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PRINCIPAUTÉ TERRITORIALE, RELIQUES ET PAIX DE DIEU. LE COMTÉ DE FLANDRE ET L'ABBAYE DE LOBBES À TRAVERS LES MIRACULA S. URSMARI IN ITINERE PER FLANDRIAM FACTA (VERS 1060) Paulo Charruadas Université Lille-3 | Revue du Nord 2007/4 - n° 372 pages 703 à 728 ISSN Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-du-nord-2007-4-page-703.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Charruadas Paulo, « Principauté territoriale, reliques et Paix de Dieu. Le comté de Flandre et l'abbaye de Lobbes à travers les Miracula S. Ursmari in itinere per Flandriam facta (vers 1060) », Revue du Nord, 2007/4 n° 372, p. 703-728. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Université Lille-3. © Université Lille-3. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 78.29.195.45 - 28/04/2013 09h26. © Université Lille-3 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 78.29.195.45 - 28/04/2013 09h26. © Université Lille-3

Principauté territoriale, reliques et Paix de Dieu. Le comté de Flandre et l’abbaye de Lobbes à travers les Miracula S. Ursmari in itinere per Flandriam facta (vers 1060)

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PRINCIPAUTÉ TERRITORIALE, RELIQUES ET PAIX DE DIEU. LECOMTÉ DE FLANDRE ET L'ABBAYE DE LOBBES À TRAVERS LESMIRACULA S. URSMARI IN ITINERE PER FLANDRIAM FACTA (VERS1060) Paulo Charruadas Université Lille-3 | Revue du Nord 2007/4 - n° 372pages 703 à 728

ISSN Article disponible en ligne à l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-du-nord-2007-4-page-703.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Charruadas Paulo, « Principauté territoriale, reliques et Paix de Dieu. Le comté de Flandre et l'abbaye de Lobbes àtravers les Miracula S. Ursmari in itinere per Flandriam facta (vers 1060) », Revue du Nord, 2007/4 n° 372, p. 703-728. --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Au printemps de l’année 10602, un petit groupe de moines de l’abbayebénédictine Saint-Pierre de Lobbes se met en route avec les reliques de leur

*. — Paulo CHARRUADAS, Doctorant à l’Université libre de Bruxelles et chercheur associé au Pôled’Attraction Interuniversitaire (PAI), « Ville et société dans les Pays-Bas, 1200-1800 », Université libre deBruxelles (ULB), Faculté de Philosophie et Lettres, Département d’Histoire, Art et Archéologie (CP175/01), Avenue F.D. Roosevelt, 50, B-1050 Bruxelles, Belgique, email: [email protected]. Abréviationsutilisées: AASS: Acta Sanctorum; BHL: Bibliotheca Hagiographica Latina; CRH: Commission Royaled’Histoire; GT: L. Index scriptorum operumque Latino-Belgicorum Medii Aevi. Nouveau répertoire desœuvres médiolatines belges, 3 vol., L. Génicot et P. Tombeur dir., Bruxelles, Académie royale de Belgique,1973-1979; MGH: Monumenta Germaniae Historica; NS: Répertoire électronique en ligne des sourcesnarratives des Pays-Bas avant 1500 (www.narrative-sources.be); SS: coll Scriptores.1. — On trouvera la meilleure édition des Miracula sancti Ursmari in itinere per Flandriam facta,mais malheureusement incomplète, dans les MGH, SS, 15/2, O. HOLDER-EGGER éd., Hanovre, 1888,p. 837-842. Pour une édition intégrale, il faut se reporter aux AASS, Apr. 2, G. HENSCHEN éd., Paris-Rome, 1866, p. 570-575 et AASS Belgii Selecta, t. VI, J.H. GHESQUIÈRE éd., 1794, p. 295-308 (BHL8425 ; GT, vol. 2, p. 231 ; NS U008). La bibliographie relative à l’œuvre est aussi considérable quela littérature relative à l’abbaye de Lobbes, au culte des reliques, à leurs déplacements et à leur utili-sation dans le mouvement de la Paix de Dieu. Nous ne donnons ici que les titres les plus significa-tifs : J. WARICHEZ, avec la collaboration de D. VAN BLEYENBERGHE, L’abbaye de Lobbes. Depuis lesorigines jusqu’en 1200. Étude générale et spéciale, Tournai, Casterman, 1909 ; H. HOFFMANN,Gottesfriede und Treuga Dei, Stuttgart, A. Hiersemann, 1964, p. 146-147 ; P. HÉLIOT etM.L. CHASTANG, « Quêtes et voyages de reliques au profit des églises françaises du Moyen Âge »,Revue d’Histoire ecclésiastique, t. 59, 1964, p. 789-822 et 60, 1965, p. 5-32 ; H. PLATELLE, « La vio-lence et ses remèdes en Flandre au XIe siècle », Sacris Erudiri, t. 20, 1971, p. 101-173 ; P.A. SIGAL,« Les voyages de reliques aux onzième et douzième siècles », dans Voyage, quête, pèlerinage dansla littérature et la civilisation médiévales. Actes du 2e Colloque du Centre d’Études et deRecherches médiévales d’Aix-en-Provence, 1976, p. 74-103 ; M. DE JONG, « Monniken, ridders engeweld in elfde-eeuws Vlaanderen », dans Beschaving en geweld. Antropologische en historischekritiek op de civilisatietheorie van Norbert Elias (Sociologische Gids, numéro thématique mai-août1982, 39e année), 1982, p. 279-295 ; G. KOZIOL, « Monks, Feuds and the Making of Peace inEleventh-Century Flanders », dans The Peace of God. Social Violence and religious response inFrance around the year 1000, Th. Head et R. Landes éd., Ithaca, Cornell University Press, 1992,p. 239-258 ; R. KAISER, « Quêtes itinérantes avec des reliques pour financer la construction deséglises (XIe-XIIe siècles) », Le Moyen Âge, t. 101, 1995, p. 205-225 ; E. BOZÓKY, « Voyage dereliques et démonstration de pouvoir aux temps féodaux », dans Voyages et voyageurs au MoyenÂge. XXVIe Congrès de la Société des Historiens Médiévistes de l’Enseignement supérieur public(Limoges-Aubazine, mai 1995), Paris, 1996, p. 267-280 ; D. BARTHÉLEMY, L’An mil et la Paix deDieu. La France chrétienne et féodale, 980-1060, Paris, Fayard, 1999, spécialement p. 536-546.2. — Si l’année 1060 est citée couramment dans la littérature, on s’étonnera du fait que ce millésimen’est jamais mentionné dans les Miracula, ni même dans aucune autre source narrative de l’abbaye

PAULO CHARRUADAS*

Principauté territoriale, reliques et Paix de Dieu. Lecomté de Flandre et l’abbaye de Lobbes à travers lesMiracula S. Ursmari in itinere per Flandriam facta

(vers 1060)1

REVUE DU NORD, TOME 89 - N° 372, OCTOBRE-DÉCEMBRE 2007, P. 703-728

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saint patron, Ursmer. Le voyage3 qui les attend, un parcours de près de 600kilomètres accompli en deux mois4, est une vaste tournée processionnelle quiva les mener dans les principales agglomérations du comté de Flandre.Durant ce périple, si le cortège rencontre évidemment la liesse populaire, ilest surtout confronté à des situations qui permettent à Ursmer, à travers sesreliques, d’endosser un rôle de saint et d’intercesseur efficace : Ursmer faitbien sûr des miracles – il endigue les épidémies, il guérit les hémorragies etles grandes infirmités, il soigne les fièvres et les maux de dents, il allume descierges, fait pleuvoir et met à bas les portes d’églises barrées à son intention –,mais surtout, il joue un rôle considérable de pacificateur au milieu desguerres de vengeance qui touchent le milieu des chevaliers flamands. Septchapitres sur vingt-deux (§V, §VI, §IX, §XII, §XVI, §XVIII et §XXI) se consa-crent, en tout ou en partie, à l’action d’apaisement menée par Ursmer et sesaccompagnateurs.

Mais quels furent exactement les objectifs et les circonstances d’un telvoyage? S’interroger sur ce point apparaît indispensable, d’une part, parceque les Miracula S. Ursmari in itinere per Flandriam facta (dorénavantMiracula) ont été jusqu’à présent abondamment utilisés et presque unanime-ment interprétés, alors qu’aucune critique de fond ne leur a encore été consa-crée. D’autre part, parce que la recherche actuelle manque cruellement d’uneétude sérieuse sur l’abbaye de Lobbes aux XIe et XIIe siècles. L’historiographiepose, par tradition, des justifications contestables du voyage : affirmer lesdroits de l’abbaye sur certaines de ses possessions – menacées et/ou usurpées –en Flandre ; récolter des fonds en vue de redresser le monastère et de terminerla (re)construction de l’église abbatiale5 (celle-ci, remontant au début du

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2. — (suite) de Lobbes. On sait seulement que la marche fut organisée sous l’abbatiat d’Adelard(1053-1078), après le conflit entre Baudouin V de Flandre et l’empereur Henri III, terminé en 1056après la mort d’Henri. Cela donne comme date vraisemblable la fin des années 1050 ou l’une desannées de la décennie 1060. C’est Oswald Holder-Egger, dans son édition des MGH, p. 838, note 3,qui proposa l’année 1059-1060 en reliant l’épidémie sévissant en Brabant (§ II) à une mention de laChronique de Berthold de Reichenau (XIe siècle), a° 1059 : Hoc anno magna mortalitas hominum etpestis pecorum facta est. (Bertholdi Annales, MGH, SS, 5, G.H. PERTZ éd., Hanovre, 1844, p. 271),ainsi qu’à une autre, fort laconique, dans les Annales d’Augsbourg, a° 1060 : Fames et mortalitasmagna. (Annales Augustani, MGH, SS, 3, G.H. PERTZ éd., Hanovre, 1839, p. 127). Il appuie sa pro-position en soulignant que les indices chronologiques du parcours évoqués dans le récit corroborentle choix de l’année 1060 : la fête des apôtres saints Pierre et Paul (29 juin), seul repère chronolo-gique fixe (car ne dépendant pas du cycle pascal) cadre avec une Pâques précoce (26 mars) et unePentecôte au 14 mai. À défaut d’une datation plus sûre, la période entourant 1060 a été retenue jus-qu’à présent par les historiens.3. — Pour une définition critique et une bonne catégorisation des récits de voyage avec reliques, cf.M. HEINZELMANN, Translationberichte und andere Quellen des Reliquienkultes, Turnhout, Brepols,1979, spécialement p. 43-88.4. — Cf. notre comptage chronologique du voyage proposé en appendice.5. — Cf. par exemple : J. VOS, Lobbes, son abbaye et son chapitre, Louvain, vol. 2, 1865, p. 10-27 ;J. WARICHEZ, L’abbaye de Lobbes, op. cit., p. 72-73 (note 1) ; B. DE GAIFFIER, « Les revendicationsde biens dans quelques documents hagiographiques du XIe siècle », Analecta Bollandiana, t. 50,

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Xe siècle, avait été réédifiée par l’abbé Hugues ; si la dédicace eut lieu en1036, l’ampleur des travaux, mais aussi la situation politique particulière quenous évoquerons plus loin, retardaient l’achèvement du chantier)6.Récemment, des auteurs ont repris cette analyse, mais en la replaçant dans lecontexte du mouvement de la Paix de Dieu7, certains allant même jusqu’àfaire de ce voyage une marche visant de front les comtes de Flandre afin queceux-ci réagissent au problème des possessions perdues8. Plus généralement,l’utilisation de reliques dans le cadre de ces opérations est connue9 et lesMiracles flamands d’Ursmer forment sur ce thème un exemple classique uti-lisé par de nombreux auteurs10.

