles soient d’origine jacobite ou nestorienne) et ayant trait à l’Église d’Orient, ainsi que quelques références tirées d’ouvrages modernes concernant l’histoire ecclésiastique : Agapius, Kitab al ‘Unwwan ; Bardy, Églises de Perse ; Bar ‘Ebraia, Chronicon eccl. ; Bar ‘Ebraia, Chronicon Syriacum ; Burkitt, Early Eastern Christianity ; Burkitt, Syrian Christianity ; Chronicon ad. ann. 846 ; Chronicon ad. ann. 819 ; Chronicon ad. ann.1234 ; Chronicon Anonymum ; Chronicon Édessenum ; Chronicon Pseudo-Dionysianum ; Cureton, Ancient Syriac Documents ; du

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Cette classe d’écrits est également fortement documentée. Elle comporte de nombreux genres. Et tout d’abord, la chronique proprement dite, à allure de relation historique. Il convient de prendre garde à son caractère ambivalent. Certes, y fourmillent les détails concrets qui ont de fortes chances d’exprimer des faits historiques indéniables. Mais, dans l’ensemble, le légendaire, le merveilleux, le genre panégyrique y sont tellement abondants qu’il convient de ne se servir de ce matériau que cum grano salis et avec une prudence redoublée.

De ce genre relève également l’hagiographie245, qui représente une des branches les plus prolixes de cette littérature. Inutile de s’attarder sur son genre fortement édifiant et légendaire. Néanmoins elle renferme des données historiques certaines qui peuvent être utiles, si elles sont convenablement critiquées et vérifiées.

Il convient, bien entendu, de faire un large usage des histoires de l’Église rédigées en grec et en latin, et dont certaines parties concernent la Mésopotamie, la Perse et l’Église nestorienne. On pense, entre autres à Théodoret (milieu du 5e siècle), Sozomène (5e siècle), Socrate 5/6e siècle), Jean Malalas246 (6e siècle), ainsi qu’aux nombreuses chroniques anonymes, telles que le Chronicon Paschale247 (7e siècle environ) et bien d’autres. En ce qui concerne les chroniques anonymes, quelques vérifications ont fait apparaître que, dans celles qui commencent leur récit à partir de la Création, on trouve parfois des expressions absolument parallèles à celles des Deux Schémas (Économique et Pédagogique) étudiés plus haut. La chose mérite vérification ; elle concerne bien entendu la partie précédente de cette revue des sources, à savoir les formes littéraires ; toutefois, étant donné qu’il s’agit d’un nombre très faible de parallèles, et qu’il ne semble pas que nous ayans affaire à un

même, Spicilegium ; Denha, Vie de Marutha ; Duchesne, Histoire Ancienne de l’Église ; Duval, Histoire d’Édesse ; Haase, Altchrist. Kirkengeschichte ; Ibn at-Taiyib, Fiqh an-nasraniya ; Jean d’Ephèse, Historia Ecclesiastica ; du même, Bienheureux Orientaux ; Josué le Stylite, Chronique ; Joshua The Stylite, Chronicle ; Labourt, Christianisme dans l’Empire Perse ; Mesihazeka, Histoire ; Michel le Syrien, Chroniques ; Nau, Histoire d’Ahoudemneh ; Petros, Taš‘ita de Mar Sabriso ; Sachau, Chronik von Arbela ; Segal, Mesopotamian Communities ; Taš‘ita de Mar Aba ; Thomas de Marga, Livre des Supérieurs ; Timotheus, Epistulae ; Zacharie le Rhéteur, Historia eccl., ; Išo’denah, Livre de la Chasteté. Cette liste n’est pas exhaustive, quoique représentative. Pour une bibliographie plus détaillée et des informations complémentaires, se reporter aux histoires de la littérature syriaque (Duval, Baumstarck, Ortiz de Urbina). Pour des études plus récentes, se reporter aux bibliographies de Moss, Syriac Printed Books, et de Brock, Syriac Studies 1960-1970, pp. 441-412 ; enfin, pour la connaissance du christianisme oriental, les bibliographies de Vööbus sont très précieuses ; voir surtout : Vööbus, HSN ; du même, History of Ascetism. 245 Pour les actes des Martyrs et les écrits hagiographiques, on se reportera aux histoires de la littérature syriaque, et spécialement à Ortiz de Urbina, Patrologia Syriaca, pp. 193-205. Pour une mise à jour, voir Brock, Syrian Studies 1960-1970, pp. 419-421. 246 J’indique ici quelques références à des ouvrages historiques byzantins (écrits en grec ou en latin) ayant trait soit à l’histoire ecclésiastique, soit à l’histoire générale de l’Orient, ainsi que quelques ouvrages d’études générales. (J’ai donné ci-dessus, n. 244, la liste des ouvrages d’histoire ecclésiastique rédigés en syriaque et en arabe). Agathias, Historia ; Ammien Marcellin, Rerum Gestarum Libri ; Christensen, L’Iran sous les Sassanides ; Éthérie, Journal de Voyage ; Evagrius, Ecclesiastica Historia ; Malalas, Chronographie ; Pigulevskaja, Les Villes de l’État Iranien ; Procopius, Anecdota ; Socrate, Historia Ecclesiastica ; Sozomène, Historia Ecclesiastica ; Théodoret de Cyr, Correspondance ; du même, Histoire Ecclésiastique ; Theodorus Anagnostes, Excerpta ex Historia ; Théophane, Chronographia. Etc. 247 Il s’agit d’une chronique byzantine qui récapitule chronologiquement les principaux événements du monde depuis la Création jusqu’à la vingtième année du règne de l’empereur Héraclius (629). Elle n’est conservée qu’en partie. Voir Chronicon Paschale (ed. Dindorf).

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phénomène plus large, il n’a pas paru utile de considérer les chroniques comme une source littéraire privilégiée de l’exégèse nestorienne.

Documents historiques et sources diverses concernant la vie sociale et politique en Mésopotamie et en Perse

On s’étonnera peut-être de ce que la majeure partie des documents originaux à partir desquels ont été écrites les histoires de l’Iran Sassanide, ou rédigées maintes monographies sur la vie en Mésopotamie ou en Perse entre les quatrième et huitième siècles, consiste en biographies, récits et chroniques syriaques et arabes, outre les grandes histoires générales ou ecclésiastiques en grec et en latin évoquées plus haut248. J’y renvoie donc.

Toutefois, cette branche du savoir étant trop spécialisée pour qu’un profane puisse tirer profit par lui-même de toutes les sources, je fais, ici et par après (pour les documents juifs), une exception à mon principe de sélection et j’oriente le chercheur vers les maîtres-ouvrages modernes qui ont traité de ces questions ex cathedra.

C’est à deux disciplines qui n’ont apparemment rien à voir avec les problèmes examinés dans ces pages qu’il faut faire appel : les études byzantines et l’histoire juive. Je me contenterai de référer le lecteur à des auteurs dont le mérite essentiel est d’avoir réalisé des études historiques de synthèse d’une telle richesse de documentation, que le non-spécialiste peut et même doit s’appuyer sur leurs acquis et se fier, au moins dans un premier stade, à leurs riches notes et bibliographies. On songe aux trois principaux : N. Pigulevskaja249 pour la Perse, R. Duval250 pour Édesse et la Mésopotamie, et enfin J. Neusner251 pour la Babylonie et,

248 Voir, ci-dessus, n. 244 et 246. 249 Voir surtout Pigulevskaja, Villes de l’État iranien, déjà cité plus haut. Bien que consacré à l’histoire sociale (sous l’angle marxiste) des populations urbaines de l’état iranien aux époques parthe et sassanide, cet ouvrage très documenté regorge de détails précieux pour la connaissance et même pour une meilleure compréhension du milieu où s’est développée la chrétienté nestorienne. La bibliographie de cet ouvrage est excellente et instructive. Il est à noter que Mme Pigulevskaja est une spécialiste de l’étude des relations entre l’empire byzantin et les pays de la Mésopotamie et de l’Iran. Elle a déjà publié bon nombre d’articles, malheureusement, presque tous en russe. L’ouvrage cité ici en référence a paru en russe à Léningrad, en 1956, sous le titre : Goroda Irana v rannen sredievekov’e. 250 Voir Duval, Histoire d’Édesse. 251 Neusner a beaucoup écrit sur le Talmud et l’histoire des Juifs en Babylonie. Son immense culture en fait un excellent synthétiseur de travaux appartenant à des disciplines connexes dont il n’est pas lui-même spécialiste. Durant les décades passées, ce chercheur s’est spécialisé dans l’histoire des Juifs en Babylonie. On connaît sa somme dans cette discipline (voir Neusner, History of the Jews in Babylonia). Bien entendu, les renseignements qui nous intéressent seront à glaner dans de longs excursus qui ont, c’est bien évident, surtout affaire avec les problèmes des communautés juives en Babylonie ; mais cette lecture ne sera pas vaine, et le glanage de centaines de renseignements précieux en sera la récompense. On parcourra surtout les Tomes IV et V, qui couvrent la période sassanide. Pour la bibliographie dont ce livre est très riche, on ne se fiera pas à la liste qui se trouve en fin de chaque volume, elle n’est qu’un complément, comme l’indique son titre de « Supplement Bibliography ». Il faut donc, pour tirer le meilleur parti de cette étude érudite, parcourir patiemment les notes disséminées au long des centaines de pages de ces deux volumes. Enfin, dans le Vol. IV, Annexe II, pp. 424 à 436, on trouvera de nombreuses indications et réflexions

