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L'IMMANENCE ET SON DEHORS Le problème de Pimmanence est au coeur de Qu est-ce que la philo- sophie ? L'enjeu de l'ouvrage est à cet égard double : il s'agit non seulement d'affirmer explicitement « Pimmanence de Pabsohi ' » ou Pimmanence absolue comme la tâche fondamentale, quoique non reconnue jusque-là, de la philosophie, mais, en outre et de façon corrélative, d'instaurer implicitement cette immanence absolue dans et par l'ouvrage lui-même comme un effet en retour des concepts qu'il déploie. Cette instauration est en effet pour Delcuze et Guattari inhérente à toute entreprise véritablement philosophique, qu'elle se réclame (rarement) de l'immanence ou qu'elle s'efforce (le plus souvent) d'échapper en vain à ce « vertige2 ». Il s'en déduit, d'un point de vue rétrospectif, que la philosophie du premier Deleuze comme celle élaborée avec Guattari dès L'Anti-OEdipe et Mille plateaux n'avaient en réalité pas d'autre visée ni d'autre effet et, d'un point de vue réflexif, que Qu 'est-ce que la philosophie ? ne peut tendre qu'à accomplir pleinement cette instauration par et dans son affirmation même. Si la dernière oeuvre de Deleuze et Guattari entend entier au coeur même de la philosophie, c'est pour d'autant mieux en effet la situer et l'immerger dans un ensemble plus vaste qu'elle et pouvoir atteindre ainsi du dedans même de la philosophie son dehors absolu, lequel ne sera vraiment absolu qu'à condition d'être le dehors absolu de tout ce qui est Cette entreprise est tout sauf simple. Elle suppose de dégager progres- sivement les léquisits de Pimmanence sans jamais cesser de leur obéir et de les mettre en oeuvre. Elfe suppose dépenser l'immanence tout en assurant l'immanence d'une telle pensée. Mais que requiert et qu'impliqué exacte- ment une telle pensée ? On ne peut pas penser Pimmanence sans à la ibis la concevoir, l'instaurer et Pabsolutiser et chacune de ces opérations ne peut s'accomplir sans aboutir à un paradoxe '. Loin de les éluder ou de les contourner, Qu 'est-ce que la philosophie ? assume implicitement ces trois paradoxes de la conception, de l'instauration tf.de! 'absolufixation JÉRÔME ROSAMVAU.ON 93 comme étant constitutifs de l'immanence et seuls à même de révéler ses conditions nécessaires. Omettre l'un de ces rcquishs conduit immédiate- ment à perdre la trace ou le tracé de l'immanence, c'est-à-dire à se perdre dans le brouillard formé par les illusions de transcendance qui toujours renaissent en elle sous de nouvelles formes. L'iMPENSÉ DETCH/TEPENSÉE : LESPLANS D'IMMANENCE Comment, tout d'abord, penser philosophiquement l'immanence sans nécessairement la concevoir, c'est-à-dire la conceptualiser? Les auteurs sont forcément contraints de créer un concept, celui de « plan d'immanence », pour baptiser ce qu'ils s'efforcent pourtant aussitôt de définir négativement comme n'étant ni « un concept, ni le concept de tous les concepts » ni même « un concept pensé ni pensable * ». Le concept de plan d'immanence sert ainsi à désigner ce qu'aucun concept ne peut égaler ni épuiser. Si les deux étaient confondus, si le plan d'immanence pouvait équivaloir à quel(s) que concept(s) que ce soifenH. «rien n'empêcherait les concepts de faire un, ou de devenir des universaux et de perdre leur singularité, mais aussi le plan de perdre son ouverture5 ». Serait ainsi entretenue la double illusion consistant à attribuer au concept l'unicité du plan et au plan l'unité du concept. Or, d'une part, un concept, quel qu'il soit, ne peut valoir seul et se définit nécessairement par rapport à d'autres concepts qui le situent en tant que tel L'idée de plan vise ainsi à désigner, non pas une réductrice bi-dimensionnalité, mais bien l'espace de situation réciproque que construisent ou plutôt explorent de proche en proche les concepts et qui ne se confond avec aucun d'entre eux : « les concepts pavent, occupent ou peuplent le plan, morceau par morceau, tandis que le plan lui-même est le milieu indivisible les concepts se répartissent sans en rompre l'intégrité, la continuité [...]. Ce sont les concepts mêmes qui sont les seules régions du plan, mais c'est le plan qui est l'unique tenant des concepts. Le plan n'a pas d'autres légions que les tribus qui le peuplent et s'y déplacent6» Et d'autre part, affirmer la nécessaire unicité du plan ne revient nullement à affirmer son unité : à l'instar de la substance spinoziste qui n'a pas d'autre unité ni d'autre contenu que la multiplicité et même l'infinité actuelle d'attributs infinis et des modes finis qui l'expriment, le plan deleuzo-guattarien n'aura lui-même finalement pas d'autre unité ni d'autre contenu que la multiplicité actuelle et l'infinité potentielle des plans et concepts dont il est ou peut être composé. Un concept ne pouvant donc jamais opérer qu'une unification locale,