Le transport des reliques de saint Ursmer à travers la Flandre a pour cadrela période qui suit le conflit opposant entre 1047 et 1056 les armées de l’em-pereur Henri III et celles du comte de Flandre Baudouin V (à l’époque, l’undes plus puissants princes territoriaux du royaume de France, beau-frère etvassal du roi Henri Ier). Le règne de Baudouin V (1035-1067) se caractérisepar une reprise de l’expansion territoriale flamande, dans le cas présent versl’est (auparavant, les efforts flamands s’étaient surtout dirigés vers Cambraiet Valenciennes). Avant de rentrer dans la bataille en 1047, Baudouin entamaune concertation avec d’autres princes territoriaux, notamment avec Herman,comte de Hainaut. De ce dernier, il obtint, par un échange, le contrôle du sec-teur septentrional de l’ancienne marche impériale d’Ename, c’est-à-dire toutela partie de l’ancien pagus de Brabant comprise entre l’Escaut et la Dendre(notons déjà qu’il s’agit de la zone extérieure au Hainaut dans laquelle sontsitués la majorité des possessions de Lobbes), en contrepartie de la marche deValenciennes (acquise par Baudouin IV vers 1006-1012) et de la région deChièvres-Basècles (secteur sud de la marche d’Ename acquise par le même

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5. — (suite) 1932, p. 133-134 ; H. HOFFMANN, Gottesfriede und Treuga Dei, op. cit., p. 146 (note 1) ;P. HÉLIOT et M.L. CHASTANG, « Quêtes et voyages de reliques », op. cit., p. 801-802 (note 1) ;P.-A. SIGAL, « Les voyages de reliques », op. cit., p. 78 (note 1) ; M. DE JONG, « Monniken, riddersen geweld », op. cit., p. 279-280 (note 1) ; A. DIERKENS, Abbayes et chapitres entre Sambre et Meuse(VIIe-XIe siècles). Contribution à l’histoire religieuse des campagnes du Haut Moyen Âge,Sigmaringen, J. Thorbecke, 1985, p. 134, note 399 ; I. VAN ‘T SPIJKER, « Gallia du Nord et del’Ouest. Les provinces ecclésiastiques de Tours, Rouen, Reims (950-1130) », dans Hagiographies.Histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire en Occident des ori-gines à 1550, G. Philippart dir., vol. 2, 1996, Turnhout, Brepols, p. 272.6. — J. WARICHEZ, L’abbaye de Lobbes. op. cit., p. 72-73, 299-300 (note 1).7. — En particulier D. BARTHÉLEMY, L’An mil et la Paix de Dieu. op. cit., p. 537 (note 1).8. — G. KOZIOL, « Monks, Feuds and the Making of Peace », op. cit., p. 241 et 245 (note 1). Pour cetauteur, la perte des biens flamands aurait clairement déterminé les moines de Lobbes à faire pressionsur le comte, avec un certain succès au demeurant, puisque le comte les aurait réinvestis de leurspossessions. J’ignore toutefois sur quelle base s’appuie l’auteur pour cette affirmation.9. — H. HOFFMANN, Gottesfriede und Treuga Dei, op. cit., passim (note 1).10. — Cf. en particulier H. HOFFMANN, Gottesfriede und Treuga Dei, op. cit., p. 146-147 (note 1) ;G. KOZIOL, « Monks, Feuds and the Making of Peace », op. cit., passim (note 1) et D. BARTHÉLEMY,L’An mil et la paix de Dieu, op. cit., p. 536-546 (note 1).

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Baudouin IV en 1034). Le conflit perdura jusqu’en 1050, puis il prit fin pro-visoirement. En 1050-1051, Baudouin V négocia l’union de son fils, le futurBaudouin VI, avec Richilde, veuve du comte Herman de Hainaut, laquelleavait reçu le comté en dos ex marito. Le mariage eut lieu sans que l’assenti-ment de l’empereur ait été demandé et le Hainaut fut occupé par le comte etson fils. Ces événements précipitèrent la reprise des hostilités avec l’empe-reur. Parmi les opérations militaires, on notera en 1053 des escarmouchesavec les troupes de l’évêque de Liège, fidèle de l’empereur, qui aboutissentau sac de Thuin (localité voisine de Lobbes où l’abbaye était richement pos-sessionnée). L’affrontement ne s’acheva qu’avec la mort d’Henri III en 1056et la régence de l’impératrice Agnès, laquelle fit la paix avec Baudouin, lereçut en hommage et le confirma dans l’ensemble de ses possessions enBasse-Lotharingie, à l’intérieur des frontières germaniques : la Flandre impé-riale prenait sa forme définitive (région de Walcheren, secteur des QuatreMétiers ou Vier Ambachten (Flandre zélandaise), Brabant entre Escaut etDendre). Quant au mariage hainuyer, la cour impériale dut s’y résigner.

On comprend avec le survol de ces événements la puissance et l’impor-tance acquises par les princes flamands à ce moment. L’union dynastiqueentre la Flandre et le Hainaut ne prit fin qu’à la mort de Baudouin VI, lorsqueson frère cadet, Robert le Frison, prit le pouvoir en Flandre en chassant sesneveux du trône, en tuant Arnoul (fils de Baudouin VI) à la bataille de Cassel(22 février 1071) et en rejetant le cadet Baudouin et sa mère Richilde enHainaut11.

Lobbes, abbaye relevant de l’évêque de Liège, allié du pouvoir impérial, etsituée aux portes du Hainaut, prétend avoir fort souffert de cette guerre, enparticulier après 1051, lors de l’occupation du Hainaut par la Flandre.L’abbaye aurait connu des bouleversements tangibles dans ses domainesproches, tandis que l’agitation politique en Flandre aurait été à l’origined’une perte de contrôle des biens dans la région. Ces difficultés auraient éga-lement gêné l’abbaye dans ses projets architecturaux entamés antérieure-ment. Reprendre le contrôle des biens menacés ou perdus et récolter desfonds pour parachever la construction de l’église abbatiale serait ainsi devenu

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11. — Sur la Flandre du XIe siècle, et en particulier sur les événements relatifs à Baudouin V et sasuccession, cf. L. VANDERKINDERE, La formation territoriale des principautés belges au Moyen Âge,vol. 1, Bruxelles, H. Lamertin, 1902, p. 88-125 ; Fr.-L. GANSHOF, « Les origines de la FlandreImpériale. Contribution à l’histoire de l’ancien Brabant », Annales de la Société royaled’Archéologie de Bruxelles, 46, 1942-1943, p. 99-137 ; Fr-L. GANSHOF, La Flandre sous les pre-miers comtes, Bruxelles, 1944, p. 35-37 ; A.C.F. KOCH, « Het graafschap Vlaanderen van de9de eeuw tot 1070 », dans Algemene Geschiedenis der Nederlanden, vol. 1, Haarlem, 1981, p. 354-383 ; M. DE WAHA, « Du pagus de Brabant au comté de Hainaut. Éléments pour servir à l’histoire dela construction d’une principauté », dans La charte-loi de Soignies et son environnement, 1142.Hommage à Jacques Nazet. Actes du colloque de Soignies, 24 octobre 1992, Soignies, 1998, p. 46-50, spécialement note 134.

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les deux objectifs à atteindre pour sortir de l’impasse. C’est dans ces condi-tions que l’abbé Adelard, à l’initiative et avec l’appui des comtes de Flandre,le père et le fils, aurait pris l’initiative d’envoyer quelques religieux en pro-cession à travers la Flandre avec les reliques d’Ursmer. Le texte semble avoirété rédigé peu de temps après les événements par un moine de l’abbaye, com-pagnon du voyage12.

Ces vues s’appuient en substance sur les explications données par l’auteuranonyme des Miracula dans le chapitre I. Prenons bien soin de noter qu’il yinsiste plus sur le problème des possessions menacées que sur celui du besoinde capitaux, évoqué de manière sous-entendue, au travers notamment de l’al-lusion faite à l’état déplorable de l’église Saint-Pierre (qui ressemble, effetrhétorique oblige, à une « ruine ancienne »)13. À ce stade, il nous faut faireune distinction importante entre le voyage en lui-même et sa mise par écritultérieure. Si la tournée processionnelle a peut-être cherché à remplir cesdeux objectifs, il est évident qu’un examen attentif de la structure du texte nepermet pas d’aller dans le même sens et contredit donc la manière tradition-nelle de commenter l’œuvre. Le récit, en effet, dans la description des étapesdu voyage, n’est qu’un témoignage partiel du déplacement, dans la mesure oùl’auteur insiste très clairement sur le passage dans les agglomérations peu-plées, préurbaines, tandis qu’il passe sous silence un certain nombre d’es-cales intermédiaires.

À l’évidence, une critique des Miracula s’avère nécessaire si l’on veut par-venir à une explication valable des raisons pratiques du voyage, des modalitésconcrètes de son organisation et de la participation des comtes de Flandre, de

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12. — P. FRANSEN et H. MARAITE, dans GT, vol. 2, Bruxelles, 1976, p. 231 ; analyse reprise et actua-lisée dans NS.13. — Miracula, p. 837-839, chap. I : Ea ergo tempestate, qua inter Henricum imperatorem etBalduinum comitem justitia oppugnata et expugnata non potuit in terris regnare, Lobia fuit incapite, quod nobilitatis suae titulum coacta est amittere. Perierunt cultores, fugerunt habitatores,nihil residui fuit antiquitatis, praeter lapides et aliquos situs, qui adhuc possunt revocare memoriamposteritatis. (…) Ecclesia vero Laubiensis, quae oppressa et vastata erat prae omnibus aliis, ani-mum rectoris suis, abbatis scilicet Adelardi, graviter angebat ea pacis adeptione, si quando se et suarelevare posset ex tanta deiectione. Qui, habito consilio cum suis, nonnisi divinitus praeponderavitsuccurrendum talibus ex sanctorum meritis. Erat enim gravis casus et non una occasio : templumenim sancti Petri, quod in pace deiectum et refundatum fuerat, magis aliqua vetustatis ruina videba-tur quam renovationis fundatio. Et partim guerra partim negligentia majorum diminuta erat eccle-sialis possessio, maxime autem in Flandriis, ubi cum Menapenses, Wasiacenses et ipsosFlandrenses sanctus Ursmarus convertisset ad Dominum ab errore gentilitatis, multas terras acqui-sivit sancto Petro gratia suae praedicationis ; quas incuria priorum pene amiserat ecclesia prae lon-gitudine itineris. Cum igitur tot et tantae res vel importunae essent vel opportunae deessent,utriusque Comitis senioris scilicet et junioris consultu, hortatu et petitione, Episcoporum licentia etbenedictione, S. Ursmarus effertur, non solum sua redimere, sed etiam rerum suarum dejectioni suc-currere. Qui elatus cum honore et digna veneratione suorum, nullum pene diem voluit praeterireabsque signis miraculorum. Nulla potuit dominari ante eum daemonis infestatio, nulla inter dis-cordes regnare disceptatio, nulla infirmitatis praevalere passio.

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même que de sa relation et de sa mise par écrit. L’analyse critique que nousproposons apporte des repères intéressants sur la construction du pouvoircomtal flamand et sur l’histoire d’un monastère bénédictin confronté auxévolutions territoriales et seigneuriales de son temps.

Une quête itinérante

Dans les années 1060, les reliques d’Ursmer, utilisées en procession, n’enétaient pas à leur premier coup d’essai. À plusieurs reprises déjà, les moinesavaient cherché à montrer une intervention miraculeuse de leur patron en letransportant dans des lieux choisis. Vers la fin du Xe siècle (avant 980), lesmoines sortirent les reliques d’Ursmer, à la demande des villageois, pourobtenir que la pluie arrose leurs champs14. En 1050, le clerc d’une paroissevoisine de Lobbes sollicita les moines pour qu’Ursmer soit transporté dansles champs de la paroisse et qu’il les protège contre une invasion de rats15.Enfin, en 1056, les moines furent confrontés à un seigneur voisin ayant faitmain basse sur certains domaines de l’abbaye. Après une tentative de négo-ciation infructueuse avec ce turbulent seigneur prénommé Anselme, on sedécida à faire intervenir Ursmer : on emporta la châsse contenant ses reliquesjusqu’à la résidence de l’usurpateur, lequel céda finalement, avant de périrpeu de temps après avec ses acolytes, massacrés par un groupe de villageoisqu’ils s’apprêtaient à piller16. Il faut donc souligner que l’utilisationd’Ursmer dans une opération de revendication foncière n’est pas neuve. Celled’une quête itinérante, en revanche, n’a pas d’antécédent connu et l’on noteraen outre que cette pratique débute précisément vers le milieu du XIe siècledans la région d’entre-Loire-et-Escaut : l’un des tout premiers exemplesconnus est la quête menée en 1058 par les moines de l’abbaye de Bergues-Saint-Winnoc avec les reliques de sainte Lewine17.