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dans une certaine mesure, pour la Perse. Il n’est pas question non plus de négliger l’historien byzantin Agathias qui, dans la suite qu’il a rédigée à l’œuvre de Procopius, Guerres, nous fournit deux copieuses dissertations sur la religion des Perses et l’histoire sassanide, qu’a traduites et commentées Cameron252.

La littérature halachique et aggadique juive

À ne pas confondre avec cette autre discipline qu’est l’histoire juive. Quoique constituant deux secteurs connexes des études juives, ces deux disciplines sont cependant bien distinctes. Ici il s’agit de la Mishna du Talmud de Babylone et de celui de Jérusalem, et des nombreux Midrashim et recueils d’aggadot.

C’est là un domaine qui demande une haute spécialisation pour une exploitation comparative sûre des données qu’il fournit. Quiconque est dépourvu de formation de base solide en études juives fera donc bien de s’abstenir de tenir compte des éléments – au demeurant fort significatifs et enrichissants pour l’objet poursuivi ici – que recèlent ces sources.

En particulier, il sera intéressant de comparer les données fournies par l’étude du Talmud de Babylone sur les structures des Yeshivot en Babylonie, sur la formation des traditions halachiques et aggadiques, et sur le genre d’exégèse qui y prévalait, avec l’organisation et le caractère des études dans les écoles nestoriennes.

Comme signalé plus haut, les ressemblances de structure, de techniques et même parfois de contenu exégétique apparaîtront vite à l’œil averti, mais, à part quelques études pionnières, ce secteur de recherches comparatives est fort négligé, sans doute à cause du haut degré de technicité qu’il requiert dans plusieurs disciplines.

Pour l’objet de l’étude souhaitée, il nous semble qu’une meilleure connaissance de ce phénomène de Talmud Tora en Yeshivot, auquel les chrétiens syriaques en général, et les Nestoriens en particulier, étaient confrontés chaque jour, de par la proximité existentielle dans les mêmes villes, ne peut pas ne pas avoir laissé de traces sous la forme d’influences qui ont pu être réciproques ou, à tout le moins, de réactions qui peuvent se détecter par une étude comparative attentive des sources.

Quiconque se mesurera à ce secteur difficile de la recherche, même s’il a une bonne formation en études juives, aura cependant intérêt à bien assimiler d’abord les résultats de la recherche moderne dans ce domaine, concernant les Yeshivot, leurs structures, leurs méthodes d’étude de la Tora et de la Mishna, les grands noms étant I. S. Zuri253, J. Neusner254, R. Goodblatt255, I. Gafni 256.

bibliographiques concernant l’élément iranien et le problème de l’historiographie des Juifs de Babylonie. 252 Cameron, Agathias, pp. 69-177. Ce long et excellent travail inclut également une très utile bibliographie sur les sources et les auteurs modernes (pp. 178-183). 253 Zuri, Toledot darkhei haLimoud. 254 Neusner, History of the Jews in Babylonia IV, ch. 5, “The life of the Schools”, pp. 279-402. 255 Goodblatt, Rabbinic Instruction in Sassanian Babylonia. 256 Gafni, HaYeshiva beBavel.

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D. Documents culturels helléniques comparatifs pour servir à l’étude du caractère rhétorique de l’exégèse nestorienne

Je ne reviendrai pas ici sur les techniques exégétiques nestoriennes analysées plus haut. J’ai, comme il se doit, insisté sur la dette nestorienne à l’égard des exégètes antiochiens, surtout Diodore et Théodore, mais il serait souhaitable de tenter de mieux cerner la méthode rhétorique des Nestoriens dans ses applications concrètes. En effet non seulement il n’est pas prouvé qu’ils reproduisent seulement leurs modèles antiochiens, mais encore, nous l’avons vu, il semble bien qu’ils aient repris la méthode à leur compte et l’aient appliquée librement selon leur génie propre et en fonction de leurs besoins théologiques pastoraux et catéchétiques spécifiques.

La nécessité d’une comparaison entre leur traitement exégético-rhétorique de l’Écriture et les techniques d’étude de textes, telles qu’elles étaient pratiquées chez le Rhéteur, s’impose donc. Heureusement, nous disposons pour une telle étude d’une quantité non négligeable de traités grammaticaux et rhétoriques et de gloses byzantines instructives à leur sujet ; le tout plus ou moins convenablement édité, mais en tout état de cause, utilisable.

Il sera donc indispensable de recourir au classique traité de Grammaire, de Dionysios de Thrace257 ; aux maints manuels de rhétorique des grands : Hermogène, et Aphtonios surtout ; ainsi qu’à la très précieuse collection des Rhetores Graeci, de Teubner, et, entre autres, l’édition critique d’Hermogène258 et celle d’Aphtonios dans un volume de H. Rabe intitulé Prolegomenen Sylloge259, où figurent plusieurs extraits de scolies et de supercommentaires fort instructifs.

Quelques vérifications personnelles m’ont permis de découvrir des parallèles très nets avec cette littérature technique, dans certaines définitions rhétoriques ou grammaticales qui figurent chez des commentateurs nestoriens savants, tel Išo‘dad déjà cité. Il me paraît clair que la chose n’indique pas forcément l’emprunt à des manuels, mais la formation personnelle de l’auteur aux méthodes textuelles du Grammairien et du Rhéteur, acquise au cours du cycle de son enkuklios paideia260 et perfectionnée chez le Sophiste.

Ces manuels techniques pourront aider, dans certains cas, à comprendre les figures de style évoquées par tel exégète nestorien, lorsque seule la rétroversion de la formule syriaque en son équivalent grec permettra de l’identifier avec certitude.

À ce titre, la publication annoncée comme prochaine d’œuvres grammaticales et

rhétoriques telles que celles de Sévère et de Severus Bar šakko, pour la

257 Dionysios de Thrace, Scholia in artem grammaticam. À signaler que Merx a édité pour la première fois la traduction syriaque du traité de Dionysios avec une traduction latine (voir Merx, Hist. Art. Gramm.ap. Syros, pp. 30-32, pour le texte, et 9 à 28, pour la traduction). 258 Hermogène, H. Opera. 259 Le Prolegomenen Sylloge est en fait un recueil de prolégomènes et d’exercices (progymnasmata) sur les œuvres de grands auteurs de traités rhétoriques, tels Hermogène, Aphtonios etc. (pour ce dernier, voir Ibid., pp. 73-170). 260 Voir Marrou, HEA, pp. 266-267.

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grammaire, et Antoine de Tagrit,261 pour la rhétorique, rendrait d’inestimables services.

On dispose en attendant de la grammaire de Bar-Hebraeus262, des lexiques de Bar Bahlul et Bar Ali263 et, bien entendu, du vaste Thesaurus de Payne-Smith264.

Sont également très utiles, malgré leur ancienneté, les ouvrages classiques de Merx et d’Hoffman265.

E. Documents comparatifs pour l’étude du phénomène de la prolifération des écoles nestoriennes

Il n’est pas impossible que le vaste mouvement de scolarisation religieuse soit un avatar particulièrement réussi de la coutume, déjà fort ancienne dans l’Église, d’ouvrir des Écoles catéchétiques. Il ne serait donc pas inutile de tenter de situer le mouvement scolastique nestorien dans ce vaste ensemble.