L'immanence et son dehors

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L'IMMANENCEET SON DEHORS

Le problème de Pimmanence est au cœur de Qu est-ce que la philo-sophie ? L'enjeu de l'ouvrage est à cet égard double : il s'agit non seulementd'affirmer explicitement « Pimmanence de Pabsohi ' » ou Pimmanenceabsolue comme la tâche fondamentale, quoique non reconnue jusque-là, dela philosophie, mais, en outre et de façon corrélative, d'instaurerimplicitement cette immanence absolue dans et par l'ouvrage lui-mêmecomme un effet en retour des concepts qu'il déploie. Cette instauration esten effet pour Delcuze et Guattari inhérente à toute entreprise véritablementphilosophique, qu'elle se réclame (rarement) de l'immanence ou qu'elles'efforce (le plus souvent) d'échapper en vain à ce « vertige2 ». Il s'endéduit, d'un point de vue rétrospectif, que la philosophie du premierDeleuze comme celle élaborée avec Guattari dès L'Anti-Œdipe et Milleplateaux n'avaient en réalité pas d'autre visée ni d'autre effet et, d'unpoint de vue réflexif, que Qu 'est-ce que la philosophie ? ne peut tendrequ'à accomplir pleinement cette instauration par et dans son affirmationmême. Si la dernière œuvre de Deleuze et Guattari entend entier au cœurmême de la philosophie, c'est pour d'autant mieux en effet la situer etl'immerger dans un ensemble plus vaste qu'elle et pouvoir atteindre ainsidu dedans même de la philosophie son dehors absolu, lequel ne seravraiment absolu qu'à condition d'être le dehors absolu de tout ce qui est

Cette entreprise est tout sauf simple. Elle suppose de dégager progres-sivement les léquisits de Pimmanence sans jamais cesser de leur obéir et deles mettre en œuvre. Elfe suppose dépenser l'immanence tout en assurantl'immanence d'une telle pensée. Mais que requiert et qu'impliqué exacte-ment une telle pensée ? On ne peut pas penser Pimmanence sans à la ibis laconcevoir, l'instaurer et Pabsolutiser et chacune de ces opérations ne peuts'accomplir sans aboutir à un paradoxe '. Loin de les éluder ou de lescontourner, Qu 'est-ce que la philosophie ? assume implicitement cestrois paradoxes de la conception, de l'instauration tf.de! 'absolufixation

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comme étant constitutifs de l'immanence et seuls à même de révéler sesconditions nécessaires. Omettre l'un de ces rcquishs conduit immédiate-ment à perdre la trace ou le tracé de l'immanence, c'est-à-dire à se perdredans le brouillard formé par les illusions de transcendance qui toujoursrenaissent en elle sous de nouvelles formes.

L'iMPENSÉ DE TCH/TE PENSÉE : LES PLANS D'IMMANENCE

Comment, tout d'abord, penser philosophiquement l'immanencesans nécessairement la concevoir, c'est-à-dire la conceptualiser? Lesauteurs sont forcément contraints de créer un concept, celui de « pland'immanence », pour baptiser ce qu'ils s'efforcent pourtant aussitôt dedéfinir négativement comme n'étant ni « un concept, ni le concept detous les concepts » ni même « un concept pensé ni pensable * ». Le conceptde plan d'immanence sert ainsi à désigner ce qu'aucun concept ne peutégaler ni épuiser. Si les deux étaient confondus, si le plan d'immanencepouvait équivaloir à quel(s) que concept(s) que ce soifenH. «rienn'empêcherait les concepts de faire un, ou de devenir des universaux etde perdre leur singularité, mais aussi le plan de perdre son ouverture5 ».Serait ainsi entretenue la double illusion consistant à attribuer au conceptl'unicité du plan et au plan l'unité du concept. Or, d'une part, un concept,quel qu'il soit, ne peut valoir seul et se définit nécessairement par rapport àd'autres concepts qui le situent en tant que tel L'idée de plan vise ainsi àdésigner, non pas une réductrice bi-dimensionnalité, mais bien l'espacede situation réciproque que construisent ou plutôt explorent de procheen proche les concepts et qui ne se confond avec aucun d'entre eux :« les concepts pavent, occupent ou peuplent le plan, morceau par morceau,tandis que le plan lui-même est le milieu indivisible où les concepts serépartissent sans en rompre l'intégrité, la continuité [...]. Ce sont lesconcepts mêmes qui sont les seules régions du plan, mais c'est le planqui est l'unique tenant des concepts. Le plan n'a pas d'autres légions que lestribus qui le peuplent et s'y déplacent6» Et d'autre part, affirmer lanécessaire unicité du plan ne revient nullement à affirmer son unité : àl'instar de la substance spinoziste qui n'a pas d'autre unité ni d'autre contenuque la multiplicité et même l'infinité actuelle d'attributs infinis et desmodes finis qui l'expriment, le plan deleuzo-guattarien n'aura lui-mêmefinalement pas d'autre unité ni d'autre contenu que la multiplicité actuelle etl'infinité potentielle des plans et concepts dont il est ou peut être composé.Un concept ne pouvant donc jamais opérer qu'une unification locale,

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partielle, au sein d'un ou plusieurs plans parmi cette infinité, on comprendqu'en croyant pouvoir lester le plan d'un contenu unique, un monisme quelqu'il soh (matérialisme, spiritual isine, idéalisme absolu, etc.) crée seulementun i 11 usoirc universel transcendant sans jamais répondre au problème del'immanence. Le plan d'immanence ne peut donc être paradoxalementconçu que comme non concevable. Qu'en est-il cependant du termed'immanence : ne tend-il pas justement lui-même à qualifier le plan etdonc à lui donner sinon un contenu, du moias une fonnc d'unité minimale?En quoi ne constituerait-il pas finalement un universel comme les autres ?C'est que, tout l'enjeu de notre propos est de l'établir, l'immanence nedésigne en vérité rien d'autre qu'un ensemble d'opérations paradoxalesde pensée et d'impératifs ou réquisits qui en découlent