La cartographie de l’itinéraire (cf. en fin d’article), même partielle, dévoiled’emblée que le double objectif traditionnellement présenté pour justifier lamarche ne convient qu’imparfaitement18. Si l’on suit les deux motifs invo-qués, le circuit établi pour le voyage des moines devait donc avoir pour impé-ratif celui de combiner la fréquentation de lieux propices à susciter la généro-

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14. — Folcuin DE LOBBES, Gesta abbatum Lobiensium, MGH, SS, 4, G.H. Pertz éd., Hanovre, 1841,p. 71, chap. XXX ; œuvre datée des environs de 980 (GT, vol. 1, p. 97 ; NS F013).15. — Miracula Ursmari Lobiensis, Continuationes, AASS, Apr. II, p. 567, œuvre datée des der-nières années du XIe siècle (BHL 8422-8424 ; GT, vol. 2, p. 229-230 ; NS U007).16. — Ibidem, p. 569, chap. XXVI.17. — P.-A. SIGAL, « Les voyages de reliques », op. cit., p. 76 (note 1) ; R. KAISER, « Quêtes itiné-rantes avec des reliques », op. cit., p. 209-213 (note 1) ; P. HÉLIOT et M.L. CHASTANG, « Quêtes etvoyages de reliques », op. cit., p. 796 (note 1). Ces derniers négligent le cas de sainte Lewine et pla-cent en tête la marche d’Ursmer.18. — M. DE JONG, « Monniken, ridders en geweld », op. cit., p. 279-280 (note 1) avait déjà soulignéque si la raison principale invoquée pour le voyage était la revendication de droits fonciers, le récits’était attelé principalement et étrangement à décrire l’œuvre pacificatrice des reliques d’Ursmer !

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sité et les offrandes (idéalement, des lieux peuplés, par exemple des agglomé-rations naissantes, comme on en trouve justement plusieurs en Flandre aumilieu du XIe siècle) et les domaines de Lobbes posant problème, à tout lemoins les lieux de résidence des prétendus usurpateurs. Or, sur ce point,l’analyse de l’itinéraire19 apporte des nuances très significatives. Les moinessemblent en effet avoir favorisé dans leurs déplacements, du moins dans larelation écrite, les principaux centres préurbains de Flandre20, en évitant soi-gneusement, semble-t-il, les secteurs domaniaux de leur institution. On arriveà un tel constat si l’on confronte les différents documents renseignant surl’état du temporel de Lobbes. Plus exactement, nous disposons d’une listelongue des biens de l’abbaye réalisée peu avant la marche processionnelle de1060 (selon Jean-Pierre Devroey, entre la fin du Xe siècle et 1038), tandisqu’une deuxième liste, additionnelle à la première, a été exécutée dans lecourant du XIIe siècle pour souligner l’ampleur des pertes subies entretempspar les moines21. Il faut ajouter à cela une bulle pontificale de confirmation debiens émanant d’Innocent II en 113522.

Selon la liste des Xe-XIe siècles, Lobbes possède dans le comté de Flandre :un groupe domanial très important s’étirant le long de la Dendre (Ter Loots,Denderbelle, Dutse (Duitsenbroek), Alost, Zegelsem, Zarlardinge,Schendelbeke, Herdersem, Amelgem). Ce groupe, relevant de l’ancien pagusde Brabant, est flamand depuis 1047 (à l’exception d’Amelgem, resté dans legiron brabançon) ; dans le pagus de Waes23, un petit groupe de troisdomaines : Tielrode, Hamme et une villa, non identifiée, mais sans douteproche, nommée Durbecca ; en Flandre maritime, un domaine isolé àOudenburg ; dans la région entre Gand et Courtrai, un domaine isolé à

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19. — Sur le choix des itinéraires dans les voyages de reliques aux XIe-XIIe siècles, Pierre-AndréSigal et Reinhold Kaiser ont souligné la part de l’improvisation : si certaines étapes majeures étaientprévues dès le départ (selon les objectifs recherchés du voyage), les étapes interstitielles étaient sou-vent décidées au jour le jour, en fonction des nécessités de l’hébergement, de l’état physique des par-ticipants, du soutien (ou au contraire de l’hostilité) de la population, etc. (cf. P.-A. SIGAL, « Lesvoyages de reliques », op. cit., p. 84-86 (note 1) ; R. KAISER, « Quêtes itinérantes avec des reliques »,op. cit., p. 215-216 (note 1)).20. — Sur la vie urbaine en Flandre au milieu du XIe siècle, cf. la synthèse d’A. VERHULST, The Riseof Cities in North-West Europe, Cambridge-Paris, Cambridge University Press, 1999, p. 75-110 et119-148.21. — J.-P. DEVROEY, Le polyptyque et les listes de biens de l’abbaye Saint-Pierre de Lobbes(IXe-XIe siècles). Édition critique, Bruxelles, CRH, 1986, respectivement p. 41-56 et p. 56-58. Pour ladatation des différentes listes et documents, cf. p. LXIII-LXXII.22. — J. RAMACKERS, Papsturkunden in den Niederlanden (Belgien, Luxemburg, Holland undFranzösisch-Flandern), vol. 2, Berlin, Weidmann, 1933, p. 114-118, n° 22 = bulle donnée à Pise le12 mai 1135.23. — Il s’agit d’un ancien pagus carolingien situé au nord-est de Gand, vers Anvers, et qui fut sou-mis à l’autorité des comtes de Flandre dès la deuxième moitié du IXe siècle (Cf. J. DHONDT, « HetLand van Waas in het graafschap Vlaanderen (XIe-XIIe eeuw) », Annalen van den OudheidkundigenKring van het Land van Waas, t. 54, 1943, p. 49-59 ; A.C.F. KOCH, « Het graafschap Vlaanderen »,op. cit. (note 11), p. 355, 357-358).

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Aarsele ; dans la région d’Audenarde, un domaine isolé à Moregem24.L’utilisation conjointe de la liste du XIIe siècle et de la bulle de 1135, bien quecela révèle certaines divergences mineures, laisse fort bien entrevoir lesimportantes pertes domaniales du temporel de l’abbaye sambrienne. Desdomaines et groupes domaniaux énumérés plus haut, il ne subsiste plus que :dans l’important groupe des possessions dendriennes, les domaines deZegelsem et de Zarladinge ; dans le pagus de Waes, ceux de Tielrode et deHamme (ce dernier, absent de la liste, est mentionné dans la bulle) ; dans larégion séparant Gand et Courtrai, le domaine d’Aarsele.

Tout ceci souligne bien que l’itinéraire ne correspond pas ou peu aux sec-teurs des possessions posant problème. La Flandre impériale, secteur princi-pal des pertes de Lobbes, est à peine parcourue par les reliques d’Ursmer(tout au plus, sur une quinzaine de jours, un déplacement entre Gand, Finia– peut-être peut-on l’identifier à la localité d’Eine, près d’Audenarde25 – etBruxelles), tandis que la Flandre wallonne et la Flandre maritime, régionsd’épanouissement urbain, mais où Lobbes possède peu de biens (un domaineà Oudenburg et un autre à Aarsele), sont bien quadrillées sur près d’un moiset demi de marche26. Il n’est donc pas audacieux de dire que le parcours visâtavant tout les zones peuplées propices à la générosité et aux offrandes. Misesà part quelques localités rurales (Strazeele, Blaringhem, Leffinge etLissewege), toutes les étapes mentionnées nominalement sont, au milieu duXIe siècle, des centres de pouvoir du comté de Flandre, pour la plupart déjàdotées d’infrastructures comtales (selon les cas, une fortification, une collé-giale, une abbaye,…), des noyaux de peuplement relativement importants àl’époque – en cours de développement et amenés à devenir les points névral-giques de l’un des plus importants espaces économiques de l’Europed’Ancien Régime27 – : Lille, Cassel, Bergues, Furnes, Bruges, Oostburg,

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24. — J.-P. DEVROEY, Le polyptyque, op. cit., passim (note 21).25. — O. HOLDER-EGGER, éditeur du texte dans les MGH, ignore quelle identification donner à cetoponyme, dont la graphie est, selon lui, trop corrompue (p. 841). Sans fournir le moindre argument,l’éditeur des AASS (3e éd.), place ce lieu, aujourd’hui disparu, entre Bruxelles et Gand, du côtéd’Alost (p. 575, note h). Pour notre part, indiquons que l’on trouve au nord d’Audenarde un lieunommé Eine (Eina, forme attestée en 1071-1093 : M. GYSSELING, Toponymisch woordenboek vanBelgië, Nederland, Luxemburg, Noord-Frankrijk en West-Duitsland, voor 1226, vol. 1, Bruxelles,Belgisch Inter-Universitaire Centrum voor Neerlandistiek, 1960, p. 307), dont Finia pourrait fortbien être une corruption. On notera en outre que la famille seigneuriale d’Eine – branche cadette desPetegem apparue au milieu du XIe siècle –, se présente comme détentrice de la seigneuried’Oudenburg (cf. les possessions perdues de Lobbes) à partir de Conon Ier (ca. 1067-1100)(E. WARLOP, De Vlaamse adel voor 1300, deel 2.1 : Bijlagen, Handzame, Familia et Patria, 1968,p. 187-192 ; trad. anglaise : The Flemish Nobility before 1300, 4 vol., Courtrai, G. Desmet-Huysman,1976). Je dois cette intéressante suggestion à mon directeur de thèse, Michel de Waha, que je remer-cie ici tout spécialement pour ses suggestions toujours stimulantes.26. — En étudiant le cas de la Flandre, c’est bien ce que semble sous-entendre R. KAISER, « Quêtesitinérantes avec des reliques », op. cit., p. 216 (note 1).27. — Sur le développement économique et urbain de la Flandre, cf. en dernier lieu E. THOEN, « Ledémarrage économique de la Flandre au Moyen Âge. Le rôle de la campagne et des structures poli-tiques (XIe-XIIIe siècles). Hypothèses et voies de recherche », dans Économie rurale et économie

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Gand28. On notera également l’agglomération de Bruxelles, mais en tant quepoint de peuplement localisé en dehors de la zone d’influence des comtes deFlandre29.

En revanche, la présence comtale dans de nombreux points de passage est-elle un indice que les moines ont tenté de faire pression sur le comte? Il estvrai que les moines portant les reliques d’Ursmer sont allés trouver le comteet la comtesse à Bergues afin de leur exposer les torts qui étaient faits auxdomaines de l’abbaye30. Néanmoins, l’examen du texte va assez peu dans lesens d’une opposition, même indirecte et détournée. L’atmosphère desMiracles témoigne plutôt d’une certaine forme de collaboration avec lesprinces territoriaux, aux antipodes de ce que l’on peut observer une dizained’années plus tard, vers 1070, lorsque Robert le Frison fit main basse, dansles limites du comté, sur les biens de l’abbaye de Corbie : les moines réagirentauprès du suzerain de Robert, le roi de France, mais sans résultat. Ils décidè-rent ensuite de sortir les reliques de saint Adalhard, allèrent rejoindre lecomte Robert, occupé à assiéger la cité de Tournai, et le contraignirent à larestitution des biens usurpés31.

L’attention particulière apportée dans le chapitre I à la défense des posses-sions foncières et le silence entretenu tout au long du texte sur les aspectspécuniaires de la quête pose donc question. La configuration de l’itinéraire duvoyage n’est pas seule en cause. Les sources lobbaines postérieures sous-entendent également cet aspect pécuniaire. Le continuateur anonyme desGesta abbatum Lobiensium, relatant les retombées économiques du voyagede 1060, souligne très clairement l’impact positif, puisque l’abbé Adelard putenfin reprendre les travaux de l’église, longtemps interrompus, et même s’of-frir le luxe d’agrandir les plans initiaux par l’adjonction d’un oratoire supplé-mentaire, dédié à saint Jean-Baptiste, et d’un portique32.