Pour ce faire, il importe de mieux connaître l’histoire des écoles catéchétiques. Ici aussi je ferai appel à des auteurs modernes. Certes, les documents d’histoire de l’Église où ils ont puisé sont connus, mais ils ont généralement réalisé des enquêtes tellement vastes et documentées que le non-spécialiste peut les utiliser telles quelles, à charge pour lui de vérifier des points particuliers ou des éléments qui lui semblent douteux, en recourant aux sources, généralement clairement référencées par ces chercheurs. Je renvois donc le lecteur aux notes où ces références bibliographiques ont été consignées, me contentant ici d’indiquer quelques noms : Nelz 266, pour une étude générale (étude ancienne mais encore utile) ; pour Alexandrie, on recourra surtout à Bardy267, mais aussi à Guerike268 et à Bousset269. Édesse a été traitée par Hayes270. Pour Antioche, on se contentera de la récente étude de Schäublin271, non seulement à cause de sa valeur intrinsèque, mais parce qu’elle résume excellemment, en la critiquant avec compétence, la recherche antérieure. Enfin, pour Nisibe, il est clair que la magistrale somme de Vööbus272 a éclipsé, par son érudition et sa documentation remarquables, toutes les études antérieures sur cette École des Perses.

261 Pour ce dernier, je tiens du Professeur J. Strugnell que l’une de ses élèves prépare l’édition d’une partie au moins de cette œuvre très abondante comme thèse de doctorat. 262 Barhebraeus, Œuvres grammaticales ; Bar ‘Ebraia, Ketaba de-tsemhe. 263 Bar Ali, Lexicon Syriacum ; Bar Bahlul, Lexicon Syriacum. 264 Payne-Smith, Thesaurus Syriacus. 265 Merx, Hist. Art. Gramm. ap. Syros ; Hoffmann, De Hermeneuticis. 266 Nelz, Die theologischen Schulen. 267 Bardy, L’Église et l’enseignement dans les 3 premiers siècles ; L’Église et l’enseignement au IVe s.; Aux Origines de l’École d’Alexandrie ; Pour l’histoire de l’École d’Alexandrie. 268 Guerike, Schola Catechetica Alexandriae. 269 Bousset, Jüdisch-Christlicher Schulbetrieb. 270 Hayes, L’École d’Édesse. 271 Schäublin, Untersuchungen Antioch. Exeg. 272 Vööbus, HSN.

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F. Facteurs antagonistes stimulateurs des orientations théologiques et exégétiques nestoriennes

Dans cette rubrique on trouvera un bref exposé des processus qu’ont combattus les Nestoriens ou qui les ont combattus. Ils devraient être pris en compte dans toute étude générale ou particulière de la théologie et de l’exégèse nestoriennes. En effet, par leur opposition même, ou le danger physique ou religieux qu’ils représentaient pour les Nestoriens, ils ont pu agir comme stimulants ou comme révélateurs sur la vie et l’expression religieuses. On trouve dans leurs écrits des traces incontestables de ces realia, ne serait-ce que les fréquentes mises en garde, voire les invectives plus ou moins voilées, à l’égard des Mages, des païens, des Juifs, des allégoristes ou des hérétiques, par exemple.

L’examen de ces éléments pourra paraître superflu ou, à tout le moins, quelque peu "pédant" ; reste qu’il me paraît indispensable. Lorsqu’on aborde un phénomène mal connu, et c’est bien le cas de l’exégèse nestorienne – il ne saurait être question de négliger l’apport utile que constituent les phénomènes antagonistes à une meilleure compréhension de l’originalité et du caractère spécifique du mouvement étudié.

Or il se trouve précisément que la tradition exégétique nestorienne est née, s’est développée puis s’est cristallisée au cours d’une longue période, au contact et souvent en lutte avec des milieux différents, incluant civilisations, régimes politiques, religions, courants hérétiques ou sectaires, rivalités d’écoles, etc.

Il est bien évident que ce seul domaine pourrait aisément faire l’objet de plusieurs thèses doctorales ; on ne pourra cependant pas éviter de l’aborder, même si cela ne doit être, malheureusement, que de façon par trop sommaire, et en nous limitant aux huit éléments suivants : 1. le pouvoir impérial perse ; 2. paganisme et magisme ; 3. les courants hétérodoxes juifs et chrétiens ; 4. le judaïsme ; 5. la culture hellénique ; 6. l’allégorisme ; 7. l’origénisme ; 8. le monophysisme.

1. Le pouvoir impérial perse

Son attitude à l’égard de l’Église nestorienne est ambivalente. Le traitement dont bénéficient ou pâtissent les Nestoriens est fonction exacte de la fluctuation des relations politiques orageuses entre l’Empire romain et l’Empire perse. Quand c’est la lune de miel entre le César et l’empereur perse, l’Église nestorienne est ménagée, ses dignitaires servent même d’ambassadeurs. Quand les rapports politiques se détériorent, tout ressortissant chrétien devient suspect d’espionnage au profit des Grecs. Les relations, même purement fonctionnelles, entre Églises, telles que visites de monastères en Mésopotamie d’obédience grecque, pèlerinages, synodes au-delà des frontières, sont interprétées comme des manœuvres de trahison.

Une exception, toutefois : Nisibe, sans doute à cause de sa situation de ville-frontière à population en quasi-totalité araméenne, jouit d’un statut spécial, rehaussé encore davantage par la renommée universelle de son académie nestorienne. Il semble que les empereurs dans l’ensemble, ont ménagé Nisibe de

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façon particulière273. Cette donnée importante aidera sans doute à comprendre l’autonomie presque totale dont jouit la célèbre École de Nisibe. Peut-être même des recherches plus approfondies découvriront que l’influence culturelle nestorienne, bien avant l’apogée à l’époque arabe, s’étendait à tout le territoire perse et rayonnait non seulement sur les chrétiens, mais également sur les autochtones... Ce n’est là qu’une hypothèse, mais elle mérite d’être vérifiée.

2. Paganisme et magisme

Notre documentation est très lacuneuse en ce qui concerne ces deux phénomènes, surtout le premier, documenté par Segal274. Quant au magisme, il est mieux connu, mais ce n’est qu’une connaissance très relative. On sait que la recherche ne dispose sur le Zoroastrisme, que du Dinkart et du Skand Gumanik Vicar, compilations théologiques remontant, la première, à l’époque sassanide, la seconde, au 9e siècle275.

Le Dinkart a été traduit en anglais par E. W. West, ainsi que le Skand, qui bénéficie également d’une traduction française du Père J. de Menasce276.

J. Darmester277, à la fin du siècle dernier, et J. Neusner278, beaucoup plus récemment, ont mis l’accent sur la polémique anti-biblique de certains chapitres de ces œuvres. Or, on trouve dans les écrits nestoriens des réponses à des apories étrangement semblables à celles qui s’expriment dans les critiques les plus dangereuses pour la foi des fidèles, contenues dans les deux œuvres religieuses zoroastriennes évoquées. Il pourrait donc être intéressant de comparer entre eux ces matériaux communs et, s’il semble qu’il y ait un lien entre les deux phénomènes, de chercher à en interpréter la signification et la portée éventuelles.

273 Témoin la remarque qui figure dans Histoire Nestorienne, PO XIII (4), p. 509. Il y est dit que Kosrau, l’empereur, fit choix de Grégoire, qu’il admirait, comme métropolitain de Nisibe « parce qu’il voulait un homme en qui il pût mettre sa confiance pour cette ville limitrophe des deux empires ». Pour une meilleure connaissance de la vie de l’Église nestorienne à Nisibe, voir Fiey, Nisibe. 274 Voir Segal, Edessa ; du même, Mesopotamian Communities, surtout pp. 124 ss. 275 Sur les problèmes de composition et de contenu de ces œuvres, voir surtout Bailey, Zorostrians Problems, et Duchesne-Guillemin, La Fixation de l’Avesta ; De Menasce, Une encyclopédie mazdéenne. 276 West, Sacred Books : Dinkart ; du même, Sacred books, Shikand; pour le Dinkart, voir aussi Zaehner, Zurvan, a Zoroastrian dilemma; De Menasce, Une apologétique mazdéenne du 9e s. Voir aussi Shaked, Wisdom Sassanian (trad. anglaise du VIe livre du Dinkart). On trouvera, à la fin de cet ouvrage, une liste détaillée de ‘Persica’ : « Persia Heritage Series », et une excellente bibliographie des auteurs classiques et modernes. 277 Darmester, Textes Pehlevis relatifs au Judaïsme. 278 Tout l'"Appendix one" du vol. IV de son Histoire des Juifs de Babylonie est consacré à ce problème. On y trouve la traduction anglaise d’un grand nombre d’apories bibliques émanant de théologiens zoroastriens désireux de montrer que les écrits saints des Juifs étaient pleins de contradictions et de récits indignes de Dieu. Voir Neusner, History of the Jews in Babylonia, IV, pp. 403-423.