Le paradoxe inhérent à la conception est d'abord lui-mêmeredoublé : Dcleuze et Guattari ne conçoivent pas seulement l'immanencecomme la condition non conceptuelle de toute conceptualité, ils la pensentégalement et pareillement comme l'impensé de toute pensée. Interrogerl'immanence revient en effet pour eux à interroger ce qu'il en est de lapensée elle-même. Défini positivement, le plan d'immanence ne seraitainsi rien d'autre que « l 'image de la pensée, l'image qu'elle se donnede ce que signifie penser » ou de « ce que la pensée peut revendiquer endroit ' ». On sait que l'image de la pensée a une longue histoire dans laphilosophie deleuzienne puis dcleuzo-guattariennc. Là où Différence etrépétition concluait, contre l'image classique de la pensée (supposéedépendre de la seule bonne volonté — de vérité — du penseur), à lanécessité de défendre une « pensée sans image8 », Mille plateaux avaitdéjà pris acte du fait que toute pensée se fonde sur une image préalable,et que toute image historiquement établie ne peut jamais être dégagée etdéconstruite qu'en fonction et au nom d'une autre image appelée à laremplacer '. Nous verrons que Qu 'est-ce que la philosophie ? opère unedernière transformation radicale et décisive de ce concept La questionqui nous importe pour l'instant est de savoir s'il tend à résoudre oudépasser la conception nécessairement paradoxale de l'immanence : lapensée peut-elle en vérité se donner une image d'elle-même autrementque par concepts? N'est-elle pas alors contrainte d'évoquer une« compréhension non-conceptuelle » ou du moins « pré-conceptuelle »qui sera simplement diversement conceptualisée (toujours déjà pensé,vision directe, évidence, intuition, coïncidence, indicibilité, vécu, etc.)« suivant la manière dont le plan est tracéI0 » ? Toutes ces images de lapensée ont ainsi en commun de supposer implicitement ou de concevoir

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explicitement un pensable non concevable — au risque aloisderéquivocitépuisque, dans ces philosophics. suggèrent DeJeuze et Guattari, « les mêmeséléments peuvent apparaître deux fois, sur le plan et dans le concept,[...] Os entrent dans des composantes de concept et sont eux-mêmesconcepts, mais alors d'une tout autre façon qu'ils n'appartiennent au plancomme image ou matière"». En conceptualisant la distinction entrel'image que se donne la pensée d'elle-même et les concepts qu'eue crée, lesdeux auteurs, loin de reconduire la ligne de partage classique entre cequi pourrait être conçu et ce qui ne pourrait être que pensé, la déplacentde façon subreptice mais radicale en renvoyant l'ensemble de cesimages conçues comme pensables mais non concevables à un même planunique auquel toutes sont immanentes, c'est-à-dire au sein duquel toutes sesituent et qui constitue ainsi leur impensé commun dans la mesure où il n'estpensable du point de vue d 'aucune image de la pensée, c 'est-à-din? d 'aucun

doit être pensé, et ce qui ne peut pas être pensé. [. . .] C'est le socle de tousles plans, immanent à chaque plan pensable qui n'arrive pas à le penser.Il est le plus intime dans la pensée, et pourtant le dehors absolu. l! »

Deleuze et Guattari en déduisent le premier rcquisit de l'immanence :« non pas tant penser LE plan d'immanence, mais montrer qu'il est là. nonpensé dans chaque plan l3 ». La conception de l'immanence constitue ainsiune première opération de pensée qui ne consiste nullement à donner uncontenu conceptuel commun à tous les plans et tous les concepts possibles,mais seulement à montrer l'impensé nécessaire de toute pensée possible.Cette opération ne suppose aucun point de vue universel, aucune position desurplomb de l'ensemble des images de la pensée, mais peut et doit s'opérerde façon chaque fois singulière au sein et à partir de n'importe laquelled'entre elles, de façon à pouvoir d'abord passer de celle-ci à une autre etfinalement circuler entre toutes les images ou plans d'immanence singuliers.Cette circulation au sein de la pensée par le biais de son impenséfondamental nous conduit alors à la seconde opération inhérente àl'immanence que les deux auteurs nomment cette fois explicitement« instauration », En quoi le plan d'immanence, en plus d'être conçu commel'inconcevable ou pensé comme l'impensé. aurait-il à être instauré ?

L'INSTAURATION D'UNE RESTAURATION : LE PLAN D'iMMANENŒ

Une question préalable fondamentale semblerait devoir être posée :pourquoi l'immanence ? Pourquoi la philosophie aurait-elle à affirmer