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27. — (suite) urbaine au Moyen Âge, A. Verhulst et Y. Morimoto éd., Gand-Kyushu, Centre belged’histoire rurale, 1994, p. 165-184.28. — Cf. à ce sujet A. VERHULST, The Rise of Cities, op. cit, passim (note 20).29. — Pour une présentation critique des premiers développements de Bruxelles, cf.P. CHARRUADAS, « Croissance rurale et action seigneuriale aux origines de Bruxelles (Haut MoyenÂge-XIIIe siècle) », dans Voisinages, coexistences, appropriations. Groupes sociaux et territoiresurbains (Moyen Âge-XVIe siècle). Actes du Colloque international de Bruxelles (4-6 déc. 2004),C. Deligne et C. Billen éd., Turnhout, Brepols, 2007, p. 175-201.30. — Miracula, p. 839, chap. VIII : Post haec Comitem et Comitissam apud Bergis convenimus,injustitiam quae nobis fiebat de terris Sancti declamavimus.31. — N. HUYGHEBAERT, « ‘Ad villam que dicitur Curba’. Robert le Frison et l’avoueried’Houthulst », Sacris Erudiri, 7, 1955, p. 163-176.32. — Gesta abbatum Lobiensium (continuatio), MGH, SS, 21, W. ARNDT éd., Hanovre, 1869,p. 310-311 (GT, vol. 3/II, p. 162-163 ; NS G053), chap. VI : le continuateur de Folcuin, anonymerédigeant en 1162, débute ce chapitre en reprenant l’essentiel du contenu du chap. I des Miraculaquant aux motifs du voyage ; il rappelle les nombreuses interventions d’Ursmer, affirmant qu’il sefonde sur un petit livre conservé à l’abbaye et qui fait le récit du voyage (le manuscrit des Miracula :Extat apud nos libellus huius itinerationis, in qua quamdiu sanctum corpus in Flandrias portatur et

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Pourquoi donc souligner dans ce chapitre I l’aspect foncier, alors qu’àl’évidence le voyage semble avoir eu pour vocation la collecte de fonds ?Dans une enquête globale consacrée aux quêtes itinérantes dont l’objectifétait la construction d’églises, Reinhold Kaiser a pu constater que les pre-miers exemples de quêtes n’avouèrent pas d’emblée leurs objectifs financiers,préférant les reléguer au second plan, à l’ombre d’un objectif plus louable,celui de la promotion d’un nouveau saint (sainte Lewinne pour les moines deBergues-Saint-Winnoc) ou de la récupération de propriétés usurpées. Cen’est qu’après 1066 que les textes commencent timidement et peu à peu àprésenter l’objectif financier33. Aucune explication fouillée n’a encore étédonnée sur ce point, mais sans doute faut-il y voir la méfiance et le doute quece type de collecte pouvait engendrer. Rapidement après l’essor des quêtesavec reliques, des critiques acerbes ont été émises à l’encontre de cette pra-tique34. Peut-être fallut-il donc une période d’essai pour que ce procédé trèslucratif pour les institutions religieuses s’impose au grand jour35.

La collaboration des comtes

L’encadrement comtal de cette quête avec reliques est évident et explicitedans le texte. Il est évoqué directement dans le chapitre I – où l’auteur desMiracula explique que la marche se fit sur le conseil, la demande et mêmel’exhortation des comtes, le père et le fils36 – et confirmé encore dans la suitedu récit à plusieurs occasions. À Bergues, les moines rejoignent le comte et lacomtesse et y exposent les torts qui ont été faits à leurs domaines flamands37.

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32. — (suite) inde reportatur…) ; le moine enchaîne ensuite sur la reprise du chantier de construc-tion à Lobbes, rendu possible par la quête itinérante en Flandre : Venerabilis igitur abbas opus diuintermissum tandem instauravit, nec instar prioris recens edificium consummasse contentus, adoccidentali parte novum in honore beati Baptistae Iohannis oratorium ampliata, sicut in promptuest, mensura construxit. …Fecit etiam ad templi plagam aquilonarem porticum claustralem, haben-tem videlicet in circuitu obambulatorium, in medio amplitudinem loco congruentem, puteum etiamaquis indeficientibus.33. — R. KAISER, « Quêtes itinérantes avec des reliques », op. cit., p. 210-213 (note 1).34. — Un demi-siècle à peine après l’essor de cette pratique (observé par P. HÉLIOT etM.-L. CHASTANG vers le milieu du XIe siècle), Guibert de Nogent, dans son fameux traité sur lesreliques écrit au début du XIIe siècle, De Sanctis et eorum pignoribus, fustige déjà le comportementirrespectueux de certains religieux à travers une utilisation à but surtout lucratif… (cité dansP. HÉLIOT et M.L. CHASTANG, « Quêtes et voyages de reliques », op. cit., p. 802 (note 1). Pour uneédition récente et une critique du texte, cf. la collection Corpus Christianorum. ContinuatioMedievalis, t. 127, édition critique par R. B.C. HUYGENS, Turnhout, Brepols, 1993 et H. PLATELLE,« Guibert de Nogent et le De pignoribus sanctorum. Richesses et limites d’une critique médiévaledes reliques », dans Les reliques. Objets, cultes, symboles. Actes du colloque international del’Université du Littoral-Côte d’Opale (Boulogne-sur-Mer, 4-6 septembre 1997), E. Bozóky etA.-M. Helvétius éd., Turnhout, Brepols, 1999, p. 109-121.35. — R. KAISER, « Quêtes itinérantes avec des reliques », op. cit., p. 223-224 (note 1)36. — Miracula, p. 838, chap. I : Cum igitur tot et tantae res vel importunae essent vel opportunaedeessent, utriusque Comitis senioris scilicet et junioris consultu, hortatu et petitione, Episcoporumlicentia et benedictione, S. Ursmarus effertur…37. — Extrait reproduit à la note 30.

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Le lendemain a lieu dans les environs de cette localité la prestation du ser-ment de paix en compagnie des comtes et des optimates du comté. Le princeterritorial, Baudouin, est pris pour témoin de ces vœux de non-vengeance ; ilen est le garant38. À Furnes, les moines sont reçus par le châtelain à la requêtede la comtesse39. À Gand, les moines font une première halte à l’intérieur duchâteau des comtes, dans l’église Sainte-Pharaïlde, puis ils se rendent à l’ab-baye Saint-Pierre-au-Mont-Blandin, puis à celle de Saint-Bavon le jour sui-vant40.

Là où la participation comtale pose question, c’est lorsque l’on jette un œilsur la carte des biens flamands perdus par Lobbes. Entre le début du XIe siècleet le XIIe siècle, nous l’avons vu, le temporel de Lobbes a connu des pertesimportantes41, puisque le grand ensemble domanial situé dans le bassin de laDendre a été quasiment absorbé en entier. L’élément significatif porte évi-demment sur le fait que cette région est précisément celle dont les comtes deFlandre venaient de faire récemment l’acquisition. On sait que l’intégrationeffective de cette région au reste de la Flandre ne se fit pas simplement. LeNord de l’ancienne marche impériale d’Ename était un territoire à conquérirpour les Baudouin, parce qu’occupé par une aristocratie puissante, mais aussiparce que la maison comtale y détenait une assise foncière relativement res-treinte42. Aussi les comtes de Flandre durent y mener une politique de fidéli-

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38. — Miracula, p. 839-840, chap. IX : …in crastino autem exivimus, prosequente comite et comi-tissa et cum eis duobus episcopis, Londoniae scilicet Anglorum et Teruannae, cum totius Flandriaeoptimatibus. Vixque egressis oppidum, fixit pietas gradum, quia voluit Deus magnificare sanctumsuum in conspectu principum. Deposita quippe tanti thesauri sarcina, facta est mentio concordia-rum et pacis in omnium audientia, recitatum etiam, quanta in his eo itinere sibi affuisset divinitusgratia. Deinde ad pacem invitati et ut erant inter se inimicantes singillatim adnominati, tantam inie-runt voluntatem et gratiam pacis componendae, quantam eis sanctus Ursmarus a Domino voluitimpetrare. Nullus siquidem fuit ex cunctis optimatibus, qui ea ausus fuisset absistere pacis admoni-tionibus ; sed tanta et tantarum rerum facta est inter eos confoederatio, quantam nullus mortaliumpotuisset conficere pro totius mundi auro, testante, qui haec eadem protestatus est coram omnibus,comite Balduino.39. — Miracula, p. 840, chap. X : Sequenti nocte hospitio nos recepit Castellanus Furnensis, apudquamdam villam, jussu Comitissae.40. — Miracula, p. 841, chap. XVIII et XIX : …Gandavum venimus die Dominica. Ruunt nobisobviam ut examen apum oppidani sexus utriusque, et inprimis introducti castrum, apud SanctamPharahildem orare coepimus. … Visum est indecens nobis praeterire orationes S. Bavonis.41. — Cette dégradation importante du temporel transpire des différentes sources narratives rédi-gées à Lobbes au XIIe siècle : Gesta abbatum Lobiensium (continuatio), MGH, SS, 21, op. cit.,p. 308-333 (GT, vol. 3/II, p. 162-163 ; NS G053) ; Fundatio monasterii Lobiensis auctore Hugonepriore, MGH, SS, 14, G. WAITZ éd., 1883, p. 543-548 (GT, vol. 3/II, p. 133 ; NS H064) ; De funda-tione et lapsu monasterii Lobiensis, MGH, SS, 14, G. WAITZ éd., 1883, p. 548-554 (GT, vol. 3 : II,p. 163-164 ; NS D014).42. — Cf. en dernier lieu A.C.F. KOCH, « Het Land tussen Schelde en Dender voor de inlijving bijVlaanderen », Handelingen van de Geschied- en Oudheidkundige Kring van Oudenaarde, n° spécial1956, p. 58-59 ; sur le domaine comtal en général, cf. L. VOET, Het domein der graven vanVlaanderen (864-1191), thèse dactylographiée en Histoire (Université de Gand), 1943, spécialementp. 457-485 ; certains éléments de cette thèse sont édités dans « De Graven van Vlaanderen en hundomein », Wetenschappelijk Tijdingen, t. 7, 1942, p. 25-32 et « Het vorstelijk domein », dansFlandria Nostra, J.L. Broeckx et al. éd., vol. 5, Bruxelles, Standaard-Boekhandel, 1960, p. 70-98.

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sation des potentats locaux et d’acquisition de terres (par achat et échange)43

afin d’imposer leur autorité et de maîtriser le pouvoir de l’aristocratie locale.Un bon exemple de cette stratégie fut l’acquisition de la seigneurie deGrammont (Geraardsbergen) par le comte Baudouin VI vers 1067-107044,achat mis en valeur économiquement et politiquement par le transfert, vers lafin du XIe siècle, de l’abbaye de Dikkelvenne (sur l’Escaut) vers le nouvelalleu princier45. L’organisation politique de la région, opérée par Baudouin V,indique également le caractère malaisé de la présence comtale. Le secteur futen effet divisé non pas en châtellenies (comme le reste du comté), mais enquatre seigneuries hautes justicières (Alost, Bornem, Termonde et Pamele-Audenarde)46, que le prince partagea ensuite (ou plutôt fut contraint de parta-ger) avec de puissants vassaux déjà installés sur place. La seigneurie deBornem échut à la famille des châtelains de Gand, détentrice de l’avouerie del’abbaye Saint-Pierre de Gand pour les terres situées à l’ouest de l’Escaut etpossessionnée dans la région de Tamise ; celle d’Alost échut à une famillesolidement installée entre Escaut et Dendre, qui était par ailleurs détentrice del’avouerie de Saint-Pierre de Gand pour ses biens dans la région impériale ;celle de Termonde le fut aux avoués de Saint-Bavon ; celle de Pamele, enfin,le fut à la famille détentrice de la châtellenie d’Audenarde et bien possession-née dans le sud de la Flandre impériale47. Cette répartition du pouvoir, quisemble bien relever pour Baudouin V d’un compromis forcé, permit toutefoisune fixation et une pérennisation de l’Entre-Escaut-et-Dendre dans les limitesdu comté de Flandre48. Dans un tel contexte, l’hostilité rencontrée par lesmoines à leur arrivée dans la localité de Finia-Eine peut peut-être s’expliquerpar ces motifs politiques et territoriaux49.