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3. Les courants hétérodoxes juifs et chrétiens

Ils sont encore mal définis à l’heure actuelle, mais trois documents témoignent de leur existence indéniable. Ce sont respectivement l’Hodegos, d’Anastasius le Sinaïte279 (fin 7e siècle), les Questions et Réponses destinées à Amphiloque, par le patriarche de Constantinople, Photius280 (9e siècle), et les Apories bibliques, attribuées à Hiwi-al-Balkhi281 (2e moitié du 9e siècle).

Nous nous arrêterons quelque peu sur ce dernier personnage. Presque rien n’est connu de lui et, sans la vigoureuse polémique de l’exilarque juif du Fayoum, Saadia Gaon282, il serait probablement tombé dans l’oubli. Là aussi, un examen des attaques anti-bibliques de cet hérétique (ou païen ?...) et des réponses de Saadia révèle des ressemblances de forme et de contenu assez surprenantes avec des apories sur des thèmes identiques, qui figurent, avec les réponses appropriées, dans certaines œuvres scolastiques nestoriennes (Scolies de Bar Konaï, par exemple, ou Commentaire d’Išo‘dad, etc.).

4. Le judaïsme

C’est, évidemment, l’épine dans la chair de l’Église nestorienne. Pour bien comprendre l’ambivalence de l’attitude nestorienne (et chrétienne, en général) à l’égard des Juifs, il faut se souvenir que ce peuple représente, pour les chrétiens, l’objectif missionnaire par excellence, le témoin vivant du refus total et viscéral de la Bonne Nouvelle évangélique. À ce titre, ils sont décrits agressivement comme « amis de la lettre qui tue », « Juifs intraitables », « aveugles », « nuque raide », « crucificateurs », et autres aménités du même acabit.

Toutefois, dans ce vaste empire perse, les Juifs constituent la seule "clientèle" catéchétique avec laquelle les chrétiens ont un langage commun : l’Écriture. Et, à ce titre, ils sont, pour les Nestoriens, le paradigme tant de ce qu’il faut faire que de ce dont il faut se garder. On cite en exemple leur passé, soit pour louer leur attachement à leurs traditions, soit pour flétrir leur idolâtrie, leur « esprit charnel », etc. Bref, leur présence concrète est ressentie comme un défi, un obstacle théologique irritant et stimulant à la fois, qu’il faut vaincre à tout prix.

279 Anastasius, le Sinaïte, Hodegos ; voir revue sommaire de cet ouvrage par Bardy, Quaestiones et Responsiones (RB, 43, p. 339-343) ; voir une traduction de quelques-unes de ces questions en anglais dans Rosenthal, Hiwi al-Balkhi, pp. 40-46. 280 Photius, Quaestiones ad Amphilochum ; voir revue sommaire de ces questions dans Bardy, Quaestiones et Responsiones (RB, 43, pp. 346-350), et Rosenthal, Hiwi al-Balkhi, pp. 46-53. 281 Sur ce personnage dont on ne sait exactement qui il est, on trouvera une excellente revue des sources qui nous le font connaître, ainsi que des études qui lui ont été consacrées dans Rosenthal, Hiwi al-Balkhi, pp. 1-66 ; cet auteur analyse de façon très détaillée les apories bibliques de Hiwi, et les compare à celles qu’on trouve chez des écrivains ecclésiastiques, tels Anastasius le Sinaïte et Photius (cf., ci-dessus, n. 279). Voir aussi Vajda, Attitude religieuse de Hiwi al-Balkhi. 282 Cette polémique de Saadia avec Hiwi a été étudiée par Davidson, Saadia’s polemic ; on y trouve, outre un historique de la question de l’identité de Hiwi et des sources le concernant (pp. 11-23), le texte hébreu (avec traduction anglaise) des réponses de Saadia Gaon aux apories de Hiwi. En dehors du mérite de cette œuvre qui est surtout de mettre sous les yeux du lecteur les sources avec leur traduction, on ne trouvera pas, dans le livre de Davidson, une véritable analyse de la personnalité et de la doctrine de Hiwi.

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Tout ceci explique, sans aucun doute, beaucoup de caractéristiques de l’exégèse nestorienne, quoiqu’elle ne fût pas leur apanage, à savoir, un extraordinaire intérêt pour tout ce qui est cérémonies, cultes, rites, et coutumes juifs, mais aussi - et cela leur est plus particulier, semble-t-il – une pédanterie savante dans la reconstitution de l’histoire biblique et juive, témoignant d’ailleurs d’une érudition et d’une fréquentation des sources juives dont il serait intéressant de tenter de rendre compte un jour.

Enfin, comme évoqué plus haut, il conviendra de tenter de mesurer l’impact (et peut-être l’effet stimulant de compétition), sur le vaste mouvement de fondation d’écoles nestoriennes, du mouvement scolaire juif multiséculaire caractérisé par une profusion de batei-middrashot, et, quoique dans une moindre mesure, de yeshivot. Certain canon des Statuts de l’École de Nisibe semble indiquer une imitation presque servile de la structure d’une école juive par la nestorienne283. Mais la chose demande vérification et prudence dans l’appréciation des analogies, qui se heurte à bien des difficultés de nature à jeter le doute sur les séduisants parallèles apparents.

5. L’hellénisme

La recherche manque malheureusement d’informations solides concernant l’influence éventuelle de l’hellénisme dans l’empire perse sassanide et au-delà. Certes, nous avons la jolie historiette de la fugue sans lendemain de deux professeurs athéniens, lors de la fermeture de cette académie, vers la cour iranienne qui les accueillit bien volontiers, mais ne les conquit pas au point qu’ils restassent au moins autant qu’il est séant pour qu’on ne pense pas à une fuite284.

283 Par exemple, l’expression mawtba rabba des Statuts de l’École de Nisibe I, 9 (voir Statuts, p. 185) et la description des différentes sessions (mawtbe) de l’école de Nisibe (Ebedjesu, Nomocanon, pp. 273-274 ; Barhadbešabba, Fondation des Écoles, pp. 393-394) trouvent leur parallèle frappant dans la littérature rabbinique. Gafni, Hayeshivah bebavel, p. 200, n. 16, et p. 201, en fournit deux beaux exemples. Dans la Mechilta de R. Ismaël (éd. Horowitz-Rabbin, p. 77) on lit : « Rabbi Hanina dit : j’ai posé cette question à Rabbi Eléazar qui siégeait à la grande session (she haiah yoshev bmotba rabba) ». Les parallèles que fournit Gafni à propos de ce passage sont les suivants : bemetivta (Mechilta de R. Ismaël, variante de manuscrits) ; beveit motba rabba (Mechilta de R. Shimeon bar Yochaï, édit. Epstein-Melamed, p. p. 119 en bas et 120 e haut ; et Talmud Babeli, Bechorot 5, b). Et les deux sessions d’été et d’hiver (mawtba dqaita, mawtba dsatwa) à l’École de Nisibe, trouvent leur équivalent dans le Talmud, comme en font foi ces paroles de Rava à ses élèves, leur interdisant de se présenter devant lui (pour étudier) aux mois de Nisan et de Tischreï, pour ne pas se trouver dépourvus durant toute l’année de moyens de subsistance : במטותא מימייכו ביומי

סן וביומי תשרי לא תתחזו קמאי כי היכי דלא תטרדו במזונייכו כולא שתא ני (Talmud Babeli Berachot 35, b). Les deux mois en question correspondent en effet aux deux époques des travaux agricoles dont parle Barhadbešabba, Op. cit., pp. 393-394 : « Ce n’est pas sans raison que la session a été établie et fixée aux deux saisons d’été et d’hiver […] Or, les Pères, nous voyant nous soucier de notre nourriture spirituelle, nous fixèrent aussi un temps durant lequel nous puissions travailler pour nourrir notre corps […] en fixant les deux activités [celle des études et celle des travaux agricoles], aux deux saisons : avant la session d’été (qdam mawtba dqaita) a lieu d’abord la moisson et ensuite la session des Apôtres ; et avant la session d’hiver (men qdam mawtba rabba) a lieu le travail des figues et des olives et ensuite la session d’hiver. » Voir aussi Vööbus, HSN, pp. 186-187, et pp. 108-109. 284 Rappelons qu’en 529, Justinien fit fermer l’Académie d’Athènes, dernier bastion du paganisme mystique et théurgique et pépinière des adeptes de Proclus. Certains adeptes trouvèrent refuge en Perse auprès du roi Khosrau Anushirvan (531-579). L’aventure tourna court, ainsi que le résume

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Mais il est bien évident qu’il nous faut plus sérieux que cela pour envisager l’hypothèse d’un quelconque engouement de l’élite perse pour la culture grecque. Il semble que nous en ayons un indice assez convaincant avec l’existence, dans cet empire, des deux célèbres centres culturels où rayonnait l’enseignement nestorien : Jundisapour et Nisibe285.