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l'immanence prcfërentiellement à aune chose ou inêra à son contraire? Dupoint de vue de Qu 'est-ce que la philosophie ?, c'est là pourtant l'exemplemême du faux problème, de l'alternative trompeuse. Tout l'enjeu del'ouvrage est de montrer en vérité que l'immanence n'a rien d'un choixni d'une option philosophique parmi d'autres. Elle n'est assimilable ni àune thèse, ni à une hypothèse, ni à un postulat, ni même à une simpleaffirmation, car elle ne constitue en effet rien de moins que « le sol absolude la philosophie, sa Teirc ou sa dcHe^elle crée ses concepts " ». Concevoir l'immanence, c'est la concevoir doncnon comme un concept ni même comme un principe inhérent à la philoso-phie, mais bien comme une condition nécessaire et fondatrice de laphilosophie elle-même : « il y a Philosophie chaque fois qu'il y aimmanenceIJ » et à cette seule condition. Mais ce chapitre, « Le pland'immanence », n'enseigne-t-il pas réciproquement qu'il y a immanencechaque fois qu'il y a philosophie et à cette seule condition ? D faut attendrele chapitre 4, « Géo-philosophie », pour que ce conditionnement réciproqueparadoxal reçoive une lumière nouvelle et inattendue. Dcleuze et Guattari yinterrogent en effet non plus I"instauration de droit mais les « conditions defaitl6 » de la philosophie, et notamment ses conditions d'apparition dansla Grèce antique et reposent, à nouveaux frais et à partir des dernierstravaux menés à leur sujet, la question classique de savoir pourquoi laphilosophie aurait été le seul fait des Grecs et à quelles conditions onpeut ou non également « parler d'une "philosophie" chinoise, hindoue,juive, islamique " ». Pour y répondre, ils sont conduits à dédoublerl'immanence : il y aurait une inunanenœ préalable de ta pensée,rtècessaao-mcm commune à la philosophie grecque comme à toutes les autres pensées,que seule la première redoublerait par Vimmanence consistante du concept— « l'immanence est redoublée ». Le milieu sociopolitique propre auxcités grecques constitue lui-même en effet un « milieu d'immanence " »qui conduit à peupler de concepts le « plan d'immanence de la pensée »,là où l'organisation strictement étagée, verticale, c'est-à-dire «transcen-dante» des autres milieux (empires, monothéisme*) ne peut le laisser sepeupler que défigures qui y produisent un effet de transcendance au lieude redoubler l'immanence ". Or le plan d'immanence pré-philosophique dela pensée «est affecté par ce qui le peuple, et qui réagit sur lui, de tellemanière qu'il ne devient philosophique que sous l'efièt du conceç*.: supposépar ki philosophie. Un 'est pas moins instaurépar âfc [...]. Dans le cas desfigures, au contraire, te pté-philosophique rnonlreqije le plan d'immanencelui-même n'avait pas pour destination inévitable une création de concept

JÉRÔME ItOSAN Y AliON 97

ou une formation philosophique, mais pouvait se déployer dans dessagesses et des religions suivant une bifurcation qui conjurait d'avancela philosophie du point de vue de sa possibilité même. [...] Pour que laphilosophie naisse, il a fallu une rencontre entre le milieu grec et le pland'immanence de la pensée.30» Ainsi un plan d'immanence a bienprécédé la philosophie sans l'impliquer ni la supposer nécessairement,et n'est devenu philosophique qu'en rencontrant fortuitement un milieupropice à la création de concepts.

Le paradoxe de l'instauration de l'immanence se présente donc ainsi : laphilosophie non seulement présuppose ce qu'elle instaure mais n 'instauremême jamais gué ce qu'elle présuppose à titre de condition de cetteinstauration, à savoir l'immanence inhérente à la pensée. Ainsi« l'instauration de la philosophie se confond avec la supposition d'unplan pré-philosophique: ' », lequel « n'est ainsi nommé que parce qu'onle trace comme présupposé, et non parce qu'il préexisterait sans êtretracé n ». Or comment l'immanence de la pensée peut-elle à la fois précéderla philosophie et ne pas lui préexister ? L'analyse dcleuzo-guattariennc ducas grec offre la réponse : seuls les concepts dont la peuple, c'est-à-direque crée et peut grâce à elle connecter la philosophie donnent uneconsistance à cette immanence qui reste sinon seulement latente — soitparce qu'elle se confond encore, nous le verrons, avec l'inconsistanceabsolue du chaos, soit parce que l'illusion encore prédominante detranscendance la masque comme telle. La transcendance n'a nullementen effet le statut d'affirmation contradictoire de l'immanence ni depostulation extérieure à la pensée, mais seulement celui d'illusion inhérenteau plan d'immanence de la pensée. Ces illusions de transcendance lui sontinhérentes parce qu'elles marquent en effet autant de vaines tentatives de lapensée d'échapper à l'immanence qui lui est inhérente : ou bien ellesprécèdent la philosophie et en conjurent la possibilité (illusions pré-conceptuelles de transcendance, quand les figures peuplent encore leplan) ou bien elles accompagnent la philosophie et sont entretenues parelle (illusions soit conceptuelles, quand les concepts, devenus universaux,tendent à se transformer en figures ou que la transcendance devient elle-même un concept, soit trans-conceptuelles, quand les impératifs de l'imma-nence ne sont pas remplis). Instaurer philosophiquement l'immanence viseainsi à donner conceptuel lement consistance au plan d'immanence de lapensée en débusquant et démasquant toutes ces illusions qui l'encombrenttoujours déjà et ne cessent de renaître en son sein : cette instauration n 'estainsi rien d'autre que la restauration de ce qui la conàtàotine.