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43. — Cf. Fr.-L. GANSHOF, « Les origines de la Flandre Impériale », op. cit., p. 135, n. 2 (note 11) ;A.C.F. KOCH, « Het Land tussen Schelde en Dender », op. cit., p. 59 et suiv. (note 45).44. — Sur ce point, cf. Fr. BLOCKMANS, « De zoogenaamde stadskeure van Geraardsbergen van tus-schen 1067 en 1070 », Bulletin de la CRH, t. 106, 1941, p. 1-93.45. — G. VAN BOCKSTAELE, « Abbaye de Saint-Adrien à Grammont », dans Monasticon belge, t. 7 :Province de Flandre orientale, vol. 2, Liège, 1977, p. 74-75 ; E. VAN MINGROOT, « Het stichting-sdossier van de Sint-Adriaansabdij te Geraardsbergen (1081-1096) », Bulletin de la CRH, t. 153,1987, p. 1-64.46. — Il faut souligner le caractère extrêmement épineux du dossier, d’une part parce que cette divi-sion ne nous est connue que par des sources postérieures, au plus tôt en 1165, lors de la récupérationeffective par le comte de Flandre de la seigneurie d’Alost, d’autre part, parce que l’interprétation desrelations entre le comte et les seigneurs de la Flandre impériale est relativement difficile à cerner. Laprudence reste donc de mise (cf. les avertissements d’A.C.F. KOCH, « Het Land tussen Schelde enDender », op. cit., p. 57 (note 42)).47. — L. DHONDT-SEVENS, « Les premiers seigneurs d’Alost, de Bornem et de Termonde »(Appendice III à l’article de Fr.-L. GANSHOF, « Les origines de la Flandre Impériale », op. cit.,p. 161-165 (note 11) ; E. WARLOP, De Vlaamse adel voor 1300, deel II, p. 3-10 ; 147-151 (note 25).48. — Sur les premiers temps de cette appartenance, cf. P. BONENFANT, « La dépendance du châteaud’Alost au XIIe siècle. Contribution à l’étude de la formation de la frontière entre le Brabant et laFlandre », dans Album Jan Lindemans, Bruxelles, 1951, p. 169-173.49. — Miracula, p. 841, chap. XX : Et accepta licentia egressi die altero, ad villam quae Finia dici-tur pervenimus post dies octo. Erat autem gravis aestus, et laborabat prae calore populus.

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Quoi qu’il en soit, si ce sont bien les comtes de Flandre qui ont encouragéles moines de Lobbes à entamer leur voyage à travers la principauté et qui lesont soutenus à différents moments du voyage, il n’est pas invraisemblable depenser que, dans le même temps, ils aient fermé les yeux sur une série d’usur-pations de biens de Lobbes menées dans la région impériale par de puissantsseigneurs locaux50. Le pouvoir comtal n’avait-il pas précisément besoin deménager ces puissants afin de se les attacher durablement et, à travers eux, deprendre le contrôle effectif de cette nouvelle « zone flamande » établie entreEscaut et Dendre ?

Face à ces appropriations possibles, le monastère de Lobbes pouvait bienpeu. La situation politique leur était complètement défavorable. À la mortd’Henri III, nous l’avons vu, l’impératrice régente Agnès avait été contraintede conclure la paix avec Baudouin V et d’avaliser ses avancées territoriales etautocratiques.

Reste alors à expliquer la contradiction, du moins apparente, entre la colla-boration des comtes à ce voyage et leur passivité dans la perte des biens lob-bains? Quel jeu ont-ils vraiment joué dans cette affaire ? Peut-on imaginerque cette marche processionnelle soit une forme de compensation accordéepar les comtes à l’abbaye en vue de maintenir un statu quo entre l’abbaye etles usurpations présumées?

Pour bien avancer dans ces questions délicates, il nous faut réfléchir main-tenant sur les finalités profondes de cette marche avec reliques et soulignerl’importance de la Paix de Dieu pour une bonne compréhension générale del’œuvre.

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49. — (suite) Praemisimus ad presbyterum, ut aperiret ecclesiam et pararet nobis hospitium.Vocabatur presbyter Paulus, Paulo male conformatus, nisi dum adhuc esset Saulus ; qui statim,obseratis omnibus ostiis ecclesiae, fugit, et claves secum tulit. Nos ergo accedentes stetimus anteostium, et requisitis clavibus audivimus aufugisse presbyterum. Cumque papiliones nostros coepis-semus in atrio stabilire, patefactis januis contra sanctum obicem vidimus et audivimus volasse cumgrandi sonitu in medium ecclesiae. Intravimus omnes cum gaudio, Deum et janitorem nostrum lau-dando ; presbyter vero rediens, non parum confusus, veniam petebat a sancto et a nobis, lacrimissuffusus, satisfaciens quibus poterat gemitibus. Cet épisode n’est pas sans présenter des similitudesavec un passage du livre 2 des miracles de saint Adalhard, lorsque les moines, de passage par la loca-lité de « Curba », se voient barrer les portes de l’église paroissiale par le prêtre du lieu (MGH, SS,15/2, p. 864, chap. II).50. — Par le biais de la base de données Thesaurus Diplomaticus, la tentative pour retrouver la tracedans des patrimoines laïcs des biens perdus par Lobbes n’a malheureusement pas donné de résultatsprobants. L’exercice est relativement difficile, car il se heurte à certains problèmes méthodolo-giques. À l’indigence documentaire caractéristique de l’époque s’ajoute principalement le fait que ladétention par Lobbes d’un domaine dans telle ou telle localité n’imposait pas forcément que l’ab-baye y possède tout le terroir. Aussi, le fait de retrouver après 1060 la mention de propriétaires liésaux comtes dans ces localités ou en portant le nom peut difficilement s’interpréter automatiquementcomme un indice d’usurpation. Il serait nécessaire dans ce dossier de mener une étude fine etexhaustive à la fois sur le plan prosopographique et sur celui de la propriété foncière dans ces loca-lités, ce que le cadre restreint de cet article ne permet nullement.

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Les comtes de Flandre et le mouvement de la Paix de Dieu

Le mouvement de la Paix et de la Trêve de Dieu est un thème de recherchedéjà ancien, mais dont les résultats ont rarement fait l’unanimité. Plusieurssensibilités, plusieurs approches se partagent le terrain et produisent desexplications parfois très différentes51. Pour certains, ce mouvement est uneréaction de l’Église contre la violence des bellatores et des nouveaux maîtresdu ban dans un contexte d’émiettement du pouvoir et des structures carolin-giennes. L’Église aurait alors cherché à défendre les non armés, les rustici etles clerici, mais aussi à soustraire ses biens fonciers à l’influence des laïcs,notamment des plus belliqueux. Cette approche s’inscrit pleinement dans lecontexte de recomposition des pouvoirs au tournant de l’an mil, la fameuse« mutation » féodale52. Pour d’autres, le mouvement traduit plutôt, dans uncontexte prégrégorien, une montée en puissance de l’Église, sous l’impulsiondes évêques, ayant pour but d’accroître ses prérogatives53. Quelques auteurs,sans rejeter nécessairement les théories explicatives qui viennent d’être évo-quées, ont mis l’accent sur le rôle des craintes eschatologiques perçues autourde l’an mil et sur la pression exercée par un mouvement de foule considérécomme « populaire »54 ; ou encore, tout en raccordant le mouvement à la

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51. — Pour une présentation historiographique plus complète que celle fournie ici, cf. en dernierlieu F.S. PAXTON, « History, Historians, and the Peace of God », dans The Peace of God, op. cit.,p. 21-40 (note 1) ; H.-W. GOETZ, « Die Gottesfriedensbewegung im Licht neuerer Forschungen »,dans Landfrieden. Anspruch und Wirklichkeit, A. Buschmann et E. Walde éd., Paderborn-Munich-Vienne-Zurich, F. Schöningh, 2002, p. 31-54, ainsi que Th. GERGEN, Pratiques juridiques de la Paixet de la Trêve de Dieu à partir du Concile de Charroux (989-1250), Francfort-sur-Maine, P. Lang,2004, p. 15-38.52. — La contribution classique de Georges Duby, parue en 1968, puis largement rééditée (« Leslaïcs et la paix de Dieu », dans I laici nella ‘societas christiana’ dei secoli XI e XII. Atti della terzaSettimana internazionale di studio (Mendola, 21-27 agosto 1965), Milan, p. 448-461), de même quele manuel bien connu de Jean-Pierre POLY et d’Éric BOURNAZEL sur la « mutation féodale » ontconsacré et consacrent encore aujourd’hui cette thèse. Pour le contexte flamand, le chanoineH. PLATELLE, dans un article excellent sur le fond (« La violence et ses remèdes », op. cit., p. 101-173, spécialement p. 108-114 (note 1)), et G. KOZIOL, dans un écrit plus récent (« Monks, Feuds andthe Making of Peace », op. cit., passim (note 1)), soutiennent une conception assez analogue. Il fautévidemment renoncer à cette vision tronquée qui résulte d’une analyse trop crédule des témoignagesproduits par les lettrés de l’Église et qui fait fi des mécanismes sous-jacents, mais bien présents, derégulation sociale. Pour une réflexion critique sur la violence autour de l’an mil, cf. P.J. GEARY,« Vivre en conflit dans une France sans État : typologie des mécanismes de règlement des conflits(1050-1200) », Annales ESC, 41, 1986, p. 1107-1133 ; S.D. WHITE, « Repenser la violence : de 2000à 1000 », Médiévales, t. 37, automne 1999 (numéro thématique : L’an mil en 2000, M. BOURIN etB. ROSENWEIN coord.), p. 99-113 ; ainsi que la publication récente des actes du colloque consacré àla notion de vengeance : D. BARTHÉLEMY, Fr. BOUGARD et R. LE JAN dir., La vengeance, 400-1200.Actes du Colloque de Rome (18-20 septembre 2003), Rome, École française de Rome, 2006.53. — Il s’agit d’une thèse défendue actuellement par des auteurs comme Dominique Barthélemy,Hans-Werner Goetz ou Joseph Morsel (D. BARTHÉLEMY, L’An mil et la paix de Dieu, op. cit., spé-cialement p. 61-64 (note 1) ; H.-W. GOETZ, « Die Gottesfriedensbewegung », op. cit. (note 51) ;J. MORSEL, L’aristocratie médiévale. La domination sociale en Occident (Ve-XVe siècles), Paris,A. Colin, spécialement p. 150-151).54. — Les études de Robert LANDES et Thomas HEAD s’inscrivent en général dans ce carcan millé-nariste (cf. les articles cités dans le présent texte) ; Sur le caractère populaire du mouvement, cf.

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montée en puissance de l’Église, certains y ont vu une volonté de réglemen-ter et de christianiser l’éthique des guerriers, volonté qui portait en germe lemouvement des croisades55.

Malgré ces oppositions, un certain consensus se dégage depuis peu en fai-sant le constat de la différence d’intensité de la Paix de Dieu, forte dans leszones où le pouvoir temporel centralisé était encore mal installé (royaume deFrance, duché de Bourgogne…), plus faible dans les régions commel’Empire où ce pouvoir était mieux établi. Mais cette tendance historiogra-phique n’interprète plus uniquement cette différence en terme d’anarchie féo-dale, mais plutôt comme la clé de lecture d’un rééquilibrage des rapports deforce, entre le nouveau temporel émergeant (les rois et les princes territo-riaux) et l’Église. En France, où naît le mouvement, les évêques semblentavoir saisi l’occasion d’accroître leurs pouvoirs, dans un contexte de réformesreligieuses et d’émulation prégrégorienne, tandis que dans l’Empire, l’Égliseétait moins demandeuse, puisque déjà insérée dans les rouages du pouvoir viale système de l’Église impériale (Reichskirchensystem)56. Comme le soulignerécemment Hans-Werner Goetz, il ne faut pas appréhender ce mouvementdans le cadre d’un désordre, mais bien dans celui d’un changement d’ordre,d’une évolution des rapports de force entre pouvoirs en présence57.