En tout état de cause, chez les maîtres nestoriens (comme d’ailleurs dans une mesure encore plus grande chez les Jacobites), cette hellénisation de la culture, sous sa forme rhétorique, ne fait aucun doute286 ; nous en avons suffisamment parlé plus haut pour qu’il soit utile d’y revenir.

La chose ne doit pas tellement étonner, compte tenu du fait que les traditions de l’École se sont formées en majeure partie à Édesse, la première école des Perses en Mésopotamie occidentale. Là-bas, l’étude du grec faisait partie du curriculum de l’École, alors que le bagage classique du quadrivium, norme de l’éducation païenne de l’homme distingué, semblait le minimum requis avant d’aborder la théologie.

Cependant, il n’est pas rare de trouver chez certains Pères et écrivains ecclésiastiques (Diodore de Tarse287 par exemple), le terme hellènismos, avec la connotation d’un défaut dans l’exégèse, aussi grave que celui de "judaïser", avec lequel il est généralement couplé. Il semble que, dans ce contexte, le terme hellènismos recouvre une méthode spécifiquement grecque et sophistique, qui utilise toutes les ressources philologiques, rhétoriques et dialectiques (incluant l’allégorie et semble-t-il, surtout elle), en vue de rendre compte d’un texte à tout prix, sans se soucier de l’adéquation éventuelle de la solution ainsi obtenue avec la réalité "historique" et concrète du texte expliqué288.

Il est particulièrement instructif de retrouver, au 4e siècle, chez trois Pères contemporains (le Cappadocien Grégoire de Nysse et les Antiochiens Diodore et Jean Chrysostome)289, le même couple dialectique de défauts opposés à une saine exégèse : hellénismos – ioudaismos.

6. L’allégorisme

L’anti-allégorisme des Antiochiens est trop connu, et on y a fait trop d’allusions, pour qu’il soit utile d’y ajouter. Toutefois, force est de reconnaître que c’est

Segal (Jews of North-Mesopotamia, p. 48*, n. 67) : “When these philosophers found that neither the Persian king nor his state corresponded to the Platonic ideal, Khosrau arranged with Justinian that they should return unmolested to their home.” 285 À ce propos, Meyerhof parle d’un « hellénisme syriaque » ; voir Meyerhof, Fin de l’École d’Alexandrie, p. 115 (mais tout l’article est important pour avoir une idée de la culture des chrétiens de langue syriaque), voir aussi du même, VANB. 286 Voir excellent résumé de la question dans Leroy, Manuscrits Syriaques, pp. 25-33. 287 Voir Diodore, Comment. In Psalm., p. 8, lignes 156 et 158, et trad. française dans Mariès, Extraits, Préfaces, Psaumes, Diodore, p. 89. 288 Il n’est, pour s’en convaincre, que de lire ce que le même Diodore écrit dans sa préface au Ps 118 (voir Mariès, Extraits Préfaces Psaumes Diodore, p. 90, ligne 11 ss.). 289 Pour Chrysostome, le passage est rapporté par Photius dans le codex 277 de sa Bibliothèque (voir Photius, Bibliothèque, trad. Henry, t. VIII, p.148 ligne 26 ss). Grégoire de Nysse, lui, emploie ce couple de mots dans son Discours Catéchétique XIX (voir Grégoire de Nysse, Discours Catéchétique, p. 96).

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encore une question controversée que celle de la mesure exacte de cette répulsion à l’égard de l’exégèse allégorique.

Certains critiques y ont vu un faux problème ou, à tout le moins, une exagération (de Lubac), d’autres, plus nuancés, y voient un malentendu plutôt qu’un conflit (Guillet) ; enfin, il en est qui distinguent soigneusement, en les analysant comparativement, les deux méthodes, si semblables en apparence : la Theôria antiochienne, et l’Allegoria alexandrine (Vaccari, Ternant)290.

Il est évident - on l’a vu plus haut – que l’exégèse nestorienne n’est pas monolithique et qu’elle comporte en son sein des tendances éclectiques (Išo‘dad en est un bon exemple), voire de franches déviations, allant jusqu’à la substitution de Jean Chrysostome291 à Théodore comme norme de l’exégèse, et à l’adoption de la méthode allégorique d’Origène (Henana)292.

Mais le plus intéressant est de noter, à la suite des témoignages formels de Dadišo Qatraya (cité plus haut), la place unique réservée, dans la tradition d’interprétation scripturaire nestorienne, à l’exégèse dite spirituelle293. Certes on eût pu être tenté de voir dans cet écrit inattendu un échantillon révélateur d’un courant hétérodoxe, se détachant du nestorianisme rigoureux pour se rattacher uniquement à la spiritualité des Pères du désert. Mais les autorités classiques citées par Dadišo (Diodore et Théodore, et ce dernier à maintes reprises), ne peuvent laisser aucun doute sur son orthodoxie nestorienne, de même d’ailleurs que ses efforts, aussi touchants que malhabiles, pour attribuer à Théodore lui-même un soupçon d’exégèse spirituelle.

Toute cette affaire nous éclaire donc sur le véritable substitut nestorien de l’allégorie : ce n’est ni la typologie, ni la Theôria – toutes deux certes largement utilisées – mais c’est, avant tout, le sens spirituel. On comprend mieux désormais la relative fréquence dans certains commentaires nestoriens (Išo‘dad surtout), de l’expression : au sens spirituel (ruhanait).

À mon avis, il ne sera pas inutile de réexaminer le problème de l’opposition entre allégorie et théorie, sur la base ce ces éléments qui paraissent nouveaux.

290 Pour toute cette problématique et sur les thèses en présence, voir ici, plus haut, n. 2 et 6. 291 ‘Ebedjesu, dans son Catalogue (Assemani... III (1) p. 84) déclare à ce propos de Henana qu’« il a composé de nombreux autre livres qui sont rejetés à cause de l’Interprète (be‘elat mpašqana) et Assemanius dans sa note (ibid.) produit quelques canons arabes qui sanctionnent cette condamnation de Henana, dont celui de Jesuyab (Can. 2) dont voici la traduction : « Pour ce qui est de l’adhésion aux commentaires de Théodore l’Interprète et de l’observance de ses écrits ; celui qui y contredira en s’attachant à d’autres écrits, qu’il soit anathème, comme a fait celui [Henana] qui s’est opposé à lui [Théodore], pour suivre Jean Chrysostome. » 292 L’accusation d’origénisme semble découler de la tendance au commentaire allégorique, propre à Henana ; elle est, en tout état de cause, accolée à celle de chaldéisme au nom de l’hérétique, dans le libelle de condamnation que l’évêque Giwargis cloua sur la porte de l’église, ainsi que nous le rapporte Babai, Taš‘ita de Giwargis, p. 503 (je cite d’après la traduction de Chabot, Synodicon Orientale, pp. 629-629). « Si quelqu’un adhère à l’hérésie du chaldaïsme et de l’origénisme de Henana l’hérétique [...] celui-là ne pourra [...] recevoir la communion dans cette congrégation ». Guillaumont (Kephalaia gnostica d’Évagre, pp. 193-196) a fort bien illustré cet origénisme de Henana. Pour quelques références supplémentaires sur le schisme de Henana, voir ici, plus haut, n. 67. 293 Voir ici, plus haut, pp. 33ss.

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Pour l’objet de la recherche envisagée, il serait utile d’analyser diachroniquement ce combat têtu de l’exégèse nestorienne contre l’allégorisme, et de tenter d’identifier les principaux antagonistes des deux camps. Une telle enquête jetterait une vive lumière sur la genèse de la ligne exégétique nestorienne, et sur les critères de sa sélectivité en matière de traditions. Sous réserve d’inventaire, il semble bien que ce soit Origène et les tenants de son allégorisme outrancier qui sont visés directement par l’École d’Antioche d’abord et ensuite par les Nestoriens. Or, on sait qu’un ennemi de taille laisse, bon gré mal gré, une empreinte indélébile sur ses opposants. Un examen comparatif succinct semble indiquer un emprunt antiochien de motifs originaux (considérés comme orthodoxes) à l’exégèse d’Origène (voir alinéa suivant : L’origénisme). La chose devra être vérifiée, cela va de soi, et si elle se confirmait, elle serait de nature à ouvrir des horizons féconds pour une histoire générale de l’exégèse.