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Cette deuxième opération constitutive de l'immanence accompagneet prolonge ainsi la première : restaurer le plan d'immanence de la penséerevient à dresser une image de la pensée qui renvoie toute transcendance àson statut illusoire, se confond donc entièrement avec son immanence etconstitue ainsi l'impensé commun à toutes les images de la pensée ouplans d'immanence déjà ou pas encore tracés. Mais la non-unicité decette restauration devient alors elle-même paradoxale : d'où viennent eneffet tous ces tracés, toutes ces instaurations, pourquoi d'innombrablesplans se superposent-ils et se recoupent-ils les uns les autres ? Cetteinstauration restauratrice ne serait-elle jamais définitivement accomplieni achevée par la philosophie qu'elle doive toujours être recommencée ?Dans Qu 'est-ce que la philosophie ?, Spiroza sert précisément à nommertant cet achèvement irréversible, en étant hissé au rang de « prince » et de« Christ des philosophes » pour avoir seul su penser cet impensé de lapensée et avoir ainsi « achevé la philosophie, parce qu'il en a rempli lasupposition pré-philosophique », que son nécessaire recommencement,en étant hissé au rang de modèle et d'« inspiration » pour réinstaurer unplan au moins aussi «pu r» que le sien «qui ne se donne pas au transcendantni ne redonne du transcendant » et « inspire le moins d'illusions » : « serons-nous jamais mûrs pour une inspiration spinoziste 2Î ». De cette léinstaurationqui n'est donc jamais que le recommencement d'un achèvement se déduitle second réquisii de l ' immanence : rendre la pensée à son immanence, larendre sans dehors, autrement dit lapenser comme ne laissant rien subsisterqui soit extérieur ni préalable à elle ; ce qui revient à montrer que sonimpensé n 'est pas impensable. Tel est le secret du spinozisme et la seulefaçon, pour la philosophie, non seulement de dissiper les illusions detranscendance, mais de minimiser leur risque de réapparition, étantdonné qu'elles se résument essentiellement à des effets, inhérents auplan, de projection hors de lui : illusion d'un dehors de la pensée — choseimpensable, chose sans pensée ou objet de pensée — , «'un dehors de lanature — pré-nature, sur-nature ou post-nature — f^'une extérioritéréciproque de la nature à la pensée comme de la pensée à la nature.L'instauration de l'immanence résorbant ainsi tout dehors du plan appellealors une dernière opération censée accomplir son absolutisation : suffit-il depenser l'absence de dehors de la pensée pour rendre l'immanence absolue?

LE DEHORS DU SANS DEHORS : L' IMMANENCE ABSOLUE

Dclcu/e et Guattari insistent à maintes reprises sur le fait que lïmma-nence ne se rapporte à aucun datiÇ qu'elle n'est jamais immanente à qui ou

JÉRÔME ROSAN VALLON 99

quoi que ce sort : « L'immanence ne l'est qu'à soi-même, et dès lors prendtout, absorbe Tout-Un, et ne laisse rien subsister à quoi elle pourrait êtreimmanente.-'1» Le plan d'immanence de la pensée ne signifie ainsinullement que l'immanence appartient au seul fait de penser maisseulement que le fait de «penser consiste à tendre un plan d'immanencequi absorbe la terre25 ». Cette absorption ou « déterritorialisation absolue »constitue l'effet de l'instauration du plan et signifie fondamentalement quela pensée n'a aucune extériorité, que rien ne lui est extérieur, mais toutautant qu'elle n'a aucune intériorité, qu'elle ne peut être attribuée àaucun lieu privilégié, qu'elle n'est l'attribut d'aucune substance ni d'aucunsujet Qu 'est-ce que la philosophie ? accomplit une telle absorption enopérant dès le début du chapitre 2 une double identification correspondantà deux gestes théoriques majeurs : d'une part, nous Pavons vu. / 'imagede la pensée est strictement identifiée au plan d'immanence, celui-cin'étant défini que par celle-là ; mais d'autre part et corrélativement,/ 'image de la pensée est strictement identifiée à « la matière de l être »,celle-là n'étant que le revers de celle-ci26. Cette double identificationcorrélative tend à dresser une image de la pensée qui vise à minimisertoute illusion de transcendance, de la pensée par rapport à l'être(transcendance du sujet ou d'un transcendantal quel qu'il soit) comme del'être par rapport à la pensée (transcendance d'un être divin ou du mondeextérieur) ". D'une part, étendre la pensée à l'ensemble du plan permetde ne pas en faire l'attribution d'un sujet et de refuser ainsi l'idée que lapensée s'origine fondamentalement dans une intériorité supposée(illusion phénoménologique) ; d'autre part, superposer la pensée à l'êtrecomme les deux faces du même plan permet de ne pas en faire lareprésentation d'un objet et de refuser ainsi pareillement l'idée que lapensée se réfère nécessairement à une extériorité donnée (illusionanalytique). Le plan ainsi instauré répond à la nécessité de penser unepensée sans sujet ni objet : le plan d'immanence de la pensée-être oupensée-nature sous-jacent à tous les plans d'immanence ou images de lapensée semble ainsi ne devoir contenir ni dehors ni dedans absolu maisseulement des extériorités et intériorités relatives et inhérentes au plan,simples résultantes de ses pliures.