Ce schéma interprétatif est séduisant. Il est en tout cas particulièrementopérant dans le cas qui nous occupe ici, celui de la Flandre. D’une part, parceque ce comte est au XIe siècle un prince relativement puissant et bien installéà la tête de sa principauté58 (à l’exception de certaines régions nouvellementacquises) ; d’autre part, parce que les Miracula témoignent très clairement dufait que le mouvement de la Paix fut appuyé, encouragé et développé par cesprinces, dans un processus de récupération que nous allons maintenantessayer de décoder.

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54. — (suite) B. TÖPFER, Volk und Kirche zur Zeit der beginnenden Gottesfriedensbewegung inFrankreich, Berlin, Rütten und Loening, 1957.55. — Cf. en dernier lieu les travaux de J. FLORI, notamment, « L’Église et la guerre sainte, de la‘paix de Dieu’ à la ‘croisade’ », Annales ESC, 1992/2, p. 88-99 (rééd. : Croisade et chevalerie,Bruxelles, De Boeck-Université, 1998).56. — H.-W. GOETZ, « Die Gottesfriedensbewegung », op. cit., p. 50-51 (note 50) ; J. MORSEL,L’aristocratie médiévale, op. cit., spécialement p. 153-154 (note 53) ; Th. GERGEN, Pratiques juri-diques de la Paix, op. cit., p. 29 (note 51). La recherche sur la Paix de Dieu vient d’ailleurs de mettreen lumière un aspect jusqu’ici négligé, à savoir le caractère restaurateur et réformateur des concilesde paix, c’est-à-dire la volonté de réorganisation interne de l’Église. Cela illustre bien le cadre glo-bal dans lequel s’inscrit le mouvement.57. — « Nicht Unordnung, sondern Umordnung der Machtverhältnisse bildet den Hintergrund der[Gottesfriedens]bewegung. », H.-W. GOETZ, « Die Gottesfriedensbewegung », op. cit., p. 37-38,p. 38 pour la citation (note 51).58. — Cf. par exemple E. THOEN, « The count, the countryside and the economic development of thetowns », op. cit., p. 182 (note 27).

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D’une manière générale, on comprend aisément l’aide des comtes à lamarche pacificatrice des moines de Lobbes. Le pouvoir comtal trouve en effetdans cette opération un mouvement qui consolide son autorité. Derrière laPaix de Dieu que proclament les reliques, c’est la Paix et la justice du comtequi sont promues – en appuyant ce mouvement, il fait figure de chef naturelet de garant de la paix, voulu et accepté par Dieu, tout en exhortant implicite-ment la noblesse flamande à faire bloc derrière lui –59. L’introduction mêmedu mouvement de Paix dans la principauté peut s’interpréter comme uneaction d’instrumentalisation menée par le pouvoir comtal : la prestation duserment de paix organisé par Baudouin IV à Audenarde en 1030 coïncideétrangement sur le plan chronologique avec l’influence montante du Hainautdans la région d’Ename lors de l’accession de Renier V de Hainaut à la tête dece marquisat en 102960. Ceci souligne combien le concours entre autoritécomtale et mouvement de paix apparaît probant en Flandre.

Nous avons déjà évoqué plus haut que le concours du pouvoir comtal et salégitimité sont clairement marqués dans le récit du voyage. Dans le cha-pitre IX, l’hagiographe décrit la cérémonie de prestation du serment de paixdans les campagnes de Bergues, devant une assemblée composée, en tête, desprinces territoriaux, accompagnés par les grands barons du comté (opti-mates), desquels, précise l’auteur des Miracula, aucun n’osa résister auxexhortations de paix. Derrière ce serment théâtral et cautionné par Dieu– puisque Dieu réalise des prodiges par l’intermédiaire des reliques d’Ursmer –,c’est toute la légitimité politique et judiciaire des comtes qui est ici mise enavant, puisqu’ils sont – le texte le souligne – les garants de la Paix instituéepar Ursmer61. L’épisode du boiteux, mais vertueux chevalier Baldrade,moment hautement significatif pensons-nous, trahit tout particulièrementbien cet objectif de légitimation du pouvoir comtal. Le narrateur, décrivantBaldrade, énumère en réalité les qualités-type du bon chevalier : être noble etfortuné, être sage et instruit, être excellent au combat, et enfin – élément d’au-tant plus fondamental qu’il clôt l’énumération de ces vertus –, être un bonconseiller (donc un fidèle) du comte62.

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59. — L’idée n’est pas neuve. Déjà en 1944, Fr.-L. GANSHOF, La Flandre, op. cit., p. 41 (note 11),voyait dans le fait d’appuyer le mouvement de la Paix de Dieu une des actions essentielles de ren-forcement de leur pouvoir mené par les comtes au XIe siècle (surtout par Baudouin IV et BaudouinV). Récemment, certains chercheurs ont réactualisé la problématique. On notera principalementE. BOZÓKY, « La politique des reliques des premiers comtes de Flandre (fin du IXe-fin duXIe siècle) », dans Les reliques, op. cit., p. 279 (note 34) et suiv. À l’échelle de l’ensemble du mou-vement, cf. H.E.J. COWDREY, « The Peace and the Truce of God in the Eleventh Century », Past andPresent, t. 46, 1970, p. 42-67, spécialement p. 58-66). Plus récemment, cf. les travaux déjà mention-nés de D. BARTHÉLEMY.60. — L. VANDERKINDERE, La formation territoriale, op. cit., p. 101 (note 11) ; A.C.F. KOCH, « Hetgraafschap Vlaanderen », op. cit., p. 376 (note 11).61. — Extrait reproduit à la note 38.62. — Miracula, p. 840, chap. XV : Die tertio miles quidam Baldradus nomine nos suscepit hospitio ;erat autem uno pede claudus, mente autem et intentione eo rectior nullus ; iuvenis nobilis et ex ditio-ribus, sapiens et ex perfectioribus, miles et ex melioribus, consiliarius comitis et ex prioribus.

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Ce dernier point témoigne du caractère global des changements sociaux encours aux Xe-XIe siècles et dont la Paix de Dieu n’est qu’un aspect : progressi-vement, on voit en effet se former dans la littérature religieuse une définitionidéale du comportement chevaleresque (en connexion avec le schéma tripar-tite) : le miles chrétien, comme on vient de le voir exposer par l’auteur desMiracula, a des vertus particulières (pour ne pas dire exceptionnelles !),parmi lesquelles il doit obéissance et fidélité envers son seigneur, ici le comtede Flandre. Par la promotion de ces critères, l’Église a peut-être cherché àcanaliser les bellatores et à les intégrer dans un ordre et une éthique chré-tiennes63. Mais ce détail narratif souligne également ce que la recherche apeut-être moins exploré : un intérêt, également, mais de la part des nouveauxpouvoirs émergents, pour la canalisation des comportements aristocratiques,vers un amendement des pratiques guerrières, au bénéfice d’un pouvoir terri-torial ou royal64.

En somme, les notions de légitimité du pouvoir en place et de devoir de ral-liement des aristocrates de la principauté derrière le détenteur de l’autoritépublique progressent en Flandre – la Pax Dei, soutenue dès le début par lepouvoir comtal, aboutit d’ailleurs très rapidement à la fin du XIe siècle à unejustice comtale solide, comme en attestent les sources, une véritable Paxcomitis65. L’exemple des Miracula illustre donc comment le mouvement dela Paix, s’il sert les intérêts d’une Église prégrégorienne en pleine efferves-cence, va également dans le sens des intérêts d’un pouvoir fragmenté et régio-nal en phase de recomposition.

Cette analyse s’inscrit dans la perspective et les conclusions élaboréesrécemment par Edina Bozoky dans une étude sur l’utilisation politique desreliques par les comtes de Flandre dans la construction et la consolidation deleur pouvoir. L’auteur y souligne notamment comment cette stratégie a ren-forcé, à partir du XIe siècle, « un certain sentiment de cohésion et d’unité des

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63. — Cet élément d’interprétation du texte est bien repéré par M. DE JONG, « Monniken, ridders engeweld », op. cit., p. 290-291 (note 1). Pour un contexte plus global, cf. J. BATANY, « Du Bellator auChevalier dans le schéma des ‘Trois Ordres’ (étude sémantique) », dans La guerre et la paix.Frontières et violences au Moyen Âge. Actes du 101e Congrès national des Sociétés savantes (Lille,1976), Paris, 1978, p. 23-34 ; J. FLORI, « L’Église et la guerre sainte », op. cit., p. 88-99 (note 60) ;J. MORSEL, L’aristocratie médiévale, op. cit., p. 150-160 (note 53).64. — J. FLORI réalise un constat dans ce sens à travers un matériel documentaire constitué de chan-sons de geste (« De la chevalerie féodale à la chevalerie chrétienne? La notion de service chevale-resque dans les très anciennes chansons de geste françaises », dans Militia Christi et crociata neisecoli XI-XII. Atti della settimana internazionale di studio (Mendola, 28 août-1er sept.), Milan, 1992,p. 67-101 (rééd. : Croisade et chevalerie, op. cit.). Cf. aussi, dans ce sens, le récent essai deD. BARTHÉLEMY, La chevalerie. De la Germanie antique à la France du XIIe siècle, Paris, Fayard,2007, spécialement les chap. 5, 6 et 7.65. — E.I. STRUBBE, « La paix de Dieu dans le Nord de la France », dans Recueils de la Société JeanBodin, vol. 14, La Paix, 1re partie, Bruxelles, 1964, p. 499 ; A.C.F. KOCH, « Het graafschapVlaanderen », op. cit., p. 379-380 (note 11).

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habitants du territoire », de même lorsqu’elle note que les Miracles de saintUrsmer illustrent « le rapport étroit entre mouvement de paix, relique et sou-tien comtal »66.

Ce partenariat bilatéral, et ceci dès les débuts du mouvement, a été soulignérécemment par Dominique Barthélemy : dans l’histoire du mouvement de laPaix de Dieu, il ne s’agit en aucun cas d’une récupération princière ou royaled’une institution initialement purement ecclésiastique, puisque dès le début,le mouvement est conduit par les évêques avec l’appui de certains pouvoirsséculiers67.

Renforcement politique pour les comtes, cela semble une chose acquise.Mais pour Lobbes, une opération financière rentable, voire même une com-pensation? Sur la première partie de la question, c’est une évidence.L’abbaye de Lobbes, avec l’appui des comtes et dans le cadre du mouvementde la Paix de Dieu, peut en effet mener une grande opération de collecte defonds au sein d’une principauté territoriale riche et développée. Les résultatspositifs de l’entreprise sont d’ailleurs évoqués dans les sources postérieuresde l’abbaye. Elle peut, dans le même temps, y entreprendre une campagne depromotion de sa maison visant à y conférer à Ursmer une notoriété, celle d’unpacificateur et d’un guérisseur, capable de grands prodiges, et ainsi à seménager une place dans la communauté des saints protecteurs de laFlandre68. Dans cette optique, les moines de Lobbes cherchaient sans doutedavantage à se bâtir une réputation, qu’à combattre une prétendue vague deviolences. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la Vita secunda S. Ursmari,rédigée à Lobbes au Xe siècle par Rathier de Vérone, est interpolée vers lemilieu du XIe siècle par l’introduction de détails attribuant à Ursmer une acti-

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66. — E. BOZÓKY, « La politique des reliques », op. cit., p. 274 et 280 pour les citations (note 59).Sur la problématique fondamentale reliques-pouvoir territorial, cf. également, d’une manière géné-rale, E. BOZÓKY, La politique des reliques, de Constantin à Saint-Louis. Protection collective et légi-timation du pouvoir, Paris, Beauchesne, 2007, et, de manière plus concrète, G. AUGRY, « Reliques etpouvoir ducal en Aquitaine (fin Xe s.-1030) » et L. TRÂN-DUC, « Les princes normands et les reliques(Xe-XIe siècles). Contribution du culte des reliques à la formation territoriale et identitaire d’une prin-cipauté », dans Reliques et sainteté dans l’espace médiéval (Pecia, vol. 8-11), J.-L. Deuffic éd.,Saint-Denis, 2005, respectivement p. 261-280 et p. 525-561.67. — D. BARTHÉLEMY, L’An mil et la Paix de Dieu. op. cit., p. 574-575. Sur cette vision, cf.A. GRABOÏS, « De la Trêve de Dieu à la paix du roi : étude sur les transformations du mouvement dela paix au XIIe siècle », dans Mélanges offerts à René Crozet, P. Gallais et Y.-J. Riou éd., Poitiers,Société d’Études médiévales, 1966, p. 585-596. L’article de Th. HEAD, « The Development of thePeace of God in Aquitaine (970-1005) », Speculum, t. 74, 1999, p. 656-686, montre de manièreconvaincante comment s’est nouée cette collaboration entre pouvoirs ecclésiastique et laïc, et celadès les tout débuts du mouvement en Gaule méridionale. Concernant l’idée d’un mouvement de paixfacteur d’un nouveau lien de solidarité, cf. l’étude de R. LANDES, « La vie apostolique en Aquitaineen l’An mil. Paix de Dieu, culte des reliques et communautés hérétiques », Annales ESC, t. 46, 1991,p. 573-593, laquelle souligne, toujours dans le cas de l’Aquitaine, le rôle du mouvement de la Paixdans la formation et la promotion d’une nouvelle unité entre le duc, les nobles et le peuple.68. — Sur ce point, cf. E. BOZÓKY, « La politique des reliques », op. cit., passim (note 59).