7. L’origénisme

Contrairement aux apparences, il ne s’agit pas ici d’un double emploi. Nous ne considérons pas comme identiques l’allégorisme et l’origénisme. En effet, le premier connote l’influence d’Origène sur ce mode d’exégèse, tandis que le second implique une acceptation plus ou moins large des doctrines et des conceptions du grand Alexandrin. Or, c’est un fait connu que l’origénisme a influé considérablement sur la spiritualité des Syriens (Monophysites autant que Nestoriens). Le meilleur sur le sujet a été écrit par Guillaumont qui y a consacré la moitié de sa remarquable thèse sur l’histoire de l’origénisme chez les Grecs et les Syriens294.

Ce savant nous a ouvert les yeux sur l’ambivalence de l’attitude des Syriens à l’égard d’Origène, par les deux réactions qu’il cite dans son ouvrage. La première est celle de Théophile, patriarche d’Antioche, qui, après avoir été un grand admirateur d’Origène, en devint finalement l’adversaire acharné. Guillaumont, qui suit l’historien Socrate, écrit :

Même après avoir publiquement condamné Origène et violemment poursuivi ses partisans, Théophile ne cessa, paraît-il, de lire ses livres, alléguant, devant ceux qui s’en étonnaient, qu’ils étaient pour lui comme une prairie aux fleurs variées ; il cueillait celles qui étaient belles, laissant de côté celles qui avaient des épines295.

Tandis que Bar-Hebraeus écrivait :

D’Origène. On dit de lui qu’il n’avait pas une foi saine au sujet de la Trinité et qu’il niait la résurrection des corps, mais il abondait dans la parole de l’enseignement, et il fit beaucoup de commentaires de l’Ancien et du Nouveau Testament, au point que les docteurs des Églises, jusqu’au temps de Mar Jean (entendez sans doute, Chrysostome), s’enrichissaient et profitaient de ses écrits, c’est-à-dire recueillaient la rose et brûlaient les épines"296.

294 Guillaumont, Kephalaia gnostica d’Évagre, Deuxième partie : « Évagre et la polémique antiorigéniste chez les Syriens », pp. 173 à la fin du livre. 295 Socrate, Historia Ecclesiastica VI, 17 ; PG 67, 716 ab, cité par Guillaumont, Kephalaia gnostica d’Évagre, p. 63, n. 66. 296 Bar Hebraeus, Candélabre du Sanctuaire, base 4, p. 256, cité par Guillaumont, Kephalaia gnostica d’Évagre, p. 183, n. 26.

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Ces réflexions, conjuguées avec l’extension considérable de l’étude des œuvres d’origénistes jurés, tel Évagre, en milieu syriaque297, ainsi que le caractère allégorico-spiritualisant d’une partie de l’exégèse nestorienne tardive, me paraissent de nature à reconsidérer complètement la part d’Origène dans la théologie théodorienne des deux catastases et de la « Pédagogie divine ».

Les observations pertinentes de Guillaumont sur les cosmologies, apparemment inconciliables, d’Origène et de Théodore, m’ont conduit à formuler l’hypothèse suivante : La cosmologie et l’anthropologie chrétiennes de Théodore n’auraient-elles pas été créées comme une réplique, très ressemblante par la forme, mais radicalement différente par son orientation et ses implications, de celles d’Origène ? On a vu, plus haut, la tendance à la relecture et à la synthétisation personnelles, par Théodore, de la doctrine des Pères. Il nous semble que le grand Antiochien a très bien pu procéder comme son illustre prédécesseur Théophile, et « cueillir les roses » du puissant système origénien tout en en « brûlant les épines ». Ainsi s’expliquerait la profusion du thème de la Pédagogie divine chez les Nestoriens (qui l’ont incontestablement reçu de Théodore), thème qui peuple les écrits du grand Alexandrin !... Ce ne serait ni la première ni la dernière fois qu’un adversaire redoutable, autant que secrètement admiré, aurait été combattu sur son propre terrain et avec ses propres armes.

8. Monophysisme

C’est le principal ennemi "familial" des Nestoriens. La haine de ces frères séparés est sans mélange. Ils se démarquent, respectivement et mutuellement, par leur situation géographique : les Monophysites sont les "Occidentaux" et les Nestoriens

297 Ce n’est pas le moindre paradoxe de cette querelle compliquée, que ce soit Babaï, « ce théologien violemment antiorigéniste, qui fut le principal commentateur, en milieu syrien, des Kephalaia gnostica [d’Évagre] » (Guillaumont, Kephalaia gnostica d’Évagre, p. 259). Mais Guillaumont n’y voit pas d’antinomie ; à son avis, Babaï se sert de cette apologie en vue de laver Évagre du soupçon (fondé !) d’origénisme, dont son œuvre est entachée, comme d’une arme contre les origénistes eux-mêmes. Toutefois, il est conscient de l’étrangeté de cette prise de position, justement en faveur d’un auteur origéniste, et propose la solution suivante (ibid., pp. 265-266) : « On peut, dès maintenant, se demander si cette opposition si ferme et si ardente de Babaï aux accusations lancées contre Évagre, ne s’expliquerait pas par la condamnation formulée contre ce dernier à Constantinople en 553, dont Babaï ne fait cependant aucune mention explicite en ce passage : les Pères qui avaient condamné Évagre n’étaient-ils pas ceux-là mêmes qui avaient jeté l’anathème sur Théodore de Mopsueste ? La cause des deux ‘saints’ pouvait donc paraître une seule et même cause, celle de l’orthodoxie nestorienne. » L’hypothèse de Guillaumont est fort séduisante, d’autant plus qu’Évagre avait été rejeté par les Monophysites, à cause de son dyophysisme (cf. ibid., p. 272). On ne perdra toutefois pas de vue que cette "rédemption" des œuvres d’Évagre avait été rendue possible par une traduction syriaque qui avait expurgé les Centuries, autant qu’il était possible, de leur origénisme. (Sur les deux versions syriaques des Kephalaia, voir Guillaumont, Ibid., pp. 200-258). C’est pourquoi Guillaumont peut conclure que « les commentateurs qui vinrent ensuite, principalement Babaï, interprétèrent la pensée d’Évagre de telle façon qu’elle finit par paraître non seulement orthodoxe, mais directement opposée à celle d’Origène » (ibid., p. 333). Chez Dadišo, Évagre est, avec Théodore et avant lui, l’auteur le plus cité (en dehors d’Abba Isaïe bien entendu) : plus de 50 fois (voir Dadišo, Commentaire d’Abba Isaïe, Tables p. 256). Enfin, je rappelle les deux ouvrages majeurs de Babaï, dans lesquels il justifie le credo nestorien et combat l’origénisme : le premier est un grand traité théologique intitulé : Sur la divinité, l’humanité et la personne de l’Union, appelé généralement Livre de l’Union (Babaï, Liber de Unione). Le second est consacré à l’apologie et au commentaire des Centuries d’Évagre (Babaï, Evagrius Ponticus).

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les "Orientaux", mais aussi par leurs sobriquets respectifs. Les Monophysites sont surnommés "Jacobites", du nom de l’un de leurs principaux zélateurs : Jacques (Jacob) Baradée (6e siècle) ; les Diophysites sont surnommés "Nestoriens", du nom de l’évêque dont ils ont adopté l’hérésie diophysite : Nestorius (5e siècle).

Le schisme entre les deux partis fut si radical qu’il s’ensuivit une réforme de l’écriture et de la ponctuation de leur langue commune, le syriaque, et ce, à l’initiative des Nestoriens qui inventèrent un nouveau système de ponctuation et de vocalisation des voyelles qui, en moins d’une génération, rendit le dialecte de l’un incompréhensible par l’autre298.