Quelque chose continue cependant d'échapper à l'immanence ainsidéterminée et ne se laisse ni absorber par elle ni résorber complètement eneue. Ce quelque chose, c'est justement ce dont finit par se distinguer ou sedémarquer le plan d'immanence de la pensée-nature auquel donnentconsistance et en quoi consistent eux-mêmes les concepts philosophiques,c'est ce au sein et à partir seulement de quoi de l'être et de la pensée,

100 L'IMMANENCE ET Sft¥ DEHORS JÉRÔME ROSANVAllON 101

indissociables revers l'un de l'autre, peuvent prendre consistance, c'estle fond nécessairement inconsistant conditionnant toute consistancepossible que Delcuzc et Guattari nomment chaos. L'immanence ne sénatainsi qu 'une prise de consistance du chaos conçu comme inconsistancefondamentale et donc comme irréductiblement autre qu 'elle. Le chaos neréintroduirait-il pas dès lors une forme de dehors ou dedans irréductible àl'immanence ? Ne constituerait-il pas, au-delà même du plan d'immanenceenvisagé comme « dehors plus lointain que tout monde extérieur, parcequ'il est un dedans plus profond que tout monde intérieur3 », c'est-à-dire comme dépliage en droit de toutes ses pliures de ait, un dehors / dedansplus fondamental encore que toute absence d'extériorité /intériorité de cemême plan ? Concevoir et instaurer l'immanence, fût-ce en tant que plande pensée-nature impensé de tous les autres plans, ne semble ainsi nullementsuffire à Pabsolutiser, c'est-à-dire à penser l'« immanence de l'absolu » oul'immanence absolue, dans la mesure où, ainsi déterminée, elle laisseirrémédiablement hors d'elle ce résidu irréductible d'inconsistance et nepeut donc nullement être absolue. Mais il y a plus grave. Si le chaos resteintrinsèquement hors du plan de pensée-nature, il ne marque pasl'insuffisance, le défaut d'absoluité de l'immanence du plan sans semblermenacer simultanément sa prétention même à l'immanence : commentéviter, d'une part, que le chaos ne transcende le plan, et d'autre part, que leplan ne soit lui-même considéré comme immanent au chaos érigé endatif auquel il serait attribué? L'absohitisation de l'immanence constituel'opération nécessaire à l'accompagnement l'achèvement et l'assise desdeux autres en tant qu'elle doit affirmer l'immanence de l'absolu, c'est-à-dire la fonder de façon absolue. Son paradoxe est de n'y parvenir qu'enlaissant subsister un dehors de l'immanence dont l'instauration absorbepourtant tout dehors : ce dehors absolu de tout ce qui est sera en mêmetemps son dehors non absolu — le plan d'immanence absorbant tout cequi est, ne peut en effet avoir pour dehors que le dehors absolu.Absolutiscr l'immanence implique ainsi de l'adossera un dehors qui està la fois irréductiblement et non absolument autre qu 'elle : le concept dechaos que construisent Deleuze et Guattari répond précisément à cedouble impératif et son appel àpenser l'impensable

Pourquoi le chaos ne peut-il, en premier lieu, se résorber dansl'immanence du ou des plans ? Quel écart irréductible les deux auteurslaissent-ils subsister entre lui et les plans d'immanence qui le recoupent ? Sil'écart est irréductible et la confusion des deux impossible, c'est en premierlieu parce que ce fond chaotique laisse, pour eux, prise à d'autres plans

de pensée qui sont eux-mêmes irréductibles au plan d'immanence queseul instaure ou restaure la philosophie. « Le chaos a trois filles suivantle plan qui le recoupe : ce sont les Chaoïdes, Pan; la science et la philoso-phie, comme formes de la pensée ou de la création. ̂ » Ces trois plans nesont eux-mêmes que des produits et devenirs-finis du chaos infinimentinfini : le plan philosophique est donc, grâce aux concepts, un « chaosrendu consistant, devenu Pensée, chaosmos mental », le plan scientifique,grâce aux fonctions, un «chaos réfère qui devient Nature», le planartistique, grâce aux affects et percepts, un « chaos composé qui devientsensible " ». Se crée ainsi dans les trois cas une forme de pensée-naturequi donne une consistance respectivement infinie, limitée ou éternelle auchaos—lequel reste inépuisable du fait de son inconsistance fondamentale.Réservoir inépuisable en réserve de toute consistance, à la fois non-être etnon-pensée, le chaos deleuzo-guattarien joue ainsi le même rôle quel'Être heideggérien qui « ne peut pas être. Serait-il, qu'il ne resterait plusl'Être, mais serait un étant'1 ». De même, le chaos est-il déterminécomme tel qu'il n'est plus le chaos mais un concept de chaos qui le recoupedéjà seulement partiellement N'étant en soi pas plus un concept qu'uneimage de la pensée, le chaos ne constitue que le fond sans-fond de tous lesplans ou images qui, n'en étant que le recoupement partiel, s'efforcenten même temps toujours de le conjurer en lui assignant une place encreux qui ne peut que le manquer. Là où le plan d'immanence est l'impenséque nous réengage toujours à penser la philosophie, le chaos est doncl'impensable que ne cesse d'affronter toute pensée, qu'elle soit ou nonphilosophique : « le plan de la philosophie est pré-philosophique tantqu'on le considère en lui-même indépendamment des concepts quiviennent l'occuper mais la non-philosophie se trouve là où le plan affiontele chaos *». Là où le fait de concevoir l'immanence la rapportait auphilosophique et le fait de l'instaurer au pré-philosophique, le fait del'absolutiser la rapporte ainsi au non-philosophique. La non-philosophie, ledehors de la philosophie, recouvre toutefois deux réalités distinctes, à savoir,d'une part, le chaos comme dehors absolu de toute pensée-nature et,d'autre part, d'autres plans de pensée comme dehors irréductible au pland'immanence de la pensée.