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vité de missionnaire en Flandre69. Concernant le deuxième point, celui de lacompensation, il nous faut souligner que l’idée est tentante, mais qu’elledemeure indémontrable. L’hypothèse mérite en tout cas d’être posée. Cettepossibilité s’accorde avec la question de l’intervention des moines lobbainsloin de leur patrie : pourquoi donc les comtes de Flandre ont-ils fait appel àl’abbaye de Lobbes pour organiser cette marche? Cette question est loind’être anodine si l’on songe aux nombreuses abbayes flamandes – aux nom-breux saints flamands – qui auraient pu mener cette mission. Il est évidentque l’on recourait de préférence à des institutions dont le saint patron étaitdoté d’une autorité morale et d’un certain prestige, mais n’était-ce pas le casd’un saint Bavon, d’un saint Vaast ou d’un saint Amand70 ? L’idée d’une com-pensation offerte à l’abbaye sambrienne par le pouvoir comtal offre en toutcas une réponse plausible à l’intervention de Lobbes sur le territoire flamand.

Conclusion

Le récit des miracles de saint Ursmer en Flandre constitue ce que l’on acoutume d’appeler un beau texte, dont l’usage est fréquent dans une série dechamps d’étude. Son analyse serrée et sa mise en contexte, notamment par lebiais d’une meilleure prise en compte tant de l’histoire du comté de Flandreque de la situation singulière du monastère de Lobbes vers le milieu duXIe siècle, permettent d’élaborer une lecture nouvelle du texte et d’aboutir àd’intéressantes conclusions.

Contrairement à l’idée d’une double justification proposée jusqu’à présent,il semble bien que l’objectif principal du voyage fut une quête financière.L’analyse de l’itinéraire et les rapports évoqués dans le récit entre l’abbaye etles comtes de Flandre vont dans ce sens. Au demeurant, l’usurpation d’unegrande partie des biens de Lobbes dans le bassin de la Dendre par des poten-tats locaux apparaît fort probable. De même, il n’est pas impossible que lescomtes de Flandre aient sciemment fermé les yeux sur ces appropriations envue de s’attirer la faveur des seigneurs locaux, bénéficiaires de ces usurpa-tions. Récemment arrivés dans le secteur, les comtes avaient en effet besoindu soutien de l’aristocratie locale pour contrôler effectivement cette nouvellezone marginale de leur territoire.

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69. — Ch. MÉRIAUX, Gallia irradiata. Saints et sanctuaires dans le Nord de la Gaule du haut MoyenÂge, Stuttgart, F. Steiner, 2006, p. 367.70. — Bavon, Winnoc, Amand, Vaast, Bertin, Gérulphe et Wandrille sont les saints patrons flamandsréunis en 1030 à Audenarde par le comte Baudouin IV lors de la première prestation de serment depaix connue dans les textes (Les Annales de Saint-Pierre de Gand et de Saint-Amand : AnnalesBlandinienses, Annales Elmarenses, Annales Formoselenses, Annales Elnonenses, Ph. GRIERSON

éd., Bruxelles, CRH, 1937, p. 89-90). Cf. sur ce point E. BOZÓKY, « La politique des reliques », op.cit., p. 285 (note 59).

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Le lien avec le mouvement de la Paix de Dieu offre une autre clé de lecturequi se révèle également très intéressante. D’une part, parce qu’elle permet derejoindre les approches interprétatives récentes des mouvements de paix ;d’autre part, parce qu’elle renforce l’idée d’une politique des reliques adroi-tement menée par le pouvoir comtal en vue d’appuyer et de renforcer sonautorité et la structuration d’un territoire qui y serait soumis. Nous avons sou-ligné que le comté de Flandre est une entité territoriale, bien qu’en construc-tion, déjà dotée d’un pouvoir princier relativement établi et organisé. Noussommes à l’opposé des vues traditionnelles qui voient le mouvement de laPaix de Dieu s’installer là où il y a faiblesse et manquement du pouvoir tem-porel… Inverser la logique devient extrêmement stimulant : la Paix de Dieus’est développée d’autant mieux dans certaines régions que les détenteurs desnouvelles principautés émergentes y ont bien vu un mouvement qui appuyaitleur construction politique.

En 1083, saint Arnoul, évêque de Soissons, mène en Flandre une cam-pagne de pacification, dont le but avoué explicitement est d’obtenir, à lademande du pape Grégoire VII, la grâce comtale en faveur des nobles quis’étaient opposés au coup d’État de Robert le Frison. Il s’agissait, par uneopération de purification menée par un saint homme proche de Dieu (sa mis-sion lui est annoncée par saint Pierre !), de les ramener dans la fidélité ducomte71. C’est un magnifique parallèle avec l’action d’Ursmer. L’analyse desdifférents dossiers hagiographiques flamands offre sur ce point de bellesperspectives, d’autant que l’historiographie a souligné tout particulièrementla part active prise par les Baudouin de Flandre dans l’introduction et le déve-loppement du mouvement dans le comté72. On possède pour cette principautéun ensemble de textes qui s’échelonne tout au long du XIe siècle jusqu’audébut du siècle suivant73. Des régions comme l’Aquitaine, où serait né lemouvement de la Paix de Dieu, ou comme la Normandie, pourraient consti-tuer des points de repère intéressants pour une future étude comparative.

Mots-clés : voyage avec reliques, Flandre, Paix de Dieu, pouvoir territorial,usurpations, quête.

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71. — D. BARTHÉLEMY, Chevaliers et miracles. La violence et le sacré dans la société féodale, Paris,A. Colin, 2004, spécialement le chapitre IV, p. 188-224, version remaniée de l’article du mêmeauteur « Exorciser les démons de la vengeance, en Flandre autour de 1100 », dans Au cloître et dansle monde. Femmes, hommes et sociétés (IXe-XVe siècle). Mélanges en l’honneur de PauletteL’Hermite-Leclercq, P. Henriet et A.-M. Legras dir., Paris, 2000, p. 269-280 ; J.-P. POLY etÉ. BOURNAZEL, La mutation féodale, Paris, Presses universitaires de France, 2004, 3e éd. mise à jour,spécialement p. 167-169.72. — E.I. STRUBBE, « La paix de Dieu dans le Nord de la France », op. cit., p. 497-500 (note 65).D. BARTHÉLEMY et E. BOZÓKY ont tous deux tenté d’esquisser une histoire mêlée des comtes deFlandre et de la Paix de Dieu (E. BOZÓKY, « La politique des reliques », op. cit., p. 279 et suiv. (note59) et D. BARTHÉLEMY, L’An mil et la paix de Dieu, op. cit., p. 441-468 (note 1) ; ID., Chevaliers etmiracles, op. cit., p. 206-207 (note 1)).73. — Cf. H. PLATELLE, « La violence et ses remèdes », op. cit., passim (note 1).

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Appendice : Structure du récit, indications spatio-temporelleset proposition d’une chronologie du voyage

Contexte et justification du voyage d’Ursmer à travers la Flandre (chapitre I)Parmi les événements et les antécédents justifiant la marche, il est évoqué la situationde l’abbaye de Lobbes après la mort de l’empereur Henri III, le 5 octobre 1056, et lafin des hostilités avec le comte Baudouin V de Flandre (Sed postquam Henricusimperator decessit…) ; cf. supra.

Départ de Lobbes à une date non précisée (vraisemblablement dans la deuxièmemoitié du mois d’avril 106074) et traversée d’une partie du Brabant (chapitre II)1. Les moines quittent leur abbaye et traversent la partie sud-ouest du pagus deBrabant75.2. Le Brabant est touché par une épidémie mortelle (pestilentia mortalitatis). Durantcette traversée a lieu le premier miracle : la maladie cesse sur le parcours des reliques.

Arrivée à Lille le jour suivant (altera die), nuitée et départ le lendemain (in cras-tino) (chapitre III-IV)1. Ursmer se manifeste dès son arrivée par un grand prodige collectif : tous lesmalades du lieu sont miraculeusement guéris.2. Les moines repartent le lendemain, accompagnés par la multitude des habitants dubourg ; certains, pour commémorer la venue du saint à Lille, plantent une croix enson honneur.3. Pendant le séjour, Ursmer y venge une jeune fille maltraitée par sa marâtre, auxdires de certains habitants qui auraient rapporté le miracle aux moines de Lobbes(Quam rem omnes oppidani noverunt et cuidam nostrorum per eos transeunti posteapro miraculo retulerunt).

Déambulation, puis arrivée dans une villa appelée Neuve-Église (Nieuwkerk), àcôté de Strazeele76 (ad villam quamdam, quae Nova Basilica dicitur secusStrateselam devenimus) (chapitre V)1. Les moines ont affaire à une situation difficile de guerres de vengeance. Ils par-viennent à ramener certains à la concorde, tandis que d’autres, s’y refusant, fuientdevant les reliques d’Ursmer. Trois mois plus tard, lors d’un combat, les récalcitrantspérissent tous.

Après Strazeele, déambulation de plusieurs jours dans la région, puis arrivée àBlaringhem, dans la nuit du 3 au 4 mai (veille du jour de l’Ascension) (post ali-quot dies apud castrum quod Blarengehem dicitur hospitium sortiti sumus ; Contigitea nocte ad ecclesiam adventus sancti confessoris, nocte scilicet anniversaria domi-nicae ascensionis) (chapitre VI)1. Départ de Strazeele et déambulation dans les alentours.

724 PAULO CHARRUADAS

74. — Cf. note 2.75. — Le texte ne donne pas de précisions à ce sujet, mais la logique géographique permet cettedéduction (sur le pagus de Brabant, cf. P. BONENFANT, « Le Pagus de Brabant », Bulletin de laSociété belge d’Études géographiques, t. 5, 1935, p. 25-78).76. — Les deux localités sont distantes d’une quinzaine de km l’une de l’autre : Strazeele est aujour-d’hui en France, Nieuwkerke en Belgique.

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2. Arrivée durant la nuit au château nommé Blaringhem ; les moines s’aperçoivent del’endroit où ils se trouvent le matin venu (incertum nobis fuisset, nisi propalasset luxcrastina) : c’est le jour de l’Ascension du Seigneur : là, les moines sont à nouveauconfrontés à une discorde, opposant ici deux jeunes chevaliers. Malgré une tentativede réconciliation du seigneur du lieu, la situation dégénère en meurtre, puis en guerrede vengeance. Le lendemain de leur arrivée (Mane ergo facto), alors que les événe-ments dégénèrent en bataille rangée, les moines pénètrent dans l’église du lieu, ycélèbrent une messe et parviennent à calmer les esprits et rétablir la concorde.3. En plus de cet épisode, presque une centaine de discordes sont apaisées parmi leschevaliers réunis ce jour-là, notamment celle d’un chevalier nommé Boniface.

Arrivée et nuitée à Cassel (chapitre VII)1. S’éloignant de Strazeele, les moines rejoignent Cassel.2. Passant la nuit dans cette localité, ils déposent les reliques sous leur tente, prenantquant à eux l’hospitalité dans une auberge.3. A lieu ensuite l’épisode de la guérison d’une jeune fille saignant de la tête depuisquarante jours ; proche de la mort, elle est sauvée par Ursmer.