298 Voici ce qu’écrit à ce sujet un éminent spécialiste, J. B. Segal : “The Nestorien heresy was condemned at the Council of Ephesus in 431. In 489, according to tradition, the Imperial edict was issued closing the ‘Persian’ School at the university of Edessa. Shortly after their expulsion from Edessa, the Nestorians opened the East Syrian university of Nisibis that was soon to rival Edessa in the fame of its scholars. The religious cleavage, which had been accentuated by the political rivalry between Byzantium and Persia, was thus carried into the field of letters. In this second period the Eastern and Western Schools developed separately and along independent lines. Points of differences between the two dialects grew until they well-nigh became separate languages […] Our manuscripts show, however, that the final breach between East ant West in this branche of science did not come before the end of the sixth century; thenceforward the two groups were set decisively each upon its own course […] How deep became the phonological differences may be gauged from Bar Hebraeus’s statement that West and East Syrians could not understand each other’s speech without the aid of an interpreter”. (Segal, Diacritical Point, pp. 3-4). Les conséquences de ce "schisme littéraire" devront être déterminées par un examen comparé entre exégèses jacobite et nestorienne à propos de versets présentant des problèmes de vocalisation ou d’accentuation (ponctuation d’union ou de séparation). L’insistance d’un certain canon sur le qeriana dluha et le luha dqeriana pour le chant de certaines hymnes demande un éclaircissement (Synode d’Išo’iab, canon sur l’École de Nisibe, cf. Ebedjesu, Nomocanon p. 274, trad. lat. p. 110). À ce propos il faudra réexaminer attentivement le rôle des maqreyane ou maîtres de lecture chargés d’enseigner les différentes "lectures" (qerayata) de la Massore. (cf. Segal, Diacritical Point, p. 9, et Merx, Hist. Art. Gram. ap. Syros, pp. 28 ss.). À ce titre, rien d’instructif comme la remarque d’Išo‘dad sur Isaïe 13, 21 : « et là les diables dansent (nraqdun =. Peshitta, pa’el futur 3e pers. plur. de rqd) en tant qu’ils se réjouissent de la perte des hommes. Qatraya dit : ils se lamentent (narqdun, aph’el de rqd) en tant que leurs mets sacrés ont cessé et que leurs sacrifices ont disparu. Dans les Écoles ces deux (leçons) sont lues » (Išo‘dad, Commentaire IV, Isaïe et les Douze, p. 26 français, texte syriaque, p. 20). J’ai mis en italiques la dernière phrase parce qu’elle témoigne du rôle des Écoles dans la conservation jalouse des traditions massorétiques. On trouve également, dans le commentaire d’Išo‘dad des remarques concernant les accents critiques tels que « interrogation oratoire » (par contrainte = b‘etsiana) ; voir Išo‘dad, Commentaire III, livre des Sessions (p. 214 et n. 8 ; p. 308 et n. 1 ; p. 309 et n. 2), et ibid. V, Jérémie, Ezéchiel, Daniel (p.114 et n. 1). Nous sommes ainsi renvoyés aux ktave dmaqreiane dont Mar Barhebraeus (Gr. p. 259) écrit qu’ils « ont été rédigés dès l’époque de Narsaï, Abraham (de Bet-Rabban) et Jean (de Bet-Rabban) et dans lesquels on fait lire à l’école wbhun maqrein b’eskule, (cf. Merx, op. cit., p. 178). Il est clair qu’il s’agit de livres de Massore (cf. Merx, ibid., p. 30). Toutefois, il ne faudrait pas comprendre le terme de Massore seulement comme une collection de variantes orthographiques (ordre des lettres d’un mot, ou sa prononciation, qui sont susceptibles d’en modifier radicalement le sens), mais aussi (et peut-être surtout) comme un code fixé et autoritatif de la lecture correcte des phrases, en grec, anagnôsis ; car l’établissement du texte, et du sens individuel des mots n’est que l’étape grammaticale de base indispensable à la lecture logique de la phrase. Cette dernière fait l’objet de l’anagnôsis. Elle a été codifiée chez les Nestoriens par Joseph Huzzaya, témoin de Bar-Hebraeus (Chronic. Eccles. III, p.78) qui écrit : « Joseph Huzzaya prit la succession de (Narsaï) à Nisibe. Il changea la lecture édessénienne en la lecture orientale que suivirent les Nestoriens. Ceux-ci, durant toute la période (du directorat) de Narsès [sic], lisaient comme nous, les Occidentaux » (voir Merx, op. cit., p. 28). L’observation de R. Duval à ce sujet me paraît très juste : « Cette modification porta, non sur les voyelles, mais sur les points qui marquaient les différents membres de la phrase ». Pour s’en convaincre il n’est que de lire ce qui figure dans le Codex de Massore décrit par Wright (Catalogue I, 176b) : « De plus, sache que les (accents) samke et etsyane et [m’dammrane)]

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Les Jacobites ont beaucoup écrit. Dans le domaine des commentaires de l’Ancien Testament ; nous ne disposons malheureusement que de fort peu d’éditions ; la plus importante est, évidemment, celle du Magasin des Mystères (’Otsar ’raze), de Bar-Hebraeus (13e siècle), accompagnée d’une traduction anglaise299.

Il pourra s’avérer utile d’effectuer quelques comparaisons et contre-vérifications des thèmes nestoriens, avec cette compilation qui renferme de très anciennes traditions. Toutefois, le caractère laconique et l’anonymat fréquent des sources qui y figurent rendent difficile l’usage de cet ouvrage comme outil d’identification et, cela va sans dire, de datation des traditions.

G. Documents-témoins du rayonnement nestorien en Occident

Ils sont de trois ordres : la première catégorie consiste en allusions à la tradition exégétique nestorienne dans des œuvres latines (non nestoriennes), ou en écrits didactiques ou théoriques, conservés et même adoptés comme manuels d’instruction biblique dans certains cercles de l’Église d’Occident ; ils émanent originellement de l’Église d’Antioche, ou d’auteurs nestoriens.

La seconde catégorie consiste en témoignages d’admiration pour l’École de Nisibe, émanant de personnalités chrétiennes occidentales et attestant le renom et le rayonnement du célèbre établissement perse d’enseignement théologique nestorien.

La troisième catégorie est beaucoup plus étonnante, et elle demande à être vérifiée très sérieusement. Elle consiste en attestations historiques de la présence de scoliastes nestoriens, voire de leurs écoles, en Afrique et à Rome.

1. Avatars de l’exégèse nestorienne en Occident latin

a) Dans un commentaire latin des Psaumes, dont l’attribution est controversée, on trouve, au début du Psaume 50, la phrase suivante qui atteste qu’on savait, en Occident, que les Syriens contestaient l’exactitude des titres hébreux des Psaumes,

et paqode et m’nihame et m’ša’lane, c’est-à-dire les accents qui se présentent par paires, et les zauge et elaye et tahtaye qui sont dans le texte écrit ou dans l’Écriture, ont tous été créés ou instaurés par Joseph Huzzaya et ils sont au nombre de neuf. Il les fit de telle manière qu’ils soient des signes pour donner le sens du commentaire stique par stique [plutôt qur mot par mot, ou : selon le sens littéral]. En effet, le saint Mar Théodore a interprété les écritures en grec, et Mar Ihiba, évêque d’Édesse, les a traduits [ces commentaires] du syriaque avec l’aide d’autres personnes versées dans les Ecritures. » – J’ai tenté de donner une traduction plus nuancée de ce texte assez difficile, en m’aidant de celles de Merx (op. cit., p. 28-29) et Segal (op. cit., p. 66) ; on en trouvera le texte syriaque en Merx, ibid., p. 29, à compléter par les précisions textuelles de Segal (ibid.) Je termine par la mention de l’appréciation, par Merx, de cette initiative nestorienne : « En apposant des points aux textes, en suivant l’interprétation de Théodore de Mopsueste, Joseph ne fit pas seulement œuvre grammaticale mais bien plutôt œuvre théologique, en sorte que soit mieux perçu, dans la lecture de l’École de Nisibe, le nestorianisme de celui-ci, Théodore, chose qui répugnait aux Edesséniens. » (ibid., 29-30). Ce long excursus n’aura pas été inutile si l’on peut en tirer une propédeutique utile à toute étude sérieuse de l’exégèse nestorienne, laquelle ne saurait se passer d’une comparaison constante entre les traditions exégétiques nestorienne et jacobite. 299 Voir Barhebraeus, Scolies.

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et l’identité du personnage réel (individu ou peuple) dont le Psaume parlait, ou qu’il mettait en scène :

Dicitur manifeste David, sicut titulus ejus docet ; Syri autem, hunc psalmum, ex personna eorum qui erant in Babylonia dicent, titulos de psalmis quia tulerunt.