Pourquoi, en second lieu, le chaos n'est-il pas cependant absolumentautre que F immanence ? Comment te risque de transcendance d'un chaosdont l'immanence ne serait qu'un attribut est-il conjuré ? Ou 'est-ce que laphilosophie ? déjoue toute illusion de transcendance du chaos en le pensantcomme étant non pas absolument autre mais seulement toujours plus que

102 LÏWUNEHCE ET 50# DEHORS JÉRÔME ROSANVAaON 103

tout plan pouvant venir le recouper: le plan d'immanence ne peuts'instaurer qu 'en soustrayant queiqw dtase du chaos et en se soustrayanthà-mème au chaos. Selon l'optique lumineusement défendue par Bergsonpour penser la perception dans le premier chapitre de Matière et mémoire,tout engendrernent ou création doit en effet être pensé, non comme uneémanation, une émergence ou une synthèse, qui veulent toujours ajouterquelque chose à ce qui est déjà, c'est-à-dire en fin de compte créer quelquechose à partir de rien (transcendance), mais comme une sirnple soustraction,un retranchement de et à ce qui est déjà B. Cet impératif qui découle dudernier paradoxe constitutif dei'immanence est décisif : il invite à ne rien sedoraw d'autre qui ne soit oigaidré à partir d\ donné initial et à œasidércrce qui est engendré comme étant seulement moins et donc jamais absolumentautre que ce qui engendre. Que le plan d'immanence s'engendre à partir duchaos, en recoupant le chaos, signifie ainsi qu 'il en extrait par concepts moinsque ce que le chaos est, et que le chaos n'est pas absolument autre que cequ'il en extrait (virtuel). Si les deux auteurs parviennent à concevoir le chaoscomme ne transcendant nullement ce qu'il engendre, c'est grâce à l'usagequ'ils font du concept, cher à Guattari. de vitesse infinie qui intervientcomme composante à la fois du concept de chaos et du concept de conceptLe chaos se définit ainsi comme la variation infinie à vitesse infinie dontchaque plan d'immanence prélève une infinité de mouvements infinis queles concepts, mouvements finis à vitesse infinie, rendent consistants en ensaisissant seulement les contours ; il n'est pas jusqu'aux illusions de transcen-dance elles-mêmes, c'est-à-dire aux effets de projection d'une extériorité surle plan qui ne peuvent être comprises dans cette optique comme issues d'unesuspension ou d'un arrêt arbitraire de l'un de ces mouvements qui dorme alorsl'impression de tomber hors du plan—pour créer un effet de transcendance,« il suffit d'arrêter le mouvementM ». Là où le plan d'immanence recoupel'inconsistance variant à vitesse inf in ie du chaos sans jamais pouvoirrépuiser, le chaos, en miroir, sous-tend la consistance saisie à vitesseinfinie du plan sans jamais pouvoir la fonder. Le couplage de la vitesseinfinie de variation du chaos à la vitesse infinie de saisie du concept permetde ne pas attribuer l'immanence au chaos sans rendre en même temps lechaos à l'immanence et de penser ainsi l'absoluitc de l'immanence oul'immanence de l'absolu

Le dernier Uvre de Deleuze et Guattari est sans doute l'ouvrage dephilosophie qui a su d'un seul et même geste concevoir avec le plus de

précision et instaurer avec le plus de profondeur l'immanence absolue. Leplan d'immanence tel qu'il est explicitement conçu et inplicrtement instauré

> G-

vaste, plus englobante, qui engage le rapport de la philosophie non plusseulement à son dehors relati f, à ses pré-conditions de pensée, mais à sondehors absolu, à ses conditions de non-pensabilité. La philosophie sort alorsd'elle-même pour s'immerger dans la non-philosophie : selon un premiercircuit, elle se frotte aux composantes non philosophiques de l'image de lapensée, à savoir aux plans scientifique et artistique conçus comme irré-ductibles à la philosophie et pourtant revendiqués par l'image que Ou 'est-ce

ample simultanément tracé, elle se confronte aux composantes seulementpartiellement philosophiques de l'image de l'impensable, à savoir au chaoscomme source a priori non pensable de toute pensabilité qui est pourtantelle-même conceptualisée. Mais la philosophie n'opère-t-elle pas en mêmetemps cette immersion dans le dehors absolu qui est son dehors non absolusans jamais sortir d'elle-même ? Pense-t-elle finalement le dehors absolu dela pensée àuliauflU que son plus intime ou plus familier dedans ?

Si l'immanence est ainsi absohrtisée, ce n'est pas seulement parce quele rapport même de l'immanence au chaos respecte les impératifs d'imma-nence issus de ces opérations et paradoxes constitutifs, c'est parce quel'ouvrage pense de façon univoque l'ordre du conceptuel, du pré-conceptuelet du noitconceptuel en instaurant un plan commun à la pensée, à son insenséet à son impensable, \fcriation, mouvement et vitesse infinis constituent ainsile seul contenu de pensée qui trace d'un seul et même mouvement le chaosinépuisable, les plans d'immanence qui le recoupent et les concepts qui leurdonnent consistance. L'immanence ne deviendrait ainsi absolue qu'en serendant capable de tout rendre de façon univoque à la variation/