Arrivée à Bergues-Saint-Winnoc le 13 mai (veille de la Pentecôte), nuitée, célé-bration du jour de fête dans le lieu (14 mai), puis départ de Bergues le 15 mai(Fuit ea nocte sollempnitas adventus Spiritus sancti, id est quinquagesimus dies aresurrectione) (chapitre VIII-IX)1. Quittant Cassel, les moines se rendent à Berges-Saint-Winnoc auprès du comte etde la comtesse pour leur exposer les injustices qui étaient faites à l’encontre desterres du saint.2. Le cortège reçoit l’hospitalité à l’abbaye de Bergues, les moines dans le cloître, lesaint dans l’église abbatiale.3. Durant la nuit a lieu la guérison d’un moine de Bergues atteint d’un mal de dents.4. Célébration de la Pentecôte (14 mai) à Cassel (Nos ibi sollempnitatem diei perce-lebravimus).5. Départ le lendemain (in crastino autem exivimus) et prestation du serment de paixdans la campagne des environs de Bergues.

Arrivée à Furnes le 15 mai au soir (Sequenti nocte), séjour d’au moins 3 jours(ante tertium diem), puis départ (vraisemblablement le 19 ou le 20 mai)(chapitre X)1. La nuit suivante, les moines reçoivent l’hospitalité du châtelain de Furnes, surl’ordre de la comtesse.2. A lieu durant le séjour la guérison miraculeuse du jeune fils du châtelain, âgé decinq ans et atteint de cécité depuis deux ans. Après avoir été mis en présence desreliques lors de la première nuit, l’enfant recouvre la vue avant le troisième jour.

Arrivée et séjour à Bruges (chapitre XI)

1. Quittant Furnes, les moines parviennent à Bruges, où le saint, reçu avec la vénéra-tion qui lui était due, est déposé avec soin sous sa tente et mis sous surveillance ; lesmoines, quant à eux, reçoivent l’hospitalité hors de la région (district administratifautour de Bruges?) (Ubi conveniendi metata statione, sanctum locavimus decenter insuo papilione, et statutis custodibus, nos e regione hospitati sumus).2. A lieu durant le séjour l’épisode merveilleux du cierge qui s’allume et brûle mira-culeusement jusqu’à l’arrivée des moines à Gand, soit approximativement un moisplus tard (cf. infra).

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Arrivée et séjour de trois jours (tribus diebus) à Oostburg (chapitre XII-XIII)1. Les moines se dirigent ensuite vers Oostburg, où ils sont accueillis par la popula-tion ; arrivée à l’église du lieu, puis de là à leur lieu d’hébergement ; pendant troisjours, une file de gens ne cesse d’aller et venir auprès des reliques (tribus diebus noncessavit funiculus populi euntium et redeuntium).2. Dans cette localité qualifiée d’oppidum, les moines sont à nouveau confrontés à ungroupe de quatre cents chevaliers s’adonnant aux guerres de vengeance. Mais arrivéparmi eux, Ursmer ramène la concorde et la paix.3. A lieu également à Oostburg la guérison d’une vieille dame, riche et noble, maisaveugle depuis cinq ans.

Arrivée dans un endroit dont les moines ont oublié le nom et nuitée (In villaautem, cujus nomen excidit, qua ea nocte nocte nobis erat hospitandum)(chapitre XIV)1. Arrivée dans cette localité et nuitée.2. A lieu, durant ce court stationnement, l’épisode de la guérison miraculeuse d’unjeune enfant atteint de fièvre.

Déambulation dans la région, puis, le troisième jour (Die tertio) (peut-être le3 juin), arrivée et séjour de trois jours au moins dans la demeure du chevalierboiteux Baldrade (chapitre XV)1. Les moines sont reçus par un chevalier prénommé Baldrade, jeune noble parmi lesplus riches, savant parmi les plus instruits, chevalier parmi les meilleurs, conseillerdu comte parmi les plus importants.2. L’épisode miraculeux concerne la famille de Baldrade : sa femme et ses deux fils,en bonne santé lors de l’arrivée du cortège, tombent malades durant le séjour desmoines. Le troisième jour (tertia die), Baldrade, affligé et inquiet d’avoir commis uneerreur dans son hospitalité, se précipite alors auprès des reliques pour obtenir le par-don et le retour de la santé pour sa famille. Rentré chez lui, il constate qu’Ursmer arépondu favorablement à ses prières.

Arrivée et nuitée à Lissewege (chapitre XVI)1. Arrivée et hospitalité dans une villa nommée Lissewege.2. Le lendemain (mane facto), les moines et les reliques sont encore une fois confron-tés aux problèmes des guerres de vengeance. Ursmer parvient à ramener plusieurschevaliers à la concorde, notamment un jeune noble nommé Robert, chef d’ungroupe d’environ deux cents chevaliers, dont on avait tué les deux frères. Robert hési-tant à tempérer son comportement, les moines procèdent à une humiliation desreliques d’Ursmer. Celui-ci, dans son abaissement, fait un signe fort de sa puissance :la châsse s’élève dans l’air, puis une fumée s’en échappe (fecit se levari citius.Fumus, mirum dictu ! procedens ex scrinio).

Départ de Lissewege et arrivée à Leffinge pour la nuit ; nuitée et départ le len-demain (chapitre XVII)1. Quittant Lissewege, les moines font un détour pour trouver hospitalité dans unevilla nommée Leffinge.2. Le lieu est frappé par la sécheresse depuis trois mois. Avec chants et litanies, leshabitants viennent à la rencontre des moines et des reliques pour demander au saintqu’il ramène la pluie ; et voilà qu’un torrent de pluie tombe dès leur entrée dansl’église du lieu : il pleut de la sorte toute la nuit jusqu’à ce qu’un ciel serein réappa-raisse à l’aurore (Tota nocte pluit ; surgens aurora serenum reduxit).

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Départ de Leffinge et marche jusqu’à Gand ; arrivée le dimanche (die Dominica)(vraisemblablement le 11 juin), puis séjour vraisemblable de 2 jours (11 et12 juin) (chapitre XVIII-XIX)1. Les reliques d’Ursmer réalisent de nombreux prodiges entre Leffinge et Gand.2. Le cortège arrive à Gand où ils sont accueillis par une foule nombreuse. Ils pénè-trent dans le château comtal pour aller prier à l’église Sainte-Pharaïlde77.3. Dans la ville, les moines apaisent plus de trente conflits.4. Ils vont ensuite prier au monastère de Saint-Jean-Baptiste78.5. Décidant de rester là pour la nuit, ils envoient un message à l’abbaye Saint-Pierre-au-Mont-Blandin, demandant s’ils pouvaient être reçus le lendemain pour s’y reposer(misimus ad Blandinienses, inquisitum, si nos in crastino susciperent gratia quies-cendi : eramus quippe ex itinere fatigati).6. Le lendemain, au Mont-Blandin, les moines et les reliques d’Ursmer sont reçuscomme il se doit ; si les moines prennent un peu de repos, Ursmer, quant à lui, conti-nue à opérer des prodiges, notamment avec la guérison d’une jeune fille dont le côtégauche du corps avait commencé à pourrir. Le miracle est suivi par la messe desVêpres annoncée par les cloches (Vesperi sonabant campanae).7. Ils décident ensuite de retourner prier auprès de saint Bavon ; ils célèbrent une nou-velle fois la messe à l’église Saint-Jean-Baptiste et font une procession jusqu’à l’ab-baye Saint-Bavon. Ursmer procède à cette occasion à un dernier miracle : parmi lesfidèles est guérie une très vieille femme, aveugle d’un œil depuis plusieurs années.

Départ de Gand le jour suivant (die altero), soit le 13 juin, et arrivée après huitjours (post dies octo) dans un lieu nommé Finia (Eine?) (autour du 20 juin) (cha-pitre XX)1. Étant en mesure de partir le jour suivant, les moines arrivent après huit jours demarche dans une villa nommée « Finia » (Et accepta licentia egressi die altero, advillam quae Finia dicitur pervenimus post dies octo).2. Les moines demandent l’hospitalité au prêtre du lieu, mais celui-ci refuse et barreles portes de l’église.3. Ursmer intervient miraculeusement. Alors que les moines installent leurs tentes surle parvis de l’église (in atrio), ils entendent les barres de la porte de l’église tomberavec fracas (cum grandi sonitu). Les moines entrent dans l’église et le prêtre, décon-certé, demande pardon au saint et aux moines. Le lendemain matin (mane facto), leprêtre demande l’absolution devant tous les villageois (coram omni populo) et leurexpose ensuite en flamand ce qui s’était passé (quomodo sibi evenisset Theutoniceenarrabat populis).

Départ de « Finia » (Eine?) et arrivée le huitième jour à Bruxelles (il doit y avoirune confusion dans la chronologie, soit ici, soit à « Finia », dans la mesure où le

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77. — Sur l’église Sainte-Pharaïlde, future collégiale, cf. Br. MEIJNS, Aken of Jerusalem? Het onts-taan en de hervorming van de kanonikale instellingen in Vlaanderen tot circa 1155, vol. 1, Louvain,Universitaire Pers Leuven, 2000, p. 382.78. — Il s’agit vraisemblablement de l’église Saint-Jean-Baptiste, connue par une première mentionen 964 et située à l’emplacement de l’actuelle cathédrale Saint-Bavon (A. VERHULST, G. DECLERCQ,avec la coll. de M.C. LALEMAN, « Gand entre les abbayes et la fortification comtale », dans Gand.Apologie d’une ville rebelle. Histoire, art, culture, J. Decavele dir., Anvers, Fonds Mercator, 1989,p. 41-42).

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retour à Lobbes a lieu incontestablement le 28 juin au soir) (redeundo venimusBruxellam die octavo)79, puis séjour d’une durée non précisée (chapitre XXI)1. Les moines accélèrent leur marche et, le huitième jour, sur le chemin du retour, ilsparviennent à Bruxelles, où ils sont accueillis par une foule nombreuse (turba).2. Entrés dans la ville, les moines processionnent jusqu’à l’église du lieu ; Ursmerréalise encore une guérison miraculeuse : parmi les Bruxellois qui ont rejoint le cor-tège se trouve une femme boiteuse marchant avec l’aide de béquilles. Au fur et àmesure de l’avancée de la procession, elle recouvre son aptitude jusqu’à l’arrivée àl’église où elle proclame à tous le recouvrement de la santé.3. Les moines ramènent la paix et la concorde parmi les Bruxellois.

Départ de Bruxelles (au plus tard le 27 juin au matin) et retour à Lobbes le28 juin au soir (in vigilia Apostolorum venimus Lobiis, decimo scilicet die) (cha-pitre XXI)1. Partant de Bruxelles et passant par d’autres endroits avec gloire, les moines par-viennent à Lobbes la veille du jour de la fête des Apôtres, le 28 juin, soit le dixièmejour (après quoi ? le texte ne le dit pas. On notera que l’étape de Bruxelles est calcu-lée au 8e jour, ce qui cadre plutôt bien avec un retour à Lobbes le 10e jour).2. La première nuitée d’Ursmer de retour chez lui est le cadre du dernier miracle durécit : il guérit de la cécité un enfant de Thudinie (région hainuyère de Thuin-Lobbes)venu au monastère avec son père pour invoquer son pouvoir.

Une phrase souscrite signale la fin du récit, ainsi que le moment et le lieu de sa rédac-tion (toujours sans millésime) : à Lobbes le 10 des calendes d’avril (Iam finem tetigi,quem multum desideraui. Fuit hic codicellus 10. Kal. Aprilis feliciter Laubiis exara-tus).

728 PAULO CHARRUADAS

79. — Nous suivons pour le passage à Bruxelles la ponctuation d’Oswald Holder-Egger dans lesMGH (venimus Bruxellam die octavo) et non pas celle de Godefroid Henschen dans les AASS (veni-mus Bruxellam. Die octavo concurrente turba). On comprend en effet très mal pourquoi le récit duséjour ne commencerait qu’au 8e jour.

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