D’après Vosté, les « arguments » des Psaumes de Théodore de Mopsueste

ont joui d’une fortune extraordinaire, et sont passés en Occident, on ne sait ni par quelle voie, ni par quel intermédiaire […] Ils sont connus en particulier, en latin, par le Pseudo-Bède, en anglo-saxon, par le Psautier de Paris, et par quelques fragments en vieil irlandais.300

b) Dans un court livret d’introduction à l’Écriture, intitulé De partibus Divini Legis301, Junilius Afer a consigné, à l’intention de l’évêque africain Primasius, l’essentiel des principes élémentaires d’une introduction à l’étude des Écritures, qu’il a recueillis de la bouche de Paul de Nisibe302. Or, ce traité est intégré par Cassiodore303, moine romain, dans les « autorités » dont il se sert pour initier ses moines à l’exégèse.

c) Avec le court traité d’Adrianus, Introduction aux divines Écritures304, nous avons un échantillon plus scientifique de l’application des techniques grammatico-rhétoriques antiochiennes à l’exégèse de l’Écriture. Cette œuvre a eu également

300 Vosté, Titres des Psaumes dans la Pesitta, p. 211 n. 4 ; p. 222 n. 4 ; voir aussi Ramsay, Theodor of Mopsuestia and S. Columban on the Psalms. Je n’ai malheureusement pas pu consulter cet article dont Vosté (ibid.) dit qu’il examine « tout ce qui se rapporte au commentaire théodorien sur les Psaumes et à sa transmission ». 301 Junilius Afer, Instituta regularia, édition critique dans Kihn, Theodore and Junilius, pp. 467-528. Rappelons que Junilius exerça, dans les années 545 à 552, la haute fonction de quaestor sacri palatii. Nous ne savons pas grand-chose de lui, sinon que c’est sans doute son poste élevé qui lui valut de faire la connaissance de Paul de Nisibe, de l’enseignement duquel les deux minces livrets qu’il composa se veulent le reflet. Je n’entrerai pas ici dans les détails, car j’ai traité de ce sujet dans un article précédent : R. Macina, Cassiodore et l’École de Nisibe, dans Le Museon 95 (1982), pp. 131-166. Je précise seulement que la grande diffusion du mince traité de Junilius est attestée par le nombre relativement important de manuscrits qu’on en trouve, disséminés par toute l’Europe. À ce sujet, lire l’article suggestif de Laistner, Antiochene exegesis in Western Europe. 302 Sur la personne et le rôle de ce Paul de Nisibe, nous sommes très mal renseignés. L’Histoire ecclésiastique de Barhadbešabba Arbaia nous apprend qu’Abraham de Bet Rabban, interprète de l’École de Nisibe, sommé de comparaître devant l’empereur byzantin et de se mesurer à ses théologiens en une controverse publique, se récusa. Toutefois, il envoya l’évêque Paul et d’autres avec lui ; ils allèrent devant César et ils défendirent la foi qu’ils professaient et les Pères qu’ils prêchaient, et ils revinrent de là avec grand triomphe" (Barhadbešabba ‘Abaia, Histoire II, p. 630). Dans sa Bibliothèque, Ebedjesu fait état, parmi les œuvres de Paul de Nisibe, d’un draša dluqbal qe’sar (c’est-à-dire controverse en présence de [ou avec] César) (Assemani, Bibliotheca Orientalis III (1), p. 88). Dans Histoire Nestorienne, PO VII (2), pp. 187-188, on trouvera plus de détails encore sur cette controverse. Lire aussi l’étude de Mercati dans Studi et Testi 5, 1901, pp. 180 ss (voir Mercati, Paolo il Persiano). Sur l’identité exacte de ce personnage, et sur le fait qu’il ne s’agit certainement pas de Paul le Perse, le philosophe, voir note importante dans Wolska, Recherches Topographie chrétienne, p. 67, n. 2. Cf. aussi R. Macina, art. cit. (ci-dessus n. 301), p.155, n. 83. La plus claire relation des principaux faits et gestes de ce Paul et de son activité lors de cette controverse, avec mention des sources, se trouve dans Vööbus, HSN, pp. 152-153 et 170-172. Sur la diffusion de la "doctrine" de Paul de Nisibe par l’intermédiaire du sommaire de Junilius, consulter également Vööbus, ibid., 193-195. 303 Cassiodore, Institutiones X, 1 (p. 34, ligne 11). 304 Adrianus, Introduction à l’Écriture, dans Migne. Sur ce personnage, on trouvera quelques informations dans les articles suivants : Mc Guire, Adrianus ; Mercati, Pro Adriano. Il existe aussi une édition critique de ce traité : voir Adrianus, Eisagôgè.

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l’honneur de figurer au Canon des Isagogés de Cassiodore305, aux côtés de Tyconus, le Donatiste, d’Augustin, d’Euchère de Lyon, et de Junilius.

2. Témoignages d’admiration pour l’École de Nisibe en Occident latin

a) C’est encore Junilius qui, dans l’adresse de son livret d’introduction à l’Écriture, déclare306 :

…Ad haec ego respondi, vidisse me quemdam Paulum nomine, Persam genere, qui in Syrorum schola in Nisibi urbe est edoctus, ubi divina lex per magistros publicos, sicut apud nos in mundanis studiis grammatica et rhetorica, ordine ac regulariter traditur.

b) Et de nouveau également, Cassiodore307 :

Cum studia saecularium litterarum fervere cognoscerem, ita ut multa pars hominum per ipsa se mundi prudentiam crederet adipisci, gravissimo sum, fateor, dolore permotus ut Scripturis divinis magistri publici deessent, cum mundani auctores celeberrima procul dubio traditione pollerent. Nisus sum cum beatissimo Agapito papa urbis Romae ut, sicut apud Alexandriam multo tempore fuisse traditur institutum, nunc etiam in Nisibi civitate Syrorum Hebreis sedulo fertur exponi, collatis expensis in urbe Romana professos doctores scholae potius acciperent Christianae, unde et anima susciperet aeternam salutem et casto atque purissimo eloquio fidelium lingua comeretur.

Ces deux témoignages doivent nous inviter à soupçonner que cette admiration n’est pas restée uniquement platonique, et a pu se concrétiser par une adoption des méthodes, voire une utilisation d’œuvres exégétiques nestoriennes, dont il serait intéressant de retrouver les traces. Nous avons vu que les deux auteurs de ces appréciations enthousiastes de l’École de Nisibe, sont aussi ceux qui ont adopté, pour leur étude personnelle et pour l’enseignement, un ouvrage d’introduction à l’étude de la Bible composé par le nestorien Paul de Nisibe. Incontestablement, y a là une piste à suivre.

3. Attestations d’une présence nestorienne (de scoliastes, voire d’écoles) en Afrique et à Rome

Dans son remarquable ouvrage consacré à l’histoire de l’origénisme chez les Grecs et chez les Syriens, A. Guillaumont rapporte les deux textes suivants, attestant la présence active de Nestoriens en Occident. Le premier est tiré d’une chronique syriaque anonyme, qui emprunte ses données sur ce point à Siméon de Kennesrin, théologien monophysite du 7e siècle, qui composa un traité contre Maxime et l’hérésie des Maximiniens.

Comme Maxime était monté en Afrique, il trouva là des scholiastes de Nisibe qui étaient nestoriens ; et ceux-ci ayant vu que sa doctrine s’accordait avec celle de Nestorius, leur maître, ils l’accueillirent. Puis il alla aussi auprès de Martin, le

305 Cassiodore, Institutiones X, 1 (p. 34, ligne 10). 306 Junilius Afer, Introduction de Instituta Regularia (p. 467, ligne 13 – p. 468, lignes 1 à 4). 307 Cassiodore, Institutiones, Introduction 1 (p. 3, lignes 1-13). On peut lire ma traduction de ce texte, ci-dessus, n. 36.

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patriarche de Rome, et il le séduisit. Et quand les Arabes entrèrent en Afrique, ces Nestoriens s’enfuirent et ils allèrent à Rome auprès de Martin ; celui-ci les reçut comme des gens qui pensaient comme lui et il leur donna un monastère pour y habiter308.

Nous avons un parallèle de cette relation, quoique plus sommaire. Il émane de Michel le Syrien, patriarche jacobite d’Antioche (12e siècle) :

Du temps de Constance, fils d’Héraclius, parurent les disciples de Platon. Leur chef, Maxime […] monta en Afrique, où il trouva des étudiants nestoriens. Ceux-ci, voyant qu’il s’accordait avec leur doctrine, l’accueillirent. Maxime monta à Rome et séduisit le patriarche Martin qui reçut ces étudiants et leur donna un monastère309.

308 Guillaumont, Kephalaia gnostica d’Évagre, p.179. 309 Ibid.

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© Menahem R. Macina

Version corrigée et mise à jour le 9 août 2017

Version corrigée, 18 juillet 2020