Jérôme ROSANVALLON

1. $ltes Deleuze et Félix Guattari, Qu 'est-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit, 1991,P.88.2. AU, p. 50.3. Voir la belle monographie de Pierre Montebello, Deleuze, Vrin, 2008. S'inspirant dela série de paradoxes de Unique du sens et de l'idée réaffirmée dans Qu 'est-ce que laphilosophie '.'. que « la philosophie se développe dans le paradoxe » (p. 80), il proposede parcourir l'ensemble de l'oeuvre de Deleuze (et Guattari...) à partir de ses paradoxesconstitutifs (immanence, univociié, consistance, etc.) en dégageant les opérationssupposées par chaque paradoxe. Nous inspirant de ces analyses, nous/proposons quant

104 L'IMMANENCE ET 5M DEHORS

à nous de dégager les paradoxes inhérents aux opérations elles^nànes qui sontconstitutives de I hnmanenœ, errvisagée comme problème à ̂ ̂de toute l'œuvre.4. Qu 'est-ce que la philosophie ?, p. 38-39.

6.Hxd.p.yi.7. lbid.,p.39-4Q.8. Qlles Deleuze, Différence et répétition. Paris. RU .F, 1968, p. 169-217.9. \toir Gilles Deleuze et Félix Guattari. Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980, p. 466, oùles deux auteurs évoquent l'idée encore programmatique de «noologte» qui sedéfinirait comme « l'étude des images de la pensée et de leur historicité ».10. Qu 'est-ce que la philosophie ?, p. 43.11. Ibid., p. 42 (nous soulignons).tt.lbid '

14. Ibid., p. 44.\$.Ibid.,p.46.16./Mi. p. 84.

18. Ibid., p. 83-85. « Milieu d'immanence » recouvre chez Deleuze et Guattari uncertain nombre de traits qui sont indissociablement géographiques {« structurefiactale » de la côte égéenne — fait que reprend David Cosandey pour expliquer lesupposé miracle grec sous le nom d'« hypothèse thalassographique », voir Le Secretde l'Occident, Flammarion, « Champs », 2007), géopolitiques, économiques (citésnon unifiées mais seulement liguées à la périphérie des empires archaïques et dontIV empire » maritime n'est que commercial, voir aussi sur ce point Mille plateaux,p. 538-541 et 560-564), politiques et sociales (sociétés d'hommes libres, sur fondcertes d'esclavagisme, qui nouent des liens d'amitié autant que de rivalité et discutentde leurs opinions respectives pour produire des effets ou en évaluer le bien-fondé),19. Qu 'est-ce que la philosophie ?, p. 86-88 : « les figures sont des projections sur leplan, oui impliquent quelque chose de vertical ou de transcendant ; les concepts enrevanche n'impliquent que des voisinages et des raccordements sur horizon ».20. Ou 'est-ce que la philosophie ?, p. 89 (nous soulignons).2!./W,p.46,22. Ibid, p. 15.23. Ibid. p. 49-50 et 59.24. Art, p. 47.25. Ibid, p. 85.26. JW, pi «Ml,27. Le commentaire de Pierre Montebello souligne très bien ce double enjeu : Deleuze,op. cit, p. 43.28. Ou 'est-ce gué la philosophie ?, p. 59.29. fbid., p. 196.30./&&,p. 1% et 194.31. Martin Heidegger, Questions let II, Paris, Gallimard. « Tel », 1990, p. 421.32. Ibid,, p. 205-206.33AbirsurœrK>intleioutaussihimirK^impératifs deteuzo-guattariens de l'immanence: « pour Bergscru la rxrccption n'est pasune synthèse mais une ascèse. [...] La perception ne connecte pas, die déconnecte. Ellen'informe pas un contenu mais incise un ordre, tille n'enrichit pas la matière, mais aucontraire l'amoindrit ». « Soustraction etcontractîan. A proposd'une remarque de Deleuze

, dans Philosophie, rf 96,hivçr2007, Minuit, p. 74.

GÉOPHILOSOPHIEDE LA MUSIQUE

Deleuze et Guattari n'ont pas cherché à théoriser Part à partir d'uneidée générale de ce que celui-ci devait être ; Us n'ont pas donné à laphilosophie une position de surplomb vis-à-vis des œuvres. Tout aucontraire, si une position leur semblait devoir être défendue, c'était cellede l'infériorité gombrowiczienne ou celle de la soustraction à la CarmeloBene. Produire un rapport critique à Shakespeare non en écrivant un texte-commentaire sur lui, mais en développant une pièce de théâtre à partird'une opération de soustraction d'un personnage, « Hamlet moins un ».Non pas produire des métadiscours, mais procéder à des opérationssoustracli ves qui jettent un éclairage latéral sur les mécanismes vitaux àl'œuvre dans les champs analysés. Or, c'est un semblable déplacementqu'opéré la philosophie quand elle substitue à la question de ce qu'estl'art cette autre question de ce quejÏHÏ l'art, de ce qp'ilfoitfaire à celuiqui te regarde aussi bien qu'à celui qui le fait, déclinant ces actions danstoutes leurs dimensions possibles. C'est ainsi que la question de l'espacemusical est abordée non sous l'angle des positions, des coordonnées oudes distances, mais sous l'angle du territoire et de la terre. En quoi cetabandon d'une définition abstraite et géométrique de l'espace au profitd'une conception concrète et incarnée procède-t-il d'une opérationsoustractive semblable à celle des artistes cités ?

PREMIÈRE ACTION, LE TERRITOIRE

Tout comme la philosophie, l'art est en profond rapport avec la terre.« Penser ne se fait pas dans les catégories du sujet et de l'objet, mais